LE YOGA DE LA VERTICALITÉ

DES MÊMES AUTEURS dans la même collection

Le Yoga des Pharaons, Dervy-Livres, 1983, 1984.

COLLECTION « MYSTIQUES ET RELIGIONS »

GENEVIÈVE et BABACAR KHANE

LE YOGA DELA

VERTICALITÉ Pédagogie et Pratique du Yoga

des Pharaons Dessins de Michèle Koné

DERVY-LIVRES 2 6, rue Vauquelin

PARIS V 1987

© Dervy-Livres, 1987 ISBN : 2-85076-039-0

AVERTISSEMENT

Fruit de plus de vingt ans d'enseignement et de recherches, ce livre est le premier d'une série consacrée à la pédagogie et à la pratique du yoga égyp- tien. Plusieurs des leçons qu'il renferme sont disponibles sur cassette.

Outre un ensemble d'attitudes verticales qui lui sont propres, l'Égypte ancienne a connu et pratiqué la plupart des grandes postures du hatha-yoga indien. Le présent ouvrage est consacré aux attitudes spécifiques du yoga égyptien. Il aborde également quelques-unes des applications que rencontre ce yoga dans la préparation aux postures de hatha-yoga. Babacar Khane se réserve d'aborder plus en détail dans d'autres ouvrages — actuellement en préparation — la pédagogie des postures communes à l'Inde et à l'Égypte.

Les thèmes de méditation propres à l'Égypte ancienne n'ont pu être inclus à l'intérieur de ce livre, ils figureront également dans un ouvrage ultérieur.

Les personnes intéressées par l'ensemble de l'enseignement dispensé par le Yogi Babacar Khane peuvent rencontrer ce Maître à l'occasion des nom- breux séminaires qu'il dirige un peu partout dans le monde, notamment en Europe et en Egypte. L'Institut International de Yoga qu'il a fondé en 1964 comporte des sections officielles dans plusieurs pays d'Europe. Et il édite depuis 1984 une méthode par correspondance et par cassettes où sont regroupés tous les aspects de l'enseignement de Maître Khane. Pour tout renseignement concernant cet enseignement, veuillez-vous adresser à :

Institut International de Yoga BP. 1839 Dakar Sénégal.

I. A ce sujet, voir, Le Yoga des pharaons, chap. 3.

VERTICALITÉ

Tu es partout présente : Le minéral t'exprime par la montagne, Le végétal t'exprime par l'arbre, Mais ton triomphe, c'est l'homme, Arbre sorti de la glaise du règne animal. Verticalité, ô mouvement de l'être vers son idéal, Tu t'exprimes à travers la terre entière. Montagnes, arbres, animaux, hommes Ne sont que les marches de l'escalier Qui mène vers toi. Verticalité, En toi réside la destinée de l'homme. Je te rends hommage par le rituel du Yoga égyptien. L'arbre de ma vie s'est dressé Pour t'accueillir en ta demeure.

AVANT-PROPOS

« L'Orient et l'Occident sont appelés à unir en un seul tout l'activité et la spiritualité. »

(Paroles du Mahavatar Babadji

Le yoga est généralement considéré comme une discipline spé- cifiquement originaire de l'Inde et plus adaptée au tempérament contemplatif de l'Orient qu'au pragmatisme de l'Occident. Pour- tant, selon la tradition indienne, la terre entière a connu le yoga et l'origine de cette discipline se confond avec l'origine de la vie. En faisant revivre la tradition égyptienne du yoga, Babacar Khane jette un pont entre l'Orient et l'Occident et confirme l'universa- lité de cette technique psychophysique de concentration et de maîtrise de soi.

Berceau de notre civilisation, l'Égypte a transmis à la Grèce les bases de nos mathématiques, de notre médecine, de notre philo- sophie. Dans le secret de ses temples sont nées les grandes doc- trines qui ont inspiré tout à la fois les fondateurs des religions ultérieures et les traditions ésotériques de l'Occident. Apparem- ment pétrifiée, momifiée, l'Égypte est encore étonnamment vivante et son message prend un relief particulier en ces temps de fin d'un monde et de renouveau. Avec l'expédition de Bonaparte en Egypte et la découverte de la pierre de Rosette s'est amorcée une des plus grandes aventures de notre temps : l'Égypte n'est pas que le creuset où se sont formées les racines de nos sciences et de nos techniques, elle est aussi le pays du sphinx. Orienté vers le levant, son visage de pierre est là depuis des millénaires pour attendre et annoncer le lever d'un nouveau soleil.

