L'ÉCOLE ENFIROUAPÉE

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L'COLE ENFIROUAPE

Jacques GrandMaison, L'COLE ENFIROUAPE (1978)129

Jacques GrandMaison

Sociologue, Universit de Montral(1978)

LCOLEENFIROUAPE

Un document produit en version numrique par Gemma Paquet, bnvole,Professeure retraite du Cgep de ChicoutimiCourriel: [email protected]

Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/ Une bibliothque fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay, sociologue

Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.ca/

Cette dition lectronique a t ralise Gemma Paquet, bnvole, professeure de soins infirmiers retraite de lenseignement au Cgep de ChicoutimiCourriel: [email protected]

partir du livre de:

Jacques GrandMaison, L'COLE ENFIROUAPE. Je suis las de ces tataouinages idologiques bureaucratiques, audio-visuels et quoi encore. Savons nous vraiment ce que nous voulons ? Montral : ditions internationales Alain Stank Lte, 1978, 156 pp.

M. Jacques GrandMaison (1931 - ) est sociologue (retrait de lenseignement) de l'Universit de Montral.

[Autorisation formelle ritre le 6 mars 2004 au tlphone par M. Jacques GrandMaison et confirme par crit le 15 mars 2004 de diffuser la totalit de ses uvres : articles et livres]

Courriel: [email protected]

Polices de caractres utilise:

Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les citations: Times New Roman 12 points.Pour les notes de bas de page: Times New Roman, 12 points.

dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format: LETTRE (US letter), 8.5 x 11)

dition numrique ralise le 28 avril 2006 Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

Du mme auteur

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Le priv et le public, Lemac, 1974.

Des milieux de travail rinventer, P.U.M., 1975.

Une pdagogie sociale d'autodveloppement en ducation, d. Stank, 1976.

Une philosophie de la vie, Lemac, 1977.

Une socit en qute d'thique, Fides, 1978.

Jacques GrandMaisonsociologue (retrait de lenseignement) de l'Universit de Montral

L'COLE ENFIROUAPE.Je suis las de ces tataouinages idologiques bureaucratiques, audio-visuels et quoi encore. Savons nous vraiment ce que nous voulons ?

Montral: ditions internationales Alain Stank Lte, 1978, 156 pp.

Table des matires

Du mme auteurPrsentation du livre

Premire partieSymptmes et diagnostics

Chapitre I.La situation de l'ducation est la plus juste image de ce que nous sommesChapitre II.Les cotes d'alerteChapitre III.Une ducation calque sur l'organisation actuelle du travailChapitre IV.Le parent pauvre: nos philosophies de base

Deuxime partieUne philosophie de base

Chapitre I.Les valeurs ducatives dans l'volution du Qubec

1.Six repres 2.D'abord un minimum de sagesse commune et vivable

Je veux bien que l'cole ait une fonction critique dans la transmission des valeurs, mais je prfre mettre l'accent sur la fonction cratrice de valeurs.

Chapitre II.Un test: libert et pouvoirChapitre III.La dimension sociale revaloriserChapitre IV.Un cadre critique d'valuationChapitre V.Construction intrieure et pratique socialeChapitre VI.Deux tches majeures

La formation du jugementLes nous et les quipe de travail

Chapitre VII. Courant chaud et qute de sensChapitre VIII.La vocation propre de l'coleChapitre IX.Une philosophie de l'ducation

Troisime partieLe cadre institutionnel

Chapitre I.Une erreur gigantesque corriger: la confusion de l'outil et de la pratique socialeChapitre II.Les applications en ducationChapitre III.Un repre critique: l'ducation des adultesChapitre IV.Rgionalisation et institution localeChapitre V.Conclusions

Annexe.Lettre ouverte aux cquistes

L'cole enfirouape.Prsentation du livre

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Dans un ouvrage rcent, Une pdagogie sociale d'auto-dveloppement en ducation Jacques Grand'Maison prsentait un projet ducatif bti sur une stratgie de comptence commune dans l'institution scolaire locale. Il revient la charge dans une autre perspective. ses yeux, aucun projet ducatif n'est possible sans la leve de certains obstacles administratifs, syndicaux et professionnels qui neutralisent dans leur jeu rciproque d'intrts les efforts dmocratiques de relance, comme c'est le cas, d'ailleurs, dans les autres services publics. Mais cet ouvrage, L'cole enfirouape, est avant tout un plaidoyer pour rinventer une sagesse ducative qui semble absente chez la majorit des adultes. L'interpellation est drue: nous ne savons plus ce qu'est le bien, mais nous voulons le transmettre nos enfants.

Je suis las de ces tataouinages idologiques, bureaucratiques, audiovisuels et quoi encore. Savons-nous vraiment ce que nous voulons? Il existe une sagesse particulire en chacun des peuples. Peut-tre nous faut-il la retrouver, la renouveler pour redfinir une base collective vivable, surtout en ducation, l o nous projetons l'image la plus juste de ce que nous sommes.

L'cole enfirouape.Quelques traits de feu

IMPOSTURE

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Au nom d'une certaine politique, ils sont partout... ailleurs, sauf l o ils sont, sauf l o un service est requis.Ils sont pour la lutte des classes mais bien peu en classe; pour les travailleurs, moins pour leurs enfants; pour l'galit de tous mais selon la mesure qu'ils imposent;contre l'intrt priv sauf le leur; contre le pouvoir sauf le leur; contre les ractionnaires d'une faon totalitaire; contre toute collaborationen tout confort d'ici la rvolution.Ils se disent victimes de la chasse aux sorcires, mais ils cravachent tout le monde et son pre.Ils en veulent aux petits bourgeoissauf eux-mmes. Ils dnoncent le clricalisme en ignorant le leur. Ils combattent le fascisme des autres en dirigeant leurs troupes d'une main de fer.

Imposteurs, faux proltaires,il est temps de vous dmasquer.Viendra bientt l'heureo vos propres soldats en auront assez.

Vous prtendez parler au nom d'un peuplequi en grande majorit dplore vos coles.Vous considrez l'objectif de la qualitde l'enseignement comme une manoeuvrede contrle des enseignants.Vous soutenez que le problme de l'cole publique,c'est l'cole prive.Vous allez nous faire croire que la majoritdes enseignants partagent votre idologie politique.Vous tes en train de perdre toute crdibilit,au grand dam des enfantset des professeurs eux-mmes.Dans tous vos discours et dossiers,il n'y a pas deux lignes d'autocritique. croire que tout le problme vient du gouvernement,des multinationales ou des parents.C'est trop facile et trop peu forant.Vous vous dites marxistes,Dites-moi pourquoi les partis marxistesdes socits semblables aux ntresn'ont jamais voulu tenir la population en otage.Ils ont jug le geste immoral.Mais quelle conscience avezvous donc?Des ducateurs, part a!Elle me dgote votre prtention l'immacule conception du proltariat.Qu'est-ce que cette grande solidaritqui refuse la moindre quipe de travail?Ne reste-t-il pas quelque partau fond de vousun brin de sagesse pour enfin commencer vous regarder tel que vous tes?

Qui d'entre nous peut jouer pareillement les purs?

Nous ne vous reprochons pas vos faiblesses,mais votre fausse puret... toute clricalequi sent le fascisme plein nez.

ABSENCE

Me voici en moi-mme comme en train d'habiter une maison qui aurait t construite en mon absence.

Gaston Miron.

AbsenceAbsence de la majorit silencieuse - rleuse rsigne passer d'une manipulation l'autre.Majorit de parents absents mme aux lections scolaires Majorit de professeurs absents du syndicatMajorit de jeunes absents du dbat.Absence de sa propre conscienceAbsence de ses propres institutions Absence de ses propres convictions Absence au travail, l'conomie, la dmocratie. Miron nous interpelle enjoignant conscience et politique pour nous rendre enfin prsents une histoire, une vie que nous ne pouvons plus dserterau risque de vieillir terriblement vite.Et pourtant, je sais une sve de printemps trop longtemps retenue par l'obsession de l'hiver.Mon pays, c'est l'hiver! je dis non! O, mieux qu' l'cole... de la vie apprendronsnous la jeunesse de notre pays?

UNE SAGESSE

Nous ne savons plus ce qu'est le bien, mais nous voulons le donner nos enfants.

L'ducation, c'est d'abord une sagesse. Voil ce que j'ai appris des miens. Une sagesse constamment renouveler. Une sagesse capable des quatre saisons. Cette sagesse, nous sommes en train de la tuer de mille et une faons. Maison froide, foire d'empoigne, Babel,qu'est-ce que cette cole barbare aux mains de buralistes qui se disputentle pouvoir, le fric et quoi encore! On dit que le peuple d'ici est du.Qu'attend-il pour agir?Plus que de combats chevels, l'cole se meurt de la rsignation rentre,passive, rleuse de la majorit. Cette cole, elle n'appartient ni au gouvernement, ni au syndicat, ni au patronat, ni l'glise, elle vous appartient. Mais vous ne faites rien, si peu que rienpour la rendre vtre, comme votre chair. L'me vous a dserts bien avant de quitter l'cole. La sagesse aussi! Nous nous ressemblons, tellement!malgr nos ismes divergeants. J'en ai marre de ces piceries idologiques.Peut-tre le temps est-il venu de rehausser d'abordla qualit de notre pain quotidien,de notre sens moral, de notre travail, de notrevivre ensemble.Que voulez-vous transmettre aux vtres?Le savez-vous?Sans sagesse, il n'y a pas d'issue.Tout l'heure peuttre vous demanderez des colonels de se substituer cette sagesse qu'en temps opportunvous auriez d vous donner.Vous passerez ainsi d'une barbarie l'autre,d'un pouvoir l'autre,sans avoir appris habiter votre propre maison,vos propres institutions.

Ce n'est pas General Motors qui exproprie notre cole, mais nous-mmes,en rduisant l'ducation de bien petits intrts privs. Corporatisme mesquin dguis en marxisme Club priv pour consommateurs avertis Confessionnalismes troits et anachroniques,religieux ou laques.

Dieu! que c'est loin du coupleducation-civilisation! Aimerons-nous assez la vie pour miser d'abord sur la fcondit? Il m'est avis qu' long terme, comme dans l'histoire de tout homme,un peuple s'value son ducation, sa conscience, sa sagesse. Marque dcisive de la civilisation!

L'cole enfirouape.

Premire partie

Symptmes et diagnostics

Chapitre I.La situation de l'ducation est la plus juste image de ce que nous sommesChapitre II.Les cotes d'alerteChapitre III.Une ducation calque sur l'organisation actuelle du travailChapitre IV.Le parent pauvre: nos philosophies de base

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L'cole enfirouape.Premire partie. Symptmes et diagnostics

Chapitre I.

