Le Vice Supréme

404
PÊLADAN T "p" '~y' ROMAN PRÉFACE DE JULES BARBEYD'AUREVILLY LES ÉDITIONSDUMONDEMODERNE 79 RUE DE VAUGIRARD, PAR~ MDCCCCXXVI

Transcript of Le Vice Supréme

Page 1: Le Vice Supréme

PÊLADAN

T "p" '~y'

ROMAN

PRÉFACE DE JULES

BARBEYD'AUREVILLY

LES ÉDITIONSDU MONDEMODERNE

79 RUE DE VAUGIRARD,PAR~MDCCCCXXVI

Page 2: Le Vice Supréme

Dans la même CollectionI./<. –LesDévotesd'Avi-<Xgnon_Avant-prup(~deGustave-L-'ulsiaotalu;. X11bis. –LesDévotesvain-cues. XIVoyageur11~~7/-y~<y/– LaMaison']duboiddesSables.LaMaison

XX1

IV~ /< L'Ameen itriche. L'AmeenXXt

~Confe~~Les Secretsdu

"Fe~es"'~w< 6'?<jc/– L'lie\XidesHommes. <.VH~?/.s/o~/< LesVoiuptésdeMauve. XX~

VfH. ~Mf~ Toujourstuvru,J.d'OrSindail'.'l'ouJourstu xxichériraslaMerpréfacedel'4tai-rai(j))(-pratte). hLaSéparation

1

desRaces, mX.Vc~~/~c/«~Typasses.XI ,< ~&o~ M., m,dameChicot.Xff.~v A')/ Lamede ~<Fond(PréfacedeRenéBoyiesve)X))J.6'c/tcFoMr/ Adam fP.EveetLSerpent(Pri.dei~e ~YX~!es) r's HLe-

~erge~laVierge.

1XXXI1XV. LesGrandesOrgues.

~T' S' Calatieu(GrandOaipnxdMMéconnus.)(Postfacesde XXXfJ~eonj~audetetFrançoisC<c)J Se~

~~n. i~ Les Bohé-d miens 1 rcface de L~.is Bertrand)XVHf.

~'t~LeFouLoup (Préface d'Henri HacJicHu)

~'sou~e~u~~ ~–––sous les Etoiles.

~L~d~u~~La seconde Jeunesse.

Deux pe-'r"Deuxtlts Romans.

X.Yff. <7<s/~c /< La Para-

~~M~e(Iiiu.fra~SdJA.-P. Gallien),

~~s6o~ Torche ren.versée.

XXfV./N~LePronin

.–S.IlictiCI)in).

XXV. /.Mr~M <i'<M. Marl!i(Préface de Henri Puurrat).

XXVf ~M. Pierrot dala Lune froinau-farce).XX VH. La Corne-muM de Saulieu.

A.s -D6chéance (Préface

deJ~H.H~~ ~N2 vol.

Modestie et Va-~té ,P,ace de Carnilte Mauciai,~

(Préface de Pierre ~Iac-Odan).

(1 iéfacc de ItarLel' (L\urevilly¡.~n:

Le Magt-cien.

~Y/. BacaT;ouni (P.face de ~~ine~-clair).

XXXfV.Le Jeu

Sexuei(Pn.face de Joseph Delteil).

Page 3: Le Vice Supréme
Page 4: Le Vice Supréme
Page 5: Le Vice Supréme
Page 6: Le Vice Supréme

JLEVÏCE SUPRÊME

J

~L

Page 7: Le Vice Supréme

DU MÊME AUTEUR

A LA MÊME LIBRAIRIE

D6votes d'Avignon. Préface de Gustave-Louis TAUTAi~. Un vol. inédit. 7 60Les Dévotes Vaincues. Un vol. inédit.. 7 60La Torche Re&veMée. Un vol. inédit. 7

A PARAITRE

Modestie et Vanité.

Science de la Voiupté.FiBJb Latinorum.La Gynandre.

Page 8: Le Vice Supréme

PËLADAN e

LE VICE

1 ~UPR.ÈME'~s.ROMAN

PREFACE

DE JULES

~ARBEY D'AUREVILLY

LES ÉDITIONSDUMONDEMODERNE

79~ RUE DE VAUGIRARD,PARIS

MDCCCCXXVI

Page 9: Le Vice Supréme

Copyright by Aux Éditeurs aMocMt 1925.

)

JUSTIFICATION DU TIRAGE

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGEUN EXEMPLAIRE UNIQUE SURVÏEUX J/tJPON ENLUMINÉ A LAMAIN PAR D. JANKOVIC, CINQEXEMPLAIRES SUR JAPON IMPÉRIALNUMÉROTÉS DE 1 A 5,QUATRE-VINGT-QOYNZE BXJEMPLAIRE8 SURPAPIER ON HOLLANDE NUMÉROTÉSDB 6 A 100, ET CINQ CBNTS EXEM-PLAIRES SUR ALFA BOUFFANTNUMÉROTÉS DE 101 A 600.

Page 10: Le Vice Supréme

blement criblés, à cette heure, en voici du moins

un que je n'attendais pas et qui n'a pas le ton des

autres! En voici un qui nous enlève avec puissance

à la vulgarité des romans actuels qui abaissent la

notion même du Roman et qui. si cela continue,'

finiront par l'avilir. Le Roman, en effet, tel que

l'aime et le veut 1 imagination contemporaine et

tel que le lui font les serviles du succès n'importe`

à quel prix, n'est guère plus maintenant que la

recherche et la satisfaction d'une curiosité plus ou

moins frivole ou plus ou moins corrompue. Pour

la forme et pour l'art, de deux choses l'une ou M

a'eneuille misérablement en œuvres courtes, sans

<–naleine et sans portée, auxquelles l'idéal manqueautant que la moralité, ou il s'allonge, plus misé-

rablement encore, en des aventures imbéciles. Ajou-

tez à cela dans les très rares où l'on distingue quel-

qne talent, tous les morcellements et toutes les

pulvérisations de l'analyse, car l'analyse est le mal

n Intellectuel d'un siècle sans cohésion et sans unité,

1 PRÉFACE

Parmi les romans dont nous sommes si impitoya-

Page 11: Le Vice Supréme

PREFACE

et dont les œuvres littéraires portent, même sans lesavoir, la marque d'un matérialisme qui est toutesa philosophie. On le comprend, du reste. L'ana-lyse, cette faculté de myope qui regarde de près etne voit les cnoses que par tes côtés personnels etimperceptiMes, se trouve beaucoup plus exactementet natureiïement en 1 apport avec la masse des es-prits faibJes dont la {.rétention est d'être fins, queia vigoureuse et large synthèse qui voit les ensem-bles d'un regard et les étreint quelquefois avec lapoigne du génie. Il ne faut pas s'y tromper. Letemps n'est pas à la synthèse! 1 Présentement, lesramasseurs de microbes et les cardeurs de riensl'emporteraient en littérature sur les plus maleecréateurs, s'il y en avait! Je sais bien qu'on ne peutpas supprimer absolument la Synthèse dans l'esprithumain sans tuer l'esprit humain lui-même, maisdai~s la vaste décomposition qui s'avance sur nouson peut très hier prévoir le moment où l'analysequi dissout tout, dans les livres comme dans Icasociétés, dissoudra aussi le roman dont la synthèseserait la beauté; le roman, c'est-à-dire la seulegrande chose littéraire qui nous reste, l'épopéec'es sociétés qui croulent de civilisation et de vieil-lesse, et le dernier poème qui soit possible aux peu-ples exténués de poésie!

Eh bien c'est ce genre de roman dont ai peud'esprits sont capables dans l'amollissement et

Page 12: Le Vice Supréme

PRÉFACE IX

l'affadissement universels, c'est ce genre de Roman

qui fit de Balzac le plus grand romancier de tous les

temps et de tous les pays, qu'un jeune homme in-

connu encore du moins dans le roman ose,

après Balzac, aborder aujourd'hui! Tête synthéti-

que comme Balzac, M. Joséphin Péladan n'a pas été

terrorisa par cet effrayant chef-d'œuvre, le sublime

diptyque à pans coupés que Balzac appela « La Co-

médie humaine », et il a écrit le Vice suprême, qui

n'est d'ailleurs qu'un coin de l'immense fresque

qu'il va continuer de nous peindre.

Balzac, dans sa grande « Comédie humaine »

sur laquelle il mourut, hélas! s~ns l'achever – avait

donné l'éblouissante synthèse de la société de son

temps, éblouissante encore. Mais après Balzac, quel-

ques années de la plus foudroyante décadence pour

la rapidité, ont élargi sa colossale synthèse, et c'est

cette colossale synthèse élargie que M. Joséphin Pé-

ladan a entrepris de nous donner à son tour. Il a

pris sur ses jeunes bras plus lourd que Balzac, et,

disons-le, plus terrible. Ce n'est pas de la synthèse

d'une société entre toutes qu'il s'agit dans son

livre, comme dans la Comédie humaine, mais de

la synthèse de toute une race, – de la plus belle

race qui ait jamais existé sur terre, de la race

latine qui se meurt. w

Formidable sujet, car il est écrasant, mais magni-

fique, pour l'homme qui ne restera pas dessous!

Page 13: Le Vice Supréme

PRÉFACE

M Péladan y resten-t-i)?. Qui le LœuTMq projette est si grande qu'elle pourrait dëcon-,i~ ~<- sympathie. Sonlivre

d'aujourd'hui, c. premier votume des 7~passionneiles de décadence, qu'il nou. promet, etqu-.i ,~ne de nom, le Vice suprême, est déjàpresque un gage dorné à une gloire future pardes

~s Elles sont indéniables, ces'acuités. J'en connaissais déjà quelques-unes. Cedébutant dans le n'est pas un débutant dansles lettres. Avant de publier le Vice suprême, avaitpublié une biographie de Marion De!orme, véritable-ment délicieuse; mais c'est surtout comme critiqued'art qu'il s'était dernièrement révélé. Il avait passédeux ans il s'y était fait une ~"c~onesthétique très forte, dont il a donné la mesure dansl'Artiste de l'an dernier. II y écrivit un Salon de bcompétence la plus profonde. Les qualités de ceSalon, scandaleusement belles et qui firent scandaicomme le fait toujours ce qui est beau dans cemonde de platitudes et dé vulgarités oùle bonheur de vivre, annonçaient un écrivain et unpenseur très indépendant et très élevé; mais on nese doutait pas qu'elles cachaient un audace

II

Page 14: Le Vice Supréme

PREFACE Xt

mancier, qui, probablement et dans l'ordre du

Roman, va faire un scandale plus grand encore quedans l'ordre de la Critique.

Il y a, en effet, une triple raison pour que lescandale soit la destinée des livres de M. JôséphinPéïad.m. L'auteur du Vice ~upr~me a en lui lestroi~ choses les plus haïes du temps présent. Il a

l'aristocratie, le catholicisme et l'originalité. En

peignant la décadence de la race latine avec ce pin-ceau sombrement éclatant et cruellement impartial

qui est le sien, M. Péladan a pris la société par en

haut, parce que c'est par là, par la cime, –

qu'elle meurt; parce que toutes les décadences com-

mencent par !a tête des nations et que les peuples,fussent-ils composés de tous les Spartacus révoltane sont jamais, même après leur triomphe, quedes esclaves. Les démocrates qui vont lire le livre

de M. Péladan ne lui pardonneront pas d'avoirchoisi pour héroïne de son roman une princessed'Este et d'avoir groupé toute la haute société de

France et d'Italie autour de cette femme qui a tous

les vices de sa race et qui, de plus, en a l'orgueil.

Depuis que les goujats veulent devenir les maîtres

du monde, ils veulent être a' ssi les maîtres des

livres qu'on écrit et y tenir la première place. Ils

veulent des flatteurs d'Assommoir. et ils ne com-

prendront jamais que l'intérêt d'un roman, fût-ce

le Vice suprême, puisse s'attacher à dep races faites

Page 15: Le Vice Supréme

PREFACE

pour commander, comnM: eux sont faits pour oMir.D'un autre côte, le catholicisme de M. Péladan,

du haut duquel il juge la société qu'il peint, et quilui fait écrire à toute page de son livre, avec larigueur de l'algèbre que la race latine ne peutêtre que catholique ou n'être plus ce catholi-cisme est depuis longtemps vaincu par l'impiétécontemporaine qui e méprise et qui s'en moque.Enfin, plus que tout pour le naufrage de son roman,il a l'originalité du .aient dans un monde qui en al'horreur parce qu'elle blesse au plus profond deleur bassesse égalitaire tous les esprits qui ne l'ontpas.

Telles les raisons qui peuvent empêcher le suocèaiwm~MK du livre de M. Péladan; mais que luiimportel C'est un de ces artistes qui doivent beau-coup plus se préoccuper de la sincérité de leurœuvre que de leur destinée. Or, la sincérité del'observation est ici, comme la force de la peinture.Le roman de M. Joséphin Péladan qui a pou. viséed'être l'histoire des mœurs du temps, idéalisées dansleurs vices, n'en est pas moins de l'histoire, etl'idéal n'en cache pas la réalité. Le reproche qu'onpourrait faire au livre du Vice suprême, c'est sontitre. Titre trop abstrait, mystérieux et luisantd'une fausse lueur. Il n'y a ~oint de vice suprême.Il y a tous les vices qui, depu~ le commencementdu monde, pourrissent les nations, et avant même

Page 16: Le Vice Supréme

PRÉFACE XïM

qu'elles aient disparu dans la mort, dansent la danse

macabre de leur agonie. Ils sont tous « suprêmes M

dans le sens de « définitifs )) comme la dernière

goutte d'une coupe pleine, qui va la faire déborder,

mais il n'y en a pas un nouvellement découvert qui

soit le souverain des autres et qui mérite ce nom de

suprême, dans le sens d'une diaboliqup supériorité.

Le cercle des Sept Péchés Capitaux tient l'âme de

l'homme tout entière dans sa terrible emprise et

Dieu même peut défier sa faible créature révoltée

de fausser ce cercle infrangible par un péché de

plus!I

Ml

On ne rencontre donc pas dans ce roman du

Vice suprême, qui semblait le promettre, un vice

de plus que les vieux vices; les vices connus, les

vices éternels qui suffirent pour anéantir sous le

feu du ciel Sodome et Gomorrhe et qui suffiraient

bien encore pour que Dieu mît en morceaux sa

mappemonde demain. Pauvres vices pour des bla-

sés comme nous qui, ser diables à l'empereur ro-

main, en voudrions payer un de plus! Mais que

voulez-vous? Joséphin Pélada~ a été bien obligé

de se contenter de cette' pauvreté, et sous son pin-

ceau, on ne s'aperçoit jamais qu'elle en soit une.

Je ne sache personne qui ait attaqué d'un pinceau

Page 17: Le Vice Supréme

PREFACE

11~17a # ..1 1- ·

plus ferme et plus résolu ces corruptions qui plai-sent parfois à ceux qui les peigne ou qui épouvan~lent l'innocente pusillanimité de ceux qui cmignentde les admirer. Peintre acharné de ressemblances,la panique rnoro~ ne prend jamais M. Péladandevant sa peinture, ~r il y a une panique moralemoins odieuse, mais plus bête que l'hypocrisie. Ilpeint le vice bra~eme~ comme s'il l'aimait et il nele peint que pour le flétrir et pour le maudire Hle peint sans rien lui ôter de ses fascinations, de sesensorcellements, de ~es envoûtements, de tout cequi fait sa toute-puissance sur l'âme humaine, et ilen fait comprendre le charme infernal avec la même

1passion d'artiste intense que si ce charme étaitcéleste!

Mais le moraliste invincible et chrétien, est !à~cujojs derrière le peintre et c'est lui qui éclaire!e tableau. Puisque M. Joséphin Péladan avaitvoulu peindre une décadence, il devait être hardiavec les détails comme avec le sujet de son livre, ets il eût reculé devant aucun d'eux, il eût affaibli laconception de son roman. Dans le Bot de person-nages qui y passent sous nos yeux, on ne trouvepas même les trois justes qu'il fallait pour sauverSodome. On n'y compte qu'une seule innocence etune seule vertu, l'innocence d'une vierge violée, et

résiste à de démoniaquestentations. Tout le reste de ce monde, en chute,

Page 18: Le Vice Supréme

PRÉFACE XV

n'est que corrompus et corrupteurs, dépravés et

pervers, mais sans les mesquineries de l'indécence.Ils sont par trop au-dessus d'ellel Si un vice suprê-me, en tant que nouveau et spécial à la civilisation

qui nous tue, était impossible, si l'auteur du livrea été obligé de se rabattre sur les vieux vices con-

nus, de tous, du moins, il a choisi celui qui com-

munique aux principales figures de son œuvre cette

incontestable, mais affreuse grandeur qui reste àl'âme de l'homme, quand elle ose encore garder son

orgueil, après avoir perdu sa Rerté!

L'une de ces principales figures ou pour mieux

parler la figure centrale de la fresque de M. José-

phin Péladan est comme je l'ai dit déjà une prin-cesse d'Este, Malatesta par mariage, dont la beauté

rapnelle les plus beaux types de la Renaissance et le

sang bleu roule le germe de tous les vices de cette

époque funeste qui fut le Paganisme ressuscité. La

princesse Léonora est, comme dit superbement Saint-

Bonnet, toute l'addition de sa race et cette addition

fait une colonne de hauteur à dépasser le cadre

étroit du xix* siècle et à le faire voler en éclats

comme un plafond qu'on crève. Parmi les plus

grandioses vicieux qui entourent la princesse, au-

cun ne l'égale. Douée de toutes les puissances cor-

ruptrices de la vie, la beauté, le génie, l'esprit, la

richesse et la science, une éducation fée mais per-verse a développé en elle le monstre futur, mais

Page 19: Le Vice Supréme

PRÉFACE

tc'est elle qui l'a elle-même accompli. La brutalitéd'un mari bestial lui avait donné, dès la premiernuit de son mariage, le dégoût des voluptés char-nelles, fL d'une Messal ne ou d'une Théodora qu'elleaurait pu être, elle se fit un autre genre de monstre.Elle fut le monstre métaphysique. L'orgueil et lavolonté domptèrent se.. sens et elle lut chaste. Chas-teté homicidel 'Don Juan femelle plus fort que DonJuan le mâle, qui ava bon appétit et qui dévoraitses conquêtes, elle repoussa les siennes avec mépris.Elle n'avait soif que~de.) désirs qu'elle allumait et ellebuvait ce feu, comme de l'eau, d'une lèvre altière.Bourreau de marbre, elle se dresse en ce rom<.n duVice suprême à coté de toutes les débauches et detoutes les luxures dans sa placidité cruelle jusqu'aumoment où, comme le diamant qui coupe le di&-

v

mant, elle rencontre un bourreau de marbre plusdur que son marbre et à l'heure juste marquée parle destin.

Car il y a un destin dans ce livre, mais ce destinest un homme. et c'est cet homme, plus que laCritique, qui va porter, je le crains bien, à l'oeuvremajestueuse de M. Péladan son plus rude coup.

IV

Cet homme, extraordinaire et oraculaire, qui voitI'aven:r et le prédit sans se tromper jamais et qui

Page 20: Le Vice Supréme

PRÉFACB XVï:

S)

prédit le sien, dans le roman, à la princesse d'Este,est plus qu'un de ces magiciens, comme on en trou-ve dans toute époque de décadence, depuis Apollo-nïus de Tyane jusqu'à Cagliostro. Lui, c'est bienplus qu'un magicien. Il n'y a que ceux qui veulentdéshonorer le magisme, cette science sacrée de lavieille Assyrie, qui appellent les mages des magi-ciens. Mérodack est plus qu'un magicien, c'est unmage. M. Joséphin Péladan a, pour les besoins dra-

matiques de son œuvre, composé le personnage,dans le Vice suprêrne, avec beaucoup d'art, de sé-rieux et même de bonne foi; seulement, on est bientenu de le lui dire, pour un catholique qu'il est,partout ailleurs, dans son livre, et qui fait du catho-licisme la seule certitude de salut qui reste aux no-tions I&tines décrépites, c'est là une redoutable in-conséquence, et même, c'est beaucoup plus.Magisme ou magie, quel que soit le nom qu'onpréfère, sont des erreurs absolument contraires àl'enseignement d~ l'Eglise qui les a condamnées,à toutes les époques de son bistoire, pour les raisonsles p~us profondes et l'Eglise est toujours prête àeffacer sous son pied divin, depuis la grande tour deBabel, toutes les petites qu'on veut recommencercontre elle. Or, la magie est une de ces taupinières.Et, d'ailleurs, cette invention presque impie d'unhomme, surnaturel par la Science, qui n'a plus lesproportions humaines et dont l'action sur les évé-

Page 21: Le Vice Supréme

XVmPRÉFACE

nemen~ est irrésitibie, n'est pas meilleure ni plusvraie en littérature qu'en théologie, car une tellecréation supprime ~.t intérêt que tout roman a pourbut d'exciter.

Les hommes, en ~ffet, ne s'intéressent qu'à cerxqui leur ressemblent et c'est la raison qui les faits'émouvoir et se passionner aux œuvres dans les-quelles ils ont affaire à des hommes comme eux. Lesenfants seuls font exception parce qu'ils ont la naï-veté et ia foi de l'enf,ince. Ils croient à tout ce qu'onleur raconte, o~res ou fées, mais ce sont là descontes et non pas des romans/ L'imagination deshommes est plus difficile. Elle peut accepter ce qui sl'étonne et ce qui lui est supérieur, mais elle ne veutpas de ce qui l'écrase et on l'écrase, quand onveut la faire s'intéresser à des créatures hors natureet qui ne sont plus en proportion avec elle.. Alors,du coup, les sources de l'émotion et du pathétiquesont taries. Balzac lui-même, l'omnipotent B.ïzac

qui croyait pouvoir tout oser, s'est heurté à cetécueil contre lequel M. Péladan pourrait se briser.Plusieurs fois, Balzac est sorti de la nature humaineDans ~p~p~ où il a peint l'androgynecéleste de

Swedenborg, dans sa Peau de chagrindont la donnée est orientalement fabnïeuse, et danst/r~e ~ro~ où le magnétisme moderne joue unrôle qu'on n'y voudrait pas voir et que M. Péladan,dans son Vice suprême, a exagéré. Eh bienl malgré

Page 22: Le Vice Supréme

PRÉFACE

l'imposant exemple de Balzac, c'est toujours unetentative téméraire et dangereuse, car elle permett~ut, que d'introduire un merveilleux extra-humaindans la réalité des choses telles qu'elles existent outelles que nous les connaissons. Avec un pareil pro-cédé, l'art est trop facile. Et si les trois romans quej'ai cités saisissent l'imagination, pourtant, avec laforce des chefs-d'œuvre, c'est que l'intérêt humain,diminué par l'impossibilité du sujet, se trouve dansla beauté transcendante des détails. Mais le procédéde composition n'en reste pas moins inférieur, quoi-que mr-gninquement couvert par la supériorité dugénie.

v

M. Joséphin Péladan aura-t-il ce génie qui faittout oublier, même les fautes et les imperfectionsd'une œuvre? On en jugera plus tard, car son livred'aujourd'hui n'est que le commencement de latâche qu'il s'est imposée. Seulement le conseil à luidonner, c'est de rester le plus qu'il pourra dana laréalité humaine. Il peut y être très puissant et sonlivre du Vice suprême nous en donne preuve. Acôté de ce personnage de Mérodack qui occupetrop de place dans son roman et en détermine tropl'action dramatique, il y a des figures d'une énergiede réalité qui montrent bien que le talent auquel

Page 23: Le Vice Supréme

XX PRÉFACE

on les doit n'a besoin, pour nous passionner, ni de

l'hyperbole, ni de Fin possible. La grande figure du

P. A!ta, ce prêtre aiim de 1.' princesse d'Esté et quirésiste à ses ensorcellements avec l'auguste invul-

nérabilité de son sacerdoce; celle du Prince royal de

Courtenay, vivant ave la pensée de sa race déchue,

qui est son remords cans le vice et qui lui inspiredes actions sublimes, dans la guerre de 18~0, sontbien autrement impressionnantes que la .figure de

l'homme des sciences occultes, dresse à côté d'elles

et qui n'en efface pas la poésie. Les plus be~ux cha-

pitres du roman, par exemple le A'rac~ et l'Argen-~er du roi en 188ï, l'Orgie chez le prince de Cour- <

tenay, le P. Alta à ~Vo<r6-Dame, et l'jEmet~e au

<h<~re ne nous remuent tant dans le livre de

M. Péladan que parce qu'ils sont de ces faits quenous touchons encore du coude dans la décadence

de ces derniers temps. Aussi, que le peintre de

cette décadence, exprimée dans ce livre étonnant de

vér'té en beaucoup de ses parties, se souvienne qu'iln'a pas besoin pour la beauté et la gloire de son

œuvre future d'une autre magie que la magie de

sbn talent r

Jutes BABBEYD'AUREVILLY.

Page 24: Le Vice Supréme

LE VICESUPREME

ï

FRONTISPICE

EHe est seule.

M'~n d'ombre alanguie et de silence berceur, clos àla lumière. clos au bruit, le boudoir circulaire a le re-

cueillement rêveur, !n somnolence douce, d'une cha-

pelle italienne, aux heures de sieste; bue~t retiro, sem-blable à l'étage d'une tour rende, sans baie à ses murs

elliptiques, où cloutée d'argent aux p!is, la pourpre hé-

raldique eLale, en un satin violet plein de rouge, son

deuil royal et sa magnificence triste.Aux portières de velours, s'étouffent les voix du de-

hors et le plafond s'évide en un dôme, d'où le jourtombe, arrêté et affaibli par un vétarium bleu. Danscette crypte mondaine dont la demi-obscurité '~nd. par

places, !e violet presque noir, de grands lys s'élancent

autour d'une dormeuse où, écrasant délicatement les

coussins, la princesse, couchée sur le dos et, sans

pensée, songe, avec'l'abandon de corps et d'esprit, des

heures esseulées.Sur ses formes Parmesanes, le peignoir de St,ie v~ttc

a des froissements pareils à des moues de lèvres, des

caresses timides et effleureuses. Un bras que la retom-bée de la manche dénude, encouronne sa tête aux che-veux roux et lourds, l'autre pend avec des flexibilités de

Page 25: Le Vice Supréme

22 LE V~ E -<Uin~MR

lianes, des souplesses de lierre et le dos des doigts poin-tus touche la peluche rase du tapis.

Par un bayement de l'étc'ffe la gorge apparaît, ûli-

granée de l'azur des veines qui transparaissent. Les seins

très séparés et placés haut sont aigus, les mules tombées,les pieds nus ont cet écartement de l'orteil que la ban-

delette du cothurne fait aux statues et le sortir du bain

amollit de matité douillette tout cet éphébisme à la Pri-

matice. On dirait l'Anadyomène de ces primitifs qui,d'un pinceau encore mystique, s'essayent au paganisme

renaissant, un BotticeUi où la sainte déshabillée en

nymphe, garde de la gmcherie dans la perversité d'une

plastique de stupre; une vierge folle de Durer, née

bous un ciel italien, et élégantisée par un mélange de

cette maigreur florentine où il n'y a pas d'os et de

cette chair lombarde o~ il n'y a pas de graisse.La paupière mi-close sur une vision entrevue; le re-

gard perdu dans les horizons du rêve, la narine caressée

par des senteurs subtiles, la bouche entr'ouverte com-

me pour un baiser – elle songe.D'une robe couleur du temps, où d'un cœur qui la

comprenne, d'intini ou de chiffons? Dans quelle contrée

du pays bleu, à la porte de quel paradis perdu, son

désir bat-il de l'aile? Sur la croupe de quelle chimère,

prend-elle son envolée dans le rêve?Elle ne songe à rien, ni à personne, ni à elle-même.

Cette absence de toute pensée énamoure ses yeux, et

entr'ouvre ses lèvres minces d'un sourire heureux.

Elle est toute à la volupté de cette heure d'instinc-

tivité puM, où la pensée, ce balancier inquiet et tou-

jours en mouvement de la vie, s'arrête; où la perceptiondu temps qui s'écoule, cesse, tandis que le corp~ seul vi-

vant s'épanouit dans un indicible bien-être des membres.

Ses nerfs au repos, elle ne perçoit que la sensation de sa

Page 26: Le Vice Supréme

)LE VtCB SUPREME 23

chair fraîche, souple, dispose; elle jouit de la félicitédes bêtes, de ces vaches de Potter, accroupies dans l'her-be haute, repues et qui reflètent une paix paradisiaquedans leurs gros yeux clignés.

La princesse savoure délicieusement l'extase de la

brute; elle est heureuse comme un animal. Ses yeux enl'air regardent sans voir, le blason des d'Esté, brodésur le vélarium; et l'aigle d'argent couronnée, becquéeet membrée d'or la regarde aussi, et semble crisper etroidir son allure héraldique, au-dessus du lazzaronismede boudoir qu'elle plafonne.

Les lys, les fleurs royales, les fleurs pures, élancent.sereins et augustes, leurs tiges droites ~M pieds de bron-ze, et leurs calices d'argent, pistillés d'or gouachent latenture de pourpre, de tons chastes et nobles.

De ses mains glissé, un volume s'étale, les feuillets enéventail.

Les accalmies absolues de l'intelligence et de la mer,sont brèves dans les hautes têtes et sur les grandes pla-ges le flux de la pensée reconquiert vite le corps unmoment quitté. Lointaines, les images et les vaguesmontent, agitées et successives, et reprennent à leur

repos d'un moment, le sable déjà sec et brillant des

grèves, et le cerveau déjà vide et sans souffrance.La buée qui s'élevait de la baignoire gazant sa nudité,

flotte encore dans sa tête, où se fait un lever paresseuxet lent des idées.

Dans ce réveil de l'immortel de l'être, où les brumesd'une aube s'évaporent, domine, seule distincte, unephrase lue, qui revient, se répète obsédante, ainsi queces hémistiches de vers oubliés qui poursuivent le lettréet ces airs entendus dans le tointain d'une vesprée quel'oreille, comme une boîte à musique, a gravés; sem-

blahle, aussi, au répons sonore de Utanies balbutiées

Page 27: Le Vice Supréme

LE V!CE SUPR]~MB

dans une somnolence de dévote, ou bien lu refraind'une ballade dont on ne sait pas les strophes « Albine

1s'abandonna, Serge la posséda, le parc applaudissaitformidablement. »

A ce chapitre où ttutes les sèves en délire ~latenten un cri de Rut, la princesse n'avait pas vibre. Cettebestiale ardeur n'éveiHait rien dans ses sens délicats etraffines de décadente Elle avait tourné d'une mainfroide ces pages enHé<rées, mais la curiosité, chez elleanalytique, avait été intéressée par ce tableau d'unesensation inconnue, d'un sentiment plus inconnu encore.

La femme qui lit u;i roman, essaye, par un instinctfatal sur son ûmc, les passions du livre; comme elle aessayerait infailliblement, sur ses épaules, la mante deforme rare qu'elle trouverait sur un meuble, aimant àse retrouver dans l'héroïne. Exceptionnelle, la prin-cesse eût souffert de se voir écrite; et à lire Balzac, elles'irritait pour les coins d'elle-même qu'elle y trouvaitrévélés.

Satisfaite, dans le soin de sa gloire, d'être indemnedes ivresses animales de la sexualité; confirmée dansla rareté de son caractère, elle reçoit une louante desdisparates qu'elle se découvre et sa supériorité s'augmen-te de tout ce qui la dissemble des autres.

Dans son passé, aucune frondaison de Paradou; dansson souvenir, aucune figure de Serge, aucune, j

Tout à l'heure, l'eau tombait en perles de sa ;iudité,et elle se complaisait aux lys de sa peau que nul baiserne rosit jamais; maintenant une volupté qui a manquaaux Pharaons et aux Césars, lui vient de la continencede ses reins, de l'impavidité de son cœur l'impérialesatisfaction d'avoir fait toute sa volonté sur soi-même.

Elle n'est ni Sémir~nis,,ni Cléopâtre. Son nom illus-trr- n'a sur elle que. le prestige des ancêtres: l'histoire

Page 28: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 25

saura pas si elle a eu lieu ce n'est qu'une grandedame de nos jours et du Faubourg Saint-Germain. Maiscontemplant ses vertus solides comme des vices, sesvices calmes comme des vertus, elle se répète le Divî/?M~ Filia, de Ferrare. Car elle est elle-même lemonstre qu'elle a vaincu, et invincible aux Omphalus,son âme pleine de passion, son corps pétri de désirs, elleles a modelés, de son pouce long, à la spatule volon-taire, d'apr s un idéal pervers d'Artémis moderne. Ellea vécu selon une idée c'est sa gloire.

Le mouvement lyrique de sa superbe se calme; elleévoque lentement l'un après l'autre, les détails dont lavie est fai~e.

En entiant dans l'hypogée du souvenir elle reçoitcette bouffée d'air froid et humide, qu'ont les lieuxd'où la lumière et la vie se sont retirées; et la fadeurpoussiéreuse et moisie des choses vieilles, lui imposeson vague attendri sseme'

Confusément s'éveillent l'écho des mouvements dontle cœur a battu, une impression posthume des sensationsd'autrefois, une vie retrouvée des personnages et desactes dans leur cadre, et avec, au cerveau, le retourdes pensées d'habitude, aux yeux l'humidité des larmes,jadis pleurées.

Elle contemple au lointain, cfii haut de son orgueil, lepanorama du temps défunt, et faisant présent son passéressuscite toute sa vie morte.

Page 29: Le Vice Supréme

Il

PLACE LE LA SEIGNEURIE

D'abord un Pannini; ce que ses yeux d'enfant, éton-nés de voir, ont premièrement aperçu; et le décor defond de sa vie enfermée d'enfant patricienne.

Du premier joujou ~u premier rêve, de la poupée àl'amant, cette poupée idéale; tout le temps que sescourtes robes de baby ont mis à s'allonger, sur ses jam-bes de jeune fille toujours cet horizon. Qu'elle ouvrîtsa fenêtre au frais matin; qu'elle y vint par l'ina-tinctivité de l'enfance qui aime à voir du ciel et se sentoiseau; que, les nuits, sa puberté demandât leur nomaux attirantes étoiles, et à l'ombre du dehors un voilede mystère pour ses rougeurs sans cause de fleur, frôléepar les phalènes de l'adolescence dosant ses yeuxsouriants à l'avenir i~oré ou embrumés des larmes an-ticipées que la prévision des douleurs prochaines faitperler aux jeunes paupières; dans la multiplicité et lasuccession de ses naissantes pensées toujours la placedo la Seigneurie.

Le premier livre lu en secret, premier fruit défendu.cueilli l'arbre triste et séducteur de la science, s'en-taille si profondément dans l'esprit, que ni les baisersde la passion ne l'effacent, ni le sel figé des larmes n'eucouvre l'empreinte. De même, les spectacles quotidienspendant des années, se gravent dans le souvenir, endusine~açables par cette contemplation machinale des meures

Page 30: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 27

virisf6 .in .al~a_ t_·a 1- 1passives, où l'avidité de nos sentiments fait rendre lemême son à tous les pizzicati de la vie, sans que le doigtviolent de la douleur appuie sur aucune de ces cordesqui font résonner grave ou rieur, notre souci. Et cettefaible épaisseur de notre libre arbitre, cette mince couchede cire où nous pouvons esquisser nos vouloirs, s'inciseau hasard de l'existence; l'eau-forte de l'habitude, c'est-à-dir'~ l'éternel retour du banal et du coutumier, y mordses lignes profondes et informes, pareilles à des ornières,au lieu de notre rêve! 1

Les fantômes de l'adolescence, revêtant les formes lo-cales, lui apparurent encadrés par les cintres de la Logiaoù emnts derrière les créneaux en queue d'aronde duPalais Vieux, avec une allure du passé, et quelque chosede la date du monument.

Pour l'enfant qu'appelle la liberté de la grande nature,la fenêtre, dans l'éducation civilisée, est une baie sur lavie, une baie sur l'idéal. Les cris, l'aller et le venir per-pétuels lui donnent le spectacle de l'activité de mouve-ment qui est son souhait; et l'œil de la rêverie, qui s'ef-fraye aux tapisseries vieilles où s'agitent les êtres reve-nants d'autrefois, se plonge heureusement dans la nuit,sur laquelle se détachent, lumineuses dans l'évocation dela pensée, les illusions blanches.

En face du Palais Torelli, la forteresse d'Arnolfo diLapo dressait sa masse tragique dans l'immobilité deFlorence. La lune qui roulait dans le ciel comme unrhombe d'argent sur un tapis bleu, découpait par saclarté mouvementée, la silhouette élancée du beffroiet du noir où le Médicis équestre disparaissait, l'Herculede l'Ammanato projetait une ombre colossale sur lesdalles polies, tandis que le clapotis de l'eau scandaitl'envolée des heures de son bruit flasque et rythmé.

Sauvent, dans les insomnies où la sensation s'éveille,

Page 31: Le Vice Supréme

28 LE VICE SUPÏ~EME

nu-jambes elle se levait, et sous l'arc géminé de sa

fenêtre, archère agrandie, elle restait pendant des heures,

immobilisée dans un appuiement las sur la pierre dont

!e grain dur rosissait ~es coudes nus. Le sommeil du

Palais, le calme de la ruit, le silence de la place enfié-

vraiënt son pouls, agitaient son esprit, rendant sa laverie

prolixe et son imagination oseuse..

Des baleines passaient sur elle, caressantes; et l'hymnede l'idéal balbutiait dans son cœur, qui battait à des

pensées de roman.

Page 32: Le Vice Supréme

m

L'ENFANCE D'UNE HERACLIDE

Par une de ces ironies de la Providence qui raillel'inanité de nos plus intenses sentiments et charge letemps de les user et de les démentir, le dernier Torellifut le tuteur de la dernière des d'Este. La mutuelle hainede ces deux fan llles, militante et furieuse, pendant deuxsiècles, aboutit à ceci le Gibelin amoureux de la Guelfeet tuteur de sa fille.

Marie-Béatrix d'Este fut une princesse hautaine et

ennuyée. Veuve, au bout d'un an, elle eut pour plaisirla chasse et pour souci le dressage des chevaux et desfaucons dédaigneuse des hommes. Une fluxion de poi-trine l'emporta, jeune encore., en son château de Ferrare.

Le duc Torelli avait aimé cette Artémis d'un amourinutile il n'en obtint que la tutelle de la petite Lécnora,âgée de huit ans à 1~ mort de sa mère, et qu'il emmenaà Florence. Il voulut d'abord la mettre au Poggio Impe-riale, le pensionnat héraldique; mais l'enfant articulaun « je ne veux pas » qui rappela au duc l'opiniâtrevolonté de Marie-Béatrix que son adoration n'avait pufléchir.

Les gouverna. tes se succédèrent au palais, sans pou-voir ni instruire, ni distraire la princesse. A la menaced'une punition, ses imperceptibles sourcils roux s agi-taient, un retrait des nàrines lui amincissait le nez, etl'on était arrêté par cette extraordinaire expression d'of-

Page 33: Le Vice Supréme

30 LE VICE SUPRÊME

gueil oîiensé. Aussi ne reçut-elle jamais de correction cor-

porelle. La rêche Anglaise qui, après avoir élevé beau-

coup de nobles misse: pe dait son cant à la raisonner,

dans un mouvement exaspéré, lui serra fortement te

bras. Silencieuse, Léciora courut à la salle d'armes,

se hissa sur un bahut, atteignit un gantelet et l'ayant

mis à sa mignonne main vint surprendre l'Anglaise

assise, et essaya de lui serrer le bras avec le gant de

fer.Torelli borna le rMe de la gouvernante à la sur-

veillance, laissant se développer, sans entraves, cette

nature irréductible; et livrée à elle-même, l'énonce de`

Léonora, dans la féodale demeure, sembla celle des petits

paysans, sans contrainte, sans contrôle, surtout sans

obéissance. Seulement, au lieu du ciel clair, des plafonds t

à fresques; à la place des horizons verts, des tableaux

de primitifs.Forteresse bâtie pour l'éventualité des coups de main

dans un temps de guerre civile permanente, le palais

Torelli gardait le sceau de l'époque farouche qui l'avait

vu s'élever et ses sombres murs projetèrent sur l'esprit

de l'enfant quelque chose du froid de leurs ombres. Elle

grandit dans ces salles immenses où le bruit de ses jeux

éveillait des échos si étrangement sonores, qu'elle les in-

terrompait souvent, interdite, inquiète par les regards

des portraits d'aïeux. Sur les mauvais sourires et les faux

regards, la main du temps avait mis sa patine, mais les

perversités par la mort seule arrêtées, transparaissaient

en des embus, rouille du crime, et dans la gouttière des

épées le sang des assassinats revenait, en ternes damas-

quinures.Dans ses ébats elle ne se roula pas sur les meubles

mous et bas des décadences; elle heurta sa nonchalance

aux lignes droites, au bois dur, aux formes architecto-

Page 34: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 31

niques de ce mobilier de la Renaissance qui pousse àl'action par son inaptitude aux alanguissemenib ~e larêverie.

L'ambiance de ce grandiose la lit précocement grave.Le croquemitaine dont sa bonne, une Transtevérine

aux yeux de buffle. lui fit peur, fut cet Heicule de Bac-cio B<ndinelli qui terrasse Cacus, au seuil du palais dugrand'duc. Au moucharaby du même palais, elle trouvason premier livre d'images. De sa ieu&tre, ell- s'amusaitde la colombe d'argent rayonnée d'or, des dragons desinople, des taureaux de sable, des licornes et des lionsd'or. Quand on lui eut dit les noms des quartiers (luicorrespondaient à ces gonfanons, aux brillants émaux,elle s'émerveilla de ces armoiries parlantes, rébus déco-ratifs.

A dix ans, le duc l'emmena avec lui dans les salons deFlorence, où l'ëtrangeté de sa beauté rousse lui valut cetaccueil enthousiaste que l'on fait aux enfants précoces.Un soir, chez le vieux Strozzi, le peintre Majano parlaitde son prochain tableau commandé par la municipalitéla ville tenant l'étendard du peuple « de gueules a~ lysau naturel », dit-il.

– « No, signor », interrompit la petite princesse, « leblason de la ville c'est une croix · sur de l'argent

On se regarda étonné, Strozzi plus que tous. I! attiral'enfant sur ses genoux.

– « Comment sais-tu cela, princesse H– « Je les sais tons )). fit-elle, et substitut son parler

enfantin aux termes héraldiques, cHc dit « )a col-mbedans du ciel, les coquilles dorées, les fouets noirs, lesbêtes vertes, les chevaux avec une corne au front; enfin,en commençant par la gauche, les seize gonfanons desquatre quartiers de Florence. »

Strozzi l'avait écoutée, les yeux brillan de larmes

Page 35: Le Vice Supréme

32 LB y~CN SUPRÊME

retenues; H l'embrassa avec um vive émotion. CH curieux 1

hasard eut l'importance et la proportion d'un bonheur

pour ce vieillard fanatique de sa ville et qui sentait pro-che le Campo-Santo.

– « Laissez-moi lui apprendre Florence ;) dit-il à

Torelli, et presque tous les jours, le vieux d)c venait

chercher l'enfant, et vaquant par les rues et le; places,

y évoquait l'histoire dais le décor même où e~e avait

été vécue sa parole avait la puissance du relief quinaît d'un enthousiasme exclusif.

Heureux de faire ce qu'il appelait une éducation flo-

rentine, sans souci qu'il parlât à une enfant, il égrenait

le formidable rosaire de crimes qui est l'histoire toscane,

appelant les personnages et leurs gestes par l'image

précise, le mot brutati et quels personnages et quels

gestes t

.Aux porte-torches et aux anneaux de bronze, seuls

et rares ornements des façades à bossages, il suspen-dait un récit d'amour, de gloire ou de crime; il fa sait

asseoir Léonora sur la pierre où Dante s'asseyait le soir;

il l'arrêtait devant les maisons où le génie a habité et

s'efforçait de lui faire voir l'homme et comprendre l'œu-

vre Galilée et l'inquisition, Machiavel et les Médicis,

Cellini et les artistes bandits. L'effet de ces tableaux de

passions extrêmes déroulés devant des yeux trop mutins

encore pour les saisir, fut cependant l'éclosion d'une in-

différence devant le mal, rare chez une enfant.

Léonora revenait de ces promenades la tête bourdon-

nante sans comprendre, elle s'intéressait à cette lan-

terne magique parlée, à ce cours d'histoire à la Carlyle

impressionnant par le feu et la mimique gesticulante du

vieillard qui faisait passer, dans l'essoufflement de sa

narration, les passions furieuses de la Renaissance. La

féerie de l'enthousiasme florentin transposait ces aven.1

Page 36: Le Vice Supréme

LE VICE SUPR&ME 33

3

tujes mauvaises en contes de fée; et ce furent là, lesseuls qu'elle connut.

Dans ce fourmillement d'images, ce qui frappa l'espritde Léouora, ce fut l'implacabilité de l'orgueil chez tousces condottieri couronnés de génie ou de vice, que Strozzihjéroïs~it. Il avait gardé intactes les rancunes de sixsiècles et soulignait son respect pour cette haine main-tenue qui mit, hors de la symétrie, le palais de la Sei-

gneurie, pour ne pas bâtir sur le terrain gibelin desUberti. Avec les idées de ce passé qu'il ressuscitait, ilmontra le mal de plus grande envergure que le bien, levice plus séduisant que la vertu, le crime à l'état héroï-

que et détruisant ainsi le faible sens moral de la jeuneprincesse, aida au caractère d'atavisme que devaientrevêtir plus tard sa vie et sa pensée.

Quand elle eut douze ans, Torelli songea à son édu-

cation il écrivit à son cousin le cardinal Pallavicini de

lui envoyer le meilleur des précepteurs. Peu après, unindividu d'un beau visage et mis négligemment se pré-senta au palais, avec ce mot du cardinal « Mon cher

Cousin, ci-joint, il signor Sarkis dont je pri<ve, pour vousle donner, le corpus des inscriptions romaines. »

Sarkis semblait un traînard de ces Grecs qui, fuyantdevant les Turcs, vinrent chercher un asile à la cour des

Médicis. Savant comme ceux qui savent pour savoir, ilavait roulé l'Europe, secrétaire, interprète, fabricant

d'ouvrages à signer pour les riches vaniteux, changeantde pays suivant son étude du moment, heureux d'amas-ser une science qui ne lui servirait à rien. A l'heure oùun caprice pour Rome, l'avait fait entrer au Corpus du

Vatican, sa quarantième année sonnait, inquiétèrent.Pour la première fois il songeait à la vieillesse, lorsquela proposition du cardinal lui fut faite; au~oi accepta-t-il tout de suite, entrevoyant une sinécure dans une

3

Page 37: Le Vice Supréme

34LE YI';E SUPRÊME

v!o~n:t.t.AviHe qui lui 'plaisait et la garantie de l'avenir. Dès qu'ileut causé avec Léono' a « Vous êtes plus intelligenrequ'il ne convip.nt à uue princesse de nos jours; .aussivous donnerai-je une ~d watioH royale. »Au lieu d'ânonner se °on la méthode Psittacine de-l'Université, il lui fit sUln-ecette méthode Jacotot quiest Une partie retrouvée de l'Art Notoire des bermé,.tistes. Tr.duisant en grec, en latin et en français les

~?~ lâ Divine Corr~édie, il les luifit apprendre par CŒur, sïrnultanément. L'enfant d'abordse refusa à cette aridité; mais à propos de chaque tndt.?' digressions et s'ingé.niait si bien à la renlm cwrieuse de ce qui suivait, que

qui parlait de tout, ellesut bientôt les trois versions.Il lui lut alors les grammaires, lui faisant retrouver~L'~ textes qu'elle savait. A chaque leçonLéonora s'étirait, l'esprit paresseux; Sarkis n'insistait

~r~ Qom, il ne tarissait plus d'anecdo-tes, et son tcoIière rEwenait d'elle-même à la leçon, re.~Lp~ frais d'imagination et de mé-S ~'ij' s'adressa

orgueil, atfect~tdela traiter d'Attesse, et toujours en grande et raison.nabIe personne.

H avait raison de ses fainéantises et de ses bâi))f-ments, en lui répétant Vous voûtez donc que le p~mier homme venu puisse se croire supeneur&vou~Car, qu'avons-nous de plus que la {enuM? la science,rien de ptus.. Cet argument était toujours victorieux.Deux ans après l'arrivée de Sarkis au palais. Léonoratraduisait Sophocle et T~it.. Le français seu~'butaitiout~habiterez ~~M~~t Paris un jour, comm.toutes les Altesses sans royaume; voulez-vous donc que

Page 38: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 3~

_l"'OI -1.. ~1les Parisiens, qui sont railleurs, se moquent de lamauvaise diction d'rune d'EsteP » Et pour aider à l'eî~tde ce dire, il lui traduisait Balzac, ayant soin de s'ar-rêter fréquemment et de sauter des passages.

« Pourquoi vous arr~ez-vous, Sa~kisP » – Parceque cela n'est point convenable! »

Leonora priait, s'impatientait. « Lisez.le vous-me~me, Altesse, si vous y tenez. »

Elle sut bientut le français comme une Françaisepour lire les passages qui n'étaient pas convenables.Sarkis ornait que les langues d'Homère, de Tacite,de Dante et de Balzac suffisent à rune latine mais il lutà la Princesse, Shakespeare et Gœthe, s'efforçant delui donner la plus grande culture littéraire, lui mettantsurtout dans tes mains des poètes et les livres où lecœur est écrit en larmes vraies, en pensées hautes, je-tant ainsi dans cette âme qu'il pressentait mauvaise,la semence auguste et souverainement féconde de l'idéal.

Dans cette éducation, les sciences mathématiques nefurent pas même nommées; des sciences naturelles seu-lement les diamants et les marbres, avec les noms de~étoiles et des ncurs.

Sarkis donna presque autant d'importance à l'his.toire qu'à la littératm'e; mais il l'enseigna sans datequ'une chronologie de quarts de siècle, la partie politi-que réduite à peu, les traités à rien, et les batailles àdes descriptions d'armures et de paysages. Considérantl'humanité comme un être passionnel ayant las civili-sations pour évolutions successives, il peignit de mots,de grands tablerux synthétiques et les ento.ura d'innom-brables ta~leautuM où revivaient l'intime, le privé, 1 in-dividuel de chaque époque, jusque daM ses modesd'habi.s et de vice ainsi voit-on Ïes ancônes des g~t-

Page 39: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

tesques, où le martyre du saint est entouré d'Orne bordt're de médaillons représentant par le détail les scènes de la vocation et les miracles de la vie. Il épousset!l'histoire de toute la ~ussière de l'usum Delphiniarracha les voiles aux statues, aux hommes leur masque, leur euphémisme aux mots; avec une science certaine et la langue lyriqu; d'un Ledrain, il montra à latrès jeune princesse l'humanité nue, dans les lèpresde son corps, dans la perversité de sa pensée, dansl'égoïsme de son cœur.

Léonora prit son prochain en haine et l'histoire endégoût. « Restons-en là, » disait-elle parfois; mais Sar-kis sans répondre, ouvrait un ouvrage à Ggures et mon-trant un bas-relief, une médaille, un dessin, il entraiten de grands détails sur la toilette des femmes d'alors,leurs artifices de coquetterie, et Léonora redevenait àt~tentiv~.

Comme récréation, c'était encore Sarkis qui la pro-menait. Il n'eut qu'~t repasser de nettes lignes sur lestraits ressentis et confus que les tirades de Strozziavaient laissés dans cette tête d'enfant; mais tandisque le patriarche florentin avait montré à Léonora, laFlorence gibeline et guelfe, les drames de l'ambitionet de la rue; il l'initia à la Florence des musées etdes églises, à la Florence sereine de l'art. C'étaientdes stations prolongées devant les portes du Baptis-tère ou les statues d'Or San Michele, des visites pres-que quotidiennes à la chapelle Médicis, aux Uffizi,à Pitti, au BargeHo; Sarkis, infatigable explicateurdu sujet, passait à la vie du peintre et à celle du temps.Le dimanche, il la conduisait à la messe, changeantsouvent d'église, et la messe entendue, lui faisait toutvoir du bénitier d'i porche à la prédelle des chapellesobscures.

Page 40: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 37

p~~p. H.A 1jpnnp. l~ntf CSlvniw ..t <n ~yo"« Une princesse italienne doit savoir dessiner », ré-pétait Sarkis. Un jour qu'il écriv" dans la bibliothè-

que, la voix claire de Léonora cria ce nom qui l'amusait

par son exotisme « Sarkis! 1» et quand il fut là, ellelui tendit un croquis maladroit où il était reconnais"sable et méchamment caricaturisé. Sitôt, il se mit enquête d'un professeur de dessin et découvrit un copistemaniaque qui son pain de la semaine gagné à repro-duire la Ft~oM (~echie!, se mettait devant un fac-similé de Vinci et le copiait avec extase. Bojo se présenta

la jeune princesse avec un album où étaient réuniestoutes les caricatures du peintre de Modestie et Vanité.Léonora, avec des exclamations ravies, tournait lente-ment ces feuillets où le masque humain s'abrutit enmuseau, en mufle, en groin, en trogne. Vers la fin,elle ne s'exclama plus, faisant la moue. Bojo avait essayésemblablement de faire grimacer des visages; mais plusenthousiaste que vaniteux, il fut content de voir sonélève sentir où s'arr ut le génie.

« J'oubliais la musique », se dit Sarkis, peu après;et sitôt il écrivit à Warke, un de ces Allemands quivivent heureux à jouer du Bach et du Haëndel. Il l'avaitrencontré à Heidelbe.-g, alors qu'épris de l'Alhambradu Nord, il passait les nuits à effaroucher les hibouxdans le merveilleux palais d'Othon le Grand. Warkedonna sa démission de maître de Chapelle de Zorithet vint achever le plus étrange trio professoral.

La première fois que Torelli entra dans la salle d'étu-de à l'heure de leçon, il ne sut que faire, – rire ouse fâcher

Sarkis, entouré de gros livres, racontait le bas.Empir~à Léonora; Warke, au piano, jouait du Beethoven ensourdine; et Bojo dessinait un jeu de patience où des

Page 41: Le Vice Supréme

qoLE VICE SUPREME

erane"1~~ a.. a_ t

-&I

gueules de dragons s'adapta ont à des corps de femme,et des têtes de bandits à des robes de juges.A un mot d~ Sarki~, mauvais pour l'Italie, Bojo ïâ.

chait son crayon et gueulait, criant fort. Warke en.tendit une épithète malsonnante à ~Allemagne, répti<qnait, et donnant au nctif ~Soubresauts et le rythmed agacement de sa réplique, accompagnait en charivarila discussion. Dominât le vacarme, le rire perle de laprincesse montait en tittes extravagant.

Sans se déconcerter Sarkis mit successivement unEschyle, un Tacite, un Molière ouverts an hasard d~va~la prmcesse, qui traduisit sans effort. Bojo présenta undessin; Warke la fit asseoir au piano où elle exécutaprière de ~os~.

« Je ne vous dérangerai plus », dit Torelli, étonné etravi. Et juscru~ seize ans~ Léonora vécut entre ces trt~hommes qui l'aimaient de l'affection profonde d~ ceaxqui n'ont plus de but dans leur vie manquée.« Sarkis », disait m jour Léonor&, revenant de confes-se, « le Padro » ma dit que ce qui fait la noblesse d'unnom, c étaient les vertus des ancêtres. »

« Il ne vous a pas fait là un madrigal, Altesse. »« Et pourquoi, » je vous prie, répliquait la jeune pa~tricienne blessée.

« Pourquoi a fit négligemment Sarkis, «voici: Lesfils d'Obizzon étranglèrent leur frère qui le méritait.Alberto fit brûler vive sa femme et tenailler Jean d'Este.Nicolas 111 décapita sa femme Parisina pour incesteavec son propre bâtard Hugues. Ce même Nicolas ineut vmgt-six bâtards. Hercule coupa les poignets et cre-va les yeux à deux cents de ses- ennemis. Le cardinalHippolyte fit arracher les yeux à son frère en sa pré~sence. Alphonse fut le bourreau du Tasse. Le secondHercule se calvinisa. César alla chercher sa femme, t&.

Page 42: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 39

DIanu, dans l'arrière-boutique d'un chapelier. Tous leavices, tous les crimes, voilà vos ancêtres, qui ont étédes bandits ou des imbéciles souvent les deux! »

Léonora se mordait les lèvres, humiliée. – « Moi, dumoins, dit-elle, je ne suis point une Lucrèce. »

« Ne croyez pas », s'écria Sarkis, « aux calomniesde l'histoire. Le vice d'une Lucrèce Borgia échappe for-cément à l'historien. Par intuition, on !a sent crimi-nelle, mais on l'affuble de fables au-dessous d'elle. Cefut une très honneste dame, comme dit le chroniqueurfrançais Brantôme ».

