L’école D’Athènes Approche descriptive de la fresque...

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Rania Moukaddem Etudiante en doctorat L’école D’Athènes Approche descriptive de la fresque de Raffaelo Santi - L’ école D’Athènes (1509 - 1510) - Artiste : Raffaelo Santi, appelé aussi (Raphaël), né en 1483, mort en 1510 - Commanditaire : Le Pape Jules II - Localisation : Rome ,Chapelle Sixtine au Vatican, Chambre de la signature - Matériaux : Fresque peinte - Fresque : 4,40m x 7,70 m

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Rania Moukaddem Etudiante en doctorat

L’école D’AthènesApproche descriptive de la fresque de Raffaelo Santi

- L’ école D’Athènes (1509 - 1510)- Artiste : Raffaelo Santi, appelé aussi (Raphaël), né en 1483, mort en 1510- Commanditaire : Le Pape Jules II- Localisation : Rome ,Chapelle Sixtine au Vatican, Chambre de la signature- Matériaux : Fresque peinte- Fresque : 4,40m x 7,70 m

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L’école D’Athènes

I- Description : L’école D’Athènes est une fresque du peintre Italien Raphaël; une peinture caractéristique de la renaissance exposée dans la chambre des signatures au musée du Vatican . Cette fresque symbolique présente des figures majeures dans la pensée grecque antique réunis dans un grandiose cadre architectural. Ce cadre est caractérisé par un haut dôme avec un plafond à caissons et des pilastres. Ce sont des motifs architecturaux de la fin de l›empire romain mais qui s›inspirent aussi probablement du projet de Bramante pour la nouvelle basilique de saint Pierre , elle-même un symbole de la synthèse des philosophies païennes et chrétiennes . Elle met en scène les philosophes de l’antiquité entourés de leurs disciples ; elle met aussi en scène le savoir scientifique apparus dans le Grèce ancienne et quelques uns des continuateurs de cette sagesse . Il montre les savants ainsi que leur public, Les premiers sont identifiables ,les autres moins cernables voire même

anonymes. Elle est aussi une représentation des septs arts libéraux ; Au premier plan à gauche la grammaire, l›arithmétique et la musique ; à droite la géométrie et l›astronomie ; en haut des escaliers derrière ces derniers la rhétorique et la dialectique.

II- Identification des personnages et Analyse des symboles

1-Groupe de Platon et Aristote

-Platon (-427 -347) : le contemplatif avec le doigt vers le haut montre le ciel ou le monde transcendant de l’être , siège des idées vers

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lequel l’âme aspire à retourner . Il tient le Timée avec sa main gauche

-Aristote (-384 -322) : tend sa main droite vers le bas, le monde des expériences terrestres , affirmant L’immanence de l’idée dans la réalité sensible et la nécessité d’unir la recherche de l’Être abstrait (le concept) à celle de l’Être réel (la substance).Il tient L’Ethique avec sa main gauche .Platon et Aristote sont les deux principaux représentants de la philosophie et de la pensée classique ,il occupe la place centrale dans cette fresque et montre les deux voies de la connaissance . Entouré par une foule de disciples et de public et derrière eux le ciel bleu qui désigne en Latin (Caelum),la pureté et la perfection harmonieuse et dans certains religions elle désigne le monde des réalités non sensible . L’essence de la doctrine de deux philosophes est renfermée dans leurs gestes selon un procédé typique de Raphaël qui réussit à

concrétiser les idées les plus complexes par les gestes les plus simples.

- Diogène Le Cynique (-431 - 323):

Le philosophe Cynique Diogène ,fondateur de l’école cynique méprisant les conventions et les apparences, allongé sur les marches , tient dans sa main gauche une feuille vierge et à sa droite un assiette vide pour montrer que la faim intellectuelle est moins important dans la vie que la faim physique.Il est isolé des autres personnages, car dans sa vie, il s’est isolé des hommes et a toujours refusé

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les hommages et les honneurs que ses contemporains lui offraient.- Héraclite (-576 - 480):

Grecque , membre de Famille royale, philosophe de devenir.Au centre du Fresque, le philosophe Héraclite seul et isolé des autres, s’appuie sur une marbre pour écrire son trait. Il désigne son pessimisme ,son mélancolie et son mépris des autres .Une fois la fresque terminée, Raphael a pu rajouter, au tout premier plan, la figure de Michel-Ange mélancolique représentant Héraclite sans

déséquilibrer la fresque. Le grand bloc de pierre sur lequel il s›appuie dorénavant avait peut-être pour référence la première épître de saint Pierre. Il symbolisait le Christ, la «pierre angulaire» que les constructeurs ont rejetée, qui devient un bloc sur lequel risque de trébucher le non-croyant.

2- Groupe de Socrate (La dialectique)

-Socrate (- 470 - 399) : Grec et connu par les dialogues de Platon , il enseigne par interrogation.En haut des marches se tient un groupe de personnages dominés par la figure de Socrate, le maître de Platon à l’âge de 60 ans , il semble discuter avec le

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poète Xenophon et d’autres amis et semble compter sur ces doigts. Ce geste désigne le monde d’argument et du questionnement qui caractérise sa philosophie dialectique. - Xenophon (- 430 - 354): à la droite du Socrate à l’âge de 20 ans , Grec , Auteur et grand auditeur Socratique . Alcibiade (- 450 - 404) : Se situe à la droite de Xenophon , Il est Général d’armée et Politicien très important du monde grec ,reçoit des leçons de Socrate à qui il voue une respectueuse amitié .

3- Groupe de Pythagore (Grammaire, Arithmétique, Musique)-Pythagore (- 570 - 495) : Philosophe présocratique, inventeur du mot philosophie . Il a mis en évidence les rapports étroits qui unissent la musique et le nombre. qu’on peut nommer aujourd’hui fréquence.Dans la Fresque, il semble écrire son théorie et son fils Télaugès aux cheveux blonds le regardant et tenant un petit tableau noir.- la figure représentée sur l’ardoise noir au

pied de Pythagore, ce diagramme montre les rapports qu’il y a entre l’harmonie de la musique et les lois mathématiques.

- Averroes (Ibn Ruchd) 1126 - 1128 : Grand Philosophe Arabe et humaniste qui vient de Cordue. Avec son turban blanc se penche vers Pithagore ,connu pour avoir donné ou plus exactement redonné à l’Europe accès aux connaissances grecques - après la partition de l’Empire Romain - ainsi qu’orientales,

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toutes diffusées dans l›Empire musulman par le biais de la langue arabe.