La situation de l'ducationest la plus juste imagede ce que nous sommes

Un premier tour d'horizon

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Il n'est pas facile de dmler l'cheveau des dbats actuels en ducation. D'aucuns se demandent si, depuis le dbut de la rforme, l'cole n'a pas t plus une foire d'empoigne qu'un chantier, plus un combat de pouvoirs qu'une oeuvre d'ducation,. Certes on a construit, et d'une faon cathdralesque. a nous connat. De plus, la rforme de l'ducation a t le premier terrain d'affirmation des nouvelles lites gouvernementales, administratives, professionnelles et syndicales. L'tat luimme s'est mis l'preuve de la modernisation qu'il entendait acclrer. C'est dans cet esprit de rattrapage que le Rapport Parent a t conu.

Mais au moment de la mise en uvre, de grands, changements sociaux et culturels commenaient secouer toutes les socits occidentales, en passant surtout par le monde des jeunes et de l'ducation. Chez nous, les cegeps sont ns durant cette priode de rvolution culturelle et d'utopie politique, juste aprs la priode technocratique de l'opration 55 et des polyvalentes.

la fin de la dcennie 60, on avait donc dj bien des denres nouvelles assimiler. Mais l'organisme scolaire n'allait pas connatre le rpit ncessaire que plusieurs souhaitaient. La premire tape visait des objectifs long terme qui s'accommodaient mal aux prcipitations des dernires annes. On ne btit pas des nouvelles institutions en deux ou trois ans, surtout dans le domaine de l'ducation. Celleci ne saurait adopter le rythme de la technologie physique. On ne manipule pas les tres humains comme des choses, ft-ce de la faon la plus logique, disaient certains critiques. Tt ou tard les vieux rflexes de dfense refont surface.

Mais ces premires rserves et critiques allaient tre noyes par d'autres changements au dbut de la dcennie 70. En effet, la lutte politique a pris le pas sur cette rvolution culturelle que j viens d'voquer. Peu peu les rapports de pouvoirs ont occup presque toute la place, au grand dam des autres dimensions. Telle la qualit de l'ducation ellemme; telle la primaut des jeunes qui sont la raison d'tre de l'cole, des administrateurs et des enseignants.

Deux diagnostics

1. Certains esprits dits ralistes considrent que tous ces tiraillements taient invitables. On ne construit pas une autoroute sans bousculer pas mal d'intrts et de gens... on n'en est plus au rang et sa petite cole... il est temps d'arriver en ville. Au bilan, ne faut-il pas se rendre compte d'abord de la somme extraordinaire de ralisations acheves en un temps record? Par exemple, les cegeps sont des institutions originales bien nous, de plus en plus dynamiques. Donnons leur chance aux coureurs,en n'exagrant pas les erreurs de parcours. Comme ailleurs dans le systme d'ducation, les jeunes professeurs des annes 60 ont mri. Il en va ainsi des administrations et du ministre lui-mme. N'oublions, pas que tout ce monde tait en phase de rodage jusqu' tout rcemment. Vues de l'intrieur, nos institutions scolaires se rvlent beaucoup plus positives que ne le laissent entendre les critiques de l'extrieur. Et puis, dans quelle mesure ne jette-t-on pas sur le dos de l'cole tous les problmes de la socit, y compris les checs des parents eux-mmes sur leur propre terrain? Ce qu'il y a de sr, c'est qu'on n'y gagnera rien dcourager, mpriser les enseignants. Ils ont eu assumer quotidiennement les consquences de tous ces grands changements. L'histoire parfois revient au galop avec les vieux rflexes: valorisation de l'ducation et dvalorisation de l'enseignant.

2. Mais il y a l'envers de la mdaille, rtorquent les insatisfaits. Que de batailles folles, irresponsables entre les syndicats d'enseignants et les administrations gouvernementales et locales! Les uns et les autres ont transpos btement l'cole des modles gestionnaires et des modles syndicaux industriels, comme si l'cole n'avait pas de vocation propre, comme si les services publics n'avaient pas des exigences dmocratiques particulires, par exemple celle de toucher l'ensemble de la population, celle de conditionner la marche de toute la socit. Dans un tel contexte, les intrts particuliers d'un groupe sont beaucoup plus relativiss. On ne met pas en chec toute une socit, on ne la soumet et pas incessamment au chantage, sans dclencher de trs profondes inscurits dont on connat un peu les consquences. L'histoire du fascisme en tmoigne. Globalement, aux yeux de plusieurs citoyens, le monde scolaire apparat comme un milieu irraliste, immature, peu responsable, aussi faussement idologis que bureaucratis, aussi gt en ressource qu'incapable de discerner le possible et l'impossible. Le fait, par exemple, que la Centrale des Enseignants du Qubec impose des objectifs marxisants dans ses troupes qui majoritairement n'ont rien de marxiste, c'est l un symptme, parmi d'autres, de pitre dmocratie, pour ne pas dire d'infantilisme politique. Cette remarque n'a rien voir avec la chasse aux sorcires. Il faut savoir appliquer sur son propre terrain les leons de dmocratie qu'on sert aux autres. Dans les syndicats, comme ailleurs dans notre socit, la pratique autocratique reste dominante. Que cela se vrifie dans le monde de l'ducation, c'est encore plus triste. Encore aujourd'hui, on devient vite des petits politiciens manipulateurs, mme dans des structures officiellement trs dmocratiques.

Nous sommes donc en face de deux, lectures bien diffrentes de la situation. Celleci est plus complexe. Elle exige des jugements moins rapides, davantage soumis l'examen du rel. Il est vrai que les lments positifs apparaissent moins dans une priode de changements. Changements, vrai dire, essoufflants non seule.ment cause d leur rythme, mais aussi cause de leur ampleur et de leur diversit. Que de choses digrer, si on en juge par le bref tour d'horizon que je viens de faire. On ne se remet pas facilement table aprs une grosse indigestion!

Un signe d'espoir

Or, contre toute attente, et c'est l un signe d'espoir, bien des citoyens s'attellent la tche pour bien marquer l'importance qu'ils accordent l'ducation. Autre signe que cet accent sur les aspects qualitatifs de l'ducation. La crise nous aura-t-elle aids mrir ensemble? Bien sr, beaucoup abordent la relance actuelle dans un esprit sinon mfiant, tout le moins sur la dfensive. Les blessures et les dceptions restent vives. Et puis, tout est devenu si compliqu. Par quel bout commencer?

Le Livre vert tente de dbroussailler le terrain. Il prsente un minimum vital, mais ouvert en mme temps l'exploration de diverses avenues. On y trouve une certaine prudence soucieuse d'carter des partis pris et des raccourcis trop rapides. Le Livre vert formule des exigences qui s'imposeraient dans n'importe quel rgime scolaire et politique. Le ministre y fait mme son autocritique, par exemple ses abus de la normalisation bureaucratique. On sent un souci d'viter des dbats sur les conceptions de l'ducation en prsence. C'est peut-tre la plus grande faiblesse du Livre vert. Comment dfinir dmocratiquement et judicieusement une institution sans une rflexion collective sur la ou les vocations propres de l'cole? je vais m'attarder cette question. Car les silences en ce domaine m'apparaissent graves. Eh quoi! on veut centrer l'attention sur les aspects qualitatifs de l'ducation tout en cartant le , dbat sur les finalits. C'est pourtant l que loge l'intelligence de ces qualitatifs. Comment s'interroger sur l'orientation actuelle de l'cole et viter en mme temps de confronter les points de vue divergents sur les vises propres de l'cole? C'est aberrant!

Savons-nous ce que nous voulons?

On retrouve ce mme problme de fond dans tous les autres secteurs de la socit. Faudra-il enfin nous demander pourquoi nous sommes si dmunis malgr l'arsenal norme de moyens dploys jusqu'ici? Question d'efficacit? Il y a beaucoup plus. Question de qualit et de force morale? Une autre explication valable, trs valable, mais partielle. Oserons-nous enfin admettre ou sonder cette question humiliante: les uns et les autres, savons-nous vraiment ce que nous voulons, mis part certains intrts privs et certaines critiques gnrales passepartout? L'ducation est prcisment le domaine o la conception de la vie est la plus mise l'preuve jusque dans ses motivations les plus profondes, dans ses comportements les plus dcisifs.

Un exemple rvlateur

Je prends une valeur titre d'exemple. LE SERVICE Dans les pratiques quotidiennes comme dans les objectifs rels de lutte, vit-on cette valeur? Tous ces citoyens adultes qui dcrient la dtrioration des services publics pratiquent-ils cette valeur, la transmettentils leurs enfants? Quand ceux-ci soupsent leur orientation professionnelle, rencontrent-ils des interpellations du genre chez leurs parents, leurs conseillers, leurs enseignants?

On en est au point o seulement les marchands et la publicit parlent de cette valeur, avec des objectifs bien contestables, videmment. Quand je fais le tour des programmes de formation avec leur technologie pdagogique sophistique souhait, je ne trouve mme pas cette valeur. Imaginez, en ducation! Quand j'entends des parents qui me disent: On ne sait plus quelles valeurs transmettre. je leur demande: Quelles sont les vtres... vos vraies valeurs, celles qui inspirent vos comportements rels? J'en ai marre de cet trange aveuglement. Quand je lis un dossier sur l'cole au service de la classe dominante, je m'interroge si dans la vie quotidienne les auteurs vivent la valeur service auprs des enfants. Ceuxci ne sauraient attendre la prochaine rvolution. Quand on considre un tel langage: rtro, cucu, qutaine, conservateur, moralisant, arrir, j'y vois une prostitution et de l'intelligence et du cur. Les mots ne sont pas trop forts, prcisment parce que nous sommes sur le terrain humain par excellence, celui de l'ducation.

Une manuvre subtile

Grattons un peu le vernis idologique de nos critiques et de nos combats actuels, nous trouverons souvent des pratiques o nous nous mentons mme nous-mmes... souvent sous le masque noble de certaines valeurs majuscules comme la justice. Valeurs qu'en d'autres occasions certains disqualifient comme des relents du vieil humanisme. Au fond, dans tout cela, c'est l'honntet de l'autocritique qui fait le plus dfaut. Eh oui! ce minimum de qualit morale. je sais que certains radicaux vont me dire que je maintiens ainsi la situation inacceptable des petits au service des gros. je ne marche pas dans la mesure o l'on se sert de ce problme grave pour contrecarrer ou pour moquer le dvouement d'un professeur qui dborde la comptabilit syndicale-patronale du travail minut. Bien sr, les intrts privs de la corporation incitent taire pareilles impostures. Comme la guerre, le soldat doit une obissance absolue son lieutenant!

On me rtorquera: Ce n'est pas une question de philosophie et de morale, mais un problme politique. La manoeuvre est subtile, dans la mesure o l'on vite de se placer sur un terrain de rflexion o les vraies conceptions de la vie, les pratiques relles sont amenes montrer leurs vraies enseignes, leurs vrais objectifs. Il en va ici comme en ducation, comment voulezvous former un jugement capable de faire des choix judicieux sans faire intervenir un moment ou l'autre une ou des philosophies de la vie qui valuent et situent ces choix, ces finalits? Or, le fait-on dans la vie adulte? Le faiton dans les combats de structures et de pouvoirs? Le fait-on dans ses partis pris idologiques et politiques? S'y refuser en ducation, c'est le bout du bout de l'aveuglement.

