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LE CAUCASE 1859

ALEXANDRE DUMAS

Le Caucaseimpressions de voyage

LE JOYEUX ROGER 2006

ISBN-13 : 978-2-923523-10-1 ISBN-10 : 2-923523-10-5 ditions Le Joyeux Roger Montral [email protected]

Coup dil gnral sur le CaucaseI DE PROMTHE AU CHRIST Nous allons dire nos lecteurs, dune faon aussi succincte que possible, ce que cest que le Caucase, topographiquement, gologiquement, historiquement parlant. Nous ne doutons pas que nos lecteurs ne sachent la chose aussi bien que nous ; mais, notre avis, lauteur doit toujours procder comme sil savait ce que ses lecteurs ne savent pas. La chane caucasique ou caucasienne, comme on voudra situe entre les 40e et 45e degrs de lattitude nord et les 35e et 47e degrs de longitude orientale, stend de la mer Caspienne la mer dAzof, depuis Anapa jusqu Bakou. Trois grands pitons la surmontent : lElbrouz, haut de seize mille sept cents pieds ; le Kasbek, dabord appel le Mquinwari, haut de quatorze mille quatre cents ; et le Chat-Elbrouz, haut de douze mille pieds. Nul na jamais gravi la cime de lElbrouz. Il faudrait pour cela, disent les montagnards, une permission particulire de Dieu ; cest sur son sommet que, selon la tradition biblique, se posa la colombe de larche. Le Mquinwari est, quoique moins haut de deux mille pieds que lElbrouz, le rocher o, selon la tradition mythologique, Promthe fut enchan. Les Russes lont appel Kasbek, parce que le village de Stphan-Ezminda, situ au pied de ce mont, tait autrefois et est encore aujourdhui la rsidence des princes KasiBek1 , gardiens du dfil. Cette dernire dsignation a prvalu. Quant au Chat-Elbrouz, qui slve aux confins du Daghestan, sa cime sert de perchoir loiseau anka, prs duquel laigle est1. Casa Beker.

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un oiseau-mouche et le condor un colibri. Ce gigantesque rempart, cette majestueuse forteresse, cette muraille granitique aux crneaux ternellement neigeux, repose, vers sa base septentrionale, sur des sables, couverts autrefois par les eaux de cette mer immense au-dessus de laquelle slevaient, comme des les, non seulement le Caucase, mais encore le Taurus, le Demavend et la Tauride, dont la mer Caspienne, appele par les anciens lacs Caspis, nest quun dmembrement, et qui, vers le nord, ne faisait, selon toute probabilit, quune avec la mer Blanche et la Baltique. quelle poque de lhistoire, sacre ou profane, appartient le grand cataclysme qui isola le Pont-Euxin, la mer dAral, les lacs dErivan, dOrmiah et de Van, et creusa les dtroits dInikaleh, des Dardanelles, de Messine et de Gibraltar ? Est-ce au dluge biblique de No, chez les Hbreux ; celui de Xisuthre, chez les Chaldens ; celui de Deucalion et dOgygs chez les Grecs ? Cest ce que nous ne saurions dire ; mais il y a un fait avr : cest que la Caspienne a continu de communiquer avec les autres mers par des canaux souterrains ; que cest par ces canaux quelle perd les eaux quelle reoit de lOural, du Volga, du Terek, de la Koura ; quelle est sujette des variations de profondeur ; que, dans ses baisses, elle laisse dcouvert des constructions qui attestent ses mouvements de hausse et de dcroissance ; et enfin, preuve plus certaine que tout cela de la communication souterraine qui existe entre elle et les autres mers, cest que, tous les ans, lapproche de lhiver, on voit monter, la surface du golfe Persique, des herbes et des feuillages qui ne se trouvent que sur les bords et dans les profondeurs de lnorme lac Caspien. Le Caucase prsente deux ranges de montagnes parallles, dont la plus leve est au sud, la plus basse au nord. La premire chane pourrait sappeler les montagnes Blanches, par opposition la seconde qui sappelle les montagnes Noires. Les sommets clbres de cette dernire chane sont la montagne Chauve, le

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mont des Voleurs, le mont des Temptes, le Bois-Sombre et le Poignard. Deux passages seulement sont pratiqus dans limmense barrire ; ces passages, connus sous les noms de portes Caucasiennes, portes Sarmatiques, portes Caspiennes, portes Albanaises, portes de Fer, portes des Portes, sont le dfil du Darial (Pyla Caucasia de Pline) et le passage de Derbend, appel traditionnellement les portes dAlexandre. Nous avons franchi les deux passages, et nous essayerons den donner une ide nos lecteurs. La cime des montagnes neigeuses est forme de porphyre basaltique, de granit et de synite. Les porphyres sont : le porphyre bleu tachet de jaune, ou de rouge, ou de blanc ; le porphyre rouge oriental, et le porphyre vert. Les granits sont : le granit rose, le gris, le noir et le bleu. Quand la chane dsigne sous le nom de montagnes Noires, elle se compose de calcaires, de grs marneux et de schistes tabulaires, sillonns par des veines de spath et de quartz. Strabon parle fort des mines dor de la Cochide ; les ppites enleves ces mines, et portes par les pluies dans les ruisseaux, les enrichissaient dun sable prcieux ; les Souanes, aujourdhui les Mingrliens, les recueillaient sur des peaux de mouton garnies de poils dans lesquels la poudre brillante sarrtait. De l la fable, nous devrions dire lhistoire, de la Toison dor. Il y aujourdhui encore en Osstie, sur lglise de Nouzala, une inscription en langue gorgienne qui affirme que, dans cette rgion, les mtaux les plus prcieux abondaient autrefois comme aujourdhui la poussire. Toutes ces richesses peuvent tre mises en discussion ; mais il est une production peut-tre plus rare, quoique moins prcieuse, cest le napht. Celle-l existe, elle est visible, on la rencontre en profusion sur la rive occidentale de la mer Caspienne. Nous nous en occuperons en passant Bakou, et en racontant les phnomnes quelle produit. Au nord le Kouban et le Terek, au sud le Cyrus, et lAraxe, forment les limites de listhme Caucasien. Le Cyrus nest autre que

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la Koura, et lAraxe, aujourdhui lAras, est le Jelis des Scythes et le Tanas des compagnons dAlexandre. Sous cette dernire dnomination, on la confondu avec le Don, comme on le confond parfois avec le Phase, aujourdhui le Rioni ou le Rion. Virgile a dit de lui : Pontem indignatus Araxes. LAras et le Rioni coulent en sens inverse. Le premier se jette dans la Kouma, au-dessus des steppes de Moghan, clbres par leurs serpents. Le second se jette dans la mer Noire, entre Poti et Redout-Kaleh. En traversant le Terek, la Koura, lAraxe et le Phase, nous nous occuperons plus particulirement de ces fleuves. Quant au Kouban, que nous laisserons notre droite, il descend de lElbrouz, traverse la petite Abasie, embrasse toute la Circassie, et se jette dans la mer Noire au-dessous de Taman : cest lHypanis dHrodote et de Strabon, et le Vardans de Ptolme. Au XIIIe sicle, lorsque les Tatars envahirent la Scythie, ils le nommrent Kouman et Kouban. Les Russes ont adopt cette dernire dtermination, sous laquelle il est connu aujourdhui sans quon puisse expliquer ltymologie de ce nom. Cest sur ce fleuve que sont situes les colonies cosaques de la ligne droite. Il nen est pas de mme du Caucase, qui doit son nom lun des premiers assassinats commis par un des plus anciens dieux. Saturne, le mutilateur de son pre et lengloutisseur de ses fils, ayant rencontr au moment o il fuyait, vaincu, dans la guerre des Gants, par son fils Jupiter le berger Caucase, paissant ses troupeaux sur le mont Niphate, qui spare lArmnie de lAssyrie, et au pied duquel, selon Strabon, le Tigre prend sa source, celui-ci eut limprudence de vouloir disputer le passage au fuyard. Saturne le tua dun coup de faux, et Jupiter, pour terniser le souvenir de ce meurtre, donna le nom de la victime toute la chane caucasique, dont les montagnes de lArmnie, de lAsie Mineure, de la Crime et de la Perse ne sont, en ralit, que des dmembrements.

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Presque aussitt quil vient de donner un nom la chane caucasique, un de ses plus hauts sommets, le Kasbek, sert dinstrument de supplice Jupiter. Le From-Theuth des Scythes, le Promthe des Grecs, y est attach par Vulcain avec des chanes de diamant, pour avoir cr lhomme et commis le crime de lavoir anim au feu du ciel, quil avait drob et cach dans un roseau creux. From-Theuth, remarquons-le en passant, veut dire, en scythe, divinit bienfaisante ; de mme que Promthe veut dire, en grec, le dieu prvoyant. Et, sans doute, ce fut par prvoyance quil donna lhomme, dit la tradition mythologique, la timidit du livre, la finesse du renard, la ruse du serpent, la frocit du tigre et la force du lion. Est-ce par hasard ou symboliquement qu lhorizon du monde naissant, lhomme aperoit le gibet du premier bienfaiteur de lhumanit ? Quatre mille ans plus tard, la croix devait remplacer le rocher, le Calvaire dtrner le Mquinware. Nous avons dit que le Mquinwari et le Kasbek ne faisaient quune seule et mme montagne. Promthe devait demeurer l trente mille ans. Pendant trente mille ans, un vautour, fils de Typhon et dEchidna car on avait, pour une vengeance si longue, choisi un bourreau-dieu , pendant trente mille ans, un vautour devait lui dvorer le foie. Mais, au bout de trente ans, Hercule, fils de Jupiter, tua le vautour et dlivra Promthe. Dans ces temps de tnbres, o tout relve de la tradition, tandis que Promthe, visit par lOcan, berc au chant des ocanides, maudit cette force brutale sous laquelle est sans cesse forc de plier le gnie, luttant inutilement contre le vautour de lignorance, qui lui dvore, non pas le foie, mais le cur, les rochers du Caucase nont dautres habitants que les Dives, race de gants qui occupent toute la partie du globe abandonne par les eaux. Dans la vieille langue asiatique, dives veut dire tout la fois le

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et gant : Maldives, Laquedives, Serendives. Et, en effet, chaque le ntait-elle pas un gant sortant de la mer ? Tous ces titans qui firent la guerre Jupiter taient-ils autre chose que ces les de la mer ge, aujourdhui volcans teints, autrefois gants jetant des flammes ? Un de ces Dives, nomm Argenk, lve sur une des cimes du Caucase un palais, o la tradition assure quaujourdhui encore sont conserves les statues des rois de cette poque. Un tranger, nomm Huschenk, vint attaquer les Dives, mont sur un cheval marin nageant avec douze pieds. Un rocher, lanc du haut du Demavend, terrasse lui et son cheval, dans lequel il est facile de reconnatre un navire avec ses douze rames. Aujourdhui, une des peuplades les plus belliqueuses du Caucase, les Tcherkesses, se donnent encore eux-mmes le nom dAdighes, dont la racine est ada. Or, ada, en langue tatare, veut dire le. DAda Adam, qui veut dire homme, il ny a quune lettre de diffrence, et, certes, on nous concdera quil existe des tymologies bien autrement obscures que celle-l. Cest au sommet de lElbrouz que Zoroastre place le mauvais gnie Arisman, dont nous avons fait Arimane. Il slance du sommet de lElbrouz, dit Zoroastre, et son corps, tendu au-dessus de labme, semble un pont de flamme jet entre les mondes. Cest enfin sur le Chat-Elbrouz que se tenait lanka, gigantesque vautour, qui est le rok des Mille et une Nuits, et dont les ailes, en souvrant, obscurcissaient la lumire du soleil. Maintenant, abandonnons la tradition, et, comme en un brouillard qui va toujours sclaircissant, essayons de voir clair dans lhistoire du Caucase. Regardez cette mer immense sur laquelle flotte un vaisseau gigantesque. Cette mer, cest le dluge ; ce vaisseau, cest larche. Deux mille trois cent quarante-huit ans avant Jsus-Christ, larche aborde au sommet de lArarat. La semence du monde futur est sauv.