Et regardant fixement la princesse« Dans dix ans d'ici, étudiez votre âme, et vous

verrez alors, si c'est vertu ou vice, bien ou mal, quevos aïeules, ces princesses de Ferrare aimées de Bayardet chantées par le Tasse, car vous êtes bien de leurrace et bon sang ne peut mentir! »

Cette tirade l'impressionna, ébrarlant pour un ins-tant son indifférence native du mal que Strozzi avaitaccrue; et par un de ces mouvements de religiosité quine sont pas rares dans la jeunesse des pervers, elle fitavec une ferveur vraie sa première communion a Sainte-

Mari e-des-Fleurs, en même temps que son amie Biancadel Agnolo. Ce jour fut pour elle, comme pour la plu-part, celui qu'on appelle le plus beau de la vie, parcequ'on s'y est élevé au-dessus de la terre, et qu'en ceteffort, on a aperçu dans la gloire Eucharistique le plushaut objectif de l'humaine pensée, celui que les kabba-listes nomment l'ineffable Dieu!t

Da~s les salons de Florence, Léonora n'était pas obli-

gée à l'air sourd d'une jeune fille de France, devant quila conversation se fait chuchoteuse, et qu'on renvoie

Page 43: Le Vice Supréme

40 LE VICE SUPHEME

dès qu'elle dévie sur l'amour. S&ns souci de sa présenceon parlait de la façon dont Salviati jvait quitté ta com-tesse Sambelli et des efforts du comte Sambelli pour lesrapatrier. Il n'était pas r~e que quelqu'un exposât sathéorie passionnelle, souvmt scabreuse; mais tout celaétait trop la réalité pour l'enflammer. Ce qui la trou-blait, c'étaient ses lectures, et plus encore les penséesqu'elles lui suscitaient.

En étudiant le Tasse, elle jalousa son aïeule d'avoirété ainsi chantée. La Vie jVow)c~ lui fit rêver la gloired'une Béatrice et Laure de Noves et Vittoria Colonnalui semblèrent bien heureuses de porter l'immortel!ecouronne que tressent seuls les doigts des poètes. Cesfemmes de tant de vertus ou de scélératesse étaient seshéroïnes, et les modèles qu'elle se proposait. Leur :tt-titude de madone, avec le génie prosterné encensantleurs pieds chastes, l'émerveillait. Inspirer un amourqui fût une religion et à un génie, elle eut ce rêve.Cependant en elle, le désir, serpent que la volontécoupe en morceaux gui toujours se rejoignent, sifllaitparfois à ses oreilles les concupiscentes faiblesses etdéroulait, pendant la nuit, ses anneaux étincelants.

Desvisses journalières aux Ofnces avaient développe

chez elle~l'œi! artiste et la compréhension plastique.Ces curiosités dn corps de l'homme qui troublent la pu-berté de la femme, les statues familières à ses yeux,les avaient satisfaites.

Tandis que, son amie Bianca, voluptueuse et dont lesconfidences paraphrasaient les regards énamourés desjeunes filles de Greuze, admirait charnellement la force,aimant le David et l'Hercule; Léonora préférait l'ephé-bique Persée. Ces sympathies encore instinctives prédi-saient le principe qui dominerait sa vie.

Page 44: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 41

1--t 1- 6. &¿_ 1t1~Les œuvres d'art où la femme triomphe "de l'hommel'attiraient invinciblement. A Pitti, à la Loggia, la Ju-dith d'Allori et celle de BandineMi l'arrêtaient dansune contemplation souriante et réfléchie.

Malgré ces prémisses d'insensibilité, le sang de la

jeunesse fermentait dans ses wines et les battements deses artères en donnaient à son cœur. C'était l'heure où,à la jeune fille presque femme, l'idéal apparaît dansune resplendissante gloire, où la chimère passe, lafixant de ses irrésistibles yeux de diamant; et c'était la

chimère qu'elle guettait pendant les nuits, et c'était sanerveuse croupe qu'en pensée, elle caressait jusqu'aumatin.

L'invincible loi d'amour la clouait là, au serein, au

froid, à la fatigue. Ses regards fouillaient les ténèbres;son oreille interrogeait les bruits; elle se penchait surla place, toussant, faisant des gestes qui semblaient des

signaux et l'envoi de baisers. Elle eût appelé, mais ellene savait pas le nom de celui q~i était son souci, son

attente, son désir le Bien-Aimé.

Un de ces jeunes seigneurs très pâles et fiers qui ca-ressent d'une main de femme le lourd pommeau d'une

épée, aux murs du Palais Pitti. Son désir le lui faisait

voir, mince dans son justaucorps noir; sa courte barbeen deux pointes, plus soyeuse que les plumes de sa

toque; ses lèvres trop rouges comme humides de sang;dans les yeux un éclair troublant; les molettes de ses

éperons scintillantes comme des étoiles; la lune faisantluire son collier qu'elle eût voulu remplacer par ses

bras.

Il devait venir certainement, par le LoM~mo, au pieddu Palais; il lui chanterait d'admirables canzones; ellelui jetterait la fleur de ses cheveux. Et quand l'aube-

Page 45: Le Vice Supréme

42LE VICE SUPR~MB

donnait ses grands coups de craie, dans le, ciel noir, et.que des pas sonnaient sur les d,al~es des rues,,alor.9, la,tête en feu, les reins et la nu que baisés;. de 1 ankyloseau coude et la petite mort sur 18peau, elle se recouchaitpresque pleurante ets'end.rm.itk~~

P'~ ventre et lai8üe vers le mur.

Page 46: Le Vice Supréme

IV

L'AMANT ET L'AMIE

Amidei, descendant de ceux qui assassinèrent Buodel-~

monte, était un timide et rougissant jeune homme, tout

Mie, à la tête Benjamine, au parler deux et hésitant

que son oncle, le vieux Strozzi, poussait à courtiser

Léonora, dans l'espoir d'un mariage bellement héral-

dique.Docile et cédant an besoin d'aimer de son âme ten<

dre, il s'éprit passionnément. Léonora, déjà méchante,

c'est-à-dire déjà femme, s'amusa de ce sentiment avec

cruauté. Csait-il quelque déclaration balbutiée, la jeune

princesse singeant son air chérubin, lui roucoulait en

réponse, sur un ton bouffe, les plus langoureux sonnets

de Pétrarque.– « Parlez-moi d'amour ainsi et je vous écouterai. ?

« Je ne sais qu'aimer, et ne sais pas le dire! 1»répon-dait Amidei. « Comment! 1 » s'exclamait Léonora,« vous m'aimez et vous n'en devenez pas poète? Je

ne veux de soupirs que sous forme de canzones et son-

nets, comme Le fasse et l'Arioste en faisaient à mes

aïeules Lucrezia et Léonora ».Amidei prenait une prosodie et à grand'peine écrivait

un méchant sonnet que Léonora trouvait tel et dépitée,elle s'exclamait pleine de rancune « Je ne puis donc

pas même inspirer un bon sonnet. » Elle s'ingéniait en

des méchancetés dont le soin qu'elle prenait de le trou-

bler de concupiscence n'était pas la moindre. Elle était

Page 47: Le Vice Supréme

44 LE VICESUPREME

parfois impudique pour jouir de la confusion d'Amidei,.comme elle ic fut plus tard etivers ses adorateurs pourhérisser leur chair, de toutes les flèches du désir vain.Un jour d'août, Bianco del Agnolo vint la chercher encalèche pour l'emmener une semainenora sauta joyeusemeflt dans la voiture qui emporta,.E~ deux jeunes filles seules-et heureuses de l'être, comme en escapade.L'aride Apennin et le colosse Jean de Bologne suc-~r=,i-à son amie

« On voulait te dor~ner la chambre bleue d'appa-~-H~=coucherons ensemble, avant de s'endormir on pourracauser très tard. Oh ce sera gentil! »

c.'P'~ent de

Capen~S~c~ BiancaCapello aUaient cachE~rleurs amours.M~.i~' les deux amies Pratolino d~Médicis.

« Tu t'appelles Blanra, toi aussi n, disait Léonora,« prends garde à ton Capello; qu'il n'aille pas coifferl'aile des moulins o.

~"c~fj~fr choses », faisaiten se coulant dans un fauteuil.« Oui, comme il y en a, dans les passages des ro-

me lire. ua~ « Raconte-moi ça » ditsonamie au balcon.

Unelumineusenuitenveloppaitle jardin de son mys-tère séducteur. Des bruits d'insectes, de fetlilles, des'abaissaient comme une respira-tion de la nature endormie et rêvant

''e~p.ra-De la terre, les soume. humides et'eh.uds montaient

Page 48: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 45

au balcon, en effluves grisants; de l'herbe pleine delucioles, du ciel plein d'étoiles, des charmilles pteinesd'ombre, du silence plein de voix, du sommeil plein devje, une fascination sortait.

« Raconte-moi, di' » insistait Bianca.« Plus tard. pas maintenant. ne me parle pas;

laisse-moi. Je suis bien. » disait mollement Léonora.Les phalènes frôlaient ses joues de leur contact de

velours; un sourire pâmé lui entr'ouvrait ies lèvres; surelle, délicieusement, des torpeurs descendaient, et dessensations nouvelles et diffuses faisaient courir sur sapeau moite de petits frissons d'une volupté douloureuse.

« Ne voudrais-tu pas », disait Bianca en lui pre-nant la taille, « qu'à ma place ce fût un beau cavalierqui te tînt dans ses bras M?P

« J'aimerais mieux le voir à mes genoux », répon-dait Léonora qui, toujours accoudée, fixait ses yeuxdilatés sur l'ombre, hypnotisée par le magnétisme decette nuit d'été.

« Vas-tu attendre là, l'aurore aux belles mains,aux pieds étincelants? » s'écriait en riant Bianca.

Elle fit un effort et s'arracha du balcor plutôt qu'ellene le ouitta, les oreilles rouges, la tête lourde, la boucheséchée.

Déshabillées, elles s'attardaient aux menus soins detoilette, lorsque Bianca s'écria tout à coup

« Viens nous voir! ?

Et, entraînant son amie devant la psyché, elle rejetason peignoir et arracha celui de Léonora avant quecelle-ci ait pu s'y opposer.

La nudité de leurs corps leur apparut, imprévue, nou-velle, inconnue. Elles ne s'étaient jamais regardées ainsi,

Page 49: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

'«'Mrnftf<tt\t&t t~ t~t~~norant, et leur beauté nt mooter des exclamionsleurs lèvres Les bras enlacés, appuyées l'une à l'autre,en groupe dart. souriantes, rouissantes, avec la palpi-tation d'un plaisir sous !e sein, elles se contemplah-ntcurieuses, ravies, troublées. p'

Bianca paraissait la toute jeune fille de cette ~0~~coudée qui m<mtre à la tribune, avec une lascivetérepue, ranime séduction de son corps puissammentvoluptueux. Elle en avait déjà les formes charnues, lachaude couleur, et sa gorge basse était d'une femmeet ses hanches annoncaien, la fécondité.

Un ange de misseï, dévêtu en vierge folle par unimagier pervers; telle semblait Léonora. Éblouissante dematité, sa carnation était oelle de la Source sans unreba~ rose, même aux genoux, même aux coudes; et ,1la pâleur de ses bras minces se continuait à ses mainset celles de ses tombantes épaules à son long cou. Elleétait maigre douillettement, sans que nulle part l'ossa-ture parût. Sur sa poitrine plate, les seins petits maisprécis s'attachaient brusquement, sans transition de mo-delé, distants et aigus. La ligne de la taille se renflaitpeu aux hanches, se perdant dans les jambes trop Ion.gues d'une Eve de Lucas de Leyde. L'élancement (u'slignes, la ténuité des attaches, la longueur étroite desextrémités, le r~gne de~ verticales immatérialisaient sachair déjà irréelle de ton on eût dit une de ces saintesque le burin de Schongauer dénude pour le martvrc-mais les yeux verts au regard ambigu, la bouchegrande au sourire inquiétant, les cheveux aux nsves.cences de vieil or, toute la tête démentait la mysticitédu corps.

Bientôt elles se sentirent gênées d'être nues, et Biancaéteignit le candélabre.

Page 50: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 47

– « Tu ne m'en voudras pas? » fit-elle dès qu'ellesfurent couchées.

– « T'en vouloir, et pourquoi? » demanda Léonora.– « Parce que j'ai consolé Amidei; tu l'affoles ce

ptmvre garçon. Vendredi, j'allai voir le vieux Sirozzi,je trouvai Amidei seul, et triste à faire peine. Il se plai-gnait de toi, je le raisonnai, il ne m'écouta pas. Alors,par pitié, je l'embrassai, il m'embrassa; je lui rendisson baiser, il me le rerendit. Tu ne m'en veux pas? ?

« Oh dr tout )), dit Léonora froissée dans son or-gueil. « Seulement, si tu commences à consoler déjà. ila fallu que tu offrisses tes consolations bien vivement,car il est timide. Et après? »

– « Te voilà bien, toi », s'écria Bianca, « tu as l'airde t'indigner, et tu prends plaisir à entendre dire. ».

Elles se boudaient, silencieuses. Par le balcon restéouvert, les sèves du parc entraient dans la chambre,odorantes et fiévreuses. Un rayon de lune barrait d'ar--gent le pied du lit.

– « Tu m'en veux, dis » soupira Bianca en prenantson anue dans ses bras, et l'amadouant de caresses dontl'une s'égara. Cela n'eut pas la durée d'un des éclairs dechaleui qui sillonnaient le ciel en ce moment, mais Léo-nora se précipita du lit. A cette première morsure duserpent de ïa chair, elle s'effara comme devant une dé-chéance. Elle eut soudain la perception anticipée des ten-tations prochaines, des obsessions charnelles, de la luttedouloureuse de la volonté avec les instincts; et la fière-jeune iiMepleura des larmes de colère, en sentant la Bêtenaître en elle.

Un geste de hasard et d'une seconde; et c'en était faitde la pureté de ses sens.

Page 51: Le Vice Supréme

48 LE VICE 8UPRÊMB

La triste loi du corps lui apparut, jamais abrogée, dif-ficile à éluder; et de son orgueil saignant, une tristesseinfinie s'étendit sur sa pensée.

Elle se souvint de ce mot de Sarkis

« Ce qu'il y a de plus beau, après une âme sans fai-

blesse, c'est un corps sanî désir. »

Page 52: Le Vice Supréme

v

LE CONFESSEUR

Les jours suivants, Bianca voulut induire son amie au

péché que cette nuit leur avait révélé. Léonora supportapatiemment ses obsessions, comme l'exercice utile, et îecommencement d'un effort qu'il faudrait bientôt très

grand; et déjà à résister, elle éprouvait un plaisir d'or-

gueil.« Ce que je laisse ici », ~it-elle en quittant Prato-

lino, « la vieillesse seule me le rendra ».Dès lors, dans le silence et l'ombre des nuits, enfiévrée

de songeries pubères, elle accouda son désir diffus à lafenêtre de la place.

A des questions qui ne portaient que sur les choses de

l'amour; à ses lectures qui n'étaient quesde romans pas-sionnés et de voluptueuses poésies; à ses absences d'es-

prit sans cesse traversées par des visions qui l'ôtaientde la leçon ou du discours; à l'irritabilité de son humeur,chaque heure changeante; aux marques d'une sensibilité

qui,n'était pas de nature, Sarkis reconnut qu'en elle,avait lieu ce poétique drame de la puberté, qui se dénoue,soit dans le triomphe douloureux d'une continence main-tenue, soit dans la déchéance d'une bestialité acceptéece qui l'emporte à cet instant tro iblé, l'emportera dansl'avenir passionnel.

Le souvenir ineffablement pur Je sa première com-

munion lui revint au. milieu de cette crise, où dans la<

Page 53: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

'-2_-dualité de l'être incapable d'équilibre, une piédominanc&d'esprit ou de chair s'aacuse. Elle demanda à la priera1 apaisement de sa pensée; mais ses élans icariens versDieu, à peine élèves, retombaient devait les profanesimages du désir.

Alors elle sentit ïe tesoin de celui qui. d'une mainsainte, apaise et éteint ~es flammes impure~ et qui, surla chair et l'esprit en pé~hé, applique les mystiques ban-delettes de la religion, :eules rênes qui puissent arrêterla faiblesse humaine, su* la pente obscénement glissantede la sexualité.

Le chanoine qui disait la messe de huit heures àNotre-Dame-des-Fleurs apportait, dans la célébration dumystère, une onction si douce, un recueillement si pleindu grand acte qu'il accomplissait, une telle consciencede la présence rée'le, qu'il semblait, dans ses largesgestes d'officiant, porter à Dieu les prières des 6dèle&et prendre au ciel la bénédiction qu'il épandait à laterre.

Avec une confiance sûre d'être justiSée, Léonoras agenouilla au confessionnal du Père Francesco et luiouvrit son cœur sans artifice d'expression ni restrictjonmentale, disant toutes ses pensées, même les honteuses;.tous ses désirs, même les bas.

– « Mon enfant », lui dit le prêtre après l'avoir en-tendue, « le mal, c'est laid; il faut que le coeur soitbeau pour plaire à Dieu; et je vois prématurément dansvotre esprit ces idées décadentes du mépris de la bonté,du dédain de la vertu, de la conception d'un idéal dansle mal. Oh! j'ai été de ceux-là pour qui l'art est leseul vrai Dieu le génie, le seul prophète. Je ne voyaisrien au delà d'un chef-d'œuvre, et du jour où j'acquisla certitude que je n'en ferais jamais, le monde me sem-bla vide, la vie inutile et insupportablement vaine. Un

Page 54: Le Vice Supréme

LE yiCE SUPREME 6l

après-midi, où la lassitude d'exister me faisait chercher

la porte è prendre, pour sortir de l'existence, je me diri-

geai machinalement vers il C~n~nc, où j'étais entré si

souvent, en fidèle de Maaaocio. J'allai à la chapelte

Brancacci, et devant les merveilles de Lippi et de Maso~

lino, je pleurai les larmes de feu de l'impuissant,C'était l'heure de la sieste, j'étais seul dans l'église,

je m'assis sur une marche. Soit chaleur de l'été, soit

affaissement moral, je m'endormis. Fut-ce un rêve, une

vision? Mon esprit résolut-il, pendant le sommeil, la pré-

occupation de la veille? Je me réveillai en sursaut, l'es-

prit tout illuminé

<(Et le génie du bien », pensai-je, « n'est-ce pasaussi du génie? Et les actes de vertu ne sentais pas des

chefs-d'œuvre? Chercher l'idéal dans la perfection db

son cœur, n'est-ce pas l'a~ suprême, le plus beau, pac~

qu'il reste secret et ~ns louange, et le plus doux à FœN

d~ Dieu, parce que lui seul le voit » P « Mon âme a

m'écriai-je, « sera la fresque que je peindrai de ve<rtu

pour les suffrages du ciell ».

« Je me fis prêtre, et j'ai été un artiste en perfection

chrétienne, artiste inférieur, mais enthousiaste et con-

sciencieux. A ma mort, je présenterai à N.-S. au lieu de

tableaux splendides, mon âme dont j'ai tâché d<' faî~o

un chef-d'œuvre de foi et de charité. Avoil l'âme belle,

cette pensée-là a été toute ma force; qu'ell-e soit la

vôtre. »

Ce langage fut purificateur pour la pénitente; elle

revint souvent au confessionnal et s'en retourna tou-

jours améliorée. Ce vieillard avait pour elle la prédilec-tion d'un bon pasteur pour la brebis égarée, et l'ar-

tiste qui était en lui mettait du génie à redresser selon

le bien, cette pensée courbée vers le mat<.

Page 55: Le Vice Supréme

52–LE VICE SUPREME

A 1-A'~t~ quiétude revenait dans tessens et la P" dans t'esprit de la princesse. Unesplendide métamorphose commençait. et avec desde serre mystique, ~i'al,tre hâtait l'éclosion de cette

dans une ~me mau-vaise.

« La guérison de ce HEur sera mon c,hef-d'œuvre »,

ce1ui-Ià.

.f~r~il ne devait plus se.relever. Il fit appeler Léonora.« Mon enfant. » lui dit-il, « je n'ai plus beau-~'r. aurais

Dieu. ?''S"~

sans m'en laisser~Inr~ ~<"°P" Je prévois, et ~t:triste ma mort. que vous ferez beaucoup de mal.Vous croyez. mais d'une foi s~ns œuvres et vousn'avez pas de charité; or, lacharité c'est tout. N.-S. nes'est attribué ni le génie, ni la domination; il n'atendu qu'à la seule charité; c'est par là qu'il ~.n~sles âmes; c'est p~tà qu'on conquiert le ciel. Ëcou~!moi j'ai repensé tout ce qu'on avait pensé d'élevéavant moi; et je vous le dis nous ne sommes en ce

mérite: celui dans lequel je serai bien-tôt) Eh b.en) il est une Trertu que j'exige de vous, etvotre orgueil vous la rendra ".ci.e.Y.tre tête pécheraassez, hélas que votre corps du moins soit sans péché. »

i.?~' artiste jusque dans le sacerdoce etjusque dans l'agonie, magnifiquement aveugté par sonamour du beau, s'écria « Tuez la chair, et Dieu par-donnera peut-être à l'esprit. !) vaut mieux l'orgueilleusepMsée de Faust qui veut ravir à I.ieu le secret de la vie,

Page 56: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME

u~n fMn t~Tnt~Q )~ w.que Don Juan qui tombeL'idéal, c'est lacontinence, c'est la chasteté. »

congé.dia d'un geste d'adieu le viatique entrait.

Page 57: Le Vice Supréme

VI

(rAGA

Dans la bibliothèque <~u le trio professoral passaittout son temps, Sarkis di:;ait à Warke

« Tuteur et pupille sont présentement logés à la

même enseigne, à la tentation tandis que Léonora sedébat contre son tempéra ment, Torelli s'acoquine avecune Française, une de celles qu'on nomme tendresses

et croqueuses de cœur, à Paris. Vous verrez que la jeunefille restera pure et que l'homme mûr et d'expériencecroulera dans le jupoi. sale, et laissera jusqu'à sa dignité,dans un pli de cette chemise tant de fois et par tant de

gens troussée. »

– « Vous m'étonncz », fit l'Allemand, « et. »– « Mon cher assembleur de nuages harmoniques,

vous rêvez trop pour rien voir. Torelli a commencé parla passion; il finit par la lubricité. La sentimentalité qui,

jeune, le faisait platoniquement soupirer pour Marie-

Béatrix, s'est changée avec l'âge en sensualité, et ceux

de ses fermiers qui ont une jolie fille peuvent l'envoyer,les mains vides, payer les redevances. Aux Caséines, j'aivu sa maîtresse, une Française absurde; pas de visage,une frimousse si chiffonnée qu'elle n'a pas de traits; de

petits yeux rusés et niais qui papillotent dans le glacisdu maquillage qui est sa peau; un embonpoint mou, et

de ses cheveux de caniche à son déluré de grisette, l'ac-

cent de la 611e de portière qui, du café-concert de ban-'

Page 58: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 55

lieue, a sauté dans les sens et les écus d'un imbécile debeaucoup d'autres suivis. Venue à Monaco avec un ras-taquouère. qui fut refait; elle convola avec un commis-voyageur qu'elle f' qui la laissa pourgage à l'hôtel Victor-Emmanuel. Torelli, qu'elle prit pourun commis-voyageur, la rencontra aux fauteuils du Poli-teama et la reconduisit jusqu'au lendemain.

« S~ notre élève, depuis la mort du Père François,elle est dévoyée. Les germes de sainteté que ce sublimeb~homme avait semés et qu'il n'a pu faire, fructifierassez longtemps, ont avorté, et ce qu'il en reste aug-mente la confusion de son âme. Je me souviendrai tou-jours, que, revenant du confessionnal, elle me fit leplus beau sermon et que je l'écoutai, le plus écolie-rement du monde.

– « Sarkis, me dit-elle, je ~ous aime beaucoup,mais vous êtes coupable; vous n'avez point de sensmoral et vous m'enseignez votre propre indifférence,du bien et du mal. » Ah! nous sommes loin de ceia! >L autre jour elle lisait Martial; à côté se trouvait l'opus-cule de saint Liguori, sur la Conformité à la volonté deDieu. Étrange princesse, douée pour tout et n'excellant<m rien, compréhensive et grâce à nous –

savante,mais ne sortant pas du bien, faisant tout bien, et jamaismal, et jamais mieux M

Après un silence « Celui, » reprit-il, « qui débarras-serait Léonôra d'elle-même et le duc de sa pupille pen-dant six mois, ferait œuvre pie. Or, j'ai l'idée d'em-mener Son Altesse en voyage esthético'historico-éduca-~re, à travers l'Italie. Cela contenterait tout le monde.

– t Pas moi », fit Warke.– « Ni moi », dit Bojo qui venait d'entrer.

Page 59: Le Vice Supréme

56 LE VICE SUPRÊME

Et comme Sarkis étonné, les regardait, l'Allemanddit d'un air triste w

« Un maître de chapelle ne s'emporte pas en

voyage. »– « Pas plus qu'un maître de dessin », ajouta Bojo.– « Je réponds qu'on vms emportera », fit Sarkis

qui riait.Le duc était au Palais, e Sarkis eut à peine phrase

son projet qu'il s'empressa d'acquiescer« J'ai toute confiance en vous, Sarkis », dit-il,

« mais emmenez Bojo et W~rke; cela fera une sorte desuite à Léonora. »

En déshabillé, un livre cuvert devant elle, rêveuse,elle regardait ses bras nus et tressaillit, comme surprisedans sa pensée.

« Eh bien! » fit-elle sèchement à Sarkis, qui étaitentré brusquement.

– « Il importe peu, Altesse, que je vous voie nu-bras. il doit vous importer beaucoup de faire un voyagede six mois, à travers l'Italie. »

« C'est une belle surprise », dit-elle en se levant,

joyeuse.« Venez donc rassurer Warke et Bojo qui ont peur

d'être laissés ici. »Jetant mi mantelet sur ses épaules, elle suivit Sarkis

dans la bibliothèque où les deux professeurs se levèrent& sa vue.

« Signorî », prononça-t-elle, souriante, avec mi

grand air, « notre bon plaisir étant de voir l'Italie

Sarkis, secrétaire de nos commandements, devra, outre

l'explication toujours prête et le commentaire sans fin,avoir quelque chose d'intéressant à nous mettre sous

l'esprit s'il nous vient l'envie de causer; Warke, notremaître de chapelle, emportera son violon, et lorsque nous

Page 60: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 57

nous arrêterons devant un monument ou un site, joue-ra un morceau analogue à notre situation d'esprit qu'ildevinera; Bojo, notre peintre ordinaire, dessinera les

types et les paysages qui nous frapperont. Dixi et auxmalles! »

Et joyeux fut le départ, plus joyeux le voyage.Aucun d'eux ne se souvenait d'avoir jamais été si heu-

reux. Tous étaient en verve Sarkis de discourir, Warke

d'improviser, Bojo de croquer, Léonora d'écouter, de

l'esprit et des yeux. Un triple commentaire d'érudition,de dessin et de musique lui décu'plait l'impression de ce

qu'elle voyait, la rendant ineffaçable.Ils avaient quitté Florence depuis sept mois, quand de

Pise, Sarkis télégraphia leur retour. Le duc était dansses terres de Lombardie et ce fut Gaga qui décacheta la

dépêche. Depuis le départ de la princesse, elle avait ob~tenu d'habiter au Palais.

« Là », lui avait-elle dit, « tu auras «Gaga agogo, » mais là seulement ».

Le duc englué par l'habitude déjà prise de cette dé-

bauche canaille~ de cette luxure de faubourg; arrivé àun âge où il ne pouvait plus être aimé et ne sachant

que faire en son ennui, s'était laissé glisser dans les bras

bêtes de cette Qlle, et selon le pronostic de Sarkis, il

oubliait déjà le décorum du vice praticien.Elle l'avait ensorcelé par tout ce qui aurait dû le pré-

server la provoquance du geste, le langage de barrière,l'allure de brasserie, l'ineptie dans le cynisme. Dilet-

tante jadis, il eût donné maintenant tout Palestrina pourune de ces scies de Bullier que suscite le Paris bête,<~ Paris qui a applaudi la Belle N~è~e. Avec une joiede tricoteuse se vautrant dans le lit de la reine, Gagaavait monté les quatre marches de l'immense lit à colon-

Page 61: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME

nes; et cela la grisait, le matin, d' àperdt1voIren ouvrMtles yeux un blason au-dessus de sa tête.~~M

En relisant la dépêche de S&fkis, elle p~nsa qu'ellen'avait plus qu'à laisser la à cette hautaine prin..cesse que Torelli lui-mêmE redoutait.w

La curiosité de voir une chambre dé ieune Aïtesse luivint. Les tiroirs furetés, Jes caM~ts d~eburl.Sparcourus, !e lit tout en dentées Man~ra~~leplaish.ette

près.nt d'une ~~o~eX~avait. été vaincue.

Le quart de trois heures SOM8¡ elle6C: le mouvementde se lever, réfléchit en tirant les ri~ s~. elle ehriant. Que risquait-elle en s'oNrant te~~e devertueuse prmcesse indignée?

P~~te de t&

A trois heures, les voyageurs entrèrent au PaÏais' lemajordome dit à Léon ora que son tuteur était absent,cernent elle co~t à sa ch~bre; là, quitta sarobe, en jupe et en corset, poussièredu wagon.

Enallantparla pièce, elle vit les rideaux de son litSurprise les écarta; ses bras nus restèrent suspendusde surprise.Sur l'oreiller aux armes d'Esté, riait, d'un pire bêt<;une te e peinte, aux cheveux roux charmes.

ment de ce rire expUq~ à Léonora qui était là. Arrê-tant les couvertures, elle précipita l'intruse hors dulit.

Gaga se releva infuse, la menaçant de son tuteur.~a~ la flt tomber assise,sur un tabouret.

Toujoursmuette,Léonorasonna violemment et auxdomestiques amum

Page 62: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME M

cela à la rue ». (M'donna-t-elle. en étendant– « Jetez cela à la rue », ordonna-t-elle, en étendant

le bras vers Gaga en chemise et pleurante.Valets et femmes de chambre restèrent immobiles; ils

craignaient tous l'influence de la fille sur le duc.« Hein? Ce que l'on t'écoute? » s'écria Gaga en-

hardie. <( Je vais te la rendre ta gifle, et comme à une

gamine.Elle saisit Léonora par son court jupon; celle-ci se

d~gea Sévreusement et saisissant sa cravache sur une

tablette, elle en fouetta l'air autour d'elle.– « Touche un peu. » dit. Gaga.Léonora blêmit sous l'épithète, et saisissant la fille

par l'encolure, d'une secousse elle lui déchira sa chemise

dont un lambeau lui resta aux mains.

Gaga, !es doigts arqués en griffes, marcha sur elle,mais Léonora lui cingla ses g: os seins, à toute volée.

Hurlante, la fille chercha quelque chose à jeter à la tête

de la princesse; elle n'en eut pas le temps. Sur ses épau-les, sur ses bras, sur ses cuisses, les coups de cravache

pleuvaient. Vociférante et lâche sous la douleur, elle

crachait les imprécations du lupanar; et ces termes igno-bles exaspéraient la colère de la princesse. D'un cingle-ment féroce, elle faisait rentrer dans cette flasque nudi-

té, chaque ordure qui en sortait; et une volupté aiguë lui

venait de sentir cette chair s'écraser sous ses coups et de

la voir se zébrer de longues raies rouges d'abord et

toutes violettes.Les domestiques, en italiens pmdents, s'étaient reti-

rés mais Julioti le cocher, pour qui Gaga avait eu une

complaisance, un soir que le duc était absent, crut de-

voir se mettre entre la cravache et la patiente. Léonora,révoltée qu'un valet intervînt, lui fouetta le visage.Cette diversion avait suffi à Gaga pour s'enfuir. Léonora

la poursuivit à travers les salons et l'atteignit au mo-

Page 63: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

ment où elle touchait l'escalier. Avec sa f~~s.?~s~cuirasse à sa sveltesse

d'm.change, elle semblait un deceuxS.X-t;.S'la la fille à un angle du palier, et là, sur cette croupede 'prostituée, elle frappa formidablement, grisée par les:cris épouvantables qui répc ndaier à ses coups. Son braslas enfin, retomba; la fille e précipïta~, roulant l'escalier.LI~onora s'élança, mais pr~te à s'aff8i~er, elle se cram-~)nna à la rampe d'une main, de l'autre elle lança sacravache qui atteignit la fiLe au jarret et la fit tomber àgenoux; elle-même tomba dans les bras de Sarkis, éva-nouie, le pied foulé.

cn~ pour entrer dans unecrise nerveuse. Revenun à eUe:« Faites atteler », dit-elle à Sarkis. Celui-ci f1Jtobligé de la porter dans la calèche où il prit place enface d'elle. Julioti av ec le stigmate du coup de cravachequi lui balafrait le visage, attendait les ordres de SonAttessc « Au Poggio ~p~ », dit L~o~

Page 64: Le Vice Supréme

VII

AU PENSIONNAT

La vieille comtesse Oliva, directrice de ces Oiseaux deFlorence, accueillit Léonora avec les servile~ chatteriesde l'obséquiosité italienne

« Vous serez ici traitée en princesse d'Este. »« J'y compte », répondit Léonora avec tranquillité.

Lorsque après une semaine d'alitement elle descenditen récréation, la démarche fiere, alanguie de sa foulure

peine guérie; cette jalousie des femmes qui présage, àcelle qui l'excite, l'admiration et le culte des hommes, tasalua. Mais le regard direct de ses yeux verts et les me.plats de son haut front portaient écrits si lisible l'espritde révolte, que, rivales, les pensionnaires pardonnèrcn'tà sa victorieuse beauté, en faveur de l'indisciplinelu'elle apportait dans le froufrou de sa robe. Dès l'ins-tant où elle se mêla aux élèves, un vent de désobéissan-ce souffla dans les classes tout à coup bourdonnantes,éteignit les veilleuses des dortoirs, fit battre plusbruyants les couvercles des pupitres, et, enfin, penchersur l'oreille toutes les cornettes.

A raison de sa masculine éducation, les farces d'éco-!~res, les caquetages cailletins ne l'intéressèrent pas unmoment. Le doigt de Sarkis avait avancé sa pensée pré-coce, et c'étaient les préoccupations de la femme, non~e }a jeune fille, qui marquaient ses heures.

Tous les matins, les trois professeurs, les genoux

Page 65: Le Vice Supréme

62 LE VICE SUPREME

a 11 '1. » '1 1

chargés de livres, d'a!bun:s, de partitions, descendaient,

au galop du coupé de Torell i, par la porte de Rome,t'avenue de chênes et de (ypr~s qui mène au Poggio; et

ne revenaient à Florence qu'à la nuit. Cette éducation

les passionnait, ru point d'être atteints de la maladie

mystique du scrupule. Boj~ cherchait le secret de la ligneet de la couleur des maîtj'es; Warke s'ingéniait à écrire

un traité d'harmonie qui fut clair; et Sarkis, tout son-

geur, s'efforçait de river fortement les mailles de la cotte

de science qu'il forgeait à l'âme de la princesse ~t

c'étaient là'de grandes ccgitations.Le duc avait eu à subir une terrible scène de Gaga

qui voulait être vengée. En florentin,' au lieu de s'api-

toyer, il Gt servir ce, fouaillement à la sécurité et aux

aises de son vice. « Si tu n'es pas complaisante, je rap-

pelle la princesse )~ menaçait-il, à chaque velléité d'in-

cartade. Et la fille s'apaisait avec une peur d'enfant

qu'on menace du croqucmitaine, gardant un affolemeat

de cet archange qui l'avait châtiée.« Assurez Léonora », avait dit le duc à Sarkis,

« que loin de lui en vouloir, je ne l'en aime que davan-

tage, d'avoir eu un si noble soin de sa dignité. MEntre

nous. ajoutait-il, « je lui dois la souplesse de Gagala cravache de ma pupille m'a docilisé ma maîtresse

Léonora écouta ces paroles avec un mauvais sourire– « ~oilà donc, Sarkis, à quoi sert une vertueuse

indignation et que je me sois foulé le pied. »

Au Poggio, elle retrouva la tentation même de Prato-

lino, sous les formes adoratrices de cet amour serf quiséduit les orgueils et qui est la manifestation la plusabsolue de la passion Betty, viennoise; selon la formule

de Gozzi, mélancoliquement timide, et d'une mignonne

gaucherie à la Schoorel, couvait Léonora de regards trou-

blés, en une adoration qui la faisait lécher de baisers tes

Page 66: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 63~

_8- 1mains de la princesse, avec une animalité douce dans lacaresse. Peut-être Léonora eût-elle ouvert ses lèvres auxbaisers lesbiens, si Betty eût risqué la caresse de Biancamais,la suprême recommandation du P. François la main-tint en 'face d'une tentation qui n'osait pas. En cetterencontre, eUe eut la haute volupté qui s'éprouve auperpétuel coudoiement d'un péché intense, facile, secretet refusé.

Bojo lui fit composer une Salutation de retable etdeux chories de Saintes portant les instruments de leurmartyre: puis des échafaudages ayant été dressés dansla chapelle du Poggio

« A nous deux, cette Sixtine, Altesse », dit-il.Dès lors, les cours eurent lieu singulièrement. Tandis

que la princesse faisait apparaître sur l'outre-mer, lesblancheurs lyléeanes des vierges, Sarkis arpentait lesdalles, dissertant et lorsqu'il se taisait, Warke, assis àl'orgue, exécutait des fugues de Bach. Cinq mois passè-rent de cette esthétique façon; d l'approche .de la dis-tribution des prix, Mme Oliva, ravie de voir sa chapellepeinte à fresque, pria Léonora et ses<maires d'écrireune comédie pour cette solennité.

– « La cour de Ferrare, voilà le titre », s'écria Sar-kis, et fou illant les. livres, il en tira toutes les minutiesd'une exacte restauration historique. Warke, en exégis~te, proposait La Casa Estense, ou la prise de Ferrare surles Torelli.

« Je veux ?, dit Léonora, « remplir le rôle deï~onora d'Este,, mon aïeule, cela se passera donc sousAlphonse II ».

Soufflée p~p Sarkis, elle imagina une Célimène de laRenaissance. L'action était peu de chose, un poète bohè-me à la GI&tigny, arrêté pour des vers contre Alphonseet gracié par Léonora.

Page 67: Le Vice Supréme

C4 LE VtCE SUPRÊME

aa. Il IL!le-. .1'&& _·_ ~·.Bojo dessina un billet d'incitation où était reproduit,

,du geste indiquant le programme, l'ironique et adorable

précurseur du Louvre. Sur un cartouche« Le rôle de la princesse Léonora d'Este, sera joué

~ar la princesse Léom'ra d'Este. »Tout le livre d'or toscan se rendit au Poggio, et admi-

ra les fresques froides où Léonora avait cependant ren-

du, en une noblesse hautaine d'attitudes, cette suprêmearistocrate, la virginité. Warke exécuta certains mcr-ceaux de sa composiLim, qu'il fit dire, être de la prin-

cesse. Aussi quand (e public exceptionnel prit placedans la salle de spectacle, était-il déjà deux fois admi-rablement prévenu.

Tandis qu'elle revêtait un exact costume de son aïeule,Torelli entra dans sa loge et l'embrassant « Vous rou-,gissez de votre tuteur, lui est fier de sa pupille! »

La paix se fit ainsi. Derrière le duc, quelqu'un venait

qu'il présenta, sens que Léonora se dérangeât que parun mouvement de tête dans la glace

« Le prince Sigismond Malatesta. »La toile se leva sur la terrasse du Palais ducal. L'Arios-

te et le Garofalo parlèrent d'un poète vagabond qu'Al-phonse avait emprisonné pour une canzone railleuse.Puis Léonora parut et si d'Este, que ce public applauditavec frénésie cett" revenante de la Renaissance. L'en-thou siasnn dura toute la pièce.

Quand Léonora donna au poète le parchemin de sa

grâce, celui-ci se jetant à ses genoux, en une déclarationd'amour fou, s'écria « qu'il préférait se serviliser auprèsd'elle que de ne plus la voir, et que pour un baiser ildonnerait plus que son génie, son indépendance ».

Alors, la princes le renvoyait à sa lyre– « Sois fidèle à l'idéal, ô poète! N'aime que les

idces; laisse au commun des hommes l'amour; c'est 1~

Page 68: Le Vice Supréme

6

tE VICE SUPREME 65

ésie. Ravis-nous dans tes propres extases;r~m~. rtn<: nv~r* tt~t<e <t~ t~r,toute leur poésie. Ravis-nous dans tes propres extases;mais ne te traîne pas avec nous dans tes vaines ten-dresses! Vois les sirènes chantent, les croupes des chi-mères frémissent, les sphinx battent des mains à tonapproche! Ne cherche pas l'énigme de la femme, ellen'en a pas et elle te dévorerait. Qu'aucune main ne sepose jamais, orgueilleuse ou caressante, sur ton frontplus elle serait blanche, mieux elle étoufferait ton génie.Ne presse jamais sur ton cœur cpie des rêves. Ce baiserque tu veux acheter au prix de ta liberté, je te le refuse.Tu en as déj~ un au front qui ferait le mien sacrilège.Les lèvres de la femme seraient profanes là où se sontposées celles de la muse. Tu e& plus qu'un homme, tesamours ne doivent pas être de terre comme les nôtres.Va, sois bon et chaste, chante et marche. Ne parle ja-mais l'infirme langage des vulgarités, ne t'arrête jamais,surtout devant h femme. Sois sublime enfin; c'est tamission! et remercie Dieu que ton génie t'ait sauv~ demon amour! »

L'étonnement, l'orgueil florentin éclatèrent en bravi.Seul, le prince Sigismond, las yeux hypnotisés sur Léo-nora, n'avait p~ applaudi. Le rideau tombait sous desrappels frénétiques. Torelli, surprix de la froideur deMalatesta, s'écria

« Comment! n'applaudissex-vous pa~PM– « Je n'applaudi pas, mais je vous demande la

main de votre pupille ?, prononça gravement Sigismond.« Mon cher prince, allez la lui demander à elle-

même. Le roi Charles X n'avait que sa place au par-ierre; je n'ai que ma signature au contrat.

Page 69: Le Vice Supréme

VU!

LE PRINCE SÏGISMOND MALATESTA

Phitôt amant que l'oM rêve, que mari qu'on subit, quel'on trompe, en lui revivait quelque chose de ce tempsoù les Alberti, des banquiers, étaient beaux comme lesdieux grecs; où l'industriel était artiste; l'artistepoète et le brigand bandit. Au lieu du Bovary nobliotdes romans modernes, Sigismond Malatesta semblait lepâle seigneur peint par Raphaël et que l'on dit êtreCésar Borgia, autant toutefois que le hideux habillement

contemporain permet de rappeler un patricien à toqueet pourpoint de velours tailladé. Maigre sans être os-

seux, le nez long aux narines fermées, il portait surson front droit l'inquiétante blancheur de la perversité.A le voir, on sentait qu.'en aucune situation il ne pou-vait pas plus être ridicule qu'un tigre.

Dès vingt ans, laissant aux hiboux et aux ronces sonchâteau de Rimini, il se fit construire, rue Barbet de

Jouy, non un hôtel mais un palais, d'après un plan iné-dit de Leo Batista Albert!. Il meubla cet édifice des

objets d'arts de ses ancêtres et se trouva réduit au sep-tième d'un million par an, qu'il consacra à cette exis-tence idiote qu'on appelle, sans doute, par antiphrase.la haute vie. JI fut membre de cercle et sportsman, il ra-vala son grand nom à des prouesses de jockey, à deshauts faits de maquignons; il fut de ces vibrions dontl'horizon est borné par une selle qu'on devrait leur

Page 70: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 67

1.mettre en bât. Il eut des danseuses qui le tutoyèrent, desbourgeoises qui lui dirent, mon prince; des grandes da-mes qui voulaient pécher sans déchoir. Il eut des dettes,des indigestions et des maladies, jusqu'au jour où il sedécouvrit un vice précis auquel il se livra exclusive-ment le stupre. De là, son pâle silence pendant la re-présentation de là aussi sa demande à Torelli.

Rentrée au palais d'où Gaga s'était sauvée à la seuleannonce de son arrivée. Léonora y reçut les visites quo-tidiennes de Malatesta, tandis que Torelli logeait sesamours au Palazzino Viati, sur la Lung' Arno. Voyantl'impossibilité de violer Léonora, le prince Sigismonds'était tout de suite résolu à l'épouser.

Il fut accueilli par des railleries de jeune fille lettrée.Tout autre eut renoncé; il ne montra jamais une impa-tience. Il n'aimait pas la princesse, il ne convoitait ni sadot ni la noblesse de l'alliance, il la désirait pour la seulesatisfaction de sa chair. Léonora n'éprouvait pas de ré-pulsion elle le trouvait même assez semblable au pâleseigneur qu'elle avait évoqué, à sa fenêtre. Seulementla souplesse de fauve, la félmité du prince l'inquiétaitelle pressentait de terrible-s griffes sous ses regards, sesgestes, ses mots de velours.

Au Poggio, elle n'avait déjà plus la résistance vivede Pratolino; maintenant se dressait en elle, la Bête.

Tout l'an que dura sa cour, Malatesta, n'osant ris-quer de comédie sentimentale devant une clairvoyancesi aiguë, pressentit 1 état d érétbisme de Léonora; etde sa nerveuse parole troublante comme un attouche-ment, avec des réticences pleines d'une ombre qui fai-sait le désir curieux et attentif, avec des sous-entendusqui intéressaient le corps à l'énigme proposée à l'esprit,il alluma en elle cette fatale lampe de Psyché dont lesrayons font évanouir les illusions et les dieux. Dans un

Page 71: Le Vice Supréme

i,B VtCE SUPR~I~E

langage aux vocables chastes, évisifs, contenus, H pré-cisa des tableaux dont la contemplation souille et pollue.Avec de la poésie de mot~, il Mroîsa la volupté. Il trou-va des images charnelles, pleines, grasses, rouges commedes tons de Rubens; des modelés troublants comme ceuxdes papiers bleus de Pndhon et des troussements depensées semblables à des R.pps parlés sur le flamboie-ment de l'adolescence, il j~ta l'huile obscène du plaisirphysique, exalté dans un 3 gloire d'intensité.

Léonora eut des heures de lassitude dégoûtée, sousce picotis charnel. ~ener ?a chair, valait-il tant d'e~ort,quand la satisfaire délivrerait son esprit de cette ignobleet lassante hantise?

« Dois-je épouser Malatesta? » dit-elle à Sarkis.« L'indépendance ), répondit-il, « e't la grande chose

de la vie, et socialement une femme, même prmcesse,n'est indépendant que veuve ou mariée. Un mari nepeut être pour vous qu'un émancipateur et le Malatestapeut justifier son nom. Voyez, si vous pouvez restervotre maître en devenant le sien ».

« Je suis fille d'Hercule », dit-elle, subitement résolue.« Je v<Hmaccepte a, Mmoaca-t-elle le lendemain ~u

prince.En attachant son voile, blanc linceul de sa virginité

qui allait mourir, deux grosses larmes couvrent de gesyeux qui ne pieunucnt jamaia.

« Pourquoi ces pleurs, en allant à Fautel? ? demandaSarkia.

1Brusquement, elk prit les mains de son pt~cepteur et

le regardant b~en en face, à travées ~humidité tronblede ses paupières =

« Je puis vous !e dire a vouq, dont )e suis la elle

Page 72: Le Vice Supréme

LB VïCE 8UP&ÊMB QC'W'

spirituel Ce n'est pas à l'autel que je vais; suislâche, je vais. »

Elle dit un mot dont Sarkis resta pâle.Au carillon du Campanile de Giotto, escortée de son

tuteur et de ses trois professeurs qu'elle avait vouluspour premiers témoins, sans égard pour la foule desgrands noms qui suivaient elle entra à Notre-Dame desFleurs, et un pli triste sillonna ses lèvres en passant de-vant le confessionnal où une voix de prêtre lui avait ditl'ode surhumaine de l'âme lyléenne.

Par une fantaisie qui étonna mais qui fut obéie avecplaisir, chacun des invités revêtit pour le bal le costumede ses ancêtres. Léonora portait une copie de la robe denoce de Lucrèce Borgia. Cette nuit-là, le passé revint aupalais Torelli. Dans le décor du quinzième siècle demeureintact, jusqu'aux valets avaient des livrées héraldiques.

Léonora, presque déshabillée, attendait anxieuse, ap-puyée ~u lit. Quand son mari entra, elle se raidit contrela pudeur, comme on se raidit contre la peur. L'esprittendu, le corps plein d'appréhension, elle fixa sa penséesur ce qui allait avoir lieu et lui dévoiler tout ce qu'elleignorait encore du triste savoir humain.

A la vue, <au toucher de ce corps qui réalisait le r&vede sa chair, la chimère de son vice, le démon du stupres'empara de Malatesta. H oublia tout, prudence, dignité,lendemain; il la posséda furieusement, en un viot égoïsteet sadique. Dans la chambre du palais s'entendit ce quele peuple appelle le cri de la vierge. Néronien dansHvi-esse aveugle de l'idéal étreint; proatant de l'igno-raîice de ce corps de vierge, sans paroles, sans caresses,il alla au bout de sa lubricité. Épuisé, non satisfait, videde force et plein de désir, il retomba abruti à côté de safemme qui sanglante et id~otisée, pleurait, ms san-~ots, les lentes et grosses larmes de l'hébétement. L~

Page 73: Le Vice Supréme

70 LE VICE SUPRÊME

surprise de la sensation rendue terrible par la férocitéde Sigismond, la secousse nerveuse qui en résulta, fu-rent telles que la pensée de Léonora en demeura arrê-tée. Elle subit, stupétiée, et s'endormit presque incons-ciente en des cauchemars.

Le premier rayon de l'mbe lui ouvrit les paupières.Elle se sentit la tête vide, les reins tordus, les jointurescassées, tout assommée. Puis la mémoire revint; et avecelle le tableau de la nuit. Soulevée sur un coude elle re-garda son mari, le visage blanc de sommeil, la boucheaux lèvres sèches et ouvertes, qui dormait dans urnepose aplatie.

« Voici l'homme! 3t voilà le plaisir! » pensa-t-eUe.Une ironie intérieure de ses résistances aux caresses ai-mantes de Bianca, à celles adoratrices de Betty, ricanaen elle.

Un lambeau de son peignoir gisait sur le tapis, elle se vitnue, et sur sa chair d'une blancheur si égale, les baisersdu prince avaient laissé des plaques rouges. Ces stigma-tes de la possession brutale lui mirent à l'épigastre unenausée qui lui monta au cerveau, emplissant sa pensée.I! lui sembla que sa peau avait honte et que ces rou-geurs étaient la confusion de son sang souillé.

Elle sauta du lit, s'enveloppant d'une robe et courutà la salle de bains. Il fallut, malgré l'heure matinale,qu'on lui allât chercher du savon de lessive. Elle se fitfrotter des pieds à la tctc, et pour se désinfecter, s'arrosade parfums violents.

(( Je sens la bête )), pensait-elle.Sa peau fine s'enflamma, et après deux heures de

bain, en revêtant une robe noire, uu violent picotis luidonnait la sensation d'être couverte et mangée de ver-mine.

Eatrantbrusquement chez Sarkis

Page 74: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 71

1. J.r..11"'1 -'II'" -11-c- _·1_~« Je vous le disais bien que j'y allais, j'en sors. »Et comme le précepteur, navré, se taisait.« Mon cas est unique. Je ne demandais à cette nuit

que d'être chamelle et. Ma vengeance sera du même/ »Au déjeuner, le prince qui avait rénechi était anxieux,

non qu'il se repentit, mais parce qu'il craignait de nepouvoir recommencer. Il s'empressa, s'étonnant d'unerobe noire.

« Cela veut dire qu'il vous faut prendre le deuil demoi, comme je l'ai pris pour vous. »

Et avec son grand air patricien« N-i, ni, c'est fini. »

Malatesta, vaguement souriant, ne répondit pas. Ledessert apporté et les portières tombées sur les domes-tiques sortis

« Madame. » commença-t-il.'< Ecoutez. » interrompit-elle; « je suis pius que belle

séductrice; je suis savante au point que vous ne pou-vez parler sans que je rie; et je suis plus perverse quevous, puisque je connais tout le vice et n'en ai aucun.Ainsi donc n'essayez pas de lutter. »

« Vous me refusez donc désormais le devoir conju-gal? Mdit brusquement le prince.

« Le devoir conjugal? » articula Léonora en donnantau mot une accentuation incisive.

« Soyons francs! » commença-t-elle avec une ironiquebonhomie; « nous nous sommes épousés, vous par lubri-cité, et moi aussi, je vous l'apprends. Si vous m'aviezsatisfaite, je n'aurais rien à vous reprocher; mais vousavez gâché ignoblement une chose qui m'avait tantcoûté à conserver.. Oh je ne vous fais pas de scène, jene pleure pas, je ne récrimine pas; 'voyez, si je ne dé-jeune pas de bel appétit. »

Malatesta regardait s'évanouir son rêve avoir son

Page 75: Le Vice Supréme

Lt .VÏOt SUPB~MB

vice dans sa femme. Les pensée.; à fond de ta prmc~ssequi semblait voir par delà les choses, le rendaient muet.

« Ah! Mreprit Léonora, « oit eat le temps où je merécitais Shakespeare? Le balcon me masquait l'alcôvele ciel étoile, le ciel du lit,. Le chant du rossignol et lecraquement d'un sommier dînèrent. Oui! Derrière tepoème il y a un bourbier. Mon cher mari, dussé.jcsécher de désir et voir m~ continence assaillie par plusde tentations que la legetde n~h attribue à saint An-toine je jure bien, sur non orgueil, de ne jamais meravaler, même si aimer, cet impossible –

arrivait,à aucune œ'ivre précise de la chair. »« Oh! » fit le prince avec un mauvais rire « je me

suis désaltéré sur les lèvres d'un ange d'une soif deruisseau. »

« Un ange! non pas H dit Léonora, « un ange se sou-mettrait, se résigneraH; un ange ne comprendrait pas »

Elle se tut, un pli au front, regardant un Spo~H~odu Garofalo.« Alors. x dit le prince qui par contenance piquaitune tranche d'ananas « Vous croyez que cela se passeraainsi MEt il se dressa brusquement le~ deux poings sur la

table.Lécnoraaussi se leva et ses longs doigts arqués fri-

pant la nappe, elle fixa ses yeux de mer sur les yeuxgris de son époux.Immobiles et nèvreux, les Ï~es fermées, la narme

frémissante, penchés l'un vers l'autre i!B se regardaientcomme on a'égor~. La lutte fut effroyable entre cesdeux volontés, ces deux fluides lutte magnétique quidevait mettre le vaincu à la merci du vainqueur Unesueur froide d'agonie coulait de leur visage, d~nt lestraits s& crispaient dans un effort des nerfs optiques

Page 76: Le Vice Supréme

LE VÏCN SUPREME 73

[urant !!e c~ fna~w.x*Dix minutes durant Us se fascinèrent, les yeux rivésa~ycux. Tout à coup le prince chancela et baissa lessiens.

« Soit! » dit-il avec la terrible ra~e blanche des hau-tes classes et il fit une fausse sortie Sur le pas de laporte, il se retourna.

Léonora, dans la même pose, le tenait sous son re-< alors. Elle d'un rire strident,dont les trilles saccadées accompagr~rent !a fuite du prn~ce à travers les appartements.

Page 77: Le Vice Supréme

!X

DU~EMË

Malatesta prit le rapide pour Paris et, à peine arrivé,mit sur les dents toutes les agences infâmes. On ne luitrouva rien qui le satisfît. Sa perpétuelle insomnie étai!hantée par cette unique nuit où il avait terrassé sa Chi-mère. Il s'avoua qu'il aimait Léonora de tout son viceet que sa seule vue éta encore préférable à toute pos-session.

Quand il revint au bout d'un mois, il trouva la prin-cesse installée au palais Riccardi qu'elle avait achetéet meublé magnifiquement.

« Il me débarrasse, oui », avait dit Léonora à Sarkis;« mais il me faut ma vengeance du même)).