Ce petit exemple est pourtant gros de toute une faon d'tre, de penser et d'agir quotidienne, commune tous les groupes idologiques privatisants ou socialisants. Il y aurait tant de nouveaux lieux communs dmystifier ici, tant de rationalisations et de contradictions.

L'ducation, d'abord une sagesse

je me demande s'il ne faut pas redcouvrir le sens profond de ce qu'est une sagesse, surtout, surtout en ducation. Une sagesse, c'est la fois une philosophie, une thique et une politique. C'est une exprience historique avec ses modalits culturelles situes dans l'ensemble du patrimoine humain. C'est un mode quotidien d'tre, de penser, d'agir, de vivre avec, les autres et avec soimme. Eh oui! une sagesse permet une cohrence vitale entre le dedans de soi et le comportement social, politique.

Chacun des peuples, tout au long de son exprience, s'est faonn une sagesse particulire. L'histoire nous apprend qu'un peuple commence mourir quand il ne vit plus sa sagesse de base, celle qui l'a profondment marqu. L'avons-nous perdue de vue mme l'cole, lieu par excellence o elle devrait s'exprimer d'une faon privilgie? En ce sens, nous avons t peu sages en croyant pouvoir repartir zro, aprs avoir disqualifi globalement tout le pass. On comprend aujourd'hui la qute difficile de ces jeunes racines que nous avons sabres allgrement. Oh! je sais des nostalgies striles, frileuses, incapables de foncer dans l'avenir, de risquer l'exploration de nouvelles pistes.

Mais faut-il rappeler qu' niveau d'homme et d'histoire une vritable sagesse ne spare pas, mais renouvelle sans cesse, les rapports entre l'exprience, l'actualit et le projet; elle dveloppe ce discernement si rare des continuits dynamiques, des ruptures ncessaires et des dpassements plus ou moins radicaux. C'est, selon moi, la sagesse sous-jacente l'ducation permanente, de bout en bout de la vie d'un individu et d'une collectivit.

Oui, l'ducation, c'est d'abord et avant tout une sagesse. Dans une prochaine tape, je voudrais montrer comment ce lieu privilgi de discernement peut nous aider comprendre ce qui nous arrive.

Mais il y a certaines choses que j'ai le got de dire tout de suite. Qu'il s'agisse d'ducation ou de travail, de combat politique ou de dbat idologique, on aboutit la plupart du temps des culsdesac quand on fait fi d'une sagesse minimale.

Une illustration: la C.E.Q.

Par exemple, quand je lis les grands dossiers de la Centrale des Enseignants du Qubec, y compris les derniers en liste sur le Livre vert, je ne trouve pas deux lignes d'autocritique. Eh quoi! nous, professeurs, sommes-nous devenus l'immacule conception du proltariat? Bien sr, je me sens interpell par toute cette question des classes sociales. Il y a l des vrits vertes, des donnes de situation que souvent on ne veut pas reconnatre en ducation. Mais ce discours a quelque chose de Profondment faux, de peu crdible politiquement ou autrement, surtout cause de ses silences sur certaines pratiques syndicales et professionnelles rviser. Eh quoi! n'avons-nous pas nous aussi des intrts privs? Ces intrts privs qui semblent tre le lot unique et dmoniaque des capitalistes.

Qui va croire, par ailleurs, que la majorit des professeurs souscrivent au schme idologique de la Centrale? Comment expliquer cette distorsion de la pratique dmocratique? Il y a ici des remarques lourdes de sens: je me fous de leur idologie la C.E.Q., que m'importe s'ils m'obtiennent le maximum de fric et de protection, et on est une maudite gang penser comme a. Ouf!

Un minimum de sagesse, de sens politique devrait nous alerter d'abord sur un discours idologique caricatural, simpliste, de plus en plus en portefaux. Un peu plus, et on croirait que les professeurs font partie du Lumpenproltariat. Mon agacement me fait exagrer mon tour!

Dans une situation aussi complique que la ntre, quel groupe idologique peut, avec autant d'assurance, prtendre offrir l'explication unique, la Vrit politique, la seule? C'est du clricalisme dans ce qu'il a de plus cul.

Dommage! Il y a dans ce dossier des choses trs pertinentes sur le Livre vert: par exemple: une dfinition de la personne rduite sa dimension psychologique. Mais encore l, on caricature qui mieux mieux, comme s'il n'y avait pas de dimension sociale dans le Livre vert, comme si toute rfrence la personne tait retour un pass (stupide, bien sr) ou encore une autre expression du capitalisme. Quand aucun pays du monde n'a rsolu le problme de l'galit des chances, quand la majorit des enseignants ont une conscience trs aiguise de leur intrt personnel, je me demande bien comment la C.E.Q. peut parler si haut, si apodictiquement. la guerre comme la guerre, me disent des camarades radicaux. En attendant la rvolution du proltariat, profitons le plus possible de la vache lait. En ducation par-dessus le march! Ce cryptocapitalisme est dgotant parce qu'il utilise ce qu'il y a de plus prcieux: l'ducation, et ce qu'il y a de plus tragique: les classes pauvres et leur propre libration, pour protger des intrts de plus en plus corporatistes.

Nous sommes tous pareils dans notre volont d'accder aux biens de consommation, y compris les charters pour professeurs vers les quatorze soleils. Commenons par l'avouer, par mieux discerner les vrais exclus et les intgrs. Combien d'entre nous investissent effectivement dans la libration des exclus? La C.E.Q. joue la vertu face la question tragique de l'enfance exceptionnelle. Elle ne dira jamais que le moindre cart de la copie conforme chez un enfant dclenche un rflexe quasi automatique de nonrecevoir chez des professeurs. Mais non, c'est uniquement la faute du systme, des capitalistes, des technocrates.

Le minimum de sagesse, d'thique et de politique vivable commence lorsqu'on a le courage, la lucidit de se reconnatre et de s'avouer tel qu'on est. Quand une militance idologique refuse ou touffe la libert d'une vritable autocritique, je me demande bien comment elle va exercer le pouvoir, si jamais elle le prend toute, toute. J'ai connu des cas o aprs avoir rclam, au nom de la dmocratie, une lgitime voix, ces mmes petits politiciens ont refus toute place pour les autres, et mme pas la dissidence dans leurs rangs. Le fascisme, on a rarement su le voir venir. L'histoire en tmoigne. Et si on veut parler capitalisme, il y a bien des faons de cacher ses intrts privs au nom du bien public... ou de l'enfant!

En plus d'une sagesse collective viable, sommesnous acculs retrouver notre conscience?

En ce domaine, la C.E.Q. est peut-tre l'excs de ce que nous sommes? A middle class outlook qui utilise les armes idologiques son gr et son profit: tantt les appuis d'en haut, tantt les appuis d'en bas.

Mais quand certaines attitudes fascistes se dguisent en pseudo-marxisme, la fausse conscience devient une imposture intolrable. Et quand on y ajoute ce vieux fond clrical qui rapparat aujourd'hui sous de nouveaux visages, il y a de quoi s'inquiter davantage. Exagration? C'est pour le moins une cote d'alerte qui n'a rien de la chasse aux sorcires, dans la mesure o nous acceptons de nous reconnatre dans ces caricatures de nousmmes. Prtendre qu'un gouvernement veut tout simplement rprimer les enseignants en suggrant un nouvel effort de tous les citoyens pour une ducation plus qualitative, c'est du charriage corporatiste. Mais ce charriage, on le trouve un peu partout chez ces groupes qui ont le pouvoir ancien ou nouveau d'asservir la socit leurs intrts privs. Quant au clricalisme voqu plus haut, il est temps de reconnatre qu'il n'est pas le fait exclusif d'un certain monde religieux. Il est encore plus trompeur lorsqu'il se prsente sous des traits dits laques.

Notre socit ouverte permet le meilleur et le pire. J'ose esprer que le meilleur va prendre le dessus. Diantre! si ce n'est pas dans la qualit de l'ducation, o donc trouveronsnous un terrain plus propice au renouvellement d'une sagesse collective bien de nous? Les grands choix politiques du prsent, et l'avenir plus encore, dpendent, long terme de la qualit de cette base humaine irremplaable, o se logent les motivations les plus dcisives. Fautil le rpter, ni le statu quo, ni la rforme, ni la rvolution ne seront possibles, si nous ne tissons pas une solide toffe humaine en ducation.

L'cole enfirouape.Premire partie. Symptmes et diagnostics

Chapitre II.

Les cotes d'alerte

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Je ne veux pas cder au pessimisme strile en soulignant ces cotes d'alerte. Je le fais dans un esprit positif Mais on ne peut ignorer les normes problmes qui se sont accumuls au cours des dernires annes. Saurons-nous en tirer des leons prcieuses? Vouloir repartir zro est illusoire. De mme, il ne suffit pas de retrouver un sentiment positif. Les uns et les autres, savons-nous ce que nous voulons vraiment? Cette seule question fondamentale qui a tant de rpercussions sur le choix des objectifs et des moyens va nous mettre l'preuve. Je voudrais m'y attarder. Car j'ai la conviction que c'est la faiblesse majeure de toute l'entreprise et aussi des dbats.

On ne joue pas avec l'ducation

Comme bien d'autres, je sors de cette priode agite, avec l'impression d'avoir vcu une enfilade de combats chevels, artificiels, et parfois immoraux. Ce dernier qualificatif peut surprendre. je le maintiens. Il y a des choses qu'on ne fait pas en ducation, telle une psychologie de guerre permanente, telle une instrumentalisation politique de l'cole, telle une chasse garde d'un groupe corporatiste, telle une pratique de laboratoire avec ses cobayes, etc.

Je n'ai pas le sentiment d'exagrer en affirmant que certains agents d'ducation se sont conduits comme des barbares. Fautil le rpter, on n'a qu'une fois cinq ans, dix ans, vingt ans. Les sciences humaines nous ont appris l'importance des premiers ges de la vie. Or dans toute cette crise soumise des politicailleries incroyables, on n'a pas valu vraiment ce qui a pu se passer chez des jeunes eux-mmes.

Telle ducation, telle socit

Comme ducateur, j'y vois l'aspect le plus douloureux de toute cette affaire. Je me demande comment l'histoire va nous juger. Une gnration phagocyte? La maxime telle ducation, telle socit est toujours aussi juste. Quand on n'arrive plus avoir la moindre ide claire sur la vocation propre de l'cole, le problme n'est plus seulement organisationnel, ou mme politique, il est philosophique. Non pas dans un sens de fondamentalisme abstrait et vague, mais dans une perspective plus concrte et quotidienne de philosophie de la vie avec ses pratiques relles, ses vraies valeurs (souvent inavoues).

Voil sur quel terrain je voudrais situer la rflexion. Mais auparavant il me semble important d'attirer l'attention sur quelques constats trop absents des discussions actuelles.

Ce qu'on n'ose dire publiquement

1. L'ducation est le lieu o l'on peut cacher le plus aisment son jeu, en se couvrant d'idaux gnreux, de principes nobles (coutez les discours des uns et des autres). Danger qui guette le monde de la parole.