I. Citées par Paramahansa Yogananda, dans Autobiographie d'un Yogi, p. 342.

La redécouverte du yoga égyptien à laquelle nous convie Babacar Khane n'est pas un vain retour vers le passé. Elle s'inscrit au contraire au sein du vaste dessein qui préside à l'émergence d'une ère nouvelle. Et ce n'est pas un hasard si les apparitions du Christ ressuscité ont toujours été représentées dans une des atti- tudes fondamentales du yoga égyptien : l'attitude du chandelier ou attitude de KA. Ce yoga est une des clefs qui permettront la genèse en l'homme du Christ du Nouvel Age.

Geneviève Khane

I PARTIE

L'ENJEU DE LA VERTICALITÉ

SIMPLICITÉ ET GRANDEUR DES POSTURES PHARAONIQUES

Le yoga égyptien n'est pas seulement une discipline d'éveil spi- rituel, c'est aussi une technique corporelle dont l'homme d'aujourd'hui peut retirer les plus grands bienfaits, même s'il ne s'intéresse que trop rarement à la spiritualité.

Les postures pharaoniques surprennent et déconcertent l'observateur. Pourtant, si l'on excepte l'attitude de torsion ver- tébrale qui sert généralement de modèle à la représentation des personnages vus de profil, ces postures sont le plus souvent empruntées au registre de la vie quotidienne. Leur aspect décon- certant ne provient pas d'une recherche acrobatique particulière, mais d'une perfection, d'une rigueur quasi inhumaines.

Se tenir debout ou être assis nous paraissent des gestes simples. En réalité, il n'est rien de plus difficile que les gestes apparem- ment les plus simples. L'observation des colosses pharaoniques restitue à ces attitudes leur véritable dimension et nous donne la mesure de ce que représente réellement la verticalité de l'homme. La surprise que nous éprouvons à la vue de ces géants de pierre ne provient pas seulement de leurs proportions, mais aussi du constat — plus ou moins conscient — du décalage qui existe entre le laisser aller de notre maintien et la rigueur du maintien pharao- nique. Ce constat est un premier pas vers la prise de conscience et l'autocorrection du corps.

A l'homme du vingtième siècle habitué à se laisser aller dans des fauteuils trop profonds, il peut sembler épuisant d'adopter une attitude ferme, inspirée de l'observation des postures pharao- niques. Nous croyons nous reposer et détendre les muscles de

notre corps en adoptant des attitudes négligées. Debout, nous craignons de redresser le dos et les épaules, nous les laissons s'affaisser vers l'avant et comprimer la cage thoracique. De peur d'avoir l'air par trop martial et arrogant, nous préférons ressem- bler à ces poupées de chiffon dont la mode a popularisé l'image.

Outre les déformations qu'elles finissent par entraîner, ces attitudes de laisser-aller perturbent la circulation énergétique, amoindrissent la vitalité et influent de manière négative sur l'état psychique. Loin de reposer, elles occasionnent une fatigue réelle et ouvrent la porte à des états mentaux dépressifs. Une attitude ferme permet au contraire une libre circulation des courants éner- gétiques et favorise un comportement mental positif. Le corps est tout à la fois le miroir et l'amplificateur de nos états mentaux. En le redressant, on opère en même temps un travail de rééducation mentale.

Étant généralement basées sur les grandes attitudes de la vie courante, les postures pharaoniques ont une application directe au sein de la vie quotidienne. Elles permettent une prise de conscience progressive des différents segments de l'appareil loco- moteur et conduisent à une autocorrection physique et psychique : elles agissent tout à la fois sur l'appareil locomoteur lui-même et sur le schéma corporel.

Il ne suffit pas d'avoir la volonté de se redresser pour parvenir réellement à le faire. Le poids des habitudes, l'absence de cons- cience du corps et les contractures musculaires entraînées par une longue pratique d'attitudes défectueuses, ont tôt fait de freiner les meilleurs élans. Seul un travail méthodique, basé sur une connais- sance parfaite de l'arbre vertébral et des différents segments de l'appareil locomoteur, est capable de dissoudre les résidus du passé et de remplacer les mauvaises habitudes posturales par une tenue parfaite. Sur ce plan, la rigueur et la précision du yoga égyptien sont sans égal.