-Parménide : Philosophe Grec présocratique , né à la fin de VI e siécle av.J-C et mort au Ve siècle av J-C.Habillé en jaune ,Parménide semble contester la démonstration de Pythagore. Il désigne son influence par la philosophie Pythagorien.

-Epicure(-341 - 270) : Fondateur de l’épicurisme, vivre en accord avec la nature , atomisme, sensualisme, Le livre indique que ce personnage est savant. Les plantes autour de sa tête évoquent la nature et un esprit festif, joueur. Autour de lui se trouvent

deux enfants. Ces caractéristique évoquent

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Epicure qui rassemblait ses étudiants dans un jardin et qui préconisait l’exercice de la pensée dès l’enfance.

4- Groupe de D’Euclide (La géométrie et l’astronomie)

- Euclide (-325- 265) : Mathématicien et physicien , s’incline pour mesurer une figure géométrique sur un ardoise. Les quatre élèves qui l’entourent et qui désigne les quatre étapes de compréhension chez l’individu.

Zoroastre(-700) : Iranienne institut la caste des mages, enseigne la dualisme.-Ptolémie(-200),Grec, Astronome plaçait la terre au centre de l’univers fixe . Zoroastre de face, tenant une sphère céleste et Ptolémée portant une couronne et le globe terrestre. La Fresque montre aussi les relations à l’époque entre La perse et le monde occidentale.

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Raphaël (1483- 1520): Italien , Peintre de la Fresque «écoles D’Athènes». Il s’est placé lui même au centre des personnages, il est entrain de regarder discrètement le spectateur qui regarde son chef d’oeuvre .

5-Autres symbolesZénon D’élée (-490 - 430) ou Zénon de Citium(-335 -262) : Fondateur d’école des stoïciens.A l’extrême gauche de la Fresque , à côté d’Epicure ,il y’a cet veille homme barbu (Zénon) et un nouveau né, ils représentent la sagesse et la naissance du vérité.

-Apollon et Minerve : Au dernier plan, on trouve à gauche la statue d’Apollon, le Dieu des arts, du soleil et de l’harmonie, tandis que Minerve se trouve à droite, tous deux protecteurs des arts et de la philosophie, ce qui indique une volonté chez le peintre, de rassembler entre la spiritualité, L’art et la science.

III - La figure et son double ou la quête intemporelle La fresque rassemble une soixantaine de personnages, dont une trentaine plus ou moins identifiés, penseurs et philosophes de

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la Grèce antique associés à des personnalités contemporaines, par lesquelles certaines sont les doubles probables des premiers.L’évocation du temple de la science par les hommes illustres du passé est aussi dans une perspective historique grandiose, strictement reliée au présent par des correspondances entre les personnages de l›antiquité et les contemporains de Raphaël. Platon a les traits de Léonardo da vinci, Héraclite ceux de Michel-Ange, Euclide ceux de Bramante, l›enfant derrière Epicure est Federico Gonzagua, le jeune homme vêtu de blanc est Francesco della Rovere, Zoroastre est peut-être Pietro Bombo. Raphaël lui-même s›est représenté à côté de Sodoma dans le jeune homme au béret noir à l›extrême droite.

IV - La composition du TableauUn axe vertical sépare les deux groupes essentiels : à gauche, les théoriciens, véhicules de la mathématique spéculative, de Pythagore jusqu’à Platon (de gauche à droite), dominés

au-dessus par la statue d’Apollon ; à droite, les empiristes, disciples de la mathématique pratique, d’Euclide jusqu’à Aristote (de droite à gauche), surplombés de la statue de Minerve. Le tableau présente un axe de symétrie verticale évident.Ce qui symbolise dans l’art l’équilibre.1- La Symétrie2-Les ligne de convergences :les lignes qui convergent en utilisant le pavage du sol

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3-Séries de cercles placés autour de la scène ,accentuant le profondeur

Ce tableau s›inscrit dans des figures géométriques symboles de perfection dans l›art : le cercle et le carré

V - Les voies de la connaissances

Les deux voies de la connaissance de Pythagore (épogdoon) à Euclide (hexagramme) :-la voie métaphysique par les synthèses de Platon (avec le Timée) et Aristote (avec l’Ethique);-la voie empirique par Héraclite (le doute philosophique) et Diogène (la réfutation sceptique).

De même, un travail subtil est conduit pour « rendre » le concept de la lumière et des couleurs en accord avec la quête philosophique : progressive, la lumière

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blanche de la partie supérieure de la scène rejoint la représentation des dieux (Apollon et Minerve) puis se diffuse dans tout l’espace ; le travail sur les ombres est maintenu à l’économie, les personnages n’étant là que pour figurer une pensée abstraite et non pas pour imposer une réalité charnelle.Les couleurs du spectre, habilement réparties sur les vêtements, reprennent les petits cartouches de la voûte, comme une irisation de la lumière venue d’en haut, et concentrent celles des quatre éléments (terre, air, feu, eau) sur les toges recouvrant les deux figures centrales de Platon et d’Aristote […]

Références utiles1 - Platon (-427- 347), montre le ciel ou monde des idées, il tient le Timée dans sa main gauche 2 - Aristote (-384 -322), désigne le monde de l›expérience terrestre, il tient l›Éthique dans sa main gauche3 - Socrate (-470- 399), fondateur de la tradition philosophique occidentale, n›a laissé aucun écrit4 - Eschine (-389- 314), orateur athénien, l›un des dix orateurs attiques - ou Alcibiade5 - Xénophon (-426- 355) - ou Antisthène (-444- 365), fondateur de l›école cynique6 - Alcibiade (-460- 404), stratège - ou Alexandre le Grand (-356- 323)7 - personnage saluant l›arrivée d›un ami [Gorgias de Léontine (483- 375), maître de rhétorique, sophiste] dont la tête seule et une main levée apparaissent derrière la figure n° 98 - personnage (Eschine ?) semblant accueillir un nouvel arrivant ; ce serait Critias d›Athènes (460-403 450-/), homme politique et philosophe, a critiqué lesmythes comme des histoires destinées à asservir les hommes, passe pour athée9 - personnage porteur d›un livre et d›un manuscrit, semble arriver en courant : Diagoras de Melos (chassé d›Athènes en 415 - mort vers 400), disciple de Démocrite, a critiqué les mystères d›Eleusis et passe pour athée10 - Zénon d›Élée (-490-?) - ou Zénon de Citium (335- 262), fondateur de l›école des Stoïciens11 - Épicure (-342 -270), fondateur de l›épicurisme (vivre en accord avec la nature ; atomisme, sensualisme)12 - Averroès (Ibn Ruchd) (1126- 1198), philosophe musulman né à Cordoue, commentateur d’Aristote13 - Pythagore (-570- 480), philosophe présocratique, inventeur du mot « philosophie»14 - Anaximandre (-610- 545), présocratique, maître de l›école de Milet - ou Empédocle (-490-

