L’eau au Brésil : un enjeu de développement et une source d’opportunités

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58 E JANVIER FEVRIER MARS 2014 ANALYSE FINANCIèRE N° 50 DOSSIER AUTEUR GUILLAUME SARRAZIN Guillaume Sarrazin est co-auteur d'un ouvrage en management inter- culturel brésilien (parution début 2014). e En s’intéressant à l’eau, dont le Brésil est le plus vaste réservoir au monde, on se rend compte que diverses approches sont pos- sibles. Il s’agit tout d’abord de l’élément de la vie et de la biodi- versité, mais aussi d’un réel levier de développement économique et social, via ses différents modes d’exploitation, ce qui nous mène à ses limites, parfois évidentes au cœur de grandes villes sans réseaux de distribution ni de trai- tement de l’eau… UN PAYS D’éNERGIE PROPRE ET RENOUVELABLE Le Brésil possède l'un des ré- seaux hydrographiques les plus étendus de la planète avec la plus grande réserve d’eau douce et le plus important potentiel hydro- électrique. « Le seul bassin de l'Amazone, principal fleuve mon- dial par son débit, représente environ 20 % du volume total des L’EAU AU BRéSIL : UN ENJEU DE DéVELOPPEMENT ET UNE SOURCE D’OPPORTUNITéS GUILLAUME SARRAZIN EST CONSULTANT EN FORMATION INTERCULTURELLE, EXPERT DU BRéSIL. Diplômé en Intelligence économique et conférencier auprès de la FIA / FIPE (International MBA, Écoles brésiliennes en Management). Le Brésil est, pour la plupart des Brésiliens, un pays « Abençoado por Deus » (béni par Dieu), en référence aux multiples richesses naturelles de leur pays. Le drapeau brésilien lui-même évoque ce sentiment de par ses couleurs vives (vert, jaune et bleu) reflétant la variété naturelle du Brésil. puissance électrique, le premier étant le barrage des Trois Gorges en Chine avec une capacité de 22 500 MW. L'énergie hydroélectrique repré- sente plus de 80 % de l'électricité produite au Brésil et le pays se positionne sur la scène interna- tionale comme étant un pays d’énergie propre, défendant les questions liées au développe- ment durable. Cette dépendance énergé- tique du pays à l’eau a aussi ses limites. Un important apagão (black-out), d’énergie électrique a plongé dans le noir près de 30 % du territoire brésilien la nuit du 10 novembre 2009, suite à un dysfonctionnement de lignes de transmissions dans les États de São Paulo et du Parana. Face à cette menace, de nombreuses in- dustries ont investi dans des sys- tèmes de groupes électrogènes et certaines ont même fait le choix stratégique de s’implanter près de bassins hydrographiques et d’investir dans l’autoproduc- tion d’énergie en développant leurs propres centrales hydro- électriques. C’est le cas de la société Votorantim qui nécessite d’importantes ressources éner- gétiques pour la fabrication de son ciment. UN RETARD EN TERMES D’ACCèS à L’EAU ET D’ASSAINISSEMENT DE BASE Un article récemment publié (le 28 octobre 2013) dans la presse brésilienne (Carta Capital), pré- sente un constat dramatique de l’état du service d’assainissement eaux douces déversées dans les océans. » On trouve au Brésil douze grands bassins hydrographiques dont plusieurs portent le nom de leur fleuve principal comme : Ama- zone, Parana, Tocantins, São Francisco, Parnaiba et Uruguay. Les autres bassins sont des grou- pements de plusieurs autres fleuves. La plupart des rivières brési- liennes courent sur des plateaux, et leurs nombreuses cascades permettent une exploitation hy- droélectrique. Depuis 1883 (date de la première usine hydroélec- trique à Ribeirão do inferno), le Brésil a construit d’importantes centrales hydroélectriques, dont la plus connue est celle d’Itai- pu, basée à Foz do Iguaçu, à la frontière avec le Paraguay. Au niveau mondial, Itaipu, d’une capacité estimée à 14 000 MW, est le second barrage hydroélec- trique ayant la plus importante BRéSIL, TOUT N'EST PAS JOUé ! L’EAU AU BRéSIL : UN ENJEU DE DéVELOPPEMENT ET UNE SOURCE D’OPPORTUNITéS