Comme nous l'avons souligné dans Le Yoga des Pharaons, la médecine égyptienne était avant tout une vertébrothérapie. Les prêtres-médecins de l'Égypte pharaonique possédaient une connaissance tout à fait étonnante des différentes lésions qui peu- vent affecter l'arbre vertébral et de leurs incidences sur les autres parties du corps. Sans appareil de radiographie, ils parvenaient à distinguer une luxation (wnkh) d'une sub-luxation (nswt), d'une

entorse (nrwt) ou d'un écrasement vertébral (shm). Ils connais- saient aussi parfaitement l'anatomie de la ceinture scapulaire et de l'appareil respiratoire Enfin ils n'ignoraient rien des circuits énergétiques et de la localisation des centres subtils.

Cette connaissance approfondie du corps humain, dans son double aspect physique et énergétique, explique la précision étonnante des attitudes égyptiennes. Une posture telle que la pos- ture du KA n'est pas seulement un condensé symbolique et spiri- tuel d'une extrême richesse, c'est aussi une attitude parfaite pour la rééducation du dos, de la ceinture scapulaire et de l'appareil respiratoire. Enfin c'est une attitude d'ouverture des centres sub- tils (voir leçon 2, exercice B). A la rigueur et à la précision de la démarche s'ajoute ici une vision totalisante de l'être humain. Les postures égyptiennes agissent à la fois sur le corps physique, sur le corps énergétique et sur le mental, elles constituent en même temps une voie d'accès à la réalisation spirituelle.

L'action du yoga égyptien sur l'axe vertébral et les autres seg- ments de l'appareil locomoteur se répercute naturellement sur le fonctionnement des différents organes, par l'intermédiaire des connexions nerveuses et des circuits énergétiques. De même que les acupuncteurs chinois, les prêtres-médecins de l'Égypte ancienne considéraient les désordres des circuits énergétiques (mtw) comme les grands responsables de l'apparition des maladies. Leur pratique médicale était orientée vers la guérison des trou- bles énergétiques en même temps que vers la vertébrothérapie. Ces deux aspects se retrouvent à l'intérieur du yoga égyptien.

La relation qui existe entre la colonne vertébrale et la circula- tion énergétique apparaît en pleine lumière dans de nombreuses représentations égyptiennes du pilier djd, symbole de la colonne vertébrale d'Osiris. Du sommet de celui-ci émergent, sous la forme de deux serpents les deux grands courants énergétiques connus de l'Inde sous le nom d'ida nadi et de pingala nadi. Entre

1. Comme la démarche méthodique du papyrus Edwin Smith le laisse sup- poser, les connaissances des anciens Égyptiens s'étendaient vraisemblablement à l'ensemble du corps. Cependant la copie de ce traité étant demeurée inachevée, nous manquons de détails concernant les parties du corps situées en dessous de la région thoracique.

2. Le serpent uraeus du nord et le serpent uraeus du sud. Sur la signification symbolique de ces deux serpents, voir notre livre Le Yoga des Pharaons, p. 65 sq.

FIG. I. — D'après R. A. Schwaller de Lubicz, Le temple de l'homme, t. I, fig. 168. Cette planche révèle l'étendue des connaissances anatomiques des anciens Égyptiens. Elle témoigne également de leur connaissance des centres subtils. On notera tout particulièrement l'expression « shtyt n fnd » (littéralement « le sanctuaire du nez ») employée pour désigner l'emplacement du « troisième œil » (appelé ajna chakra par les Indiens).

FIG. 2. — D'après R. A. Schwaller de Lubicz, Le temple de l'homme, t. 1, fig. 167.

les deux serpents se dressent les deux plumes symboles du souffle et des circuits subtils à travers lesquels s'effectue la circulation de l'énergie pranique. Comme l'indique le croisement des deux sceptres posés sur la poitrine, les deux courants s'harmonisent au niveau du centre subtil de la région cardiaque (voir fig. 3). Tous ces symboles se retrouvent en acte à l'intérieur de l'attitude du

FIG. 3. — Le pilier djed, symbole de la colonne vertébrale d'Osiris. D'après A. Champdor, Le livre des morts, p. 46.