Elle le reçut comme s'il revenait d'une promenade.Le soir, Malatesta gratta à sa porteC~a~~e ~oyn rivos, -s~t pra<a biberunt, répondit-elle.D'un coup d'épaule il Ht sauter la petite targette ds

cuivre« J'ai voulu voir si vous ne portiez pas de bas bleus »,

fit-il en entrant.« La couleur de mes bas vous sera toujours inconnue,

beau sire. »

Enfoncée dans un fauteuil, en vêtement de nuit, les

pieds sur une chaise et les mollets nus, Léonora lisaitBoëce. EUe ne couvrit pas ses jambes, ne ferma pas son

peignoir, comme seule. Ils restèrent un long moment,

Page 78: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 75

t.éonora toute à la co~oMo~ philosophique, tui toutau désir. Enfin il s'avança. D'un geste calme, la prin-cesse frappa sur un timbre. Un valet parut.

« Éclairez à Son Altesse. – Ponsoir, prince! ))Malatesta salua et sortit.Comme ceux qui, arrivés au milieu de la vie, n'y

ont point trouve de but, et de clairvoyance et de r6-

i!exion, s'engagent en ces impasses passionnelles quine mènent qu'à choir dans le brutalisme conscient; de-vant ce refus qu'il savait inéluctable, Malatesta obstinason constant désir.

A l'instar de ces fanatiques Danubiens qui se sabrentavec joie, il est des modernes qui, par inappétence aexister hors de certaines conditions qui leur manquent,se font de perpétuelles et sanglantes blessures à l'âme.

L'étude passionnelle des décadences trouve, à peuprès toujours, un déterminisme illogique, irrationnel ab-surde aux phénomènes psychiques. A cette heure deshistoires où une civilisation Huit, le grand fait est unétat nauséeux de l'âme et dans les hautes classes surtoutune lassitude d'exister. Alors, sciemment, délibérément,on gâche sa ,vic, on émiette son intelligence, on aime

mal pour le mal, on le fait « pour le plaisir )) etjusqu'à soi-même. Car de la décomposition générale desidées et des concepts, il résulte pour l'individu sonhaut vouloir et qui ne sait pas réagir contre le courantde l'epoq-ue, un phénomène formidable d'envoûtement.

Les acoquinements paisibles et monstrueux, comme lemari et la femme ayant la même maîtresse ou le même

amant, ne sont que de la physiologie, mais les absorp-tions de la volonté consenties, les accouplements quidégradent le savant gouverné par sa cuisinière, le poète!'u la Hlle, le mari par la femme, l'amant par la mat-

tresse, les ducs piétinant leur grand cordon, les prêtres

Page 79: Le Vice Supréme

LE VtCB &UP:~ME

leur étole, les Génies leur mission; toutes ces lâchetésont un but l'immense soulagement d'abdiquer touteactivité, le nirvana du pa~sivisme; un désintéressementcomplet de la dignité de la vie, le pliage (MnniUf durespect humain; en un mot l'hypocrite prétexte pourque le lâche se déclare il responsable.

Le prince de Condé se laissant battre, se laissantprendre par La Feucheref, était vieux; mais la sé~lité du vouloir est de tou? les âges. Pantin cassé ai.xficelles pendantes, le décadent n'a pas même le ressortqu'il faut pour déplacer son vice et changer de fumier;il pourrit sur place, heureux da iceite vermine, qui,pour quelques droits qu'elle lui ôte, lui ôte aussi tous 1~8devoirs. Dédaigneux dp sa liberté qui lui pè&e, il appelleavec cris la tyrannie d'un vice. Aux époques d'épée, onfaisait bon marché de tta vie; aux époques de dandysme,on fait bon marché de sa volonté. Vivre est si nauséeuxqu'on s'abandonne sous le mal-tellement de l'habitudeà ce lent suicide l'ivj'ease de l'inertie.

Malatesta se fit Tantate, volontairement. Il sounnt d'af-fres indescriptibles; mais il eut un désM- jamais satis-fait, jamais émoussé, qui réveillait son activité dans lemême sens que certains libidineux se font battre.

Il n'aimait ni no haissait sa femme il la désirait.Son imagination dépravée lui faisait voir en elle d'inouïevoluptés; il était resté inassouvi et n'espérait aucun assouvia sèment.

Etrange couple où l'un, pétri du plus odieux des vicesdu corps, se murait dt.ns une .concupiscence vaine:tandis que i'autre, sans vertu, ee défendait la vie sen-sorielle, par seul orgueil.

Dès qu'un ton de camaraderie se fut établi, Malatesta,sans cro:M à aucun profit, s'ingénia à irriter les sens desa femmf?, comme il avait irrité ceux de sa fiancée;

Page 80: Le Vice Supréme

~B VtCE S~PR~ME ~7

dans cette voluptueuse langue italienne, la plus expres-se des sensualités, il improvisait des paraphrases aux<OHM6<&~M.CMM8MaC.

Lécnora lui permit d'assister à cette seconde partiede la toilette où la femme n'a plus que de jolis mouve-ments à faire; même il obtint d'assister à ses bains; etc efa~ un spectacle de vengeance, délicieux pour la prin-cesse, de le voir dévorer de regards fous, son corps plussdésïrable encore sous la transparence de l'eau.

Par une excitation aussi çonstante, Malatesta arrivaà un éréthisme oui le tenait en perpétuelle fièvre.

Tandis que tou~ la tentation du prince venait de Léo-nora elle, n'était tentée que par des visions de son es-prit mais ce qui était une repréëaiUe lui plut; l'im-pudeur deviut son étude et sa magie. Bientôt sa perversiténe se borna pas à affoler son mari; son vice d'habitudefut d exaspérer le désir chez tous -eux qui le lui expri-mèreBt.

Sataniquement. Maïatesta songea à nrrésistible séduc-tion qu exercerait ga femme Paris, et à son plaisir d'envoir d'autre, beaucoup d'autres, damnés comme lui enl'enfer du désir vain.

En voyant les préparatifs du départ, Bojo et Warkequi s ennuyaient déj~, n'étant plus aussi souvent avec.eur chère élève, s'attristèrent. Léonora leur offrit de lesemmener; ils refusèrent et, se jugeant désormais inutiles,presque gênants, ils préférèrent Bojo rester à Florence,Warke retourner en Allemagne. Léonora teur donnacent mille francs à chacun en le~ embrassant.

« Adieu, mes chers maîtres, je n'oublierai jamaisque j'ai passé avec vous mes meilleures années. Et voussi vous avez besoin d'or, de protection, écrivez; écrivezaussi pour que je sache que vous êtes heureux. »

Page 81: Le Vice Supréme

78 LE VICE SUPRÊME

Les deux professeurs pleurèrent comme s'il letir mou-rait un enfant.

– Ah Ht Léonora très émue à Sarkis, « je vais

avoir bien besoin de sentir votre pensée près de moi )).L'hôtel Malatesta étai, un palais italien. Le prince

avait fait exécuter scrup ileusement le plan de l'Averti

qui construisit la cathédiale de Rimini, un des premiersretours au néo-romain.

Deux pavillons à terrasses balustrées nanqua~ent la

porte de bronze qui s'ouvrait sur une vaste cour, où un

Ganymède de Sansovino versait continuellement l'eau de

son aiguière dans une vasque de marbre noir.

Une colonnade corintb enne formait un portique con-cave du temps païen. Sur le mur de pourtour, entre les

pilastres encastrés, Il. Gros, le restaurateur de la pein-ture' antique, avait peint à la cire et au feu, indestruc-

tibles, les Muses, les Kharîtes, les Erynnies. Partageantles douze panneaux, une grande baie sans porte donnaitaccès au vestibule en mosaïques imitées de Pompéî; des

plantes rares croissaient dans des vases étrusques. Au

centre, un impulvium où une Léda florentine se livraitau cygne. Trois portes s'ouvraient sur le grand salon quiavait toute la longueur de l'édiuce. Un ordre dorique ysoutenait une galerie étroite à fausses portes au plafond,un Tintoret immense faisait triompher Psyché; dix fenê-

tres, à plein cintre donnaient sur le jardin. Au premier, la

salle à manger entre deux salons; au second, la biblio-

thèque dont la princesse prit la moitié pour son atelier.Les appartements privés formaient deux ailes en sursaut,chacun des époux en prit une, tandis que Sarkis s'ins-tallait dans un des pavillons de l'entrée. Au fond, unmur à arcatures isolait le jardin des communs qui avaientleur entrée rue de Balylone.

Avec la galerie de Ferrare et ce que donna Torelli,

Page 82: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 79

déjà gâteux et qui ne tenait plus aux objets d'art, !e pa-lais fut digne d'une princesse. Léonora fit sculpter au-dessus de la porte, par Antar, deux Chimères soutenantces armes splendides Écartelé au 1 et 4 de rjE~ptre;aM 2 et 3 de France; à la bordure endentée d'or et degueules qui est Ferrare et cet écarter sépare par unpaM de ~OM/c7oMmer de l'Église; et sur le tout un écus-son d'azur à une < d'argent couronnée, becquée etme~~ree d'or, qui est d'Esté.

Le faubourg Saint-Germain ouvrit ses portes toutesgrandes à un tel blason.

A peine arrivée, mille jalousies de femmes se levèrentcontre elle, qu'elle ne daigna pas voir; tandis que Ipshommes, séduits tout de suite, lui faisaient une cour etun cortège. Debout derrière son fauteuil, caracolant à laportière de sa calèche, la cohue ~es gens à la mode lasuivi, comme un étendard et reçut, dès les premiersjours, cette parole collectivement Batteuse « Tout lemonde est-il aussi ennuyeux que vous ici? »

A sa liberté d'allures, de mots, d'idées, on crut àune extravagante qui ferait des heureux, mais on revintvite de ce téméraire jugement. D'un sourire à la Lise,d'un baissement de paupières à la Colombina, elle coupaitune déclaration sans parler et sa façon de hausser lesépaules contusionnait les plus love!aces. Au sortir deFlorence où Famour est pris au sérieux, où l'adultèredevient majeur d'ordinaire, tandis que cet absurde, leridkule, n'existe pas elle trouva funambulesque le pa-pilïonnage parisien. Les bouquets, elle les faisait jeterdans la litière aux chevaux, les lettres circuler impi-toyablement, au plus grand ridicule du signataire, lesnobliots s'entêtant, elle les appela Mei facchini, meifantocchini. Une année, au jour de l'an, on envoya à ses

Page 83: Le Vice Supréme

0~)VICE SUPREME

intimps H~a /'aftac. iintimes des cartes 011sous le uo~ cJrnma tître, il avait y~1~

~~c~ fueentextrêmes. Ce qu'on appell le Tout-Paris l'envia.«( Je crois qu'elle °' pas même à son mari ,L

de Courtenay, 'P-MJlrincesse était reconnue.Iniernalcment satisfait d~~Noir le désir physique s'al-

obscèneau passage de la princesse; illa PQu8sqit dans la voie {)e cette impudeur patricienne

qui atteint le style. Il n'tait plus seul à souffrir, ilsurprenait ç:~aq~e jour de~ brides de colifidenoes, desoù éclatait l'aveud'un tourment semblable, au sien et né de la même c(t.us,u.Rien ne trahissait l'étrangeté d'e~jstence des Malatesta,et jamais la galerie ne vit un regard et n'entendit un mot

Trœsaimées durant, Sigismond se consola de snn

Tl'ois années durant, Sigismond se consola de sonmalheur en voyant celui d'autrui. Les réceptions dupalais Malatesta devinrE~ntcè!èbreP., et l'éhanta reportagequi a conquis aujourd'hui sea ()utrege3nf.es franchises,c4~~mença~t déjà à décrire le lit des femmes h<)1\nêtes.Un repQrte.i' se présenta, en artime qui .'OY4gQ,et unvalet lui fit tout visiter. Trois jOUl'5après, ui) article~~SSB~le h6Udoir circulaire de la princ~essR.Malatestr.A.souffletale repürter à qui il eut le tort d'accorder une rencon.

N~Noirmoutier, quand Sarkis vint lui apprendre la mort

battu. Calmement, elleattira le eo.mte de Rochenard dans une embrasure.« Vo~-vous me tuer ~elqu~n~

Page 84: Le Vice Supréme

LEViCËSUPREME 81~SRtnat!)TV~nt

va

– « Un assassinat? Non! »– « Un duel! »– « Oui, si sbire, je suis payé de mon coup d'épéep »– « Vous le serez. »Une semaine après l'enterrement de Sigismond le

S~J~ vêtement embroche sur la frontière~e. Rochenard revint triomphant et voulut lui prendrela main.

Elle le toisa.

.7~ Marrons du feu », ~-il; « suis-je l'abbé et vous la Camargo? »

« Mon cher comte, il n'y a que les filles qui payentleurs dettes avec leur co~; je vous ferai nommer secré-taire d'ambassade à Rome. »

Page 85: Le Vice Supréme

x

VEUVAGE

– « II est mort con me Adonis, à l'équinoxe d'au-tomne )), (Usait la princesse a Sarkis. « Je regrette quema vengeaace M c~ ?Me/<e « ait été prévenue ».

« Enfin! )) déclarait Sarkis, <( vous voilà sociale-ment aussi indépendante qu'il est possib'e, dans un payson il y a quatre-~mgt mille lois, c'est-à-dire quatre-vingt mille prétextes à l'arbitraire ».

~hac~ue heure retournait pour die le même sablierd'ennui.

Par ce charme du souvenir qui embaume le passéde douceur, tandis que les côtés tristes s'effacent ouplaisent, par la ma~ie que la marche du temps apporteà ce qui a été et qui n'est plus, elle regrettait tout de sajeunesse sa fenêtre de la place de Seigneurie qui s'ou-vrait sur le rêve; les baisers de Bianca, les caressas desylphe de Betty, le confessionnal du P. François, harpede David qui endormait la Bête en elle. Sans qj'elledoutât du dogme, ;;on esprit i son cœur étaient prisd'une anesthésie relieuse. Sa vertu morte sous laluxure de Malatesta, elle n'avait plus que son orgueilqui la guidât et une haine furieuse contre tous ceux quilui manifestaient ce même désir 'sexuel qui l'avait pro-fanée. Une détestable métamorphose s'opéra l'hybri-dation de sa nature apparut, et sur son organisationitalienne s'enta l'ennui morne de notre décadence.

Page 86: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 83~~t~t-.ni~Q~

Par un atavisme métaphysique, après cinq siècle seretrouvèrent en elle les idées initiales de sa race- elle futtune revenante de la cour de Ferrare; mais ïes~ entoursexaspérèrent les ferments de mal qui eussent sommeii!édoucement dans un palais ducal; elle vit que ~arHsavait prophétisé.

La femme du monde est vide d'ordinaire; avec lesconvenances pour lois, l'opinion pour guide, le scandalepour crainte, la toilette pour pensée. C'est, une actric.-qui n'est pas même une comédienne au niveau de sonroie, incapable d'autres.

Au faubourg 'Saint-germain ou font f's) nu:mco donn-ante et quart de ton. où la règle est de s'cn'acer Jcouleur grisaille, le goût de n'être pas, Léonora menta-tement bayait. Le Rien des choses et des gens de sonmonde la rejeta en des lectures et des études ou Sarkisne pouvait plus l'intéresser, dédaigneuse do !a viequ'elle menait et n'en voyant pas une autre a mencr« Sarkis, Sarkis, un objectif pour l'amour dudiable ou de moi? »

Il y en a quatre, Altesse Dieu? ))« C'est trop haut! 1»

– « L'Art? H« C'est trop loin ))

– « L'Ambition?« C'est trop bête!« L'Amour? ))« C'est trop sale! »

– « Ah! vous serez malheureuse, Altesse vousn avez pas d'ailes, pour croire ou pour créer, ni vertuJ" geme; et vous n'avez pas de pieds pour suivre l'ius~~'nct, ni de bras pour étreindre l~s vanités. Inapte a lafois au sublime et au vulgaire, vous êtes bien une vi-~ante allégorie de la décadence latine »

Page 87: Le Vice Supréme

S4 LE VICE SUPREME

« Vraiment! » répondait la princesse « je ne puisme prendre ni aux rêves ni aux réalités. L'art, oui, sij'avais du génie, mais Warke n'a fait de moi qu'uneexécutante et Bojo qu'une Bolonaise. Quant à l'am-bition, qui est moins bas:;e que l'amour, voyez le Césarmoderne à Saint-Yuste e1 Nabuchodonosor lycanthiope.Pour l'amour, c'est une création de la poésie, un sym-bole du désir humain. »

A certaines heures, un furieux agacement lui venait(~être prise dans cet engrenage mondain existence decheval de manège, d'ara sur un perchoir, de paon quiroue, de chatte qui s.e lèche, de cabotine qui se désha-bille. A un lunch de Mme de Chessy, elle disait

« Qu'est-ce qu'une femme du monde comme nous,mesdames? a Une courtisane sans alcôve! »

Et comme on protestait– « Le métier est le même plaire aux hommes, et

plaire aux hommes, qu'est-ce? »« Ce qu'une f';mme seule peut dire )), répondit

M. de Chaumontel.« Je prétends )), reprit-elle, amusée du scandale

qu'elle causait, « que nos épaules ont causé des syphilis ».On s'effaroucha.

« La peur de certains mots, c'est là votre vertu? ))))fit-elle. « Ce qui vaut la peine d'être fait vaut la pe.ncd'être bien fait et la coquetterie qui n'est pas perverseest bien près d'être ennuyeuse. Protestez, hypocrites au-ditrices, mes semblables, mes sœurs; quand on estd'Este, on peut tout faire, partant tout dire. A quoiservirait donc d'être au sommet de la hiérarchie sociale,si l'on était tenu de mesurer ses termes comme une bour-

geoise. Le vice d'une princesse est déjà autre chose quedu vice, et lorsqu'elle n'en a pas, Paris et le siècle doi-vent la remercier à genoux de ce que son caprice ne

Page 88: Le Vice Supréme

LE VME SUPREME 8500

S't~ d'élever le mal en daignant le faire. Où est l'ar-tiste, le poète qui s'indignent de Sémiramis se "tses Bactriens »

Et rêveusement« Si Molière eût été à Ferrare, mes aïeules lui eus

sent appris !aCéIimene de la Renaissance. »Chez lady Hipson, Mistresse Lytte qui avait ce~fd~n~de jolies jambes .sous se. bas bleds, soutenait la thèseque la femme doit s'émuler dans toutes les voies mas-culin~s.– « Quoi qu'on dise », répliquait ta princesse « i'i

mourseratoujo.rs la vocation et la affaire dela femme. Dans notre monde, on s'en prive T.ar H~et calcul. Il dérange la vie, ôte le repfs compromet la~putation; on est incapable, du reste, de l'éprouverviolent et durable. Mais voyez q~e le renoncement~er n'est pas celui à être aimé; rencens est toujoursbonne odeur et la tentation agréable, car eUe donn.~ance. péril et la d'unerésistance. »

vicomtele~é~~ dément vos maximes », dit levicomte de Plélan.« Je reconnais une loi doublement organique; maisplus cette loi sera générale, plus je me dois d'y faire~cep ion. L'exception, c'est tout ce qu'il y a de grand

1~?~' c'est tout ce qui reste des civilisations.d saint, l'homme de génie, ~P~ chef-d'œuvred'art ou de vertu, exceptions! »D~ ia constatation des hoh-eurs so<.ia!es, de l'inuti-e de. efforts humains, du dessèchement de sa sensibi-un

~nu~iourdcar il était fait de posées,tombait sur elle.

Nature poétique tout-née à ï'aigre, voyant l'enversdes gens, des faits, des mots; ayant l'intuition dervei.'

Page 89: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

sos, des dessous, elle gémissait de n'avoir pas un granddestin.

Hélène traversait souvent sa pensée. Elle eût voulu,comme la fille de Tyndare, promener au crépuscule sesvoiles blancs sur les tou -s de Troie, et entendre sur ladalle du rempart le doux claquement de son cothurne, ensongeant avec indolence .t ces peuples qui s'entretuaienten un autodafé splendide à sa beauté, elle eût Voulu sonpanégyrique par IsocratE; et ne pardonnait pas à sontemps de l'oublier dans son palais, princesse sans gloired'une époque où le comédien seul porte encore une cou-ronne.

La vie rétrospective, cette habitude des intelligencesdécadentes, ce paradis artificiel qui "consiste à se créerune entité dans le temps défunt et à vivre des heuresde rcve dans les civilisations mortes pour échapper aunauséeux présent; tei fut son unique plaisir.

Esprit androgyne où la froide logique de l'hommedoublait la malice aiguë de la femme, la princesse jus-'tifiait le mot de Sarkis « Vous faites tout faire à votrecerveau. »

Malgré la saline allure extérieure et que rien de ner-veux ni d'intermittent ne troublait, l'équilibre n'étaitpas en cette femme, où la volonté, partant de conceptionsrares, transposait les actes organiques sur une portée~existante, créant ure série de sensations artificielles

La <éte remplissant les emplois de tout l'être, était leseul agent actif de la vie; avec le cœur avide, le corpsà 'i fois sollicité et maintenu.

Du poète, elle avait le rêve haut, la nausée du monde;le dédain des vulgarités; mais rien des aveuglementsféconds, des ~onnances ingénues, des audaces envolées,des cécités bienheureuses, sans lesquels, le bien ni lebeau n'éclosent.

Page 90: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 87

De l'artiste, elle n'avait que la perception du laid.Comme certaines lentilles, ses yeux décomposaient engrotesque ce qu'elle regardait. Elle voyait les gens commeCranville les a dessinés, dans leurs similitudes avec !<'sbêtes. Tout lui arrivait à l'état caricaturât, ridicule étaitfe prisme dont elle teignait les choses. A l'église, le be-deau lui masquait Dieu.

Dans le perpétuel désir d'un désir, n'ayant aucun sen-timent que d'orgueil; d'une tournure d'esprit à la Swift,<')inme une Gutliver chez les Lilliputiens, elle se jouades téméraires qui osèrent lever vers elle le regard deleur concupiscence.

– « Une princese de marbre! » disait M. de Ouéant« c'est autrement terrible qu'une fille de marbre!")) o

Son jeu des passions qu'elle appelait du contrepointpsychique devenait féroce; dès que, au milieu des curio-sités de l'esprit ou des cris du cœur, elle démêlait le cridu corps et qu'elle se sentait souffletée par le désir dum;j]e; alors de toutes les ficelles du pantin, elle n'entirait plus qu'une, mais à !a casser, cette qui tient ata brute.

Ctéopâtre n'est possible qu'en Egypte, mais Circéest de toutes les décadences.

Elle fut la fée mauvaise de Virgile, et aux rayons deses yeux verts, s'opéra souvent l'immonde métamor-phose.

Kt à un de ces soupers du dimanche que le princede Courtenay donnait chez la Nine et ou l'on disait plusque tout, Iltis, agacé d'entendre Antar se lancer endes lyrismes banvilliens l'honneur de la princesse,avait dit de sa voix de verre qui se brise

– « La Malatesta, une aHumeuse d'hommes. M« Ce mot de barrière sur une d'Esté est un peu

"oivelle couche )), répondit Mérodack. (( Le vice a sa

Page 91: Le Vice Supréme

LE ~ÏCË STJP~ëME

hiérarchie. On assassine une priocesse, on ne l'assommepas; et votre mot est un coup de poing. A une Italiennede cette valeur, on doit le stylet. Je ne l'ai aperçueque passer; il y a beaucoup de perspective dans cetteprincesse. »

Puis on avait dit autre chose. M. de Courtenay, assis-tant à une sortie agacée ([u'elle faisait sur la niaiseriede ses admirateurs et devmt eux, la s~uait ainsi

« Vous me rappelez ces gravures des « contes dro-latiques » où Doré fait éclater heaumes et cuirasses, sousles luisants regards d'une connétable! »

Page 92: Le Vice Supréme

XI

LE RÊVE D'UN PECHE

C'est, après un bain prolongé dans le ruisseau clair,en une heure de repos, étendue sous l'ombre des forêtstroublantes, qu'Artemis aux jambes chastes sentit ledésir, serpent qui se cache dans les rêveries, piquer sachair cahr

La princesse songe, non plus un passé d'orgueil sa-tisfait, mais au présent, et à de possibles joies.

Des cogitations étrangères) à son habitude, des doutessur l'excellence 'de ce qu'elle a résolu, des curiositésaiguës de ce qu'elle s'est interdit, des préoccupationsde ce quelle dédaigne et fuit, se lèvent insensiblementen elle.

Sa pensée tourne ces pages du livre du Sphinx, quibruissent comme un écho affaibli de baisers nombreuxet sourds, et d'où glissent les signets fleurs séchéesmoins vite que les ardeurs qui les ont échangées; billetsjaunie survivants des amours mort-ués, gardant surleur vélin le parfum et la caresse des corsages.

Dans un lointain perdu, le chœur des poètes chantel'hymne d'amour éternel et les oreilles humaines sonttendues à ces concerts qui semblent ceux mêmes desanges.

Les nabis, les aèdes, les sages et les fous passentmélancoliques, avec sur leurs lèvres, ce refrain descœurs Love M sin.

Page 93: Le Vice Supréme

~0 LE VICE SUPRÊME

Le pli dédaigneux de sa bouche s'efface devant cepéché fécond, fumier auguste d'où sortent les dévoue-ments et les odes! Pourquoi c-t-die refusé de boire auxeaux troubles, aux eaux lourdes de la passion, seulabreuvoir de la déplo~ble Inmanité.

La Fontaine d'Amour apparut et la cohue des mortelss'y presse. L'éphèbe y plonge ses lèvres sans duvet, lamatrone ses rides, les -patriarches leur barbe d'argent.Un ange ironique verse d'une grande urne de lapis laliqueur de fiel qui emplit la vasque.

Voit-il des lèvres reculer, mordues par l'amertume dubreuvage; il prend à &a ceinture une mince aiguière eth peiK'he. Sitôt la foule se précipite, plus avide. Lagoutte d'illusion suffit à faire voir leurs rêves, dans leliquide saumâtre, aux extatiques yeux des assoiffés d'a-mour.

Cette goutte de mirage qui tend invinciblement versl'absurde même le désir humain, l'imagination la faittomber sur la pensée de la princesse. Alors l'instinctétouffe l'idée et doucement, lentement, se substitue auvouloir. Déjà souriante, elle dit, mais si bas que les

'grands lys eux-mêmes ne l'entendent pas Oh! le men-songe des lyres!

Les bandelettes mystiques ne pressent point son frontet gagnée, elle se coule en des rêveries où la luxure,comme Shylock, finit toujours par réclamer la chairpromise.

Il est encore un inconnu pour elle, la sensationsexuelle. Mariée, courtisée, elle ne sait pas le plaisirdu péché. Déjà, elle a secoué toutes les branches del'arbre de science; et sur ses fruits étincelants et acides,laissé son orgueilleuse morsure. Au seul fruit de lachair, elle n'a point touché; aussi le caresse-t-elle del'œil de son désir.

Page 94: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 91

Elle le sait plein d'ignobles vers, sous sa pulpe ve-

loutée, mais tel qu'il est, elle le veut.

Ces lois de la sexualité, lianes, qui se croisent et s'en-chevêtrent devant la marche humaine, elles les a coupéeset écartées jusqu'à ce jour, et voilà qu'elle en est tout

enveloppée, en une frondaison soudaine. Une voix, celle

de Pan peut-être, murmure c~nme un soupir de nûteVoe Soli.

Oh! être deux! deux cœurs et le même battement, deux

esprits et la même pensée, deux corps et le même frisson!

Ces deux cœurs fondus en une adoration, ces deux es-

prits unis en une admiration, ces deux corps enlacés en

une délectation.

Deux! la 'voix et l'écho. Deux! l'existence double! unêtre ajouté à son être; en soi deux, à côté du désir la sa-

tisfaction le rêve saint de l'androgyne réalisé selon les

lois, la création initiale retrouvée.

Mais le Bien-Aim~, ou est-il Quel est-il, celui quiagitera son sein gauche, émotionnera sa vie, rosira debaisers le marbre de sa chair, et pétrira son corps selonle plaisir? P

Pour que son esprit veuille, que son cœur palpite,

que sa peau accueille, il faut de rouges lèvres et de noirs

pensers, une âme perverse dans une belle forme.Elle feuillette en idée, d'un examen obscène, cet album

des photographies d'amis, que la bourgeoisie étale surses guéridons.

Le prince de Courtenay, parfait gentilhomme a qua-rante ans. Il veut être royal d'allure et réaliser Louis XJT"

en frac. La perversité du comte de Rochenard ne s'élève

pas jusqu'à la spéculation. Nononcourt poupin pour un

adultère sucré de dévote beau diseur, Montessuy a leteint terreux Sennevoy est naïf Vidauban a de l'es-

prit, mais sa maigreur d'amadou lui ferait prendre feu

Page 95: Le Vice Supréme

LE VîCË SUPRÊME

si les jeux de l'amour devenaient vifs Geneton unbel homme qui ne pourrait pas le prouver Narsannesroucoule et de Quercy s'emporte Chaumontel copïeAlbert de Ryons et Boutigny tient pour le macabre. Lesautres ennuyés ennuyeux plus insignifiants encore, videset pleins d'eux-mêmes. II y aurait bien Tanneguy, ungénie et beau, mais pour un écrivain la femme n'estguère qu'un sujet d'étude, une excitation à penser et àvibrer. Là, se donner, c'est donner de la copie. Guy deQuéant, ce boudiné qui sourit comme un sphinx maisnon pas plus pour lui que pour les autres..

Une réflexion saugrenue la fait sourire en dedansses amies seules auraient le corps assez beau, la caresseassez douce pour lui faire le plaisir qu'elle souhaite.Elle a souvent promené autour d'elle le coup d'œil d'uneSémiramis qui veut une nuit de volupté, mais son dé~s'est toujours replié, avec répulsion, devant l'insuffi-sance des prétendants,~buui

t~ artificielle, déjà dite, qu'eHe demandele plaisir. Promeneuse, érudite dans le Campo Santo dehistoire, eUe évoque les héros et les monstres en une

nécromancie amoureuse. Qui dira le tréfonds de débauchede certaines continences et ce qu'il peut entrer de vicedans une vertu?a

Elle se figure traits d'un bel adoles-cent, à cheval sur un peiroquet plus grand qu'un aigle.Il tient une canne à sucre, courbée en arc, dont îa cordeest faite d'un vol d'abeilles arrêté. Bans son c~u~qui finit en sein de femme cinq aeches, les cinq gensfroissent leurs pointes de fleurs.

En apercevant la princesse, Douchmanta oublie uninstant Sakountala; mais elle voudrait être !a CourtisaneVasantasena pour entendre, au jardin, après ï'orage lesparoles d'amour de Charudatta

6

Page 96: Le Vice Supréme

LÉ VtCE SUPREME 93

1 '1- 11 1Mejdnoun et Leilah, la gloire iranienne, qui moururent

d'extase à se regarder, passent sans la voir.

Brusquement une nature d'aquarelle, sous un ciel de

rose, une enfilade de pouts à dos d'âne, sous lesquelspassent des jonques où des femmes aux formes subtiles,a la chair rose thé, chantent la fleur du pêcher et lafeuille du saule, accroupies comme des enfants et jouantcomme des chattes.

Sur un air de Rameau, dans un Watteau, des marquisde Marivaux promènent leur amoureuse indifférence.

Dans la nuit des temps, Sodome et Gomorrhe l'atti-rent. Quel crime que nous ignorons savaient donc cesvilles? Elle trouve un prestige à ces peuples qui pous-sèrent le mal si loin qu'elles forcèrent le feu du ciel àles détruire! 1

Les paupières de la princesse clignent devant des per-ceptions vagues qu'elle voudrait plùs précises; elle passedoucement sa langue sur ses lèvres, à la vue gourman-de des choses défendues.

Le désir sous toutes ses formes; la volupté dans tousses rythmes; l'amour dans toutes ses incarnations pro-

téennes toute la femme, ses spasmes et ses larmes; ses

désespoirs et ses ivresses; les efforts de son cœur versla passion et de son corps vers le plaisir traversent sarêverie comme des choses déjà vues, déjà faites, avatarsde perversité tout le kaléidoscope de l'amour, le bû-cher de Didon s'attisant du vitriol moderne et les per-sonnages de l'art se mêlant à ceux de l'histoire. Dansle Boustan des sens, son imagination chercheuse va d'unarbre à l'autre, secouant les fruits de la chair et s'éton-

nant que la volupté ne tombe pas en pluie. Le King dela passion, le Rig du corps chantent en elles des hym-nes folles et puissantes, comme des haleines de serre etdes ruts de fauve.

Page 97: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

Elle croit sentir un tremblement à l'œil gauche, uneinquiétude au bras gauche, présages hindous de l'ap-proche du Bien-Aimé.

Sur ce fourmillement d'images, un Poussin se détache,et devant l'attente de cette Italienne de la Renaissance,le rêve du vice grec à Rome adoré, Antinoüs apparaît.Sa sidérale nudité rayonne; ses pectoraux semblent lu-mineux et la princesse, dans son hallucination volon-taire, prête ce discours à l'affranchi d'Hadrien

« Princesse, tu es belle comme je suis beau. Ne croispas aux calomnies de l'histoire. L'empereur brûla defeux inutiles. Je suis t~erge, je le suis resté pour toi dontle front haut comme celui de Minerve contient la pensée.0 toi, qui unis à la beauté d'Aphrodite l'intelligenced'Athéné, je t'aime. Lorsque je me suis noyé dans jleNil, j'avais vu ton image sous les flots. Hélas! je t'aicherchée, Neptune m'a retenu méchamment. Comme lalyre d'Orphée, ma beauté charmait les monstres marins.Les sirènes, séduites et sans voix, tordaient désespéré-ment leur que~e, et les nymphes, folles d'amour, 'rou-gissaient le corail, de leur sang. Enfin, je t'ai, retrouvée;j'ai recueilli mes larmes en un collier que je te donne-rai. Ouvre tes bras, mes membres sont assouplis par unbain de dix-huit siècles, je suis prêt pour ton embrasse-ment. »

Page 98: Le Vice Supréme

XII

HERMÉTIQUE

Il est un péché de la chair qu'ignorent les romancierset qu'on croirait perdu, si l'homme pouvait perdre unvice. Au confessionnal nul ne s'en accuse, et son nomne se lit pas dans beaucoup de dictionnaires la démo-nialité. C'est le péché lettré, patricien et décadent parexcellence; il faut plus que de l'imagination, beaucoupde lecture et un peu d'archéologie pour le commettre.Tel que Sinistrari le dépeint, c'est la copulation deshommes avec les démons succubes, des femmes avec lesdémons incubes.

L'Institut, corps grave, a des rires pour toutes les

superstitions. Rire n'explique pas derrière toute croyan-ce populaire, même absurde, il y a une loi scientifiqueentrevue.

Le Moyen-Age était poète sa naïveté attendrie avaittant à cœur la dignité de l'espèce humaine que, ne vou-iHnt pas croire le mal ouvrage de l'homme, il en faisait1 œuvre du diable; et rebelle à penser qu'on pût êtremauvais comme on est 'bon, par nature et ~olonté, ildéclarait les méchants possédés et voyait des démons là

où il n'y avait que des vices.En rendant à l'humaine Malice ce que l'on attribuait

au Malin, la démonialité est une œuvre de chair quiconsiste à s'exalter l'imagination, en fixant son désirsur un être mort absent ou inexistant.

Page 99: Le Vice Supréme

96 LE VICE SUPREME

Si une femme s'hypnotise la pensée sur Alcibiade, lasensation qui en résulte constitue ce que le Moyen-Ageappelait commerce avec un démon incube; si 'un artisteexalte son désir sur Cléopâtre ou Rosalinde, cette femmeévoquée sera le succube qui abusera de lui. Le péché peuts'aggraver encore si une femme a un désir succube, unhomme un désir incube.

Organiquement, chaque cogitation du cerveau, vive etprolongée, produit des vibrations nerveuses qui donnentlieu à des émissions fluidiques.

Si la cogitation est objective, le fluide va à son objetet l'affecte diversement; si elle est subjective commedans l'évocation de morts ou d'êtres abstraits, le fluidenerveux photographie dans la lumière astrale le refletde l'être évoqué et ce fantôme nuidique s'attache ce~uiqui l'a créé.

Ce phénomène est fréquent dans le rêve qui peut êtrecriminel, puisqu'il continue les préoccupations de l'étatde veille. Le sommeil de l'homme est plein de péchés,il y perpètre des forfaits de violation dont il doit ~omp-te, car ils sont la fatale éclosion 'de ce que sa libre pen-sée a semé pendant le jour, et tout péché portant en luison châtiment, celui de démonialité a le sien, très ef-froyable. L'excitation cervicale apaisée, le fantôme, créépar le délire volontaire, reste à l'état <~Blarve Cuidiquedans l'atmosphère astrale individuelle. Cette larvp tour-mente celui qu'elle suit et le pousse à récidiver, s'il nerésiste pas à cette impulsion, la larve prend de plus enplus empire sur lui. Cela explique la rareté d'un cri-minel à un seul crime, d'une femme à une $eule chute,et cet aphorisme casuistique la modération dans Je pé-ché est plus difficile que l'abstention du 'péché.

Nous vivons tous entourés d'une atmosphère astraleindividuelle assez semblable à ces givres elliptiques

Page 100: Le Vice Supréme

VICE SUPH~ME 97V' i

qui enveloppent N.-S. dans les ancônes. Cett~ atmos-plière individuelle conserve les reflets et les formes denos pensées et de nos actes. Voilà pourquoi l'on dit quepour sortir d'une passion, il faut s'en distraire, n'yplus penser; et une habitude n'est si difncile à rompreque parce qu'il faut changer ses pensées pour changerles reflets et les formes de la lumière astrale. Le volup-tueux, l'irascible, l'ambitieux sont constamment solli-cités par des reflets et des formes luxurieux, colères,tentateurs. La Magie, ou raillée ou incriminée, démontrele plus grand argument de la morale, car elle enseigneque tout commence it s'expier immédiatement et que lemal envoûte celui qui îe fait.

Le Remords peut s'annihiler métaphysiquement, enraison du libre arbitre qui permet à l'homme la perver-sité sans limite; mais le remords est un fait physique,et rien au monde, la magie même, ne peut arracher lemeurtrier au fantôme de sa victime, le vicieux à l'ob-session de son vice. Macbeth le roi Claudius; la mèred'HamIet sont hantés par le reflet de leur crime; et lesEuménides, les Ërynnies, les Furies, les fantômes del'art et de l'histoire ne sont que les figures poétiques oupopulaires de ce fait matériel, d'ordre scientifique,d'ordre justicier L'OBSESSION,·

rf"< <'

Page 101: Le Vice Supréme

XIII

LA FILLE DU DIVIN HERCULE

Messaline n'est pas toujours à Suburre ou dans lesbras de Silius; on peut se souiller plus encore par l'es-prit que par le corps.

Les sorciers se frottaient d'une pommade hallucina-toire qui leur donnait des rêves obscènes. Réveillés, ilsprétendaient revenir du sabbat. L'imagination suffit à ytransporter. Le baiser du bouc se donne aussi avec lapensée; mais l'impossible, c'est de ne pas le répéter;l'esprit se colle à l'immonde chose et les évocations dela chair, pas plus que celles de la goétie, ne peuventêtre arrêtées. Dans sa contemplation titillante, la prin-ccssu se sent envahie et subjuguée par son rêve; lasueur perle à son front et à ses oreilles devenues rou-ges, les pendeloques tremblent.

Les grands lys honteux ferment leurs corolles et dansleur tristesse de fleurs pures, inclinent leur tige Gère.

Elle a ce cauchemar l'obscénité des choses. Desboucs, louchant de lubricité, brisent leurs cornes en descaresses furieuses une phallophorie enfiévrée déCle, etse déroulent les frises intérieures d'un temple de Priape,les panathénées de l'ignoble. Soudain une éclaircie sefait. Alors se cramponnant à son orgueil par un effortqui la pâlit toute, elle rêne sa chair.

Fébrile, énervée, haletante, le regard trouble, ellelaisse pendre ses bras dans une dépression épuisée. A

Page 102: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 99

cette victoire, les lys rouvrent leur corolle et redressentIpur tige. La nuit vient du dôme, l'ombre 'vespéralejette ses voiles sur cette débauche sans nom dont ellegardera le secret.

L'Arabe qui lance son cheval et l'arrête le nez aumur, le gondolier qui rame droit à l'angle du palais età une ligne tourne, font jeu d'enfants; mais avoir lancéson corps à la volupté, et à l'instant où la continenceva se briser, l'arrêter net c'est là un geste 1

Fière, elle abaisse ses yeux sur son corps qui est nupar l'écartement du peignoir, et souriant à sa chair im-maculée, une de ces odes telles que les Toutmes en ontconfié aux hiéroglyphes de Karnak, chante en elle uncantique triomphal

« J'ai dompté encore une fois, la Bête! »DtVIHEBCVLÏSFÏLÏA

Page 103: Le Vice Supréme

XIV

ENTREFEMMES

– « Eh bi~n! mignonne, comment va votre co8urP(usait la princesse d'Esté à la marquise de Trinquetail-les qui anivait piétinante comme une pouliche, &vec unbruyant froufrou de jupes.

1

– « II entré dant un nouveau quartier, ttveé lalune. »

– « De Gorles? » interrogea Léonora.« Rompu. Fini. Des scènes. Si vous saviez. »

,Et s'asseyant, elle gazouilla à mi-voix des confiden-ces qui veulent être chuchotées, agréables à faire et àentendre, coupées de petits rires soulignant les-sous-en-tendus, guillemets ouverts sur l'ombre de l'alcôve.

Dodue, rose, un nez incertain, des yeux rusés, avecdes fossettes partout, la marquise de Trinquetailles réa-Hsait ce type absurde de Grévin où la soubrette .duxvnr' siècle se croise du titi.

« Vous m'accueillez par un « en quel état l'amour? »je ne puis pas vous répliquer « En quel état vos /eua?? ?Galathée sans Pygmalion. »

– « Pour qui voulez-vous que je sois femme », dit laprincesse, « tous ceux qui ont soufné leur désir sur moiont vainement tenté la métamorphose. Est-ce ma faute?Suis-je de marbre? A eux de me faire de chairl Ils m'ontadorée et servie. Madone, je suis restée chaste; reine, je

Page 104: Le Vice Supréme

LN VÏC~ ~Upt~~MZ lût

suis r~~ée Sere. ~e n'a~ rencontra que des fidèles et dessujets,

– « Vous avez beau dtre, vous, les autres, tout leic'on4p. c'~st gent~, l'amour! fit ta marquise en agi-tant Par un mouvement coquet les boucla irisées qui!ui descendaient sur tes yeux. « J'ai du bonheur! Apeu~e Gorles parti, CadeRet d'aciene un PfovençaL..jpu bronze clair. Je vous le ferai voir. C'est un poète.En une nuit, il m'a dit deux volumes. Il me g~tM~JoUe ritournelle de baisers ces invocations aux 6toUe<.Figurez-vous que le matin U m'en voulait du p6oh6 quej3 lui avait fait commettre! »

« U vous aime ?? demanda la princesse.« Çal » dit-elle avec une jolie moue da doute.

Il y a che~ lui des aspirations mystiques qui me sontcontraires, mais j'en suis toquée; c'est le premier aussique j'ai gardé jusqu'au matin. M

« Oh, un~ infidélité à votre providence de voitu-re », s'écria Léonora dans un demi-rire.

– « Ne riez pas de ma voiture,ie

lui qois tout! Unefemme de notre mon~~ n'a pas d autre salut. Hôtels,cabinets particuliers, chambres dans les quartiers excen-triques, traquenardsl ~a voiture, il n'y a que cela. avecun cocher sûr, par exemple. Je donne rendez-vous à unebarrière; là mon galant monte, on abat ~es vplets eten route pour Cythere! Au retour, je dépose mon parte-naire aux fortiÉca~ions et je rentre dans Paris. Laréputation intacte. »

– « C'est de ta d~baucne H, jugea Léonora.– « Mais s'écria la marquise, « je suis une vivpu-

se, le féminin de viveur, voilà tout; et moi qui n'ai n:l'ambitîon, ni l'étude pour Bt'o<;euper, doM'je me priverd'am&nts quan~ ~es messieurs ont des maîtresse eux qui

Page 105: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

ontd'antres passe.temps? On ligotte la femme avec despréjugés. M. de Courtenay, un prince qui se croit desdroits au trône, vit en concubinage connu avec la Nine,ie .petit Nonancourt a plus de bonnes fortunes qu'unvicaire de province; Chaumontel, ne cache pas songoût pour les dictériades des boulevards extérieurs; leduc de Nîmes crie sur les toits qu'il met chaque joursur sa conscience trois adultères et un viol; tous enfinse font une pose de leurs vices. Perdent-ils dans l'opi-mon? Ils y gagnent. Assister sage aux débats de Nos-seigneurs les hommes, merci! Je sais ce que vous allezme dire le prestige! J'ai l'orgueil très petit, je veuxm'amuser. Et puis, ma chère, au commencement dudévergondage d'une femme, il y a, à peu près toujoursune scélératesse d'homme! 1 Si je lisais l'histoire demon mariage, je n'y croirais pas. Je vois toujours cettechambre d'agonisant, encombrée de drogues pharmaceu-tiques, et ce monstre de M. de Trinquetailles dans sonlit, comme prêt à rendre l'âme, me d~ant « Ma chèreenfant, je voudrais vous laisser toute ma fortune, maisj'ai des héritiers qui feraient casser mon testamentvoulez-vous être quelques jours la femme d'un moribond,le temps de m'en aller en vous laissant riche? MEt cemariage in extremis, quelle émotion! Le lendemain) étais assise sur le bord de son lit et avant que j'eussefait « ah! ? l'agonisant se transforma en satyre. Quandje me suis relevée de ce lit, j'ai bien juré de n'êtrejamais dupe d'une morale qui n'est qu'aux lèvres deceux qui la prêchent.

– « La morale n'est pas le bâton avec lequel je vousfrapperai; je n'y crois pas. Elle est le pli que le climat,!e milieu et l'éducation donnent au tempérament. Ce quim'étonne, c'est que vous puissiez trouver tant de gensdont le contact vous soit agréable. J'attendrai indéGni-

Page 106: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 103

1.

ment ma moitié de poire, comme dit Sardou. Maisvous-même n'avez pu vous fixer à aucun. »

« Eh, ma chère, un amant se vide promptementau propre et au figuré. »

« Je crois que l'amour même est vide, quoi qu'onait écrit )). dit la princesse, « II n'est beau, qu'à l'éhtt

fictif, sur la scène, dans les livres. Réellement, un amantse compose d'un méchant poète, d'un ténor de provinceet d'un mâle. Eh bien! lire Louise Labbé, voir jouer Ca-

poul, suffit; pour le mâle. »« Laissez-moi vous dire, je l'oublierais », interrom-

pit la marquise. « Un soir, comme j'arrivais un peuavant minuit, de chez Mme de Breuvannes, je croisede Quéant dans le vestibule. Il me dit avec son sérieuxbouffe « L'amour avait mis tout en feu dans l'île de

Calypso. » Sans comprendre, je monte. La comtesse semet à m'embrasser comme une folle. Je lui dis en riant« Pourquoi l'avez-tvous laissé parar? P Je n'ai pasfailli, fait-elle. II s'en est fallu de peu, dis-je. De

idi, ce qui est très bien de sa part. Mais, répliquai-je, quand vous êtes dans un tel état, comment faites-

vous? Elle me répondit tranquillement « Ces soirs-là j'attends mon mari. »

« Cela me rappelle )), fit la princesse, « un bour-

geois assistant à une féerie et très impressionné par les

maillots, qui dit à son voisin « Ça profitera à ma

femme. » Le mot de Mme de Breuvannes est joli, d'au-tant qu'il y avait adultère, puisque, en étant à son

mari, elle pensait à de Quéant. »

« L'amour, chère princesse, ça ne se pense pas,ça se fait. »

« Oh! le vilain mot, et qui m'a toujours fait leverle cœur! L'amour doit être un rêve voluptueux, une

parole troublante, un désir a gu; une sensation com-

Page 107: Le Vice Supréme

L~ vïcE am~a<z

mencée, p~ p~ Qe qw m'a rendue imptac&bl~ enverstous ceux qui sont venu. xps chanter la rpma~ a~~e, ce~t que mâle, eq eu~, aimait femelleen moi. Il y a deux succès caractéristiques au pointde vue des mœurs celui de Caro et celui de LandelleL'un parle d'amour en termes éthérés à des femmes quisont censées 90 l'interdire; et la femme fellah le seinjuste as~ découvert pour agacer, sans indécence

«La pa~tardise est le mot et le fait d'une époqueet d'une race plus forte que les nôtres. Cette rondeurcette ~omïe dans h mat, cette sa~ de débauche,cette sérénité de luxure du moyen âge, il y a beau tamnaque nous ne l'avons plue! Nous sommes des esnr~et des corps très Cns, incapables de grosses obosM etrafQnant sur les petites. Je n'aurais pas assez de santépour refaire Messaline, si j'en avais le goût. Nous nais-sons plem~ de nausées, et lorsque nous ne violons pasla nature, nous la sophistiquons, mettant dans nos vicestout le spiritualisme que nous ôtons à notre philoso-phie. M ~Mueu

– « Ah: ça », fit 1~ marquise, « que vous a faiti amour H?P

« Pitié! je comprends qu'on côtoie les ornières dessens par curiosité, je ne comprends pas qu'un y tombeet qu'on s'y vautre. Une chute même dans ce qu'onappelle plaisir ou passion est toujours une chute et pré-senta l'esprit une image ridicule. Le mot de Mrae Ro.land et la robe de Mme Récamiar, voilà les deux grandsenseignements donnés à la méditation de la femme mo-derne tout montrer, ne rien donner, et quelle profon-deur dans tous les sens, à « rester vertueuse par vo-lupté. ». Mais je vous phrase des tMoriee comme unbas bleu du B~c~ood ~MMM, à voua qui ne s<M~pas de la MnMtion o~ vous vous êtes caRtonn~e.

Page 108: Le Vice Supréme

TtC< SPPRÉ~B W

– « j'arme. voi~!– <tVos amants?– « Non, l'Amour! ma chère. Les six vingts hommes

que j'ai eus, ont été une musique à mon oreille, un spec-tacle à mes yeux, un roman à mon esprit, une caresse etun spasme à mon corps. ~'amour est le seul acte quime plaise de la comédie humaine, les acteurs sont peut-être médiocres; je les change assez souvent pour n'avoirpas le temps qe les ju~er. »

Et prenant les mains de la princesse« C'est bon de pouvoir penser tout haut, et vous

êtes la seule femme avec qui une confidence ne soit pasune arme pour l'avenir. »

– « Nos intérêts sont si peu les mêmes on ne sedonne fermement la main qu'en marchant par des voiesdifférentes. »

« Qui sait si vous n'arriverez pas à les suivre, mesvoies? »

« Impossible », répondit gravement la princesse.« Je su?s plus belle et aussi intelligente et savante queles hommes réputés supérieurs. Quel inconcevable pres-tige aurait donc celui qui me ferait abdiquer mon or-

gueil entre ses bras? Nul ne me dira jamais « Je suiston maître. » M'enthousiasmer pour quelqu'un! Les plus

grands ne sont que de ma taiUe. Quant aux génies, ils nediffèrent des autres que parce qu'ils produisent. Ce qu'ily a de surnaturel en eux, ce sont les œuvres. Dans la

vie, dans l'amour même, ils n'apportent que le rebut

d~ leur pensée, le zeste de leur sentiment, et sont alorssemblables aux autres. »

« Je ne sais pas si mon poète a du génie, mais je luien trouve. ?

Et penchant sa jolie frimousse à l'oreille de la prin-cf'ss~, elle chuchota un mot

Page 109: Le Vice Supréme

LB VÏCBSUPR~MB

– « C'est dnmTnnfyav~tto n«~- A-– « C'est dommage, vous avez eu tort ?! St celle-ci.« Dommage! Tort d'être la première mordre da~un fruit? H y a un vers de Lafontaine ià-jessus »Elle se leva, tapant sa robe

~~T~ P~~ vendredi en quinzaine.je vous amènerai Marestan. »– « Qui, Marestan? demanda la princesse.

Le poète mystique que j'ai débauché dit lamarquise sur le seuil, soulevant la portière et toute riante.

Page 110: Le Vice Supréme

XV

LES PRÉTENDANTS

La princesse ne reçoit pas; elle ne s'est pourtant pashabillée ainsi pour elle seule. Son front haut est nucomme ceux que le Bronzino a'peints. Ses cheveux finset Hâves, aplatis et lissés, ses tresses roulées à la nuque,ont une simplicité plus perfide que tout ornement.

Elle porte la robe lourde et en damier de Laure deNoves. Seulement le décolletage carré qui découvre lesseins, dénude le dos encore plus bas. Aux pieds, dessandales.

Sur un pupitre, un Virgile latin à miniatures, ouvertau quatrième livre.

Le petit salon semble un oratoire et la princesse danssa chaire d'ébène au ciborium blasonné, parait une deces Idoines à demi madones, en l'honneur desquelles leschevaliers parodiaient les sacrifices qui gagnant le ciel,prostituant à l'amour d'une femme le dévouement etles rites même de l'Amour de Dieu.

La portière se souleva et fut annoncé« M. le Vicomte Guy de Quéant. »

La princesse fronça les lèvres.« J'ai voulu vous faire une surprise. »« Merci de l'intention; mais vous me forcerez à

renvoyer Benoît. »

Page 111: Le Vice Supréme

108LE VICE SUPRBMB

u fl.-

qu7v:u~?~' je lui ai dit si résolumentque vous m'attendiez. »– « Et quel diable vous amène? »

rè~s~ plus grand de la diablerie, celui-làrègne sur le siècle. Le Roy s'ennuie de sa royautée vit en bourgeois, le bourgeois de sa bourgeoisie et viten voyou, le voyou do la voyoncratie et vit en dandy.On ne pense phi;, on baye! M

« Est-ce peur me dire cela, que vous êtes venu?cc Je suis pour voir un peu de votre peaunue. »

4 ~Mo~M''», faiHa la princeMe.« Moi. p~ .~oq~ Vous vous obstiné à me pMn-

~t~c~t tput. ï~ mpn monocle, U y a un œiÏ qui voit etsous la raie de mes cheveux une cerveMe qui~se~perte l'uniforme d~n mondain; mais je suis~n ~B« La perversité est !'a~stocratie du mal. En <moipeut consister la vo~reP »», fit Quéant en s'asseyant, « le dilettantisme`

érotique, la gourmandise appliquée à la sensation. Lavolupté ordinaire est une gloutonnerie de goulu. Pi~r~-vous un goulet qui ne ferait qu'humecter M. lèvressans boire, que goûter les sauces, sans manger <meregarder les tab~ bien servies, sans s'y~JSCelui-là garderait une grande délicatesse de coûtet une extrême acuité d'imp~sion. Eh bien! i'ai appli.qué ce système à la jouissance de la femme, je la pe~deje la touche quelquefois des lèvres, mais je ne la mangepas. Pas d'indigestion possible t'estomac toujours légerest toujours prêt au repas qu?o&<e le hasardmtéreMé~ dans

interi~ea la princesseintW8~.-f< Croyez-vous fit-il « nue la vue de votre poitrine,

Page 112: Le Vice Supréme

L6 ~!t! sb~Ê&tÈ 1~

si blanche qu'elle en est lumineuse, ne soit pas une ca-resse pour nies yeux: et l'entre-deux de vos seins pieihd'un clair-obscur d'àmoui- ne suscite-t-ii pas des compa-raisons mentales entre le nombril de Boudha et le vôtre )).

Et se levant et passant derrière elle.<t Votre dos parle; le modèle en est écrit par la

griffe même des chimères; et de votre nuque inquiétanteavec Èon nuage d'or, descend le sillon dorsal, étroite ettondue Vallée des enchantements nerveux. Jé vous sup-pose sirëhe et si j'arrive &me figurer votre croupe, j'aieu de vous à l'état impressi~, votre sensation complète.Ne souriei pas. Jamais satisfait, oui, mais jamaisdégoûté. Rien de la possession ne vient terhir mon beaur6vë erotidue. Mes plaisirs, le monde me les donne àfoison et voilà pourquoi je suis un mondain.

« Oh j'ai une réputation singulière. On me traite d'im-puissant, parfois de pire, je souris. Mon vice échappéà l'analyse et nulle femme n'est à l'abri de mon dësir.VoUs-mémè princesse, qui ne me donneriez pas votremain à baiser, vous êtes à la merci de mon imagination.Ah! c6 monocle immobile derrière les fauteuils désfemmes, nul ne s'en méfie et il se promené sur les bras~lès épaules, et ôte les corsets. ÏncUbe insaisissable,j'ai à petite dose tout le plaisir due cha~tte femme con-tient. Respirer cent fleurs n'est-ce pas plus doux qued'en effeuiller une?. ?