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Deux sicles aprs, Hag fonde le royaume dArmnie, et Thagarmos celui de Gorgie1. Au milieu de ces dates incertaines, Armniens et Gorgiens disent que Hag et Thagarmos taient les contemporains de Nemrod et dAssur. Regardez passer comme une ombre presque sans forme Marpsie et ses amazones. Cette reine belliqueuse part des rives du Thermodon et va donner son nom un rocher du Darial. Jornands cite la reine, et Virgile chante la montagne. Voyez, le jour se fait. Voici son tour Smiramis, la fille des colombes. Elle soumet lArmnie, btit Artmisa, voit tuer dans une bataille son bien-aim le roi Aza le Beau, lensevelit prs du mont Ararat, et revient mourir Babylone de la main de son fils Ninias, cet Hamlet antique, vengeur de la mort de son pre. Mille deux-cent dix-neuf ans avant Jsus-Christ les dates commencent avoir une valeur historique , trente-cinq ans avant la guerre de Troie, un vaisseau tel quon nen avait point encore vu en Colchide, entrait dans le Phase, et venait sarrter sous les murs de la capitale du roi ts, pre de Mde. Cest le vaisseau Argo, parti dIolchos en Thessalie, et mont par Jason, venant redemander la Toison dor. Inutile de raconter la dramatique histoire de Mde et de Jason, tout le monde la sait par cur. La flamme du bcher de Sardanapale claire lOrient, huit cents ans avant Jsus-Christ, selon Justin, huit cent vingt ans, selon Eusbe. Au milieu des dchirements qui suivirent la mort du fils de Phul, tandis que, des morceaux de son empire, trois rois se font des royaumes, Barouer fonde lindpendance de lArmnie. Bientt les Arzenounis, enfants de Sennachrib dont larme, frappe par lange exterminateur, perd en une nuit cent quatrevingt-cinq mille hommes, et qui est tu Ninive par ses deux fils, au pied de lautel de son dieu, entrent en Armnie ; ils ne font quy prcder de vingt ans les juifs captifs de Salmanasar,1. La Gorgie tait alors appele Ibrie.

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envoys par ce conqurant dans la Gorgie et dans le Lasistan. En traversant cette dernire province, et dans le district de Ratcha, on trouve encore aujourdhui une peuplade de juifs guerriers. Ce sont les descendants de ces vaincus de Salmanasar, le destructeur du royaume dIsral. Leurs anctres taient les contemporains du vieux Tobie, dont le fils, conduit par lange Raphal, alla redemander Gablus les dix talents que son pre lui avait prts. Vingt ans plus tard commence la famille des Bagratides, de laquelle descendent les princes Bagration, que nous allons rencontrer sur notre chemin. Deux tiers de sicle scoulent. Les Scythes font invasion en Armnie, par le dfil du Darial, semparent de lAsie Mineure et pntrent jusquen gypte. Dirkan Ier, dont nous avons fait Tigrane, et dont nous verrons les descendants lutter contre Pompe, apparat dans lhistoire pour fonder une dynastie armnienne. Il descend de ce Hag qui a fond, non pas une dynastie, mais un royaume, et il est contemporain de ce Cyrus dont la tte coupe fut plonge par Thomyris dans un vase rempli de sang. Mais, avant de boire aprs sa mort ce sang dont il avait t altr pendant toute sa vie, Cyrus stait empar de la Colchide et de lArmnie. Nous y retrouvons le fils de Darius II, Artaxerce Mnmon. Il y tue de sa propre main, la bataille de Cunaxa, Cyrus le Jeune, qui stait rvolt contre lui et qui avait son service Xnophon, auquel Socrate sauva la vie lors de la bataille de Delium, et qui, des rives du Tigre Chrysopolis, opra cette fameuse retraite des dix mille, raconte par lui-mme, et reste comme un modle de stratgie. Soixante ans aprs, Alexandre part de la Macdoine, traverse lHellespont, dfait, sur les bords du Granique, larme de Darius. Parmi les troupes de Darius, qui vont se faire battre Issus et Arbelles, luttent les peuples du Caucase et de lArmnie, conduits par Oronte et Mifrauste.

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Ici, la renomme du vainqueur de la Perse et du conqurant de lInde devient telle, que la lgende se mle lhistoire. Selon la tradition caucasique, Alexandre se dtourne de sa route pour aller fermer les deux dfils du Caucase : lun Derbend, avec des portes de fer ; lautre dans le Darial, avec ce fameux mur qui, au dire de lAntiquit, stendait de la mer Caspienne la mer dAzof. Mahomet, dans son Koran, consacre la tradition, qui, ds lors, devient une incontestable vrit pour toutes les peuplades musulmanes du Caucase, puisquelle dcoule de la plume du prophte. Seulement, pour lui, le Macdonien est Zoul-Karnan, cest-dire le Bicorne : voyez les mdailles dAlexandre, o, comme fils de Jupiter Ammon, il porte les cornes paternelles, et lexplication de ce nom de Zoul-Karnan vous sera donne. Voici ce que dit Mahomet : Zoul-Karnan, arriv au pied de deux montagnes, y trouva des peuples qui ne comprenaient qu peine le langage oral. Ces hommes sadressrent lui. Zoul-Karnan ! lui dirent-ils, les Yadgougs et les Madgougs ravagent nos terres. Nous te payerons un tribut si tu veux lever une muraille entre eux et nous. Il rpondit : Les dons du ciel sont prfrables vos tributs. Je satisferai vos dsirs ; apportez-moi du fer, et entassez-le jusqu la hauteur de vos montagnes. Puis il ajouta : Soufflez pour embraser le fer. Puis il dit encore : Apportez-moi de lairain fondu, afin que je ly verse. Les Yadgougs et les Madgougs ne purent dsormais ni franchir ce mur ni le percer. Cela a t fait par la grce de Dieu ; mais, quand lpoque quil a dsigne sera venue, il renversera ce mur. Dieu nannonce rien en vain.

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Quelques historiens renchrissent sur le texte que nous venons de citer. Ils entrent dans les dtails de la construction de ce mur ; il tait bti de briques de fer et de cuivre, soudes ensemble et recouvertes dune couche dairain fondu. De temps en temps, les gardiens de ce mur venaient frapper grands coups de marteau sur les portes dairain, ce qui indiquait aux Madgougs et aux Yadgougs que le mur tait bien gard. Un demi-sicle aprs ce prtendu passage dAlexandre, Pharnabase dlivre la Gorgie de la domination des Perses, et fonde lalphabet gorgien. De leur ct, Artaxias et Zaziadias profitent de la dfaite et de la mort dAntiochus le Grand pour dlivrer lArmnie du joug syrien. Cette mort laisse Hannibal sans appui. LArmnie alors voit arriver le vainqueur de Trasimne et le vaincu de Zama. On btit sur ses plans la ville dArtaxate, que dtruira plus tard Corbulon, et que Tiridate rebtira sous le nom de Nronia, en lhonneur de Nron. Mais, deux cents ans avant cette reconstruction, Mirvant Ier fonde, en Gorgie, la dynastie des Nbrotides, et Vagaschak, en Armnie, celle des Arsacides qui bientt semparent du trne de Gorgie. Cest ce Vagaschak, appel par les historiens Tigrane II, qui est le pre de Tigrane le Grand, lequel se fait appeler le roi des rois, dclare la guerre aux Romains, envahit la Cappadoce, conquiert la Syrie, mais rencontre Lucullus, qui le bat, lve sur lui un tribut de trente-trois millions de notre monnaie, et lui prend la Syrie, la Cappadoce et la petite Armnie, fait la Colchide province romaine, remonte le Phase, parvient jusquaux montagnes de lElbrouz et du Kasbek, et ne recule, lui et son arme, que devant les serpents des steppes de Moghan. Deux ans plus tard, Mithridate, battu par Pompe, traverse le Caucase, franchit le Don et se rfugie en Tauride. Il parlait les vingt-quatre langues de ses vingt-quatre peuples. Les Romains alors occupent la Gorgie, lImrtie et lAlbanie, aujourdhui la Kaktie. Quant lArmnie, elle est conquise par Marc-Antoine,

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trente ans aprs la mort du roi de Pont. Enfin, le Christ nat, sans que cette naissance, qui va changer la face du monde, ait aucun retentissement dans le Caucase. Seulement, lanne mme de la mort du Christ, Afgar, roi dEdesse, se fait baptiser, et sept ans aprs, saint Andr et saint Simon viennent prcher la religion chrtienne dans le Meshi, aujourdhui le district dAkhaltsik. Cest la premire rvlation de ce grand sacrifice qui doit tre, pour le monde moderne, ce que celui de Promthe a t pour le monde antique. II DU CHRIST MAHOMET II Les empereurs romains se sont succd : Tibre a remplac Auguste ; Caligula, Tibre ; Claude, Caligula. Nron est sur le trne depuis douze ans. Il voyage en Grce comme musicien et comme pote, et recueille couronnes sur couronnes, tandis que Vindex rve sa rvolte des Gaules, et Galba son soulvement dEspagne. Corbulon, vainqueur des Parthes, envahit lArmnie, prend et dtruit Artaxate, cette seconde Carthage fonde par Annibal, et force Tiridate, que les Parthes ont nomm leur roi sans le consentement des Romains, dposer la couronne pour la recevoir des mains de lempereur. Lempereur, jaloux, fait dire Corbulon de se tuer. Corbulon obit en se passant lui-mme, Corinthe, son pe au travers du corps. Treize ans aprs, la ville dErivan slevait sur le champ de bataille mme o Erovant, qui avait chass Ardaschs du trne dArmnie, est battu par les Perses. Un soldat de fortune, adopt par Nron, monte sur le trne romain qui est devenu le trne du monde. Les peuplades caucasiques le voient apparatre lanne mme de son avnement, vain-

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queur de lArmnie, de lIbrie et de la Colchide. Il donne un roi aux Albanais et disparat dans la direction de lEuphrate, o il va branler jusquen ses fondements lempire des Arsacides, qui ne tombera que trois sicles plus tard. Ce parvenu, cest lhomme sous lequel le monde se reposera un instant des rgnes de Caligula, de Claude et de Nron. Cest Trajan. Un demi-sicle aprs, lavant-garde des nations fauves entrevues par Csar, apparat dans le Caucase. Ce sont les Goths, vainqueurs des Scandinaves, des Cimbres, des Vendes, des Burgunds, des Lazes et des Finnois. Ils chassent devant eux les Alains, qui errent avec leurs troupeaux dans les vastes steppes que nous allons parcourir, et stablissent sur les bords de la mer Noire, o les Huns les rencontreront leur tour et les dvoreront en passant. Pendant ce temps, se fonde la nouvelle capitale de lArmnie, Vagaschapade, aujourdhui le village du mme nom qui entoure le monastre dEtschmiadzine. Mais peine la ville est-elle acheve, que les Kashgars frappent leur tour aux portes Caucasiennes, que ne garde plus la mmoire dAlexandre. Ils viennent des plaines du bas Volga, traversent le dfil de Darius la tradition voulait que ce ft ce roi des Perses qui et donn son nom au Darial , se rpandent dans lArmnie, aprs avoir forc les Avares se retirer dans les gorges de Guimry, o nous retrouverons leurs restes en gravissant les sommets du Karanae, et assistent la rvolution qui met les Sassanides de Perse sur le trne de Gorgie. Vers la mme poque, le lion couch aux bords du Tibre tend de nouveau sa griffe vers le Caucase. Lempereur Tacite, qui avait fait valoir, pour monter sur le trne romain, quil comptait le grand historien parmi ses anctres, avait t, lge de soixante et dix ans, lu par le snat. Il avait t lu, disait larrt du snat, cause de ses vertus. Aussi fut-il assassin au bout de six mois. Ces empereurs ver-