2. L'ducation est aussi un lieu o l'on peut constituer un sous-systme enroul sur lui-mme et mme une sousculture, qui resteront assez longtemps en marge du pays rel, sans connatre les vrifications plus videntes auxquelles les lieux conomiques et politiques sont soumis. Et chez nous, ce problme s'accuse dans la mesure o le monde scolaire est souvent une structure riche dans un environnement relativement pauvre. Ce qui a pu jouer dans le caractre un peu schizode, irrel, artificiel de bien des expriences.

3. L'ducation est le rvlateur des attitudes les plus profondes. La remarque qui va suivre en dit long: je suis en principe et par conviction politique pour l'cole publique, mais pour mes enfants, je ne prends pas de risque, tant donn l'tat lamentable de ce secteur. Ce n'est pas une mince surprise que de rencontrer l'cole prive des enfants d'enseignants publics, de militants politiques socialisants, de permanents de syndicat, etc. Est-ce l'indice d'une situation schizode? Les silences publics et les aveux privs de cet ordre devraient tre lucids. Qui ose le faire?

4. Une valuation honnte des combats d'adultes o les jeunes ont t peu prsents depuis le dbut de la dcennie 70 nous rvle la pauvret de la conscience et de la pratique dmocratiques. Voyez nos comportements rels dans l'exercice du pouvoir ou face au pouvoir. On ne le conoit souvent qu'en termes d'exclusive, d'absolu. Or, la sparation des pouvoirs et la diffusion du pouvoir sont la base de la philosophie dmocratique. Au cours de ces vingt annes de projets collectifs o j'ai t impliqu, j'ai constat mille et une fois cette attitude inavoue: tu as tout le pouvoir, ou tu n'as rien. Plus que du corporatisme, c'est un danger latent de fascisme. je sais qu'on abuse de ce dernier mot. Mais on n'y gagne pas ne pas procder ici une autocritique lucide et courageuse de nos pratiques dites dmocratiques. Voyez comment bien des leaderships gauche, au centre ou droite, mnent leurs troupes. Les structures dmocratiques formelles servent d'cran. On devient vite des petits politiciens. Les vieux rflexes d'autocratisme et de clricalisme refont surface sur d'autres terrains.

Une sagesse collective rinventer

Encore ici, je voudrais souligner quelques cotes d'alerte.

1. Qu'on se juge dans une situation coloniale ou pas, il faut bien identifier l'exprience historique qui nous a marqus. Certes, elle porte des valeurs indniables, mais elle a dvelopp chez nous certains travers. Encore l, je me rfre ma petite exprience sur plusieurs terrains sociaux et politiques. je ne veux pas remonter au dluge et j'espre ne pas caricaturer en disant ceci: notre marginalit, notre solitude collective nous ont amens construire ct. Coureurs de bois, colons, proltaires urbains, petite bourgeoisie marginale, nous avons appris jouer des ficelles, brocanter, chercher des expdients, survivre. Ce n'est pas l un constat mprisant, mais une donne historique qui est passe dans notre mode de vie et d'action. je le rpte et j'y reviendrai: une telle remarque ne disqualifie pas nos qualits et mme certaines ruses intelligentes qui ont t fcondes. Dans nos grands moments, ces ruses portaient une sagesse aussi passionnante que difficile saisir.

2. Acculs des choix qui engagent globalement notre avenir, nous faisons entrer tout le sort de la socit dans la moindre de nos dmarches collectives. Ce qui peut tre inhibiteur dans l'action concrte et la comprhension du terrain circonscrit o l'on a agir. Voyez comment, par exemple, une bataille de ratio en ducation peut dboucher sur le procs de toute la socit, marquant ainsi le vrai jeu d'intrts concrets en prsence et aussi la philosophie de base aussi relle qui se cache derrire le masque noble d'une critique idologique trs, trs vertueuse. Lui aussi, le vieux moralisme si vertement dnonc sur le dos des traditionnalistes, rapparat dguis en nouveaux poncifs et lieux communs progressistes. Une morale pour les autres, incapable d'une autocritique vritable.

3. Je faisais tat, un peu plus haut, d'une certaine sagesse qui a pu nous aider devenir un peuple dans un contexte historique qui dfiait mme cette possibilit. Il est extrmement important de nous le rappeler en ces moments difficiles. L'histoire ne se btit pas coups d'absolus. Quand c'est le cas, elle devient vite infernale, invivable. Des socits, des civilisations ont disparu de la carte, plus souvent cause de leur dsintgration interne qu' cause des invasions. Surtout au moment o un peuple a cess de prendre au srieux les convictions qui l'ont fait natre et grandir. S'il y a un peu de cela dans le tournant actuel, nous ne saurions impunment l'ignorer. J'ai le got de nous interpeller les uns et les autres partir de cette solidarit historique de base, de cette sagesse collective.

Il y a ici quelque chose de radical que tous les peuples et les individus ont traduit en terme de destin. Certains disent que nos pres n'ont pas tellement forc ce destin. Est-ce si vrai? Les idologies en circulation mordent trs peu sur ce qu'il y a de plus profond en nous. Par exemple, je crains une problmatique de classes sociales, sans cette saisie de la ralit profonde et particulire qui a fait notre peuple, notre histoire, notre culture et aussi notre solidarit radicale de destin. je sais que ces propos font rire la fois les radicaux politiss et les pragmatiques. Mais ni ceuxci ni ceux-l ne me semblent comprendre l'importance de ce fond positif et des dynamismes de motivation qu'il peut receler.

On me dira loin de mon propos principal sur l'ducation. je ne le crois pas. Car c'est prcisment sur ce terrain que notre sagesse historique, avec ses actifs et ses passifs, peut s'exprimer avec une plus grande libert. Il y a moins de contraintes conomiques et politiques. Les difficults qui viennent de nous-mmes y sont plus videntes. En ce sens, le recours rapide des extrmes bien connus: les multinationales, les Anglais, l'tat technocratique, pourrait bien jouer un rle d'occultation, d'aveuglement pour une juste perception de nous-mmes et pour une courageuse autocritique. je crois profondment que la plus fidle image de nous-mmes se trouve dans la situation de l'ducation.

Dans une prochaine tape, je voudrais m'attacher davantage au dfi de relance qui semble s'imposer actuellement.

L'cole enfirouape.Premire partie. Symptmes et diagnostics

Chapitre III.

Une ducation calque surl'organisation actuelle du travail

ducation et civilisation

Retour la table des matires

Les Grecs d'hier tablissaient l'adquation entre ces deux termes. Du coup, c'est poser l'exigence qualitative de l'ducation. On y revient.

En effet, tout s'est pass comme si on avait construit une maison spacieuse, coteuse, trs fonctionnelle, mais inhabitable. Eh oui! une maison dans laquelle peu prs personne ne se sent l'aise. Un contenant sophistiqu qui cache mal la pauvret de ce qu'il renferme. L'O.C.D.E., cet organisme international trs srieux en matire de recherche applique, s'tonnait rcemment de l'cole canadienne trop calque sur le modle industriel. De la direction par objectifs la pdagogie par objectifs! Un emprunt assez bte quoi.

Mais consolonsnous. Une quipe de l'Unesco, aprs une tude des divers systmes d'ducation dans le monde, n'a trouv chez aucun de ceux-ci la moindre ide de l'ducation vise par ces systmes. Crise de civilisation, si on en juge par le rapprochement que j'ai fait un peu plus haut.

Humaniser aprs coup?

Mais voil une nouvelle prise de conscience, chez nous et ailleurs. Les aspects qualitatifs retiennent davantage l'attention. Dcennie 60, phase structurelle et administrative; dcennie 70, phase pdagogique et ducative. Du systme au projet ducatif. On peut se demander si en ducation on peut procder ainsi. Un peu comme ces habitats savamment planifis qu'on tente d'humaniser aprs coup. Les premiers concerns, pratiquement en marge du processus, doivent s'y adapter post factum. La charrue avant les boeufs quoi! J'aime trop la vie pour passer le meilleur de mon temps la critique. Mais que diable! il y a ici une contradiction profonde que j'ai peine supporter, Depuis quand dfiniton un contenu en fonction d'un contenant? Que la publicit nous joue pareil tour, je le tolre. Mais en ducation!

Des ppins de pomme dans un noyau de pche

Certes, je suis content de constater le nouvel intrt pour les aspects qualitatifs, qu'ils prennent noms: valeurs ducatives, pdagogie ouverte ou autres rfrents. Mais cette fois, je ne veux pas me laisser flouer. Par exemple, la culture des ppins de pomme dans un noyau de pche. Fautil accepter le contenant actuel avec cette assurance bien technocratique qu'on peut y mettre n'importe quel contenu? Langage que j'entends tous les jours dans la foule du Livre vert. Et quand le ministre de l'ducation soutient qu'on y trouvera entre les lignes une philosophie de l'ducation, j'ai le got de rtorquer: je n'ai rencontr que du vide entre les lignes. Qu'est-ce que ce projet ducatif incapable d'expliciter sa philosophie? Les publicitaires et les marchands n'y ont pas intrt, mais les ducateurs!

Cela me ramne mon inquitude du dbut. Peuton rendre ducatif un systme qu'on a construit davantage partir du modle industriel taylorien et de la logique administrative qu' partir d'une philosophie et d'une pdagogie de l'ducation? Le syndicalisme des enseignants a jou le jeu bon gr mal gr. Et l'on se retrouve tous aujourd'hui incapables de prciser avec pertinence la vocation propre de l'cole et quelle ducation elle vise.

Apprendre tre... quoi?

Ds qu'il s'agit des aspects qualitatifs, tout le monde bgaie. Ainsi on parlera sans cesse des valeurs du milieu sans jamais pouvoir les nommer. Ou bien on s'en tiendra des gnralits sur la personne, la libert, la socit. Bien sr, personne n'est contre la libert. Mais qui ose la problmatiser dans le pays rel?

En passant du primat de l'ordre celui de la libert (un progrs indniable), aton dvelopp une pratique, une pdagogie, une politique et une philosophie pertinentes de la libert? Quand un projet ducatif n'a nous servir que des mcanismes de choix, il effleure peine le dfi complexe d'une pareille transition. A-t-on vraiment pris conscience du fait que la carte de la libert est la plus difficile, la plus exigeante en termes de jugement, de responsabilit et d'action? Voil un exemple entre mille.

Le bien de l'enfant... lequel?