« Ai-je fait commettre une faute? Ai-je abusé d'uneinnocence ou mis à mal une vertu? Mon désir se satisfaitsans ternir, 11arrive que l'occasion me jette une femmedans les bras, je la baise, et c'est tout; bd~a ca~~t~a,vous savez le latin. J'ai laissé plus d'un pardessus auxmains. Ah! vous m'ecoùtez! Cela me charme, je tiensà Votre opinion. H y à longtemps que je rôde autourde vous, vous ai-je jamais fait une déclaration~ Je n6

Page 113: Le Vice Supréme

110LE VICE SUPRÊME

..J~.&. 1 ovous ai dit que le nombre de mots nécessaires à rendrema présence plausible. Dans mon sérail, chaque salon.de Paris, est un harem; mais vous êtes la sultane iavo-rite, je vous dois les plus étranges voluptés. Je ne vousconnais que de buste, eh bien j'ai acquis une telle per-ception de la plastique sous les mensonges de la toiletteque vous me cro riez un Gygès, si je faisais votre aqua-relle nue. Je fais à la gouache les femmes qui me préoc-cupent et je les nontre à leurs amants qui les uns veu-lent me couper !a gorge, les autres me dépareiller macollection. Je vous donnerai votre aquarelle. »

« Je vous accorde le titre de pervers », dit la

princesse; « mais cela doit vous coûter. des efforts ».– « Oui, j'ai fait beaucoup de gymnastique senso-

rielle. C'est long, difficile et il faut fièrement vouloir.J'ai voulu. Maintenant, votre jugement sur ma théoriede la contemplation dans le désir, qu'il ne faut passenseigner aux séminaristes, mais dont la corruption quine corrompt personne me semble d'un ordro quej'appellerai élevé, si vous voulez bien princesse, meclasser dans votre esprit, hors des boudinés auxquelsje ressemble. »

« Je vpus estime », fit-elle avec une ironie grave.« Eh bien », s'écria le jeune homme, « je n'ai

pas perdu ma journée )).« Pourquoi », demanda-t-elle, « parce que je suis

décolletée M?P

« Parce que j'ai pris place dans votre esprit; pourle reste je n'ai pas besoin de votre permission. ?

Et il se leva.« Un mot, M. de Quéant. Quand les hautes

classes en sont où vous en êtes, où en sont-elles? »« A ce que je fuis » dit-il en saluant, « au con-

MtMMM~tMM.»

Page 114: Le Vice Supréme

M VICE SUPREME 111

1" ,J:I ~·« M. le général Pianère », annonça le valet aussitôt.C'était un de ces hommes courageux par tempéramentcomme les autres sont poltrons, et qui ajoutait à sa bra-

voure un grand savoir mathématique; aussi était-il gé-néral à quarante ans. Bel homme, portant bien l'uni-forme, ayant ce ton de commandement, ce geste despo-tique, cette allure ronde et comme à ressort, auxquelsles femmes sottes ne résistent pas. La première fois qu'ilvit la princesse il lui dit « Vous avez l'air d'unedivinité. » « Et vous », avait-elle répondu, « d'unreître suisse à la solde de Ferrare ». Il devint blômp.

« Madame », cria-t-il. « Je m'appelle Altesseallez apprendre l'héraldique un peu )), et à la galerie« si je devais rencontrer souvent, de l'état-major, je res-terais chez moi ». Le lendemain, le général était amou-reux fou; mais il lui eût été plus facile de reprendrel'Alsace et la Lorraine que d'obtenir un mot qui nefut pas ironique. La princesse le recevait en particuliertrois fois par an, « afin, disait-elle, de s'entretenir dansla haine du sabre ». C'était la septième fois ce jour-làqu'il se trouvait seul à seul avec elle. Il s'était juré avecbeaucoup de jurons de n'y plus retourner s'il n'obtenaitpas? quoi. Il sentait bien qu'il ne pouvait rien obtenir,mais il tâchait de se persuader qu'un long siège prendune femme comme une ville, trop médiocre pour com-prendre quelle impossibilité il caressait.

« Madame la princesse, je vous présente. ))Elle, d'une voix morte

« Vous auriez pu laisser votre sabre dans l'anti-chambre ? »

« L'épée est une arme noble, madame. »

–« L'épée, oui, mais le sabre! Enfin, asseyez-vous,et faites votre septième déclaration des droits des géné-raux français sur le cœur des princesses italiennes. »

Page 115: Le Vice Supréme

LÉ ~Ë s~Ë

TW.iaa_u_' etm. _r. v '1– a Pourquoi ~te6-vous si méchante; ))– « Mbh cher général, pourquoi êtes-vous si t6~uJ'

Vditâ deux ahs tpië ~oùs m'affligez de vos poursuites, ~cvous ai accot'dê six entrevues, espérant que votre digniténie débarrasserait de vous. Point. Sur quel ton, en quelsternies faut-il vcuë dite que je n'ai sur mes étagères au-cun magot, aucun poussah, même chinois? »

– « Vos pieds sont beaux », fit le général.– << Et vou!; croyez me natter. Si cela -était dit par

un sculpteur, peut-être. Mais voyez les vôtres, malheu-reux compare?: ma cheville et l'attache de votre poi-gnet? Il a fallu des siècles d'oisiveté et de distinctionpour produire ceci )),, et elle élevait le bras.

« A ne juger que la question de haras de l'amour,vous êtes devant moi comme un percheron, ;à coté d'unarabe pur sang. Vos descendants du trentième siècleseront à peine assez affinés pour me faire la cour. L'aris-tocratie est un fait organique de sélection. »

– « Mais, princesse, je suis brave, honnête. je sersmon pays. »

« Voilà que je suis un monstre de ne pas écouter lessoupirs de tout l'état-major français. »

– « Eh! madame », s~ecrîa le général, « déhvrez-mo~de vdtre image et je vous délivrerai de ma présence. Est-ce ma ~aute, si rien que de penser à vous le sang mebrûle et si. » D'un regard, Leonora t'arrêta.

« Je suis bien malheureux », ut-il, et des larmes luivinrent aux yeux.

« ()ue peut me faire votre malheur où ivotre bonheur, que vous riiez ou que voua pleuriez? Et, d~ahord,quelle audace de me dire que vous m'aimez. Vous croyezdonc (tue 89 et 03 ont eu lieu; pour les imbéciles seule-ment. Je serais reine d'Espagne, vous seriez porteur d'eau,il l'y aurait pas ptus dé distance qu'il n'y éh à éntte `,

Page 116: Le Vice Supréme

8

it! V]tCE SUPREME113

-4 1.C~ rv. vla princesse d'Esté et le générât Pianère. On aime lareine, comme la Vierge, de loin, à en mourir; on en Jmeurt même, si l'on veut, mais oa n'a pas l'impudence Sde le lui dire, et si je me"respectais bien, tes générauxrépubliesins et les porteurs d'eau. w

Elle fit le geste qui au théâtre congédie.« Madame s'écria Pianère, « il n'y a de noblesse

que la noblesse individuelle ».« Eh bien! êtes-vous Shakespeare? êtes-vous Balzac?Vous n'êtes qu'un médiocre; et mettons que je sois sim-

plement Mme Dubois ou Durand, cela ne vous rappro- $cherait nullement de moi. Bourgeoise même, je vaudrais> ?encore ce que ja m'estimerais. » ?

« Une dernière fois, princesse, vous ne voulez pas? xfit-il en se levant.

« Être votre maîtresse? ? dit-elle ironiquement.« Ohl princesse, ma femme », s'exclama-t-il avec un

geste des deux bras.« Ce n'est plus de l'audace, c'est de l'insulte et je I

vous chasse. »

« Je vous verrai toujours dans le monde », balbutiaPianère.

Se penchant un peu, elle sonna. Un valet parut– « Recondaisez monsieur et, ne l'introduisez jamais

phis? S« Madame », s'écria le général, livide « Quandj<* S

reviendrai, ce sera a(vec le peuple et je vous violerai. a gIl sortit, furieusement. La princesse étouna un bajtl!e- 8ment. Durant cette scène, elle n'avait ai haussé la voix, Mni fait un geste qui ne fut lent. Ennuyée, elle regardait gla pendule et pensait que M. de Quenv ne viendrait Spas.

"S

Page 117: Le Vice Supréme

LE VîCE SUPREME

t~Hf cnnnnElle sonna.« Sarkis est-il au palais? »

« Il est sorti, Votre Altesse. »La princesse s'étira délicatement, en chatte, feuilleta

son Virgile, lut quelques vers de la deuxième épiloguequi la firent sourire; puis en regardant ses pieds nus,ce vers d'Hugo l ui revint

Les ro~e? enviaient l'ongle de son orteil.

Ses yeux errè"ent sur la toile du plafond, une chutede Phaéton de Gustave Moreau; puis s'arrêtèrent surson costume de Lucrèce Borgia, par Bojo.

Elle se remémora son bienheureux temps d'écolière.A cette heure, Bojo devait copier du Léonard, non plusd'après des fac-similés, mais bien d'après des origi-naux qu'eUe lui avait envoyés. Warke pènsait sûre-ment à elle, en exécutant quelque oratorio; ceux-là l'a-vaient aimée pour elle, non pour eux.

« Mlle Corysandre d'Urfé », annonça le valet.Celle qui parut à c~ nom, synonyme de délicate et

chaste galanterie, était digne d'être gravée au fron-tispice de I'.4s~c, comme la Muse même de cette litté-rature adorablement suraimée, où les passions sourientcomme des vertus. Sur ses cheveux blonds bouclés etflottants, un feutre gris, retroussé d'une aile, empa-naché de longues plumes blanches, rappelait les bellesfrondeuses qui lurent si ardemment le livre de son aïeul.Mais la crânerie ne tenait qu'à sa coiffure et à ses gantsà revers. Doux, infiniment doux étaient ses yeux bleus;doux, ineffablement doux le sourire de sa bouche troppetite; douce, angéliquement douce, sa peau de rose thé.On eût dit une de ces merveilleuses miss de Reynolds,auxquelles il ne manque de l'ange que les ailes. Orphe-line et pupille du prince de Courten ay, adorée de tous,

Page 118: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 115

elle l'était aussi de la princesse qui se leva pour l'em-brasser plusieurs fois, avec une affection vraie.

« Ne me sachez point tant de gré de ma visite, mar-raine, (nom d'amitié qu'elle lui donnait), j'ai quelquechose à vous demander? »

« Ma chère Corysandre, c'est accordé. »« Vous êtes bonne », fit la jeune fille; « Je leur

dis, ils ne veulent pas me croire ».« Ils ont raison, je suis méchante avec eux, parce

qu'ils ne sont pas sages, » dit la princesse en sounant;« mais qu'avez-vous à me demander? »

« Vous m'avez dit », balbutia la jeune fille eurougissant, « que si quelqu'un. m'ennuyait, je n'au-rais qu'à vous le dire ».

« Certainement, mignonne; mais qui se permet-trait M

« Le marquis de Donnereux. »« L'ignoble Mfit la princesse.« Au bal, en soirée, il me poursuit, il me dit. H« Quoi? M interrogea la princesse, dont le sourcil

se fronçait à la pensée de cette limace près de cetterose.

« Rien qu'à le voir, je suis si troublée que je nesaisis pas les mots, mais c'est vilain. »

« J'y mettrai bon ordre, mon enfant. »« Mérodack m'a dit. » eMe s'arrêta confuse

comme si ce nom était un secret.« Ah! » demanda Léonora, « quel est done ce per-

sonnage que vous nommez de son petit nom tout court? »Corysandre rougit jusqu'aux yeux.– « C'est un ami de mon tuteur. »– « Il est jeune? » demanda la princesse.– « Oui », fit Corysandre dont l'embarras croissait.– « Il est beau )) continua Léonora.

Page 119: Le Vice Supréme

~6 ttCB 8~PRéMB

ev Un,« YW1I~n.nr "1: "1 i i« Mais, marraine! » dit Cory sandre blessée de cetteviolence. 1

– «Je vois coBctut la princesse; « mais vous me'montrerez ce monsieur qui porte un nom assyrien ?.

– « M. de Narsannes », annonça le valet.– « Je me suave », fit Corysandre.– « Je vous présente. » dit l'arrivant da~s une

révérence.– « Mademoiselle d'Urfé dont je me suis instituée la

marraine », interrompît la princesse.« J'ai l'honneur de connaître mademoiselle et si

elle a jamais besoin d'un dévouement.. »– « Merci, monsieur le marquis », et Corys&ndre

embrassa la princesse et sortit.« Vous l'aimez? » demanda Léonora en s'asseyant.« Peut-être », fit le marquis; « mais ta p!ace~est

prise ».« Comment? M

– « Vous ne save& donc pas que le prince de Cour.tenay a pour société toute une séquelle de déciaMés,gens de corde ou de gétiie, qui ont dos eonverMttons oùl'on n'entend rien. Quéant en est, ce Mérodack attsN,jeune homme à l'air ~&ve, qui &ses grande et petitesentrées à l'hôtel de Courtenay et dM~s le cœu~ deMlle d'Urié.

– a Je .'savais bien que le pfinee donnait à soupertous les dimanches chez le N~ne & dee êtres MngaMers,mais non qu'il les donnait pour compagnie à sa pupille;et ce M~rodaek aime Co~ysandï~ »

– « Non. »– « Voilà un non bien dégoûté. »– « J'ai entendu un' lambeau de conversation du

personnage, avec îttia qui ~ppMtMMft& cette ménage-rie « L'amoup, ~Mt MêM8tek, eB<de tous les pro-

Page 120: Le Vice Supréme

LB YME SU~ÊMB 117

1bièmes de l'âme le plus séduisant et je ptaina celui

l,qu'il n'a pas troublé; mais je n'estime guère celui quis'y consacre. La femme ne peut être l'absolu de l'hom- 1me de pensée. L'amour cet une religion, il y faut la foi, jet je ne croirai jamais ce que toute femme enseigne d'el-

l,te-meme, que son gant vaut le monde, que rien n'est

plus glorieux que de la servir et qu'elle donne le bon-1heur parfait, comme dit Balzac. Du reste, je suis de

ceux qui ont eu le triste courage de boire de la tisane Íde nénufar. »

« Cela est curieux; mais à propos, vous m'aimez

je crois? » interrogea Léonora. t« Ahl1 c'est vrai, et quand couronnez-vous mes

feux? Mfit le marquis avec une désinvolture jouée; « ce- jla ne se voit pas, mais je brûle en dedans H. j

– « Attendez donc, vous avez deux feux un pourCorysandre l'autre pour moi. Comment s'accommodent*ils? »

– « Facilement, le bien et le mal. ?– « Merci. H– « Si ~e vous disais que vous représentez le bien.

Que diriez-vous? »

« Si je vous disais que vous représentez l'ennui? ?« Je dirais oui. Ma vie est ceMe de tout le monde. §

Je suis quelconque; j'ai bien un nom à l'état civil; maisdans l'existence, je suis le matin au Bois, le soir aux

premières, une utilité, un figurant du Vaudeville pari-sien. Quand je mourrai, un anonyme, un joueur de }whist, membre de cercle, meneur de cotillon, parieur decourses, s'en ira. Si vous m'aviez aimé, j'aurais fait

quelque chose. »– « Oh! Lysiclès, je ne prends pas la peine d'une

Aspasie; mais j'y songe, vous deviez être mon Loret;je suis plus mal servie que la duchesse de Longueviïle

Page 121: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME

qui avait les mains sales, au dire de Tallemant. Voyonsje vous écoute, monsieur de Bachaumont. » 1

« Oh! plus cela change, plus c'est. Côte des fem-mes, des adultères sans amour, peut-être sans plaisir.Côté des hommes, des soupers, des paris et des filles.La seule nouvelle c'est la Nouvelle France qui prendun essor extraordinaire; avez-vous souscrit à cette œu-vre légitimico-cléricale qui doit aboutir dans la penséede Marcoux, au retour d'Henri VP »

« Vous sav.'z mon opinion sur le comte de Cham-bord ensuite les Aryens sont nés mauvais banquiersc'est de constatation historique et ethnographique. ?« Pardon princesse, les Aiyens dont vous parlezne sont pas certainement les sectaires d'Arius?.

« Ohl monsieur de Narsannes,, quand je pense quevous~no faites la cour faites vos classes d'abord Corn.ment voulez-vous que j'accepte l'hommage d'un hommeavec qui je ne pourrais pas causer? »

– « Vous êtes une femme savante. »– « Instruite seulement. »M"i~ femme aura la science » s'écria

M. de Narsannes, « et connaîtra messieurs les Aryens,je m'enfuirai chez les Hottentots, car babil refera Babelet la confusion des sexes et de leurs prérogatives amè.nera un 93 des mœurs »

« Son Excellence le duc de Quercy M, annonça levalet.

Le marquis eut un geste mécontent et sortit en échan-geant un froid salut avec l'arrivant.

« Je suis en retard, volontairement. »« Asseyez-vous », Ht-eUe, « pour affirmer les ré-

solutions que vous avez prises ».– « J'ai résolu d'en finir avec cette torture. »« Une torture, duc, et je suis le bourreau; vos

Page 122: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME lt9 t

M

imprécations sont préparées, déchargez-en votre rate. »

« Princesse, vous m'avez fait m'encanailler dans

la démocratie et j'ai signé les décrets, moi un Quercy. »

« Tout homme qui plie devant le caprice d'une

femme, fût-ce pour une futilité, est un lâche! Qu'est

donc celui qui renie son Dieu, et que peut-il attendre

en retour, si ce n'est le mépris, au lieu de la reconnais-

sance dont il se flatte? »

<( Vous me méprisez. »

« Absolument. »

– « Au nom du ciel, pourquoi m'avez-vous pousse? »– « Parce que. Cette raison suffirait, en voici deux

autres moins bonnes d'abord, avoir un ministre à ma

dévotion pour nuire à ceux qui me déplaisent et servir

ceux que j'estime. Ensuite, j'ai fait mon métier de

désœuvrée. La femme qui aime exige au nom de la

passion qu'on lui immole tout, l'honneur y compris.

La femme qui n'aime pas l'exige également, pour la

seule satisfaction de son orgueil. Folle qui communique .~jsa folie, ou raisonneuse qui rend fou, le résultat de la

femme, c'est l'aplatissement de l'homme, »

– « Vous êtes un monstre. »

– « Probablement.. Mais vous êtes un inerte, c'est

pire. Mieux vaut le Mal qui veut, que le Mon quii

ne sait pas vouloir; la passivité de l'homme est plus

honteuse que toute perversité de femme. »

« Vous êtes un monstre, mais vous avez rai jn.

Que feriez-vous à ma place? »

– « Je disparaîtrais » dit simplement la princesse.« Le suicide, soit. vous serez mon assassin, Al- ~i

tessel »

« Duc, vous ai-je dit que je vous aimais, que je

vous aimerais? Vous ai-je jamais donné le moindre es- s~Ej'on'? Vous m'avez dit faites de moi ce que vous vou- NN

rr,'

Page 123: Le Vice Supréme

<ïMLB VMB NUPR~MB

1<h~. j'ai fait. Ohl j'm eass~ de. paatiM piuB précieuxque vouB sans même m'amuser. »

– « Vous êtes bien de la race do Lucrèce Bor.da« C 88t mon aïeule, le désir qu'on m'exprime m'in-suite et }') me venge. »

t~n~T' duc, ër~nde surexci.tation. Il lui prit la main et en la baisant il laissa tom-ber des larmes, puis sortit lentement.

La princesse ~gardait, avec un sourire singulier ceslarmes se sécher sur sa main. Sarkis souleva une portière.« J'irai dir( au duc que vous l'attendez prochaine-ment. »– « Et pourquoi? » fit Léonora avec hauteur.– « Parce que, » prononça Sarkis, « Machiavel en-

seigne que la princesse ne doit pas commettre de pri-mes. inutiles! »at

Page 124: Le Vice Supréme

XVt

CÏRCË

Il est des ambitieux qui fomentent les passions du peu-ple, tes chauffent, les exaspèrent, pour s'en faire deschemins au pouvoir, et qui, arrivés, laissent toutes lesfureurs qu'ils ont lancées aller leur cours de crime etles hommes qui les ont portés sur le pavois, échouerau oagne.

Il est d'atroces docteurs, savants cyniques qui, parur.e hygiène métaphysique, font écbre le goût du crimeen des cœurs honnêtes, et qui, la scélératesse artifi-cielle obtenue, condamnent, comme jurés, ceux qu'ilsont créés criminels par étude perverse.

Il est, dans les hautes classes, des femmes désœu.vrées et continentes qui s'amusent à exciter les sens deceux qui les courtisent. Elles affolent en eux la Bête quise rue aux assouvissements de la prostituée, insouciantesdu cours d'ordure dont elles sont la source.

L'ennui pourpré de sang des empereurs essayait lespoisons sur les~ esclaves. Le corps de l'homme tordupar la serre de la mort leur paraissait un spectacledigne de leurs yeux; mais l'un des douze spleens de Sué-tone découvrit que la torture morale devait être un ré.gal supérieur, et le spectacle de l'Ame rongée par unepassion, de plus haut goût. Il fit venir un affranchi« Trouve, dit-il, une flagornerie idéalement vile. Nem'appelle pas Dieu; tous les Césars sont Dieux. Invente"n mot, un geste qui réveille ma vanité blasée; donne

Page 125: Le Vice Supréme

122 LB VICE SUMtAMZ

moi une bouffée d'orgueil et je t'associe à l'empire. »Voyez-vous ce que l'affranchi cherchera, essayera, trou-vera? Voyez-vous le tyran souriant avec dédain à toutes

les inventions de l'anolé de pouvoir. Une grande dame

qui s'ennuie surpasse Caligula.L'empereur ne peut donner que l'empire, la femme,

grâce au mysticisme sacrilège et fou de la poésie moder-

ne, peut se dire.l'infini et se donner pour l'absolu.Cette conception apothéotique de l'amour sexuel, est j

tellement dans le~ livres et les esprits, que rien qu'à se

laisser désirer, une femme est toute puissante jsur l'in-

dividu comme un César sur Rome. Elle n'a qu'à dire au

désir « Tu es vain )), aux efforts « vous êtes inuti-

les » et sitôt elle possède l'attrait de l'impossible~ et

l'attrait de l'absurde, les deux aimants les plus attirants

pour cette humaine bêtise que S. Jean appelle (<)laBête ».

Passive, absolue, injuste, la femme n'admire la

grandeur que par espoir d'en obtenir le sacrifice.Elle aime les chastes pour les corrompre; les forts pourles asservir; les indépendants pour les avilir. Idole com-

me Shiva, son culte c'est l'hécatombe. Cléopâtre a fui, à

Actium, afin de voir son amant abandonner le combat

et l'empire du monde pour suivre sa galère. Toutes les

femmes, dans la mesure de leur destinée, essayent la

fuite de Cléopâtre, et celui qui ne leur fait pas litière de

tout, est un monstre.

Grande dame, synonymie de grande comédienne, la dé-

sœuvrée ne s'occupe pas de ce platonisme du salon bleu

d'Arthémie, dont notre époque hâtive n'a pas plus le

goût que le temps. Selon un mot célèbre, elle joue de sa

feuille de vigne comme d'un éventail, mais en honnête

dame, non en diva des bouffes. Sa toilette irréprochablede décence est un poème d'obscénité, où ce qu'elle cache

Page 126: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 123

apparaît plus que ce qu'elle montre. Elle rend lubriquemême l'insignifiante nudité de son poignet. Imaginez laTorpille de Balzac, dans la pose d'une Maintenon. Aphro-disiaque de l'orteil au cheveu, elle l'est d'une sorte à lafois si insaisissable et si corrompue que décrire par ledétail cette suprême dépravation serait donner leçon device et y instruire même les expertes. On la dirait touteimprégnée d't suc de la plante attractive de Van Helmont.Elle provoque les reins et l'on sent qu'elle ne se donnerapas, même en menus suffrages.

Concevez le désir physique le plus fou, entretenu, ai-guisé, exaspéré; placez-le devant le respect qu'imposentune réputation où la calomnie n'a pu mordre, le présagedu nom et du milieu; ajoutez chez le soupirant la certi-tude absolue que tout est vain qui tente de franchir undédain sans recours; et figurez-vous l'englué au cœurbon, au tempérament ardent à l'esprit court, qui ne peutse reprendre, revient plus touchant à chaque malmenée,mettant deux ans à s'apercevoir que l'ange est démonvous aurez le comte de Kerdanes, corybante de la prin-cesse d'Esté.

Le malheureux, talonné par cette comédie de luxure,s'affole. Ses nerfs se tendent à rompre, ses tempes bat-tent à s'ouvrir, son sang bouillonne, sa raison se dissoutdans le rhombe érotique où Circé le fait virer jusqu'audélire. Le prêtre éteint le feu du corps à la source mys-tique mais l'homme du monde, sans autre religion quedes pratiques routinières, que fera-t-il des désirs furieuxqui le torturent? Il les satisfera et le retour du .mêmeétat d'excitation amènera le même moyen de dépression.

Le comte de Kerdanes, en sortant du palais Malatesta,allait droit rue Prony et la princesse pure, calme, en-nuyée, sans accorder un baise-main, épuisait de corpsson platonique amant.

Page 127: Le Vice Supréme

LN VÏGBSUPRÊME

Depuis deux mois, on ne l'avait pas vu et la prineeMel'oubliait. 1

Dans son atelier, montée sur un échafaudage, ellebrossait avec vivacité un grand panneau décoratif ot,dans un paysage tourmenté, une femme tombait épuisée,hagarde, les cheveux épars, tandis que, devant elle bon-dissante, la chimère qu'elle poursuivait, la défiait deses yeux ironiques.

Pour plus d'ai;e. elle avait quitté son petgnoir de soie

orange, et en psntalon de batiste, n'ayant à aon buste

qu'une fine chemisette, bras nus, elle plaquait avec en-train des tons d( mousse sur les rochers.

« M. le comte de Kerdanes est là, votre Altesse »,vint dire le valet.

Elle fit un « ohl » d'ennui. « En6n, faites-le monterici. » <

« Princesse, je vous dérange M, dit le comte enentrant dans l'atelier dont la chaleur de serre, lui Stmonter le sang aux oreilles.

« Mais non, voyez, je ne m'interromps pas. »« Je vais vous regarder peindre. »« Ah)) p' nsa Léonora en songeant à la légèreté de

son costume, « il me regarderait longtemps ainsi, sansse plaindre ».

Au bout d'un moment, elle se retourna pour prendreune vessie et vit le comte si changé, le regard fébrile, !e~traits décomposés, le teint terreux, en proie à un visibleramollissement de la moelle épiniere.

– '(( Mon pauvre comte, qui vous a mis en cet étatP »– « Vous », dit-il simplement.– « Et comment, je vous prieP » demanda-t-elle réel-

lement étonnée.Si vous voulez me laisser vous l'exphquer. »« Dites », Gt-elle intriguée et posant s. palette, et~

Page 128: Le Vice Supréme

t~ VÏCE SUPREME 125

ftilr l'8nh!1ffH,1£1<)t~ 1-- 1_-

1

s'assit sur l'échafaudage, les mains sur les cuisses, ba-lançant avec grâce ses jambes longues.– « Vous m'avez épuisé », commença le comte.

Elle sourit et étendit le bras vers l'esquisse.– « Cette chimère aussi a épuisé cette femme Est-ce

la chimère qui a tort d'être chimérique, ou bien la fem-me de poursuivre l'insaisissable? Tant pis pour celui quiveut celle qui ne veut pas. Femme et chimère ne sontpoint tenues de livrer leur croupe à qui les désire, x

Lf comte fit un geste comme pour écarter ces parolesqui embrouillaient son intelligence devenue lente.

– « Je suis sans colère, Altesse. Quoique vous m'ayezdétruit, j'admets que moi seul aie tort et que vous nevous êtes point jouée de mon désir, en l'exaltant; maisen bonne foi, en sortant de vous voir, comme vous êtespar exemple. »

II s'arrêta, ne trouvant pas le mot convenable.« Vous n'allez pas dire », protesta la princesse,

« 'que je vous ai fait l'honneur de me déshabiller pourvous recevoir; mais puisqu'il est nécessaire d'être vê-tue, ?

Elle se pendit des mains, ce qui fit saillir sa gorge etsauta avec une agilitéj~e page. Remettant son peignoiret le croisant, elle vint s'asseoir en face du comte.

– « Que vous soyez de fourrure ou de gaze couverte,vous produisez le même effet, vous avez le génie de ça,et tenez. »

Son regard montra une jambe qui se voyait par l'écar-tement du peignoir.

Alors elle s'en enveloppa comme d'un pagne.– « C'est pire », fit le comte.–~ n Ah! » dii-eMe, « oMMMttmnndo ?)'Mmd~M.n reprit « En sortant d'ici, où croyez-vous que je

Page 129: Le Vice Supréme

126 LE VICE SUPRÊME

pnisse aller logiquement? en sortant d'une excitation ».Il chercha et dit, « on va à une satisfaction ».

« Le sens littéral de ces mots en tion? » demandala princesse.

« Le voici. Depuis deux ans, chaque fois que je sorsde chez vous, je vais chez une fille et je me demandequi est plus méprisable de la fille qui satisfait des désirs

qu'elle n'a point sollicités, ou de celle qui les solliciteet ne les satisfait pas? »

« Mon cher comte, quand on n'est pas OEdipe, on

n'interroge pas h sphinx. Toute audace qui avorte estune témérité et les témérités sont logiquement punies.Je ne me sens, du reste, aucune pitié pour l'homme maî-trisé par ses sens, et forcé de les satisfaire vitement etvilement. Il fallait fuir. Le désir qu'on m'exprime m'in-sulte et je me venge en l'exaltant. Sachez-le, pour vpusconsoler, je ne m'accorderas plus à moi-même qu'auxautres. »

Le comte hocha la tête.« Soit! toujours est-il que je suis perdu. La syphi-

lis. »« Se guérit radicalement », interrompit la princesse,

et il serait moral que les gens assez orduriers pour enêtre atteints. »

M. de Kerdanes alla à la porte comme pour sortir et

poussa simplement le verrou.A ce moment, Léonora se leva plus blessée dans son

orgueil qu'effrayée et s'approcha d'une panoplie.Le comte avait croisé les bras, paraissant bien sûr

d'avoir le loisir de ce qu'il voulait, riant d'un mauvaisrire qui secouait son corps énervé et sans autre force quecelle de la fièvre qui escarbouclait ses yeux agrandis.

« Vous me l'avez donnée, Altesse, je vais vous larendre. »

Page 130: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 127 j

Léonora se haussa et prit uuc cpee à lourd pommeau.– « Oh! je ne veux pas vous violer, une morsure me

suffit », dit-il.Léonora ôta vivement son peignoir peur être plus

dextre; le comte vint sur elle ne voulant pas ensan-glanter son palais, elle prit l'épée par le milieu de lalame et en asséna 'e lourd pommeau sur la tête du comtequi vacilla, assommé, s'accrochant aux meubles et lesentraînant dans sa chute.

Posément, elle alla ôter le. verrou et sonna.Au valet qui parut

« M. de Kerdanes vient de se trouver mal, portez-ledans sa voiture. »

Le domestique chargea le comte inerte sur ses épaules.Sarkis le vit traverser ainsi l'atrium où il se récitait

de l'Eschyle. Il monta vivement. Sur le palier, nu bras,nu cou, dans son déshabillé inquiétant, la princesse, ap~puyée sur son épée, avait l'air d'un page qui quitte unduel. Elle lui expliqua la scène.

« Voilà ce que c'est que de jouer avec la Bête »,dit Sarkis.

Sans répondre, la princesse. coupait deux bouts depapier de couleur différente et les mettant devant Sarkis.

« Écrivez sur l'un « comte de Kerdanes sur l'aj~tre « premier secrétaire », l'adresse « comte de Roche-nard, second secrétaire de l'ambassade française à Ro-me M.

Elle sonna.– « Cette lettre, tout de suite. »– « J'ai peur de comprendre », dit Sarkis.– « C'est simple. Je promets à Rochenard de le faire

nommer premier secrétaire, s'il tue Kerdanes. »« Vous avez donc le culte du crime inutile, Ma-

cMave! »

Page 131: Le Vice Supréme

M V~Ct SUPREME

n~s~e._s..– w N'était pas femme. »– « Heureusement. Le traita de la Prmce&se est à

faire. »– « Je le presque. C'e~ mieux. M

– « Non », appuya Sarkis, « la théorie du Mal m'a-muse, mais Tact; me fait tirer mes chausses. J'aifait connaissance avec un kabbaliste qui prétend que !ecrime poursuit le crhninet. »

– « Vous radotez, Sarkis.– « Les Katd<-ens. H– « Vous habitez la Kaldée, moi je su4s une Italienne

de la Renaissance, élevé du signor Sarkis. »« Eh 1 Altesse, la Renaissance et' Sarkis se Mtit

peut-être trompes, a« Il faut aller jusqu'au bout de son

erreur, pardignité. » <

– « C'est une opinion. »

Page 132: Le Vice Supréme

9

XVII

L'ANDROGYNE

La princesse s'habillait pour sortir.« Van der Neer est là )~ vint dire Sarkis. « Il y a

plus d'un an qu'on ne l'a vu, ce sentimental banquierqui, aux fameux clairs de lune de son ancêtre, a fondudes millions en offrande à votre beauté, comme si vousétiez la reine des tulipes. »

– « Je le recevrai. Ce magot a toujours été d'uneadoration délicate et je lui ai fait gaspiller trop d'argentpeut-être. »

– « Peut-être est joli Vous l'avez ruiné pour leplaisir comme disent les

grisettesjOh! les femmes M

« Je ne suis pas je suis la princesse d'Este. »« C'est-à-dire un milliard de fois pire, mais tou-

jours femme, et la preuve c'est que vous lui savez gréd'avoir été insensé. Inspirer des folies, c'est là le grandtriomphe de la femme. »

« Vous n'avez jamais fait de loues, Sarkis? »– « J'en ai regardé faire toute ma vie; cela m'a suffi. »

« Vous n'avez pas aimé? »« Si, signora. »

– « Et qui? »« Vous! ))

La princesse, qui mettait ses boucles d'oreilles, en levales bras en l'air, ouvrant de grands yeux sur Sarkis'~passible, qui jouait avec un gland de coussin.

Page 133: Le Vice Supréme

~30 LE VICE SUPRÊME

« Je ne m'en suis jamais aperçue; vous êtes très

fort, et, maintenant? » 1

« Si ce n'était pas passé, vous l'aurais-je dit? A

quarante ans, aumer une petite fille et princesse, cela

arrrve; le lui laisser voir, cela ne do~t pas arriver.,»« J'y songô mamtenant; vous me faisiez si bien

entendre qu'il e~ait indinérent que je lusse habillée ou

dési~billée devant vous. »

« C'est tort ce que j'ai sur la conscience. »

« le vous donne l'&bsol~tM~ »

Elle rejoignit le Hollandais au salon, et lui tendit la

main, qu'il ne prit pas.« C'est à moi de vous. la tendre » fit-il. « Je sni~

ruiné. »« Comment cela? M« Par vous. Oh! je sais votre fortune, et que vous

n'avez acoepté de mei que quetqnes toiles de mon aïeul;mais vos fantai&ies! Cette forêt, où je vous donnais de&

chasser, ne l'ai-j~ pas hf&lée pour vous donner un

spectacle d'incendier Je n~v~tx pas avoir lau' de iak~

un réquisitoire; mais vous avez oublié te soir o~u v~us

aviez ~rotd aux pi«~s, et où je vmts les réchauffai avec

un feu de oheqces? ?– « M<mcher NéertaBdais, quand v<Mtsfaisiez cela,

je pensais que vous le pouviez faire. Vous f6<teshabile; et

je vais vous donner cent nn!le francs pour recommencer

votre fortune. M:<Ah! H fit Van der Neer, « v<MNme donneriez

cette somme? »« Tout de suite », fit-elle en cherchant de ~uoi écrire.

Il s'arrêta d'un geste ému.'– « Merci; j'ai vouht voiF si vous aviez dn cceur.

Toet ce qae je vows demanderai c~est votre (portait ?

Lucrèce. Je TetounMa I~a Haye. D«Btscin~ ans ie serM

Page 134: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 131riche, et je vous dois ce que nul or ne paye des sou-venirs poétiques. »

« Vous emportera le tableau et mon estime, Vander J~er; écnv~moi les progrès'de votre nouvelle for-tune. Je m'y mtéresse. »

Ellé lui tendit la main, qu'il baisa, et sans pouvoirheurtant sa corpulence au~ meubles

~~L~~ ayant à chaque P~ douïecr des eMtgt~r de son rêve.

Van der Neer parti, la princesse monta dans soncoupé qui s'arr~a nïe~ Notre-Dame des Champs

~Promenez les chevaux une heure », dit-eiieEt elle irappa à nne grande porte marfon. au-dessusde !<Mïudïeun moulage des Parques s'encastrait– <( n y a modèle », cria't-on:La princesse gratta d'une certaine façon. Il y eut unbruit, d escabeau renversé et la porte s'ouvrit

« C'est vous? », fit Antar, presque impoli, « en-trez ». r

Et au modèle– « Habaie-toi! a

~–« Non mademoiselle, un instant encore, je vous

prie. »La pnacese s'avança vers l'estrade où une juive à la

tête presque laide, montrait dans sa nudité de beMe.proportioas.

« C'est pour une Junon H, dit Antar.– « Eh!Men! )) 'fit la princesse après im momentd~M~s~i~-Mux, « maigre le co~ et l'eneMe-ment de la Renaissance qui d~e "neore, la plast megrecque est une ~NtMse trop large. Le détail, le mor-ceau n'y est pas aussi parfait que chez les modernes- tesP~s et les matas soat médiocres et lourds Il n\ apas une statue antique qui ait la beauté d'attache d~n

Page 135: Le Vice Supréme

132 LE VICE SUPBÊME

Pradier. Le beau grec, c'est le beau animal et typique.

Nous avons subtilisé la ligne, spiritualisé le modèle,

c'est quelque chose, cela! Remarquez que tout le charme

de la femme est dans l'impudeur ou la pudeur; or, les

statues antiques ne sont ni pudiques, ni impudiques.La Vénus de Mile me représente plutôt une belle femme

mariée que la dé:sse de la passion. – Merci, mademoi-

selle, fit-elle à la Juive. Tenez, Antar, une idée d'Ar.

sène Houssaye à réaliser en marbre, les Muses modernes;

au lieu du poncif, quelque chose d'aussi fiévreux que

Carpeaux, d'aussi élégant que Pradier, avec plus de style.Vous autres, vous vituperez la pensée dans l'œuvre

d'art, l'art littéraire est votre formule de mépris. Disons

l'art lyrique. Une statue doit être une ode. Le sculp-

teur doit mettre dans son marbre ce qui vibre en lui,

la chanson de son âme, comme dit Shakespeare. »

La Juive rhabillée était sortie. La princesse changea

de ton.« Savez-vous Maître tailleur de pierres, que vous

me recevez singulièrement? »

« J'ai un remords )), murmura Antar en s'asseyant.« De m'avoir mal reçue? Non? De quoi que ce soit,

vous êtes plus riche que moi. »– « De ne pas vous avoir étranglée avant de vous

connaître. »« Avant c'eût été injuste et difficile; mais main-

tenant?. »– « Je voudrais », interrompit-il, « qu'il y eût un

enîer, rien que pour avoir la satisfaction de penser que

vous y grillerez pendant l'éternité ').

– Vous m'aimez donc toujours? »

– <( Je vo~s hais. »« Ça se ressemble, et comme con&équeMes, cela se

vaut. »

Page 136: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 133

– «A propos, princesse, j'avais du génie. »– « Vous n'en avez plus, qu'en avez-vous fait? »– « Vous me l'avez pris. Pervertir est odieux, mais

pervertir un artiste Rendez-moi mon génie serein comme

l'antique, sé~re comme Michel-Ange. Rendez-moi la

pudeur des i~~ts, la chasteté des draperies, la noblessedu nu, la conscience austère que je m'étais faite à la

Chapelle Médicis. Rendez-moi l'honnêteté de mon ciseau

qui maintenant souille ~e marbre. N'est-ce pas assez,bon Dieu de la corruption de la chair? L'art est une

vertu; malheur à l'homme et à l'époque qui en font unvice1 »

Et s'exaltant « Mes mains sont impures, la glaiseque je pétrs vous ressemble, vous m'avez dévoyé. »

« Poutj minora », dit la princesse. « J'ai eu pourvous la même condescendance que la princesse Borghèsepour Canova. J'ai posé, nue, votre Perversité, date devotre réputation. »

« Eh! je le sais bien; les boucs lettrés ont savourécette plastique abominable. Oh! vos formes damnées!t

Oui, votre corps est un ~vice, le pire. En le modelant,

je me suis sali les doigts pour toujours. L'androgyne,ce cauchemar des décadences, me hante et me poursuit, w

« Tenez M,cria-t-il en arrachant le torchon mouilléqui couvrait la maquette, « vous avez vu le modèle;voilà comme mon pouce le traduit. Voyez-vous les gra~cilités, les aigreurs, les acidités de forme, l'élancement

maigre des lignes, les seins presque pectoraux, le ventreet les hanches effacés, ta croupe petite. J'avais fait un

Jéroboam, je l'ai piétiné, vous l'auriez loué, cet éphèbejuif. Oh! mes œuvres me font peur Vous avez débauchema main, et je ne parle pas de l'amour douloureux quej'ai pris &vous voir sans voile. Oh! l'obsession de l'An*

drogyne! M

Page 137: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME

« Je laissé dire, Antar. Que mon corps soit1

~dro~ync eti'androgy~at le vice plastique, je ne leconteste pas. Ma~s ~vez-vou& à la béatiS~ation'du Fié!'sole? Vo~s ne pouvez pas vous isoler de votre temps,il vous faut le devancer ou le suivre.– « M& conscience », commença Ant&r

«Pour icuipteur, vous êtes atteint d'une ma-la~He bien myjstique te scrupule. Mch~T~ reprit-il, « de faire quelque~Me d'élevé, de reUgieux ».

i c

– « Eh bienh. s'exclama la priMcsse, « avec cet an.~ynisme que votre pouce ne peut désapprend~~tes un archange. L'ange e~ ~s sexe, syn~ese dujeune homme et de la jeune ime. Faites un saint Michelpâmant Satan; mettez-im aux mams I~ep~e nam.hoyante, et son acte viril et son nimbe sanveront laplastique perverse ».

En écoutant, l'irritation d'Antar s'était calmée- ilavm entrevu un ~.d'œuvre, et saisissant un crayon,sur le mur blanchi à la chaux il,dessinait déjà, violentment, le~r~ qui sortit ~–~qu'il lèvât la tête.

Page 138: Le Vice Supréme

XVHIr

UN MARDI AU NOBLE FAUBOURG

Aujourd'hm, la p~in~esse d'Esté est vis&j~epour toutle monde. Les pertes de bronze du palais sont grandesou\*<!a'tes.Dans La cour en hémicy~, les pUa&tres corin-thiens. seanblent trNtes et tes fresques ternes, sousciel d'un pis fïn. t~es équipages au vernis étinoeianttournent gBoméhriquement sur le sabte qui grince.

Aupar~s 'de la chemméet nionumentale ou Sêmhe untronc de chêne, la princesse tenant droit son buste longa grand air sous lie ciborium de sa eathèdre. Uae robeaux manches b'MiHaatûs, à plis mn~pli~s, r~nve~pped'une de cas ador btes fragites tei&te&vôtres ~tburge~utees que ,donne l'~nHine. G~x ~qm ont vu le

palais Sciarra pensent tout de stute à Modestie et V&mte.C'est bien d~prë& ce VMMiqu'elle est habillée et qu'eUese pose. Vingt catttèdres semblables à 1~ sienne alternéesd'escabeaux forment un fer à cheval. Aux murs tendusde couleur feu, s'aligne le bahut arehitectonique de laRenai~axMe. De casques retournes ~t montés sur des

pieds d'œgypaB, sortent des Seurs rares. Les quattro-cento, las tctivms 'ptrimi~hetoonent les yeux.

La princesse aime à recevoir Ià~ non pa<spar oatenta-tion;. tnais elle s'amuse à voir le& gens les plus rompusà la desunroltufe mondaine, rendus gauches par desmeubles qui les raillent.

Les femmes, avec leurs toilettes de mode, leurs petitsgestes vifs $t fréquents, leurs mioois, t~nr beauté sans

Page 139: Le Vice Supréme

136 LE VICE SUPREME

style semblent des pages déguisés, non de grandes dames.Les hommes d'une distinction banale, à travers leur

effacement physique, laissent voir leur effacement moral.On dirait les hypocrites d'un vice niais et protestant.

En culotte courte, en livrée bleu ciel galonnée d'argentet d'or alternés, un valet annonce d'une vcix perlée. Laprincesse va ai -devant de chaque lemme d'un pas lentqui a l'air empressé. Elle serre leurs mains gantées, avecdes félineries d~ geste, ayant des mots coupés et ravis,enfantins d'affection.

Il y a du monde déjà. Cependant, la conversation estdiscrète. Chacun dit un mot, presque à son tour, un motmesuré et vide. Toutes les trois minutes, on croirait à unde ces silences qui gèlent les contenances. Point. -Toussont trop de leur faubourg pour être maladroits au jeu dedire, avec suite et méthode, les inanités d'une réception.Dextres, ils se renvoient le volant information puérile,insinuation perfide, remarque sotte, idée nigaude, motcafard. Le langage est là d'une simplicité de temple hu-guenot. Aucun néologisme de tour, aucune de ces har-diesses d'expressions qui frappent la médaille d'unepensée. Cela coule comme-l'eau distillée d'un discours deM. Doucet; seulement cela est beaucoup mieux dit. Aufaubourg Saint-Germain, tout le monde est un peu del'Académie et aussi de. la Comédh. La prononciationatténue les consonnances viriles, élude les liaisons 'vi-goureuses. Les noms propres sont desossés de leursconsonnes. A force, de camaïeu et de choix dans lesvocables, l'insignifiance du dire double celle du penser.On dirait d'un orchestre de sourds qui jouerait du vio-lon sans que l'archet touchât les cordes. Par moment,le pizzicato d'un demi-rire de femme chatouillée par unmot vif dit 5~voix basse et tout redevient aphone.

Le palais Malatesta tranchait sur tous les hôtels de la

Page 140: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 137

rive gauche, comme un Titien sur des Carrache. Laprincesse parlait en homme et l'on rencontrait chez elledes gens de pensée et d'art qui effarouchaient ce monde;mais moins toutefois que le quintuple blason de céans nel'émerveillait.

Des femmes honnêtes causant avec des viveurs, leurdemandent toujours des renseignements sur les filles,dans le but précis d'ajouter. à leur coquetterie et des'instruire au mal. On parlait de la Nine, la maîtresseofficielle du prince de Courtenay.

« Faites-vous inviter à un de ces mystérieux sou-pers du dimanche », disait Mme (~ Chamarande à No-nancourt.

–. « Impossible », fit-il, « il n'y a que seize Domini-caux comme il n'y a que quarante académiciens. C'estune franc-maçonnerie. De notre monde, il n'y a que leduc de Nlmes qui ment et de Quéant qui se tait ».

– « Il doit s'y passer des choses affxeuses », minau-da Mme de Semys.

« Mais non », observa de Sennevoy, « il n'y aqu'une femme, et jen homme ».

« Vous connaissez la Nine, M. de Chaumontel? Hdemanda-t-oc.

– « De vue, tout le monde la connaît. Autrement,a peu près personne ».

« Je ne conçois pas » dit la duchesse de Noirmou-tier, « qu'on puisse aimer une femme qui semble uahomme ».

« Mais, c'est pour cela qu'on l'aime », observa laprincesse.

Le vicomte de Plélan entrait.« Eh bien! M. de Rastignac », lui dit Léonora,

« vous dev;z savoir du nouveau vous qui êtes dans lespompes de Satan. »

Page 141: Le Vice Supréme

~38 HE VtCE SUPRÊME

– M Satan, Altesse, oe se réédite plus. Vous êtesl'index de ses œuvres com~%tes ».

La princesse sourit, ni Battée, ni iroissëe.')– « Son Altesse Roy&le Monseigneur 1~ Prmce~de

Courtenay ».Elle se souleva– « Oh! priactsse; vows vo~s lever pour moi. ?« « Dites ce usine, nous sommes ies seuls ici qui

portions de F~<MMeM..Derrière le prince venait un g<'os homiBe courtaud,

à la vive physionomie.« Cousine, j<;vous p~ésoBte M. Ma?ooux, ~recteur

de la France N<M~eHc, un banquier conspirateur, (Mvot °

à sainte Aristocratie et qui veut ramener le Roy, à coupsde Bourse. »

– « Monsieur, être présenté ainsi, c'est être le bien-venu mais j'accueille votre personne, nos votre entre-prise. ))

« Tant pis, » fit M. Marcoux avec un geste rond,« c'est le contraire que j'aurais voutu ?.

– c Votre entreprise », commença la princesse, enlui indiquant un escabeau en faee d'eHe, « m'apparaitd'abord avec ïe ~danger de revêtir un caractère 'sathoti-que et royaliste, avant -le succès. Si vous ne réussissezpas, l'insuccès retombe sur le parti dont'vous aurez prisles couleurs. Or, nctre réputation d'i~eapacité'est assezbien établie, sans nous risquer à la justMier pareitle-ment ».

Marcoux fit un geste pour protester qu'il n'était pasun agioteur vulgaire.

« Je veux croire ce que l'on m'a dit, Monsieur »,«mtmua-t-eile, « que vous êtes un rêveur financier;mais si eeta vous hausse camme homme, ceta'veoM di-minue comme banquier! Vous êtes un de ces latins qui

Page 142: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 139

veulent i~i conquérir, parce qu'ils se sentent les der-niers d'une race qui s'énerve et nuit. Cependant, savez-vous pas quête méridional, apte à faire des chefs-d'œu-vre et des lois, est inapte quant aux chiffres? Question derace! La Banque appartient aux sémites et ils ne laisse-ront pas prospérer une grande banque aryenne ».

– « Race d'usuriers.nés, les Juifs n'ont jamais suque faire suer l'or »; dit M. de Genneton.

« Ils ont fait la Bible et la Kabbale, la plus bellepoésie, la ptas haute métaphysique. Vous êtes un igno-rant, M. de Genneton », répondit sèchement Léonora.

– « Voilà qu'elle montre que ses bas sont bleus »,fit à mi-voix Mme de Breuvannes.

<( Prmcesse », dit Marcoux en se levant, « je re-grette que vous ne soyiez pas des nôtres. Moi, je omis enmon idée, et croire en son idée, a dit quelqu'un, c'estlà le génie ».

Il salua très basset sortit.« Vous l'avez démonté H, observa Courtenay.

–« Croyez-vous donc que j'allais flatter cette nou-

velle sorte de folie M– « M~" Corysandre d'Urfé », annonça le valet.– « Bonjour marraine )), fit la jeune Hlle à la prin-

cesse; et,au prince– Mon parrain, Mérodack, que j'ai forcé à m'accom-

pagner ne veut pas entrer, il est resté à causer avecSarkis dans l'atrium, »

« Dites-lui que je tiens à le voir, Corysan.dre. »« Vous croyez qu'il m'écoutera, marraine? »

– « Mérodack )), dit le prince, « est fort j&Mivageetdéteste te mon~ )). ·

– « Il y a Ntonde et monde », St Mme de Cn~m&<~ande née Sophie Durand.

Page 143: Le Vice Supréme

~40 LE VICESUPRÊME

« Oh! Mreprit le prince M,son grand monde à lui,.c'est le monde surnaturel M.

« Il est spirite? sorcier? s'écria-t-on dans une curio-sité soudaine.

« Non, magicien M, dit Courtenay, « mais s'il sa-vait que je vous l'ai dit )).

– « Cousin », fit la princesse; « faites-moi l'amitiéde l'aller quérir: dites-lui que je le dispense même deme saluer »

Le prince sorti. et rentra au bout d'un moment, don-nant le bras à m jeune homme, dont l'aspect étonnal'assistance.

Ses cheveux longs et ondulés voilaient le front sous.leurs volutes, comme des lierres le sommet d'une tour,formant autour de sa tête un nimbe noir. Presque dé-mesurés, ses yeux lents à regarder, fixaient désagréa-blement malgré leur douceur. Sous le nez à la courbejudaïque adoucie, la bouche sanglante éclatait dans lejais de la barbe en deux pointes. Un mac-farlane mou-lait sa sveltesse, avec une allure de froc.

Il tenait à la main un feutre de puritain,et n'avait pasde gants.

« Monsieur », accueillit la princesse, « il faut 1qu'un prince vous aille chercher? »

Il s'inclina sans répondre et salua Mlle d'Urfé.Léonora lui désigna une chaise.– « Votre nom », dit-elle, « ferait croire que vous-

descendez de ces rois assyriens, antérieurs à Nimroud,dont on a fait des dieux »

« Messieurs », proclama M. de Courtenay », nousne sommes tous que des manants ici ».

Princesse », dit Mérodack d'une voix grave », cel~est possible; mais quelle pâture à mon orgueil que lavaleur d'aïeux incertains? »

Page 144: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME Ml

Ce mot qui visait l'assistance l'atteignit et la blessa.« II n'y a pas de plus haute satisfaction que de

descendre de grands ancêtres », lança :M. de Montessuy.« Oui », répliqua Mérodack « si on les continue;

si je descends des premiers rois d'Assur et que je les

vaille, bien; mais si je ne les vaux pas »« Le prestige dé la noblesse. », s'exclama M. de

Plélan.'– « Tout esprit cultivé le subit », interrompjt Méro-

dack. « Qu'on annonce M. Bouillon, ,je pense au res-

taurant qu'on annonce M. de Bouillon, ja songe aux

croisades. Mais si M. Bouillon est médiocre, ce descen-dant des croisés me paraît plus infime et plus inexcusable

que le restaurateur. Oui, les nobles sont habillés avecdes pages d'histoire; seulement ce costume veut être

porté ainsi. », fit-il en désignant Léonora. « Noblesse

oblige, et celui qui l'oublie, que son écu soit penchéà gauche et le lio& de ses armes diffamé il est pis quebâtard, félon H.

« A quoi la noblesse est-elle obligée sous une

République? » demanda M. de Genneton.– « A la renverser » répondit Mérodack.– « C'est si facile, n'est-ce pas? » s'exclama Nonan-

court.– « Rien n'est facile, monsieur, pas même le bil-

boquet, pas même la philosophie allemande. »« Le jour où la noblesse a accroché son épée aux

panoplies, elle a abdiqué », jugea Courtenay, et il se

répandit en amertume sur le comte de Chambord.« On ne juge pas le roi ? s'écria la duchesse de

Noirmoutier, qui avait le mysticisme légitimiste d'unBlanc de Saint-Bonnet.

Mérodack sourit.– « Je suis monarchiste parce que je suis hiérar-

Page 145: Le Vice Supréme

~4*2 I~E VtC~&~PREttt: 11_

chiste; mais la couronne nf me cacherait pas l~s oreillesd'âne. Un roi qui ne fait pas son métier de roi ou quine sait pas le faire, on le dépose doucement. T~nequitté, trône attendu, sont trônes perdus. n y a te Jac-ques II, avant 16 lettre. Ah! celui à qui la Rrovi~n~a mis dans 'la main u-&prmcip'e et qui croit a ~e pt4&-cipe, celui-là doit triompher ou mourir. Aux rois, il fautde la pourpre; si on la leur refuse, qu'Us s'en fassentavec leur sang. Aux rois, il faut de FMstoire et si lesévénements s'y opposent, do leur inutile épée qu'ils écri-vent au moins me page, celle de leur mort. »

Il y eut un gre nd silence après cette tirade.La duchesse de Moirmoutier le rompit.

« Être îe premier honnête homme de France, c~stêtre digne de régner. ))

« A chacun les vertus de son état », répliqua Mé-rodack. « Être bon père, b~n époux, StdSt au citoyen';le roi est le père d'un fpeupie et l'é~mx d'un~ matiez.Ses devoirs envers le pays priment ses d~~irs indivi-duels. Que le roi soit royal, ou je le c<~idère commevous me considérez, Madame M.

« A /o7t~ » inmnua malicieusement la prmcesse« le noble qui ne fait pas acte de noMesae, n'existe pasà vos yeux »Mérodack opina de la tête.– « En <pMM faites-voiïs consister l'Aristocrate ?

demanda M de ChMnarande.– « En aristocratie d'intetHgenc~ et en aristocratie

de dévouement. Se saeriner à une Mé~, à une cause auprochain, c'est imiter le Sauver; et manifester unepensée en u'ae œuvre c~est pTouver l'âme. La noblesseest tête ou cœur, vertu ou chef-d~Mvre. Qui niera quele B. Labre est plus noble qu'un Bourbon? H

I! y eut des protestations.