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435) - ou Boèce (480- 525), philosophe latin né à Rome15 - Télaugès (Ve siècle av.), fils de Pythagore16 - Hypatie d›Alexandrie (370- 415), mathématicienne et philosophe, dirigeait l›école néo-platonicienne d›Alexandrie - ou Francesco Maria Ier della Rovere (1590- 1538), condottiere, duc d’Urbin17 - Parménide (fin VIe-mi Ve s. av), philosophe présocratique18 - Héraclite (576- 480), philosophe présocratique19 - Diogène le Cynique (-404- 323, ou -413- 327)20 - étudiant ou assistant d›Euclide ou d›Archimède21 - étudiant ou assistant d›Euclide ou d›Archimède22 - étudiant ou assistant d›Euclide ou d›Archimède23 - étudiant ou assistant d›Euclide ou d›Archimède24 - Euclide (-325 -265), mathématicien, auteur des Éléments - ou Archimède de Syracuse (-287 -212), physicien et mathématicien, entouré d›étudiants 25 - Ptolémée (90168- ap), né en Haute-Égypte, astronome, géographe, tient une sphère terrestre dans sa main gauche26 - Giovanni Antonio Bazzi, dit Sodoma (1477- 1549), peintre, ami de Raphaël27 - Raphaël (1483- 1520)28 - Zoroastre (vers 600 av.), fondateur de l›ancienne religion de la Perse, tient une sphère céleste dans la main droite - ou Strabon (57 av.-2125/ ap.), géographe grec, dialoguant avec Ptolémée29 - Empédocle (-490- 435), parmi un groupe de trois personnages, tient un bâton dans sa main droite, disciple de Pythagore et d›Héraclite30 - Plotin (205- 270)ap, fondateur du néoplatonisme, auteur des Ennéades31 - personnage semblant lire par-dessus l›épaule de son voisin ; ce serait Pyrrhon d›Elis, (365- 275) philosophe sceptique (on doit douter de tout), fondateur du pyrrhonisme

32 - jeune étudiant prenant des notes33 - Aristippe de Cyrène (-380- 300), philosophe hédoniste34 - disciple d›Aristote35 - Théophraste de Lesbos (-372- 288), successeur d›Aristote à la tête du Lycée36 - vus de dos, deux personnages non identifiés37 - groupe de 5 personnages ; le premier serait Eudème de Rhodes (-370- 300), disciple d›Aristote38 - groupe de 5 personnages dont le premier est Xénocratès de Chalcédoine (-396- 314), disciple de Platon et troisième recteur de l›Académie après la mort de Platon-; le deuxième Menexène, jeune homme interlocuteur de Socrate dans un dialogue de Platon ; le troisième Speusippe (-407- 339), neveu de Platon et premier recteur de l›Académie après Platon39 - personnage non identifié

Autres liens -Prof d’histoire, Lycée Claude De Bois, 6 décembre 2006-http://anna.huertas.pagesperso-orange.fr/Rome/j2/j24-RaphAthenes2.htm-http://www.bergerfoundation.ch/Jardin/-Étude de cas : L’École d’Athènes, de Raphaël ,dimanche 15 février 2009, par Laurent Gayme

Imad ZeinDocteur en linguistique

Approche sémantique du concubinagefranco-libanais dans le domaine de l’habillement. (Part 2)

Introduction:La linguistique appliquée est centrée sur le langage humain, le langage réel que pratiquent les individus dans leur vie quotidienne. Cette pratique génère, certainement, des comportements personnels qui s’appuient forcément sur les relations actives entre le locuteur en tant que producteur authentique de l’énoncé et le lexique étranger. Du point de vue linguistique, on s’intéresse à tous les secteurs économiques dans la société libanaise, ceux qui ont été influencés et contaminés par l’aura de la langue française. Dans notre cas, il s’agit de voir comment le secteur de l’habillement et de la mode, au Liban, était-il touché par celui de la société française?Dans un premier article, paru dans la revue scientifique Ittijah, numéro 33, Beyrouth 2016, nous avons consacré notre étude sur l’inventaire des mots français qui se sont intégrés dans le dialecte libanais. Ce concubinage lexical révélé au travers des mots étrangers, des mots français relatifs au domaine vestimentaire. Sur le plan sociolinguistique, la liste des mots

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étrangers est analysée en fonction de divers critères linguistiques notamment d’un point de vue morphologique et d’un point de vue phonétique. Nous avons pu collecter ces mots vivants utilisés par les locuteurs libanais. Le recensement élabore la liste des mots les plus fréquents dans le quotidien des Libanais. Ce qui nous a permis de présenter une étude détaillée sur le nouveau comportement linguistique associé aux multiples situations de communication. Devant un tel constat, le linguiste s’implique, il pose des questions, il collecte des informations complémentaires et il les interprète en tant que fait linguistique concret qui aide ultérieurement tout chercheur à en comprendre les mécanismes et les motifs qui engendrent le recours à l’emprunt lexical. Même si certains linguistes arabes le considèrent comme un phénomène qui porte atteinte à la dignité lexicale de la langue mère, l’emprunt prouve la mouvance des langues. Tandis que d’autres grammairiens le traitent comme une richesse lexicale,

une diversité de vocabulaire pouvant rajeunir le code oral. D’où l’importance de notre engagement qui consiste à élucider tout changement linguistique comme un processus naturel facilitant la transition lexicale au delà des frontières géographiques. Le but est de dissiper cette vision pessimiste qui vise à montrer le fait existant comme un indice qui déstabilise l’autonomie lexicale du système récepteur. En revanche, la linguistique appliquée se charge d’interpréter scientifiquement l’inclusion de tout terme étranger dans le langage, en l’occurrence le dialecte libanais.Quelle que soit la nature de la justification, partielle ou totale, elle s’engage à accorder à tout emprunt un statut particulier qui mérite notre attention surtout d’un point de vue sémantique. Or, tout emprunt lexical se positionne dans le système du code oral et y apparaît comme une nouveauté. La nouvelle unité lexicale révèle une modernisation authentique, elle cherche à se lexicaliser

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oralement et peut rivaliser facilement les mots arabes autochtones. Notre approche linguistique s’inscrit dans le champ de la sémantique qui s’élargit pour étudier ces échantillons relevés en partant d’une véritable analyse fonctionnelle de tous les problèmes avec les mises à jour des déclencheurs. Ce faisant, nous dressons nos objectifs en dépit des motifs qui ont poussé le locuteur à accepter l’emprunt, l’adopter sémantiquement et l’adapter phonétiquement dans ses propres énoncés. Est-ce un contrat latent, illicite, une collaboration, un transfert naïf ou tout simplement une migration intentionnée des lexèmes violant toutes les frontières raciales et linguistiques?L’intérêt de cette analyse sémantique réside dans la description de la structure des termes exogènes par le recours à l’étude des champs sémantiques. Cette structure est, cependant, indissociable des emplois réels de ces mots français dans les énoncés des Libanais.