KA. Comme nous le verrons plus en détail au cours de la descrip- tion pédagogique de cette posture, les deux bras correspondent aux deux nadis ida et pingala. Au cours de la pratique de cette atti- tude, ces deux courants énergétiques s'harmonisent au niveau du chakra du cœur. L'image du pilier djd surmonté de deux serpents n'est qu'une transposition ésotérique de l'image de l'homme dans l'attitude du KA et des circuits énergétiques mis en jeu par cette attitude.

Les autres grandes postures du yoga égyptien témoignent de la même précision et de la même vision totalisatrice de l'être humain. L'attitude de torsion vertébrale qui sert de modèle pour la représentation des personnages vus de profil, agit sur les points vitaux les plus importants de la colonne vertébrale. Ses effets tiennent tout à la fois de la vertébrothérapie et de la médecine énergétique. En dissipant les tensions et les blocages dus aux pro- blèmes psychiques, elle agit également sur le mental. Son action s'étend enfin aux centres subtils et au domaine spirituel. La tor- sion est une amorce de spirale. Elle permet l'ascension de l'énergie subtile et l'ouverture de l'homme à la dimension spiri- tuelle.

Outre leur rigueur, leur précision, les attitudes du yoga égyp- tien se caractérisent par leur simplicité. Cette simplicité peut déconcerter les esprits mal informés, habitués à confondre yoga et contorsions. Comme le remarquait Jean Herbert, dès qu'ils entrent en yoga, certains Occidentaux vouent volontiers chaises et tables au bûcher, condamnant parents et amis à partager avec eux l'expérience du lotus ou du diamant. Ils oublient que l'Inde elle-même a adopté la chaise, le télégraphe, le téléphone. Les élé- ments extérieurs comptent peu. Le vrai temple est intérieur, la vraie posture est la posture intérieure. Le yogi reste yogi, qu'il soit assis sur une chaise ou qu'il soit assis en lotus ou en diamant. Il ne demande pas aux objets matériels ni à l'aspect extérieur du geste de lui apporter la preuve de ce qu'il est. Il sait que la véri- table évolution est l'évolution spirituelle. Il peut ainsi prendre les postures et accepter ou refuser les objets sans en être esclave ni en imposer à d'autres l'esclavage.

Il peut vivre aussi bien dans l'atmosphère des grandes capitales que dans une grotte au cœur de l'Himalaya ou au pied des pyra- mides. Dans le luxe ou dans la pauvreté. Il sait endosser aussi bien la tenue de l'ouvrier ou du paysan que celle du patron. L'épreuve ne l'abaisse pas plus que le succès ne l'exalte.

Cela paraît évident ; pourtant, la plupart de nos contemporains se sentent découragés, décontenancés devant les postures les plus spectaculaires du yoga. En vérité, ils ne savent pas qu'on peut vivre en yoga sans pouvoir prendre pour autant des attitudes aussi difficiles que la posture de l'« oiseau » ou la posture du « scor- pion ». L'important n'est pas l'aspect extérieur de l'attitude, mais

son vécu intérieur. Ceux qui, à force de souplesse ou de travail, parviennent à réaliser toutes les as an as, même les plus difficiles, auraient tort de se priver de leurs bienfaits. Ceux qui ne peuvent exécuter ces attitudes auraient également tort de se désoler et de se croire inaptes au yoga. En cette matière, comme en matière de nourriture, chacun doit agir en fonction de son appétit et de ses capacités. Le yoga est fait pour l'homme, non l'homme pour le yoga.

La posture n'est pas une fin en soi, elle n'est qu'un moyen de discipliner le corps, de pacifier le mental et d'ouvrir l'être à la Conscience Cosmique. L'attitude la plus simple peut devenir la plus parfaite des asanas dès lors qu'elle est pratiquée en toute conscience, en toute présence. Tel est un des messages que nous livrent les statues pharaoniques. Assis ou debout dans l'éternité, ces géants de pierre ont une telle intensité de présence que leur attitude devient la plus belle des attitudes. Leur visage transfi- guré, habité par la lumière intérieure, exprime pleinement la conscience du Soi.

Sur ce point, l'enseignement de l'Égypte rejoint tout à fait l'enseignement du Bouddha ou de la Chine. Être, c'est avant tout être présent.