Page 146: Le Vice Supréme

LE ~ME SUM~ME 14~

– « Prenez garde », fit'il, « l'Eglise l'a béatiGé, il jjest ennobli pour l'éternité. Et croyez-vous encore que ajjtous les princes d'Italie pèsent un Dante!' »

« C'est la première fois, » s'écria Mme de Noir- jmmoutier, « qu'on entend cela au faubourg Saint-Ger-maini »

« Tant pis pour le noble faubourg, madame; c'estfaute d'avoir compris cela que la noblesse n'est ni aucœ~r de Paris, ni, au cœur de la France, mais au fau- m

bourg au propre comme au figuré. » §– « Moi », dit la princesse, « qui n'ai ni la vertu

de Labre, ni le génie de Dante.. )) i– « Vous avez toute la perversité de votre race, qui

n'a été que perverse, vous continuez vos ancêtres. »

Léonora, très amusée, riait.– « Faites-moi la grâce d'un peu d'horoscope, puis-

qu'on vous dit sorcier. »– « M. le comte de Rochenard », annonça le valet.L'air ému, il salua sans sourire.– « Princesse, mesdames, vous voyez un homme na-

vré. Ce pauvre comte de Kerdanes m'a provoqué.« m s'est enferré dans ~tre épée, » interrompit J

Mérodack.Le comte se retourna vivement. J– « Vous avez la main fatale, » dit le- jeune homme.– « Voudriez-vous l'éprouver? »

Mérodack sourit saas répondre.« C'était un g~ntiM~omme,quoique tombé M, fit le

prince.Il y eut des phrases hypocritement apitoyées sur

M. de Kerdanes. aj(( Voila mes maims, » disait la princesse à Méro-

dack, « dites~noi une chose 4~ 'passé, une chose du

présent, une chose d~ l'aveaip. H

Page 147: Le Vice Supréme

LE VICESUPREME

~t~tMérodack se leva, prit les mains de Léonora et lesexamina avec immobilité 1

« Vous n'avez pas aimé, vous n'aimez pas, vousaimerez un prêtre », prononça-t-il.

Léonora se prit à rire.« Vous, êtes meilleur penseur que vrai sorcier. »

Mérodack la salua comme pour sortir.« Attendez, seigneur d'Assur, j'ai une proclama-tion à faire qui vous concerne; je donne un grand bal

paré, le lundi gras et je tiens à vous y avoir. »Merodack allait tourner poliment un refus, quand la

marquise de Trinquetailles, entrée depuis un instant,s écria

– « J'arrive au plus intéressant, et costume au choixl »Un vicaire de Saint-Thomas d'Aquin, empêchant qu'on

l'annonçât– « Je n'ai rien entendu » fit-il.– « Ah! l'Abbé » interpella la princesse, « vous,

avec votre soutane, vous êtes tout déguisé ».« Altesse, pourquoi plaisantez-vous? M« Mais vous n'êtes pas un dogme, vous êtes un de

ceux qui perdent les dogmes. »– <( Je suis donc un mauvais prêtre? »– (( Oui, vous êtes un prêtre mondain. »

« Eh! Altesse, si nous n'allions pas au monde,le monde ne viendrait pas à nous. »– « Noli ire, fac venire, » dit Merodack.« Je vous présente, l'abbé, un Assyrien, le sei-

gneur Mérodack, qui nous a dit sa pensée sur la noblesseet qui ne vous amuserait pas, s'il la disait sur le clergé. »

– « Monsieur est libre penseur? » hasarda le prêtre.« Je suis le fils soumis de l'Église catholique, apos-

tolique et romaine; mais le dogme et le clergé sont deux.

Page 148: Le Vice Supréme

LB VMB SUPREME 145

10

a z an

<, e~t saint Christophe portant Jésus et je trouve qu'il leporte mal, ce cle~é qr; n'est même pas une clergie etcroit son devoir accompli, quand le bréviaire est lu. »« Que voulez-vous donc? » demanda l'abbé

« Qu'il soit assez savant pour confondre l'erreuret assez saint pour museler la calomnie. »« Eh! monsieur », fit le vicaire, « il ne peut pas y

~ene~ des savants, que des Vincent del'aul et des Thomas. »– « Tous ceux qui ne sont ni intelligents, ni saints,qu'ils quittent le froc: ils sont médiocres, donc nuisi-bles. »

« M~s où recruteriez-vous le clergé nécessaire? »'< L'Ëglise serait plus l'Eglise avec deux saints, l'un

pour dire la messe, l'autre pour la servir, qu'avec lacoh.e de médiocrités qui engangue le catholicisme. »« Vous avez votre paquet, l'abbé », fit la princesse,et a'jt jeune homme « votre parole rappelle le Néaudarmesque tiennent vos aïeux, aux bas-reliefs de Kor-sabad Mais dans la vie, comment faites-vous? »

« Je vis à l'écart. »<(Quelle est votre position? » demanda Mme de

innquetailles.qua~i vôtre, madame, qu'elle est~Ue? » répli-qua-t-il..–

« Moi, Mfit-elle étonnée, « je suis marquise. »

~–(1 Princesse, merci de votre accueil, il est méri-toire.« Du tout, j'ai quelques-unes de vos prétentions,c'est de me dire votre alliée. je vous attends à monbal. »

« Peut~tre, )) St Mérodack, qui salua Corysandre,serra la main à Courtenay et sortit.

Page 149: Le Vice Supréme

~46 ubVtCRSUMtêMR

– K C'~at <Bnek~'u& <~t A<My~ea~.'– « bK~ BM~v~iM opctpagai~ ob~rv~ M. dr

RochenMd. i

– c Ma;s de ÏM~ ON!, » dit ~aMMM<e~ Mg~~

dant smg~~eaMnt.

Page 150: Le Vice Supréme

XIX

LE BALt

Un bourdoMMmeât de fête, par 1~ baie otkttceimte1 'atrim&, veMdt jusque !a ~onr!, où tes équipages d~~niMent saa$ bnHi~ socs la~neige tombante.

Sarkis, en Cassandre, causait avec M6rd<n~< Sveite~enhaut~de~ânMeSt~st~CG~etïnaH~ncir~unnMm-teau de Valois à F~~ une ép~co~Mè au cû~l'étrange jeune hMnme semtbiait mi-partie HMmte~ etMéphiatophelès. Do 8M!cheve<tx< qui 1~ c~tv~ien~front de boucles lourdes, perçaient deux pertes cMMa'd'or.

– « VûM t~v~zl'art de~ vo<MMre ~6 eam~ni~ a~ di-satt SMkt~~ M mardi oa vou< ête& v<nu j~ sw~ enMaa saïon&ppea votre départ. 1~ voa~ dépeçaient. Vow~aviez! wm avocat pourtant, la princesse. Que' lui M"eoMvous donc pronoptiqué, qu'eUe aimeraetuit'prêtée~ w

< Je t'ai la dan& sa nMin. M– <t En~cenous)), demandaSM'Icis, « vo~ts etoyea è

la chiromancie? »7'– « Gomme à tonte science d'observatto~ et d'ana-

lyse. ? EtJm prenant la main Vous croyiez occuperle portt vowe qui avez tant voya~é~ veu~ voyagerez en~ Jcore. ? Et rénéchissant « Cela se lie à l'amour aae~lège de la princese. »

–e Si voM~la connaissiez oomime mo~seig&eur Mé-rodaek, voM ne prononcedez pas le n~& de l'amour etle sien ensemMe! w.

Il

l,

Page 151: Le Vice Supréme

~S LE VtCB SUPREME

– t< Il y a un ananké passionnel pour tous les ini-tiés exceptés. »

– J'ai tu Jamblique M, fit Sarkîs à demi ironique.« Vous savez alors », commença Mérodack, « que

l'épreuve suprême et vingt-deuxième consistait à ré-sister à des femmes vêtues de gazes, après festins, mu-sique et parfums. L'épreuve porte & la chair seule-ment. Les hiérophantes pensaient-ils que ta tentationsentimentale n'existât pas pour le néophyte arrivé à cedegré; ou bien la conception de l'amour sentimental était-elle encore inconnue? L'initié moderne doit subir l'épreu-ve sentimentale ».

« En matière de péché, je crois saint Liguori !avictoire, c'est la fuite », observa Sarkis.

« Fuir, c'est la craindre; la crainte appelle la dë-faite. Affrontel dit la magie; « affronter c'est croire à làvictoire et la forcer ».

« Dangereux cela! )), dit Sarkis.Ils entrèrent. Dans l'immense salle aveuglante de lus-

tres, une féerie avait lieu. Aux trilles des rires, le frou-irou des soies, le craquement des chaussures étroites semêlaient en un bruissement d'un charme indescriptible.Les bras, les épaules nues, les maillots précis provo-quaient les reins; subtile et dominant les parfums, uneodeur de peau de femme, de peau meite caressait im-perceptiblement la narine.

La princesse d'Este, en pèlerine d'un départ pour Cy-thère, s'appuyait d'une main sur un bourdon enrubanné,de l'autre bénissait d'un geste ironique îes arrivants. Sespieds nus s'étalaient sur de hautes sandales, pour lebaiser des yeux.

« J'ai joué votre Orgie », disait-elle à Cadenet;« vous avez débauché la musique, vous avez créé leeatinisme des sons ». Et apercevant Mérodack

Page 152: Le Vice Supréme

j

LE VICE SUPREME1J

– « Que Dieu bénisse le diable! Préoccupée de votrepronostic, j'ai pris le bourdon. M

«Toucher aux symboles est une témérité )~fit lejeune homme.

« Esprit sombre, voici du rosé répondit la pria-c~sse en lui montrant la marquise de Trinquetailles enamour de Grévin, aussi nue de gorge et de dos que po<~sible. Riante, elle vint à Mérodack

« Votre cou est joli dit-elle; et la princesse re-marqua la beauté et la pâleur du c~u de l'Adepte restésilencieux.

« Je vous fais un compliment », reprit la marquise« et vous ne me dites pas comment vous me trouvez? 8– « Utbscène », dit le jeune homme.– « Oh! le vilain diable qui aurait besoin que je luireboute les idées. »

« Parlez, j'écoutai comme on écoute les femmes,avec les yeux. »« Et votre Marestan? » demanda la princesse à la

marquise.– « Marestan H interrogea vivement Mérodack.– Vous le connaissez? Mdemanda à son tour Mmede Trinquetailles.– « Un bronze indo-provençal, poète mystique. »

« C'est bien le signalement. »– « Comment le connaissez-vous vous-même, marqui-

– « Oh! HSt la princesse, « elle le connaît in cu~ ».– « Tant pis », s'exclama Mérodack.– « Pour qui? M– « Pour lui; un poète ne doit pas être pris comme

donneur de sensations, et je le relèverai d'où il est tom-bé. »La princesse se mit à rire.

Page 153: Le Vice Supréme

4~0 LE VICE SUPRÉMZ

-– K La <~t~e c~ est ~oKc, cMtOtM'eu&e.

– <( Pour un peu/vous me menaceriez de me te pFea-t

dre, w<it ia'BMFquiseawc ça mauvais Tire. «Senez-ivbus

le Socrate de cet Alcibiade?

Mérodaek ne daigna pas répondre; il s'adossa à une

colonne et csroisa l<;sbras.

Dans le beau d ~cor Renaissance, la mêlée des costu"

mes éveillait des souvenirs de tous les temps, de tous les

peuples. Le prince de Courtenay, en Louis XIV, se pié-tait comme si la Postérité t'eût vu, entouré de mignons,

de rafiinés, de frondeurs, de mousquetaires, de gardes

du corps, en un pastiche de cour, 0& des incroyables

apportaient leur joli ridicule. Quéant en pierrot amusait

de ses grimaces tout un troupeau dé berbères des Alpes,

du Lignon, de Trianon. Le nombre des travestis étonna

Mérodack. Toute& les femmes minces de taille étaient en

pages, en petits ducs, en Déjazet. Antar passait, la corne

dogale en tête.

« Cela vous a frappé, vous aussi », lui dit-il.

« Quoi donc? iBMn eher Buonarotti ?.

« Quei! mais le chérubin, l'épbëbe, l'aindrogyne.

Tenez, cette ode à Bathylle qui passe, cette Maupin!

– Ah! St-il voilà qui~ vous M bon œil au milieu

des turpitudes du collant; voyez là-bas -Mlle d'Urfé en

~lélie! Quelle pudeur cette chair rosée sous la gaze

parle à l'âme; tandis que ces pieds nus un monde de

perversité dans chaque orteil. Il y a 'bien de la peau à

l'air ici; tout disparait devant l'impudeur de ces pieds.Vous êtes bien heureux de ne pas vibrer à l'érotique;

~ëla me détraque, moi, et mon cerveau s'embourbe. La

v~Mi qui vient à nous comme sa démarche ondule; vous

voyez, je m'emballe pour des. Ahl cette fatalité qui

n'épargne pas même la main de l'artiste!

Page 154: Le Vice Supréme

MiVtCESUM~ME 151

f~tH* M~M~~t~l~ ~t tt: ~t– « Seigneur Mérodack, quel discours plastique voustenatt-ïl?

–«Sur vous »– « J'entends; nfes plis son~ils bien? statuaire.– « Rs ont tes cornes de Mérodack! M.– « Oh! des piis qui ont des cornes, c'est à vous tes

Mire ?,Elle prit le bras de Mérodack.'– « Vous vous ennuyez? ))– « Non j'observe ».Ils tM~sèrent les coupes qui s'écartaient, les retfar~

dant avec curiositié.me1« Princesse, je viens d'entendre enfin voici l'hom-

me! M–«Qui a dit cetaP ?

– « Ce Buhdan H.– « Monsieur de Chaumontel », appela la princesse.

Celui-di s'approcha.« Voilà l'homme et voici la bête », en inclinant

deux fois le bourdon.– « Il faut que je change de costume. Voulez-vous

me tenir compagnie~ w 4« Volontiers », dit le jeune homme.

Cela fut proposé et accepté avec une simplicité indes-criptible. Seulement, ils échangèrent un regard en des-sous « nous allons ~voir ? disaient les yeux de la prin.cesse; « vous verrez a répondaient ceux de Mérodack, etils sortirent du salon en adversaires qui se sont dêSés.Sans qu'un mot eut été prononcé, ils arrivèrent au sa-lon de toilette, où des pièces de costumes s'étalaientsur les Tneubles. Elle congédia ses caméristes d'un gestede princesse a vaïetaiHe, non de maîtresse de maison adomestique.

– ((~bûs a~z me tourner le dos pour faire face Mx

Page 155: Le Vice Supréme

~2 JLE VICE sUPR&ME

exigences de ma pudeur », dit-elle en poussant un fau-teuil où le jeune homme s'assit gravement.

« Ne vous retournez p~s », fit-elle, « je me dévêts )).Devant Mérodack, une glace montait du sol au pla-

fond il y vit la princesse dévêtue qui l'observait, ilbaissa les yeux, en souriant de défi à ce sourire déjà iro-nique de la tentatrice. Le duel commença, entre l'im-pudeur désœuvrée et l'impassibilité hermétique.

Tout un long quart d'heure de silence, la princesse,les yeux sur la glace, exécuta la symphonie aux millenotes de chair du déshabillement de la femme, sansque l'impassibilité de l'initié se démentit. Il demeuraimmobile et comme hypnotisé par une rosace du tapis.

« Je finirai bien par l'émouvoir w, se disait-elle,et alors par un seul clin d'yeux je lui ferai payer lespeines que j'ai prises. Pas un regard, même furtif. Hsent, il entend cependant qu'il a devant lui une femmepresque nue et quelle femme! mot » Puis haut

« Vous vous ennuyez?a« Mais non, je songe ».« A quoi donc? ?« Aux cinquante portes de lumière. »« Ah je vais compliquer votre supplice, il faut

que j'aille à la glace, et je suis. pouvez-vous fermerles yeux? »

<fParfaitement ».Elle le frôla, heurtant à dessein son épée.Il sourit « vous fermez donc les yeux aussi?

« Votre fourreau de velours noir ne se distinguepas a.

Le prélude de l'orchestre arrivait en murmure rêveurdans la chambre où s'évaporait, alourdissant l'atmos-phère, un grand flacon de parfum que la princesse ve-nait de renverser par une apparente maladresse.

Page 156: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 153

Elle continuait sa toilette devant lui, l'effleurant d'at-touchements imperceptibles et troublants.

« J'ai peur que vous ne dormiez », fit-elle, « voiciun Balzac H.

I! prit le volume et le feuilleta, 'la vue trouble de sacécité d'un moment.

– « La duchesse <~e Langeais, admirable étude »,prononça-t-11, « il y a mieux et pis en ce genre, maismalheur à qui osera le 'peindre!M

« Au fait, vous gagneriez le strabisme à ce main-tien, regardez et ne péchez pas. »

Elle était en maillot d'un ton de chair juste; aubuste, rien qu'une chemisette, et ses bras nus croisés,elle regardait le jeune homme avec un pli au front.

« Avait-il tué la Bête en lui, peut-être n'avait-ellejamais existé, » et son amour-propre blessé eût vouluse prouver cette hypothèse.

« Maintenant, conseillez-moi, te costume grenat oucelui gris d'argent? »

« Celui gris d'argent. »– « Serait-ce abuser que de vous prier de me corse-

ter? »

Et le ton de cette demande raillait. Mérodack lui laçason corset sans empressement ni maladresse.

Alors elle fut troublée de ne point le troubler et elles'assit afin que l'œil du jeune homme plongeât dans sagorge.

Mérodack lui présenta le justaucorps. Elle se levadépitée, passa les manches.

– « Agrafez-moi », demanda-t-elle.Comme Mérodack évitait de toucher sa peau.

« Non, il faut prendre en dessous », et le jeunehomme subit au dos de ses doigts le contact caressant

Page 157: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

et moite. Puis il lui ceignit l'épée, 4ui passa son collier<t lui présenta ~a toque.

Elle était devant ila ~lace, arrangMnt ~es ohe\'eux– « Venez, que je voie notre contraste. H

~– « Prenez-moi ta taille M, dit~elle entourant celledu jeune homme.

Mérodaokobei~ commesi elleiui eût dit « tenez doncmon éventail

Dans une sollicitation de. la hanche et du sein'elle se'colla à Mérodack, inclinant la tête sur son épaule, aupoint que leurs joues se toccMrent.

Elle le fixait dans la glace, lui ne fixait que la glace.– « Narcisse M, St-eile, w vous n'avez d'yeux quepour vous, regardez-moi un peu, .par politesse H.

Elle le crut troublé. Les yeux de Mécodac~ eurent une~orte de détente et son regard éclata, si violent, qu'ellefit un « Ah M comme à une secousse.

Il la fixait maintenant, avec un sourire de force auxiëvres.

« Mais vous me magnétisez, je croi&P » demanda-t-elle, la tête subitement congestionnée et elle fit unmouvement pour se dégager sans que Mérodack fit celui

,qu'elle attendait pour la retenir.– « Qu'êtes-vous donc?a » s'écria-t-elle.

« Un magû », dit-il.– « Que pensez-vous de moi? » demanda-t-elle, sansarrêter à cette qualification singulière.– « Je pense que votre orgueil n'a d'égal que votre

perversité. Habituée à allumer le désir, mon indinérëncevous a piquée au ~if, et votre perversité, si elle a perdu:ses peines, ne les a pas épargnées. ?

La princesse ne cachait plus sa préocc~patïoo.« II faut que je rejoigne mes invités, vous rentrerez~dsBs le bal par la bibliothèque. ?

Page 158: Le Vice Supréme

– « Cela .me semble une intrigue d'amour », 6t~l,railleur mais toujours grave.

« Vous ne croyez pas à l'amour? » demanda-t-elle.« Non. »

– « Vous serez cependant beaucoup aimé. »– « Oui, parce que je n'aimerai pas.Ils av&tent quitté le salon de toilette et descendaient

l'escalier monumental.– « Cxoyez-wous -au plaisir physique? :) demanda"

t-elle encore.« ~tm. ?

Alors elle le regarda bien en face, et d'un ton demona~

– « Je~vou&.garde une valse. »« Je ne danse jamais; j'ai trop d'idées dans la tête,

et mon respect pour elles m'empêche de les faire sau-'tiller. a

– « Vous changerez. »« L'ange qui a six ailes ne change jamais ?, répon-

dit-il.« Invincible ?, se disait la princesse en rentrant dans

le bal; « mais moi-même n'ai-je pas vu le moment oùj'étais tentée par la tentation qui le laissait indifférent ».

« Ma paupière m'a obéi », pensait Mérodack, « maismes doigts ont hésité au contact de cette chair ».

Et sa victoire ne lui parut pas complète. Ce qui lesatisfaisait cependant, c'était la scène de la glace; là, ill'avait prise à son piège.

Il traversa la bibliothèque. De petits salons discrets etsolitaires se suivaient en enRIade. Au dernier, il se jetasur un divan. Aussitôt un froufou de soie lui fit lever 1~tête. C'était Corysandre.

« Vous êtes gentil, Mérodack », dit-eUe, la voixaltérée, en jetant sur une console, la paille mêlée de

Page 159: Le Vice Supréme

LE VICESUPRÊME'– LE VICESUPRÊME

Beurs de la folie. « Vous n'êtes pas même venu m<saluer. »– « Je vous avais vue à dix heures. »« Hier » fit-elle d'un ton de reproche.Elle s'assit à côté de lui, et toute balbutiante

« Vous allez dire que ce ne sont pas mes affaires,mais qu'avez v3us pu dire une heure durant avec laprincesse M

Mérodack fronça le sourcil devant cette jalousie prêteà pleurer, et lui prenant la main« Il faut qu'on votfs ait fait un gros chagrin Cory.sandre. »

Elle le regarda, les yeux troubles de larmes retenueet par un mouvement de peur se serra contre l'initié,toute pleurante. Le visage de Mérodack se couvrit detristesse. t

Elle pleura longuement la tête sur son épaule.« Si on vous a offensée, Corysandre, je vous ven-

gerai. »

Elle dit, très bas« Toujours, toute la vie, vous serez là pour me

consoler. »« La ~vie est incertaine, mais autant qu'il dépendrade moi, je serai toujours votre chevalier. »

Elle releva la tête, rassérénée. Mérodack lui essuyadoucement les yeux. Elle était encore toute secouée parces hoquets qui suivent tes pleurs, et sa gorge battaitla soie de son corsage.

« Que vous a-t-on fait, Corysandre? Dites-le moi. »« C'est le marquis de Donnereux. M est venu der-

rière moi et m'a soufflé dans l'oreille « Votre galantest dans la chambre de la princesse. » J'ai change deplace, il m'a poursuivie avec de semblables paroles; jene l'ai pas dit à mon tuteur, qui l'aurait souffteté. »

Page 160: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 157~K ~iUB SUPREME i57

« Je le ch&tierai, sans soufSet, et tout à l'heure.)Quantà son insinuation, imposture. La princesse m'estindifférente; et puis nous ne sommes que frère etsœur. »

– « Ah 1 » fit Corysandre qui pélit.« Retournez au salon, Corysandre, je vais vous y

venger. »« Oh 1 vous êtes bon », fit-elle.

Et avec un embarras rougissant, elle tendit son frontqueMérodack effleura à peine

« Je vous obéis, mon chevalier n, et elle s'en alla,retournant gracieusement la tête.

Mérodack fronça les sourcils « Rien n'y manque »,pensait-il; « après l'épreuve charnelle, l'épreuve senti-mentale. On porte son mal, mais en faire à autrui! Ellemourra de m'aimer. Courtenay a eu tort de nousmettre en intimité journalière. Son dessein est que jel'épouse! Est-ce que Hamlet épouse Ophélie?. Je vaisdoncbriser ce lys1. »

Son œil rencontra une glace, il s'étonna de sa pâleuretsa pensée descendit dans le passé.

Page 161: Le Vice Supréme

XX

AMËRODACK

Poète inconsolable de n'être pas un, génie, myattcpt~idésoié de n'être pas un saint, son vain effort vers la per-fection de l'esptit et du cœur, dès quiMe ans, assombritsa pensée.

Embourbé un moment dans 4a fange DassionmeUe, ils'en dégag<)&avec la fureur d'avoir été trompé par lachair et voM par l'amour; il s'enfuit dans ta fo~ et~tièd~

imp<MSsani & créer, impuissant aiBNMT,renvertét~toutes ses chimères, iL fut piétiné par oHea.

Avant d'apercevoir le sphinx de l'initiation, U a'étN<

jeté dans une lecture, à esprit perdu; poup Mppwterson infériorité, il se dépaysait de~lui'mèmB; il eut, beau,sans relâche, verser en sa tête, comme dans un tonneau*

Danaide, le Verbe écrit, les sciences ne faisaient qu'ypasser. Le livre lui gâta la vie; l'archaïsme de ses pr~'occupations le ferma à la modernité. A s'isoler du

siècle, ii contracta l'habitude de la vie artincieMe ré-

trospective, et comme son corps d'éphèbe jurait avecl'habillement actuel; ses cogitations portèrent toutes desdates lointaines.

Comme tous les esprits à vol d~gle, qu'ils produi-sent une œuvre à leur taille ou avortent dans une com-plication stérile, vont aux sphinx et leur arrachent deslambeaux de mystère, Mérodack avait été conduit à~'hermétisme par la métaphysique.

Page 162: Le Vice Supréme

LB VICE &UPR~MB 15~~o vt~n i.yufj.usMH i0y

D'unej enfance pieuse; il gardait une grande foi catho-Hque~ setayant de sa science kabb&Ustique, il souriaitde Kant et <i'He~ fous qui ne pouvant éclaircir le.mys~re humain l'ont nié, téméreiœs qui de leur inau-tonte de. décadents ont. biffé la tradition universelle ysubstituant leurs hypothèses de songes, creux

« Je suis un mage avaiMl dit à la prince, et.ce mot dont le sens e~ perdu, l'expliquait tout entier.

La Providence lui permit, par, une de ces fortuiteaux conséquences décisives, de rendre un léger serviceà 1 auteur des Harmonies de l'être, qui le remercia enlui demandant la, date et l'heure de sa naissance et. enlui envoyant son the~e nativité un carré de papieroù les douze signes du zodiaque, rangés dans les douzemaisons du soleil, représentaient l'état du ciel à sanaissance. Au verso ceci « Le livre de la destinée n'est,~rit que pour être dé&hiré )), et l'indication du. MiroirAstrologique de Junctin et de l'in-folio de J.-B. MoTinl'astrolceue de Richelieu. M avait donc à faire le com~mentaire de son thème; il y léussit au bout de trois mois(t études et resta confondu son passé était écrit jus-qu'en set mystères et l'avenir s'annonçait effroyable. L~carré zodiacal n'était qu'une voie cow~ste. où la moin-dre des menaces astrales pouvait se phraser ainsiassassin par amour.

K A. quoi sefvicait- de prévoir, si on<ne pouvait, évi'ter? » pensa Mérodack changer ses passions, n'est-cepas changer ses destinées? Il connaissait déjà le livrede la Formation, ce Zobar dont les commentaires char-geraient un charnu i; il invoquait Dieu par celle des dixsplendeurs qui. correspondait à l'objet de sa prière Tâ-tonnant à la recherche de l'initiation, il demanda leurslois aux nombres, aux lettres leur ésotérisme. Il savaitt explication médicale que Chevillard a donnée du spiri-

Page 163: Le Vice Supréme

160 LE ViCE SUPREME

tisme et ne s'y arrêta pas. Il ouvrit les grimoires, maisil les referma avec dégoût, quand il sut que le chevreau,à égorger, de la Goëtie, était un jeune enfant. Il s'écarta

de ces œuvres de ténèbres où les chauves-souris de l'hal-

lucination, volant en zigzags, énervent et dépriment lecerveau par le contact du velours humide de leurs ailes.« Restons dans la Théurgie », se dit-H, « le Bien ne peutmanquer de moyens d'action quand le Mal en a tant! ')»

Enfin, comme un t.rc-en-ciel, dans son anxiété, lui appa-rut le dogme primordial La Volonté. Il composa cettefameuse Théorie que Balzac le Grand avait conçue intui-

tivement mais plus heureux, il put déchirer le voile

isiaque des vingt-deux arcanes de la Doctrine Absolue,dans leur triple rapport avec les trois mondes. La voie

trouvée, le premier pas, c'était. la continence absolue.Les hiérophantes ne sont plus là, pour ouvrir la porte

de bronze du Grand Sphinx au postulant, et il faut ce-

pendant dompter les quatre éléments! Perplexité de Méro-dack « me jeter dans la Seine du Pont des Arts, être

pompier, être Nadar et Hanlon Lee pour un temps, non.Je veux la Puissance métaphysique, il me faut dompterles sept éléments du Mal, les sept péchés capitaux! »

Pour l'Orgueil, le soufflet reçu publiquement et gardésans représailles lui parut l'extrême humilité. Sitôt, ufut d'un cercle, choisit le plus doux et le plus faible

~u'il irrita, afin que la jactance de la provocation et sa

gratuité augmentassent son humiliation. Un soir où il yavait beaucoup de monde, il insulta tellement l'individudoux et faible, que celui-ci, pris d'une terrible colère

d'agneau, le souffleta magistralement. Mérodack crut~'évanouir ou sauter sur le soufneteur, mais il eut laforce de demeurer là une heure durant, sous le méprisdes regards, tandis que le mot rouge, la « muleta » quifait l'homme furieux « lâche )) &erépétait avivant le

Page 164: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 161

PI ~sa Cn innn· 11 1. 1- 1.£- -L.-

n

stigmate rouge de sa joue! Il but la honte, rubis sur lefront, se disant j'ai vaincu l'orgueil; une glace lui mon-tra M6 yeux étincelants de superbe. Il connut là quel'orgueil est tout l'homme; que le réduire, c'est abdi-quer son entité; il fait luire les clous du cilice; l'humi-lité n'est qu'une de s~ formes au lieu de le combattre,il faut l'exalter vers le Beau. Puis de ses six mille livresde revenu, il en donna trois aux pauvres; ce qui le gênafort dans les frais de son initiation.

Considérant la continence comme une habitude main-tenue au corps par l'esprit, et la lubricité comme un plidu corps laissé sur l'esprit, il troubla à regret les formerpures de son atmosphère astrale; mais il fallait impé-rieusement dompter la Luxure, co vice si universel et piactif que le psychologue a le droit de faire de la Bêteun persornage de ses études passionnelles, personnagequi contient le déterminisme de presque tous les autres;car rien n'est vivant et vibrant que la Bête dans la moi-ue des hommes.

Mérodack vit des femmes nues et il ne fut point tenté;il s'ingénia pour contempler des déshabillés, des toilet-tes, des levers, des couchers, des bains, des sommeils. Illut toute la littérature de la chair de Martial à Meur-sius et à de Sade. Il considéra toute l'obscénité de l'art,depuis les Phallus, les Linghams, les Baphomets jus-qu'aux albums sans nom de Belgique et d'Espagne. Ilremplit sa lumière astrale de reflets lubriques et subitdouloureusement l'obsession de tout cet immonde quibourdonnait à ses oreilles, qui papillotait à ses yeux, quihantait sa pensée.

i

Le vice brutal contient une nausée qui en éloigne; ilse tourna vers l'érotisme prestigieux du grand monde.H résista a 1 impudeur, cette magie des reins. S'il edtconnu, en ce temps, la princesse d'Esté, il aurait déQé

Page 165: Le Vice Supréme

~~3 LE ~tG~. SUPf~ttB

ce~e.CM, tortura,peut ~e, m&is N'J~d~i~~aMMavoTU<w.A ce jeu, ~uo I,a.FaM~ m~e-n'os~~ a~tejfHercule il tomba dans <w ~tat ~éb~ et <wn~wtetMmrpré, ~ar.d96 déprËMion~, Ïe&excitât~ qu'à s'<nnpe~t.il risqua. de o~ourir d~ <!oo~estM)n~e~rat~:

U lui fut simple d'tn~pîrer des c$~u;~s ~~QM, )0~la volw)t$ s'h~oTs~t dji e~re d'jef, et <~ r~gueil Mtaussi natte que les sens~ par c~t aecessome 4n p~e~ô quile rend délicieux oa banal, n s'assit sur toj~ dM ~x~tations, mais ne le quitta que pour s'~ntuip. Derr~tM J.m,les orgueils Messes criaient ~mjiH'e ds la~enu~etï?<MmD~dans son desïr. L'ainoMHuaquc qm le d~s~ de .l'tvco~gnerie sexu&He, c'était le souvemr demeuré a~u d~sdemains de possession de son temps libet'tm o~ d~~tqui finit le plaisir comme la mort unit. v~ U 1' Mprofondement grave en lui,. qu'à l'évoqua, U ~aisati Jnirles obsessions charnënes,

oqu«

Il alla à ces femmes oétes, souvent Jlaid~§,aue le vicede beaucoup d'hommes a aimantées de v~ujp~; il .$!!&jusqu'à l'extr~ne bord du péché et n'y tomba pas. Cefut là te dernier effort de sa. prophylaxie la J~thdd~te.Mais comme il disait, il n~y a qu'un moment, à, SarMs,l'initiation moderne doit porter aussi su~ cet amoursentimental qui traï~ugure la volunt~~ an ~mf qu'ellesemble la suprême vertu, dans la cécité pûssionnalle.

Magnétiseur, il dédaigna les philtres~ se ~rvant tou-tefois de la plante attractive de Van Hel~nont pour ac-c~érer ses victoires et hâter son temps. d'épreuves.

Il se fit aimer de pures jeunes CUes, il vit la pudeurs'onrir, les cœm's vierge rBcëler son ima~e. n put sedire comme Don Juan <( Je suis Ï'<~M?M de cetteâme ~~MMs il saigna des larmes qu'il faisait couler. tîneentre toutes réunissM't to~s tes prestiges, celui dunom illustre et de rextrêmie jeunesse, RU ouvrit son bal-

Page 166: Le Vice Supréme

LZ~VK:E 8UFK!~MZ 1~

con, & ta campagne. M~avait par dévêts lui une c<Mtt$-nence manstï~eas~: et persom~ au monde n'eût r~tôà MM pajneitte t~Mom de Paftdis. JI ~i MuSta surfront; n ~t de cacesses que dc< pM$es magnétiques. laporta sur son lit et s'assit au pie& tl ia veilla mMu~chant du coq, la reveUla avec sou~e ~oid et s'en~tsaluait raurore qui se lev~t, tandis que naissait eu luila conscience d'une force nouvelle.

La Sete était vauncue dans tous ses pFoMïsmes* H fal-lait ln ~saer. ti eut pïusieurs jours de d~'tre, de Sevréet, d~x mois durant, fut obaë~ des fanantes lubriquesdont' ït pargea enBn son atmosphère affale.

Qno!<pte te géaie et ia sainteté seuls lui parussent en~vmb!es, il v~eut ~B!p$ pour autrui, aMaatt à pros-péNté.. à la rôpuiatMon de tous ceux <~ rencontpauLdonnant d~ tois aux aava~s, des idées .aux ë<M'ivaina,meMMit saa indigence au service de tout venant

Il se créa des habitudes <te mets exquis et de vins MMsse mit ensuite au pain. et a l'eau, resta d~x joura saMboire. oe qui fut hoo-iMe et trois jours sana mangerMême il cessa. de ,fumer; et ce fut là un grand enoct

L'épreuve de l'argueil co~prenajat ceUe de la col&re;par ac<t<ut de consoMnce et amour du nombre sept (Sab-baoth~, te nombre de Dieu, il surmouta la papesse.

S~lon la méthode de se créer une obsession de ce qu'Uvoulait vaincre, il se fit de l'oisiveté une habitude. PuJnbrusquement lut dix~huit heuBes par ~ur, et écrivit troiscents pages métaphysiques en un mois – et ce îut fini,enfin!1

Un Men-etre menaMe descendit en lui, il se sentit in-vesti d'un pouvoir sans borne. Maître de lui, il le seraitdes MttM~ q~Mmd H vaMdpait. M lui Mmbla que sonâBMsubNti8ée av~t <rejeMtm peu <:teBonlest de chair.

Les a~fMtMMM sont 'propoctionn~le: aux dettiQ~ee'

Page 167: Le Vice Supréme

~84 LE VÏCB SUPRÊME

<~aussi, le hasard apparent d'une messe entendue à Saint-

Jacques du Haut-Pas, lui fit rencontrer le rabbin Si-ehem le dernier Kabbaliste, qui fut son Josué, lui donnales pentacles suprêmes et lui communiqua le secret ar-cane qui ne s'écrit, jamais.

Dès lors, il scinda sa vie en une existence extérieure

qui cachait l'autro toute à l'occultisme.

Présenté par Antar au prince de Courtenay, celui-cisubit le charme du Mage, la sympathie invincible qu'ilinspirait, au point qu'oublieux des idées de caste, il

songea tout de suite à lui donner Corysandre, et l'attira

sous des prétextes de leçons, à l'hôtel de Courtenay.

Ce bal était le premier auquel assistait Mérodack; il y

regrettait ses soirées de méditation, fatigué des lassantes

épreuves qui se dressaient d'instant en instant devant

lui, et qu'il franchissait sans peine, mais avec l'ennui

d'une déperdition de force oiseuse.

Ne vaudrait-il pas mieux, pensait-il en concluant,se ressouvenir de son passé, aimer cette adorable en-fant qui m'idolâtre, et vivre heureux de cœur, dansl'ombre douce d'un sentiment pur? MMais il sourit bien-

tôt de se découvrir ces pensées. « Mon r<&vedépasseratoute réalité toujours. La déception est le plafond- o!t

toute exaltation se fêle et s'assomme; on se lasse d'un

ange J'ai le cœur à la tête, je suis le fiancé des idées

m cheyalier de Malte du Mystère. J'ai trop dépouillé de

l'homme pour m'absorber en une passion. »

Une larme glissa sur sa joue pâle et s'accrocha un

instant comme une perle dans sa barbe frisée.

Il reprit son masque d'impassibilité douce. En rentrantdans le bal, il songeait à ce tendon que toucha l'angedans sa lutte avec Jacob lui, boitait du cœur.

Page 168: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 165

Il avait détruit la dualité de son être, dans un effortsurnaturel qui, le haussant au-dessus du bonheur, lelaissait au niveau des souSrances; car les larmes sontdes ablutions saintes; elles contiennent le sel qui empêchela corruption de l'homme.

Page 169: Le Vice Supréme

XXI

MARESTAN

Dans la bibliothèque, Drouhin et Spicq, en manteauxvénitiens, causaient

« II n'y a pas de génération spontanée les datessont toute l'histoire de l'art. Pietro della Francesca an.nonce Léonard ».

– « Comme Rotrou, Corneille!1 Parti pris 1» repli.quait Drouhin. « La rengaine du genuit. Giorgion a en-gendré Titien qui a engendré Van Dyck, qui h engendréVélasquez qui. »

Un personnage maigre gesticulait avec quelqu'un del'Institut:

– « Archéologues du. Nord, vous êtes tous les mêmes.Parce que dans votre pays on a bâti en bois jusqu'aux* siècle, vous~niez les monuments en pierre mérovingeset karolinges du Midi. Comment pouvez-vous prétendreque de Constantin au xi' »

– « Voilà le Léonard », disait Antar à Marestanhabillé en majo, et le laissant devant la toile pour allerserrer la main à Spicq.

A mi-corps, une dame rousse, aux yeux chimériques,au sourire diabolique, presque roide dans sa robe d'unrouge violent, croisait ses deux mains étroites sur sapoitrine dans une contemplation ironique de sphinx.

Marestan, fasciné par le chef-d'œuvre, tira son carnetet se mit à écrire vivement, regardant le tableau parbrefs coups d'œil, comme s'il dessinait.

Page 170: Le Vice Supréme

Vt<~B~JE~êME 67

– « Votre ami », dit S~cq à Antar, « croit que c'estun Vinci, c'est, un Salaïno )).

– « Un Luini, ou pJLut&tun BelJLcanïo», et U&dis-cutèrent t'attribution.

– « Pendant qu'en m~settajblesergoteu~~ nou& discu-tions l'auteur et la matière.,de l.'œu~re, le.poète eu a saisil'esprit H~dit Antar. « Il a va de la poésie, là où nousn'apercevions que de la couleur, et le chef-d'œuvfe s'estprouvé en lui inspirant une ode ?.

« Lisez-nous cela, Marestan. »« Ce&messieurs ignorant sans doute 1&provençal

observa ce dernier.« Nous savons l'italien », fit Drouhin.« L'italien c'est bia~ mais le provençal c'est

mieux)), remarqua Marestan avec assurance. « DantevouhM d'âDOpa écrire sa Dfo~ Cbw~e en provenc~fce n'est que par patriotisme qu'il adopta le dialectetoscan. Alfrpsté je vai~ traduire))

RITTRATO MVLïEBRE

Pifus p~~e ~u$ ~'<M<6~d'/tt~Bf; ~tts ~!ct~ehe'que !tt Ctfc

[<fes cierges,Ses deu~' tt~t~ Mme~~M«t~ s<t ~ttrme p!o<e,Elle se tient <~ dh~tfe <!Atts'«t r<Mt~eDu sang des ca?Mrsqui sont morts à MtOMerpour elle.La perversité niche aux coitt~ de sa bouche;Se<!sot~t~Mt~<MtteM)M~~< deAti~StnM' e~ ~?0~ pers, diamants cérumens

~Mt/ta:ett<<<€Ï<tt~ta<ttesohtme'nM)S<rp€tM'e~ïe rouet des impossibilités.

Page 171: Le Vice Supréme

LE VICB SUPRÊME

n

Faire éclore la grenade sur <M;oue<, entr'ownr~ Mv~Pour fe baiser; détourner <e<yctMCdes owoM, beaucoup

Ils sont morts d~ne~; elle est restée pd!e,[~'OMttente.

Les lèvres /erM~ sur son <ecr'e<.L'Amour qui ~'e!< que l'amour, la vertu Mns lé crime,Elle n'en a pàs lOM~u.César Borgia et ~<nn<-Fr<M~oMd'Assise en un, elle e~

– [aime;Mais le monstre n'est pas Menu et M pensée a cottftMMeA filer le rouet d~ ttMpos~tt'tHt~.

IH

Dans l'attente du Bien-Aimé, elle n'a point <Md'OMt~n~.Elle l'eût pressé, <~ot<~ peut-être, <w M poitrine plate.La grenade eût fleuri à «~ joues, sa ~re M ouverte

fou ~<tt«fSi Saint Mtche~ eût pu être OM~ SotM, Satan eut été

rSotMt Michel.Léonard, maître subtil, ï'e étemisée aur ce panneau.~( jusqu'à ce que la solide pe~ittre t'eca~~ comwe un-

[serPent ?Mt perd M peau.On la verra ~M~t vivante que quand elle vivait Dans

[<~ yeux de merGrands et clairs, froids e< calmes M penséeFtïera toujours le rouet des ~~ot~M~te~.

IV syot qui as re/u~e <a lèvre au baiser p~o/ane, qui a< fe-

n [p<MM<e~a cya~eBourbeuse de la pa~~ton; et qui es <-e<teed<M<ta conti-

{nence de <a<n«.

Page 172: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 169

Fidèle d ton vice monstrueux, 0 Fille du ~inct MuseDépravante de l'esthétique du mal, <oMsourire peut

(s'e//ocef sur la toile.Il est facsimilé dans mon cœur, où, ainsi que ptc~re

(ye<~eau gouf fre,decnro des remous circulaires, grandissants et qui

[e~~rontJusqu'à ma mort ton désir des Amours impossibles,

[le M~~ChtMtèfe, ta vue m'altère de cette ~oi/ du Beau Mal,Que tu M morte MM <M~OMUtr.0 ~œur de la Joconde, d sphinx pervers, je t'atme/

– « C'est d'un sentiment moderne exquis et raMné..On dirait du Pétrarque d'une poésie dont Baudelaire se-rait le Dante », jugea Drouhin.

– « Hélas! pour le poète; hétas! peur son temps »,s'écria Antar. « Je suis décadent comme vous, commetou,s, mais je vois où nous allons; C'est la Cn de lapoésie d'une race. La lyre latine tord ses cordes, sous.l'inspiration de la fotie et si ses accords sont si péné--trants, c'est, qu'en elle la moitié, la meilleure du cerveaud'Occident ae fêle et se détraque. ?

– « Vrai! dit Marestan, « je ne sentais pas ainstà Arles. A Paris, j'ai pris cela dans l'air ».

– « Vous aussi », fit Antar en lui posant la maia~sur l'épaule, « vous étiez né pour l'Art pur et la déca-dence vous a emporté dans sa ronde de sabbat. Oh!l'l'imagination moderne dit la Messe noire. » Et brus-quement, il prit sur un pupitre un grand album relié envelours bleu et l'ayant ouvert sur une table

« Ëorivez vos vers a~vecla traduction. La princesseles appréciera »; et il sortit.

Marestan écrivit, sa pensée Bottant ailleurs. Quand W

Page 173: Le Vice Supréme

170 LE VÏCBSUPRÊMB

~ut' signé; il r~eva îa ~te'; saut dans ta biMie'tbeque auxttctseri~ ~él~ne, ? se MnCK)tMste.

Mal à l'aise dans ce grand monde, dont le scintillementlui tanguait FœH'; À resph~r eemnK" penser, il lisait

<uôrt, étou!~ de parfums, énervé par la perception dev~ces subtMs. ïj6 bifuit du ba~N at~ivait comBMun bour.d~naement confis de ruche en joie. Il se surprit à regret-ter sa vaste maison d~Aytes, ? cahne tdM'gMmdeg M~saux pÏ&Ëondshauts, la rue silencieuse aux gros pavés her.beux, et cette se r6mt€de l'<ssprM~it~ de la <;ui~id& 4ucœur et de l'habitude des beMe~ pCMéM.

Il avait mordu au fniït défendu et déjà ramertucMlui faisait plisser la lèvre.

Il se repentait presque d'être venu dans « îa capitale ncomme on dit la-bas. Le plein air; Heplein ?o)eH, le pleinciel lui manquaient. Il regarda son pcigoet bnM et quittases gants blancs qu'il trouvait froids.

Avec les Cre<cendt de rorchestre, une autre musiquel'impressionnait dans un. doux vague,, ce~Ie qu$ font les

pieds dans les brodequins craquants, les gor~a&dans letassement du corsage, le bca&d<ma ras~ta.Uon.de l'éven-tail et la respiration vi~e et. refejMie.~u. désir, qui setait. Ah! ce-.n-'étaient plus l~s SUss~d'Ar~ au bustedroit et sans. corset, qu'on, embrassait pleines, livresMMSle soleil; et. dans une farandole de rêve, toute la

.poésie d)&aa<chè<MPMtV~nMd~~a~AvaiMl a sa pl~&drep Une ~tti~:4e< Mistral Moaw~t

toutes ~s portes reça'4bez lai priBOME~id'E&tt~amant deMBMde-TrmqueitMHeeLCett~-B~K~iee était IfoooaaKmdece retour a~ pMeé; pris dans tout~illon patigien,

~6ta~ soa pDemMBï)egat~ en/~ïri~ MgfMM~~tBegret.Y! ne l'aimait pasl 11s'était ;~a<é d'un pr~j~~ de tà'laM« La ParisMBjM~))',cette Hni~~ dea c~fpa,. s~CtSte&~<~des

Page 174: Le Vice Supréme

M: ~ICE MIMtÊXE 17t

tt t~v~ ~~– ~t. 't~mes, l'écoMMit. Exutoice d'usé iemme lubrique, H yconsB~tai~car ses sens nsassatMit à triste aurore'4el'habitude da {péché. Ëtait-oe sa faoie~ Lors~epie Oad~-oet l'avait présanté, in maMpuMt'a~vait retenu à soupM*,et au oom dn ieu, sur l'étroite causeuse, cela avait étéson precNer pé<?hé mortel selon ta -chair. Des défaits~otesqwea de cette i~ore lui {tn~eïsaMïit te souvenir.Son étonnement de voir la complicattca d'un déstmhaMa~ge, les nœuds aux lacets, les agrafes prises dans ies j~u-~e~es. Qu'il préférait les Schus des Arlésiennes quitiennent par des épingles dont la piqûre fait ride et quienlevés un à un, dénudent par assises leur buste destatue!1

Ses croyances se froissaient à de continuelles ironies.La première fois qu'il avait entendu nier Dieu, il avaitdemandé pourquoi l'on n'enfermait point les fous àParis, et on avait. eu beaucoup de peine à lui persuaderque ces îous étaient communs. A chaque pas, 'le naîfProvençal avait des etonnements, des effarements indes-criptibles qui faisaient la joie de la galerie. Artistes et6crivaiM i'~coutaient parler, le regardaient agir avec cesourire mi~pajîti de pitié et de regtet qu'ont les viciUar'dsdevant les belles ignorances de I& ~euneaM~

C'était ta pa~e chassante de leur vie qu'ils relisaient,~e page on rame -bat de l'aile wers le Béat!, commel'oisillon wers te cMl~ o.ù toute vierge elle a toutes sesBeurs; où le Menr a ftouies aea pleurs, l'esprit ses naï-vetés, le ~orps 'ses -ignorances; où l'on n'a d'yeux quepour les mirages, d'eiH~s que pour tes illusions, d'ar-deur :que. pourles chimères; page lumineuse où est écritle rêve de t'addtiMcence que, le temps ironique enaGera,rêve de giSed~~de «thaiité~ de giome; épanouissement detout ce ~qu'il y !a d'a~e ida~s l'homme et die Dieu ttaasrame.

Page 175: Le Vice Supréme

172 LE VICE SUPREME

Comme cette princesse chinoise de Heine mettait sajcie à déchirer de ses ongles de' jade lès soies rares età voir les lambeaux s'envoler, épars et flétris; ainsi cescorrompus, aux griffes tachées d'une encre où il entrede la boue s inon du sang déchiraient la merveil.leuse trame det. illusions du poète. Au vent froid deleurs ironies, les illusions s'envolèrent blanches co-lombes qui, ne reviennent pas.

Marestan vit les poètes sans cœur, les écrivains san&idée, les peintre sans dessin, les architectes sans sty.

tous sans morale. Le vertige le prit au bord du viceparisien; en face de cette prostitution de la pensée etdu corps, il entendit en lui-même « Fuis, tu es perdusinon; le mal où tu tomberas ne te donnera pas le plai.sir douteux qu'il donne aux autres, car tu es bon, etle remords te torturera, mais, hélas sans te puriher. »Il trouva des sophismes ne fallait-il pas voir le malpour mieux aimer le bien et connaître le laid, ce versodu Beau? H resta, mais il souffrit.

Sa tacheté molle de méridional le faisait flotter &de-mi inconscient, au gré des choses, sans prévoir, ni ré-néchir. Le bruit des voitures et des négations l'assour-dissait. Dans tous les milieux qu'il traversait, ce dor-meur éveillé accrochait les convenances au passage etmettait les coudes sur la table, mais avec une si belleingénuité que personne ne lui en voulut. On le pritd'abord pour le poètereau qui vient conquérir la capi-tale mais à la première conversation, ce rêveur appa-raissait savant; ce poète auquel les cigales avaient ap-pris l'hymne ensoleillé de Cybèle, savait aussi ce qu'en-seignent les livres. Il avaijt la double supériorité d'uelong recueillement de pensée et de la lecture exclusivedes chefs-d'œuvre.

Page 176: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÉME 173

A Saint-Trophime, pendant la semaine sainte, on l'a-vait toujours vu avec un gros livre.

A Paris, il lisait encore le bréviaire. Cadenet l'ayantvusur sa table crut à 1 oubli d'une visite de prêtre; per-suadé, il s~étonna. MC'est de la grande poésie », ré-

pondit simplement Marestan.Comme Euphorion, fils d'Hélène et de Faust, sym-

bolede l'enthousiasme, il voulait s'envoler dans l'étherdes puretés, ayant sur la dualité de l'homme les idéesdu moyen âge, mais la Bête de ses griffes le rivait àla terre.

Avant la marquise de Trinquetailles, il pouvait ré-pondre comme le Silvio de Musset à la demande du ducLaërtes, non que sa vie arlésienne eût été d'un cénobite;lessoirs d'été, on le voyait aux Alyschamps, au milieud'un cercle de chaton et de coH~aI~, impro~dser desvers que le vent emportait avec les accords de sa gui-tare.

Marestan « lou ré! dé! félibré :) disait-on, en Arles.Sesnoëls et ses canzones étaient sur toutes les lèvres;et bien fière celle qui l'avait pour cavalier dans les fê-tes. Les chattes auraient griffé qui eût dit du mal de

Moussu Marestan », elles l'aimaient avec une fami-liarité respectueuse, l'appelant « nœtro poèto ». Lesvieilles femmes à croppetons devant leur porte cher-chaient un sourire dans leurs rides quand il passait.

Un soir d'été, il allait aux Alyschamps où l'attendaitun grand cercle, sur l'herbe, apercevant une jeune fillequi pleurait.

« ChatOM~etto, qu'as-tu? » fit-il.– « Constantin ne veut plus de moi, il me trouve

laide. »Marestan s'émut de cette petite Fadette « Viens »;

lui dit-il, et arrivé au milieu des auditeurs, il se fit

Page 177: Le Vice Supréme

~74 UEVICESUNdhtZ

mcntMor Constantin qui ea octttait viveaMnt à WUMb~l&fille. Alors il prit par ~a mamia dél&hs~ ta ~adu&ïtau nuJMU du cureté et saisissant «? ~MRar$; m~Mvisaune ode aussi c':iÈ:bre dam Aïies qee ~Vn<WMMe.Modansle moadB; « VM i~&oé,ô po~idb hïdo M4 )eveu< aim~ô belle laide ».

Le chant de &[aMstan imait de' la psattMdie de ladéetaMition tyM)un~e. Qûamd ta prenu~e etto~iB ~ét~gnit dans- le~pizdeati, Ccatstantm nw~ocopait déjà plu,de sa voiame.

On recherchait l'honneur d'être au milieu dif een~et de ~mer ainsi ie rôie de~ ta Muse inapu'atrioe. Mares-tan se SLHrp&ssa.La. pauvre dêhMsxéeëtait laide <n tMet~mais elle &vait graMt cœur, et comme p~p Bmgie, MXaccents de l'aMe~ elle se tBaaïSgura.

Au dernier Mfr&m « je t'aame!, ô holle laide » t~ut temonde pleurait et CoMiantm t'élM~ant veM M promM~la tenait embrassée.

Marestan se tfoNMâitsou~ ii padait diwinememt:ia) Itm.gué d'Arles; mais à Ar<MBol M pMrimt la ~a~e. U~après-midi d'aioût, U suivrait de Ba~teMeno~ dès etg~les, se récitsn~ les, veps qu'il taisaott, qiMmd d~rrièMlui, une voix scanda « ~t/toe~ »

– « Tu patMÏœ, » répomMt M<resta& en a)&~MtlevMtet il vit un teuns homme, <M~~TBmMtvêtu. de blancd'una beamté tout~ orientale.

-« Qui sait le tatm sait ie français M,dit l'inconnu.« Si nous ca~Mion~Pn

Marestan montra l'herbe à côté de lui, du ges~ ~ontil eût offert un siège.

– « V<MMêtes Mareetaoi; je oomiais de WM des chefs*d'œuvre », fit l'inconnu.

« Et vous a~~si vous êtes 'p~te~ demanda le pfo-~ença).

Page 178: Le Vice Supréme

LB "<nKSI:SUPBéME 175

«Oui, mais aacs~.ltyye,comme un rossignol qui a

pass~ te ftemps de ses amours ?.–«Votre nom? H– « M~fodack, votre .été ve ès-provençss~, si vous VOU-

tM. »

Ils furent amis. Mérodack passa l'été avec t'Ad~Men,puis il dit:

« Je retourne à Paris, travailler à un grand desseinauquel je t'associerai plus ta<pd. M

«mmm~iM-BMi », disait Marestan.« Non, plus tard. Attends que je puisse être Men-

tor. Tn as ~u génie, cela t'ôte le droit de brûler aufeud~fer d6 Tà-'bss, tes ailes. »

– « Le beau me guiderait », insistait Marestan.– « Le beau est un phare tournant sous le souffle in-

cohérent d'une époque et qui n'éclaire que de minuteen minute. La minute d'ombre suffit à. faire sombrer.Attends. »

Les lettres de Mérodack exhortaient Mares:tan à resterà Arles, mais ces objurgations exaspérèrent son dé&irde voir la capitale et il partit. Mérodack venait à ce

moment de déménager sans tonner son adresse et le Pro-

vençal depuis un an songeait à son ami; il. entendit Antarparler de lui, ma~saucun JMput lui indiquée sa demeu-re, car pendant des semestres entiers, ce jeune hommeseioblajt di~ajcaïtre.