1-Champ sémantique et prototype :La lexicologie développe la conception selon laquelle la langue présente une nomenclature de signes. Tout mot qui cherche à s’y intégrer obéit à des contraintes sémantiques et distributionnelles. C’est seulement par l’étude des interactions du mot emprunté avec son entourage. Autrement dit, on arrive à dégager le véritable sens de la nouvelle unité lexicale sur les deux axes paradigmatique et syntagmatique.Située au centre de toutes les recherches linguistiques, la notion du champ sémantique apparaît comme un sous-ensemble du lexique qui fait correspondre à un concept. A ce propos, les champs sémantiques se définissent comme une association évidente entre un champ notionnel et un champ lexical. L’ensemble des unités lexicales couvrant une notion, une conception bien déterminée tel que le monde vestimentaire ne serait appréciée que comme un microsystème lexical. La délimitation de la notion est

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ainsi soumise à la vision du linguiste qui est tributaire de la nature du travail et des finalités de l’analyse menée. Donc, il importe dans ce cas de préciser les modalités de notre travail sémantique et de fixer ses principes. Le champ en question est celui qui regroupe tous les mots qui se rapportent au mode de l’habillement sans proposer des sous-catégories lexicales constituées de tous les mots qui désignent les moyens de transport par exemple. Sous cette notion, on classe des mots comme : voiture, avion, bateau, vélo, train, moto, bicyclette taxi, autocar, bus, etc. les mots cités couvrent un domaine d’expérience, suivant la démarche onomasiologique qui permet la distinction systématique entre les différents lexèmes. Les traits dégagés sont étudiés en tant qu’indices sémantiques, autrement dit comme des traits distinctifs capables de différencier deux unités lexicales comme pantalon et veste bien qu’ils appartiennent au même champ sémantique. Les deux termes se distinguent

sur divers plans même s’ils se regroupent sous la même catégorie lexicale désignant des vêtements et non pas des sous-vêtements. Mais dans certains cas, la constitution des tels champs sémantiques suscitent beaucoup de difficultés dans la mesure où des variations d’ordre sociolinguistique et professionnel puissent apparaitre et entraver la stratification. Celles-ci imposent une déviation au niveau de l’analyse qui tiendrait compte de plusieurs organisations concurrentes d’un même domaine d’expérience. Prenons par exemple les diverses définitions des mots presque synonymes. Du point de vue d’un agent de voyage le mot “voyageur” se définit autrement par rapport à la définition du mot “passager”. Un locuteur ordinaire reste incapable de saisir la nuance sémantique et distributionnelle entre les deux termes. Egalement, du point de vue d’un styliste une veste n’est ni un blouson, ni une vareuse, ni une jaquette, même si ces mots pour un locuteur ordinaire seraient désignés par

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une veste. Ce dernier y apparaît comme un archilexème pouvant leur substituer sans se soucier des nuances sémantiques. La nuance s’impose car la conception est basée souvent sur le rapport établi entre le mot et le mode de l’habillement. Dans cette optique, les unités linguistiques n’apparaissent pas données d’avance: il faut les identifier, les délimiter en fonction de la situation. Derrière l’appellation de mot dissimulent des éléments sémiques disparates. Le mot emprunté apparaît comme un concept opératoire, il remplit une fonction et introduit une image sonore d’un produit importé. Ainsi le mot jupe-culotte, bien qu’il soit composé, il est intégré en tant qu’unité endocentrique désignant un objet défini au niveau de la mode. Nous sommes toujours conditionnés par la dichotomie langue/langage, autrement dit l’opposition de langue en tant que convention adoptée par une communauté linguistique, et parole en tant qu’une faculté individuelle. Le domaine de la parole est

celui de la liberté, du choix, de la création où les combinaisons des signes linguistiques dépendent de la volonté des locuteurs. Sous l’aspect du langage, il est indispensable de définir le dialecte libanais comme moyen de communication tout en étant l’objet de la psycholinguistique qui s’attache à étudier le comportement de la pensée individuelle vis-à-vis des deux systèmes lexicaux de vie. Sous l’aspect de l’expression, on mesure l’extension du vocabulaire appartenant à deux langues différentes aux divers milieux de vie. Dans cette perspective, la société libanaise qui s’apparente à être bilingue, s’affiche en terrain propice à l’accueil de cet afflux migratoire des mots. Ce milieu linguistique met en contact quasi permanent deux idiomes étrangers qui se côtoient : le français comme langue de civilisation à côté du dialecte libanais comme un idiome populaire et indigène. Ce dernier n’est que le langage maternel de tous les libanais natifs. L’acquisition de ce code oral dérivé de l’arabe