En prenant ce nouveau tournant de l'ducation, je ne veux pas qu'on se conte des peurs. Rcemment, j'avais animer un colloque qui regroupait des administrateurs scolaires, des enseignants, des parents. Quelqu'un se lve et nous harangue en ces termes: Arrtons le bla-bla sur la. philosophie de l'ducation, voyons plutt les moyens concrets. Faut dire que nous n'avions rien dit jusque-l sur nos philosophies de l'ducation. justement tout le monde jouait au ping-pong sur les structures et les pouvoirs. Procs des uns et des autres. Chacun y passait: le ministre, l'administration locale, le syndicat, les parents. Toujours, bien entendu, au nom du bien de l'enfant. Mais rien de bien concret sur lui. Alors, j'ai demand ce monsieur de bien vouloir nous dire qu'elle tait sa philosophie de l'ducation, tant donn que c'tait une question rgle pour lui.Je n'ai eu pour rponse qu'un bla-bla informe. Et l'on est revenu au systme, aux structures, aux pouvoirs, aux moyens. Une discussion interminable, sans issue. C'est invitable, dans la mesure o la majorit des interlocuteurs ne savent pas vraiment ce qu'ils veulent. On se rabat alors sur la tuyauterie. Et la source?

Les voies d'vitement

Voyez le mcanisme de diversion dont tout le monde est complice: le pluralisme. On ne peut pas imposer une philosophie. Bien sr. Mais ce qu'on ne dit pas, c'est que chacun serait bien embt de dire la sienne. Mme le ministre. Vous la trouverez dans les hypothses de rorganisation, dans les nouveaux processus pdagogiques. Toujours ce mme leurre d'une structure, d'une technique qui duque. Cette logique peut aller dans un systme de production, mais pas en ducation. C'est du barbarisme sophistiqu.

Je reviens la charge: peuton greffer une vie ducative sur l'appareil actuel et son organisation taylorienne, administrative et syndicale? Peuton tout simplement ajouter des valeurs ducatives ct des amnagements, des luttes de pouvoirs qui, hlas! trop souvent les contredisent. Il y a tellement loin entre le s'duquant et l'enseignement normalis la minute et l'acte, entre le module autogestionnaire et des agents d'ducation incapables du moindre travail d'quipe. Entre l'idologie de l'cole au service de la classe dominante et l'absence d'une classe concrte qui soit un vritable lieu ducatif, social et panouissant. C'est de la schizophrnie!

Mme la technologie est fausse

L'intrt actuel pour les valeurs ducatives n'ira pas loin si l'on continue de fuir le dfi d'laborer et de confronter de vritables philosophies de l'ducation pour dfinir ces fameux objectifs structurels et pdagogiques qu'on ressasse sans cesse. Qu'estce qu'une direction par objectifs sans philosophie pour les valuer? C'est aberrant! Qu'il s'agisse du cadre institutionnel, des agents d'ducation, des pratiques pdagogiques, des programmes, des valeurs ducatives, de la vocation propre de l'cole, je crois que la premire cohrence intelligente assurer, c'est la philosophie de base qui sous-tend toutes ces composantes. Or voici qu'on nous dit que la cohrence, on va la trouver dans la structure elle-mme ou encore dans la technologie organisationnelle et pdagogique. Cette logique est fausse, mme au plan technologique. Une machine de transformation se dfinit par ce qu'elle transforme, tels un batteur oeufs et un grille-pain. vidence simpliste? Alors, dites-moi pourquoi, en ducation, on croit pouvoir inventer des machines capables d'ouvrer n'importe quel matriau. Eh oui! une technique administrative ou pdagogique susceptible d'assumer n'importe quel contenu!

Des dmarches trop dissocies

Dans un ouvrage rcent, je me suis mis au dfi en tentant de prsenter la fois une philosophie, une pdagogie, une structure et une politique d'ducation. Voir Une pdagogie sociale d'auto-dveloppement en ducation. Pour moi, ce sont des donnes insparables. je n'en ai pas fait la solution, mais un projet qui, de fait, a t prcde par une assez longue exprience. C'est ma conviction, il faut aller jusquel dans notre recherche commune, dans nos dbats. je viens d'insister sur la philosophie de l'ducation, parce que nous nous sommes tragiquement appauvris dans ce domaine. C'est pourtant une des clarifications premires qui permet, aux uns et aux autres, de prciser vraiment ce qu'ils veulent, et aussi de fonder ces objectifs dont on ne cesse de parler dans les nouvelles technologies administratives. Il est trop facile de renvoyer dos dos les humanistes attards et les marxisants qui s'interrogent sur les vises relles de l'cole, des collges ou des universits.

Sonder d'abord les pratiques relles

Certes, il faut craindre un globalisme abstrait qui cache mal son ignorance de la situation et surtout son incapacit prciser les dmarches constructives entreprendre, sans compter une bien pitre philosophie critique pour se juger lui-mme. Mais l'autre extrme, la pratique pragmatique de l'ducation la carte ne vaut pas mieux.

Ce sont peut-tre les pratiques cls du monde de l'ducation qui vont tre les meilleurs rvlateurs des vraies philosophies en prsence. On doit oprer ce dcryptage dans la mesure o cette dimension qualitative reste implicite, surtout en matire d'autocritique.

Une ducation l'image du travail

Voyons un exemple. Ce peut tre une hypothse fconde. L'ducation a volu un peu comme le travail. On est pass de la vocation au mtier, de celuici la job, de l au poste pour enfin dboucher sur un pur statut de salari. je vois dj des sourires en coin. Pourtant, pouvonsnous refuser de reconnatre cette peau de chagrin particulirement tragique en ducation? Le taylorisme industriel commun aux administrations et aux syndicats scolaires devra tre jug non pas seulement en termes de structures et de pouvoirs, mais aussi par une philosophie critique hlas trop absente des jeux idologiques et politiques en ducation.

Faut-il le redire, les camps qui semblent s'opposer irrductiblement se ressemblent dans leurs vritables pratiques. Cet tat de choses a d'immenses consquences dans le dbat majeur: enseignants vs administrations. Dbat qui a siphonn tant d'nergies depuis le dbut de la rforme. Il est donc intressant de rapprocher ce dbat des questions qualitatives en matire d'ducation. Et du coup, on dcouvrira des occultations tues par les uns et par les autres. Qui ose avouer que l'organisation du travail telle que ngocie, dans sa structure actuelle, bloque tout autant qu'elle occulte les dmarches ellesmmes de l'ducation, et encore plus la possibilit de confronter les objectifs avec une solide philosophie critique? Eh oui! la philosophie et les pratiques actuelles de l'ducation sont tributaires de la philosophie du travail des agents de l'ducation. Ce serait dj beaucoup que de s'attaquer au problme sous cet angle. Sinon, on risque le paralllisme: d'une part, des rflexions bizantines sur l'ducation qualitative, d'autre part, des pratiques patronales et syndicales jamais juges en fonction de philosophies cohrentes en matire de travail et d'ducation.

C'est prcisment la confrontation des philosophies de base et des pratiques qui permettrait de juger politiquement et ducativement les principaux camps en prsence. On commencerait ainsi prciser enfin ce lieu commun sur toutes les lvres: le bien de l'enfant. Du coup, les tudiants et les parents pourraient jouer leur rle et se faire entendre l o prcisment le dbat se situe, i.e. dans les pratiques quotidiennes du travail et de la dmarche ducative. Deux dimensions insparables dans les faits, mais si souvent parallles dans les discours, les stratgies et les tentatives de redfinition de l'cole. Le Livre vert illustre ce paralllisme, comme bien des critiques qu'on lui adresse. Nous avons fini par tous nous ressembler... au creux du mme cul-de-sac.

Voil donc un exemple, entre plusieurs, de ces rvlateurs qui pourraient nous acheminer vers une rflexion critique plus honnte face une situation qu' peu prs tout le monde veut changer.

L'cole enfirouape.Premire partie. Symptmes et diagnostics

Chapitre IV.

Le parent pauvre:nos philosophies de base

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Le temps est venu de confronter nos philosophies de base. J'ai la conviction que cette dmarche n'a cess d'tre le parent pauvre de nos dbats et de nos combats, de nos structures et de nos techniques. N'est-ce pas d'abord la premire requte pour tablir clairement ce qu'on conteste, ce qu'on veut faire, ce qu'on vise? Voil la pierre de touche des projets ducatifs en prsence.

Les simp1ifications abusives

L'inscurit actuelle provoque bien des simplifications abusives qui oscillent entre des ples tantt trs restrictifs, tantt vagues souhait, tantt exclusifs.

De l'ducation sur mesure en fonction du march du travail l'cole de l'tre, la cit ducative. Ouf! quel court-circuit! De la technologie la plus troite la philosophie la plus thre.

De l'cole prparation la vie adulte l'cole totalement centre sur la vie d'enfant exclusive de toute autre considration.

De l'ducation de la personne la lutte des classes. Quel cartlement!

Du retour la transmission oppose la pdagogie du s'duquant.

De l'cole club priv l'cole dans une ligne idologique de parti. ce plan, la C.E.Q. suit la mme logique que celle de l'cole prive qu'elle dnonce. Mme exclusive de la lgitimation idologique.

Et je pourrais continuer la liste de ces simplifications qui aboutissent des cartlements insurmontables, irralistes. On m'accusera de simplifier mon tour. Mais n'est-ce pas en ces termes que souvent le dbat se traduit?

Une voix touffe, celle des jeunes euxmmes

Que se passetil chez les jeunes? Aton valu les consquences de ces longs tiraillements souvent artificiels entre adultes chez la gnration de jeunes qui ont servi de cobayes? Leurs propres tmoignages sont demeurs la priphrie des combats. Il faut s'y arrter un moment.

De la maternelle au doctorat, j'ai t sans cesse l'essai. J'ai vcu dans une profonde inscurit que mes professeurs ne semblaient mme pas souponner. je suis dj us avant d'entrer sur le march du travail.

La disponibilit des professeurs, mon il.

Dans les cegeps, on n'duque pas, on se contente d'instruire (le prsident d'une association d'tudiants).

Ma polyvalente est un centre d'achat qui fonctionne mal.

Dans tout cela, les tudiants sont les plus mal placs pour parler... ils n'ont pas de scurit d'emploi!

Quand on fait le bilan des luttes et dossiers qui se disputent l'opinion publique et le pouvoir, la voix des jeunes eux-mmes est presque teinte. Un autre signe rvlateur. Notons ici le paradoxe de ce silence en regard d'un style d'ducation qui prtend avoir libr la parole. Je ne veux pas exagrer le problme, ni chercher des boucs missaires. C'est l'ensemble du monde adulte qui doit s'interroger sur ses propres comportements.

Quelle place tiennent ces tmoignages d'tudiants dans tant de plaidoyers si trangers ce qui se passe dans le champ humain quotidien de ceux qui sont la premire raison d'tre des agents d'ducation? Qu'est-ce que ces stratgies de lutte finir sans pareille touche humaine? Faut dire que de l'autre ct de la barricade, on peut pointer des irresponsabilits semblables.