Plus qu'aucune autre, notre époque a besoin du calme, de la détente et de la concentration qu'apporte le yoga. Plus qu'au- cune autre, elle a besoin d'une discipline qui éveille l'homme à la conscience et à la maîtrise de lui-même. Mais elle n'acceptera le yoga que si celui-ci accepte de se démythifier et de parler un langage accessible à tous.

Un des grands mérites du yoga égyptien est sa simplicité, sa parfaite intégration au monde moderne. La plupart de ses atti- tudes peuvent se pratiquer debout ou assis sur une chaise, en n'importe quel lieu. Elles n'exigent aucun équipement, aucune tenue particulière. Leur précision, leur rigueur s'accommodent mal du folklore, elles vont tout droit à l'essentiel : l'homme et l'arbre de vie qu'est la colonne vertébrale.

Adopté dans certains pays comme gymnastique de pause dans les usines, les bureaux, ou comme technique éducative dans les écoles, les universités, le yoga égyptien s'adresse à tous et parle un

3. Terme sanscrit qui signifie « posture ».

langage que nous connaissons tous : celui du tabouret, de la chaise ou de la station verticale. Il n'exige aucune souplesse, aucun mode de vie, aucune religion particulière. Il ne nous demande que d'être présent, intensément présent dans chaque pas, dans chaque geste. Il n'est pas un dérivatif, pas un loisir pour esprits en mal d'exotisme, il est une école d'Être.

L'HOMME MÉDIATEUR ENTRE LE CIEL ET LA TERRE

Les postures égyptiennes se caractérisent par une maîtrise par- faite de la verticalité. Qu'ils soient debout, assis ou agenouillés, dieux, rois, prêtres et scribes ont un maintien d'une rigueur quasi inhumaine. Délaissant généralement l'homme quotidien avec ses petitesses, ses défauts, les peintres et les sculpteurs de l'Égypte pharaonique ont représenté l'Homme Cosmique, l'Homme habité par la grandeur et la majesté de la présence divine. La verti- calité est une des dimensions où cette présence s'exprime avec le plus d'éloquence.

Nous avons déjà évoqué, dans Le Yoga des Pharaons, le rituel par lequel le prêtre, debout dans l'attitude du KA, invoquait la descente du rayonnement divin et se faisait le canal de médiation de ce rayonnement. L'homme debout, dans l'attitude du « chandelier » ou attitude du KA, est en quelque sorte un obé- lisque dressé vers le ciel. Ses pieds prennent fermement appui au sol, mais ses mains sont pointées vers le ciel comme deux antennes, deux aimants qui captent et condensent en eux les formes supérieures de l'énergie cosmique. Comme le dit le papyrus 1038 de Berlin, « (ses) pieds sont sur la terre, (sa) tête est dans le ciel »

Si l'homme debout est un obélisque, l'homme assis dans l'atti- tude du scribe est une pyramide. La solidité de sa base est

1. Une des principales attitudes du yoga égyptien (voir leçon 2, exercice B). 2. Extrait d'un rituel du culte de Ptah, d'après A. Barucq, L'expression de la

louange divine et de la prière dans la Bible et en Égypte, I.F.A.O., Le Caire, MCMLXII, tome XXXIII, p. 529.

compensée par le puissant dynamisme ascensionnel qui érige vers le haut sa tête et sa colonne vertébrale. Comment pourrait-il en être autrement, puisque sa tête (tp) n'est rien d'autre qu'un reflet du ciel (pt) ?

Selon la cosmogonie héliopolitaine, un des premiers épisodes de la Création de l'univers a consisté en la séparation du ciel et de la terre. L'objectif principal de la religion égyptienne est de trans- cender cette séparation pour remonter à la source de la lumière divine. Dès les textes des Pyramides apparaît la mention d'un escalier — ou d'une échelle — sur les marches duquel le pharaon s'élève pour retourner à sa source et s'unir avec Celui qui l'a créé :

472. « L'échelle est nouée par Ré devant Osir. L'échelle est nouée par Hor, devant son père Osir, quand il va vers son Esprit.

474. L'Esprit est pour le ciel ; le cadavre est pour la terre. » 476. « Comme elle est belle la vision ! comme elle est agréable

la vue ! » disent les dieux — « de la montée de ce dieu vers le ciel ; de la montée de W.M.N. au ciel.