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classique s’effectue normalement et dont la pratique le fait distinguer par cette liberté en syntaxe et dans le choix du lexique. Il échappe aux contrôles de la norme grammaticale. A. Meillet note à ce propos sa réflexion dans “sur le bilinguisme”, in Psychologie du langage, Paris 1993, p170: “ En général les deux langues dont dispose un individu ne sont pas sur un même niveau; l’une des deux est une langue familière; l’autre est la langue de civilisation”.De toute manière, la langue, comme le langage, est attachée à son identité linguistique et culturelle bien qu’elle offre souvent un visage moderne et innovant de son statut. Le langage apparaît comme un système vulnérable qui se nourrit des emprunts résultant des contacts avec les autres langues de civilisation. Alors, les emprunts sont d’une grande richesse, ils constituent un levier incontournable pour contrer les déficits lexicaux. C’est une preuve tangible pour défendre l’idée selon laquelle le langage est toujours en mouvement; il

bouge sans cesse, il se modernise par le biais de ce feed-back linguistique. C’est un moment précieux de découverte réciproque dans laquelle on voit cette nécessité de favoriser les passages des lexèmes. Dans cette optique, l’usager saisit le mot étranger comme un signe de base qui donne une image approximative de l’objet-vêtement. Les mots ne véhiculent pas un imaginaire, car la philosophie de l’emprunt est sous-tendue par l’idée du référent. Il est appréhendé comme inclus dans le langage impliquant ainsi la prise en compte de sa singularité que l’on doit contrôler. L’usager cherche une harmonie avec le nouveau signifiant. Des mots comme jupe, robe, maillot, manteau,… malgré la présence des équivalents arabes, se sont introduits dans la parole qui n’a jamais cessé être un acte subjectif. L’attention est portée alors sur l’emploi des emprunts et sur la nature des vêtements. Une valorisation qui produit un effet de luxe et pouvant changer le regard d’autrui sur la mode. En revanche,

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la langue se retire pour prendre du recul face à cette situation afin d’éviter les dérapages et les excès qui en découlent au niveau de l’écrit. D’où la nécessité de sa part, de bien cadrer le phénomène d’emprunt et poser des contraintes rigides pour lutter contre l’exode de ses fonds lexicaux au détriment des fonds lexicaux étrangers. En dépit de toutes les réticences, personne ne peut négliger l’ampleur des contacts des langues comme un immense chantier linguistique où nombreuses cultures à travers le monde s’activent. Le locuteur libanais profite de cette opportunité linguistique dans son langage quotidien et qui se dote d’un aspect de prestige ou de snobisme. Il varie sa manière de parler, la développe, comme s’il développe un grand nombre d’instances du dialogue social. L’emprunt est un atout considérable pour le locuteur qui évite le recours à la traduction; il simplifie ses énoncés “confectionnés” grâce à une fluidité de l’expression. Sa priorité est réservée à la modernisation. Les emprunts

façonnent l’échange oral et réfléchit cet apport linguistique et culturel. Cette empreinte reste indélébile et sous-tend des comportements linguistiques inconscients.L’analyse des champs sémantiques fait surgir une question, qui est celle de savoir comment classer les termes se rapportant à un concept donné comme celui de l’habillement. Et quels sont les critères pour classer les objets du monde dans un champ notionnel adéquat? Peut-on dire par exemple que foulard est-il un tissu ou un vêtement? Une telle question suppose, du côté linguistique, que l’on sache si foulard appartient au champ sémantique des vêtements. Du côté des mots réels, on est dans une logique selon laquelle le mot doit présenter des propriétés pour faire partie d’une classe déterminée. Si une de ces propriétés manque, le mot reste à l’extérieur de la classe. Alors, le sens d’une unité lexicale est régi par un faisceau des conditions sémiques. Les sémanticiens se sont intéressés à l’identification de ces conditions nécessaires

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et suffisantes ainsi qu’aux problèmes de catégorisation. Ils adoptent sur le plan cognitif la notion du prototype, comme modèle à suivre qui apparaît comme le meilleur représentant d’une notion quelconque comme par exemple le mot pomme employé comme modèle pour représenter la catégorie fruit. On cherche à définir le lien de tout signe linguistique avec le prototype, lequel sera le meilleur exemplaire de la catégorie. Sans chercher à titre d’exemple de construire le champ onomasiologique, le mot siège, par exemple, peut impliquer toute sorte de meuble sur lequel on s’assoit comme chaise, fauteuil, tabouret, canapé, pouf, club… C’est pourquoi dans la sémantique du prototype, le sens d’un mot est encore défini en termes de traits. On évalue les référents que l’on analyse sémantiquement selon leur degré d’adéquation au prototype. L’emprunt présente un avantage pour le dialecte libanais. Le français, comme langue donneuse, fournit au dialecte libanais le mot

jaquette qui s’affiche en archilexème. Quelle que soit son origine, il est employé pour remédier aux difficultés de distinguer entre les différentes unités lexicales désignant approximativement le concept de veste. Cette identité des signifiés de plusieurs signes constitue une dissymétrie entre les notions et que l’on arrive toujours à déceler des nuances. C’est pourquoi les locuteurs ont recours à un modèle qui agit à la fois en tant que prototype et en tant qu’archilexème. Le mot jaquette vient combler une faille lexicale dans le dialecte libanais: on l’emploie pour désigner toute sorte de veste : une veste pour homme, pour femme, pour enfant même une veste d’un pyjama. Le terme est inséré en tant que unité considérée dans un réseau de relations paradigmatiques et syntagmatiques. Il est utilisé comme correspondant à l’archisémème, il est substituable à tous les autres lexèmes comme blouson, anorak,…..le locuteur n’est plus obligé, ni par le contexte , ni par la réaction de l’interlocuteur

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à fournir plus des précisions sémantiques. En revanche, le mot maillot n’a pas pu remplir cette fonction; il obéit à des restrictions socioéconomiques d’être réservé à un emploi précis, à un vêtement particulier destiné à la natation. Ces chevauchements lexicaux n’en sont que si l’on cherche à mesurer le fonctionnement de la langue à l’aune d’un modèle de vocabulaire technique. Le problème est résolu lorsque tous les membres d’une communauté linguistique partagent le même lexème qui corresponde à un éventail de lexèmes partageant certains traits sémantiques. Le concept de jaquette apparaît comme une panacée, il rend donc de grands services au dialecte libanais et permet d’articuler l’analyse sémantique et l’usage effectif des unités lexicales par les locuteurs. Toutefois, il n’existe pas, dans de nombreux cas et dans de nombreuses langues, d’archilexèmes correspondant aux archisémèmes. Au lieu de se heurter à des descriptions en sèmes des lexèmes

synonymes qu’on arrive à résoudre avec un mot générique jaquette. Ce dernier devient le centre de toute la catégorie de “veste” et dont les différents types seraient de plus ou moins éloignés. L’avantage accordé à ce mot peut être traité comme une apesanteur sémantique qui déstabilise l’acquisition des mots arabes, chez les enfants à l’école. Le mot est reconnu, écrit facilement, transcrit avec des lettres de l’alphabet. La décomposition phonologique du mot facilite sa transcription: les trois sons figurent dans le système phonétique de l’arabe [ᶾ], [k]et [t]. Le signifiant français, “arabisé” oralement, a l’avantage d’être mémorisé et écrit mieux que le mot veste puisque le son [v] est absent du système consonantique de l’arabe. Ce fait a facilité sa transition lexicale et a accéléré sa totale intégration. L’emploi de l’emprunt est important, il est étudié comme unité autonome sans se soucier de retracer la biographie, il réduit toute similarité des signifiés et dissipe les contigüités qui peuvent en résulter. Son emploi dispense le locuteur de