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tueux ne vont pas aux peuples en dcadence. Pendant ces six mois de rgne, il battit les Goths et repoussa les Alains dans les gorges du Caucase. Profitant de linstant de repos que donne cette victoire, Tiridate II devient roi dArmnie. Le christianisme stablit dans son royaume. Le monastre dEtschmiadzine est fond la voix de sainte Nina ; les croix slvent la place des idoles. Tiridate meurt aprs avoir chass les Kashgars de lArmnie et de la Gorgie. Bakhouri Ier, roi de la Gorgie nous devrions dire, roi dIbrie, car la Gorgie proprement dite nexiste qu partir du e XII sicle, et nest nomme de ce nom que par Mekhisar dAirivank, historien armnien qui vivait au XIIIe , Bakhouri Ier fait la guerre aux Perses, qui ont vaincu lArmnie, laquelle est, dun autre ct, menace par les barbares du Nord. Ces derniers sont repousss par Waghan Amatouni, qui les bat Vagashapade, sur le mme champ de bataille o les Russes battront les Perses en 1827. Mais les Perses pntrent leur tour jusquau pied des montagnes du Caucase, et btissent une forteresse lendroit o, un sicle plus tard, le roi Vakhtang jettera les fondements de Tiflis. Pendant ce temps, lArmnie arrte les bases de sa langue moderne, et la future Gorgie fonde son criture sacre. Lheure des Arsacides est arrive ; cette dynastie, qua vainement voulu renverser Trajan, est remplace par les Sassanides, qui succdent aux rois Parthes et qui prcdent les califes musulmans. Son premier souverain voit Vakhtang-Gourgaslan monter sur le trne de Gorgie, fonder Tirflis, conqurir la Mingrlie et lAbasie, repousser les Perses et soumettre les Osses et les Petchengues. Vakhtang Ier meurt en 499, au moment o les Armniens se jettent dans lhrsie, et o les Suves, qui vont tre entrans par les Huns dans leur course vers lOccident, apparaissent dans lancien royaume de Mithridate.

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Cest alors que le Caucase entend retentir, jusque dans ses valles les plus profondes, les pas de ce peuple qui, dans sa marche, va couvrir la moiti du monde et emplir lautre de bruit. Il vient des grands plateaux du Thibet, au nord du dsert de Kobi ; il a soumis les Mandchoux, forc les Chinois dlever la grande muraille, et, spar en deux hordes immenses, il se rpand, comme un double dluge, aux deux cts de la mer Caspienne. Les uns sarrteront sur les bords de lOxus, dans le Turkestan actuel, o ils auront pour capitale lancienne Bactriane, et finiront, aprs avoir longtemps lutt contre les Perses, par se confondre avec les Turcs. Ce sont les Huns blancs ou Ephtalites. Les autres, les Huns noirs ou Cidarites, sarrteront un instant louest de la mer Caspienne, entre lembouchure du Terek et Derbend ; puis ils forceront leur tour les portes du Darial, dont les gonds sont briss par les Kashgars ; se rpandront vers lOccident, traverseront les Palus-Motides, guids par une biche qui leur montrera le chemin quils doivent suivre pour ne pas sengloutir dans ces vastes marais. Puis, aprs avoir subjugu les Alains, dtruit lempire des Goths, ils iront se briser dans les plaines de la Champagne contre la Gaule qui meurt, contre la France qui nat. Derrire eux commence la chronologie armnienne et se fonde la dynastie des Bagratides, dont la famille est dj clbre depuis plus de douze cents ans. Tout coup, un ennemi auquel on ne songeait pas apparat dans les rgions caucasiques et sempare de Tiflis. Cest lempereur Hraclius, cet infatigable discuteur en thologie ; fils dun exarque dAfrique, il a renvers Phocas, sest fait proclamer empereur en 610 ; mais, de 610 621, son rgne na t quun long dsastre. Les Avares lui ont pris lAsie Mineure et les Perses lgypte. Presque rduit aux murs de Constantinople, il a fait un suprme effort ; il sest mis la tte de son arme, a battu Chosros II, reconquis lAsie Mineure et a pntr

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jusquau pied du Caucase. Mais, pendant quil remonte vers le nord, les lieutenants du calife Abou-Bekre lui prennent Damas. Jrusalem se rend au calife Omar ; la Msopotamie, la Syrie et la Palestine se dtachent de lui. En compensation de ces revers, cest lui que Dieu rserve la gloire de recouvrer la vraie croix. Il la reoit des mains de Syros. Alors vient le tour des Arabes. Cest lpoque des grands mouvements des peuples. On dirait que chaque nation, mal laise dans le berceau que la nature lui a fait, va chercher dautres cieux et une autre patrie. Les Arabes apportent la parole de Mahomet, qui vient de fonder leur empire. Ils se sont empars de la Syrie, de lgypte, de la Perse. Ils marchent, travers lAfrique et lEspagne, sur la France, et, si Dieu, lheure quil est, ne leur prparait pas Charles Martel, la tte et la queue du serpent oriental se fussent un jour, malgr Sobiesky, rejointes Vienne. Mais, tandis que Justinien II, qui ses sujets ont coup le nez un jour de rvolte, se rfugie dans lle de Taman, tandis que Mourvan le Sourd fait invasion en Armnie et en Gorgie, que les Gorgiens arrtent leur chronologie de la fte de Pques de lan 780, un nouveau peuple se forme de lautre ct du Caucase, qui prendra un jour, sur la terre, plus de place que nen aura pris aucun des anciens peuples qui lauront prcd. Ce peuple, peu prs ignor des Romains, qui, aprs avoir renvers les murailles de tous les peuples, ont t frapper aux portes du monde inconnu, est le peuple slave, qui, parti de la Russie mridionale, a fini par envahir tout le pays qui stend dArkhangel la Caspienne, cest--dire de la mer de glace la mer de feu. Vainement les Goths, les Huns, les Bulgares staient-ils, pendant quatre sicles, disput le terrain et rpandus du Volga au Dnieper, ltablissement de leurs empires successifs navait t quune halte. Comme des torrents un instant arrts, ils avaient repris leur cours, les uns vers loccident, les autres vers le midi, et, au milieu de cette inondation, on avait vu sle-

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ver Novgorod la Grande et Kiev, qui, du haut de leurs murailles, regardaient scouler ces vagues qui en avaient un instant battu le pied. Enfin, en 862, les Slaves avaient appel au trne de leur empire les trois princes vargues, Rourik, Sinaf et Trouvor. Rourik avait rapidement succd ses deux frres, et tait mort, laissant la rgence de son fils Igor son frre, homme de gnie quon appelait Oleg, lequel, aprs avoir conquis Smolensk et Lioubitch, rendu tributaires les Serviens, les Radimitches, les Drviens, avait conduit vers Constantinople deux mille de ces hommes quil avait dresss ne sarrter devant aucun obstacle et ne reculer devant aucun danger. Constantinople avait eu peur, en voyant celui quelle appelait un barbare, clouer contre sa porte, avec un poignard, les conditions de sa retraite : Lon VI avait souscrit ces conditions et les Russes staient retirs. Mais, en passant, ils staient empars de la forteresse de Barda, qui est aujourdhui un village du district dElisabethpol. Ctait un pied--terre quils gardaient dans la Gorgie. Aussi, trente ans plus tard, firent-ils une invasion dans le Tabaristan et la terre de naphte. Le chemin tait fray. Le grand-duc Sviatoslaf traverse alors tout le Kouban et vient jusquau pied du Caucase battre les Osstes et les Tcherkesses. Une garnison russe reste Taman. Pendant ce temps, Bagratz III, roi dAbasie et de Karthli, fonde la cathdrale de Koutas. Dans une des inscriptions graves sur ses murailles, on trouve les premires traces des chiffres arabes. La cathdrale de Koutas porte la date de lan 1003. Vous avez vu les Russes semparer de la forteresse de Barda en 914, pntrer dans le Tabaristan en 943, battre les Osstes et les Tcherkesses en 967 et laisser une garnison Taman. En 1064, Rotislaf Vladimirovitch se fait de cette le une principaut souveraine.

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Pendant que les Russes savancent, marchant du Nord au Midi, les Turcs arrivent du Midi au Nord. Ce sont les Seldjoucides, sortis des steppes du Turkestan. Ils sont commands par Arslan, neveu de Togroul-Beg, qui vient de mourir Bagdad, dont il sest rendu matre. Il sempare de lAsie Mineure, de lArmnie et de la Gorgie. La masse granitique du Caucase les spare encore des Russes. Quand les deux gants se seront pris corps corps, Hercule et Ante ne se lcheront plus. Il est probable que la Russie est Hercule et que la Turquie est Ante. Par bonheur pour la Gorgie, un de ses plus grands rois monte sur le trne : cest David III, dit le Sage. Il oppose barbares barbares, pousse les Kashgars contre les Turcs ; et, aprs avoir dlivr son pays, il laisse le trne Dmtrius Ier, qui dvaste la ville de Derbend et lui enlve ses portes de fer, quil dpose dans le monastre de Gelatz, o nous en voyons encore une aujourdhui. Lautre a t enleve par les Turcs. Enfin, de 1184 1212, rgne la reine Tamara. Cest la grande poque gorgienne. Lillustre amazone, dont le nom est rest populaire sur les deux versants du Caucase, bat les Armniens, les Turcs et les Persans, soumet les montagnards que nul na soumis avant elle, que nul ne soumettra probablement aprs elle, les baptise bon gr mal gr, et finit par se marier avec le prince russe, fils dAndr Bagaloubski. peine est-elle dpose dans ce glorieux tombeau que chantent encore aujourdhui les potes gorgiens, quon entend un grand bruit du ct de lorient. Ce sont les Mongols de TchengisKhan, lequel, aprs avoir conquis la Chine septentrionale et la Perse orientale, vient borner sa course Tauris dans lIran. Les dernires vagues de cette grande invasion battent la Gorgie, mais sans la submerger. Il nen est point de mme de Timour-Lang, son descendant par les femmes : aprs avoir soumis toute lAsie lest de la mer Caspienne, envahi la Perse, remont jusquaux steppes de

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Kirghis, il traverse le Daghestan et la Gorgie, longeant les deux bases du Caucase, qui semblent un large cueil cartant des vagues de barbares. Mais il ne fait que passer. Il est vrai que sur son passage il a tout ravag, comme et fait un torrent ou un incendie ; il va dtruire Azof. Puis il part pour lInde, livre la bataille de Delhi, remplit lIndoustan de sang et de ruines, revient vaincre et faire prisonnier Bajazet Ancyre, se retourne vers la Chine, quil veut conqurir la tte dune arme de deux cent mille hommes, et meurt en chemin Otrar, sur le Si-Houn. Pendant ce temps, Alexandre Ier divise la Gorgie entre ses fils, et commence le deuxime royaume dImrtie. Un grand vnement vient de saccomplir. La vieille Byzance, ravage et dtruite sous Septime Svre, rebtie et restaure sous Constantin, qui lui donne son nom, seconde capitale du monde sous les empereurs romains, premire capitale dOrient sous les empereurs grecs, assige inutilement par les Avares, par les Perses et les Arabes, rachete des Vargues, prise par les croiss, qui y fondent lEmpire latin, reprise par Michel Palologue, qui y tablit lEmpire grec, vient de tomber aux mains dun nouveau matre. Mahomet II sen empare en 1453 et en fait la capitale de lEmpire ottoman. III DE MAHOMET II A SCHAMYL Les populations du Caucase, ayant en tte les Colchidiens, envoient au vainqueur des dputations pour le fliciter. Les Armniens obtiennent de lui que leur patriarche aura un trne Constantinople. De leur ct, les populations chrtiennes se rattachent aux puissances chrtiennes. Le roi de Kaktie, Alexandre, envoie une ambassade Ivan III, qui est occup chasser les Tatars de la