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janvier fevrier mars 2014 analyse financière n° 50

DOssierauteur Guillaume Sarrazin

Guillaume Sarrazin est co-auteur d'un ouvrage en management inter-

culturel brésilien (parution début 2014).

eEn s’intéressant à l’eau, dont le Brésil est le plus vaste réservoir au monde, on se rend compte que diverses approches sont pos-sibles. Il s’agit tout d’abord de l’élément de la vie et de la biodi-versité, mais aussi d’un réel levier de développement économique et social, via ses différents modes d’exploitation, ce qui nous mène à ses limites, parfois évidentes au cœur de grandes villes sans réseaux de distribution ni de trai-tement de l’eau…

un pays D’énergie prOpre et renOuvelableLe Brésil possède l'un des ré-seaux hydrographiques les plus étendus de la planète avec la plus grande réserve d’eau douce et le plus important potentiel hydro-électrique. « Le seul bassin de l'Amazone, principal fleuve mon-dial par son débit, représente environ 20 % du volume total des

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guillaume sarrazin est cOnsultant en fOrmatiOn interculturelle, expert Du brésil. Diplômé en Intelligence économique et conférencier auprès de la FIA / FIPE (International MBA, écoles brésiliennes en Management).

Le Brésil est, pour la plupart des Brésiliens, un pays « Abençoado por Deus » (béni par Dieu), en référence aux multiples richesses naturelles de leur pays. Le drapeau brésilien lui-même évoque ce sentiment de par ses couleurs vives (vert, jaune et bleu) reflétant la variété naturelle du Brésil.

puissance électrique, le premier étant le barrage des Trois Gorges en Chine avec une capacité de 22 500 MW.L'énergie hydroélectrique repré-sente plus de 80 % de l'électricité produite au Brésil et le pays se positionne sur la scène interna-tionale comme étant un pays d’énergie propre, défendant les questions liées au développe-ment durable. Cette dépendance énergé-tique du pays à l’eau a aussi ses limites. Un important apagão (black-out), d’énergie électrique a plongé dans le noir près de 30 % du territoire brésilien la nuit du 10 novembre 2009, suite à un dysfonctionnement de lignes de transmissions dans les États de São Paulo et du Parana. Face à cette menace, de nombreuses in-dustries ont investi dans des sys-tèmes de groupes électrogènes et certaines ont même fait le choix stratégique de s’implanter près de bassins hydrographiques et d’investir dans l’autoproduc-tion d’énergie en développant leurs propres centrales hydro-électriques. C’est le cas de la société Votorantim qui nécessite d’importantes ressources éner-gétiques pour la fabrication de son ciment.

un retarD en termes D’accès à l’eau et D’assainissement De baseUn article récemment publié (le 28 octobre 2013) dans la presse brésilienne (Carta Capital), pré-sente un constat dramatique de l’état du service d’assainissement

eaux douces déversées dans les océans. »On trouve au Brésil douze grands bassins hydrographiques dont plusieurs portent le nom de leur fleuve principal comme : Ama-zone, Parana, Tocantins, São Francisco, Parnaiba et Uruguay. Les autres bassins sont des grou-pements de plusieurs autres fleuves.La plupart des rivières brési-liennes courent sur des plateaux, et leurs nombreuses cascades permettent une exploitation hy-droélectrique. Depuis 1883 (date de la première usine hydroélec-trique à Ribeirão do inferno), le Brésil a construit d’importantes centrales hydroélectriques, dont la plus connue est celle d’Itai-pu, basée à Foz do Iguaçu, à la frontière avec le Paraguay. Au niveau mondial, Itaipu, d’une capacité estimée à 14 000 MW, est le second barrage hydroélec-trique ayant la plus importante