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recourir à d’autres signifiants qui pourraient provoquer soit un changement de sens, soit une confusion. La valeur sémantique est le résultat d’une évolution pratique, simplifiée par l’adoption d’un emprunt français qui se produit et se diffuse dans le cadre de discours situé dans la structure sociale. Le statut socioculturel des émetteurs et des récepteurs n’entravent pas la propagation du mot jaquette. Du point de vue sociolinguistique, il est évident de signaler que son emploi n’est plus réservé à une catégorie sociale bien déterminée.2- Analyse sémique : Selon M. Bakhtine (Le Marxisme et la philosophie du langage; essai d’application de la méthode sociologique en linguistique, Editions de Minuit, 1977, p38) “Le lexique constitue l’indicateur le plus sensible des transformations sociales, le mot est donc appréhendé d’abord comme unité phonétique, comme unité fonctionnelle abstraite et comme unité sémantique”. Alors, le mot

est toujours doté d’une forme physique, un signifiant, et d’un signifié. C’est la plus petite partie de l’énoncé construit, c’est un signe linguistique qui porte évidemment un contenu de la pensée. Cependant, tout concept se base sur un fondement, il est né de différences qui relèvent des sciences et non des disparités que l’on pourrait mesurer. Le mot “poison”, en français, a subi des changements sémantiques tout au long de son histoire. L’analyse diachronique en révèle le résultat de toute son évolution probable comme un lexème indépendant. En sémantique référentielle, on traite les mots comme des unités élémentaires, on discute sur des mots isolés pour souligner leur polysémie bien que la véritable unité sémiotique des langues soit le morphème. Le mot est une unité de discours, un syntagme. Une fois le mot est emprunté, il peut prendre des connotations sémantiques en fonction de certaines conditions sociales. Selon son statut, il est classé soit comme un emprunt de

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nécessité, soit comme un emprunt de luxe.En dialecte libanais, le mot /kalset/, par exemple, désigne généralement une paire de chaussettes pour homme ou pour femme. Il implique toute sorte de chaussettes sans différencier la finalité de l’usage, et sans spécifier le type de chaussette employé seulement par des femmes comme le mot /collant/. En revanche, /collant/ est un terme français qui s’est intégré majestueusement dans le dialecte libanais, mais il apparaît comme un générique soumis à des restrictions sémantiques. On s’en sert uniquement pour mettre en relief une différence des types de chaussettes en question, collant est réservé à un emploi fixe, aux femmes. Evidemment, il semble que les mots de la langue, aussi bien au plan du signifiant que du signifié, restent fondamentalement une construction linguistique et humaine.En l’occurrence, le signifiant est respecté davantage selon les possibilités de tout locuteur d’où les disparités articulatoires

constatées au niveau de la prononciation. Mais, le signifié de tout emprunt lexical est sujet à des distorsions sémiques.En outre, le locuteur libanais se sert des mots étrangers comme culotte, slip, caleçon, boxer, fuseau, collant,… pour dénommer différents sous-vêtements, ces termes figurent réellement dans le langage comme des lexèmes empruntés à la langue française. Ce qui justifie l’idée que le dialecte libanais s’est enrichi lexicalement avec la possibilité de faire une distinction sémantique entre des termes apparemment identiques. Le choix du vocable dépend des critères linguistiques qui permettent d’inventorier des sèmes supplémentaires en fonction du contexte. Les vocables se voient attribuer alors de nouveaux sèmes caractérisant la nouvelle visée et la fonction déterminée en situation de communication. Une brève comparaison nous informe que le français définit l’emploi et le sens de ces mots ainsi :• Culotte est un vêtement d’homme couvrant

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le bassin et tout ou partie des cuisses, un sous-vêtement d’enfant et de femme, plus haut que le slip.• Slip est une culotte ajustée servant de sous-vêtement, un vêtement de bain.• Caleçon est un sous-vêtement masculin couvrant partiellement les jambes ou totalement.• Boxer est un short de sport intégrant un slip, une culotte de sport. De ce qui suit, le sens de chaque terme est fixé d’avance suivant des critères syntaxiques et sémantiques de la langue donneuse. A l’opposé, le dialecte libanais les adopte tout en modifiant l’emploi et parfois le sens. Ce code oral les classe autrement, il restreint l’emploi du mot à un signifié bien déterminé, stable selon les mœurs libanais. On y ajoute de nouveaux sèmes pertinents, on modifie d’autres pour que le mot emprunté puisse assumer un rôle et un emploi spécifiques. Bien que la pragmatique privilégie le hic et le nunc, l’environnement humain comprend

des foules d’objets absents, le “moindre changement extralinguistique nous oblige à modifier l’inventaire des sèmes “ (M. Tuetescu, Précis de sémantique française, Bucarest, 1975, didactia, p214). Tous les changements sémiques apportés contribuent à revaloriser le statut de ces emprunts. Les définitions proposées dans les dictionnaires reposent sur des sortes d’universaux, qu’il est possible d’identifier dans plusieurs langues. Faute de connaissance de ces universaux, les dictionnaires se contentent d’enregistrer les sens et les emplois de chaque mot, sans proposer de lien explicatif entre eux. Pour illustrer cette modification sémique, le tableau ci-dessous met en valeur les nouveaux sèmes suivant leur statut et leur emploi dans le dialecte libanais :

Toute variation sémantique est placée

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souvent sous le contrôle de la communauté intervenant par le sentiment linguistique de ses locuteurs. C’est une évolution qui s’inscrit dans la continuité sémantique, elle transite par différents sous-codes ou codes restreints dont B. Bernstein (Langage et classes sociales- Codes sociolinguistiques et contrôle social, Editions de Minuit de Minuit, 1975) a, le premier, démontré l’existence et la pertinence. L’analyse sémique des exemples cités dans le tableau ci-dessus montre l’existence d’un lien même exigu entre les changements linguistiques et les causes sociales. Utiliser, à titre d’exemple, le mot /

sadriyé/ par un Libanais pour dénommer le “soutien-gorge d’une femme” peut être traité de “voyeurisme” ou d’impolitesse, en société.Le signifié d’un mot emprunté représente non un paquet de sèmes en vrac, mais il implique une organisation des traits sémantiques pertinents et d’autres traits non distinctifs en vertu des critères sociaux. Cette hiérarchisation des sèmes est établie en fonction d’une priorité sociale. Cependant, l’intégration d’un terme étranger a pour rôle de combler une lacune lexicale que la langue mère n’a pas pu remplir. Suite à toute insertion lexicale, l’évolution du sens