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Russie. Cest que les populations chrtiennes du Caucase sont menaces, non seulement par les Turcs, ce nouvel ennemi quelles ont dj entrevu, mais encore par leurs vieux ennemis, les Perses. Ismal Sfy, premier des schahs de Perse de la dynastie des Sofis, a pris le Chirvan de la Gorgie. Cest sans doute ce qui dtermine les habitants de la montagne de Bectar, prs de Petigorsk, se rendre Ivan le Terrible, qui vient de prendre Kasan lanne prcdente, cest--dire en 1552. Trois ans aprs, Ivan le Terrible pouse Marie, fille de Temrouk, prince tcherkesse. Rien dtonnant ds lors ce que les Russes fondent sur la mer Caspienne, au pied des montagnes du Caucase, la forteresse de Tarki. De leur ct, Perses et Turcs, au lieu de se dtruire, comme lavaient un instant espr les populations chrtiennes du Caucase, se partagent la plaine et la montagne. Les Perses prennent Schoumaka, Bakou, Derbend, avec lesquelles ils communiquent par le littoral de la mer Caspeinne. Les Turcs prennent Tiflis, lImrtie, la Colchide et fondent Poti et Redout-Kaleh. Noy dans ce dbordement, le roi de Kaktie, Alexandre II, demande lamiti de Fdor Ivanovitch, ce pauvre tzar dun instant, qui sen va mourant de la fivre, aux mains de son terrible tuteur, Boris Godounof. Mais, pendant ce temps, saccomplissait en Perse une rvolution dont la Gorgie allait prouver le contre-coup. Schah-Abbas, qui rgnait sur la province du Khorassan, sempare du trne de Perse, do il renverse son pre, tue ses deux frres, apparat au pied du Caucase, chasse les Turcs de Tiflis, stablit leur place, et revient mourir Ispahan, dont il fait la capitale de son empire. Il va sans dire quun homme qui a dtrn son pre et tu ses deux frres, a mrit un titre part. Lhistoire le nomme SchahAbbas le Grand. Sur lautre versant du Caucase, les Russes poursuivent leur

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uvre. Boutourline et Pleinhief font des excursions dans les proprits du champkal, cest--dire sur les terres qui stendent de Temirkhan-Choura Tarki, et le roi de Karthli, Georges, commence payer limpt Boris Godounof. Vers le mme temps, Schah-Abbas, pour mriter de plus en plus son titre de grand, dvaste la Kaktie ce point que son roi, Tymourah Ier, prie le tzar Michal Fderovitch le premier Romanof rgnant de laider contre les Perses. On sait en politique quelles sont les suites dune pareille demande. Vingt ans plus tard, la Kaktie tait une province de lempire de Michal Fdorovitch, avec la permission de garder ses souverains. Georges III, roi dImrtie, Mania II, possesseur de la Gourie, et le dadian de Mingrie font avec la Russie le mme trait. Alors, Alexis Michalovitch comprend que la chose vaut la peine de sen occuper. Il vient Koutas1 et y reoit la soumission de ses nouveaux allis. Cest le titre que lon donne ces rois vassaux. son tour, Tymourah, roi de Kaktie, voyage en Russie. Il y est reu en roi. Le passage du Darial devient une grande route. Par cette grande route, les Armniens reoivent la permission de faire passer en Russie leurs soies et les soies des Perses. Lexemple st suivi par Pierre le Grand, qui veut ajouter deux mers son empire. Moussine Pouschkine reoit de lui lordre dtablir des relations de commerce avec Derbend et Schoumaka. Cette mesure produit ses fruits. En 1718, le champkal de Koumouck se met sous la protection de Pierre, et les matres du Karaback lui envoient une ambassade. La Russie est la porte de Derbend. Trois ans aprs, le 23 aot 1722, cette porte souvre. Nous verrons dans la ville dAlexandre la petite maison quy a habit le vainqueur de Poltava, et les canons quil y a transports de sa fabrique de Voronje. Pierre revient par le Daghestan, et, reconnaissant au Seigneur1. Ce voyage est contest par quelques historiens.

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davoir atteint son but, il fonde entre les trois rivires du Kouassou, du Soulak et dAgrakan, une forteresse laquelle il donne le nom de Sainte-Croix. Il a laiss Derbend un commandant des bords de la mer Caspienne ; lanne suivante, le gnral Mathuskine cest le nom du commandant occupe Bakou. mesure que Pierre Ier savance au midi, les Turcs remontent vers le nord. Tiflis, quils avaient abandonne Schah-Abbas le Grand, est reprise par eux, et le roi Vacktang IV, accompagn dun grand nombre de Gorgiens, se rfugie en Russie. Cest un exemple pour le prince de Kabardah, qui se met sous la protection de limpratrice Anne-Ivanovna. Mais un grand homme reparat dans la monarchie perse, en mme temps quun grand homme a disparu dans la monarchie russe. Un conducteur de chameaux se fait chef de brigands, sempare main arme du Khorassan, la faveur des troubles qui, en 1722, suivent la chute de Hussein ; entre avec sa bande au service de Thamasp, fils de Hussein ; enlve Ispahan ; se popularise par ses victoires ; prend le nom de Thamasp Kouli-Khan, cest--dire de chef de serviteurs de Thamasp ; dpose ce prince, le remplace par son fils, g de huit mois, qui ne tarde pas mourir ; se fait proclamer empereur sous le nom de Nadir-Schah ; reprend Bakou et Derbend ; chasse les Turcs de la Kaktie et de Karthli ; reconquiert Tiflis et Erivan ; traverse en vainqueur le Daghestan ; punit Derbend, qui sest rvolte contre lui ; retourne pour soumettre le Kandabar ; attaque le Grand Mogol dans lIndoustan, prend Delhi, en rapporte un butin valu cinq milliards de notre monnaie, et finit par tre assassin au mois de juin 1747, cest-dire vers lpoque o Hracle, roi de Gorgie, bat les Perses prs dErivan, et o Tymourah II, roi de Karthli, meurt Astrakan, o il sest rfugli. Enfin Catherine II monte sur le trne, fonde le gouvernement civil de Kislar, et fait transporter cinq cent dixsept familles de Cosaques du Volga et cent familles de Cosaques du Don sur le Terek, en forme le rgiment des Cosaques de Mosdock, et donne chacun des soldats qui le composent un

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rouble, un sabre et une masse dhonneur. Nous les rencontrerons sur notre route, et nous nous arrterons chez eux. Ds lors, la Russie agit peu prs en matresse chez les populations caucasiennes. Le gnral Totleben fait une invasion en Mingrlie, et remporte sur les Turcs la victoire de Koutas. Quatre ans aprs, le trait de Koutchouck-Kaynardji dlivre des Turcs la Gorgie et lImrtie ; mais la ligne militaire russe se forme entre Mosdock et Azof ; les stanitzas cosaques sont fondes, et les habitants de Kasi-Koumouck sont punis pour avoir fait prisonnier le voyageur russe Gmelin. En 1781, la Turquie cde dfinitivement la Russie la Crime et le Kouban. En 1782, le roi dIrmtie, Salomon Ier, meurt. En 1783, en mme temps que Souvarof soumet les hordes de Tatars Nogas, Catherine prend sous sa protection Hracle, roi de Kaktie et de Karthli. En 1785 est cre la lieutenance du Caucase, compose des districts dEkaterinogratz, de Kistar, de Mosdock, dAlexandrof et de Stavropol. Ekaterinogratz est institu chef-lieu de la lieutenance. Les trangers reoivent la permission de stablir dans le gouvernement du Caucase, dy travailler et de faire le commerce en toute libert. Enfin, en 1801, lempereur Paul rend un oukase qui runit la Gorgie la Russie, et son successeur, Alexandre Ier, en rend un autre qui lui donne pour gouverneur le gnral Knoring. Vers le mme temps o mourait, assassin au palais Rouge, Saint-Ptersbourg, le fils de Catherine II, naissait Guimry, au milieu de ce dbris du peuple avare, dmembrement de la famille lesghienne retire dans les montagnes du Daghestan pour y conserver sa libert, un enfant qui reut le nom de SchamouilEffendi. Cet enfant, cest Schamyl.

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IV POQUE MODERNE Depuis que le regard pntre dans lhistoire du Caucase, on voit la gigantesque chane de montagnes offrant ses valles comme un refuge aux proscrits de toutes les causes et de toutes les nations. chaque nouvelle mare de barbares qui monte : Alains, Goths, Avares, Huns, Kashgars, Persans, Mongols, Turcs, un flot humain gravit les pentes extrieures du Caucase et redescend dans quelque gorge, o il sarrte, se fixe, stablit. Cest un nouveau peuple qui vient sajouter aux autres peuples ; cest une nationalit nouvelle qui vient se joindre aux autres nationalits. Demandez la plupart de ces peuples de qui ils descendent, ils ne le savent pas ; depuis combien de temps ils habitent leur valle ou leur montagne, ils lignorent. Mais ce quils savent tous, cest quils se sont retirs l pour conserver leur libert, et quils sont prts mourir pour la dfendre. Si vous leur demandez : Combien de peuplades diffrentes formez-vous depuis la pointe de lApcheron jusqu la presqule de Taman ? Autant vaut compter, diront-ils, les gouttes de rose qui tremblent lherbe de nos prairies aprs une aurore de mai, ou les grains de sable que soulvent les ouragans de dcembre. Et ils ont raison. Lil se trouble les suivre dans les plis de leurs montagnes ; lesprit se perd chercher les diffrences de races qui se subdivisent en familles. Quelques-uns de ces peuples, comme les Oudioux, parlent une langue que non seulement personne ne comprend, mais encore qui na sa racine dans aucune langue connue. Voulez-vous que nous tentions de compter ces tribus diffrentes, et de vous dire de combien dhommes chacune delles se compose aujourdhui ? Soit : nous allons lessayer.

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Individus Race abkase. Elle se divise en quatorze familles, et donne................................................................................ Race souante. Elle se divise en trois familles, et donne. Race adique ou tcherkesse. Elle se divise en seize familles, et donne.............................................................. Race ubique. Elle se divise en cinq familles, et donne... Race nogas1 Elle se divise en cinq familles, et donne... Race osste. Elle se divise en vingt et une familles, et donne................................................................................ Race tchetchne. Elle se divise en vingt et une familles, et donne............................................................................. Races touschine, pchave et chevsourc. Elles se divisent: - Touschine, en trois familles qui donnent......................... - Pchave, en douze familles qui donnent.......................... - Chevsoure, en quatre familles, qui donnent.................... Race lesghienne. Elle se divise en trente-sept familles, qui donnent.................................................................... En tout : 11 races, 122 familles.......................................