479, Monte au ciel, W.M.N. ! Monte sur elle, en son nom d'" Echelle" »

Le rôle médiateur des attitudes verticales du yoga égyptien apparaît clairement dans les inscriptions qui accompagnent la représentation de postures telles que la posture d'élévation du ciel (tw pt). « Je viens à toi », dit le roi, s'adressant à la divinité, à qui il demande ensuite de paraître. Tandis que le roi s'affermit pour hausser toutes ses forces vers le ciel, la divinité lui répond en lui envoyant la bénédiction de millions d'années :

Le roi. — J'affermis mes pieds, j'élève mes bras, je donne la puissance à mes bras, je manifeste et donne ma force, quand je soutiens le ciel (...) de mes bras.

La divinité. — (...) Je vois ta puissance. Je me réjouis de la soli- dité de tes bras. Mon cœur est en joie quand il voit ta force. Je te donne la durée de vie du ciel qui porte Rê et les années de Shou q u i s o u t i e n t N o u t

1. L. Speelers, Textes des pyramides égyptiennes, Bruxelles, p. 67. 2. Shou : divinité liée à l'élément air et souvent représentée dans la posture d'élévation du ciel. Nout : représentation de la voûte céleste.

Le roi. — Je maintiens haut le ciel sous ma forme de dieu Heh Je mets le cœur du père des dieux en joie avec mes bras, lorsque, sous la forme de Shou, je soutiens la déesse Nout. (...)

La divinité. — Je te donne la durée de vie de Rê au ciel et la p u i s s a n c e d e G e b s u r l a t e r r e

T o u t e n a c c o m p l i s s a n t l e g e s t e r i t u e l d ' é l é v a t i o n d u c i e l , l e p h a -

r a o n s ' i d e n t i f i e à d e u x d e s g r a n d e s d i v i n i t é s l i é e s à l ' é l é m e n t a i r :

S h o u e t H e h . L e d o n d u s o u f f l e d e v i e q u i r é c o m p e n s e e t a c c o m -

p a g n e s o n g e s t e e s t é v o q u é à p l u s i e u r s r e p r i s e s p a r l e s t e x t e s : « J e

t e d o n n e l e d o u x s o u f f l e q u i e s t e n c l o s d a n s m e s n a r i n e s e t q u i e s t

p u r d e t o u t e s o u i l l u r e » ; « P r e n d s l a c r o i x d e v i e q u i e s t t e n d u e

v e r s t e s n a r i n e s e t t u r e c e v r a s e n p a r t a g e l a v i e é t e r n e l l e , l a s t a b i -

l i t é , l a f é l i c i t é , ô m a î t r e d e s D e u x T e r r e s »

L a p o s t u r e d ' é l é v a t i o n d u c i e l e s t p a r f o i s r e p r é s e n t é e a u x c ô t é s

d u s y m b o l e d e l ' U n i o n d e s D e u x T e r r e s ( s m t w y ) . C o m m e n o u s

l ' a v o n s s o u l i g n é d a n s L e Y o g a des p h a r a o n s , c e s y m b o l e é v o q u e ,

a u - d e l à d e l ' u n i o n d e s d e u x É g y p t e , l ' u n i o n d e s d e u x p ô l e s d u

r o y a u m e i n t é r i e u r ; s a s i g n i f i c a t i o n s p i r i t u e l l e r e j o i n t c e l l e d u

terme hatha-yoga Le lien entre les deux motifs confirme le rôle médiateur de la posture. Celle-ci réactualise en apparence la sépa- ration originelle du ciel et de la terre. En réalité, elle établit un courant d'échanges entre le pôle céleste et le pôle terrestre, le pôle humain et le pôle divin. Prenant fermement appui au sol, le pharaon élève vers le ciel la force issue de la terre. En retour, il reçoit la bénédiction du rayonnement divin et permet à celui-ci de se répandre sur la terre. En lui, le pôle terrestre et le pôle céleste s'harmonisent de même que s'harmonisent le Yin et le Yang à travers la réunion de l'Egypte humide du delta et de l'Égypte aride du sud. La posture d'élévation du ciel et les autres attitudes verticales du yoga égyptien réalisent, sur le plan de la verticalité, une synthèse analogue à celle que réalise le symbole de l'Union des Deux Terres sur le plan horizontal. L'Egypte

3. Autre divinité liée à l'élément air et représentée dans la posture d'élévation du ciel. 4. Esna, paroi sud. D'après Dieter Kurth, Den Himmel stützen Bruxelles, Fon-

dation Egyptologique Reine Elisabeth, 1975, p . 25-26. Edfou, deuxième salle hypostyle. D ' ap rès Dieter K u r t h , op. cit., p. 39.