La tête dans ses mains, les yeux &M*ra~bNjm~le p$ctearlésiea penaaiA « Ah! si JM~dauck 4tatt la! ? quand~D'emaMt ae. ~oaa zu~ son épaule. U se !Mto'uirR&,eutune hésitation et poussant un grand « ah! » de bonheur,il se jeta au cou de son woea..

« Boudeur » fit M~odtck~ <t te aouvMM-tu de no

tre première raMantne; les eigat~ chaRta~ent; tu ét~Is

Page 179: Le Vice Supréme

176 LE VICE SUPREME

vautré sur l'herbe et je te retrouve écrivant tes verssur l'album de la princesse d'Este » et il les par.courut.

– « Avec cela elle peut se mettre dans la tête de tela faire perdre. Ne te fie pas plus à cette femme qu'àun tigre. »

La princesse apparut brusquement sur le seuil.

Un peu de charité,Ou tout au tMOtn~,)Mon~euf, un peu d'honnêteté.

« Vous êtes un péril pour Marestan »; « Je l'aver.tis », dit simplement le mage ». Le génie n'est pas unjouet de princesse. H

– « Et si la princesse voulait? M– « Le mage ne le permettrait pas ».La princesse se mit à rire.

« Un initié ne s'abaisse pas à prouver sa force;mais je veux tuer vos sourires italiens. Vous savez l'es-crime, je n'ai oas une minute de salle. Dégainez, je vousdéne. »

i

« Je ne veux pas la mort d'un mage ».« Moi je veux ta confusion d'une princesse. Ce

n'est pas une passe d'armes que je vous propose, je voH3offre ma poitrine pour faire un mur, car je ne pareraipas. »

« Voyons cela », dit la princesse offensée de ce dé-fi elle tira sa fine épée.

Mérodack dégaina la sienne, en appuya le pommeauà l'épigastre et en dirigea la pointe vers la main droitede son adversaire.

« Quand vous voudrez, altesse ».« Du sang ici, non », fit-elle.« Vous êtes naïve », s'écria le mage.

Page 180: Le Vice Supréme

'a

LB VICE SUPRÊME 177 j*<« T~~c ou~ftjMt~ j~/y

Alors elleétende le bras et sentit comme un vent in-

visible qui écartait sa lame; elle se fendit dans le vide;~ea oreittes devinrent rouges; elle pointa la poitrine vai~aernent. Mérodack semblait rire. Furieuse, elle le char-gea mais son bras faiblit, trembla, hésita, et peu à peus'engourdit et retomba inerte, laissant traîner l'épieMérodack dirigea la pointe de la sienne sur la mainde la princesse qui se crispa sur la garde.

_-« Posez donc votre lamberge, beau page ».Elle ne put pas avec sa main libre ouvrir sa main

ïermée.– « Je vous laisserais ainsi, mais j'ai quelque chose

à vous demander et je vous fais grâce )..Il lui prit la main et la démagnétisa avec quelques

passes; elle put tacher t'épée, ayant encore quelquesinstants le bras comme mort.Pleine de rage et silencieuse, elle lui dit brusquement Ó– « A quelque prix que ce soit, voulez-vous m'ap-

prendre vos sortilèges~« Ce sortilège n'est que le magnétisme animal jevous ai engourdi le bras et crispé la maia. Je ne vous

apprendrai rien, parce que t'initié tue l'initiateur ».Marestan, que tous deux oubliaient, s'avança.« Voilà donc le fruit de ces études mystérieuses quetu ne voulais pas m'expliquer? ».La princesse tança une œillade singulière au Pro-

vençal. ï« J'y suis toujours pour vous, monsieur Mares-

tan. »– K Mon ami, va. au bal, je t'y rejoins; je t'expli-querat. ?

<

– « Avez-vous peur que je ne le magnétiser demanda Sla princesse, quand le poète fut sorti.– Il s'agit de Corysandre. »

Page 181: Le Vice Supréme

~78 f.SM~E,SUP~&ME

–<t C~Ua.qua vo~~m~z au,,qui yons.stme~l~q~? ?»i Mérodack.cpntwia,. a~ns p~pait~e ~~r ~nitwdn) t

– <o,~e M~qms.d<e ~QnaM~ux ~pouf«mt.o~infâc~s qui la~nt,Muî<F!r. «'V~tre~ga~tMsttA~ecJaprincesse », Ima~il dtt.

– KLAbr-u ?!)!s,cla<a~t-~e.– « V~is ~YMez ~,m~r~ ài~e,~<Ms.tMtt à

l'heure. »

« 0~ ~e.wi~t~ :~o~s coi~MreMz.HneApr~s,midi à.'r6p<M~d)'eà<tQu~s~ue%UonSt~u~)~e ~u%;p~se-rai sur la magie. Vous me le promettez? Eh bieaIt~tM-velHez le ~marqms,. priiez –~ le chasseséance tenante. »

– « .MABciléc<M~lu M, fit, Mérode~k ~mi toiMt'tsonbras, q~e. ~rjn<~aae pcit, Avecttn ~eg~cddf<Mi'd<M)oowtraduisible par <( Je vous (p~naM~Sia~ec. b~en~duplaisir..?

Page 182: Le Vice Supréme

ms

~ËR~EW ~Ï~OMËDE

DeMx~ures et -d~nite du mattti; te <ba[ fea~~d~sait. Métiodack, payant à côté du marqms de Doohe-reux Im~hantoirna sou8it.nez « V~ustmoûpfez de'tamam de quelqu'un .que ~e 'sais. M

Le ,vieux iibidinetïx 'ccut & un&ifacétie SMiSrô~iité– r, Puisque mous sommes au 8pe<~tao~e» disait i'Mi-tic au ppov~çal, « je vaM~ .mettre les Tiom&~rles <:osta<BMspar ce pietrët ~ui v<Mnt.M

S~~ur de ~uéant, je v<Mt8.p<réseBtemon «anle poète Mares~n, qui v<MtM~rait obUgé de hii <Msh<t-biMer il MaMattëe.M

– « Volontiers », fit. le pierrot; ~(.mais rg~noBs unmur, afin de n'avoir que aos oreilles -derrière nous ».

– « Le sexe faible d'abord », commença.t-i! « Dieua fait autrement; mais nous, les claqu~urs de ta B<~~nous sitars'îa cté~tion, ~te-~er~ ~Ahqu~où ïes changements ne sont pas aissexa~ue. Croy~~ousà ïa ve~i, -monsieur re poète, & <<eMedes femn~? ?– «Surtout $~tteL~ M,repoûdit 'MaMstan.

– « Ce «surtout ~t Mrd!qu~; vot~'n~ 'pT~f~sex~s!e

biasetBent.Ta~té. Oui,'H ya~ct~nt~e ~rttt~i ou~et leur've~n<est pM s~G'~t<ta~e ~i ~r~edans ~'p~he~et toutes ces têKssM~n~, brunes'et cM-taines se divisant en dewx toMn~nions <Mè~s ~uLouvre et les dévotes du Bon-Marché; ce sont tes ~i-~??8 ~u cM~M. Vo~s ~~s cttK-z, Mêrodack un

Page 183: Le Vice Supréme

180 LE VICE SUPRÊME

adage latin que j at retenu en français « Le corps peutêtre facilement maintenu, quand l'imagination ne le

sollicite pas. » La maîtresse de céans est un problèmeinsoluble; son imagination la sollicite certainement cielle grise autour d'elle sans que jamais la tête lui tourne.

Les peuples heureux et les femmes honnêtes n'oct ni

histoire ni roman, et c'est par dévouement pour ces deux

formes littéraires que peuples et femmes cascadent dans

le mal; car romaii, histoire, qu'est-ce sinon un récit de

vice, de crime, <vec quelques bribes de vertu, pour le

contraste P. La vsrtu a la première condition de la beau-

té qui est la rareté; tandis que le vice, où la médiocrité

ne doit pas plus être admise que dans les 'vers, devient de

jour en jour plus banal. Ce cupidon, la marquise de

Trinquetailles, libertine supérieure son costume ne vous

donne pas une idée de sa facilité à se déshabiller. Elle a

eu plus d'hommes qu'une Glle, mais elle consérve le dé-

corum dans sa vie de cascade aux innumérables chutes,

dont aucune n'a entraîné celle de sa considération. ?»

Marestan avait pâli.« Vous calomniez M, fit-il.

« Cujus port /MMit», dit de Quéant. « mettons

que je n'ai rien dit. Cette grosse dame en paniers, la

comtesse de Prébaudet, une vieille qui achète l'amour;mais on ne lui livre pas toujours la marchandise.

Plélan qui avait beaucoup reçu, vingt mille livres ie

crois, n'a rien donné. Avez-vous remarqué que les jeunes

gens de Balzac qui arrivent sont toujours des entretenus.Lucien de Rubempré, un personnage sympathique, est

entretenu par une actrice, une fiUe et un forçat. Au

reste, quand on ouvre sa robe, on. peut bien ouvrir sa

bourse. » 1

– « L'or », dit Mérodack, « est tellement devenu le

Page 184: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 181

symbole du mal, que par une alchimie mytérieuse, ilsouille ce qu'il touche. Aurifier un sentiment, c'est lecarier)).

« Ce hennin, derrière les pierrettes, à côté de Mon-tessuy en prévôt des marchands, c'est la vicomtesse deGournay, un Don Jua~ féminin, chercheuse, gamme Sand.Regardez cette Marguerite et ce débardeur la baronnede Stains, la blonde, et la brune, Mme de Montmagny.La première est tombée dans les bras de la seconde par-ce que, délaissée de son mari, trompée et compromise parses amants, eHe n'a pu trouver que dans le saphisme, lapassion sûre qui convient à sa nature voluptueuse et pa-resseuse. »

Quéant s'était esquivé à un signe de Mlle de Chama-rande la cadette; Marestan avait rejoint la maïquise Mé-rodack, dans une immobilité de cariatide, embrassait lafête d'un regard ennuyé. La tirade de Jacques le mélan-colique lui revenait à l'esprit. On eût dit que chaque siè-cle, chaque pays avait député un personnage de son actedans l'humaine comëd~, et des fresques, des cadres,des personnages de l'art semblaient aussi descendus

Le salon bruissant avait le style grandiose d'une cellade temple, avec ses vingt-quatre colonnes doriques, sesdix grandes baies à plein cintre, ses marbres luisant àt éclat des torchères, ses statues des douze entre-colon-nements qui émergeaient d'une fronda'son de plantesexotiques changeant le socle en tertre Beuri; ses hautesglaces à large biseau reflétant des parties de tableauxet le va-et-vient de ces nobles qui retrouvaient quel.que chose de l'accent de leur race sous les costumesde leurs aïeux. 1

Pas de chlamyde ni de pepjos, des vertugadins, despaniers, tous les éléments du mensonge plastique dontle triste corps de la femme moderne a besoin. Mme de

Page 185: Le Vice Supréme

LJEi VMB SUPR~MJE

Chamaarandc et ses SUes étaient très tadmirée~ en, p~gjMtégyptien, a~ee-leur'psohentttdontl'ureus dardât sa.la~tj~mécanique à chaque mouvement. Quelques Japon~M~étaient trôs entQM~es; mais, coaaBM l'avait remarqttéA&tar dans sa p~peeptien' d'halluciné, le travesti, h;femme en j~Bne homme, l'androgyBe triomphait.

Du nu des bpêe~ d)a nMdes'nuquas, dN. nu des épan~,du. nw des seias jaiMissa~t deacocsage~ du nu desido)}qui iaisaieat) devi&:r les rton~, de tc'ui cenu s~~adiaie~des rayons de. chaiRMiMtcha, d<:cbaNr roséo, de chaifrou~s~ de (~aar tcuna~ et dtt toute cette pe<m,à.l'atf,uBebuôetpMfumé: s'élevai

Tandis qae les unes montraient le buste, les autpe~pitras avee 1~.gauoheFM) I~bi~qu~ d~ lew~ pe~te. paspMesés, et l'ind~coa~ dUti)ed<w~)pmeRtdQN~l'érotj~haut de chaussas q~$ Grévini dessine, achevaient .unûcomplète provocatioo. paT.toutes le&.iormes de la iernB~montrées ou: s~bt~is~

A ceux de' ce. mo~d~, cc~ n~ devait point apparaîtras~ intense~ pris a C9' tcharx&e,ils le' savaient €~r<ect et nes'inquiétaient pa&; d% ptaa, MeFoda~k. ava~ l'acuitéd'impc~ssion <lu~<c.wtin~n~ s&ntatt sons 1~. distinction etla retenue~ la nMac~ao~j~~ de l'esprit: d~ t~ure umà.cdui de pecvsrsi~ C'était.là)tune débauche de désir~de<vice< de déleeta~<w, d~~uremenits, de ilai~ements,si réelle q~~coweh~ion de l'initié fut celle-ci i«Fêtes du monde, f~tesd~ la iBêt~.M

« JedemacLde M~di~~l~ duo de Ntmes, en capi~tatMt~Ffaea&se~au priac~<t~ Bat~~ en. surcpt Charles V,« ce. qu'une décafdeMe'a le droit, dû:d~nander à ses pr~tresses – de l'esprit dans le mal et de l'a~t dans levice ?.

– « La phrase-est de Beauv~He')~ dit d~ Queant qwrevenait; « il ne hH~BMn<pïe'pias; à ce FalstaR mai(p'~

Page 186: Le Vice Supréme

LE VICE SU~RETWE 183

~m R~<Snf«rfAT~ov< ~T~ t-~M~t~ /t~ *~tque de cacher un sténographe-avec une lampe de mi-neur sous la table dominicale, pour se fournir de « verbepervers », un mot' qu'H vous a pris. »

Mérodack; lé'sourcil contracté, ne répondait pas. Lemarquis de Doncereux avait réussi à s'approcher deM"' d'Urfé et, penchant vers elle son ignoble face, luiparlait, tandt&~ua Bot de sang~ montait aux joues et- aufront de la jeune' filte'y

Mérodack alla vivement à la princesse.« Voyez », fit-il.

La princesse s'avança vers le inarqui& et lui dit à voixbasse, sans cesser de sourire':

« Sortez! ))Il semblait ne pas comprendre.– ~Je vous chasse: Es~ce cMf? » reprit-eHe.Livide, le marquis s'inclina dans un petit rire fourbe

de théâtre, regarda la princesse, Merodaek, Corysandrovenimeusement et tournant sur ses talons avec assez d'ai-sance, sortit posément du salon.

A peine avait-on remarqué cette courte scène que nuln'eût pu s'expliquer.

« Merci, princesse, merci, Mérodack »1 dit Corysandre. « Ah! cet homme est méchant; j'ai le pressen-timent qu'il me fera du mal. »

– « Ne suis-je pas là? » répondit l'initié en la rassu-rant d'un regard affectueux.

Il arriva avec peine jusqu'au prince.« Sire, je vous emprunte votre voiture pour une

heure. »« Bien », fit M. de Courtenay en lui serrant la

main, <(et à dimanche; vous nous manquiez beaucoupla dernière fois; vous êtes le sel de l'orgie, puisque vousêtes un &a~e. M

A la marquise de Trinquetailles qui passait

Page 187: Le Vice Supréme

~84 LE VICE SUPR&ME

« Monsieur de Cupidon, qu'avez-vous fait de Marestan?))

– a Monsieur le diable, qu'en voulez-vous faire? »– « L'emmener et le dissuader da vou&. »La marquise, entant qu'il ne plaisantait pas, se mit

rire mauvaiseme~t« Seriez-voM le Corydon de cet Alexis? »

Mérodack eut un léger mouvement d'épaules.v

Marestan vena avec Antar.« Viens nous-en », dit l'initié.« Attends que j'aie salué la marquise. »« Inutile; m semblant de froideur l'enflammera,

Nous avons beaucoup à nous dire et j'ai bien des lan.ternes à t'allumer. »

– « Je ne tvois plus où je vais », avoua Marestan.– « J'y verrai pour toi, mais pourras-tu regarder

par mes yeux?P » dit Mérodack songeur.

Page 188: Le Vice Supréme

XXIII

LANÏNE

La Nine n'avait pas de hanches; la Nine n'avait pa&de gorge la ligne de sa taille se continuait verticaleà ses cuisses étroites, ses reins n'étaient que des pec-toraux abaissés De son sexe, ni les Bancs larges de lafécondité, ni les saillantes mamelles de la maternitémais le charme de chatte et la grâce du mouvementfélin.

Aggravant à dessein l'hybridation de son aspect, elleportait la tête rase.

Son teint pâle, ses yeux métalliques d'éclat, son nezmince, sa bouche rouge, son menton entêté donnaient àson visage cette beauté plus déptais&nte que la laideurdont Léonard s'est servi pour ses têtes de démons, oùles traits, admirables séparément, réunis forment un en-semble si inharmonique et discordant que la laideurmorale semble transparattre.

Son costume, toujours d'homme, augmentait le troubledétestable que sa vue causait aux pervers.

Elle était, consciemment l'androgyne pâle, vampiresuprême des civilisations vieillies, dernier monstre avantle feu du ciel.

Fille d'une portière de la rue Saint-Antoine, elle glissa,dès cinq ans, de la loge au ruisseau, où des gamins luiapprirent de vilains jeux. Au cinquième de la maison ha-bitait, Cadagne, dans un monceau de bouquins. Trouvantl'enfant malicieusement précoce, il l'attira chez lui et

Page 189: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

lui mettra à lire et à écrire par passe-temps. Son écolièredocile et assidue lui fit prendre cette P~bénévole.A peine nubile, la petite Claire fut vendue par samère au marquis d.. Donnereux. Un jour que Gadagne se

plongeait dans l'Ë~ d<.Spinosa,ia fillette entra chezlui toute frémissante, et, la parole b~ve, le lui racontaavec des termes qui devenaient sinistres à des lèvres sijeunes. Gada~ae, qpï M-s~pa~iaoBait g~èfe q~ p&urdM transcendais ~ind~a.powt~ta~ pc~ d'e~~h~ ?~ i~~q~ dateurRPob&ble_des so~oa~ q~e chweh~ son ma~M.

– « II fallait crier,. te. débattra, griSer »d'~q~

~~p~I~.et s'assit'sur une p~d'in-quartos.

~Z' 's< défende macBM~m~umi~ assom-mée. Cela m'a fait moins de mal t~t de m~nB~.des, coups de p~feu.w d~-ja~s.~ Et. puisc'eûté~p<ourunaMtMjouc~. »,<<Ab~D RtG~~e,.Mv~~ ce raisonn~nent,~7 le joujou desvieux,?.. »

-« 0htq~

noa d~eH~ avec un~Iair dans seeyeux gris. « écoutez, c'est pt~~i'Mg~.qu'om m~

vendueet si je m'e~e u ~d~it.

pour manger. A~r~ voi~<~ q~j'M pens~ av.irde ragent. Combien.a~Ct-v<MM<~–«Troi&.mU~ ~anes;d~reB~ répondit GadMMque la question étonnait.

»,, ~j't ~aaagM

– « Comb~n~fait.H en i< CM rentesilà~ in-~iTog~a~-eHe encore,

~~fam

– « Au.cmq~ MMM~miUc ira~c~– « Alor~~ &'<cria<~aiM, «.H n~m~B~woue<nnqut.nte.six mH~i cinq. caa~ a.'"<

que

Page 190: Le Vice Supréme

LR VICE SUPRÊME187:

'.V"" ""vr.LT~.l.U'.r;1'(:5:

Gadagne la crut folle, mais elle sortit de son corsasppptefe~He.p~m de lettres et en tr~a trois mille

cin<t ceats francs en billets.– «' Tu as vote cela? ?

.J~ m'a ~~lé~utre-chose », rît-elle avec unnredéj~ pervers.

Elle remit les billets dans le porte~uiMe et le jeta. sur.une' bibliothèque.

– « C'est caché », criait-elle.– « Tu me choisis pour ton receleur, vaurienne? »– « Pui&q.ue c.'est pour ne plus être vendue! V~u-

d-aitril mieux le rendre au vieux ou le donner à ma.manP »

G~dagne resta sans réponse.o~~ ~découvert », se dit-il, « que l'op est le.Panthée des sociétés modernes. Mauvaise, irréductibleje la sauverai du moins de la médiocrité dans le'mat

Assidue aux leçons de Gadagne, liseuse, de livres p~nicieu, la gamine décrassée par l'éducation devint unedrôlesse. et? mit. le marquis sous ses pieds, le.. faisantplier à ses caprices qui tous étaient d'argent. Elle lebattit j: ~l'adora, si bien qu'à seize ans, Claire s&troNvaposséder qua~e.vingt mille francs, mi-partie volés ettSQuti~és~

« Vous avez ~e.q~ûi épouser unhonnête garçondisait Gadagne.

Elle riait.Un soir que <la maquis la promenait, s'arrêtant devant

un petit.iiôtei.de:Ia rue.de Lorraine eUe dit,, avec sonparler gam~. MJe veux ça,, tu ne m'auras que damça ?,. et raB~né~ dans son appartement de la.rue de laCerisaie, lui ferma la porte, sans plus un mot.

Le lendemain, le marquis se présenta avec un bail detrois ans; elle lui jet&an jMz « Je veux être proprié.

Page 191: Le Vice Supréme

188 LE VICE SUPRÊME

taire! x Et elle le battit. « Dis merci », fit-elle. Il ditmerci. « Et maintenant ne reviens qu'avec l'acte d'achaten mon nom. » Et comme il la menaçait de sa mère,elle le menaça de sa femme qui cherchait à ce momentles motifs d'une séparation judiciaire.

Quand l'hôtel f it acheté « Meuble, mon chéri, etvieux style. » II meubla.

Enfin, radieux, il lui remit les clefs avec une cer-taine grâce. Ils visitèrent. Claire insista pour le menervoir le marteau cu'e!Ie voulait mettre à la porte, et,arrivée au seuil, le poussa dehors violemment, tira lesverrous, et remontant vivement, se mit à la fenêtre ens'esclaffant de rire. Le marquis, furibond, alla chez lamère Pitau, qui prit sous son tablier le pique-feu – sonmartinet. La bonne de Claire ouvrit à la mégère quientra, brandissant son instrument ordinaire de correc-tion. Claire, qui était près du feu, saisit pelle et pin-cettes. Une lutte singulière s'engagea. La fille eut unpoignet luxé, la mère s'en alla presque assommée, n'osants'adresser à la policé comme elle en menaçait et jurantde tordre le ventre, un soir, à sa fille.

Claire reçut le marquis, à raison de mille francst'heure, jusqu'à ce qu'elle eût dix mille livres de rentesur le Grand Livre, puis elle le chassa; et dès lors.parut au Bois, aux courses, aux premières, partout oùva le tout-Paris, et toujours seule, en redingote sur unejupe noire étroite, monocle à l'œil.

La première fois que le marquis l'aperçut a l'orchestre,il se préciipita vers elle « J'ai, lui dit-elle, des lettresqui serviraient à votre femme pour obtenir séparation.et vous êtes marié sous le régime dotal. Donc, pas unmot que vous m'avez eue. »

Le marquis se tut, n'ayant pas même l'espoir que lamisère ou la gêne la lui ramènerait.

Page 192: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 189

On se préoccupa de cette androgyne, et lettres de pïcu.voir rue de Lorraine.

Par amour-propre de fille de portière, fière de la gram-maire qu'elle sait, elle répondit d'abord à toutes Tesépïtres par d'impertinents petits billets où elle avaitsoin d'accumuler les .rticipes passés, heureuse de fairemontre de son orthographe.

`

Gadagne était le type du théoricien pervers, à l'exis-tence débonnaire, incapable non seulement d'un crime,mais d'une indélicatesse pour son propre compte, il pro".fessait en revanche le machiavélisme le plus épouvan-table à qui voulait l'écouter. Par aberration il se com-plaisait à l'esthétique du mal, admirant les monstres del'histoire, trouvant de l'envergure à l'égoïsme que rienn'arrête dans sa satisfaction. « Un vice extrême vautmieux qu'une vertu moyenne », pensait-il, et la con.science en sécurité, il se fit le conseil de Claire Pitau etapporta, dans cette étrange direction spirituelle, le soinminutieux d'un esprit habitué à manier les nuancesmétaphysiques. Claire obéissait comme un soldat prus"sien, se sentant grandir sous cette pensée de haut poli-tique qui la guidait, dans sa vocation de fille. Elle devintlettrée, instruite même, capable de conversation élevée.

Aucune visite n'était reçue, toutes dames léonardeséconduites; mais les lettres pleuvaient. La plus flam-bante série de ces épitres était signée Simone « .0toi qui as le corps céleste des séraphins, envoie ta pho-tographie que je puisse baiser ton image. Voici pour lafaire faire? » Et cinq mille francs étaient joints.

Claire envoya sa photographie. Sitôt elle reçut cebillet laconique « Puisqu'il faut t'acheter pour t,avoir,ton prix? » Claire, amusée et croyant débouter ce désir,répondit « Quarante mille. » Un mois s'écoula. Ellen'y pensait plus, lorsque quatre plis de dix mille franco

Page 193: Le Vice Supréme

LIE VtCE SUPREME

chacun lui forent vernis avec ïe mot « Quand? » –Voyons-en la fin, se dit CJaM-e « Demain, mnruit b

'éonvit-eMe aux initiales indiquées poste rest~te, Tue~amt~oBlinique. A'l'heure exacte, une femme ~upi~~raBd air et enviée ide lioir~crtraitchex Claire, -avecws'trembitments de pa~e au premier ren~ez-voTis d~mechâtelaine. La fille reconnut avec stupeur ~a jeune ~tMte-baromïe de 9tàms; dont la lorgnette, au ~ectacïeTestait toute la soirée braquée sur elle. Ne connaissaitqye ~es T~p~siTes caresses du vice Tiei~ôt, Claire~t aux baisers lesbiens, et quand la baronne la quittaau 'petit iour, pour un rien e~ ïui eût dit: «Revenez.~

Par Mi phénomène de vibrations dans TatmospbèM~strate, les entres sap~iques red<yuMermt, avert&saiïtMyvisiMMncQtles -désireuses et les enhardissait. t.a mie~des corbeaux à cent lieux flaire la charogiM, et !es<~c~~tt~ntifs pressentent par les courais Buidiques M!eur convoitise se possibilise.

~Ctairen'en retapas à ta~aroniïe, sati~s'avotMf~~Heengluât à cette bourbe Marne, -su p€TB~daBt oe

eêder~u'à ia c~dité seule, e~e subit la co~tagton.peMt~ôtet fut plus assiégé que edui ~'mïe BHe 6t parles SHes môme, qui y apportaient te Lutm c<mquis 'p<M'la sexualité. Hëjà l'habitude ancrait ses crocs tavelés<MM ta chair de 'Claire, déjà âne rumear s'ête~it ~esuspicion. B~x femmes se rencontrant ~aas ic ~pétithôtel s'y p/rrachèrent jusqu'au dernier vêtement. Uûmoment ~core, Claire était perdue de corpsrenommée, quand Gadagne arriva furieux

–«.Mc~Btre, incapable d'im vice~Iewé! Tt Mstnures

!e temple <ïe la Bonne Déesse. Fille d~Mte, ce :qait'attend ce 'sont tes mox~, puis ia ~soMomp~ion! Satan

'te fait ia ~rAce d''on tempépaBBent fMMi! Choisis-en~~ma ~ip~ction ou tes chieBD:ps. H

Page 194: Le Vice Supréme

LE :VtCt! S~MtEME t~f

f. 14.& -IL ·

v a

n~ ~1<e..« Je pars .d~m~

pour 1 Italie; venez, Gadagne. w« Je n'ai pas.?d'argen~ ~it.etaptwsieien

Elle.ro~t,.sen~t~u~.n~~l~~nSdevon*

Da~'vn~T~~ Y~ sonde~mon

~~e~~s~aye,e -vous~e

faites ,un.re~m.,) nyens ipaye,et, même vous~ime

–.« Soit ~it~adagne.Ils partirent; à. Pisé, <Ni

citant.ieGampo Santo ila.rencontrèrent ,un ~e M,~t ~C!aH-e~ierS~versation et la prolonger jusqu'à Mit, ïe~ndeia~,le lord J~

~me.~ce,.devant le TriompheMo~, Chaire y vint se~e~rne a.un rendez-vous

tacite: et ce 'fut ainsi prieurs fois. Peu à peu, le jeuneAnglais perdait de sa raideur, faisait des conMencescoures par ïa petite toux sèche des .poitrinaires. Sansfaïume, un million de revenu, phtisique, les .médecinsne hii donnaient pas trois ans de vie ce fut tout cequ e écouta et sitôt, changeant de costume, eHe~GRJcima son allure garçonnière. Comme on apprend

Tôle, elle passait .une partie de ses nuits à étudierles femmes de Shakespeare, convaincue queTid~d'un Anglais devait être là.

<*

Gadagne, voyant le jeu de Claire, partit pour Rome,saMmiBMt d'licatMn.

t T « Je '~ès 'Mabarraa~e M, dl~elle au jeunetord, (CM.'Gadagae, mon ptûfeMeur, se sent malAde~tretourne à Paris; me~ilà~foi~e de penoncer à pour-suivie mon vey<tge ».

L'e io~d 'ii6oi~ longtemps ~t Sait par s'ofiFir 'Mwtchaperon.

– '« 'Une Anglaise referait '<, '~t-ei~, <(-mais '-moicr~s; à vo<a-e loyêaté

'ïls'ptss~nt Lm-BMisà'Ftor~;e, en causeries émues~

Page 195: Le Vice Supréme

t92 LE VICE SUPRÊME

<n épanchements des Ames: ils se donnaient une noen épanchempnts des Ames; ils se donnaient une poignéede main, le matin et le soir.

Lord Astor, comme le Valentin de Balzac, risquait savie a satisfaire son désir, et l'existence lui apparaissaitmaintenant désirable près de cette jeune fille qui, gra-duellement, devenait la réalité de l'idéal qu'il lui

dépeignait. Claire ne pressait point l'instant de la Bête,elle laissait l'imagination opérer sa cn~fa~Motton. Ce futà Venise, en gondole, qu'elle se fit posséder, et le gon-dolier qui rêvait sur sa rame, à la secousse, dit entre <%esdents Ardore d'ético.

Ils traversèrent l'Autriche et les Pays-Bas et s'allèrentinstaller au château de Killiet, en 'Ecosse. Claire mit toutson génie de femme perverse à enchanter lord Astor etelle l'enchanta, modérant son ardeur, afin qu'il vécûtles trois ans qu'elle voulait; celui-là prit cette sollicitudepour de l'amour et en fut si touché qu'il lui dit « Nousnous marions le mois prochain. » Mais je suis de bassenaissance, avoua Claire. « Vous m'avez donné le bon-heur, répondit-il, que m'est le reste? a Le clergyman dudistrict unit lord Astor à la fille illégitime de la portièrePitau. L'hiver venu, milady fut présentée dans les salonsde Londres et accueillie.

– « Pourquoi mettre le monde entre nous? retournons,à Killiet » dit-elle, quand sa vanité fut satisfaite. Ellelui donna tout le bonheur qu'on peut faire avec del'amour, elle l'enchanta au point que le crachementde sang s'arrêta et que la toux se raréSa~ Elle lui fit,-enfin, trois années de bonheur plein, non sans eSorts.Tandis qu'elle soupirait des sentimentalités qui délec-taient son époux, des mots obscènes lui venaient auxlèvres, et elle Lvait besoin de se faire violence pour ne

pas les crier. « Je joue les chimères à des millioM

Page 196: Le Vice Supréme

ï3

LE VICE SUPRÊME 193JH7~

d'appointements, c'est à peine payé », écrivait-elle àGadagne.

rivait-elle

Enfin elle eut vingt et un ans, elle était majeure, etcomme son mari ne semblait plus songer à mourir, elleeu des accès de lascivité qui firent réapparaître la touxet le crachement. Alors elle feignit un remords. « J'adoremon bûcher », répondit lord Astor.

Soixante-sept jours après la troisième année révolue(elle les compta), lord Astor expirait entre ses bras,dans un. spasme.

Elle affecta toute la douleur nécessaire à montrer, avecle réel regret de s'être hâtée, commençant à se plaireaux caresses de cet agonisant, aux extases de son rôled'Empuse, cette réalité de la superstition.

– « Je reviens dans un mois », écrivait-elle à Ga-dagne, « ne préparez pas d'homélie. Mourir après troisans de bonheur parfait, dans les bras même de sa chi-mère, qui ne souscrirait à cette destinée? M

« Elle a retrouvé », pensa Gadagne, « cette sciencedesanciens, aujourd'hui perdue –

rEt~~e~e, l'artde la mort attrayante ».

« Milady Vampire », lui dit le philosophe, quandellevint le voir en débotté, « qu'allez-vous faire main-tenant? »

« Je viens vous le demander! »« Faites pénitence. »

Milady s'assit comme autrefois sur un tas de livres.« Donnez aux pauvres votre fortune acquise parUnassassinat et entrez en religion. »« Dois-je rester lady », fit-elle sans aucune atten-

tion aux exhortations du métaphysicien « ou repren-dre l'androgynat? »–

« Reprenez », dit Gadagne.Et dissimulant son immense fortune, elle se lia avec

Page 197: Le Vice Supréme

t~t I.B VBEE BUPR&ME

les eeriwmns ~t des ~ti~te&, allant partent w~ec eax on

homme..Uû soir, an <oy<a' de ~Opéra, elle vit pMaer queT.

~un de si grande mine ~e~ ~manda aon nom.

– « Son Altesse Royale MonBeignenr le Prince R&

bert de CoitfteMy, triant dMit ~i trÛMditJSadagnp

« Allons donc B, dit maady, « il y a <~i~

G~dagne tm expMqma la. généalogie depms le septi~

nM nls de Louis ie ~rros.

Elle r3sta pensive.– « tJn Mi n, Ëi~eile, et ses 'traits se tendirant ~onh

me si eUe prenait une ~rand~ i~soIntiBn.

Page 198: Le Vice Supréme

XXïV

MONSEIGNEUR LE PRÏNCE DE COURTENAY

«. La funeste merveille de cette maison qui dansom si long espace n'a pa produire un seul sujet dontle mérite ait forcé la fortune. )yCette phrase de Saint-Simon était ]t&chape de plomb que le prince de CoŒtenay portait dans la vie. L'impuissance de sa race etla sienne propre, à montrer la force de son droit, le tor.tm-ait. Il eût -faït l'impossible, l'insensé, et levier detout, pour relever son blason et le hausser à la gloire.Depuis vingt ans il attendait un événement où jeter lagrappin de sa rageuse et stérile ambition, et les cir-constances ironiquement se dérobaient sous sa main 6é-vrease, capable cependant de grandes choses, car il eûtdôme sa vie pour que le nom de Courtenay, effacé de''histoire, y 'reparût réécrit, ne fut-ce qu'une fois.

En 1870, rurvasion teutonne sembla l'exauce:. Il cei-gnit l'épée des empereurs de Constantinople, équipa unrégiment et en obtint le commandement. Soit malveil-lance, soit conséquence stratégique, sa division restalongtemps sa~s donner. EnHn dans la déroute de X.il reçut l'ordre de charger. Sitôt, il mit l'éj~e au four-reaw et tenant quelque chose de roulé autour d'unehampe, en. travers <~e sa selle, il alla prendre place àvingt pas en avant.

Là, déployant son drapeau blanc aux fleurs de lys d'or,il le brandit, criant « Montjoie et Saint-Denys ».

Le moment, celui de mourir, ne permettait pas aux

Page 199: Le Vice Supréme

<

196 LE VICE SUPREME

soldats de réfléchir à l'étrangeté de leur colonel, ils nevirent que son courage magnifique et furent « emballée ».

En apercevant ce cavalier d'héroïque jactance, le gé-néral allemand crut que c'était Henri V, venant chercher

pour sa race un glorieux trépas. La haine de la gloirefrançaise inspira un dessein étrange à Foncier teuton.A ce dernier Bourbon s'avançant à la mort historiquecomme à une parade, il dit en pensée « Non, hoi deFrance, les lys ne mourront pas dans l'épanchement deteur sang d'azur. Tu viens à la mort pour le regard dela postérité, eh bien! roi sans trône, tu seras aussi sanshistoire. » II fit passer l'ordre d'ouvrir les rangs de-vant le cavalier et de le laisser traverser l'armée im.

punément.Arrivé à une portée de voix des Prussiens, Courtenay

poussa son cri et donna de l'éperon.Soudain les rangs ennemis s'ouvrirent et son cheval

affolé par la fusillade traversa comme un javelot la co-lonne allemande. Le prince, malgré lui, avait fermé les

yeux, attendant la mort. Quand il les rouvrit, il était

seul; devant lui la campagne déserte. il pouvait fuir.Il se retourna dans un épais nuage de fumée, il vit laforêt de casques pointus, huit mille Allemands,où son régiment entier s'était englouti. Il n'hésita pas etrevint au galop sur l'armée ennemie. Le général le sui-vait d'un œil ironique.

« Place, canaille », hurlait le prince, s'élançant à tra-vers l'armée; et les Bavarois rêveurs, les lourds Berli-nois et les étudiants de Gœttingue qui étaient là, pen-saient aux héros des ~ebe~u~eM, aux personnages deslégendes du Rhin. Courtenay sortait des lignes teuton-nes, quand il aperçut aux mains d'un officier le dra-peau du régiment, il fondit sur lui, le lui arracha, etdégainant l'épée à lame large et plate des Josselin qui

Page 200: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 197

rayonna de revoir le soleil, d'un coup formidable, irréel,fantastique, il coupa en deux l'officier, comme un bûche-ron eût fait d'un tronc d'arbre. En un clin d'œil, Cour-tenay fut enveloppé. Maintenant, il ne voulait plus mou-rir colonel, il devait sauver le drapeau de son régiment,et le paladin réapparut en lui: d'un bras formidable ilmaniait l'épée impériale, et fendant les crânes, abattantdes bras, il put s'enfuir au crépitement des balles quifauchaient des brins d'herbe sous les sabots en l'air deson cheval. Quand il n'eut plus à craindre d'être rejoint,il se reprocha de tourner le dos à huit mille fusils atil leur fit face; il resta plusieurs minutes dans une gloirede balles situantes, élevant ses deux étendards. Il sem-blait l'âme de la noblesse personnifiée, mettant son hon-neur à servir son pays et la gloire de son nom à fairecelle de la France.

Revenu au camp, il ne raconta pas son fait d'armes,on ne croit plus aux preux, nul témoin ne pouvait té-moigner que le premier noble de France en était aussile premier brave. Son héroïsme de pair karolingien restaignoré; on lui refusa un autre régiment à cause de sondrapeau fleurdelisé. Alors on vit un beau spectacle ceprince royal endosser le sac du mobile, abdiquant s&fierté plutôt que de rester loin du combat. A l'enlève-ment d'une position, il osa seul, sous une pluie de feu,planter le drapeau, et le lendemain, quand le comman-dant du corps lui présenta la croix d'honneur, il la refu-sa, disant « on ne décore pas les rois ».

Quand l'armée allemande entra dans Paris, qu'il lavit défiler sous l'Arc-de-Tiiomphe, une écume blaa-châtre floconna à ses lèvres, et ceux qui le virent eu-rent peur et pitié de cette royale douleur. « Si le peupleeût pu le voir à cet instant », disait Mérigneux, « itl'eût acclamé. La colère d'Achille me parut do la con-

Page 201: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME

traciëM toute simple, auprès de cette Mge bhm<~ d&.narque moderne. Il écumait UtMraieme~ <arHmait la France, avec fureur, jatoasem~t..om~ a~comme sa d~e. et chaque pas dè botte allemande luipaissait la joue H. <

CmciSé par le. déni de justice des siècles et du sienà ce qu'il croyait son droit, après avoir monté vaii~~L~ tribune, comme il était allé vainement aucombat, ilr en vint à un morne désespoir o& le vice pou-vait venir; l'inaction hii ouvrait la port~Il devint maniaque; seul, dans son immense chambretendue de France et dont il avait fait une sorte de petite.salle du Trône, il s'enfermait pour lire lès parchemins et

ancêtres. « 4h pensait-il, si j'étais~on~~ sentait la forcerir son royaume.

Lorsque Napoléon UI monta sur le trône, !e princeenvoya son secrétaire Mérigneux qui lut au souverainétonné, une hautaine Protestation, et pressé d'expliquersa démarche, récita ces lignes de Saint-Simon :.Leprince de Courtenay présenta au régent une parfaitementbelle protestation, forte, prouvée, mais respectueuse etden écrite, pour conservation de leurs Ëtats et droitscomme ils ont fait à tous les renouvellements de règne~~

M~savais pas que la ses ducs deMedina Cœli? Que veut votre maître? M

« Le trône où vous êtes indûment. »Napoléon trouva. « très cfâ~ cette demande « énor-me ?, faite d'un ton doux.

tMM~ prince vent rabattre un peu de ses p~te~tiona,p. »,– :< En<rien. M

'– a Pourquoi cette démax-ehe, alorsp »

Page 202: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 199<

– (( Pour la protestation du droit )), – et Mérigneuxsortit avec solennité.

Quand la République fut déclarée, le secrétaire de-manda s'il fallait protester.

« Une République n'existe pas et je ne veux pasencanailler mon héraut d'armes! ))

Son parti était pris. Le descendant des Josselin, empe-reurs deConstantinople, des Robert, archevêque de Reims,s'éteindrait banalemeut. Toutefois, ouvert surun pupitre,s'étalait constammentun ia-8"cM'ré d@i662),n'ayant queli feuillets et pour tit~e :P??ot~tctttOM;de M. le PWwce de

Courtenay f aite entre les, tMOMt~du T~oy pour co~cr-vation des droits de sa MMMMt;« la maieon de Cour-

tenay, de même que celte de BouTbon tire son originedu, roi Louis VI du nom, surnomma le Gros, et descen-dant de, deux die ses enfanta, celle- de Bourbon, de l'aïs<né, et celle d)e Courtenay du puîné. Les puinés des rois

prennent les surnoms des maisons alliées ou de celle doleur femme; ainsi les descendants de Robert, comte de

Clermont, des Sis de saint Louis dont V. M. estdescendue, ont retenu celui de la seigneurie de Bourbon

que sa~femme lui avait app<M?t<éeen mariage. Suivant cet

usage, le dernier des fils du roi Louis le Gros avait épou-sé l'héritière de l'ancienne maison de Courtenay et; pritle Mu'nom et les a~mes. Ne pouvant altérer en ma per-sonne la loi salique. la maison de Courtenay est la seule

capable de succédey à la couroïme, après 1&maison deBourbon. » Parmi les livres traitant de ses ancêtres~ quele dernier deseendaNt de ce Pierre d@France qui épauMYsabeau. de Courtenay avait collectionnés, traînait sujfles tables à cette époque, une pièce S. L. N. D. M<tf<et

trépas d< Mon<tet~)'tettr P~nce <%eCotM'<eM<e~~pcf <na-~eM« ~ofee~rM d'tttte MtM~rotbïc«~ct~~ gm députatut MF~Ui~.

Page 203: Le Vice Supréme

XXV

SEDUCTION

La première fois, qu'à un diner d'artistes, MiladyAstor luifut présentée, le prince ne put cacher sonémotion devant une beauté si subtilement perverse; maischarmé, il se raidit contre le charme.Le Courtenay de la Protestation à Louis XIV, avaiteu une occasion de forcer la fortune.Mazarin voulait,lui donner une de ses nièces « Pourl'éprouver à loisir et par lui même, le ~~e~dans son carrosse de P~

S~nt-y~c~c.. P~~ des Pyrénées. Le voyage était àjournées et il fut plein de séjours. Il

fo/~avec les pages du C~ c~ phrase de Saint.Simon explique le prince en'fac~e MiladvAstor pour ceux qui croient aux phénomènes de l'he'.rédité.

D~é~f~ avait eu une floraison hâtivepuis était, tombée dans un noble gâtisme, pour produire,en son dernier rejeton, un homme de volonté et dement., condamné par les circonstances à une inertie decatholique. La Renaissance de ce sang royal, en a vor-tant, donna carrière aux ferments impurs qui devaientlogiquement décomposer cette volonté et dévoyer cetteintelligence.

MiladyAstor,conseillée par Gadagne, avait pris pieddans le monde parisien d'une façon qui intriguait lesobservateurs. Dès qu'on la revit avec son col droit, sa

Page 204: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 2016fV

redingote d'homme et son monocle, on se rappela l'avoirvue, mais nul ne se souvint des bruits qui avaient uninstant circulé sur la petite maison de la rue de Lor-~L s'informa à l'ambassade anglaise et l'on appritqu elle était, bien légalement, Milady et Comtesse. A lavoir se déclasser par plaisir, s'entourer d'écrivains etd'artistes sans célébrité, presque sans œuvre, on s'éton-na. La nouvelle courut que Saint-Meen et Talagrand,deux poètes bizarres, écriraient pour elle une pièce quitenait de laS~~e de Balzac, et de la Fr~o~~ deLatouche. Des invitations toutes nominales furent en-voyées pour l'unique représentation de NINO-NtNA authéâtre des Menus Plaisirs, hors d'exploitation et louépour cette soirée. Soit que les quatre cents invités pris-sent plaisir à agacer la curiosité du public, soit qu'ilsfussent sincères, le lendemain ils s'exclamèrent en jacu-lations admiratives. Par mot d'ordre mystificateur lesjournalistes invités traitèrent la pièce de chef-d'œuvrel'actrice de divine, et plaignirent l'humanité; car cettemerveille ne devait jamais être ni rejouée ni impriméeet suivaient des réticences, étoilées de points sus-pensifs, qui sont la collection de balais la plus propreà faire chevaucher l'imagination du lecteur au sabbat.

Le prince avait été le premier prié à cette singulièrereprésentation, et, le rideau tombé dans un tonnerre debravi, il alla la féliciter dans sa loge.

Elle ne se déshabillait pas, gardant son costume de pifferare du dénouement. Des journalistes demandaientquel nom lui donner dans le feuilleton.

– « Mais H, dit l'un, « le nom du rôle, la NINA ?– « Me voilà baptisée », nt.elle, sans prévoir que le

nom devait lui rester. Elle parut plus sensible aux louan-ges du prince qu'à toutes Ie~ autres et l'invita au souperqui eut lieu en son hôtel du 'boulevard de Courcelles

Page 205: Le Vice Supréme

~02 Le vtCB supRéam

Comme le jour pâlissait et que tous les convives étaientpM'tia, Courtenay, après une fausse sortie,. revint, aumoment où elle passait dans sa chambre. Elle L'avait

pfévu.Sans rien lui ttire, le prince lui prit les mains et la

regarda dans les yeux d'un regard désireur qui disait« Vouiez-vous? M.

Par une inspiration géniale et qui le frappa délicieuse-ment dans son immense et souffrant orgueil, elle s'abat-tit sur sa poitrine, en murmurant « Un ne résiste pasau Roy D

A midi, Courtenay se réveilla amoureux. Ils ne se le-vèrent que le lendemain. Avec cette grâce royale, quidevait donner tant de prix au moindre mot aimable d'unLouis XFV, il lui dit en un grave baise-mains « Mllady,je me tiens pour votre chevalier a.

En rentrant à son hôtel, le prince trouva le ïnayqjjUitde Donnereux, qui, furieux de n'avoir pas été mvité i

Nino-Nina, et informé par l'inquiétude de M" d'Urié,avait tout deviné avec son flair de vicieux. Il amena la-conversation sur la première de l'avant-vejlle; et hypo~-critement, sans malice apparente, raconta au prince par!e détail, comment il avait acheté Claire Piiau, les toursqu'elle lui avait joués, donnant le numéro des garnis oùil l'avait eue, et celui de la concierge Pitau, mère 4e

Lady Astor.

CoMftenay écouta tout, l'oreille Sévreua~ l'aie détaché;dès que le vieux débauché Jut parti, sans pp~~Aretempe d"embraM<&rM p.&ptHe, il eourut au i?3 de la rueSaint-Antoine. Il attendit une heure dans l'allée la por-tière qui faisait ses provisions. Quacd ell$ MPiv~ il luimit des. louis dans la main et rint$rrog)Mt, Outrée d'avoK

~té assommée par sa &Ueet da t'en tirer que dMue ceatsf

Page 206: Le Vice Supréme

LEVM~SUM~Mf 203

n Mt ftAf~kttt~er~n. 1~ T

"&'a:.¿~ GVJ

francs de pension, eMe se décharges la rate – et sa dia-tribe concorda exactement avec !e récit d~ marquis

« Comment votre fille a-t-eMe épcmsé !ord Astor? ?demandait-il.

La mère Pitau ne savait pas « ce devait être unementerie pour mieux enjôler les hommes ».

« Il y a M, grogna-t-elle,, « Monsieur Gadagne quihabitait ici au cinquième, et qui est maintenant an 10de la. rue de Turenne. Il damait des leçons à la garceil vous renseignera peut-être mieux que moi, mais je vouaavertis qu'ils sont amis tous les deux M.

Le prince monta les six étages d~ Gadagme et trouvaun homme perdu dans un monceau de livres où se pro-menaient des chais.– « Monsieur », fit-il, très aise de rencontrer un sa<

vant, m lieu de l'être interlope qM lui avait tait entre~voir la portière, « Connaissez-vous Lady Astor »

« Pardon », fit Gadagne, « c'est vous que je neconmais pas M

– « Je suis le prince de Courtenay et je vous de.mande comme un service de me dire si Claire Pitau etMitady Astor sont bien la même personne. »

– « La même » déclara Gadagne.Le prince sortit vivement. « Ohl o pensa le phiioao-

phe, « qu'est-ce là'? »Tandis que Courtenay rentré chez hit, écrivait à, la

Nine une lettre plusieurs fois recammencée, G&dacneallait &oui&vard de CotEccelIes et entrant brtMqueimsnt« En quoi importe-t-il ~m prince de Coutttenay que

Lady A~mr et Claire Pitau soient ou non la même per-sonne? »

Elle pâlit, au bref récit da piMioaopbe.– « Scnl le marquis pourrait. et j'ai des lettres quesa femme.

Page 207: Le Vice Supréme

~4 LE VK:E SUPREME

« La marquise de Donnereux est morte pendant quevous étiez à Killiet ».« C'est ce monstre alors », s'écria-t-elle.« Je crois que j'ai été sage à vous dissuader du

grand monde votre chute eût été lourde, observa Ga-dagne.

– « Elle peut l'ètre encore », fit-elle; « hissez-moiréNéchir ».

Les coudes aux genoux, la tête dans ses mains, elleétayait en pensée l'édifice croulant de ses rêves.

Une lettre arriva du prince, qui était longue. Elle larelut,plusieurs fois et répondit ce billet

Vous dites ?K'a~?r, Mon~neur/ E< vous m'accusez,quand vous devriez me plaindre. En quoi tout ~-tetrompé? ~'due~-oons fait aucune question, et le momentoù nous étions ensemble, était-il celui d'une cott~ttongénérale? Vous n'avez eu qu'à me désirer et je me <UMdonnée. Vous <~ mon obligé. On vous a dit que mamère ~'ct)at< venduel Celle qu'on vend est-elle à <McW.miner ou à plaindre? Pour les calomnies du warqMM,je n'y répondrai pas. Libre à rptM de renoncer à ce quet?oMs appeliez une passion bien heureM~e vous m'aveztrop blessée pour que je puisse vous mander otHre choseque mon erjnMpTMent d'une conduite qui n'est pas dignedu Prince charmant que j'ai crM plus noble encore decœur gMe de race.

Lord Astor m'aima assez pour m'épouser et VotreAltesse semble rougir d'uMe nuit d'amour qu'elle peutoublier comme on oublie un rêve.

La Nwe.

A cette lecture, le prince entra en une grande per-plexité. Il s'attendait à une négation hardie ou à un ac-quiescement cynique, et cette retenue de grand goût le

Page 208: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 205

confondit. C'était bien une passion durable qui s'étaitlevée dans sa chair; il écrivit une lettre d'excuse où ilne s'expliquait pas sur l'avenir; laissant incertain cequ'il avait résolu. La Nine ne répondit pas.

Au bout de cinq jours, il n'y tint plus, et au sortir del'Opéra, s'achemina vers le boulevard de Courcelles,d'une marche tantôt fiévreuse, tantôt ralentie et commeattiré malgré lui par un magnétisme invincible. Plusieursfois il revint sur ses pas, passa et repassa devant l'hôtel,suant et les oreilles bourdonnantes de sa lutte intérieu-re. Puis tout à coup il sonna. La femme de chambre lui

ouvrit, sans un mot. La bouche sëcne d'anxiété et dedésir, il entra dans la chambre où une veilleuse luisait.;Du. lit de dentelles, une voix à la fois caressante et re-procheuse sortit.

« Voilà cinq nuits que je vous attends.»nIl écarta d'un geste ies bras tendus de la Nine, et les

jarrets coupés d'émotion, il s'assit, comme en visite.A ce préambule, la Nine, d'un mouvement brusque

qui releva sa chemise, rejeta les couvertures et se trouvaassise à demi-nue, au bord du lit.

« Prince », St-eIIe, « c'est Lady Astor qui vousgêne dans la Nine. Comme comtesse je vous parais dou-teuse, mais comme fille je vous agrée, je crois. Eh bien!1

je serai la Nine tout court, l'entretenue du prince deCourtenay, veux-tu? »

Le prince balbutiait quelque chose d'un saut qui levatout à fait sa chemise, elle fut sur ses genoux

« Je t'aime, voilà »

Courtenay la porta dans le lit.« Sot », pensait-elle, « qui sait gré à la carpe de

son retour à la bourbe ».

Page 209: Le Vice Supréme

XXVt

LES PERVERS

– « Il est englué », disait la JiMneà Gadagne, « etse passerait plus de pain que de moi ».

– H Vous l'aimez quelque peu? »– « Je,n'aime que moi. et encore! – Mais il ne m'est

pas cofvée; il m(. flatte en deux endroits,, à l'am<MM'~propre et à l'amour malpropre. J'en oublie les caressâtdu mourant mon mari. « compère Guillery j) chaa-tonna-t-elle.

« Il m'a fait prendre goût aux pompes ~de la chair.Puis, il a l'air d'un de ces grands premiers rôles qu~j'admirais à la Porte Saint-Martin, étant petite. Il estLagardère, D'Artagnan, Masque de Fer, Don César d&Bazan; il me gant~ au juste. – Ça, que j'arraage maviel. En triant sur le volet les ge&ies avortée de maconnaissance et les originaux de la sienne, ~car ~es in-times sont « non d'ëpée, non de robe, mais ~'esprit H) jeformerai une cour que la princesse d'Esté n'a pas. »'« Vous aviez raison, Gadagne, lea écrivains qui écri.vent, les artistes qui pfrodmsent, se vid<mt dans leurœuvre et n'apportent dans ,la inequentajt~n que le rebutde leurs pensées. Mais vivent les avortés pour la flirta-tion! Ils parlent ce que les autres font. a

« Voici un calame, je dicte ma maison intellectuelle;écrivez au moins comme vos chats. Nous allons procéderà la séparation des bons et des méchants, nous ne garde-rons que les pires. Commençons: côté prince! »

Page 210: Le Vice Supréme

ME VICE SUPRÊME 207'

!Mérodack, 'en tête il représente cette grande .en-fuie) cette beUe inconnue, cette étemellemeBft absente. 1~Vertu, et il est plus intéressant que le vice, cas extra-ordinaire et unique. J'ai voulu t'emprunter à la petited'Urfé. Ah: Ouhche!

Bile arrêta sa confidence, et reprit-a C'e~t le 9NTIMeduseur que je connaisse )). dans ce-

mot a y avait tme admiration si grande, qu'elle faisaittaire un dépit d'~M'gueil.

« Cadenot, en second. L'Orphée des boucs. »« Antar, qui m'aille son Vice ff, la princesse

d'Este ~ttnt son ~e f. ?« Qo~ant le préfacier; et le duc de Nîmes toujours à

la rescousse d'une perversité qui le fuit. Total cinq ~tle pnaoe, su~ a

– « Maintenant, côté Nine Ma cour manque un peude tenue mais cela ne l'empêche pas d'être roide. H

« Erlon, rmon peintre ordinaire, po~r me gouaoher de~demi-nus titillants. »

« Pouanoé, mon 'docteur, capable de poudre de 9ucoes-stom s~il dev~Mthériter, mais d'un savoir cosmétique mer--veilleux Beauville, ile philosopha de l'inconscient,l'homme du <( tout est permis, tout est louable ». A ladermepe Dominicale, il soutenait que tout désir a droità sa satisfaction; tous de déduire les corollaires du.théo-rème, et le plat~d n'a pas croulé! »

t~gneun, le technicien des M~tters ~tra~cs; .Tisse-lin, le Machiavel en disponibilité; .Iltis, le chinonnierdu vice parisien, l'hyène calme des turpitudes sociales;Saint-Meen, l'élégiaque dépravé; .Talagrand, une lyresans corde, que celle de ses habits qui se voit et l'autrede pendu qu~il porte toujours en attendant qu'elle le~porte; Enfin, Rudenty, l'homme des foules, l'ambitieuxde Ja borne et du club, le seul capable d'ua attachement

Page 211: Le Vice Supréme

2MLE VICB SUPRÊME

de bête et d'un dévouement de niais. J'oubliais Méri-gneux, le secrétaire du prince, un grand « çaen action ».