144 552 1 639 290 549 25 000 44 989 27 339 117 080 4 079 4 232 2 505 397 701 1 059 665

La race abkase stend sur le versant mridional du Caucase, sur les bords de la mer Noire, de la Mingrlie la forteresse Gagri ; elle sappuie au mont Elbrouz. La race souante stend le long de la premire partie du fleuve Ingour ; elle descend jusquaux sources du Zhniszkale2 . La race adique ou tcherkesse stend du mont Kouban aux embouchures du fleuve du mme nom, puis sallonge vers la mer Caspienne, en occupant la grande et la petite Kabardah. La race ubique stend entre lAbasie et le fleuve Soupa. La race nogas est enferme entre le gouvernement de Stavropol et les Tcherkesses. La race osste stend entre la grande Kabardah et le mont1. Ne pas confondre avec les Tatars Nogas des steppes, depuis longtemps soumis la Russie. 2. En gorgien : leau du cheval.

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Kasbek. Le dfil du Darial la borne lest et le mont Ouroutpich louest. La race tchetchne stend de Vladikavkas, TemirkhanCoura, et du mont Barboulo au Terek. Les Touschines stendent des sources du Kouassou aux sources de la rivire Yora. Enfin, la race lesghienne occupe le Lesghistan, cest--dire tout lespace compris entre le fleuve Samour et le Kouassou... Un lien politique et difficilement runi des hommes dorigine, de murs, de langues si diffrentes. Il fallait un lien religieux. Kasi-Moullah fonda le muridisme. Le muridisme, qui se rapproche du wahabisme, est au mahomtisme ce que le protestantisme est la religion chrtienne : une svrit plus grande introduite dans la loi. De son nom, ses aptres sappellent murchites, et les adaptes murides. Le prcepte absolu de la religion muride est labandon le plus complet des biens de ce monde, pour la contemplation, la prire et le dvouement. Ce dvouement, qui est dun pour tous et de tous pour un, ressort de la plus complte dmocratie, mais a pour base premire lobissance absolue aux ordres du chef, cest-dire limam. Un muride doit obir limam sans discuter, sans raisonner, limam lui ordonnt-il lassassinat, limam exiget-il le suicide. Cest la soumission passive du jsuite son gnral, de lassassin au Vieux de la Montagne. Un des premiers besoins du montagnard est de fumer. Un jour, Schamyl ordonna que personne ne fumt plus, et que largent destin lachat du tabac ft employ lachat de la poudre. Personne ne fuma plus. Kasi-Moullah employa vingt annes tablir son pouvoir sur ces bases. peine savait-on son existence, peine connaissait-on son nom dans la plaine, quil tait dj absolu dans la montagne. Un jour, le 1er novembre 1831, il se rvla par un coup de tonnerre : il descendit des montagnes, fondit sur la ville de Kisslar, la dvasta, et coupa six mille ttes. Enhardi par ce coup de main,

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il bloqua Derbend ; mais, cette fois, il est repouss et rentre dans ses montagnes. Dans ces expditions, il avait ses cts un jeune homme de vingt-six vingt-huit ans, nomm Shamouil-Effendi ; ce jeune homme savait lire et crire, affectait une grande pit, et Kasi-Moullah, aprs lavoir choisi pour nouker, avait fini par le prendre pour muride. De son cuyer, Schamouil-Effendi tait devenu son disciple. Ce jeune homme, sur lequel la faveur de Kasi-Moullah attirait les yeux, tait n, disait-on, Guimry. Quelques-uns prtendaient lavoir vu danser et chanter dans le caf et sur la place de ce village. Mais, de quinze vingt ans, il avait disparu, et nul ne pouvait dire o il avait pass ces cinq annes. Dautres assuraient que ctait un esclave qui avait chapp aux Turcs et stait rfugi dans les montagnes. Cette seconde version tait peu accrdite et passait pour tre rpandue par ses ennemis ; car, tout jeune quil tait, sa faveur prs de Kasi-Moullah lui avait dj fait des ennemis. Les succs et la hardiesse de Kasi-Moullah lui taient venus de ce que les Russes avaient t obligs de faire la guerre deux nouveaux, ou plutt deux vieux ennemis, les Persans et les Turcs. Le 6 septembre 1826, la guerre avait t dclare par la Turquie la Perse ; le 13 septembre de la mme anne, le gnral Paskevitch avait battu les Persans Elisabethpol ; le 6 mars 1827, le gnral Paskevitch avait t nomm commandant en chef du Caucase ; le 5 juillet de la mme anne, on avait battu AbbasMirza prs du village de Djavan-Boulai ; le 7 juillet, on avait pris la forteresse dAbbas-Abada, le 20 septembre celle de SardahAbada, le 1er octobre celle dErivan. Enfin, on avait pass lAraxe, pris les villes dArdebel, de Marigni, dOurmia, et, le 10 fvrier 1828, on avait sign un trait de paix dans le Turkmenchay. Par cette paix, les khanats dErivan et de Nachvan revenaient la Russie. Les Turcs avaient succd aux Perses. Le 14 avril de la mme

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anne, la guerre leur avait t dclare. Le 14 juin, on leur avait pris la forteresse dAnapa, le 23 Kharse, le 15 juillet Poli, le 24 juillet Akhalkalak, le 26 Hertwis, le 15 aot Akhaltsik, le 28 aot Bajazid. Enfin, en 1829, le 20 juin, le gnral Paskevitch remporte sur les Turcs, au village de Kaidi, une victoire dcisive ; le 2 septembre, la paix est sign Andrinople, et, par cette paix, la Turquie cde la Russie toutes les forteresses qui lui ont t prises pendant la guerre. La paix faite avec la Perse, les Turcs battus, les Russes respirrent. Il fut dcid que le gnral baron Rosen ferait une expdition dans le Daghestan, et descendrait dans lAvarie et la Tchetchnie. On descendit, en effet, par la montagne du Karanae et lon mit le sige devant Guimry. Il faut avoir vu un de ces villages montagnards pour savoir ce que cest quun sige. Chaque maison, crnele, est une forteresse attaque et dfendue, quil faut prendre travers des vagues de feu. Guimry fut dfendu avec acharnement ; KasiMoullah, Gamsah-Beg, son lieutenant, et Schamouil-Effendi taient l. Guimry fut pris, Gamsah-Beg schappa ; KasiMoullah tu, Schamouil-Effendi lgrement bless, restrent sur le champ de bataille. Pourquoi, lgrement bless, Schamouil-Effendi restait-il sur le champ de bataille ? Pour deux raisons : son cheval avait t tu sous lui, et sa blessure ouverte, son corps tout couvert de sang, devaient faire croire aux Russes quil tait mort et amener son salut. Ce fut ce qui arriva. Puis il avait un autre motif. Ds que les Russes eurent quitt le champ de bataille, ce qui eut lieu la tombe de la nuit, il se leva, chercha le corps de son matre, quil avait vu tomber, le retrouva et lassit dans la possition dun homme qui est mort en priant, et qui prie mme aprs sa mort. Cette bataille avait cot la vie Kasi-Moullah, cest vrai, mais ctait en mme temps le triomphe du muridisme, et Schamouil-Effendi comptait fort sur le muri-

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disme pour sa future lvation. En effet, il rejoignit ses compagnons, leur donna Kasi-Moullah pour un martyr dont il avait reu les dernires instructions et recueilli le dernier soupir, et, sans se prsenter encore comme son successeur, commena de sappeler son disciple bien-aim. Les montagnards, ramens sur le champ de bataille aprs le dpart des Russes, y trouvrent le cadavre de Kasi-Moullah dans la posture que Schamouil avait dite, et personne ne douta plus que Shamouil, layant assist ses derniers moments, net reu ses instructions suprmes. Cependant lheure ntait pas encore venue pour Schamouil. Il sentait quil y avait entre lui et limamat un obstacle vivant et infranchissable. Ctait Gamsah-Beg, ce lieutenant de Kasi-Moullah dont nous avons dj parl. Gamsah-Beg lui-mme, quelle que ft sa popularit, ntait pas sr dhriter du suprme pouvoir. Il dut son audace datteindre son but. Lorsquil connut, dune manire certaine, la mort de Kasi-Mullah, il envoya tous les moullahs du Daghestan linvitation de se rassembler dans le village de Karadach, o il allait se rendre lui-mme pour leur annoncer une importante nouvelle. Les invits vinrent au rendez-vous. midi, cest--dire lheure o les muezzins appellent les fidles la prire, Gamsah-Beg entra dans le village, accompagn de ses murides les plus braves et les plus dvous. Il marcha hardiment la mosque, fit son hommage, et, se retournant vers le peuple, il dit dune voix ferme et leve : Sages compagnons du tharicat1, respectables moullahs, et chefs de nos illustres associations, Kasi-Mooullah est tu, et maintenant il prie Dieu pour vous. Soyons-lui reconnaissants de son dvouement notre cause sainte, soyons plus braves encore, puisque sa bravoure nest plus l pour seconder la ntre. Il nous protgea dans nos entreprises, et, puisquil nous a prcds lhaut, il ouvrira de sa main les portes du paradis ceux de nous1. Le muridisme, sur lequel nous reviendrons, se spare en deux parties : chariat et tharicat ; nous donnerons lexplication de chacun de ces deux mots.

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qui mourront en combattant. Notre croyance nous ordonne de mener la guerre contre les Russes, afin de dlivrer nos compatriotes de leur joug. Qui tuera un Russe, cest--dire un ennemi de notre sainte religion, gotera la flicit ternelle ; qui sera tu dans le combat, sera port par les bras de la Mort dans ceux des houris bienheureuses et toujours vierges. Retournez chacun dans vos aouls, rassemblez le peuple, transmettez-lui les conseils de Kasi-Moullah, dites-lui que, sil ne tente pas de dlivrer la patrie, nos mosques se changeront en glises chrtiennes, et que les infidles nous subjugueront tous. Mais nous ne pouvons pas rester sans imam. Schamouil-Effendi, le bien-aim de Dieu, qui a reu les dernires paroles de notre brave chef, vous dira que ses dernires paroles ont t pour me nommer son successeur. Je dclare aux Russes la guerre sainte, moi qui, partir de cette heure, suis votre chef et votre imam. Parmi ceux qui assistaient cette runion et qui coutaient ces paroles, beaucoup taient opposs lavnement de Gamsah-Beg au suprme pouvoir. Des murmures se firent donc entendre. Alors, Gamsah-Beg fit un signe de la main pour commander le silence. On lui obit. Musulmans, dit-il, je vois que votre croyance commence saffaiblir ; mon devoir dimam mordonne de vous remettre dans la voie de laquelle vous vous cartez. Obissez linstant mme, sans murmure ; obissez la voix de Gamsah-Beg, ou GamsahBeg vous fera obir son poignard ! Le regard rsolu de lorateur, son kandjar tir hors du fourreau, ses murides dtermins tout, imposrent silence la foule. Pas une voix nosa protester, et Gamsah-Beg sortit de la mosque, sauta sur son cheval, et, proclam imam par lui-mme, retourna son camp, escort de ses murides. Le pouvoir spirituel de Gamsah-Beg tait tabli, restait tablir le pouvoir temporel. Ce pouvoir tait tenu par les khans de lAvarie. SchamouilEffendi, devenu lieutenant de Gamsah-Beg comme celui-ci avait t le lieutenant de Kasi-Moullah, lui persuada, assure-t-on, quil