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est la conséquence d’une hiérarchisation différente du signifié. Socialement, le mot “collant”, une fois adopté, il est uniquement réservé pour femmes, et jamais pour hommes. Même si le système lexical dispose d’un mot composé pour nommer ce produit. Le recours à la langue française paraît indispensable et bien apprécié par les Libanais.Dans l’évolution sémantique, on parle souvent de la causalité interne qui est l’ensemble des facteurs liés au système linguistique proprement dit, tel est le rendement. Et de la causalité externe qui est liée forcément à des raisons sociologiques (mode, prestige). C’est sous l’effet du prestige ou tout simplement par snobisme qu’on abandonne des mots, au détriment des mots empruntés au français, comme: tailleur, robe, châle, cravate, cape, manteau, etc.Diverses raisons sociales interviennent pour s’abstenir d’employer un mot jugé, socialement, vulgaire, et d’en choisir un autre. Et sous l’effet de la mode, on se contente de

dire le mot français “jupe culotte” sans se soucier de son équivalent en arabe.Enfin, tout clivage linguistique pour stopper l’intrusion des mots étrangers paraît obsolète, les mots empruntés ont le pouvoir de “s’exhiber”, d’exister, de s’incruster dans le parler quotidien. Les lexèmes assument leur identité dès qu’ils sont entendus dans la bouche des usagers. Ils font librement leur entrée dans les langues et dans les sociétés sans être contrôlés. Ce qui justifie l’idée préconisée par tous les linguistes que les langues vivantes bougent sans cesse et évoluent continuellement même au niveau des phonèmes. Cette remarque est largement partagée par Victor Hugo, (Préface de Cromwell, Paris, 1827) qui maintient sa propre conception “ une langue ne se fixe pas. Toute époque a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à ces idées. C’est donc en vain qu’on voudrait pétrifier la mobile physionomie de notre idiome sous une forme donnée…les langues, ni le soleil,

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ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent “.3- L’apport sémantique du lexique français dans le dialecte libanais:Des études globalement valables sur l’arabe parlé montrent que les emprunts lexicaux, les plus importants dans le domaine de l’habillement, sont d’origine française. La langue française est privilégiée et fortement appréciée comme langue donneuse pour beaucoup de pays arabes comme le Maroc, l’Algérie et la Tunisie.Le phénomène d’emprunt reste un facteur modificateur et non perturbateur, capable de produire un changement opportun dans le langage. Toute immigration lexicale, sélective peut avoir des échos ultérieurs, non négligeables sur le code écrit de la langue réceptrice. Le vocabulaire des vêtements avait plus de chance de s’introduire dans la vie des Libanais et il aurait des incidents majeurs au niveau du code écrit. La langue de Molière est l’idiome le plus représenté

dans le secteur de l’habillement et de la mode. Ce fait est dû à l’influence culturelle et à la force économique de cette belle langue. Celle-ci devient la plus parlée dans ce domaine grâce à l’attractivité de son image prestigieuse à l’international. En revanche, l’étude des champs sémantiques concerne essentiellement les relations que les signes entretiennent paradigmatiquement. A côté des relations lexicales apparaissent forcément des relations contextuelles. Tout lexique emprunté est analysé d’abord à partir de son contenu, ensuite à partir de son insertion dans le nouveau cadre syntaxique. L’apport sémantique de toute unité linguistique relève de sa valeur réelle. Cependant, l’analyse de son niveau polysémique d’origine n’est pas abordée. Il s’agit d’examiner le terme étranger comme un moyen de faire apparaître un sens bien précis nommant un produit vestimentaire, un référent stable. Le mot “jupe-culotte” illustre parfaitement ce cas dans la mesure où il se réfère à un type de

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vêtement spécifique qui n’est ni une jupe, ni un pantalon, ni une culotte. A cet égard, le modèle saussurien du signe linguistique se caractérise par l’union indissoluble du signifiant et du signifié, corrélative de l’arbitraire du signe. L’arabe et le français, deux langues différentes, l’une est sémitique, l’autre est indo-européenne, ont ouvert la voie et les frontières au voyage libre du lexique. Ce contact favorise un concubinage lexical, affermit une cohabitation culturelle dans le domaine de l’habillement, sans oublier que la scolarité au Liban exige un apprentissage massif notamment du français comme langue seconde. Cette situation linguistique qui tente de s’apparenter au bilinguisme, renforce un va-et-vient culturel et un concubinage lexical entre deux civilisations. Mais, elle reste asymétrique dans la mesure où les échanges lexicaux peuvent se limiter à des domaines particuliers comme l’habillement. De toute façon, ces échanges référentiels

sont susceptibles de créer dans le dialecte libanais un sous-système apparent dans la pratique. C’est pour ces causes, que le locuteur n’aperçoit pas ces nouveaux arrivants lexicaux comme ayant une allure “barbare” mais comme des substituts indispensables. Parallèlement, ils revêtent d’un aspect familier au point qu’ils passent, dans le langage courant, pour arabes sans perturber le système lui-même. Autrement dit, il arrive souvent qu’on ne distingue pas ces mots français arabisés, même à l’écrit, on les lit ordinairement sur les vitrines des magasins de vêtements, sans se soucier de leur orthographe et de leur morphologie comme [kolonet], des collants en arabe.Une telle situation linguistique suscite l’intérêt de tout chercheur pour poser tant de questions pertinentes: De tels mots présentent-ils une richesse pour le code oral? L’encombrent-ils? Ont-ils un effet linguistique? Sont-ils des apports lexicaux variés pouvant submerger le dialecte libanais? Auraient-ils des incidents