Tmoignage de plusieurs professeurs consciencieux

Que de fois j'ai entendu des professeurs trs qualifis et trs consciencieux qui avouaient avoir t mis en chec autant par leur syndicat que par l'administration. Mais ces tmoignages ne percent pas sur la scne publique du dbat dmocratique. Un signe navrant d'un certain confessionnalisme syndical. Mais ce qui est plus grave, c'est que certaines pratiques syndicales actuelles tout autant que certaines pratiques administratives dfient les exigences pdagogiques les plus lmentaires. Pensons aux difficults de mettre sur pied de vritables quipes de travail. Problme unique d'administration? Allons donc! Quand tout l'intrt est centr sur la limitation rigide du poste, comptabilis par le mesurageminute et le fameux ratio, l'individu enseignant peut se dfiler devant bien des requtes pdagogiques, telles les fonctions d'intgration, de suivi et d'encadrement. Va-t-on une fois de plus ajouter un autre personnel spcialis pour assumer ces tches qui sont au cur mme de la fonction d'ducateur, sinon d'enseignant? Se peut-il que la nouvelle dfinition: travailleur de l'enseignement soit restrictive ce point?

Le drame des cadres locaux

Si les comportements individuels actuels rendent difficile le travail d'quipe, l'obsession de la lutte constante de pouvoirs chez les syndicalistes et les administrateurs rend ce travail d'quipe impossible. Au niveau collgial, en quatre ans, soixantedix directeurs gnraux et directeurs pdagogiques se sont retirs. Une longvit de moins de deux ans. Ce n'est plus administrable. Le drame des cadres au plan des institutions locales est rvlateur d'une situation inacceptable. Bien sr, ils ont leurs torts et leurs faiblesses. Mais cette mythologie de l'administrateur-satan est de plus en plus suffocante. Elle est en train mme de s'imposer visvis de toute tche de leadership, sauf celle du commando qui organise le draillement du train.

Mon pari

Dans le jeu actuel de ping-pong o les camps se renvoient la balle, on aimerait que chacune des parties assure au moins ce qui s'imposerait dans n'importe quel rgime scolaire et politique vraiment dmocratique, sans perdre de vue la radicalit de touche humaine que commande la tche ducative elle-mme. Deux repres bien galvauds!

Au premier chef, il faut inventer une nouvelle cohrence de base comprhensible et matrisable par les divers agents d'ducation et les jeunes euxmmes. Le Livre vert souligne l'imprcision de l'orientation actuelle. Est-ce d'abord une question politique, ou un problme de structure, de programme et d'encadrement? Les deux points de vue s'opposent actuellement. Je formule cette hypothse: une telle problmatique ne nous aidera pas sortir de certains culs-de-sac, dans la mesure o tout le dbat drive constamment vers une lutte de contenants et de pouvoirs sur ces mmes contenants. je propose une confrontation dmocratique des philosophies de base en prsence, qui puisse enfin jouer son rle prioritaire dans la rvision des amnagements et dans la lutte de pouvoir.

Et si nous n'avons pas grand-chose dire sur nos philosophies respectives de l'ducation, nous devrons avouer que les nouveaux repres: choix d'objectifs, projet ducatif, travailleurs de l'enseignement et quoi encore, sont des lieux communs aussi vides que ceux d'hier.

Je voudrais exprimer mon point de vue ldessus, avec la conscience vive de mes limites. je ne veux aucunement prtendre offrir la philosophie de l'ducation imposable tout le monde. Dans les circonstances, nous sommes tous acculs une humilit radicale. je le rpte: quel individu, quel groupe peuvent s'affirmer porteur ou dfiniteur de la solution? Ce qui ne nous empche pas de bien tablir l'ensemble des convictions qui inspirent notre diagnostic, notre philosophie de base, notre politique circonstancie.

L'cole enfirouape.

Deuxime partie

Une philosophie de base

Chapitre I.Les valeurs ducatives dans l'volution du QubecChapitre II.Un test: libert et pouvoirChapitre III.La dimension sociale revaloriserChapitre IV.Un cadre critique d'valuationChapitre V.Construction intrieure et pratique socialeChapitre VI.Deux tches majeuresLa formation du jugementLes nous et les quipe de travail

Chapitre VII. Courant chaud et qute de sensChapitre VIII.La vocation propre de l'coleChapitre IX.Une philosophie de l'ducation

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L'cole enfirouape.Deuxime partie. Une philosophie de base

Chapitre I.

Les valeurs ducativesdans l'volution du Qubec

1.Six repres 2.D'abord un minimum de sagesse commune et vivable

Je veux bien que l'cole ait une fonction critique dans la transmission des valeurs, mais je prfre mettre l'accent sur la fonction cratrice de valeurs.

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Le thme n'est pas nouveau. Mais l'accent qu'on veut y mettre indique l'orientation majeure du deuxime souffle de la rforme scolaire chez nous. Un consensus se dgage autour d'une mme proccupation: l'humanisation. Certains jugent scandaleux le fait qu'on en soit se demander comment humaniser les institutions d'ducation. En effet, cellesci devraient tre de bout en bout, de la maternelle l'universit, des lieux privilgis d'humanit. N'y a-t-il pas adquation entre ducation et humanisation? Comment a-t-on pu dissocier ce couple insparable? Ces questions sont lgitimes, mais n'estce pas dj beaucoup que d'en prendre une vive conscience.

Mais que de chemin parcourir encore pour donner des mains cette nouvelle conscience! Des changements de cette importance ne sont pas faciles. Il faut un surcrot de discernement pour corriger une trajectoire dj fortement marque. je voudrais suggrer six repres qui tiennent compte la fois de la situation actuelle, des tendances en prsence, des approches pdagogiques ncessaires, d'un consensus minimal (!) et d'une vritable politique ducationnelle.

1. Six repres

Commencer par le bon bout

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1. Aprs avoir particip plusieurs de nos rformes depuis vingt ans, j'ai acquis la conviction que l'humanisation aprs coup comporte bien des piges, et surtout un renversement de perspective. En effet, il faut inverser la dmarche: non plus l'adaptation aux nouvelles structures, mais la redfinition de l'institution en fonction des changements qualitatifs survenus, des finalits humaines redfinies, des indits de situation et de culture, des choix ducatifs, des hommes eux-mmes. Voil ce qui aurait d, au point de dpart, prsider la rforme. Le contenant dfini par le contenu et non l'inverse. On ne corrige pas facilement cette erreur.

Je ne veux pas tre injuste. Le rapport Parent contenait des lments valables quant aux vises qualitatives de l'ducation. Mais dans la mise en oeuvre, la plus grande part de l'nergie des uns et des autres a t mobilise par la construction des cadres physiques, administratifs, professionnels et syndicaux de l'ducation. Mme la pdagogie a t tributaire de cette logique instrumentale, sans compter le fort accent technobureaucratique de la premire dcennie.

Par exemple, ce n'est pas un mince paradoxe qu'aprs avoir tant investi dans les appareils d'encadrement on soit oblig de reconnatre la pauvret actuelle de l'encadrement (cf. le Livre vert) particulirement chez ceux qui sont la raison d'tre du ministre, de l'administration locale et du syndicalisme, savoir les jeunes euxmmes. Qu'a cela ne tienne, nous sommes encore plus dmunis pour savoir quoi mettre dans cet encadrement. Toujours la mme ornire du moyen qui tente vainement de dfinir la fin. Osera-t-on enfin commencer la dmarche par le bon bout?

Je tiens souligner cette premire cote d'alerte pour viter un traitement superficiel de l'objectif encore bien vague: l'humanisation des institutions scolaires et les valeurs ducatives.

L'tiquette, le contenant, le contenu

2. De profonds et rapides changements culturels, sociaux, conomiques et politiques ont envahi l'institution scolaire durant cette premire phase consacre, dit-on, la mise en place d'un nouveau systme. Chez les uns, les aspirations ont volu plus vite que les changements, et chez les autres, une inscurit grandissante a jou en sens contraire. L'ide de valeurs ducatives n'a pas le mme sens dans les deux cas. Par exemple, on brandira l'tendard des valeurs pour refuser la rforme et revenir l'ducation d'hier, alors que, l'autre extrme, les nouvelles valeurs serviront contester le prsent et le pass, construire un avenir indit.

Serons-nous coincs entre les nostalgiques du pass et les utopistes? N'y a-t-il de voie raliste que dans la lgitimation de la situation prsente? Peuton, par exemple, plaquer des valeurs, les unes anciennes, les autres nouvelles, comme une tiquette sur une bote de conserve? Est-on bien sr que l'tiquette choisie convient la bote? Ou encore son contenu rel? Il y aurait un triple problme si l'tiquette, le contenant et le contenu ne correspondaient pas du tout les uns aux autres. Un peu comme nos dmocraties librales avec leurs idaux sociaux, leurs pratiques individualistes et leurs structures ou trop souvent ni les individus, ni les collectivits ne se reconnaissent. Or c'est prcisment le rle de la valeur que de qualifier et de relier les trois composantes prcites: l'tiquette, le contenant et le contenu.

Les piges

3. Mais il ne faut pas ignorer un autre courant de pense et d'action qui conteste cette faon de voir les choses. Sa critique a une part de vrit et nous permet de prciser notre propre point de vue. Disons d'abord que le groupe idologique porteur de ce courant considre l'ide des valeurs comme totalement pige. Un cran d'idalisme pour cacher la situation relle: reproduction des ingalits, cole la remorque du capitalisme, vrais rapports de force, stratgies technocratiques, etc. Ainsi les valeurs majuscules, intemporelles de l'humanisme viendraient compenser la perte de crdibilit d'une technocratie qui s'tait drape de neutralit, d'objectivit, de rationalit, cachant ainsi les pouvoirs en amont et les intrts en aval. Aprs les techniques neutres, des valeurs idales aussi neutres.

Rappelons ici que ces gens qui contestent la fois les humanistes et les technocrates n'ont pratiquement rien dire sur l'ducation qu'ils visent, par del leur critique parfois lucide des structures, des pouvoirs, des intrts. Par ailleurs, on les surprend utiliser ces mmes valeurs pour promouvoir leurs intrts ou critiquer leurs ennemis. Ils sont mme plus tayloriens que les administrations. Voyez ces conventions collectives aussi paisses qu'un bottin de tlphone. Il est trop facile de dnoncer les valeurs dites bourgeoises ou encore les vieilles valeurs de ce pauvre peuple alin, si l'on n'est pas capable de montrer un tant soit peu de quelle ducation on veut se chauffer. Par del une critique globale ou dtaille, je n'arrive pas me faire la moindre ide de la philosophie de l'ducation qui soustend les discours et les dossiers de ce courant dit de gauche. Ses tenants sont aussi silencieux que ceux qu'ils dnoncent, quand il s'agit du contenu lui-mme de l'ducation. D'ailleurs, les camps en prsence se ressemblent tellement! Mme illusion de la structure vertueuse par ellemme. Mme autodfense de ses propres intrts n'importe quel prix. Mme obsession du pouvoir comme unique valeur (!). On vite de se compromettre soimme et de rvler ses propres valeurs et comportements quand on refuse toute rflexion ouverte sur les valeurs elles-mmes. Quand, au niveau de l'enseignement suprieur, certains se moquent des jugements de valeur, on peut se demander, en pareil cas, si le projet ducatif a un quelconque sens pour eux. Tristes plombiers qui mdisent de la source qui les fait vivre.

la fois original et fondamental

4. Mais ce n'est pas mon intention de chercher des boucs missaires. Au fond, nous nous ressemblons tous dans nos structures uniformises, dans nos pratiques si semblables, en de des idologies opposes et d'un pluralisme sans visages.