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fallait tout prix se dbarrasser des matres lgitimes du pays. Beaucoup, au contraire, prtendent que ce conseil fut donn Gamsah-Beg par Aslan, khan de Kasi-Koumouck, ennemi particulier des khans de lAvarie. Voici quelle tait la situation de ces khans. Ctaient trois jeunes gens, orphelins de leur pre, et qui avaient t levs par leur mre Pakou-Bike. Ils se nommaient Abou-Nounzale, OummaKhan, et Boulatch-Khan. En mme temps queux, la mre avait lev Gamsah-Beg, qui se trouvait tre, sinon leur frre de sang, du moins leur frre de reconnaissance. Ils avaient recul devant linvasion russe et staient rfugis Khunsack. Gamsah-Beg attaqua les Russes, les harcela jour et nuit, et les inquita de telle faon, quils furent forcs de quitter lAvarie, laissant deux ou trois villages compltement dtruits. GamsahBeg alla placer son camp prs de Khunsack, et prvint les jeunes khans de sa prsence en les invitant venir le visiter. Ceux-ci vinrent sans dfiance ; ils croyaient se rendre linvitation dun ami. Mais peine furent-ils dans le camp prs de Gamsah-Beg, que les noukers de celui-ci tombrent sur eux coups de schaskas et de kandjars. Les trois jeunes gens taient braves, quoique le troisime ft encore un enfant ; ils avaient une suite dvoue ; ce ne fut donc pas un meurtre facile, ce fut un combat acharn. Ils finirent par succomber, moins le troisime, qui fut pris vivant ; mais, en succombant, ils turent Gamsah-Beg quarante hommes, au nombre desquels tait son frre. Ctait un nouvel obstacle de moins sur la route de SchamouilEffendi. Le frre de Gamsah-Beg pouvait avoir, sinon des droits, du moins des prtentions lui succder. Mais nous avons dit que le troisime des jeunes frres, Boulatch-Khan, avait survcu. Tant quil vivait, Gamsah-Beg ne pouvait tre lgitimement khan dAvarie. Cependant le meurtrier, qui navait pas hsit faire tuer les deux autres frres quand ils taient arms et en tat de se dfen-

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dre, hsitait faire tuer un enfant prisonnier, et son captif. Sur ces entrefaites, vers la fin de 1834, Gamsah-Beg fut assassin son tour. Le regard de lhistorien pntre difficilement dans ces sombres gorges du Caucase. Tout bruit qui en sort, et qui pntre jusquaux villes, nest quun cho qui subit les modifications que lui impriment et la distance et les accidents du terrain. Or, voici ce quon raconte de cet assassinat. Nous redisons la lgende daprs le bruit public, tout en invitant nos lecteurs se dfier des prventions que les Russes nourrissent naturellement contre leur ennemi prventions qui se traduisent parfois par des calomnies. Aprs lassassinat des jeunes khans, Gamsah-Beg stait tabli dans leur palais, Khunsack. Ces jeunes gens taient fort aims de leurs sujets, qui virent, dans la premire action du meurtrier, une trahison infme ; dans la seconde, un sacrilge impie. On commena donc de murmurer contre Gamsah-Beg. Cest ici que nous cessons daffirmer les faits que nous racontons. Les rsultats seuls sont certains ; les dtails restent obscurs. Schamouil-Effendi aurait entendu ces murmures et compris tout le parti quil en pouvait tirer. Alors, excits par lui, OsmanSoul-Hadjief et ses deux petits-fils, Osman et Hadji-Mourad retenez bien ce dernier nom, celui qui le porte est appel jouer un grand rle dans notre rcit , ourdirent une conspiration contre Gamsah-Beg. Le 19 septembre approchait ; cest un jour de grande fte chez les musulmans. Comme imam, Gamsah-Beg devait chanter la prire dans la mosque de Khunsack. Ce jour et cette place furent choisis par les conspirateurs pour accomplir leur dessein. Plusieurs avis de cette conspiration parvinrent Gamsah-Beg ; mais il ny voulut pas croire. Enfin, un de ses murides insista plus fortement que les autres. Peux-tu arrter dans sa course lange qui, sur lordre dAllah, viendra prendre ton me ? lui demanda-t-il. Non, certes, rpondit le muride.

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Alors, va la maison et couche-toi, lui dit Gamsah-Beg. Nous ne pouvons chapper ce qui est crit. Si demain est choisi par Allah pour le jour de ma mort, rien ne peut empcher que je meure demain. Et le 19 septembre tait vraiment le jour fix par la destine pour la mort de Gamsah-Beg. Il fut tu dans la mosque, la place et lheure arrtes entre les conspirateurs, et son corps, dpouill de tout vtement, resta quatre jours couch terre et expos sur la grande place, devant la mosque. Les ennemis les plus obstins de Schamouil-Effendi sont obligs davouer quil ntait point Khunsack lors de cet assassinat ; mais ils prentendent que, de loin, il dirigeait la conspiration. La seule preuve qui existe de cette complicit, cest que, au dire de la lgende, lheure mme o, trente lieues de lendroit o il tait lui-mme, Gamsah-Beg ayant t tu, SchamouilEffendi se mit en prire, et, se relevant tout coup, ple et le front tremp de sueur, comme si, pareil Mose et Samuel, il venait de se trouver face face avec Dieu, il annona ceux qui lentouraient la mort de limam. Quels furent les moyens que le nouveau prophte employa pour arriver son but ? Tout le monde lignore, et, selon toute probabilit, il y arriva tout naturellement par la force de son gnie. Mais, huit jours aprs la mort de Gamsah-Beg, la clameur universelle le proclamait imam. En recevant ce titre, il renona celui deffendi, et prit le nom de Schamyl. Hadji-Mourad, qui, avec son pre et son grand-pre, avait conduit la conspiration contre Gamsah-Beg, fut nomm gouverneur de lAvarie. Restait le jeune Boulatch-Kan, ce prisonnier de Gamsah-Beg, sur lequel celui-ci avait eu honte de porter la main, et qui pouvait, sil continuait de vivre, rclamer un jour le khanat de lAvarie. Voici ce que lon raconte sur la fin tragique du jeune khan. Mais, encore une fois, nous abandonnons lhistoire pour la lgen-

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de, et ne rpondons plus de la vrit de notre rcit. Le jeune Boulatch-Khan avait t mis par Gamsah-Beg sous la garde dIman-Ali, qui tait son oncle lui, Gamsah-Beg. Ne pas confondre le nom dIman avec le titre dimam, qui veut dire prophte. Schamyl, devenu imam, rclama au gardien du jeune khan et le prisonnier et les richesses laisses par Gamsah-Beg. ImanAli lui remit sans difficult le trsor, mais refusa de lui livrer le jeune homme. Ce refus tenait, dit-on, un fait. Iman-Ali avait un fils nomm Tchopan-Beg, qui, acteur dans la lutte o avaient succomb les deux frres de Boulatch-Khan, avait t lui-mme bless mortellement. Il stait fait rapporter mourant chez son pre. Au moment dexpirer, il se repentit de laction quil venait de commettre en aidant un assassinat, et supplia Iman-Ali, quelque chose qui arrivt, de veiller sur Boulatch-Khan et de lui rendre un jour le khanat dAvarie. Iman-Ali fit Tchopan-Beg la promesse quil lui demandait : de l son refus Schamyl. Il se tenait pour solennellement engag envers son fils mort. Mort, son fils ne pouvait pas lui rendre sa parole. Mais Schamyl, assure-t-on, fit entourer la demeure dIman-Ali par ses murides, menaant le vieillard de lui trancher la tte, lui et tous ceux qui restaient de sa famille, sil ne lui remettait pas Boulatch-Khan. Iman-Ali eut peur et lui remit lenfant. Alors, continue toujours la lgende, Schamyl consuisit le jeune homme au sommet du mont qui domine le Koassou. Et, l, lui ayant reproch la mort de Gamsah-Beg, qui aurait, disait-il, t tu son instigation, il le prcipita dans la rivire. Cette action fut la cause de la dsertion de Hadji-Mourad, dont nous retrouverons trois ou quatre fois la personne et une fois le spectre sur notre chemin. Boulatch-Khan mort, Schamyl runit sans obstacle entre ses mains le pouvoir religieux la puissance temporelle. Tous ces vnements se passaient en 1834. On sait, depuis ce temps, quel ennemi vigilant et acharn les Russes ont trouv dans

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ce roi de la montagne. Et maintenant que nos lecteurs connaissent le Caucase, les peuples qui lhabitent, lhomme trange qui rgne sur eux, abandonnons cette longue introduction historique, courte cependant si lon songe quelle contient labrg des vnements que le Caucase a vus saccomplir depuis cinq mille ans. Grce elle, nous allons, avec plus dintrt et plus facilement, nous lesprons, leur faire suivre le chemin toujours pittoresque et parfois dangereux que nous avons parcouru. Tiflis, 1er dcembre 1858.

I

KislarNous arrivmes Kislar le 7 novembre 1858, deux heures de laprs-midi. Ctait la premire ville que nous rencontrions depuis Astrakan. Nous venions de faire six cents verstes travers les steppes sans rencontrer autre chose que des relais de chevaux et des postes de Cosaques. Parfois une petite caravane de Tatars Kalmouks ou de Tatars Nogas, nomadisant, cest--dire allant dun endroit un autre, et emportant avec elle, sur les quatre chameaux de rigueur, tout ce quelle possdait. Cependant, mesure que nous approchions de Kislar, le paysage stait peupl, comme il arrive aux environs des ruches et des villes. Mais nous avions remarqu que les abeilles qui sortaient de la ruche que nous allions visiter avaient de rudes aiguillons. Cavaliers et fantassins, tout ce monde tait arm. Un berger que nous avions rencontr avait son kandjar au ct, son fusil sur lpaule et son pistolet la ceinture. Une enseigne qui let reprsent net pas su mettre, comme chez nous : Au Bon Pasteur. Les vtements eux-mmes avaient pris un caractre guerrier. linoffensive touloupe russe, la nave doubianca kalmouke, succdait la tcherkesse grise ou blanche, avec sa range de cartouches sur chaque ct de la poitrine. Au regard souriant, avait succd le regard inquiet, et lil du passant, quel quil ft, prenait une expression menaante, vu traves les poils de son papak noir, blanc ou gris. On sentait que lon entrait sur un sol o chacun craignait de rencontrer un ennemi, et, trop loin dune autorit quelconque pour compter sur elle, se gardait soi-mme. Et, en effet, comme nous lavons dit, nous approchions de Kislar, la mme qui, en 1831, a t prise et pille par Kasi-Moullah, le matre de Schamyl. Chacun y a encore souvenir davoir perdu, soit un parent, soit un ami, soit sa maison, soit sa fortune, dans cette

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catastrophe, qui, chaque jour, se renouvelle partiellement. Plus nous approchions, plus le chemin se gtait ; il et t regard comme impraticable en France, en Allemagne ou en Angleterre, et une voiture ne sy ft certes pas engage. Mais la tarantass passe partout, et nous tions en tarantass. Nous qui venions de traverser des mers de sable et dtre aveugls pendant cinq jours par la poussire, nous tions arrivs aux abords dune ville pour voir nos chevaux entrer dans la boue jusquau poitrail et nos voitures jusquau moyeu. O faut-il vous conduire ? avait demand lhiemchik1. la meilleure auberge. Il avait secou la tte. Kislar, avait-il rpondu, il ny a pas dauberge. Mais, alors, o loge-t-on, Kislar ? On sadresse au matre de police, et il vous dsigne une maison. Nous appelmes un Cosaque de notre escorte, nous lui donnmes notre padarojn2 et notre atkritoi3, pour constater notre identit, et lui ordonnmes de se rendre fond de train chez le matre de police et de revenir nous attendre avec sa rponse aux portes de la ville. Il partit au galop, et disparut dans le chemin sinueux qui, pareil une rivire de boue, se perdait au milieu des haies. Ces haies enfermaient des jardins plants de vigne et qui paraissaient parfaitement cultivs. Nous questionnmes notre hiemchik, qui nous rpondit que ctaient des jardins armniens. Ces jardins armniens sont les vignobles o lon rclote le fameux vin de Kislar. Le vin de Kislar, et celui de Kaktie moins bon, mon avis, parce que, transport dans des peux de buffle, il prend le got de la peau , sont, avec le vin dOdjalesch en Mingrlie et le vin1. Postillon. 2. Ordre de prendre des chevaux.