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négatifs sur le vocabulaire de l’arabe classique?A toutes ces questions, les réponses sont multiples et variées, mais nul ne peut proscrire ce lexique intrus, même si on a tendance parfois à l’accuser d’impérialisme. Ainsi ces mots français ont-ils le pouvoir de coloniser l’oral? Leur intégration s’est-elle produite par manque de chauvinisme de la part des Libanais?Pour contrer toutes ces interrogations, l’emprunt demeure un phénomène linguistique indispensable qui se produit malgré toutes les restrictions imposées par le code écrit. C’est un procédé linguistique intentionnel qui affecte toutes les langues vivantes. Il est plus actif au niveau du code oral qu’au niveau du code écrit. Il est objectivement et réciproquement libre, il marque l’émancipation du système oral de toutes les normes imposées par l’écrit. Cependant des mots comme : sirwal (serval), burnous, jupe, etc. qui ont des origines arabes,

ne peuvent être ni rejetés, ni condamnés comme des mots français “incriminés”.L’étude linguistique cherche à reprendre en considération et effectivement toutes les critiques objectives et à démontrer l’impact de tout lexique étranger sur la langue mère notamment chez les enfants. Ce faisant, l’intérêt de l’analyse est d’établir une observation contrastive élaborant le processus par lequel un mot quelconque est indûment emprunté. Son importance réside dans le fait de cerner les étapes qui permettent à tout mot étranger de résister au refus, de se conserver, ou de se “démoder”. L’innovation s’effectuera dans des systèmes qui permettront de relier le langage aux autres univers culturels connectés aux évolutions de la mode avec la création de nouveaux vêtements. Cette tendance à se passer du vocabulaire ordinaire s’illustre en particulier chez les jeunes qui apparaissent comme des consommateurs actuels de cette affluence lexicale. L’ouverture aux autres civilisations

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étrangères démasque un vocabulaire allogène qui s’imprègne dans tout le quotidien libanais. La profanation lexicale ne se limite plus à l’habillement, car l’attention se porte davantage sur les technologies adjacentes comme la réalité virtuelle ou le secteur de l’internet. Autrement dit, la circulation d’un nouveau terme dépend de la diffusion d’un produit c’est-à-dire d’un nouveau vêtement à la mode comme survêtement, cape, maillot, tee-shirt,…En dépit de toutes les restrictions de la langue et les critiques formulées, les effets de l’irruption de ces mots français dans le domaine de l’habillement se manifestent comme une évidence massive, flagrante et positive qui avait assiégé la société libanaise de sa clameur et de son objurgation. Une appréciation ne peut être ni banale, ni bancale car elle met à la disposition du chercheur, attaché à sa langue nationale, des données scientifiques crédibles avec des preuves tangibles qui lui fournissent la raison d’être

soit puriste soit laxiste. L’inventaire des mots n’est qu’un bilan concret et authentique de ces constats sur le terrain et se présente comme matière à réflexion pour élargir tout débat ultérieur. Le phénomène de l’emprunt fera toujours l’objet de multiples polémiques. Le débat est loin d’être clos car certains linguistes arabes se voient naïvement irrités par cet optimisme lexical. L’emprunt peut revêtir diverses formes allant des plus simples, des plus bénignes, aux plus complexes. Tout le processus justifie le besoin linguistique pour modifier notre perception du monde. Le langage est d’ores et déjà envahi par ce lexique “bavard”, porteur d’amples informations culturelles et scientifiques.Conclusion :La sublimation pour tout ce qui est étranger stimule la capacité du locuteur libanais d’investir en communication des termes empruntés. On a plus du plaisir de protéger ces mots, de les partager dans des échanges verbaux pour rééquilibrer la balance lexicale

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qui souffre d’un déficit. Ce dernier se présente comme une insatisfaction qui privilégie le recours aux emprunts. Une excellente solution linguistique, pratique, disponible, engagée librement et individuellement pour combler une faille quelconque au niveau de la langue maternelle. C’est un engouement pour ce nouveau lexique qui paraît aussi comme une apologie à une politique migratoire. Ainsi, on accrédite à tout lexème étranger, qu’on apprécie, une valeur sémantique et un objet. Nous avons déjà relevé des mots et élaboré un classement rigoureux dans un répertoire sous forme d’un corpus des données. Le tout est analysé comme un indicateur permettant d’ordonner les langues en fonction de leur influence dans le secteur de l’habillement.Dans le camp de la parole, les mots arabes s’émancipent de toutes contraintes, ils s’enchevêtrent avec ceux du français et se débarrassent de support d’infirme qui est l’écriture. C’est une parole spontanée, féconde et abondante où les mots

s’enchaînent, se bouleversent dans des expressions familières. La société libanaise où l’élégance, le prestige, le snobisme se côtoient, éblouit les sujets parlants par la diversité des cultures qui s’y croisent régulièrement. Sans les mots, le monde n’existe pas et sans texte écrit on exhume les expressions célèbres. Les énoncés produits sont toujours dédiés, c’est un art qui libère les déterminismes sociolinguistiques. Bien que la parole soit éphémère et magnifique, elle relève de l’improvisation qui jaillit et qui part de l’intérieur pour trahir au premier souffle les règles de la grammaire. Elle manifeste un débordement de créativité langagière facilité par l’internet qui révèle une part d’ombre d’un lexique étranger. L’engouement pout tout ce qui est français définit la modernisation d’un vocabulaire spécialisé et l’évolution d’un code oral qui se dérobe de tout contrôle. C’est pour cette raison que personne ne peut nier sa singularité linguistique même si certains y voient une régression de l’arabe classique.

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De nos jours, les termes français abondent dans le dialecte libanais, beaucoup “se sont libanaisés “. Même si la plupart sont nés de l’arabe classique, le fonds primitif du langage s’est enrichi et s’enrichit chaque jour des mots étrangers. La linguistique exerce des contrôles diversifiés et parfois renforcés pour mieux cerner la transition lexicale au niveau phonétique et sur le plan de la sémantique.Notre approche sémantique ne prétend pas l’exhaustivité mais elle tente d’élucider certains points et de donner des informations sur les modalités des emprunts. Et, ce sont ces mêmes locuteurs qui accélèrent leur intégration dans le système, une totale intégration exemptée des normes assurant ainsi la pérennité du fonds lexical. Toutes les innovations linguistiques varient profondément selon le public concerné, son inclination et son aptitude à faire profiter des libertés qu’offre le système et à accepter les déviations des contraintes qu’impose la langue source. Dans la réalité polymorphe

que l’on obtient, tous les parlers produits sont pour tous, quelle que soit la classe sociale. Enfin, dans une perspective communicative et surtout dans les domaines de la mode, de l’esthétique, et de la cosmétique, bref du “ chic” français, les emprunts sont fréquents pour attiser l’appétit de parler et d’effacer les contraintes surtout pour ceux qui n’ont jamais appris à orthographier en lettres latines. Une passerelle linguistique qui se dessine comme une intimité pour introduire une forme populaire adaptée dans la langue écrite.

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