J'aime bien cette comparaison avec le visage humain. Elle nous aide comprendre un autre aspect des valeurs, savoir leur caractre unique, non interchangeable et en mme temps leur rapport la condition humaine la plus fondamentale, la plus radicale.

Telle l'ide de l'homme considr et aim pour lui-mme. L'homme, agent premier et fin du savoir, du pouvoir, de l'avoir. L'homme individu, situ, dans un contexte historique et culturel particulier, dans une classe sociale, dans un milieu donn. Un homme aussi personnalis que socialis, aussi original qu'universel.

Mais les valeurs nous obligent dpasser ces gnralits. Elles nous renvoient la complexit de tout champ humain marqu, non seulement par la raison, mais aussi par des sentiments, par des liberts imprvisibles, par des modalits culturelles uniques, par des histoires particulires, par des intuitions indites, par des rapports gratuits, par des impondrables.

La science n'a pas de prise sur ce qui est unique; elle ne travaille que sur les constantes ou les variables mesurables. Dans sa pratique, elle peut tre aussi faussement universelle que le vieil humanisme ou la technocratie, un peu comme si nous avions tous le mme visage.

Or, il n'en est pas ainsi dans le monde des valeurs. Celles-ci portent des qualificatifs indits o entrent non seulement une culture et une histoire toujours particulires, mais aussi un jeu complexe de liberts, et la possibilit de crer des sens nouveaux, des projets non interchangeables. On mesure ici le danger des importations et des exportations, des imitations et des adaptations superficielles, qu'elles soient amricaines, franaises ou chinoises!

Un mode d'tre, de penser, de communiquer et d'agir

5. Mais il y a plus. Une valeur, c'est insparablement un mode particulier d'tre, de vivre, de penser, de sentir, de communiquer, d'agir; un mode la fois personnel et collectif; une conduite de vie et une pratique sociale. Ce n'est pas uniquement une ide, ni seulement un rationnel comme on dit aujourd'hui, mais aussi un visage non interchangeable, une personnalit quoi, avec ses lments irrductibles. Une valeur contient donc de l'historique, du culturel, du politique, du philosophique, du pdagogique dans la mesure o on la considre comme une conduite de vie, comme une pratique sociale, comme une orientation de la personne et de la socit.

Je voudrais bien simplifier les choses. Certains en ont tant besoin en ces temps de profonde confusion. Mais ce serait une erreur. je rpte ma crainte d'un traitement superficiel en ce domaine capital de l'ducation. Tout raccourci cre un cercle vicieux et parfois un vide dsesprant ou frustrant. Ainsi, tous les camps en prsence parlent des valeurs du milieu sans jamais pouvoir les nommer, qu'on soit gauche, droite ou au centre. C'est un signe trs rvlateur d'une difficult insouponne ou inavoue. Signalons, en l'occurrence, une des consquences, savoir l'incapacit de rpondre aux questions qualitatives: quelle ducation? quel homme? quelle cole

Une philosophie de base

6. On ne saurait entrer dans ce sillage des valeurs ducatives sans s'interroger sur la qualit de nos philosophies de base, de la dmarche philosophique ellemme qui permet d'valuer, de situer les valeurs les unes par rapport aux autres. Avouons que cette base de rflexion s'est beaucoup rtrcie au cours des dernires annes.

Pour viter des conflits trop inscurisants, les divers agents de l'ducation ont rduit l'assiette au strict minimum. je pense des programmes de formation btis pratiquement sur une seule rfrence, par exemple le respect de la vie, laquelle on a ajout quelques considrations vagues sur la personne et la socit. D'un biologisme troit l'humanisme indfinissable! Et pourtant, il y est sans cesse question de choix, d'objectifs. Comment valuer ceux-ci avec un quipement anthropologique aussi rduit, une philosophie aussi primaire? ce compte-l, la sagesse de nos pres non instruits tait plus valable, plus raffine, plus riche, en dpit de ses passifs incontestables.

Nos diplmes de modernit en matire de moyens sont un autre cran pour masquer notre manque de sagesse, notre analphabtisme philosophique, notre inculture pour tout ce qui concerne les qualitatifs humains de nos structures, de nos luttes de pouvoirs, de nos techniques pdagogiques, de nos savants systmes. Il semble mme que la sagesse diminue mesure qu'on s'instruit davantage, mesure qu'on raffine les appareils et les processus. Que se passe-t-il donc?

Faut-il bouder maintenant le gnie des moyens qu'on trouve dans la science, la technologie et la gestion modernes? Mais non. Il faut comprendre que celles-ci nous dforment, non pas cause d'ellesmmes, mais cause de notre pauvret en sagesse, en philosophie et en thique. niveau d'homme, une sagesse prcde, accompagne et dpasse tout amnagement de moyens structurels, de techniques scientifiques et pdagogiques. Mme les valeurs ducatives seront ramenes des mcanismes de choix et d'objectifs sans cette sagesse, sans une philosophie critique et qualitative pertinente.

Si vous en doutez, demandezvous pourquoi tant de gens ont peine prciser ce qu'ils veulent, malgr la panoplie extraordinaire de moyens techniques, de sciences, d'informations. Les experts tout autant que les non-instruits sont aussi dmunis pour prciser, par exemple, la vocation propre de l'cole. Voyez le dernier Livre vert. Il dbouche sur des hypothses d'ordre structurel sans aucune explicitation critique, sans une philosophie de l'ducation qui pourrait valuer leurs contenus ducatifs, qualitatifs. Que diable! il faudra bien essayer de comprendre pourquoi tout ce qui est de cet ordre devient de plus en plus vague, thr. On saura mieux l'ducation quand les qualitatifs, les valeurs, les expriences humaines vises seront aussi concrtes que les budgets, les appareils et le pain sur la table. Une tche immense.

2. D'abord un minimum de sagessecommune et vivable

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J'ai voulu susciter la rflexion en prsentant une problmatique aussi choquants qu'exigeante. Nous abordons la phase la plus difficile qui commande de forts investissements qualitatifs et une courageuse autocritique. Ce premier tour d'horizon offre un ensemble de repres pour situer la dcouverte, l'valuation, le rle complexe, les pratiques, les conditions structurelles, la pdagogie et la politique des valeurs ducatives. Je me suis expliqu longuement sur ces diffrents aspects dans trois ouvrages rcents: Une pdagogie sociale d'autodveloppement en ducation (Stank, 1976) Une philosophie de la vie (Lemac, 1977). Une socit en qute d'thique (Fides, 1978). [Voir les uvres de lauteur disponibles dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

voquons, titre d'exemple, le dfi de prciser dans toutes ses composantes la valeur libert, dans une pratique pertinente d'ducation. Combien, parmi nous, traitent cette valeur ducative avec une position cohrente, fonde en thorie et en pratique, en sagesse et en pays rel, en thique et en politique, en administration et en pdagogie, en cole, en famille et en socit? Oui, le temps est venu de confronter nos propres philosophies de base, sinon tout le jeu continuera d'tre fauss au dpart. Oh! je sais les divergences profondes de vue. Mais y gagnonsnous les ignorer et ramener sans cesse la question sur le terrain des moyens et du pouvoir sur ces moyens. Qu'on soit du statu quo, de la rforme ou de la rvolution, dans la mesure o nous sommes tous dans le mme bateau, personne ne peut viter la responsabilit de chercher une base vivable. Sinon, fermons la boutique. Certes, il n'en est pas question. Ce ne serait pas srieux.

Si nous ne sommes pas capables d'envisager un minimum de sagesse collective commune en ducation, c'est que nous sommes devenus gravement malades, pour ne pas dire suicidaires. L'histoire nous rvle qu'il y a eu nombre de socits qui se sont autodtruites. Des civilisations ont commenc de mourir quand leurs citoyens ont cess de prendre au srieux les valeurs qui ont fait natre et grandir ces mmes civilisations. Estce notre cas?

Quand plusieurs se demandent si l'on n'a pas sacrifi une gnration, quand 80% des citoyens se disent profondment insatisfaits de l'ducation actuelle, quand on ne sait plus la vocation propre de l'cole et quelle ducation viser, les conflits incohrents d'adultes sur le dos des jeunes deviennent de la barbarie pure et simple. je sais que ce genre de propos suscite tout de suite des mcanismes de scurisation. Aprs tout, ce n'est pas si mal, a va se tasser. je ne marche pas plus dans la fausse scurisation que dans l'insatisfaction vide, incapable de se nommer.

La touche humaine minimale exige d'abord qu'on dise quelle responsabilit effective on veut assumer avant de calculer au sou les irresponsabilits des autres. Un service public comme l'cole ne saurait tre le monopole d'un gouvernement, d'une glise, d'une centrale syndicale, d'un groupe de parents, d'une administration locale ou d'une association d'tudiants. Or combien de batailles portent ces exclusives masques par des rfrences dmocratiques, souvent contredites par les objectifs rels! Au fond, l'cole aux mains d'un groupe de technocrates, ou d'un syndicat d'enseignants, ou d'un club priv de parents, c'est du pareil au mme. Personne ne pratique vraiment la dmocratie proclame. On ergotera inutilement sur les valeurs ducatives, si le syndicat, si l'administration, si le comit de parents ne s'interrogent pas sur certains de leurs comportements anti-ducatifs.

Ma petite exprience m'a appris qu'on retrouve un sens plus positif et constructif quand on est capable d'une vritable autocritique. C'est d'abord le monde adulte qui doit se juger l'aune des valeurs ducatives qu'il prtend transmettre aux jeunes.

L'cole enfirouape.Deuxime partie. Une philosophie de base

Chapitre II.

Un test: libert et pouvoir

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Libert et pouvoir, voil les deux rfrences principales des discours et des pratiques par les temps qui courent. je voudrais en faire deux tests de vrit pour jauger nos philosophies de l'ducation. J'ai dj soulign les contradictions et les ambiguts dans les attitudes face la libert. Essayons de prendre la question par l'autre bout: le pouvoir. Mais toujours dans le souci de saisir ces phnomnes plus ou moins cachs qui faussent tout autant nos philosophies de l'ducation que nos divers partis pris politiques et nos styles de vie.

En effet, nous sommes en un domaine o s'entrecroisent le plus ancien et le plus nouveau en nous, des traits culturels traditionnels et des situations indites. Retenons d'abord ces questions:

Comment vivons-nous ces deux expriences fondamentales: libert et pouvoir?

Quelles sont nos attitudes profondes, nos comportements rels?

Avons-nous des positions cohrentes pour situer les rapports entre pouvoir et libert?

N'y a-t-il pas des contradictions lucider et surmonter?

Dans quelle mesure la pauvret de nos pratiques dmocratiques est-elle relie ces incohrences et ces contradictions face au pouvoir, face la libert?

Quelle sorte de pouvoir et de libert voulons-nous?

Avons-nous bien situ ces deux valeurs dans notre philosophie de la vie, de la politique, de l'ducation?