3. Mot mot, feuille ouverte ou blanc seing, cest--dire autorisation de rclamer des escortes.

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dErivan, les seuls vins que lon boive dans tout le Caucase, le pays o, proportion garde, malgr sa population musulmane, on boit peut-tre le plus de vin ! On fait, en outre, Kislar, une excellente eau-de-vie, connue par tout le Caucase sous le hom de kisliarxa. Ce sont les Armniens qui font le vin et leau-de-vie. En gnral, dans le Caucase et dans les provinces qui en dpendent, ce sont les Armniens qui font tout. Chaque peuple a sa spcialit. Le Persan vend des soieries, le Lesghien vend des draps, le Tatar vend des armes ; lArmnien na pas de spcialit, il vend de tout ce qui se vend, et mme de tout ce qui ne se vend pas. En gnral, la rputation de lArmnien nest pas trs bonne. On vous dit tout propos : Si le Tatar vous fait un signe de la tte, comptez sur lui. Si le Persan vous donne la main, comptez sur lui. Si un montagnard quelconque vous donne sa parole, comptez sur lui. Mais, si vous traitez avec un Armnien, faites-lui signer un papier et prenez deux tmoins, pour quil ne nie pas sa signature. tout ce quils vendent dhabitude, les Armniens de Kislar joignent donc la vente du vin et de leau-de-vie. Depuis cinq jours, nous navions pas vu un arbre, et notre cur se dilatait en entrant dans cette oasis, quoique loasis allt seffeuillant. Nous avions quitt lhiver en Russie, nous retrouvions lautomne Kislar ; on nous assurait que nous retrouverions lt Bakou. Nous prenions dcidment lanne lenvers. Nous fmes environ quatre verstes dans ces abominables chemins, et nous arrivmes enfin la porte de la ville. Notre Cosaque nous attendait. Le matre de police nous assignait une maison cent pas de la poste. Notre voiture, conduite par le Cosaque, sarrta la porte de la maison. Nous tions vritablement en Orient, dans lOrient du Nord, cest vrai ; mais

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lOrient du Nord diffre de lOrient du Midi par les costumes seulement ; les murs et les habitudes sont les mmes. Moynet sen aperut, en se cognant la tte la porte dentre de notre chambre : elle semblait faite pour un enfant de dix ans. Jtais entr le premier, et javais, avec une certaine inquitude, jet les yeux autour de moi. Les stations de poste que nous venions de parcourir taient peu meubles, sans doute ; mais encore avaient-elles un banc de bois, une table de bois, deux chaises de bois ! Nore chambre navait pour tout meuble quune guitare pendue la muraille. Quel tait le fantaisiste espagnol qui nous avait prcds dans ce logement, et qui, manquant dargent pour payer son gte, avait laiss en paiement ce meuble inconnu, que notre hte rservait probablement pour le muse de Kislar ? Nous interrogemes un garon dune quinzaine dannes, celui pour lequel sans doute la porte tait faite et qui se prsenta nous, avec sa tcherkesse garnie de cartouches et son kandjar pass dans sa ceinture ; mais il se contenta de nous rpondre avec un mouvement dpaules qui voulait dire : En quoi cela vous intresse-t-il ? La guitare est l parce quon ly a mise. Force fut de nous contenter de lclaircissement, tout vague quil tait. Nous lui demandmes alors sur quoi nous mangerions, sur quoi nous nous assoirions, et sur quoi nous nous coucherions. Il nous montra le plancher, et se retira, fatigu sans doute de notre importunit, dmasquant son frre, jeune garon de sept huit ans, attach, par sa famille, un kandjar plus long que lui, et qui nous regardait avec des yeux sauvages travers les poils effarouchs de son papak noir. Il suivit son frre en embotant le pas sur lui. Leur dpart venait de nous laisser assez inquiets sur lavenir. tait-ce donc l cette hospitalit orientale tant vante, et tait-il dit quelle perdrait tre vue de prs comme presque toutes les choses de ce monde ? En ce moment, nous vmes notre Cosaque qui se tenait de lautre ct de la porte, debout, mais courb de faon que nous

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puissions voir son visage, qui nous et chapp compltement sil se ft tenu droit. Que veux-tu, mon frre ? lui demanda Kalino1 avec cette douceur particulire aux Russes parlant leurs infrieurs. Je voulais dire au gnral, rpondit le Cosaque, que le matre de police va lui envoyer des meubles. Cest bien , rpondit Kalino. Le Cosaque pirouetta sur les talons et se retira. Il tait de notre dignit de recevoir la nouvelle froidement et de regarder cette attention du matre de police comme chose nous due. Maintenant, chers lecteurs, vous regardez autour de moi et cherchez o est le gnral, nest-ce pas ? Le gnral, cest moi. Cela demande explication. En Russie, tout se rgle sur le tchinn, mot qui veut dire rang et qui ma tout lair de venir du chinois. Selon votre tchinn, on vous traite comme un malotru ou comme un grand seigneur. Les marques extrieures du tchinn sont un galon, une mdaille, une croix, une laque. Il y a telle dcoration affecte tel grade, telle autre telle dignit. Les gnraux seuls, en Russie, portent une plaque. On mavait dit, mon dpart de Moscou : Vous voyagez en Russie : accrochez un signe de distinction quelconque, soit votre boutonnire, soit votre cou, soit votre poitrine ou vous ne trouverez pas un morceau de pain dans une auberge, pas un cheval dans les relais de poste, pas un Cosaque dans les stanizas. Javais ri de la recommandation ; mais bientt jen avais reconnu, non pas lutilit, mais la ncessit. Javais mis, sur mon costume de milicien russe, la plaque de Charles III dEspagne, et alors, en effet, tout avait chang mon gard : on sempressait, non pas de satisfaire mes dsirs, mais daller au-devant, et, comme les gnraux seuls, en Russie, peuvent, moins dexcep1. Jeune tudiant russe que le recteur de luniversit de Moscou mavait donn comme interprte.

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tion, porter une plaque quelconque, sans que lon st quelle plaque je portais, on mappelait gnral. Mon padarojn, fait dune faon toute particulire, et un blanc seing du prince Bariatinsky mautorisant prendre dans tous les postes militaires lescorte qui me conviendrait, corroboraient, chez ceux auxquels je madressais, cette opinion quils avaient affaire une autorit militaire. Seulement, on me prenait pour un gnral franais, et, comme le Franais est essentiellement sympathique aux Russes, tout allait merveille. chaque station de poste, le chef militaire de la station, presque toujours un bas officier, venait moi, se raidissant dans toutes se jointures, portait la main son papak, et me disait : Gnral, tout va bien dans la station ou tout est en ordre au poste. Ce quoi je rpondais tout simplement caracho, cest--dire trs bien. Et le Cosaque sen allait tout heureux. chaque station o je trouvais lescorte qui devait maccompagner runie et sous les armes, je me levais dans ma tarantass, ou me haussais sur mes triers en disant : Sdarovo, rbiata ! Ce qui veut dire : Bonjour, enfants ! Lescorte rpondait en chur : Sdravia, jlaem, vasch prevoskhoditetstvo ! Ce qui voulait dire : Bonjour, Votre Excellence. Moyennant quoi, les Cosaques, parfaitement satisfaits de leur sort, sans jamais demander de rtribution, recevant avec reconnaissance, aprs vingt ou vingt-cinq verstes faites au grand galop, un ou deux roubles pour la poudre quils avaient brle, ou pour la vodka quils devaient boire, quittaient Mon Excellence aussi contents delle quelle tait contente deux. Voil donc pourquoi mon Cosaque voulait dire au gnral que le matre de police allait envoyer des meubles pour garnir lappartement. En effet, dix minutes aprs, les meubles arrivrent sur

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une charrette, avec ordre douvrir, dans la maison, autant de chambres quil nous plairait den occuper. Jusque-l, notre jeune hte, assez mal avenant, comme je crois lavoir dj dit, ne nous avait ouvert que la chambre de la guitare. La vue des meubles envoys par le matre de police, laudition de lordre qui les accompagnait, changea compltement ses faons vis--vis de nous. Les meubles se composaient de trois bancs destins servir de lits, de trois tapis destins nous servir de matelas, de trois chaises dont je nai pas besoin dindiquer la destination, et dune table. Il ne nous manquait plus que quelque chose mettre sur cette table. Nous envoymes acheter, par notre jeune Tatar, des ufs et une poule. Pendant ce temps, nous ouvrions notre cuisine de voyage et nous en tirions une pole, une casserole, des assiettes, des fourchettes, des cuillers et des couteaux. Le ncessaire a th tait charg de nous fournir des verres et une nappe, laquelle chacun essuyait sa bouche et ses doigts. Nous tions riches de trois nappes, et il va sans dire que nous ne perdions pas une occasion de les faire laver. Notre mnager revint avec des ufs ; il navait pas trouv de poule, et nous offrait en change ce que lon trouve partout au Caucase : dexcellent mouton. Jacceptai : ctait une occasion pour moi dessayer du schislik. Dans une visite que, pendant notre sjour Astrakan, nous avions faite une pauvre famille armnienne, elle nous avait, si pauvre quelle ft, offert un verre de vin de Kislar et un morceau de schislik excellent. Or, comme je voyage pour minstruire et que, quand je rencontre un bon plat quelque part que ce soit, jen demande linstant mme la recette pour en enrichir le livre de cuisine que je compte publier un jour, javais demand la recette du schislik. Un goste garderait la recette pour lui ; mais, comme, en gnral, ce que jai appartient peu prs tout le monde, et que je sais un gr infini ceux qui, au milieu des gens qui me prennent, attendent que je leur donne, je vais vous donner, chers

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lecteurs, la recette du schislik ; essayez-en, et vous me saurez gr du cadeau. Vous prenez un morceau de mouton, du filet si vous pouvez vous en procurer ; vous le coupez par morceaux de la grosseur dune noix ; vous le mettez mariner un quart dheure dans un vase o vous avez hach des oignons, vers du vinaigre, et secou avec libralit du sel et du poivre. Au bout dun quart dheure, vous tendez un lit de braise sur le fourneau. Vous enfilez vos petits morceaux de mouton une brochette de fer ou de bois, et vous tournez votre brochette audessus de la braise, jusqu ce que vos petits morceaux de mouton soient cuits. Cest tout simplement la meilleure chose que jaie mange dans tout mon voyage. Si les petits morceaux de mouton peuvent passer une nuit dans la marinade ; si vous pouvez, en les tirant de la broche, les saupoudrer de sumac, le schislik nen vaudra que mieux. Mais, quand on est press, quand on na pas de sumac, on peut considrer ces deux amliorations comme des superfluits. propos, si lon na pas de broche, et si lon voyage dans un pays o la broche et mme la brochette sont inconnues, on remplace merveille cet ustensile par une baguette de fusil. La baguette de ma carabine ma constamment tenu lieu de broche pendant mon voyage, et je ne me suis pas aperu que cet emploi infrieur ait nui au chargement de larme dont elle tait un appendice. Jtais en train de faire rtir mon schislik tandis que Moynet et Kalino, chargs des soins infrieurs de la cuisine, mettaient le couvert, lorsque lon nous apporta, de la part du gouverneur, qui venait dapprendre notre arrive, du beurre, deux jeunes poulets et quatre bouteilles de vin vieux. Je fis remercier le gouverneur en lui annonant ma visite aprs le dner. Le beurre et les poulets furent gards pour le djeuner du lendemain. Mais une bouteille de vin vieux trpassa au dner. Je nai rien lui souhaiter : la bndiction du Seigneur tait avec elle.