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dans certaines villes brésiliennes. L’article n’hésite pas à utiliser des mots forts et à parler de « honte nationale », quand il retrace les résultats d’une étude menée en 2011 par l’IBGE (Institut brési-lien de Géographie et des Statis-tiques) ; la pire situation touchant toujours le nord du pays, où seuls 21,6 % des ménages béné-ficient d’un service d'assainis-sement de base. Selon l’Institut, 21 millions de Brésiliens ayant moins de 14 ans vivent dans un environnement sans collecte des déchets, ni réseaux de traitement des eaux usées.Or, de plus en plus de Brésiliens donnent de l’importance aux problématiques liées au dévelop-pement durable et à la protection de l’environnement. Ils étaient près de 19 millions à avoir voté aux dernières élections présiden-tielles en 2007 pour Marina Silva, candidate du parti écologique.Mais, les ressources et investis-sements sont encore insuffisants, et ce malgré la politique natio-nale des déchets (Politica Nacio-nal de Residuos Solidos, PNRS) et la loi 11.445 de 2007, qui se veut être un « engagement pour toute la société brésilienne », pour la mise en place d’un ser-vice universel d’assainissement de base. La loi a permis d’impor-tants investissements, au travers des “programmes d’accélérateur de croissance”, PACs, qui ont vu débloquer plus de 40 milliards de reals (environ 12,8 milliards d’euros) dans ce domaine rien qu’entre 2007 et 2010. Si le ser-vice d’assainissement de base au Brésil s’est amélioré, la réa-

lité montre qu’il existe encore plus de 15 milliards de litres d’eaux usées non traitées dont une partie stagne dans les ruelles de bidonvilles et dont l'autre se déverse dans les rivières et cours d’eau. Cette situation continue de nuire à la santé de millions de Brésiliens, les enfants en étant les premières victimes.Le Brésil pourrait aussi connaître ces prochaines années un réel problème quant à la distribution de l’eau dans les zones urbaines, notamment dans les plus impor-tantes comme les villes de São Paulo, Rio de Janeiro, Salvador et Belo Horizonte… alors que le pays bénéficie du plus important potentiel hydraulique de la pla-nète, l’état et les capacités des infrastructures de production, d’adduction et de traitement actuels causeraient en 2015 un manque d’accès à l’eau dans plus de la moitié des villes du pays. Un document élaboré par l’ANA (Agência Nacional de Aguas) sti-pule qu’il est nécessaire d’inves-tir près de 22 milliards de reals pour résoudre ce problème.

Des OppOrtunités pOur les sOciétés brésiliennes et étrangèresLe réel intérêt des investisseurs et entrepreneurs à investir dans le traitement de l’eau et des égouts est un phénomène récent dans le pays. La loi de 2007 a ras-suré les investisseurs en établis-sant un cadre réglementaire dans ce domaine.Ces problèmes liés au traitement de l’eau sont plus que jamais

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d’actualité : ce 24 octobre 2013, la Présidente Dilma Rousseff a an-noncé, depuis le palais du Planal-to, que 310 projets de revêtement de sol (routes, terrains, aména-gement de quartiers et villes, projets d’infrastructures…) et d’assainissement recevront pro-chainement du gouvernement fédéral près de 13 milliards de reais (environ 4,17 miliards d’eu-ros).L’un des groupes qui a surfé sur ces opportunités de croissance est Equipav, avec un chiffre d’af-faires supérieur à 1 milliard de reals. Il a créé en 2010 l’AEGEA, qui administre des concessions publiques en approvisionne-ment, collecte et traitement des eaux usées, et détient désormais 12 % du marché privé brésilien.D’autres sociétés implantées au Brésil investissent dans le domaine du traitement des eaux usées, comme Foz do Bra-sil (Groupe Odebrecht), CAB Ambiental (Groupe Galvão), Estre, Foxx Haztec… Parmi les

sociétés françaises présentes au Brésil, Veolia Environnement vient de remporter au premier semestre, un contrat pour la construction de trois unités de traitement d'eau auprès de la société Celulose Riograndense, une filiale du groupe papetier chilien CMPC ; et Suez Environ-nement qui à travers sa filiale Degrémont, spécialisée dans la gestion du cycle de l’eau pour les industriels et les municipalités, a signé le contrat d’ingénierie et de fourniture de quatre unités de traitement d’eau pour Keppel FELS Brasil et ses filiales Lindel Private Limited et Estaleiro Bras-FELS.Ainsi le destin de l’eau brési-lienne est encore aujourd’hui et pour longtemps un enjeu capital en termes de santé publique et d’économie locale et internatio-nale. Les entreprises françaises, qui possèdent de nombreux savoirs et savoir-faire dans ce domaine, ont des opportunités à saisir. M

Itaipu, le second barrage hydroélectrique derrière celui des Trois Gorges en Chine.

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