En posant ces questions, je veux nous alerter sur le fait que nos dbats en ducation sont trs superficiels face aux questions les, plus profondes, et les plus prs de la vocation propre de l'cole. Hlas! c'est souvent le vide qu'on rencontre ds qu'on met ces questions sur la table. Et Dieu sait si tout le monde en parle de la libert et du pouvoir.

Je dis bien pouvoir, et non autorit, parce que le premier terme est davantage rvlateur de nos vrais comportements. En effet, bien avant les obsds d'aujourd'hui qui voient partout la rpression, l'autorit a t l'objet d'un procs justifiable chez la plupart des gens. Ce qui tait comprhensible au sortir de la chrtient clricale. En liquidant celle-ci, nous avons cru tout de go que nous nous tions dbarrasss de l'autoritarisme, que la libert tait dsormais en libert.

D'normes illusions sont nes de cette fausse conscience. Des vieux paradoxes collectifs demeurent: nous sommes excessifs et scuritaires la fois, anarchiques et autoritaires, crdules et hypercritiques.

Je crois que nous avons peu valu les pratiques de la libert et celles du pouvoir depuis ce premier clatement. On s'en est remis des diagnostics fort simples:

Hier, abus de l'autorit, aujourd'hui, abus de la libert.

Hier, une structure sans libert, et aujourd'hui, une libert sans structure (exemple: l'cole, dit-on).

Tout pouvoir est rpressif, seule la libert est sans tache, etc.

La libert de quoi, de qui, pour qui, pour quoi?

Le pouvoir de quoi, de qui, pour qui, pour quoi?

Je me demande si le biaisement et l'angoisse de la libert qu'on constate aujourd'hui ne viennent pas de nos attitudes profondes et inavoues face au pouvoir. J'ai cru, un moment, dans les luttes et expriences collectives des dernires annes, que nous tions en train de faire l'apprentissage de la dmocratie. Il y a eu un peu de cela. Un certain progrs. Mais on dirait que les vieux rflexes ont refait progressivement surface. Un nouveau clricalisme, cette fois laque, et multiples visages, a germ partout o l'on trouve un terrain d'exercice du pouvoir qu'il soit gouvernemental, patronal, syndical, ou populaire. Les lettres aux lecteurs sont semblables aux prnes des anciens curs. Le verbe accablant, dnonciateur des prdicateurs de retraite rapparat dans un certain discours de syndicalistes dits radicaux qui veulent sauver le peuple damn. Les nouveaux rituels de manifestation ont quelque chose du troupeau qui suivait son pasteur.

Scurit passive et pouvoir absolu dans l'unanimit de la lutte pour ou contre.

Malheur aux moutons noirs, aux dissidents, aux non-aligns. Toutes les manoeuvres politiciennes d'hier s'agitent dans les coulisses des ministres, des commissions scolaires, des syndicats, des organismes patronaux.

J'ai souvenir des assembles contradictoires que j'ai connues durant ma prime jeunesse. Seuls les chefs de clan avaient pratiquement le crachoir. Deux unanimits s'affrontaient, un peu comme le Parti civique et le R.C.M. de Montral, un peu comme le syndicat et l'administration en plusieurs milieux. Des unanimits galvanises, homognises, claniques.

Mais vrai dire, comme hier, on sait mieux l'unanimit dans l'opposition. Quand il s'agit de s'opposer, la vie reprend, l'espoir mme. Aprs la victoire acquise, il se passe un trange phnomne: on ne sait plus quoi dire, quoi faire, quoi chanter! Docilit et passivit des uns, sentiment de vide chez d'autres. Certains se mettent tout coup douter du chef. Il y a anguille sous roche. Et voil une autre unanimit d'opposants qui merge.

Bien sr, une mentalit coloniale s'installe facilement dans une raction permanente de contrepouvoir. Elle coupe ses propres ttes. Tant qu' perdre, il faut tous perdre. La victoire, on n'y croit pas, on la craint sans savoir pourquoi.

Bien des choses sont explorer ici. Par exemple, les attitudes l'gard de l'galit. D'abord le choc entre une culture amricaine de promotion individuelle et un fort mouvement de dmocratisation galitaire. Au premier regard, voil les deux idologies qui s'affrontent. Mais en pratique, il s'y glisse des rflexes peu reconnus comme tels; je devrais dire de profondes ambivalences: le culte du chef et l'galit par le bas, celle qui ne supporte pas le succs du voisin. litisme et populisme la fois; solidarit de clan et mpris des siens, On dit que ce sont des traits communs aux groupes minoritaires. J'ai bien conscience d'effleurer peine le soussol de nos comportements. Mais je veux surtout attirer l'attention sur le terrain le plus min.

En situation de libert comme en situation de pouvoir, plusieurs des ntres connaissent beaucoup d'angoisse. C'est un phnomne frappant, indit chez nous. Mais, je le crois reli une exprience historique de soumission et d'autoritarisme.

Cette problmatique m'apparat plus juste que bien des diagnostics voqus plus haut. On mesure tout le travail faire, non seulement en matire de culture et de pratique dmocratiques, mais aussi en ducation de la libert et de la responsabilit. Nous assistons avec intrt au spectacle tlvis des jeux de pouvoirs, mais nous sommes moins prts prendre des responsabilits compromettantes et durables. Faire drailler le train nous intresse plus que le construire.

On m'accusera de noircir le tableau. Mais si, de fait, ces vieilles habitudes clricales, coloniales sont en train de renatre chez nous sous d'autres modes, nous ferions mieux de ragir tout de suite. Car bon gr mal gr, plus ou moins inconsciemment, la gnration montante de l'cole va imiter ce qu'il y a de pire dans notre hritage.

Je pose la question brutalement: notre style de vie et de socit, de combat politique et de dbat idologique, d'cole et de famille, favorisetil ou empche-t-il un, judicieux apprentissage de la libert et du pouvoir?

Le problme scolaire est peuttre moins dans les structures, les programmes, les techniques pdagogiques que dans des comportements o politiciens, administrateurs, enseignants et parents partagent les mmes travers, surtout en matire de pouvoir et de libert.

Estce que la discussion sur la rorientation de l'ducation va mordre sur ces problmes si peu reconnus, lucids et assums? Voil un autre domaine rvlateur de l'importance que j'attache une rflexion profonde sur nos philosophies de base. Car je nous souponne d'avoir nglig grandement ces problmes de contenu au profit des contenants.

Certains ont tt fait de rgler ces questions.

Un bon job, un bon salaire, une bonne sant.

Aprs l'indpendance, on saura mieux vivre la libert et le pouvoir.

C'est le capitalisme qui prostitue le vrai sens politique du pouvoir et la pratique de la libert.

D'abord la rvolution, puis la socit marxiste et le reste viendra par surcrot... la libert par la dictature du proltariat, quoi!

Les philosophies en prsence empruntent d'incroyables raccourcis idologiques et politiques. je caricature peine. Combien galvaudent la seule rfrence commune qui nous reste: la dmocratie? On multiplie les rituels de consultation autour de quatre ou cinq livres verts et blancs en mme temps. On congresse, on campagne, on politicaille. Mais qu'en estil des pratiques dmocratiques courantes dans les lieux quotidiens d'exercice des responsabilits, des pouvoirs, des liberts? je suis las des rituels de consultation, alors que les vrais jeux se font ailleurs. Voyez comment fonctionnent nos bureaucraties. Elles sont toutes pareilles, qu'elles soient syndicales, gouvernementales ou bancaires. Peu importe les idologies. Mais ce que je comprends le moins dans notre comportement, c'est le fait de porter au pouvoir des hommes dont on ne partage pas l'idologie. Ce travers est singulirement pouss dans le monde syndical. J'y perds mon latin. Remontent en surface les vieilles manoeuvres antidmocratiques pour gagner des lections, faire passer un tas de choses l'insu des membres, pacter une assemble, forcer l'adhsion des uns et des autres, billonner les opposants, et parfois violenter injustement. Nos institutions dites les plus dmocratiques ont pour la plupart un dossier noir de cette sorte. Bien peu de ces faits percent dans les media.

Il y a ici quelque chose d'une certaine glise clricale qui vite le dbat public ouvert et franc. Quelque chose du temprament latin mfiant devant la dmocratie. Nous savons vivre de belles chaleurs humaines et mener parfois des dbats d'ides de haut calibre. Mais nos pratiques sont si souvent erratiques, ngativistes, et peu efficaces. Cela se traduit par la faiblesse de toutes nos institutions, et pas seulement de l'initiative conomique. Il ne s'agit pas de nous mpriser, mais de reconnatre certaines attitudes de base trs contestables, communes la plupart d'entre nous et aux groupes idologiques les plus opposs.

En ce sens, un certain manichisme de surplomb qui nous classe en bons et mchants occulte ce que nous avons en commun et nous empche de nous regarder tels que nous sommes. Seuls peuttre nos humoristes y arrivent. La sagesse se rfugie chez le fou du roi, quand elle ne trouve plus place dans le peuple, chez ses leaders et mme chez ses savants.

Oh! je sais qu'il n'est pas facile de cerner et de discerner l'ensemble de notre situation complique souhait, et surtout ses dessous culturels, historiques, psychosociologiques. Les sciences sociales n'ont pas l'quivalent de la psychologie en profondeur pour apprhender nos substrats collectifs. De plus, bien des indits viennent brouiller et appesantir les jeux de surface o les liberts et les pouvoirs s'entrecroisent d'une faon plus complexe que jamais.

Tout se passe comme si les machines bureaucratiques, les processus technocratiques, les stratgies publicitaires, les comportements traditionnels en politique (rouges Ottawa, bleus Qubec) s'alliaient pour dfier toute cohrence, toute correspondance entre la pense, la pratique du citoyen, d'une part, et, d'autre part, les pratiques institutionnelles, les jeux politiques. je n'arrive pas suivre ceux qui rglent tout a en deux temps, deux mouvements: la lutte des classes, la croissance conomique, l'autogestion, l'cologie, la mditation transcendantale, la direction par objectifs et quoi encore.

Je le rpte, nous avons perdu la trace d'une sagesse personnelle et collective minimale qui articule judicieusement le pays rel, des convictions mries et des objectifs cohrents. L'imbroglio actuel qui rend inextricable l'enchevtrement des liberts et des pouvoirs porte des requtes ducatives gigantesques. Comment pouvons-nous repenser l'ducation sans nous proccuper de ces questions qualitatives? je veux bien qu'on prte attention des apprentissages plus efficaces en matire d'criture, de lecture et de parole, en matire de comptence technique et d'arithmtique. Mais je crains que nous perdions de vue une pice matresse de la maturit individuelle et collective, savoir la qualit du jugement et la sagesse qui le soustend. Nous ne manquons pas de science et de moyens. je suis plutt inquiet de la dgradation quasi gnrale du jugement, malgr les techniques trs pousses d'analyse des situations, des choix, des objectifs et des dcisions. Il y manque ce fondement que j'ai appel une sagesse.

Or, c'est prcisment dans la pratique de l'ducation qu'on devrait dvelopper ce