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Le dner fini, selon la promesse faite, je pris Kalino avec moi pour me servir dinterprte ; je laissai Moynet faisant un croquis du bonhomme de sept ans avec son kandjar ou plutt du kandjar avec son bonhomme de sept ans, et je me hasardai dans une espce de marais o javais de la boue jusqu mi-jambes. Ctait la principale rue de Kislar. Je navais pas fait dix pas, que je me sentis tir par le pan de ma redingote ; jappelle ainsi le vtement que javais adopt, faute de lui trouver un nom convenable. Je me retournai. Ctait notre jeune hte, qui, devenu plein de prvenances, me faisait observer, en mauvais russe ml de tatar, que je sortais sans tre arm. Kalino me traduisit lobservation. En effet, je sortais sans tre arm il tait quatre heures de laprs-midi, il faisait grand jour : je croyais donc ne pas commettre dimprudence. Je voulais continuer ma route sans tenir compte des avis du jeune Tatar ; mais il insista avec tant dobstination, que, ne voyant aucun motif ce petit bonhomme de se moquer de nous, je cdai son insistance. Je rentrai, je mis ma ceinture un poignard du Khorassan, long de quinze pouces, que javais achet Astrakan, et que je portais en voyage, mais que je croyais inutile de porter en ville. Kalino prit un grand sabre franais, qui lui venait de son pre, lequel lavait rcolt sur le champ de bataille de Montmirail, et, sans couter, cette fois, les observations de notre jeune hte, qui voulait que nous ajoutassions cet accoutrement dj passablement formidable, chacun un fusil deux coups, nous quittmes la maison, en faisant Moynet signe quil y avait du danger, et en linvitant veiller, non seulement sur les effets, mais encore sur lui-mme.

II

Une soire chez le gouverneur de KislarLe gouverneur demeurait lautre extrmit de la ville, de sorte que nous traversmes tout Kislar pour arriver chez lui. Ctait jour de march ; aussi nous emes nous ouvrir un passage entre les charrettes, les chevaux, les chameaux et les marchands. Cela allait assez bien dabord : nous avions commenc par traverser la place du Chteau, grande esplanade domine par la forteresse, et o lon et pu faire manuvrer vingt-cinq mille hommes ; mais, lorsque nous passmes de cette place sur celle du march, la lutte commena. Je navais pas fait cinquante pas au milieu de cette foule arme jusquaux dents, que je compris le peu de cas que cette foule, soit comme masse, soit comme individu, devait faire dun homme sans armes. Larme, en Orient, sert non seulement vous dfendre, mais encore empcher que vous ne soyez attaqu. Lhomme arm dit, mme dans son silence : Respectez ma vie, ou prenez garde la vtre ! Et cette menace nest point inutile dans un pays o, comme la dit Pouschkine, lhomicide nest quun geste. Nous traversmes la place du March, et nous nous trouvmes dans les vraies rues de la ville. Rien de plus pittoresque que ces rues avec leurs arbres sans symtrie, leurs flaques de boue o barbotent des oies et des canards, et o les chameaux font provision deau pour leur voyage. Presque dans toutes les rues, une chausse de terre, leve de trois ou quatre pieds au-dessus du niveau de la rue, fait un trottoir de trente ou quarante centimtres pour les pitons. Ceux qui se rencontrent sur ce trottoir, sils sont amis, peuvent, en se faisant de mutuelles concessions et en saccrochant lun lautre, continuer leur chemin chacun de son ct. Mais, sils sont ennemis, cest autre chose : il faut que lun des deux se dcide passer

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dans la boue. Le soir, ces rues doivent tre et sont, du reste, de charmants coupe-gorge, qui rappellent, non pas le Paris de Boileau le Paris de Boileau est un lieu de scurit auprs de Kislar , mais le Paris de Henri III. Nous arrivmes chez le gouverneur, et nous nous fmes annoncer lui ; il vint au-devant de nous. Il ne savait pas un mot de franais ; mais, grce Kalino, lobstacle tait lev ; dailleurs, il mannona dans la premire phrase quil me fit lhonneur de madresser, que sa femme, que nous allions trouver dans le troisime salon, parlait notre langue. Jai remarqu que, sous ce rapport, en Russie et dans le Caucase, les femmes ont, en gnral, une grande supriorit sur leurs maris. Leurs maris ont presque toujours su le franais peu ou prou dans leur jeunesse ; mais les travaux militaires ou administratifs auxquels ils se sont livrs le leur ont fait oublier. Les femmes, auxquelles il reste un temps dont le plus souvent, en Russie surtout, elles ne savent que faire, occupent leurs loisirs lire nos romans, et sentretiennent ainsi dans lexercice et mme dans les progrs de la langue franaise. En effet, madame Polnobokof parlait admirablement le franais. Je commenai par mexcuser de me prsenter devant elle dans cet attirail guerrier, et voulus plaisanter sur les apprhensions de notre jeune hte ; mais, mon grand tonnement, mon hilarit ne fut rien moins que communicative. Madame Polnobokof resta srieuse, et me dit que notre jeune hte avait eu parfaitement raison. Et comme je paraissais douter encore, elle en appela son mari, lequel confirma ce quelle venait de dire. Du moment que le gouverneur partageait sur ce point lopinion gnrale, la chose devenait grave. Je demandai alors quelques dtails. Les dtails ne manquaient pas. La veille encore, un meurtre avait t commis neuf heures du soir dans une des rues de Kislar. Il est vrai que ctait une erreur. Celui qui avait t tu ntait point celui qui lon en voulait. Quatre Tatars on appelle Tatars, en gnral, sur la ligne sep-

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tentrionale du Caucase, comme on appelle Lesghiens sur la rive mridionale, tout bandit, quelque famille montagnarde quil appartienne , quatre Tatars, cachs sous un pont, attendaient au passage un riche Armnien qui devait passer sur ce pont ; un pauvre diable passa, quils prirent pour leur riche marchand ; ils le turent, et saperurent seulement alors de la mprise ; ce qui ne les empcha pas de lui prendre les quelques kopeks quil avait dans sa poche ; aprs quoi, ils jetrent son corps dans le canal dont leau sert arroser les jardins. Les jardins des Armniens de Kislar consignons la chose en passant fournissent, sous diffrents noms franais, du vin toute la Russie. Quelques mois auparavant, au moment o ils revenaient de la foire de Derbend, les trois frres armniens Kaskolth avaient t pris avec un de leurs amis nomm Bonjar ; comme on les savait riches, les brigands ne les turent pas : ils les emmenrent dans la montagne pour leur faire payer ranon ; mais, comme, aprs les avoir dpouills de leurs habits et les avoir forcs de faire une quinzaine de verstes attachs la queue des chevaux, on leur avait fait passer la nage les eaux glaces du Terek, deux moururent dune fluxion de poitrine et le troisime dune phtisie pulmonaire, aprs stre rachets dix mille roubles. Le quatrime, moins riche que les autres, et qui stait dj tir daffaires sous promesse aux Tatars de leur servir despion, sengageant leur annoncer quil y avait un bon coup faire lorsque quelque riche Armnien se mettrait en route, ayant, une fois de retour Kislar, manqu tout naturellement sa parole, nose plus sortir de sa maison, et sattend, mme dans sa maison, tre tu dun moment lautre. Un an auparavant, le colonel Menden avait t tu, lui et ses trois Cosaques descorte, sur la route de Kasafiourte Kislar ; il est vrai que colonel et Cosaques staient dfendus comme des lions, et avaient, de leur ct, tu cinq ou six Tatars. Les femmes sont, sous ce rapport, moins exposes que les

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hommes. Comme les Tatars, pour rentrer dans la montagne, sont obligs de faire traverser deux fois le Terek leurs prisonniers, les femmes, en gnral, ne peuvent pas supporter cette immersion dans leau glace ; une est morte pendant le trajet, deux autres sont mortes de fluxion de poitrine avant que largent de la ranon ft arriv, et leur famille, apprenant leur mort, na pas jug utile de continuer les ngociations propos de leurs cadavres. La spculation a donc paru mauvaise aux Tatars, et lenlvement des femmes, qui continue de se pratiquer avec succs du ct mridional du Caucase, est peu prs abandonn du ct septentrional. Lanecdote suivante prouvera, au reste, quil se pratique encore dune autre faon. Le prince tatar B..., amoureux de madame M... il va sans dire que jai les deux noms crits en toutes lettres sur mon album, que je ne les consigne pas ici par pure discrtion, mais que je me dciderais le faire cependant si le fait tait contest , le prince tatar B..., amoureux de madame M..., qui, de son ct, le payait de retour, sentendit avec elle pour lenlever. Elle tait Kislar ; en labsence de son mari, elle fit demander M. Polnobokof des chevaux une heure o il parut dangereux celui-ci de lui accorder sa demande. En consquence, il refusa tout net. Madame M... insista en prtextant la maladie dun de ses enfants ; touch de cette preuve de dvouement maternel, le gouverneur dlivre un padarojn, et madame M... part. Le prince B... lattendait sur la route ; il lenlve, la conduit son aoul, espce de nid daigle situ sur un rocher, quelques verstes de Petigorsk, et la garde trois mois sans que son mari sache ce quelle est devenue. Au bout de trois mois, le beau prince tatar, moins amoureux le prince B... est trs beau, ce que lon dit , le beau prince tatar, moins amoureux, disons-nous, fit prvenir M. M... quil savait o tait sa femme, et offrit dtre lintermdiaire pour son rachat ; M. M... accepta. Le prince, au

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LE CAUCASE

bout dun mois, crivit quil avait arrang laffaire pour trois mille roubles ; M. M... envoya les trois mille roubles, et, huit jours aprs, reut sa femme, enchant davoir pu la racheter si bon march. Ctait encore meilleur march que ne croyait le pauvre mari ; car, non seulement il avait rachet sa femme, mais encore lenfant dont elle accoucha au bout de six mois. Cest au reste une habitude parmi les princes tatars denlever les femmes des autres, et mme celles qui deviennent leurs propres femmes : plus le fait saccomplit violemment, plus il fait honneur leur passion ; ensuite on traite de la dot avec le pre, qui dordinaire passe par les conditions que lui fait son gendre, lequel, tenant la femme, a une supriorit sur le pre, qui ne tient plus rien. Parfois cependant le pre sobstine ; voici un exemple de cette obstination. Lvnement se passe aux eaux de Kislovsky. Un de ces enlvements eut lieu au moment o le comte Voronzof, lieutenant de lempereur au Caucase, venait, dans lesprance de diminuer les meurtres, de faire dfense aux princes tatars de porter des armes. Le pre de la jeune fille enleve, ne pouvant pas sentendre avec son gendre sur le prix de la dot, vint chez le comte pour se plaindre du rapt et demander justice contre le ravisseur. Par malheur, comme le baron de Nangis de Mario Delorme, il tait la tte dune garde de quatre hommes, et ses quatre hommes et lui taient arms jusquaux dents. Le comte Voronzof, au lieu dcouter sa plainte, donna lordre de larrter, lui et ses quatre hommes, comme contrevenant ses dcisions. Le Tatar entendit lordre, tira son kandjar et se jeta sur le comte Voronzof pour lassassiner. Le comte se dfendit, et, tout en se dfendant, appela laide ; la garde accourut ; le prince tatar fut arrt et un de ses hommes tu sur la place. Mais les trois autres se sauvent sur la montagne Bastof, o il y avait une grotte, et se rfugient dans cette grotte. On les y attaque, ils tuent vingt Cosaques. Prs dtre