« Récapitulons Erlon, mon peintre ordinaire;~'m~ mon chapelain; Li.gne,uil, mon dtcttonnajre; Tisselin, mon ministre desaffaires étranges; Iltis, mon préfet de

police; Talagrand,mon porte-veine; Sain -Meen. mon troubadour; Méri.gneux, mon Quoheleth à rebours huit et nous deuxdix. Report 6 les moins nousne plagions pas Balzac Point d'objection, mon conseillerfois. adjugé à la Nina! » et

montra ses jambes.Lorsque Milady Astor revint de Killiet, son premiersoin avait été de se chercher un hôtel. Elle acheta pourun demi-million celui que l'Américain Clyston~~donné à Emma Lytt, cette Renée Mauperm du vice,morte, d'une façon si inexplicable.A l'instigation de Gadagne, elle fit du rez-de.chausséeun portique au figuré, où s'attablèrent pendant un tempstoutes les nuits, une clique de déclassés réédition dela salle rouge de la rue des Dames, où un vin chaudperpétuel arrosait des paradoxes à faire tomber lafoudre.

Elle avait eu la curiosité des gens célèbres, mais dè<!l'abord, elle les avait trouvés s~infélieur~ leur ceuvre, qu'elle se rabattit sur l'élite intellectuelle desportés, ces singes qui .euls montant vra meS la lan!terne magique de l'Esprit.

En dehors des musiciens que l'on joue, des auteursqui s'impriment,

des artistes qui exposent, ilmonde des inédits, de'ant qui la notoriété s'est dérobée~s.~

Page 212: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 209

quarante ans et pas d'éditeurs, peintres connus de seulsjuifs, musiciens qui ont besoin de dix mille exécutants,philosophes complètement fous, savants dont l'éruditionest un habit d'Arlequin et puis, et surtout, des êtressans rubrique possible, sur lesquels aucune étiquette neva boulevardiers de la pensée qui traînent comme unesavate leur conception la cour.des Miracles du cerveau.

Presque tous ont pris leur parti, une marotte et lemoyen d'un minimum; les autres gardent une rancunehuguenote aux hommes, aux choses et à eux-mêmes.Profondément trempés dans les Styx du mal, retour duvice et peut-être du crime, ils n'ont plus de sensibleque' l'orgueil, cet éternel talon d'Achille, où le calus nepousse que sous l'effort mystique. Ils ont aimé à enmourir, un péché, une idée, une femme, un art, unrêve, et ils n'en sont pas morts Rêveurs entêtés desimpossibles, et cloués au « bêbette » de la vie; jeûnantde tout, nés pour être, n'étant pas. A l'un, la santé;à l'autre le pain, ou une vertu, ou un vice: à tous amanqué ce levier qui hausse le vouloir à l'acte et laconception à l'œuvre. Des passions honteuses souvent,excessives toujours, ont été les chancres de leur vir-tualité.Avortement d'une entité, krack d'un destin, ces gro-

gnards de la décadence latine se. sont dévirilisés auxgriffes des sphinx dont ils ne savaient pas les énigmesen les affrontant. Mutilés, un prestige mau\~s leurreste de tous les Waterloo où la Force a encloué leursillusions et dispersé leur? rêves. De ces ardeurs étouf"fées, de ces élans arrêtés, de ces ailes coupées, de cesesprits tournés à l'aigre, de ces pensées tournées au malsort une Poésie singulière. Ignorant les lois métaphysi-ques, et privés de la volonté qui intuitivement s'en

empare, ils ont plus manqué aux circonstances qu'ellesi4

Page 213: Le Vice Supréme

M V!C~SCF~&MW

ae leur ont manqué; ces hommes sans œuvre parantcomme le génie exécute c'est la vie même et ses ren-eontres fortuites qoi timbra- leurs pensées de ce près-tige des explorateurs aux pays étranges; ils racontent,en effet, l'inconnu de leur âme mauvaise, revenus def enfer plus démons que damnés.

Au contact intellectuel de ces chenapans spéculatifqui n'aiment du mal que ses abstractions et ses théoriesMilady Astor s éprit du verbe pervers.

L'esthétique du mal, ce vice surnaturel dont l'ap.parition sonne le ~las des décadences, la séduisait etdéveloppa en ~c ce que l'élise appelle l'Espritde Malice.

Qu'on nie Satan La Sorcellerie a toujours des sor..ciers non plus des bergers noueurs d'aiguniettesenvoûteurs de fermiers et jeteurs de sort aux bestiaux'mais des esprits supérieurs qui n'ont pas besoin degrimoire, leur pensée étant une page écrite par l'enfer,pour l'enfer. Au lieu du chevreau, ils ont tué en euxlame bonne e! vont au sabbat du- Verbe. Ils s'assem-blent pour profaner et souiller l'Idée. Le vice quiest ne leur suffit pas ils inventent, ils s'émuJentdans la recherche du Mal Nouveau, et s'ils le trou-vent, s'applaudissent. Où est la pire, de la Sabazie ducorps ou de celle de l'esprit; de l'action criminelle auQe la pensée perverse?

Raisonner, justifier, héroiser le mal, en établir le rituel,en démontrer l'excellence, est-ce pas pis que le commettreP Adorer le démon ou aimer le mal terme abs-tMit ou concret du fait identique Il y a de l'aveugle-ment dans la satistaction de l'instinct, et de la démencedams la perpétration du méïait, mais concevoir et théo~rMar exigent une opération calme de l'esprit, qui est laVice suprême.

c~

Page 214: Le Vice Supréme

LH VïfE SUPRÊME 2tt

Admettre l'erreur philosophique, n'est-ce-pas faire dublasphème son acte de foi? N'est-ce pas dire 1~ MesseNoire P

MHady Astor avait eu quelque peine à former un di-zam pervers de bonne compagnie et que le prince pûtaccepter. Gréaulx, Malaucène et Verlaixon furent éli-minés pour leur manque de gants, au figure. Quoiqueentiché d'idées nobiliaires, Courtenay préféra cette socié-té étrange aux ennuyeuses gens de son monde; d'autantqu'il était flatté du respect réel ou feint que lui témoi-gnaient ces prêtres de l'irrespect. Quand la Nine ~esavait avertis de leur amphitryon, Talagrand avait répon-du « j'aime autant dire « Altesse » que « ma vieille ~).Cela leur plut tout de suite de reconnaître dans l'int~mité un roi, que régnant ils auraient sifflé. Ils l'appe~è-rent « Sire ». Etonné d'abord, le prince leur fut recon-naissant de cette couronne idéale, qui, comme une bellechose, n'existait pas.

– « Esprits évangéliques! notre orgie sera domini-cale! » avait dit la Nine.

Singulier fut le soir de la représentation. Le princecraigBait de s'encanailler avec.les neufs habits noirsgraves et ironiques, et pour leur faire sentir la tenuequ'il exigeait d'eux il les gratifia de ce « de » qu'onregarde comme un titre.

La Nine nommait; Courtenay phrasait un accueil pré'paré le dominical, après un salut, faisait une passade –comme au théâtre.

– « M. Gadagne, mon père Spirituel », disait la Nine.– « M. de Gadagne », faisait le prince, « la présen-

tation est inutile pour vous, ne suis-je pas votre obli-gé ? »

« « M. Erlon, mon peintre ordinaire, qui ne l'estpasi a

Page 215: Le Vice Supréme

212 LB VICE SUPR&MB

U ,.a~l,u, ~tft: 1'ft.t!J .n l'1ft. a. D_– « M. d'Erlon, j'ai pris vos œuvres pour des Rops,c'est le plus que je puisse dire. »

« M. Pouancé, mon docteur. » w

« M. de Pouancé, vous êtes le médecin des grâces;m soigner que la beauté, c'est plus que de la sciencede l'esthétique. »

« M. Beauville, dit l'inconscient. »« M. de Beau\ille, le sophisme, cette faculté de

rendre vrai le faux, prouve en vous l'âme libre et im-mortelle. »

– <( M. Ligneuil, mon dictionnaire. »– « M. de Ligne ul, n'est-ce pas encyclopédie qu'il

faudrait dire? »« Ils sont tous nobles? » demanda de Quéant &

Mérigneux.`

« Aucun », repondit-il « il les ennoblit pourfrayer avec eux, sans déchoir )). <

La présentation continuait– a M. Tisselin, Machiavel II.– « M. de Tisselin, je voudrais Lien avoir besoin de

vous. »« M. Saint-Meen, mon poète extraordinaire, »« M. de Saint-Meen, vous avez fait pleurer l'or-

gie c'est la réhabiliter, »

– « M. Talagrand, mon porte-veine. »– « M. de Talagrand, être talismanique, c'est être à

choyer ».– « M. Rudenty, mon hydre de la révolution ».– « M. de Rudenty, nous changerons l'hydre en hy-

drie, n'est-ce pas? »– « M. Iltis, seïgneur des Beaux, de Bachaumont et

autres lieux.« M. d'Iltis, notre échotier, alors? »

Maintenant fit la Nine, et désignant aux neufs per-sonnages, ceux groupés près du prince.

Page 216: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 213

~jC-t- –t-'–«M.Mérodack, sphinx de son état; M. de Quéant

qui fait mieux les préfaces que M. Nodier et qui en faitplus que Sainte-Beuve, mais dans le sens de « nousne lûmes pas plus avant ce jour-là » M. le duc deNimes, pervers par vocation, vertueux par disgrâce de 1Dieu M. Cadenet musicien obscène M. Antarsculpteur antiphysique malgré lui M. Mérigneux

you M/te it. »

On s'assit; les seize habits noirs se replièrent dansles seize fauteuils bleus.

La Nine éclata d'un rire qui la travaillait depuis unmoment.

– « Vous n'avez pas l'air de Robert de Courtenay,Sire, mais de Robert, chef de brigands, à l'époque d&Rocambole.

Un sourire aigu fit le tour du salon.« Mais », hasarda Rudenty et sa voix forte sem-

bla unvacarme dans le silence coupé de craquements debottines, et de plastrons qui gondolent et qu'on tape« mais, le duc de Valentinois était un chef de brigands ».

– « Mandrin et Cartouche ne sont point vulgaires »,hasarda Ligneuii.

Peu à peu ils sortaient leurs idées comme des lamesdu fourreau, et quand on annonça que son Altesse étaitservie, ils avaient déjà bouleversé le duc de Nimes. Jus-qu'au dessert, il y eut quelque gêne.

« Les fluides se pénètrent M, dit Mérodack. A troisheures du matin, l'ivresse du paradoxe avait fêlé tousles jugements. Talagrand parlait en vers à sa corde dependu. Le duc de Nîmes, qui n'arrivait pas à se griser,ramenait à chaque instant son jugement, qui lui échap-pait.

Le prince se plut vite dans son étrange cour; il y avait

Page 217: Le Vice Supréme

LE VtCB SUPtFfÊMt

d~UJtL ans QUR !p dïn~ ~<deux ans que le diner do.dnical avait lieu et une iati-nuté faite de mésestime mutuelle s'était 6taMieTous ces êtres, trcp supérieurs pour M pu pe~er

~ent leur cuisse, d'un accord <Jte~Sdésarmé.en~e e~ des rentrant leurs jouerentre eux.

« Laissons notre fiel à la porte », avait dit Beau-viHc, « nous le repreidron& en sortant. ».

Le prince et la Nine, Antar et Cadenet étaient irooen vue, pour qu'on jasât pas sur ces remuons Bea~roup tentèrent d'y être admis unanimement, on ~c-fusa convive eût peut-être rompu lacbatne svmpathique.

Une légende se forma; pour un peu, on les eûjt accusé.de manger des petits enfantsnou~nesIls sans mot d'ordre, ~~idar!t6les liait plus qu'Us ne croyaient eux-mêmesun~r ~ne" sommes mis seize hommes », disaitun soir Gadagne.

– « Eh! je sui~ une femme », rêctama b Nine« Quinze hommes et une androgyne repdt-iLpour tuer le temps un soir par semaine et nous yarrivons. »

– « Et dire », concluait Talagrand, « que les r~es~ures qui seront pLus ennuyées que nou~. étant plusvieillies, n'auront pas ce courageux expiée' ns~P~ écrit, et qui mériterait d'être chanta en vers Ban.f" rimes de étant un m6-tat tombé dans le commun. »

.Satisfaite d'être la première hétah-e de Paris, la Nmeconsolait le prince de ses ambitions déçues, en jouantla sujette même au lit, lui prodiguant les plus servilesvoûtes exultant enfin son orgueil par une admira-ble comédie de Lavallière dépravée.

Page 218: Le Vice Supréme

xxvu

L'ORGIE

Tous les dominicaux étaient arrivés; à la vue de Ma.restan qui venait derrière Mérodack, ils s'entreregardè-rent étonnés. Amener un dix-septième convive, le prin-ce lui même eût hésité à l'oser.

– <t,SirB, Milady, Messeigneurs, je vous présente ;`mon ami Marestan~ poète provençal que j'aime. J'~pensé que pour qu'il eût de tout ici, il y fallait quel- tqu'un de pur. w

« Merci pour le duc de Nîmes, seulement » &t leprince.

– K Qui prétend ici au brassard blanc des commu-niants? a

– « On ne refuse rien aux Mages; monsieur Ma-restan, vous êtes des nôtres », déclara Courtpnay.

Marestan remercia– « Je n'eusse jamais osé. C'est Mérodack qui a

voulu.« Vouloir, c'eat sa science », dit TiMeJLin.u ~!elle qui vous manque, monsieur de San Cas-

ciano~ Aujourd'ilUt le bien et le mal ne se iout plus. ilss~ parlent. L'action est morte. »

« On écrit trop pour agir M, remarqua Beauville.« Tace dit Mérodack M un livre, une fresque

sont des actions qui diurent toujours, puisque dans milleans elles détermineront des actes. PiNtarque est le man~che du couteau de Charlotte Corday. »

Page 219: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME

– « Je l'aime. rctt~ f~mm~ M <– « Je l'aime, cette femme », interrompit la Nine– « Je la blâmo M. dit Pouancé elle a encanailléle couteau. Pour Marat, l'acier est trop noble, la cordetrop digne, le coup de poing trop honorifique; il ne me.ritait pas m~me le maillet de l'équarrisseur. »

La Nine en habit noir, la tête rase semblait la Dioti.ma de Platon, moc émisée par Rops.

« Vous marctez comme Hérodiade dansait », luidit Samt-Meen en sortant du salon.La salle à manger tendue de Gobelins, meublée de

bahuts Renaissance chargés de majoliques, était pres-que sévère d'aspect, avec ses seize fauteuils à haut dos.sier, tous semblables et rendus plus significatifs par lesiège disparate ajouté pour le nouveau dominical.

« Premier service », lui disait Mérodack « tnvas entendre le chiffonnier du vice parisien. H fIltis avait dans sa maigreur l'élancement phonétiquede son nom. Certains doigts de sa main étaient fuseautéacomme ceux des diplomates et des espions; les autresd'une spatule active qui le faisait continuellement p€-trir une boulette de pain ou jouer ave~ son couvert.Nul souci d'art, de poésie, de la fin de l'homme et de lasienne, mais le génie et la manie de l'observation. Savie se passait à fouiller celle des autres, heureux de découvrir du satanique et du sans nom. Flore et Faunedu mal étaient les seules sciences dont il eût souci Sansfortune, il vivait à l'aise par d~-ers moyens. Deux foisla semaine il racontait du de Sade à de vieux magistratset vendait aux échothrs des informations sans initiales– d une discrétion de prêtre quant aux personnes. Quandon touchait à la chronique scandaleuse devant tu! son jsourire faisait dire à M. de Narsannes « Il tient donctoutes les chandelles de France ». Pour lui surtout, lesouper dominical était son bonheur. Chaque dimanche

Page 220: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 217j

soir, sur la nappe étincelante de cristaux, il vidait sahottée d'ordures, choisissant les plus infâmes. Sa voixd'une stridence aiguë, avec des éclats de cristal heurté,faisait un bris de vitres quand il riait.« Or sus, monsieur le dispensateur des documents

humains, êtes-vous bredouille, cette fois? »– Videz la hotte ».– « Elle est pleine toujours )) commença Iltis, « si

pleine que je me demande si la vertu n'est pas quelquechose d'antiphysique, un rêve de poète religieux, uneclownerie au moral, que quelques Auriols de la perfec-tion chrétienne ont réalisé, mais qui est impossible à lagénéralité. Dogmes et morales, n'est-ce pas de la foliesublime?. Figurez-vous un prophète, un pape qui vousdit « Soyez tous beaux ». a Mais, crie-t-on, je sui~bancal – moi, cul-de-jatte! moi, brèche-dent )) Lepape impassible reprend « Soyez tous beaux; vous ieserez en vous livrant à l'orthopédie mystique ». Vousriez? Cependant la religion ne commande-t-elle pas d'êtredes Apollons et des Vénus, des Apollons de charité, detempérance; des Vénus de chasteté, de bonté. Exigerla beauté morale, n'est-ce pas aussi fou qu'exiger labeauté physique? Voici un paillard, un assassin, un vo-leur, un athée; et on leur ordonne la continence, la cha.rité, le désintéressement et la foi. C'est beau. de folie.Ma profession de foi est nette l'homme a besoin ~e malfaire, donc il y a droit! La conformation de l'âme est plusirréductible encore que celle du corps. L'esprit perverset le nez à la Roxelane resteront tels. J'analysedevant les faits et je conclus à l'irresponsabilité absoluede l'homme, du tigre et de la femme. La vertu, c'estde 1artificiel, du contre-nature une fantaisie de la civi-lisation. Allez parler vertu aux sauvages! Ils ont le cou.rage par besoin. La bonté est aussi peu exigible que la

Page 221: Le Vice Supréme

LB VK~t &UPB&itE

Tk&A*.t~ T~t-_ vbeauté. Je déclare, au nom de l'étude p&Bsionmdie, q~l'instinct est la toi, le mal, l'essence o~MHquB, le b~soin et partant te droit de l'humanité ».

« C'est monstrueux! moasiewr », t'écrm Mareattm.JMérodaciE l'arrêta d'un mot ir<miqwte

« Tu as voutu pénétrer ici, subis-~ i'opprobre. ?« Ecoutez ce cours d'immolé », monsieur Ma.

-restan, disait Ja Nne.« Messieurs de la resipoasabiUté passionneUe,

v<Mciun fait Un jeune booMao beau, ncbe, nobledéparait. On le r< trouve ~<Mxmois après. daM <<mgarni de l'île Saint Louis avec un garpon boucher qni lebattait; et il n'a reintegY'6 son hôtel des Champs.Eiy~ées qu'avec le garçon boucher ».

– « Quel beau sujet naturaliste », fit Ligneuil raN-~ur.

1– « Ce n'est pas du vioe, mais de la pa~Iogieune lésion de renoéphaïe dit PoMancé.« Donc, irresponsabilité, et croyez-vous a, s'éofia

Mtis, « que toutes les passions soient Mtrp chose <e~descas morbides? N'avez~~ous pas entendu parler de <?-conseiUer aulique d'Autriche-Hoagrie qui mit cette an-nonce dans un grand journal de là-bas « Ua nche etbel étranger onre aux jeunes fMtesnobles les pl~tir:: lesplus pervers, sans danger de %r<9M<%sse.» La pottM,trois jomrs après, va retirer à la poste, aux initiales~iqu~s, quatre-vingts terres de jeunes Slles a grand~Mm. Ces vierges étaient.eHes respn&sab'es?.

'< Vierges? M imerrompit la Nine, « «tnippendrel'annonce, c'etMt l'avouer pratiquée dé~à M.

Les KaJ~eens ont compté six ~ent treize toac-~ions physiques dont l'équilibre est nécessaire &tavie. » disait Pouanoé qa'ÏItis mtcrroŒp<t.

– « le sais où }Mu te Sabbat. Elles eos~ tFM<

Page 222: Le Vice Supréme

LE VtCE SUPREME ~1~

deux grandes dames, une chanteuse de café-concert, àun quatrième vitré, et tendu de rouge Toute~nues îche~l swr des balaie elle, ~hevauch~t silencieusement,enrond de manège. Dans un brasero des pastillesdu serai. Elles se happent à tour de bras, plus bas ~ueles épaules, pour que les meurtrissures ne

pas de se décolleter. Puis elles luttât à se faire des pin-ces, des ~fiées, des morsures au sang. ~da~~va au sabbat v~us dira le reste ».~~rouacK qm

– « Le reste M, supplia la Nine.– « En hébreu, si vous voûtez »Iltis continuait d'égrener les turpitudes de la semaine~l~ connaissex, Sire, cette chercheuse quifait t 1 étonnantechose que je vais dire Depuis six ans,elle n'a pas ét~ son mari qui en est ~ou, au po~t~

~f~',les lits même cloison, u~cloison de cinq centimètres. Un soir, elle rentre avec unêtre quelconque, qu'elle croit son idéal pour une nuit,le tMen-auné de douze heures, comme dit Caden~t EUeforce son mari à venir prendre le thé avec l'amant; puis,eHe le ,renvom. Tous trois se ~mAent. La d~on est si

`mince, que les .respirationt même s'entendit! Ou est lepoète qui écdra la nuit du m~

ditMerod't:s~S~"dit Mérodack à Marestan hébété.

~e" crauhant lesiguwmlmiesrécentes..

ode Saint-Meen, le chamne dusacrilège, poème extra-pervers.

« Un dominicain mauvais est Irouvé bon; il revjenten civil, on le reçoit comme un cféancier; il s'en ~<mneet 1 déclare que c'est la robe ~ui habilte p~cM..« Je me ngure dit la Nine, ia même femme

Page 223: Le Vice Supréme

220 LE VICE SUPREME

avec un chevalier allant au tournoi; cela n'eût pas étécommode ».

« Eh bien! Iltis, vous vous taisez. Paris s'amendè-t-il et la qualité du péché diminue-t-elle la quantité?

« Elle y est seulement je garde la coprophagiepour le dessert ».

K Deuxième service », expliquait Mérodack & Ma-restan. « Voici venir la politique, regarde cette Sgured'Et~sme mauvais c'est Tisselin-Machiavel. »

– « On allume le peuplel » concluait Beauville àune lamentation du prince sur les journaux rouges.

« Et », observa Pouancé, « comme toute excita-tion veut une dépression, il détend son système nerveuxsur l'édifice social ».

– Où est la hiérarchie? bon Dieu! ~) murmuraitLigneuil à l'oreille de Talagrand « un

prince, presqueun roi, qui cause camaradement avec un tribun N~

– «C'est que ce tribun)), répondit Talagrand, « est,seul de nous tous, prêt à se faire couper la gorge pourle prince )), écoute comme le mot « Sire » lui sucre leslèvres M..

« Mais, Sire », faisait Rudenty, « Belleville n'a étéqu'un marchepied pour me hisser au pouvoir; j'ai eu letort de me rendre impossible pour une réaction et. »

« Pourquoi », demanda le prince, « continuez-vousà leur débiter du Danton P »

« Parce que j ai besoin de commander, de manierdes esprits, d'emballer des masses à ma voix. Le pouvoir,voilà mon désir et mon vice. J'ai encore à cette heuredans la main les douze cents plus fières canailles quisoient de Charonne à Grenelle en temps de trouble, c'estta bande d'un coup de main hardi; en temps ordinaire,la faculté de me promener à toute heure impunément le

long du canal Saint-Martin. Seulement, ceux qui plai-

Page 224: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 221

-1- t ~~t~.gnent les courtisans de Louis XIV ne savent pas ce quesubit un courtisan du peuple. »« Avec un roi », dit Quéant, « on. sait à qui plaire et

à qui s en prendre. Ce n'est qu'un homme à étudier dansses manies et dans ses vices; on finit par savoir en jouercomme Tulou ou Génin de la flûte. »

« Si j'étais Sire en vérité », demanda le prince àRudenty, « je vous aurais donc pour adversaire P »

« Moi, Sire?. je leur montrerais, à mes brutes, simon dos fait beaucoup d'ombre quand je cours. Franche-ment, mon grand désir de démocrate serait d'être duc-toutes les supériorités du parti anarchiste ne demandentqu'à entrer dans la hiérarchie par le haut. »

– « La cause du peuple ne vaut-elle pas qu'on1 épouse? P »

– « II est malheureux, donc intéressant; mais je ne

y

l'ai jamais envisagé que comme un instrument. »« Je crois )), dit Courtenay, « que le peuple ne peutrien pour lui-même. Il faut qu'on lui fasse du bien malgrélui; c'est un enfant qui ne sait pas tenir le pouvoir il

en fait un joujou qu'il casse, ou une arme avec laquelleil se blesse M. Guizot avait raison Rien par le peuple, »« Qui a lu la morale civique? », demanda Gada<me

ironique.Il y eut un silence de dédain. J– « Cet escarbot vivisecteur », prononça Mérodack,ne sait donc pas que tout le parti du passé, le seul à qui

appartienne l'avenir, traitera ses idées comme des murs?Quand l'athéisme est au pouvoir, il faut prêcher la liguesainte; et le temps est proche de la double croix et dumousquet catholique! »

« Frondes et Révolutions, bravo! » s'exclama Saint.Meen. « J'aime le désordre dans ma chambre, dans met

Page 225: Le Vice Supréme

SR~ LE VICE SUPREME

;"J1~ ,i.KMes et dans mon pays. Je suis anarchiste de tempéra-ment et vous Erlon? ))»a Moi, quand les tableaux brûlent, je vois rouge. ?« L'art, c'est toute votre vertu. »« Mais je l'ai bien. Mes polissonneries ne me cachent

pas Raphaël e je me ferais tuer à une porte duSalon carré. »

« Bien dit » approuva Mérodack. « La vie des chefs-d~œnvre a plus de prix que celle des hommes. Le chef-d'œuvre prouve l'âme et reflète Dieu. n

« Pauvre France! » faisait Courtenay à une observa-tion de Mefigniux.

« Oh! » commença Tisselin, « depuis la grande bévuede Ï870-71, on n'a fait que s'embourber on s'est laisséconduire par de petits Catilinas ou par des'gâteux. Rienne stagne comme l'honnêteté les vertus 'sommeillent,tandis que les vices agissent. En politique, il faut pri-moment jeter par-dessus bord les ingénus et les phraseurs,les hommes à principes et les hommes à pathos, lespédants et les avocats. »

– « Vous n'êtes pas pratique », interrompit le prince.« Je ne suis que cela. Je n'admets aucun principe..

H y a des intérêts individuels qui entraînent des intérêts.collectifs, voilà tout. Rodin est d'un bel enseignement.Je vous l'ai déjà dit, Sire. les faits collectifs n'existentque pour )es manuels du baccalauréat. Un événementc'est un homme, ou deux, ou trois, mais cela s'incarnetoujours. La seule incarnation multiple est le Serment duJfeu de Paume. Eh bien! Carlyle a démontré qu'on pou-vait tuer en quelques minutes cet événement. Les portesdes écuries de Marie-Antoinette faisaient face à celles duJeu de Paume; il y avait des canons dans ~escours Le&rouler, les charger, bombarder la Cons' tuante avant

Page 226: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 223~

qu'elle fût constituée et la Révolution avortait; les têtes.ceu~ on avait le temps de couper les bras. SixxéMs, c'est néant, mettez un devant, vous avez un mM-M En politique, comme en arithmétique, l'unité est.tout et ôtez l'individu, l'événement n'a plus lieu.. Qu'est-ce le premier empire?. Bonaparte. Au lieu de soldats.contre son armée, il fallait envoyer des assassins contre'sa personne. Vingt coups de poignards à travers l'his--toire universelle. elle est changée. »

« Appliquez donc cette théorie à 1870P »« Très simple. Trois suppressions MM de Bis-

marck de Molke, Guillaume. S'il était question d~revanche, je prêcherais la guerre de l'assassinat, la seule-qui sache qui elle frappe. Charlemagne avait institué labamte-Vehme. »

« Voyez, que d'assassinats manqués dans l'His-toire! » observa BeauviIIe.

« L'assassinat est un art qu'on n'enseigne pas, maisqui peut s'apprendre. Du reste )), et il se tourna vers..Pouancé, « je ne tiens pas au fer et le poison m'agrée. »

« Odieux! » dit simplement le prince.« Odieux! de dépêcher dans l'Hades, trois êtres qui.n'ont rien à ajouter au Verbe humain et glorieux, n'est-

ce pas? Quatre cent mille braves gens qui s'éventrent.sans comprendre, deux cent mille mères sans fils etfemmes sans époux! Singulière sentimentalité, plus sin-gulier point d'honneur, d'appeler gloire et de célébrerl'homicide lorsqu'il se commet en gros. Une bataille, c'estavant de la bêtise, et après de la boue ))

– (( Avez-vous vu l'année prussienne entrer dans.Pans ? Mdemanda Courtenay.

« Oui, et j'ai pensé que trois poignards l'eussentempêché. »

Page 227: Le Vice Supréme

224 LE VICK SUPRÊME

T'Il. v I_I. L

Puis, s'animant« Assassiner! empoisonner! tout est là intelligence,

charité et esthétique. Ce Richelieu qui d'outre-Rhin nous

guette, qu'il soit supprimé d'abord. Puis, favoriser les

ferments d'anarchie que contient l'Allemagne. On a pré-

tendu qu'Cnenbach avait été envoyé par la Pousse pour

déviriliser !a France; c'est en l'air, mais cela s'exprime

bien qu'avant d'attaquer un peuple, il faut le syphilitiser,

sinon au propre, d~ moins au figuré.« Au temps barbare, tuer un chef, ce n'était que tuer

un homme. En citvil dation, tuer un chef, c'est tout tuer.

Si j'avais un cri de guerre à pousser, ce serait « Auv

poisons aux poignaids! » Et puis, je ne pousserais pas de

cri, je frapperais dans le mystère, comme une .InaM~. »

« Que dirait l'Opinion? » interrogea le prince J

« Quoi qu'elle dise, je lui répondrais « Doigt de

Dieu. » A quoi servirait donc cette conception de génie

la Providence, sinon à endosser toutes responsabilités

dont l'homme supérieur ne veut pas? Pas d'abstrait pour

la politique; un événement c'est un monsieur le mon-

sieur à l'ombre, l'événement y est aussi. »

« Si l'événement a dix incarnations comme

Vischnou ?P

« Dix! » prononça Tisselin, en faisant le geste avec

son couteau..– « J'ai eu dans les mains les livres d'histoire de

Tisselin; les marges sont étoilées du signe typographique

de la suppression le monogramme de sa pensée. »

Rudenty soufflait à Talagrand– « Je ne veux pas le dire au prince, mais- lé patrio-

tisme me semble un préjugé. Comment? Je dois tenir pourennemi l'habitant de Vintimiglia, sur un ordre..

– « C'est une idée qui sert à l'Etat », dit Talagrand

avec une gravité narquoise.

Page 228: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 225

Ctat « ~t DM~t.. t.~–

t6

– K L Etat », et Rudenty haussa ses fortes épauleaTalagrand sourit comme un chat dont on gratte la tête.

« Que dites-vcus donc, d'obscène, là-bas? » héla laNine.

« Rudenty me parle du plaisir d'être soldat ?Le tribun lui marcha sur le pied.

« Tu es bête de lever ce lièvre-là. »« Une chose me réconcilie avec mon sexe », déclara

la Nine, « c est de ne pas être un esclave jusqu'à qua-rante ans. » i

Le duc de Nîmes racontait une dépravation atrocequ'il s attribuait, aux rires de la table.

–«Tartufe est à récrire, l'hypocrisie de la vertu a faitplace à cette énormité, l'hypocrisie du vice », remarquaAntar.

« Ils ne me croiront que si je passe en cour d'as-sises », criait le duc.

« Pas même alors », dit Quéant, « vous êtes con-damné à une bonne réputation, » 1

« J'ai laissé mon patriotisme à la caserne », disaitRudenty.

« Oh1 » fit le prince.« J'ai gardé un souvenir ineffaçable du conseil de

revision », appuya Mérodack. « Etre vu, étudié dansma nudité d'éphèbe par des gens qui ne valaient pas uneminute de ma pensée, être touché, palpé. »

L'œil de la Nine brilla.« Vous, l'homme du devoir, vous vous rébellion-

nez? M« Sire, les lois ne sont pas Loi, et elle ne demande

jamais la passivité à l'homme. J'irais emprisonner le papeou crocheter un clottreP Croule l'Etat plutôt que je parti-cipe à un sacrilège. »

– « J'admire », s'écria la Nine « que tout le mondet6

Page 229: Le Vice Supréme

226~ LE~VM~S~PmÉME~

ici, m6rit~'Ia:'iM~i, e~ootr~B. Lab~ M~rodaek; vient d~s'av<met.pehd~l~ Ui)B~y.fnp!)M qpMt'vout pou~repr~seateBila vetia~ moïuu&tmMareahm~ H.

Le provençal rougit.« O~tS~t~a~~ <Ht;BtiOB;N.~NBtiM.~MBf~OCett-

tisti avaient du génie. Une dhMM~det quatconquet sesont fait un nom, à dtcocrvrir eeMe Ametiq~ ?

–? Le F~aa~ais né'nmNn'M, SStiL~nMnt:, K.crét la

critique d~a~ <p~qiMchoa&iCOBMte"ladhtg)M.0& pfemi!1un motif, c'est-à-dire un tableau et on exécute <lea:;varMhticas' d~ Garna~ed d(; VenisB-: 1&souEMeide 1~ Jaoon~

par exemple. ?–? EU~soBjri't:das:.ye<M.»– Elle seœMte avotr eu d<es.eKiant~ca, at~erva~ tt

Nine.« Parbleu! eMe:a.)ea to~t,e~.tco~A nos:,heuf@s

nous avons tous le sourire de la Jocon~ej M~ <–<< GejMnda<ib int€fyeota!LagaeNul, <&.n<tM:soiMM6

loin d'avoir eu trop de touti N;– « Moi; ~a< BMnqaé' de' tèbao' n, <Kt Ta~agr~né.

« Vous riez. Si je {Vousdisais que j'ai manqué de~pain~vous ne ririez pas. Eh bien! une. iMtdt~idèMt'pir~ q~'uBbesoin. comme l~t~MMa~si vousne~lui d~nnez~paa~àmanger, ça vou&mange. »

–« B~ts~, H.8t B~auvïMé;« oo~s avoM ea d~ tout paf°

la pensée? M« La réalité n'est pas nécesMuro-à~la'aensa't~ ?,

phra~a-Cadagne~ « l'arttSèiet~eet'iBaatet l'&Baginationcontingente de tout. »

–« Cèrtes », dit MérigMtu~ «. d~s une'hec~& d'ici,Mépodaek m~paFa!tra~m~<tfc~am~'dém~8iô)tN~~ et 1~prin~, Nabu~ihcdèa~sor. uzt'roi artitt~ II ya~d~MM~~oncantique « J'ai songé jour et nuit ~'la~réM~aMêï~chtPa~Oas~t de l~Toors. ~0&i~nore~'qae M. Zol~~st cooirère

Page 230: Le Vice Supréme

~–' M

.J! T-1: '1

jLE-VICE SUPRÊMe 22*

de L~dfaim et. d'Oppapt assyrmio~e. Le mém&cantiquecontient ceci « J'ai construit à 1&grande déesse Name~qui donne: de l&;joie à mes ceins, un. temple en bitumeet en briques. »

Mérodack CMSMt &~sc.Ligneuii«Un moment, mj~noratAe ddn& la desiMB~ sémi-

tiqN~~ c'est l'arrivée des; hasduni en ~bylome; it~ santsans épée et. msuittennest les bacbares:; ce sont lesmages. B~

– « Voilà l'autre monde qui arrive. )–« R vautcehn-ci. »

– « IFvaut mieux, il n'existe pas. »– <~Bt no~ royaume alors? »Mëfochc~ s'interrompit pour jeter à Talagrand–- « La voilà revenue la tirade sur N~ron! Ahl per-

veMite à sept francs- le volume Néron un artiste!'Allons donc, rartiste c'est le créateur, non le jouîssedrNëron ~st'p!us bas qu'une brute! H

« Renan n'est pas de votre avis. »– « Le propre dé Renan c'est de n'avoir pas d'avis =

faux bonhomme, faux savant, vrai. cabotin, il a invente1 escarpolette dé l'exégèse. Renan le ~at~eMr se balance 1an dèssus dès hypothèses. Son oscillation en arrière verala foi, est égale à celle qu'il vient de faire en avant verale rationalisme. Quand on r

le livre, on s'aperçoitqu on a été balancé, mais libéralement et pour ce, l'on-oublie dé se fâcher.

– Je. n'ai pas de. ressentiment aussi noir a fit~adagne. K mais je refuse le nom de philosophe à CM~amateurs d'ex.ége6e& q~i s'assimilent une. théogoniecomme un. sorbet. A, M)tre époque les cerveaux rêvent.les idée&aânent, et. Renan, n'est que le boulevardierd'mt.DouleYardsupériËUje.M.

Page 231: Le Vice Supréme

228 LE VICE SUPRÊME

Des apartés se formaient, se fondant dans la con-fer.

jB.atïongénérale ou s'en détachant.« Tisselin a un Campo Santo, à lui tout seul, –

et vous, docteur? »– « Nous avons tous tué des mandarins! »– « Moi, j'ai assez le mes malades. »– « Je n'ai pas tué de mandarin, moi » dit la Nine.– « Ni de boyard, ai de lord? » demanda Merodack

qui vit la Nine pâlir un peu et dit bas à M~restan« Elle a un cada'vre.«La vertu », répondait Mérodack à une boutade

du duc de Nîmes, « e~.t aussi rare dans l'ordre moral,

que le chef-d'œuvre dans l'ordre esthétique; mais demême qu'il y a plus d'œuvres moyennes que de détes-

tables, ou d'excellentes, ainsi la plupart des gens sont-ils d'un vice ou d'une vertu mitigés. L'être purementmauvais est aussi rare que l'être exclusivement bon etchez beaucoup, les vices et les vertus exvistent parallè-lement.

« Oui » dit Marestan, « on peut être incontinent,en adorant la chasteté. »

« Chez les politiques sanguinaires, vous trouverez

toujours une pointe d'idylle. Eh bien le coin de bienchez les méchants, le coin de mal chez les. bons est le fild'Ariane de l'analyse passionnelle. En décadence, nuln'est simple, et il n'y a p-asde concordance, des idées auxactes. Mal penser et bien agir; bien agir et mal pensersont également communs. »

« Mes seigneurs », dit le prince, « dans quelquetemps nous pourrons pasticher Sardanapale, Marcoux. »

« Marcoux », interrompit Mérodack, « est un rêvas-seur qui vous a séduit par son quiétisme monarchique.Vous perdrez ce que vous lui confierez. Oh! je le crois

probe, mais comme on ne peut appliquer au Rothschild

Page 232: Le Vice Supréme

y

LE VICB SUPRÊME 229

la théorie de la suppression de Tisselin, la nouvelleF'rance échouera, et Sire, un roi ruiné. »

<(Est condamné à mort, je le sais », dit Courtenay,« les lys ne filent pas. »

« Ils déaient, ? souffla Gadagne à Beauville.Mérodack remarqua le silence de la Nine sur ce sujet.– « A mon tour », fit-elle, « de vous annoncer que

l'Indif férent passera en février à l'Opéra.Comique. »– « C'est d'un vice à la Gomorrhe, monsieur Mares-

tan », dit Ligneuil.« Mais », demanda la Nine, « pourquoi donc tou-

jours Sodome et Gomorrhe, comme parangons du crime;un exemple de ce que faisaient de si effroyable, ce$villes. »

« Un exemple », dit Ligneuil. « Eh bien! je vouaregarde; le feu du ciel n'est pas tombé pour autrechose. »

« Oh! l'affreux », fit la Nine en riant.« Si nous causions femme», insinua Talagrand.« Ce qui démontre combien nous sommes supé-

rieurs, c'est que cette idée ne nous est venue qu'audessert. »

– « La femme », dit Mérodack, « c'est la chair et lachair, pour les races latines déjà énervées et pour l'hom-me de pensée, c'est l'ennemi. »

« Oh! » protesta Saint-Meen, « il n'y a pas que lafemme qui soit la chair. »

– « Votre définition de la femme, Mérodack », de.manda la Nine.

– « Une allégorie est toujours une fem~ie, qu'onreprésente la Perversité ou l'Agriculture, la Morale oula Géométrie. Eh bien la femme n'est elle-même quel'allégorie pratique du Désir; elle est la plus jolie formeque puisse prendre un rêve elle est l'armature sur

Page 233: Le Vice Supréme

~30 MtVYCBSM~ME

-hoquette D<ante, te bouvier, te pOFrwquMrmodMeat leur

idéal; elle est 1~pt?oo<d€uniqxwe<hMactie oo<RpsBB~ert~ourmaténaiiaef et po~wéder sa dMmare. »

« La femme est plus qae cela viierge et mëc~ w,dit ~e prince.

– « La vierge ~t ta m~re acot ~opdre tKvin; Sire,on n'e9emN<Brajamai! as8ez de lis à ïcurs pietts Je n'ai

parlé que de 4a iMnme qn'on aime, tte la DM~tre$seqMpt<md éMM la ~ie Tiace du Aev~M'.Bévoaée, eMe~eutêtre sublime, en acceptant son rôle pro'vBdectÎBl et ima-

<tee 4e satellite de l'honnne; mais si e!.k ~Ntt ~'égaler)ui ou pri'mer 'Mr lui, l'absorber enfin, ~ï!c d~att

o~ieaac et <'ondajnoc Dieu <'t l€'Blois de la création. M« Le devoir », dit Beauville, « est individael. Jean

Paul ne dit-il pas que celui de l'homme de lettres consiste&faire Tin volume par an. » 1

« Vraiment oui », fit Mérodack; « si je re~Me te

devoir de la caserne, j'en accompiM un mitre, celui du

.Verbe. »« Mais M, ttbjecta 'GadagïM, « chacun devenu juge

de son devoir; le sonnetiste trouvera que 'le sien, très

auguste, est de faire des sonnets. »

«Il aiîra raison, un ~eau sonnet de Soulary est un

T'ayon de gloire pour un peuple. Celui qui travaUie àl'éternité de sa patrie, fait 'plus que d'en étendre tesfrontières. Défendre la France contre l'oubli des hommeset l'effacement du temps, c'est la pta~ hamte façonde l'aimwet ~e la 'eervir. Homère, !!ctmus et Phidias ontété les grands patriotes de la Grèce, ~ar H~s'lui <~t

eonquis A yHnais la mémoire humame 'et c'est 'la seule

conquête digne de la France. H« TL'aïBorr, l'amour moderne, c'est le dévoiement

du mystieiame catb~Hqne sur ta créatupe. »– « 'L'amour'! Mc~mna AntaT;'et il se tut. Il avait taaBé

Page 234: Le Vice Supréme

~M~MZ M~~ME ~~281

t* <«~taofnaM)fM) m* im~t\<t<MMfo /M~*oA)o~t t~ce~DMt «i une exchMmaMon<i onordMïte <py'etie'ât lesMenee. Une 'TaneM~e <Mlisait <hms -s~n "Begà~dêxé 'aurBaMte à~iobampa~ne. Qu'ils ~Matent entrevu l'~n~ï'~s-si&ONtel<Mi~qu'its ~y't&Memt descendus, tous '6taneet d'<mmême:eentiment des tDanx-s$U~er~s'<w pteasetttis àt'Mus Ma .~ne M~préeation -muette =MTgisMit.

–K A t<tui'cb<!Mhe)tir'Mnp<MM~te, la déception'estdMiC)), Ait de ~aéaatt; «~noNS demand~Bss à la'm~tne

iemme vk~-et ~e~tc lascive t!t pudeur; n.ousctMMttoos~n~Ue~ioÛDi, et eHe'ae peut donner.qu'un spaMM.'I!i&~t rétaMir le.gyAëcée et~Mtaïpe, MB~n nos couacscontHMieront à être des hétaïres tpour jks a&tr~s et noshétaïres, .nous-refereat, hél&s un gynécée caBaiUe. »

– « Regarde .<, jdisait MeredtMk.à Marestan. – Les

.attitudes-6'abandMmaient, on se laBÇûit 4es idées à tatête,'d'un.Jbout & l'autre de.ta taM~. cks.idées tif6ès"auhMard c~DMnedes-biU~s d'un <)hapeau, MMaiSe'oh~tm

«t qui sn'étaient ~ue rahaestion cervi~e 4e chacun. 'Les

vom'aiguës ~rtaient des ~DLHe~~e6 basses a~ai~nt des

points d'orgue $u'jb<Mtt-d$s?phrâses.

0oujftenay ée~otait dittcaitem~nt cpte!que ch(tse que luiracontait ~a Nine~vec <te (petits nres.

–'« Voiià'la;ptfe!0!!rgie, Macestan FoïlgtetaMis'fMti-'mie. AN-'deasus du déserdre de la tab~ '~s'te idé~~Tttre'des idées. B

« t.e prince 'a de gMn~ 'eot69,~ma~ 'le chancel'englue a la ~me est d~û~hfe ~antiphysique. Q~ant àelle, c'est la perversité pratique,s~uas 'et'y TM)Mprisl'assassinat. Le duc de NiineBtjoNe Fatst&ff et'se bardede vices postiches–r)e'meiHeur'bonitomme qui Boit.Quéant.a mvedté~n ~MefSpeeMi qui MOsiate dams l'ex-citation-prolongée. CadaMt~a MB<iu tubnqttc'1'act im-matériel, Antar – un .<~ba~dë-de1 'Androgyne. MérjtgiMwtc,

Page 235: Le Vice Supréme

232 LE VÏCBSUPRÊME

,dans la vie comme un critique au théâtre ne rit ni nepleure, refuserait un pas pour empêcher un'crime et corn~.mettrait une bonne action qui ne le dérangerait pas. Iltisse ferait sauter si la vertu prenait Paris: c'est le ster-coraire du fumier décadent, il ne s'intéresse qu'au malet n'en fait pas. Tisselin, un Robespierre monarchiquecapable de la pratique de sa théorie: Rudenty le méri-dional en dedans qui mettrait le feu à l'Ëtat, pourrégner sur ses rum(;s. Erlon, un Cadenet peintre aveccirconstance atténuante, des lueurs de Rops. Talagrand,ce blond rêveur, accroche des beautés de premierordre entre une ineptie et une turpide; vois, ils'est mis au cou s~ corde, dernier collier de sa mat-tresse, une empoisonneuse. Saint-Meen, le macabre del'Aphrodisme un sadique, il a fait une apologie duviol en treize chants. Pouancé, excepté de, mettre del'azote dans la conversation, est capable de tout. Beau-ville un athée – c'est tout dire. Gadagne, le plus douxdes 'sceptiques, rare métaphysicien. Ligneuil, l'auteurdes Métiers étranges. Tiens, écoute-le, w

« C'est gentil, chez vous », faisait-U à la Nine.« Vous savez les mots on n'a pas l'air d'un diction-naire qui s'ouvre. Car la technie m'a perdu; je suis unevictime du mot propre. Si j'avais de ces napoléons qu'onnomme des louis, ce qui prouve la légitimité des Bour-bons, rien n'égalerait l'ésotérisme, l'hermétisme de mesvocables. Je rêve la vengeance par le néologisme. »

Brusquement le duc cria« Ça manque de vice, ici! »

Un éclat de rire fit le tour de la table.– « Il lui faut les orgies à femmes, des priapées. »– « Mais, duc, des gens qui ont trop dîné, en buvant

toutes sortes de vins, mis auprès de femmes décolletées

Page 236: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 233

et peu farouches, leur mettraient bientôt, comme disentles grisettes, « la main sur "estomac. »

« Ohé, la Bête à deux dos M chantonna la Nine« Vous serez toujours vertueux, noble duc! »« Vertueux vous-même Pour m'entretenir la per-

versité, j'ai besoin de m'isoler de votre conversation. x« Puisque le duc veut épouser la perfection chré-

tienne, demandons-lui son billet de confession– « Mettons vice sur table », dit Saint-Meen.« Pauvre nappe! »« Elle sera blanche devant vous, Milady. »« Je passe le madrigal au duc. »

Ceïui-ci ·

– « Je propose un examen de conscience public autantque général, comme font les trappistes, et je commence. »

« Qu'on le bâillonne! Demain nous écouterionsencore. »

Ils étaient gris, d'une griserie nerveuse et lucide, etplus de pensée. que de vins.

Cette idée d'examen de conscienoe leur plut.– « Qu'on énumère les vices. Ceux qui les auront lève-

ront leur couteau. »« Cela fatiguerait trop le bras. Nous le lèverons pour

protester seulement. »« Mérodack est nommé Grand Inquisiteur près des

Seize », proçlama le prince.Le mage eut un sourire de contentement ironique, en

acceptant ce droit de les fouailler.~K Récitez les litanies du péché. »~« Placez-nous dans lés neuf cercles. »Toute cette mauvaise compagnie s'amusait fort.

« Incontinents, vous l'êtes tous » commença Méro*dack en prenant les trois divisions du péché de Dante.

De Quéant leva son couteau.

Page 237: Le Vice Supréme

:234 ME V]OE 8UPHNME

a Vous y)uis8ez:du<vice pari~en tout~ntiw,:s<tns

en avoir la fatigue et l~ccemrement'qui auit iM aotea, ?–~(VoM'ètestousmaRciemx.B »

Marestan ~va s<m'eouieau.– « Toi, c'jest vrai,!]~uMMHs ta pfésence. ?– « Vousêtes il eus brutMX.La. Nineréclama.

« Vous oubli ~zvotce mandarin t), dit MétodMH, -M

allusion au troub e 'où ce ~jet Av~it )et6 la T~ine qui

pâlit, cette fois plus encore, en voyant le m~ge deviner

rassaasmat Badiqt e de lord Astor.

« Suivons D~nte en enfer, en voue-m&me. Cet oura-

gan de cris confus qui roule un simoun d'impr~ûttions,

ee sont ceux qui n~ont ~ait ni le bien, ni .le inal, les

indinéren~s, M~ igneux et. les bou~Mis .La BMséMCMde,

.ni.la'juetAce ne veat.d&ces v4getatiishmn~<qui seront

des larves pendant l'éternité. Vc~s qui écrivez, HgMMil,

dites bien du .haut du livre comme d~une ~~M~, 'que

l'inertie est le péché urémMNble. Voyez ~e~anges'Qui

ne prirent parti ni pour ni'eontce.Dieu. Voyoz.co.Mi.que

.piquent des taons, car <au.Heu~e jnourir .pocr con -droit,

il a couvert son gâtisme du manteau mystique! Gadagn~

Beauville, vous n'avez 'pas droit &u prEEtner ~ceEcle, ni

~u château de lumière des païens qui ont~Bierché ~ve~ité.

Mais je vous vois tous dans le tourbillon vert~etneux des

charnels, esc!avcs de la sexu&lité. H

– « Vo.us nous damnez avec un.plaisn- )) .mterrom-

pit Courtenay, « qui me rappelle ~ceCaron eto Michel-

Ange donnant de si furieux -coups d'aviron aux -dam.

nés. »« Mais M,.6t5ainttMeen, «il y.a des charnels, hors

.de la sexualité. »« La .pédéfastie, M,ût BeauvUle.

« Je proteste », dit le prince.

Page 238: Le Vice Supréme

.LE VtQNSUPREME 235.va~ vva.aa~rarr ~GVJ

La.Nine eut un sourire en dedans.t( Votre enier.ost rccoco~.tlanea.Rud~nty.

MérodacktgBavement CMitmuait, s'animant.–«Ne sentez-vous pas sur vos epa.utes.ia pluie lourde

du -troisième cercle, vous qni avez ~ait de vos sens desidoles 'vomcjM df ignobles omranctes. Vos bouches faites.pourtia ,pri~e ~ui élevai et le ve~be qui magnifie Diau,ont fourragé .des'baisers'de .boucs sur les lèvres infâmes.VDS.lèvres, à vous, .su lieu :de J~Ëncharistie, ne connais-sent que l'hostie sacrilège, Coprophages qui ne savez, quela parole qui blasphème et le baiser qui pue. ))

Peu à peu~'Merodack se prenait lui~niMDeà la terreurde.son évocation qui tenait les seize muets et étonnés.

– « Vous êtes dans le quatrième cercle, Prince –Rudenty! vous tous qui avez poursuivi les vanités de 1~gloire, et'les hochets de l'ambition se sont changes enTochers que vous poussez sur vos émules 'et que vos'émules poussent sur vous! w

« Au cinquième cercle, 'le marais fétide vous attend,Quéant! LigneuiM qui n~avcz eu de colère que pour lesobstacles &vos vices ét non contre te Mal. Vous, espritslâches, volontés sans effort qui avez eu la paresse dubien, vous croupirez dans cette vase moins fétide que'lecroupissement, de votre vie. BcauviIIe! Pouanc~! mauvaispenseurs du blasphème, vous êtes couchés dans vos doc-trines de mort, sépulcres où vous suffoquez, empestés parvotre verbe. Les trois gouffres de la violence vous récla-ment, car vous avez violenté le psocham, Saint-Meen!vous vous êtes fait violence à vous-même, duc de Nîmes,pour tuer votre sensTnoral! Sodomites, vous courrez ridi-cu!emeA<sur un sable de jeu. Blasphémateurs qui aveznié l'évidence; ~oaB aérez eo~chés sur'du tMi~ttme pluieglacée gèlera votre-.face. Séducte~s, vous BeceznageMés;Ratte~rs, vous BQMZtplon~és.dans l'égout de vos ~pa~oIes!

Page 239: Le Vice Supréme

236 LE VICE SUPREME

Sorciers qui avez écrit le nom de Jéhovah à rebours,vous marcherez éteme~oment à reculons; calomniateurs,la lèpre de vos discours s'attachera à votre peau et yfleurira affreusement 1»

« Fantasmagorie! » s'écria BeauviIIe agacé. « Le Mal

emporte le mond'; sur'ses ailes noires; le mal est le centre

planétaire de l'homme, à l'attraction invincible~ Le Malest Dieu puisqu'il règne! le Mal est Dieu puisqu'il esttout puissant! le Mal est Dieu puisqu'il est impuni! ?

Un silence profond acquiesça à ce fougueux blasphème,et tous les yeux convergèrent vers Mérodack qui se leva,méduséen et d'une voix âpre comme un nabi confon-dant les faux prophètes

« Au nom de la Magie, science des lois de l'âme, jevous dis ceci la justice règne sur le monde, rien n'est

impuni, car l'enfer est dans le criminel. Soyez-en juges.Beauville? Est-ce que le blasphème n'est pas une suffoca.tion de l'esprit ? Pourquoi ce continuel froncement descils, et ce rictus souffrant des lèvres? Me direz-vous que'votre pensée est paisible et que vous êtes heureux? Basle masque, vos négations vous torturent, j<; vous dé6ede le nier M

« Gadagne? d'où vient que votre étude des philosophiesest si fiévreuse, que vous courez d'un livre à l'autre, etcette tristesse du regard, est-ce la joyeuseté de votre âme

qui transparaît? Vous avez contre vous, sur vous, la Tra-dition le Verbe de tous les siècles qui vous réprouve.