6. Edfou, Pronaos. D 'après Dieter K u r t h , op. cit., p. 46. 7. E tymologiquement , le terme hatha-yoga signifie « un ion du ha et du tha »,

c 'est-à-dire de l 'énergie solaire (ha) et de l 'énergie lunaire (tha).

n'est-elle pas « l'image du ciel » et « la projection ici-bas de toute l'ordonnance des choses célestes », comme le disent les textes hermétiques ?

Si le yoga égyptien est par excellence un yoga de la verticalité, l'art égyptien est un art de la verticalité. Pyramides, obélisques, colosses, pylônes, sont autant d'expressions d'une même poussée ascensionnelle, d'un même dialogue entre les deux pôles de l'uni- vers. Tandis que le colosse manifeste la présence du divin en l'homme, la pyramide et l'obélisque évoquent tout à la fois la des- cente des rayons solaires et de l'énergie cosmique sur la terre, et l'évolution de la vie terrestre vers une spiritualité de plus en plus haute.

Par l'étendue de sa base et la fermeté de son assise, la pyramide illustre parfaitement l'exigence des anciens Égyptiens selon laquelle l'homme doit avoir les pieds solidement plantés au sol avant de pouvoir s'élever. Si les attitudes du yoga égyptien sont des attitudes verticales orientées vers les sphères supérieures de l'univers, ce sont aussi des attitudes de stabilité à travers les- quelles l'homme prend conscience de ses différentes assises physi- ques, énergétiques et mentales. Aucun élément, aucun stade de la vie humaine, ne peut être dépassé, s'il n'est d'abord maîtrisé. La réalisation spirituelle implique une prise de conscience et une maîtrise de la part animale qui est en nous. S'il doit progressive- ment être dominé, le corps physique ne peut être méprisé, ignoré. L'être humain forme un tout. L'équilibre et la maîtrise du corps physique conditionnent l'équilibre et la maîtrise du mental. C'est pourquoi, avant d'élever ses bras vers le ciel, le pharaon prend fermement appui au sol.

Comme l'a montré R. A. Schwaller de Lubicz, le temple égyp- tien est une projection architecturale du corps de l'homme. Si le saint des saints correspond à la tête et à ses centres subtils, l'entrée du temple est en relation avec les pieds de l'homme. La massivité du pylône et sa verticalité soulignent l'importance et la nécessité d'une assise solide. L'entrée dans le temple et la progression vers ses parties supérieures supposent la prise de conscience et la maî- trise des membres inférieurs. Qu'ils soient debout ou assis, les colosses pharaoniques sont solidement ancrés au sol. La fermeté

8. Discours d'initiation ou Asclépios, II, trad. de Louis Ménard.

De l'Antiquité jusqu'à nos jours, la perfection des attitudes pharaoniques n'a cessé de susciter étonnement et admiration. Directement inspiré par l'esprit de l'ancienne Egypte, le yogi Babacar Khane a su redécouvrir la signification réelle des postures pharaoniques et mettre à la portée de milliers de nos contem- porains leurs bienfaits thérapeutiques, énergétiques et spirituels. S'appuyant sur de solides connaissances en anatomie, physio- logie, acupuncture, massage réflexe et vertébrothérapie, ce yogi qui est en même temps un thérapeute et qui a travaillé de nom- breuses années en étroite collaboration avec des psychologues, des psychiatres et des rhumatologues renommés, a su créer une péda- gogie adaptée aux besoins et aux problèmes de l'homme moderne.

A travers ce livre, suite attendue du « Yoga des Pharaons », il nous dévoile l'action subtile des attitudes pharaoniques et nous révèle comment retrouver équilibre, vitalité et maîtrise de soi grâce aux postures et aux techniques de méditation qui ont fait la grandeur de l'ancienne Egypte.

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