« Ligneuil, est-ce que les impuretés de votre œuvre nevous hantent pas? vous n'étiez pas débauché avant voslivres; ils ont vengé la morale sur vous. »

« Vous savez ce que c'est que l'obsession, Antar? vous

que le fantôme de l'androgyne poursuit? »« Rudenty? votre égoïsme d'ambition vous ronge, vous

Page 240: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 237

â la f61;4~ ..i"s .t,s,.a__ L 1- uqui croyez à la félicité des égoïstes, le bonheur appartientaux dévoués, a

« Tisselin? Les assassinats de pensée. ne produisent-ilsjamais d'hallucinations sanglantes? Dites-nous, Erlon,vos cauchemars érotiques? Dites-nous, Cadenet, si vousn'êtes pas en proie aux mauvais désirs qui éclosent àvotre musique de faune. »

« Quéant, comment se paye l'invention d'un vice!Saint-Meen, Talagrand? niez l'ennui morne de votre viemauvaise. Duc? est-ce délectation de s'efforcer au mal?Ce calme que vous cherchez, Mérigneux, l'avez-vous?!!t!S?vous m'avez avoué que votre satyriasis d'observa-tion malsaine vous révolutionnait le système nerveux.Vous-même, Milady? ne voyez-vous jamais de fantôme? »

« Ah! je ne voudrais pas de votre vie d'enfer, Croto-niates qui avez plongé quelque chose de .vous-même dansla gueule d'un vice; vous mourrez de ce vice, non pasen un jour, mais tous les jours d'une vie peut-être longuetInviolable, la loi métaphysique vous enserre et nul êtren'y échappe. Vous vous flattez d'avoir tué le remordsmais, ignares, le remords est un fait physique. Comment,mes raisonneurs: Dieu aurait mis à côté de la faute ducorps, la punition de la maladie et il aurait laissé lecrime de l'Esprit sans châtiment? Je le proclame devantvous l'obsession est 'la Norme qui venge Dieu, et vousêtes tous des obsédés. Pervers! des possédés, Malins! »

« Si vous disiez « nous » au moins », fit le prince.« Moi », s'écria Mérodack, « pour m'être complu aumal j'arriverai peut être à le faire! M

Un « amen » formidable éclata.« Le café est servi, » fit la Nine en se levant.

Page 241: Le Vice Supréme

XXVÏH

ËTR ~N6E CONVERSATION!

La princesse: v& et vieat-à pu i&NMïdaM le:bMMioir

tendu de<satin. j&uae impériale volé au~Paiaia.d'Ët~ par,les troupe du maréchal d~ Mikao, c&: Hun~ Soa

pe~Mr! ceriae est montantt mais' suF<i<!8 seinSt.paf!d'étroits losange des ttanchea: d&chaNTrpaM~aMOt~Les

D~n~M} f~ndu~s ai l'épaula laissent, le bras. n~ nMs.

au~Mses pied~ chausséa'dB MDjdadea:imnciscamea. Tantôt

las Mieadhëro aux fbrmes! comme moMilMe~tantôt'eUw

rend incertaines et dhan~amtes. On aeat, scatStla~mioco'

éto~e, la femme toute MM.

Mérodack. doit venir? donnMf lot' consultation magiq~

en:échange de l'expuisiom dujnmr<pn< dB<UonMeeax.

La rencontre d'un' être aup6rie<aTraux entraînemeat~

sexneit, qui écartait sans<eStœt: les oMhaBtetBM~tB:Mmi-

mns, avait été pour Léonor&un 6to~aleBMaï~Iqpi~dutait.Elle- s'était crue unique dans saf-ooBtinpBce,(car l'orgueiL

qui est un.avènement est afMtt~uM mïvet~ voua que

surgissait quelqu'un qa'eUe ne; pouva~ enslob~c: daaa

son méprit de l'bpmme. A peine'se l'ayouait-elle:; mais

à de tentM, ell~ avait été pria~ de;teata!tion; l'aiguillonde ~hair qu'elle dirigeait contre lui Ifavait piquée elle-

même cette fois, cette SMue ioit~ ua hï)BM&elui avait

donné des désira, un: homm~ auquel. eUen!avait pu eu

donner.Cette force qui lui avait paralysé le bras et rivé la

main à la garde de l'épée mystère! cette prédiction

Page 242: Le Vice Supréme

La.VICB SUPREMB 2~9<

qu'.eH&-aiment un. prêtre ces: «vsix ailes. M ce: titre demage mystère: Mystère surtout cetta ie~pe~abiHtéd~ s<ms!

Elle avait songé à se faire assister de SarMs dans cet,enttetieK) espérant que- la scienoe; di) grec expliqueraitcaUe~dusémite. Btus:vainc. encprej qut~curietMe. I&'tête~àrtête lui oRratt l'espOM' d'éveilior la. Bête en ce jeunehomiM~iB-dMible satisfaction que pouvoir mépyisef quia étonnéeemune revanche ciDoeanne.:

QuMM~Mérodactbpamtt e~lo'ne reconnue p~: tout d~suite le Méphistophel r~eur du bal; c'était la même:tête assyrienne aux cheveux ÎMu'd~ 1~ regard noir, leslèvres rouges, mais un vestom'd~ qualœf; s'encadrait dfunmaM~Arkme'àb~r<hu'iB[etuatëe; suj'~les!Sou~iea'BGns, delarges; éelabousMires~ des; gants' aeiéfée d'usase. Toutcela la' pnnoesse'l& vit en' un~ctm d'œiltet aussi l'ahîm~que iabiérarchie sociale mettait entre euxc En dépitd~ sa s~~p~orit6, cette vint~crotée la ohoqoa; le de~dM&du monde-qui ressortait dé cette toil~tt~ ineorrecte'l'indisposa et Mérodaet compnt- lé' regard enveloppantqu'eue lui jeta:

– « Mon mac~fartAne sera dôn<cle linceul dé votrecuriosité? Soifîj~ venais payer une dette, vous me don-nez quittance– » et- il salu& pour- sortir.

« Asseyez-~ous Hdit-eHe en souriant d'être devinée,« à mon mardi, vous étie2 ainsi et vous m'avez intélres-séé, peut-être par comparaison avec ma ménagerie; maistenez.pour certain que le justaucorps vous va mieux. »

–« A\vous aussi M,, réppndit'iLeBL promenant sur lecorsage sing~JieruJi oeil ironique..

– «. Appcencz~moi lajaagi~ j'éeo.u.teM, 6t'elle~en s'~s~seyant.en.faeje de lui.

– Un cours se compose de beaucoup d~ leçon& et

Page 243: Le Vice Supréme

240 LE VICE SUPRÊME

vous auriez des rides avant la fin. Posez des questions,j'y répondrai.))

« Sur quoi basez-vous votre prédiction que j'aimeraiun prêtre? »

« Sur l'inspection de vos mains. Au point de votre

ligne de cœur qui porte la date approximative de latrentaine, une croix brise la Saturnienne pleine d'~o<<qui, se retrouvant sur votre l~t de tête, signifient les

passions antiphysiques. L'enremble ne permetLant pasde supposer la triba'iie, j'ai pris ce iéminin au nguré et

j'ai conclu à u~ prêtée, par la robe. »« Par quoi sortilège m'avez-vous paralysé le bras? »

mterrogea-t-elle après un silence.« Traiter un mage de sorcier, c'est appeler Balzac

journaliste. Qu'y a-t-il de commun entre lu possesseur dela causalité métaphysique et le dément superstitieux?Science du vouloir, la magie peut se dé8nir l'éducationde la volonté. « Tout verbe crée ce qu'il affirme. » Cetarcane primordial, je vais vous l'expliquer Vouloir estun acte immatériel; mais la volonté dispose d'un média-teur plastique qui s'appelle éther dans le ciel, fluide astralsur la terre, fluide nerveux dans l'homme. Au comman-dement de la volonté, le fluide nerveux coagule et manieà son gré le fluide astral qui devient la main qui guéritou l'épée qui frappe, et qui joue physiquement le rôlede ces anges qui renversent Héliodore, et de cette forcequi aveugle Elymas et enlève Elie. Burke n'admettraitpas cette théorie, je le sais; comme tous les savants mo-dernes, au lieu de constituer la science en partant du

point élevé où la tradition orientale l'a laissée, il larebégaie et des siècles s'écouleront, et l'Institut de Franceet la France auront cessé d'être, avant que la science mo-

derne, avec son cheminement sûr, mais de tortue, se soitdémontré les évidences -établies par Trismégiste et les

Page 244: Le Vice Supréme

16

LE VICE SUPREME 241t

kasdim. Donc, c'est encoagulant du fluide que je vousai immobilisé le bras. »

cesse."Vous ne m'émerveillez pas », interrompit la prin-cesse.

« Autre est mon souci, ~~se! toutefois, si le tré-semble peu, je vous dois un éton-

nement et le voici vous êtes une grande incontinente. »Elle leva ses yeux pers sur le jeune homme avec unindicible étonnement.

« Vous êtes une Messaline spéculative ?La princesse, irritée et stupéfaite, se taisait.

« Prenez garde à ces pollutions d'Imaginative ellesconduisent à une spermatorrhée de pensées. Les~r S~?~ Paracelse, sont les enfants de lasolitude d'Adam, nés de ses rêves, quand il aspirait à lafemme. Or, je pressens dans votre lumière astrale beau-coup de ces esprits élémentaires nés de vos rêves, quandvous aspirez à l'homme idéal. Dans l'état actuel de votrevolonté, vous dispersez les fantômes fluidiques à mesurequi s se forment, parce que toute votre virtualité s'yemploie; mais qu'une passion vous déséquilibre, qu'ungrand courant absorbe votre fluide nerveux, que quel.qu un s empare de votre ascendant, que vous aimiez en-fin et vous êtes perdue; car les larves se coagulerontet vous serez obsédée et l'expiation métaphysique, querien n élude, commencera. Ahl si l'on savait le danger

morale pratique peut se ré-duire à ce précepte Tout excès et tout vice physiquesaboutissent à des maladies et s'expient par plus desouffrance qu'on n'a eu de plaisir de même touteperversité, tout crime de l'esprit préparent à 1'

torturent sans tuer! Voilà le prêche eM-cace 1~~ Beaucoup de vicieux sont 1-par la crainte physique; la terreur des tortures morales-1

Page 245: Le Vice Supréme

242 LB TÏCB SUMEËM~

Mt~radt beaucoup de perv~a. Stre mêchMtt. c'est se

vouer au malheur mais, tandis que la son~aoce dq

murtyre donne à ï'àme Me volupté de ~t, l'expia-

tion légale et involontaire du crime ne purifie ni D&

lave Bans la grande aristocratie de ta douleur, les souf-

frants de l'mnocencc et les soufrants du repentir sont

seul~ compris. L'expi~on qui n'est pas consentie n'élève

pas, elle venge seulement la loi de justice transgressée.

« A la résistance organique se limite la souffrance du

corps; la souffrance métaphysique, avec ses répits qui

sauvent de la iolie, n'a point de bornes. L'âme comme

l'aimant peut porter de plus en pius, et la Loi, cette

inquisition divine, laisse le coupaMe ~mis6 recouvrer

ses esprits, avant de le remettre à la torture. ~?B~~

pardonne le péché contre lui en ce sens que le repentir

est le retour à Fêtât harmonique et équité de l~me;

mais le péché contre le prochain, le sang répandu et le

fiel reperdu, Fassassmat et la calomme cnent vengeance

an ciel et la teïTe ne St~St T)as à en porter ~expiation.

D4en a Bi~ dans l'&me aussi, à côte de la liberté du mat,

la position Mstafntanêe et penaMn~te. Les l'arves de

votre én~isme. Altesse, seront les damons incurables de

votre obse~ion! M

Elle ne songeait p~os a ensorceter ie mage; péiie, tacite

et aece~ée, se fiant à l'impassibHi~ de son masque, à

parler elle craignait de momie~er son trouve par une

altération de la voix.Sans ironie ni vanité, Mérodack gardait rm grave

8MC!n~.« F&~es un predige et je vows cr~rai H, St-eHe

enËn.

Troip peu m'importe votp<~loi pour sortir de la

Ctaivieole et pra*dre le ~rimoite. Au reste, quel prodige

phM pcodi~ux. ce me semble, que de v<MB5v~r devmé~

Page 246: Le Vice Supréme

LN VtCE SI7PR&MB 243

'le de votre nena~i) a P~it-ndans 1 inavouée de votre pensée?P F~ut-il faire a~.paraître le serpent des mages de Pharaon? ApuaraSeveut dire apparence et l'hom<mculus d'Albert le Grandest une fable. Le secret de la vie appartient & Dieuseul et je tiens la vivisection plus folle que la tuérosrcopie. La magie peut vous faire voir un élephant, marnApoU~us de Thyane lui-même n'eut pas fait un m<m-cheron- » ,J

« A ce que je puis comprendre, la magie serait lanuae en œuvce du magnétisme )), fit la princesse avec unenuMMde dédain.

– a C'est bien plus que sela, mais c'est aussi cela.,I.applMation des forces fluidiques dans la vie socm~changerait la face du monde.

– « La face du monde M et la princesse sourit.– < La face du monde! H répéta Mérodack. « La dis-

tance et l'opacité n'existent pas pour le sujet lucide. DuPalais-Bourbon, il peut décalquer le plan de bataiMe deM. de MoMke, lire dans le pOTte-teuiHede M. de Bismarck,et faire assister comme un téléphMM monstrueux, anconseil de l'empereur de la Chin~ A~l le jour oA lesmages monteront sur les trônes d'Occident, on verra degrandes merveilles »

Intéressée, mais trop femme, c'est-à-dire trop mi-neure pour Be prendre à ces vertigineuses conceptions, la~rmcesse eut une question~ hardie et banale

« Vous n'avez pas de maîtresse? ))Mérodack sourit à la Léonard.– « Serais-je mage, si je n'étais affranchi de la

femme? ?« Corysandre ? ? lança la princesse.« Je donnerais trois ans de ma vie », protesta Méro~

dack, « pour ôter cet amour de la sienne. »

Page 247: Le Vice Supréme

244 LB VICE SUPRÊME

« Il y a de l'amour dans ce don de trois années

d'existence w, insinua-t-elle.« Il y a de la charité. L'amour est une volonté

d'absorption injuste et mauvaise. Nul être n'a le droit

de se proposer comme l'infini à un autre être. Amour,

sacrilège et idolâtrie! Se dévouer est sublime, s'aban-

donner est fou. Dieu seul y a le droit! L'amour moderne

viole la Loi, aussi est-il toujours court, toujours malheu-

reux. toujours funeste. La charité, ce roi des sentiments

créé par le catholicisme, peut seul faire du bien, rien quedu bien; car être charitabe, c'est se donner, être amou-

reux c'est s'emparer d'autrui. Or, entramer une volonté

hors de son libre arbitre est un acte si terrible,, que Dieu

lui-même nous a laissé le droit au blasphème, – le droit

à l'enfer! »

« N'importe, vous subissez le charme de Corysan-dre. a

« Quel dénaturé ne subirait l'éblouissement de la

virginité? C'est du reste la femme selon ma conception,s'absorbant dans son amopr, mais ne vous absorbant

pas. Vous qui n'êtes qu'un orgueil, Altesse, comprenez-vous la sublimité du sacrifice de tout soi? Vous rêvez,

vous, l'asservissement de l'homme. »

« Que vous a donc fait la femme? » dem&nda-t-elle

brusquement.« Vous aussi », dit-il « comme les plus médiocres,

attribuez toute sévérité à un dépit amoureux! J'ai deviné

l'énigme et le sphinx féminin m'a léché les pieds; mais

ce spectacle la femme dominant l'homme, m'a toujours

indigné comme un antiphysisme. Esclave à plaindre ou

tyran à mépriser, la femme vibre à tout, ne raisonne à

rien, inconsciente dans la sublimité et dans la boue, elle

reste étem~lement réfractaire à l'idée; et c'estt l'idée quimeut las mondes. »

Page 248: Le Vice Supréme

LE VICB SUPREME 245

« Don Juan le plus beau type de la poésie moderne,(car que sont les villes offrant leurs clefs auprès du dondes cœurs à la seule approche), Don Juan », dit Iap~°cesse, « ne s'inquiétait pas de l'idée <Juan et Dona Juana sont du vice. Leur pour.suite du baiser sans dégoût marque une singulière infé-riorité cérébrale. Changer d'amants o~ de maîtresse etcroire changer l'amour. Paganini transformait un vio-Ion de ménétrier en Stradivarius, et Don Juan etDonaJua.na sont des enfants terribles qui crèvent tous les tamboursdans l'espoir de trouver une petite bête dans l'un d'eux.Chercher l'infini entre les deux draps d'un lit, est-ce pasrisée?. Magiquement, l'absolu de la séduction peut se

réaliser, mais sans possession d'aucune sorte, le baiserà lui seul détruirait le charme; il faut être au-dessus dela loi pour s'en servir; continent, pour inspirer des désirs;indifférent, pour faire naître des passions. »

« Par quelle succession d'études ou d'événementsêtes-vous venu à cette Magie? »« Par l'astrologie judiciaire. Ah! si la fatalité étaitce qu un vain peuple pense, je n'aurais pas l'honneur devous rendre songeuse; elle n'est que l'enchaînement lo.

gique des effets aux causes. Mon thème m'annonçait millemaux.. J'ai changé de caractère et partantastrale. Je m'explique

« Nous naissons métaphysiquement informes, dif-formes. L'éducation et les vices précoces rendent plusmonstre, notre monstre d'âme. Le premier join de1 homme supérieur dès qu'il est conscient de lui-même.c'est de sculpter, de ciseler son être moral; mais c'estplus malaisé de tailler dans son âme que dans le marbreLes verrues, les gibbosités repoussent jusqu'à plusieursfois, commedes têtes et le pouce de la volontése fatigue à ce modelage immatériel. Ahl le catholicisme

Page 249: Le Vice Supréme

246 LE TICt: SUPRÊME

que les ignares traitent de mômerie resplendit divinement

à mes yeux comme la magie la plus haute et à la fois la

plus pratique. La théorie de la perfection chrétienne n est

que de l'initiation, mais plus sublime parce qu'elle n'a

de but que plaire à Dieu, tandis que l'initiation antique

poursuivait un objectif de toute puissance qui, employée

au mal, attira la foudre des lois 'idées sur les races

orientales. Oui, l'homme a le pouvoir et le devoir de se

créer une seconde fois, selon le bien. On démode quel

est le but de la vié il ne peut être pour l'homme que

l'occasion et te moyen de faire un chef.d œuvre de ce

bloc d'âme que Dieu lui a donné à travailler; et comme

la plupart ne songent pas à accomplir seule <~ <~

mandée, l'enfer, devenu nécessaire, sera peuplé par les

entêtés pervers qui n'auront pas voulu se récréer.

peut se déïinir la corporation du bien; <m~y entre

qu'après avoir fait son chef-d'œuvre, c'est-d~eap~s

avoir soi-même séparé « la terre dn feu, te subtil do

~ais~ comme dit la Table d'Emeraude, avoir enfin

dégagé son âme de toute ta gangue des

par l'effort religieux on magique, une s~ue, dn bloc

qu'on était! ))

– « Mais FEgiise anathématise la Magie », observa la

princesse. <« La sorcellerie, non la Magie, car l'Eglise est la

~de emblée des mages, et son anatheme tomberait

d'abord sur ~c-meme. La Magie est ~éurg~ou goétie,

sous le libre arbitra de l'homme, et le péché originel n est

peut~tre que le péché de mauvaise magie. »

– « ~u~ mal ~)M pomMiezfaire, si vous dites vrai. »

– Ce mal me reviend~t en malheur, par la

de!t chocs en T~tou?.

– « A quoi employez-vo~ ce pouvMfP

Page 250: Le Vice Supréme

MSVtCE&UMRÊifE 247

– « A mc~ salut, éviter là purgatoire et servir l'Egli-se la seule cause qui vaille 1 eifort. »

Il se leva:

–« Si je voulais m'Initiera demanda-t-elle, toujours'y

~ocoadée.– « H faudrait assouplir d'abord votre orgueil, puis

cesser vos rêveries luxurieuses. »De ses yeux partirent un éclair qui fut cM&meabsorbé

par les yeux de velours du mage, J« Vous reviendrez me voir? » interrogea-t-eHe.« Je vais au pôle blanc; vous, au pôle noir. Vous

vivez dans un monde de vicieux et de médiocres, jem'y contaminerais sans m'y plaire. Un conseil, Altesse jSachez que chaque pensée vive crée un reflet ou une iforme dans votre atmosphère astrale, et que les fantômes isont réels et les obsessions terribles. Vous ne sortirez ,Jpas de ce triangle; pas d'amour, de la vertu, ou l'obses-sion M <

Il la salua des yeux et sortit.Elle regarda la soie de la portière osciller, se leva, )

reprenant son va-et-vient d'un pas sec et nerveux mainte- Jnant. Son regard rencontra une glace. Elle se souvintde l'ensorcellement projeté, et une ironie lui fit rentrersous son peignoir ses pieds nus, ses pieds troublants. Lenimbe mystérieux brillait encore plus éblouissant autourde cette tête assyrienne. II lui avait dit le secret du bou-doir violet, et quelle absence de vanité, quel dédain de ~jl'orgueil, que de bonhomie dans la puissance! La fille jidu divin Hercule subissait l'ascendant de l'Adepte.

Après un long moment de pensées qui plissaient sonfront, elle sonna.

– « Sarkis? » demanda-t-elle.Et l'accueillant brusquement.

Page 251: Le Vice Supréme

248 LE VICR SUPRÊME

~t_ ..1--« Vous allez me faire l'amitié d'apprendre la

Magie, »

Sarkis la regarda et se prit à rire

« J'ai soixante-sept ans, le dégoût de la science; je

désapprends le plus possible, et la Magie n'est pas dans

ma direction d'esprit. Mérodack vous a donc éblouie. »

« Om », fit-elle, « et c'est là ce que vous auriez

dû m'enseigner. »

Elle se posa devant lui

« M'aimez-vois encore. Non? Tant pis, je vous

aurais forcé. »

« Ohl » fit Sarkis sur trois tons différents, « vous

quinaulde, Mérodack, Dejanirus! Quand Hercule posa

sa massue, elle devint la maîtresse bûche de son

bûcher.. »« Hercule n'était pas femme M, dit la princesse qui

se rasséréna.

Page 252: Le Vice Supréme

XXIX

L'ARGENTIER DU ROY EN L'AN DE GRACE i88i.

La Trinité est une église anticatholique, car elle estlaide; le quartier de l'Europe est nauséeux, car il est hy-pocrite. Habitacle de voleurs et de filles, il montre unecouche de « respectability » protestante posée sur de latartuferie et de la prostitution. Là Robert Macaire et CoraPearl sont dans leurs meubles l'un a le coup de képi dumunicipal, l'autre le respect de son portier tout ce vicea meilleure allure que la vertu. Particulière, la phy-sionomie de cette rue de Bruxelles, véritable boulevardde Grenelle de l'agio; sur les deux côtés s'alignent deshôtels d'une architectonique de matelassier enrichi, et àla place des gros numéros dorés, des plaques de marbrenoir, où se lit en lettres d'or Banque, Crédit, etc., toutessociétés anonymes au capital d'un tiers de milliard, enadditionnant les enseignes; toutefois si l'encaisse cessaittrois jours, MM. les administrateurs délégués suivraientla rue de Bruxelles jusqu'en Belgique, ou les gendarmesjusqu'à Poissy.

L'entrée des cavernes de ces Cacus qui volent l'or desimbéciles au lieu des troupeaux d'Apollon, semble unvomitoire d'amphithéâtre où deux cohues, l'une qui s'yengouffre, l'autre qui en sort, mêlent voleurs et volés

Garçons de recette au bicorne cocardé, pardessus mas-tics qui ont un blason à la salle des Croisades et uncompte ouvert de soixante mille francs pour leur nom surle prospectus; gogos se heurtant à leurs députés qui

~Fkw"

Page 253: Le Vice Supréme

250 LE VICE SUPRÊME

~QT~ont vpn~rpt nT) Avertissement sur la B'viennent vendre un avertissement sur la Bourse de

demain; journalistes faisant sonner dans leurs goussets

l'or d'Harpocrate, et jusqu'au paysan qui va vider les

~cus de son bas.Fi de la rue Quincampoix et des baraques de l'bôtel de

SoissoBs! Ces voltuifs sont des propriétaires; le muai~

cipal qui passe fou; les quarts d'heure les protège, la

justice condamnerai, quiconque dirait leurs noms à ces

.Mandrins et ces C.~rtowcbes,étecttasrs, éligiMes et élus.

Toutefois, le prochain jour où la p~e se sentira aux

<Mris le besoin de iemucr des pavés, qu'elle nettoie ces

écuries d'Augias C3 sera de ta voirie tramsGendezftale!

An m~ieu de cette rue de Bruxelles s'étalait d'un luxe

lourd rappelant le goût espaçai la France no~p~Ïe.

Dix marches montaient à un vestibule où quatre pan-

neaux en mosaïque représentaient quatre parties du

monde, sans doute comme tributaires de la maison tou-

jours battantes, trois hautes por~t à gtaees laissaient

gronder jusqu'à la rue l<eva<MH'mesourd des cinq cents

-employés parq~s aux cinq étages du hall. A travers les

ordres de bourses hurles, une voix de cuivre clamait par

instants, et un petit homme a l'air iou, agile quoique

pansu, traversait les bureaux en coup d<event, apostro-

phant les employés, les appelant « mes enfants », com-

me un directeur de tMMTe, et leur promettant des gra-

tifications entre deux bourrades c'était Marcoux.

Du matin au soir, il promenait des gens à travers les

services. On 'e traitait de grand financier, il haussait les

épaules avec l'humeur d'être méconnu, comme un écri-

vain qu'on appellerait homme de lèpres. « Je ne finance

pas », disait Mareoux. « Je conspire. La iortune! Pe.

<ré! Des anchois le matin, du bouilli le soir, de la

brandade le dimanche voilà pour mon physique. Pour

Page 254: Le Vice Supréme

LE VtOB SUPJRÊME 25i

mon moral, quelque chose à taire qui veuille du mouvezament. qui traoaaee fesprit. (pli me fasse marcher, quime fasse crier. La vécité vrjM<e,je puis vous la dire, carvous êtes un pur je veux faire revemir Hen~i! »

L'interlocuteur s'imaginait un fils prodigue, et des qui<proquos se produisaient qui enc(~érai€.nt Marcoux.

– « Chaque fois que les actions montent, je me disça fait faire un pas de plus à Henri et je suis heureux.J'ai commencé par faire les courses de la banque Combler,tà Nimes; à vingt ans je n'étais encore qu'un garçon derecette; j~en ai quarante aujourd'hui et je possède uncapital de cent millions, cinq cents employés et la plusnoble clientèle de France. Quand j'ai fait ça, je feraibien le reste! Oui! Henri reviendra et je lui dirai Sire!

« Vous dites « sire » à votre n!s? » interrompaitte visiteur.

Eh! je n'ai pas de fils je vous parle d'Henri, duRoy. Vous n'êtes pas né à l'enclos de Rey, vous! ?s'écriait Marcoux du ton d'un Athénien renvoyant unBéotien à sa Béotie.

Gamm, il s'était battu à coups de pierre contre Ie$petits protestants. Maintenant, il se battait à coups debourse contre les juifs. Cet élevé des frères, en voyantdans les journaux toute la politique de notre tempsinterlope et fille n'était qu'une question de bourse, avait~té illuminé, lui, le latin d'une conception sémitique .·faire reBeura' les lis sur un fumier d'or, êtce le JacquesCoeur d'Henri V. Certes, il était encore loin de son but;mais ~inrpossiMe était fait &ses yeux. Il avait trois oeatsmHI!oM dans les mains, et ces millions n'étaient pasdes mMions ordinaires, iis sortaient des aumôni~res duclergé', des oasKiKes armoriées. Cet or ~s noMes, luisemblait noble à manier ses mains pattuos ze devden-'draient-elles pu &éMMi~eB à ce contact? Comme tout

Page 255: Le Vice Supréme

252 LE VICS SUPRÊME

légitimiste, il avait un faible pour les gens titrés; ils lui

semblaient des parcelles de rois. Entre tous, le prince de

Courtenay lui inspirait une vénération sans égale, il se

risqua pourtant un jour à lui dire

« Votre nom, ~Utesse! en tête du conseil i'adminis-~

tration – et à côté eu compte Charles il y aura le compteCourt deux cent m He francs de chèques au porteur, paran. »

Le prince avait pmsé le faire mettre dehors.

– « Ma fortune, je puis la risquer, mais mon nom ne

doit être écrit que dans l'histoire. Faire de son blason

une enseigne là eu l'insuccès s'appelle escroquerie 1

Jamais. n

Toutefois, Courtenay s'était pris à l'espoir et au rêve

de Marcoux. Ohl arracher la pourpre du pouvoir, à ces

avocats qui y crachent et s'y mouchent! et il avatt mis

toute sa fortune dans cette partie de banque qui devait

changer les destinées de la France.

Marcoux croyait, incroyablement, au triomphe de son

dessein, il s'attribuait un peu de ce droit divin auquelil aidait à vaincre. Puvis de Chavannes lui avait peintsa chimère au plafond de la salle du conseil.

Une belle femme éplorée, en manteau d'azur aux Heurs

de lys pâlies, ayant a ses pieds une jeune fille désolée, fi-

guraient la royauté bannie et l'aristocratie abattue. Mais

dans un vol hardi, les talonnières frémissantes, Mercure

d'une main.~tsait tomber une pluie d'or, de l'autre

élevait son caducée. A ce signal, Apollon soudainement

apparu, perçait de ses javelots d'or l'hydre de la révo-

lution, et tandis que les trois grâces accouraient ee don-

nant la main; sur le Pâmasse, les neuf muses se réveil-

laient comme d'un long sommeil.

Cette allégorie représentait la puissance de l'or réta-

Page 256: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 253

blissant la monarchie, faisant refleurir la noblesse etramenant les arts éteints et les grâces enfuies.

Souvent, pendant le conseil, Marcoux oubliait la discus-sion et la tête renversée, restait en extase, à regardercette fresque où, sous les traits de Mercure, il se recon-naissait, lui l'argentier du Roy Henri le cinquième!1

Page 257: Le Vice Supréme

KXX

UNE PREMIERE

Sur le boulevard les Italiens, à la hauteur de la rue

Marivaux~ Cadenet csscuné criait un « tout est prêt »

à Talagrand et Saint-Meen arrêtés et qui fumaient.

– « Ce qu'il y a de plus vibrant, dans l'homme, c'est

le bouc. »– « Il y a des boucs de têtel »

– « Vrai 1» faisait Cadenet, « l'Indifférent est. telle-

ment injouable que je ne le tiens pas pour joué~ '»

« C'est gazé pour tous les yeux qui ne louchent

pas. »– M Supposez un publie par trop pervers, il n'y trou.

vera aucun sens. »« Ça en a pourtant, des sens. »

« Une chose me rassure Hconcluait Cadenet, « l'idée

de Marigneux toute la salle louée et rien que des invités

pour spectateurs; du grand monde et des lettres, une

chambrée du neuvième cercle et si le feu du ciel n'est

pas occupé ailleurs. »

« Voilà, voilà celui qui revient de l'enfer, avec son

creato, Marestan. »Ils échangèrent des poignées de main avec Mérodack.

« Je suis encore ébouriffé de votre fresque sur le

petit nombre; eh, nous allons orner la lumière astrale de

renets! Gare aux tarves!– K On m'a dit, messieurs », fit Marestan, « que votre

tndt~Te~t. B

Page 258: Le Vice Supréme

LE VICE SU-M~ME 295

– « Ne vous tais-sera pas de même! » j– « Mon avis sur la pièce cria Saint-Meen « celui :ilduBB mgénue souvent citée, ce n'est ni beau, ni laidc'est nermap~roditet

iaiu,.

iiïts rirent d'un rire pervers.– « Hêt Mero~et qui p~ure les races latines. »– « Si ïMus entrions », dit ce dernier.BeaM ta saMe au lustre à demi-feux, des des de plas-

tron blancs éclataient au balcon sur l'ombre beauté de~

logea. A l'amphithéâtre, on se fançait des obscénrtes de-gens qui ont ïu t~uise Sigee dans te texte.

–« Remarquez te dtecorcm pacradn?, c'est moi qu;lai composé de candidats à l'institut et au bagne ?dïSMC Samt-MeaB.

DwH~ te ndeau, on ea-tendcat les coups de marteaude la ptantatKm d'un décor. Les toges s'empHssaientBeauc<M~ de fafubourg Samt~ennain en robes montantes jet sombres. A l'wchestre. (debout et lorgnant, tous te~

/ac~tKtde la princesse d'Esté, ta Beur des vicomtes

les Setze. Dans mM avant-scène, Marcoux et son conseild administration.

– « Tu~eB d@j& remptacé.Et Méfodack montait à MaMstas N<maBe<Mtrt, dans

I~ge de ta mar~ise <!e ~inquetaitt~.– « La NïtM~ ? Cette question, une moitié <~ ta saite' i

la pesait à l'autre.

Dans l'attente des haïmes hennétes, M y avait un~.1

unpatience envieuse de voir cette ~He qui échappait a~

Bïéprts et & ta curiosité.

Un accord dissonant et Wagner~n où les cuivres bMt-

g~rent avec st~denc coupa aot tes conversations. T<mt.-de suite une më!od~ motte p~ra des notes traînées oa Jeût ûît des femaMs btond'M è t'embompoint mou, traînantpar un temps d~ pluie d'été, leurs mul~s san& teioas

Page 259: Le Vice Supréme

256 LE VICE8UPR&ME j

leur pensée sans objet. Puis les sons semblèrent des

bayements délicats, des bras agacés de paresse qu~

~'étirent, des poses écrasées d'ennui, des bruits flasquesde corps dans l'eau. Bientôt des frissons coururent des

violons aux basses et les flûtes pépièrent grivoisement.

Peu à peu l'orchestre se scinda et deux ouvertures alter-

nèrent, se mêlant, sE brouillant, se confondant. Tandis

que les instruments cordes, les haut-bois et les harpes

lançaient d'idéales lamentations, les cuivres et les tam-

bours accompagnaient en dérision les. éclats de bruit

d'un bal de barrière, traversé par le motif idéal, cette

mélodie a~mée que Berlioz fait apparaitre à travers la

marche au supp!ice.Comme dans la sérénade de Don Juan, où.la guitare

se moque de la voix langoureuse, Cadenet avait contrasta,mais cyniquement, éraillant les sons, déhanchant

le

rythme, avec des staccati canailles. Par une singulière

perversité du maëstro, la mélodie idéale, peu à peu, se

vulgarisait; et ce n'était pas le sabbat, qui est terrible;

c'était le chahut, qui est bête. Enfin, par une transition

brusque, un tutti, ample et lent de prière.Le rideau se leva sur un décor de montagnes déso-

lées, aux rochers hallucinants; et deux files de pèlerins

en descendirent, pèlerins du départ pour Cythère, le petit

tricorne sur l'oreille, le bourdon enrubanné, en habit

zinzolin. C'étaient les Passionnés, las des amours vul-

gaires, qui allaient en pèlerinage au Temple de la Chi-

mère. A leur tour vinrent les pèlerines avec un grand

froufrou de soie. Chacun successivement s'avança yers la

rampe, disant l'amant ou la maitresse de leurs rêves, en

des odelettes où Saint-Meen avait su n'être pas fade et

rediseur. Ces portraits du désir, ces signalements du Bien-

Aimé, se fondaient en un chœur; et tout le pèlerinage

remontait la scène, continuant son chemin, quand un

Page 260: Le Vice Supréme

LE VtCB SUPRÊME 257

'7

pizzicato des viotbns crépita, et sur le roc te plus élève.touchant presque les bandes d'air, svelte en son costumebleu-pâte, CœHo apparat.

– « La Nine! w¡;

Cette exclamation courut comme nn murmure, et tasalle charmée, resta immobile, sans un bravo.

Piétée, avec une dédaigneuse provocanee, elle récita desa voix de contralto

0 t)OM<, les cherchera de Cht~€fes/

1*– « Qui es-tu, adorable jeune homme? » demandait!e chcëur.

Avec une agilité gamine, ta Nine sauta de rocher en §rocher. I~

Quand son pied toucha le sô~ sa démarche s'amollit¡~tout à coup et se fit si lente qu'elle mit trois minutes

à descendre en scène, à pas menus d'une indolence scan-dée, aVec des moues de tout te corps.

– « Qui es-tu » interrogeait avidement le chœur. '{!La Nine, devant le trou da soufaeur, appuyée à son !!J

bourdon dans une pose qui montrait l'absence de seshanches, bâilla, s'étira comme un~ chatte, et d'une voix ~Jqui boude, chanta

0~ m'appelle r~d~/et~ï):.

Après cette romance qui donnait î'impression aggr; véedu et d'eaM, de Baudelaire, – comme le chœur' s'étoh-

nait de cette mdinérence, prise d'une ardeur subite, ellelança, avec des contractions de baiser aux lèvres

SMM ï'a~t ~t~

Et, dtms un enthousiasme entiévré, sa voix hybrideévoqua toutes les ardeurs mauvaises.

Page 261: Le Vice Supréme

258 LE VICE SUPRÊME

1r. 1. __11- 1_- _,· _rr__··a t__Da]M la salle, les salives s'épaissirent, les yeux s'allu-

mèrent et les reins, chatouillés, se courbèrent.Les pèlerins suppliaient Cœlio d'être leur guide. Après

beaucoup de refus, il acceptait, et redevenu l'Indifférentde Watteau, de son pas traîné et menu, il s'en allait sousla voûte triomphale des bourdons.

L'orchestre répétât la mélodie aimée, tandis que Cœlio,devançant la troupe, se dressait comme il était apparusur le plus haut rocher auréolé d'un rayon de lumière

électrique. Le rideau tomba sur 1&curiosité aiguë du

public.– « C'est la première fois », disait un critique « que

le premier acte ne me fait pas deviner la pièce. »L'orchestre levé chuchotait, lorgnant les loges.

« La Nine a bien chanté », fit Cadenet; « cela m'in-

quiétait H.Et il sortit pour aller saluer la princesse d'Esté.

« Commencer ainsi )), lui dit-elle, « c'est bien; maiscomment Snir? Les librettistes? »

« Talagrand, ce juif portugais, et son voisin, le longet maigre Saint-Meen. »

« Portez-leur mes compliments et envoyez-moi Mé-rodack. »

« Quel ennui Mfit ce dernier à Cadenet qui s'acquit-tait de l'invitation.

– « Vous ne venez pas même me saluer M, reprochala princesse.

« Je ne croyais pas que vous y tinssiez!« Vous vous exposez ici à une « lumière asf-rale w

des pires M.– « Je suis Mithrîdate, et ma prophylaxie. »– « Vous qui expliquez tout », interrompit-elle,

« expliquer la force de séduction des actrices. ».– « C'est un effet de choc en retour de toute la salle

Page 262: Le Vice Supréme

LB ~tCKSUPRÉBtB 259

un rayonnement de désir jaillit vers l'actrice et la trouvedans un état d'action nerveuse qui le repousse –; !e Sui-de revient sur l'auditoire et l'enGèvre. Une activité indi-viduelle a toujours raison d'une passivité collective.L'actrice est au théâtre un magnétiseur inconscient qui sesert de la loi d'attraction sexuelle. Figurez-vous que lefluide soit un rayonnement électrique et l'actrice une glaceen face de vous, vous dirigez le rayon sur la glace, ilvous revient aux yeux plus aveuglant. Cela est du ma-gnétisme actif. Cette fille laide, dans la troisième logeà gauche, Constance Héro, représente l'attraction pas-sive. Elle n'a pas de sens le nuid? sexuel ne trou-vant pas de vibration qui le disperse, s'attache à elle;étant froide, elle ne le perd pas, et ainsi, s'aimante device. A soixante ans, des échappés de collège, roses etblonds, la préféreront à d'adorables jeunes filles et ons'étonnera naïvement d'un phénomène scientifique, l'ai-mantation métaphysique des .co~pt. »

On frappa les trois coups.« Restez donc, Sarkis va venir. »« Merci, je tiens a voir de près, j'étudie.. »

Dans la cella d'un temple hypètre, une chimère debasalte accroupie; l'herbe poussait entre les dalles, unvieillard gisait près d'un trépied flambant.

Depuis trente ans qu'il était venu de la viMe du Soleilpour entretenir en ce sanctuaire abandonné l'autel desfeux éternels, il n'avait vu que les lézards verts à midique les hiboux à minuit. Il se sentait mourir et le feu*allait s'éteindre, la chimère s'envolerait et l'impossible nese réaliserait pas. Il n'avait plus de bois, ni la forced'aller en recueillir; il brisa son bâton et remua le feupuis s'affaissa.

Toutes les trente années, la chimère s'envolait, empor.tant dans le ciel des réalisations surnaturelles, celui

Page 263: Le Vice Supréme

2~0 M VM~!SCPBÊMBt

qu'elle Mvait en croupe à l'aube du vendredi. Demain!

irait-il jusqu'à demain!Rassemblant ses forces, il se traîna jusqu'aux pieds

du colosse, mais ses débiles bras glissant sur les flancs

polis, il s'évanouit.

Cœlio parut, brix.mt son bourdon, il en jeta les mor-

ceaux sur le trépiec et la flamme monta. Agenouillé, il

chanta l'hymne à la Chimère. Puis, comme la flamme

s'éteignait, il jeta sa veste au brasier, et nu bras, nu cou,

apparut androgyne.

Apercevant le vieillard, il le ranima avec l'eau-de-vie

de sa gourde.« Hisse-moi sur la croupe de la Chimère ?, dit le

pontife, « et je te dirai le secret de la Béatitude. »

Cœlio le hissa sur le colosse, et le vieillard chanta

l'ivresse de l'apothéose et rendit l'âme, disant

« Demain, je ressusciterai dans le bonheur. ))

Tandis que Cœlio versait le reste dn sa gourde, sur

un trépied, tout le pèlerinage entra. Cœlio revêtit une

robe de lin, sans manches, et des rites étranges com-

mencèrent.

Tout le monde était dépaysé, n'ayant notion de rien de

tel; une pièce sans sujet, sans héros, sans intrigue, où

à part Cœlio nul n'avait de nom, et cependant ce

poème de dépravation enivrait ces décadents.

Un clair de lune prudhonisait le bois sacré du troisième

acte. CœUo vint, portant une torche allumée; il dit quedans la nuit du jeudi au vendredi, les pèlerins devaient

épuiser les plaisirs possibles, afin de se rendL'e dignes des

impossibles, et c'était là pour lui, l'indifférent, âne triste

écceurance. Des torches brillèrent, portées par tout le

pèlerinage en robe de lin. Cœlio remplit une coupe, ytrempa ses lèvres; elle passa de bouche en bouche, puisfut brisée et routes les torches jetées dana un puits. Un

Page 264: Le Vice Supréme

1 M VICE SUPRÊME ~t

branle furieux tournoya, et tous disparurent par couple,Resté seul, Cœlio chanta l'hymne à la Nuit, 6t comme

il s'asseyait sur la margelle du puits, une femme vint

qui lui dit « Tu es ma chimère », et l'entraîna. Dès

lors, se succédant dans l'ombre, les couples enlacés défi-

ièrent, et les sexes semblaient confondus par ces robes

de lin toutes semblables.« Voilà le Rut! » dit Méroda~k à Marestan, comme

il eût dit voilà la pluie!1Et se retournant, il vit la salle immobile, et haletante.

« Vois, » disait-il à Marestan qui fasciné, ne l'écou-

tait pas « vois il n'y a qu'un être ici il rcmplit la

salle comme il remplit le monde, comme il remplit l'his-toire La BRTE. Mais ici la Bête est aiguillonnée par

l'esprit, toutes ces imaginations se polluent. Ohl

l'onanisme immonde de la pensée. l'ivresse astrale,l'instinct de luxure éperonné par l'espr it de luxure, l'âmetitillant le corps! L'ivrognerie des sens est hideuse; l'em-

portement organK~ue, honteux; mais cela! c~Ia! c'est levice ~Mpf~TMe.?

Et subitement furieux, d'une voix terrible, le Magecria

OHÉI OHÉI LES RACES L~y~ES/

Cette exclamation beuglée, cette idée de penseur lancéesur un ton canaille, rompit le charme. Tous les yeuxquittant la scène, fouillèrent l'orchestre.

Du cintre, une voix approuva« Bien dit, Jérémie! »

Aux amphitéâtres, on répéta « Ohé! les Races latines,ohé! ?

Ce public lettré comprit tout de suite la portée du cri;!e rideau tomba sur l'acte inachevé et l'on donna îe gaz.

Le commissaire de service ayant demandé ce que signi-

Page 265: Le Vice Supréme

M yïCB BUPRËMB

fiait « Ohé! les races latines! » < Que la Républiqueest perdue Hlui répondit-on.

Alors, pris d'un beau zèle, il descendit à l'orchestreet se fit indiquer les perturbateurs.

La princesse d'Esté dépêcha M. de Montessuy quiarriva à Mérodack en même temps que le commissaire.

– « Laissez votre place ou cette affaire », dit le comte.– « Je ne connais que le devoir. »– « As-tu Sni? » gouailla Saint-Meen.Le commissaire tua son écharpe; elle fut saluée d'un

hurrah qui roula du parterre au cintre.Mérodack, impassible, regardait l'agent.

« Suivez-moi, monsieur, et vite. »Les dominicaux s'étaient levés, sentant pour la pre-

mière fois qu'une solidarité les liait.– « Attends, maraud, que je te b&tonne. », criait

le duc de Nîmes.Une orange vint s'écraser sur la joue du commissaire;

on applaudit.– « Qui est aussi fort que cela en balistique? » deman-

da Tisselin..Les épithètes lettrées pieu valent: « Alguazil, watchman!sereno! rossez le guet! à la hart, la Sainte-Her-

mendad 1»

Livide, l'agent posa la main sur l'épaule de Mérodack;mais il la retira instantanément brûlée, et il se courbaen arrière sous un irrésistible vent. L'adepte n'avait pasfait un geste; absorbant tout le nuide favorable du pu-blic, il s'était ainsi transformé en une vivante machineélectrique; à cet instant, il tenait la foudre, et d'un coupde poing eût étendu l'agent raide mort.

Le commissaire, aSolé, ne songea plus qu'A s'échap~per; mais le duc de Nîmes cria

« Enlevez-le! ?

Page 266: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 263

Sitôt, il fut pris, soulevé; et l'orchestre debout, lesbras en l'air, se le passait, le bernant comme un Sancho.

La salle trépignait d'allégresse. Une joie de gamineriefaisait sourire les femmes; la princesse d'Este simul&un bravo, les dames singèrent et les hommes déchirèrentleurs gants pour applaudir bruyamment.

« Mon duché pour deux battoirs! » clamait le duc

de Nîmes.

Des cris de bête éclataient dans le trépignement quivoilait le lustre d'un brouillard de poussière. Enfin, lesbras étant las, on remit le commissaire sur ses pieds. On

regrettait que ce fût déjà fini, mais on était content.Personne ne sortait, on causait sans crier, dans une déli-

cieuse hypocrisie de calme.

« Le Rut change », disait Mérodack. « Voici celuide l'irrespect ils voudraient bafouer un empereur, ils

bafoueront la police; par plaisir de déconsidérer l'auto-

rité.« Ça vous amuse de faire la main qui parle? »

demanda Beauville.

« Il fallait une protestation pour la dignité du

Verbe », répondit Mérodack.

Le prince de Courtenay, dans la loge de la princessed'Este riait heureux qu'on méprisât la République,même dans le plus infime de ses représentants.

« L'égalité devant la loi ne sera jamais qu'un motà jeter aux foules. Il n'est personne ici de l'orchestre

et des loges qui par tenants et aboutissants ne soit sûrde l'impunité, tant qu'il n'assassinera pas, devant té-moins. »

Les instruments s'accordaient quand un flot de munici-

paux parut aux portes. Une huée formidable gronda; les

trépignements devinrent furieux; le lustre disparut dans

Page 267: Le Vice Supréme

264 La VïGE SUPREME

la poussière et des craquements de boiseries s'entendi.rent.

« I~es numéros », cria te duc de Nîmes, de sa voixde stantor.

A ce mot, les ag~its reculèrent, effrayés et aHolés parcette tempête de bru.t et le vacarme devint chahut, indes-criptible et fou. Des baïonnettes luirent aux portes.

« Quel joli début de révolution )), faisait Tisselin,bercé par cette atmosphère de révolte. On n'entendit pasles sommations et lunaire devenait grave, quand le ducde Quercy, qui sortait du conscH des ministres parutdans la loge de la princesse. H se pencha, d'un gestedonnant raison à rémeute, et les troupes évacuèrent lescouloirs. Toute la salle se tourna vers la princesse d'Esteet F applaudit av&c {r~nésic sans qu'elle semblât s'enapercevoir, et on se rassit.

Le rideau se ~vait sur le décor du troisième acte. Ï)ansle temph, les pèlerins couchés sur les dalles, s'éveillaient,cherchant C(Blip et se lamentant comme pour la mortd'Adonis, ils sortirent à sa poursuite. Sitôt Cœlio, entiè-rement vêtu de brocart d'or entra et après une conju-ration, jeta à terre le cadavre du vieux pontife et se hissasur la Chimère. L'aube naissait, les pèlerins revenuschantaient: Ccelio, lyre en main, improvisa une sorte deprière de ~o~ et au finale, les rayons de l'aurore tom-bèrent sur son costume étincelant; la chimère se dressa,ouvrit les ailes et lentement monta dans une gloireélectrique, tandis que tout le pèlerinage prosterné commeau pied d'un Thab<~r, chantait un cantique sacrilège.On applaudit à outrance, sans que la Nine daignât revenir.

« Ohé, les ra~es latines! » répétait la partie bohèmedu public et, ce cri emplissait les couloirs. « Ohé, lesraces latines! »

La duchesse de Noirmoutier avait rejoint la princesse

Page 268: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 265 gi,

d'Este et toutes les deux, leurs fourrures mises, atten-daient que la foule s'écoulât.

– « Venez donc demain à Notre-Dame, l'archevêquetu a dit merveille du prédicateur. »La princesse faisait une moue indécise.– « Vous vous devez d'y éhe c'est aussi une prp-nnère et un début. H

dehors, des groupes allumant leurs égares criaientdans 1 e~seulement du boulevard, ce cri qui les amusaitd autant qu ils en savaient la terriuante portée

0~3, 0~, LES RACES ~7V/VES/ 0~/

Page 269: Le Vice Supréme

XXXI

C~JtËME PRENANT

Le « Venez donc à Notre-Dame, c'est aussi une première

et un début », n'était pas un mot ridicule de libre pen-

seuse, mais l'expression naturelle d'une religiosité qui

n'est plus qu'un sport.On avait cru que le T. R. P. Monsabré prêcherait

comme de coutume les Dominicales. Au dernier moment,

la Semaine Religieuse avait annoncé le T. R. P. Alta.

Son Eminence, en disant à la duchesse de Noirmoutier

« vous serez contente », ne connaissait pas celui 4u'elle

recommandait ainsi.

Le général des Frères Prêcheurs l'envoyait comme un

sujet extraordinaire. Parmi les fidèles, les uns s'atten-

daient à un reflet de Lacordaire; d'autres espéraient un

polémiste qui ferait des allusions politiques.

« Vous verrez », disait Mme de Chamarande, « de

la monnaie de Bourdaloue H nous démontrera par des

preuves où nous ne comprendrons rien, ce que nous

croyons déjà; au lieu de nous éclairer sur notre conduite. »

Le ton est d'arriver en avance à l'église et en retard

au théâtre. Dès midi et de~i, les équipages défilèrent

devant Notre-Dame, et la grande nef s'emplit des pécheurs

les plus armoriés.Un grand chuchotement fait de mille bouts de causerie

bruissait dans la vieille cathédrale.

« Vous voilà donc M dit la duchesse de Noirmoutier

la princesse d'Esté.

Page 270: Le Vice Supréme

LE yiCB SUPREME 267 ?"m

– « Son~nom m'a décidé; il faut toujours aller adalta », répondit-elle par un jeu de mots latins que sonamie ne comprit pas.

Dans le chœur, les aigreurs des voix d'enfants mon-taient. On toussota, on se tassa avec les bruits de jupesd'une assemblée de femmes, qui s'apprête à la difficileimmobilité. La hallebarde du suisse sonna sur les dallesune forme blanche s'avançait avec lenteur. Les têtesondulèrent, curieuses, et tous les yeux se levèrent vers lachaire, ou le P. Alta était apparu très gland dans sonfroc blanc. La gâchette de cuivre fit un bruit d'amorcequand le suisse ferma le battant de la chaire.

Debout sous l'abat-voix, les mains belles et posées surle velours du rebord, le Dominicain semblait avoir laisséson nimbe sur l'outre-mer d'un Fiésole.

D'un regard hardi et lent, il scruta son auditoire, puiss'agenouilla; on ne vit plus que ses mains jointes et satonsure brune. Plusieurs minutes s'écoulèrent; une im-patience frippait les jupes; au chœur, les chanoinesappréhendaient un manque de mémoire! Son Eminenceelle-même s'inquiétait. Cependant ces quelques instantsétaient bien nécessaires au moine;' à la vue de son audi-toire, il avait changé le sujet de son sermon. Il se releva,étendit, de son front à sa poitrine, un vaste signe decroix et d'une voix sûre, d'une voix qui avait apprisà prononcer et à dire et qui forçait l'attention par sonaccentuation parfaite

« Eminence,« Mes Sœurs,

Nimis peccavi cogitatione.«Nous sommes tous pécheurs; mais les plus indignesde miséricorde ne sont pas ceux qui donnent le scandale,ni ceux-là qui, vivant selcn le vice, usurpent les honneurs

Page 271: Le Vice Supréme

268 LB VICE 6UPH&ME

dus à la seule vertu. Les cymiquM ne se masquent point,

se laissant voir tels qu'il aont; les hypocrites trompant

~e monde, mais non pas leur conscience! Où sont ces

pécheurs plus damn< s que ceux qui font servir a la pro-

pagande du mal la grande force du mal, la grande fMee

<ie l'exemple. Ou s~mt-ils, ces prévaricateurs plus coupa-·bles que les sacrilèges, qui mettent la couleur de la

vertu sur les lèpres de !emr vie? Ils sont ie~. ?

« Ici, il y a des cyniques, qui croient vertus leurs

vices; ici, il y a des hypocrites, qui se sont pris à leur

propre artifice. Eh quoi M. S., ne vous reconnaissez-

vous pas au tableau que je peins? Ne voyez-vous votre

âme mauvaise dans le miroir que je vous présenteP »

« Où va-t-il en venir? » se demandait-on.« Quel abîme que la quiétude de la prévarication!

quelle corruption que celle qui ne se sait pas corrompue!

Quel vice que le vice qui s'ignore! Avoir perdu la notion

du bien et du mal, c'est le péché inconscient qui est

irrémissible. Vous l'ignorez? Dieu m'envoie vous le

mander.' »

Le silence était absolu, toutes ces dames s'attendaient

à être secouées – et cette appréhension avait sa volupté.

La Beauté pare tout, même la Parole de Dieu, et la ma-

jesté du moine émerveillait l'auditoire, autant que son

éloquence dans une chaire si périlleuse à aborder. D'une

voix subitement radoucie

« Ohl M. S., que n'êtes-vous des lis de pureté? Au lieu

de vous parler du péché, je prierais le Sauveur avec

vous. Et de vos cœurs, comme d'encensoirs, le parfum

d'amour monterait réjouir les séraphins. »

Soudain la première impression se dissipa, il y eut

des remuements, il sentit qu'il ne dominait plus son

auditoire et s'écria, subitement dur

Page 272: Le Vice Supréme

M5 VICE SUPBÊME209

~riltl~/

« Dieu sappc;~ justice ~ant <h.s'appc!er amour, Queta terreur soit dans vos âmes, puisque seule elle ensemble M~ Vous ne vous Pécheresses. cesemble, M. S. P Voyons vos cœurs purs !M

Cette ironie à la Baudelaire parut étrange« Dans quelle disposition d'esprit etes~us venuesentendre la parole de Vérité? Vous y êtes venues commeà un spectacle profane; vous avez hésité entre l'Eglise etle Théâtre, et vous vous êtes décidées pour l'Ëglis? parcequ'au théâtre il n'y avait pas de nouvel histrion et qu'àl'Eglise il y avait un prédicateur nouveau! ?

La princesse d'Este se répéta le mot de son amie<(C'est aussi une première et un début. »« Votre curiosité profane ne vient pas d'un amour des

lettres; ce n'est pas l'orateur qui vous attire. Vous venezvoir l'homme qui est dans le moine. Le moine qui seraitun homme, serait un monstre! Honte à vous, d'apporterdevant .e tabernacle les pires préoccupations de la sexua-lité. Kagard~r l'homme de Dieu avec les yeux de la chairc'est le sacrilège et si un archange, à cette heure, chas-saitiM eaenlèges de cette enceinte, que vous seriez peunombreuses autour de cette chaire! »

Les respirations situaient dans un silence angoissant« Il est indécent », murmura la marquise de Trn-quetailles.

« Nos plus grands crimes ne sont pas nos actes ilssdépendent des circonstances qui nous arrêtent ou nousfavorisent; ni nos paroles hors des heures de défaillanceou de colère, nous ne disons de nous que ce que nous vou-lons. -Nos pensées, que rien n~ force, que rien n'en-trave, voilà nos grands crimes. »

« Femmes du monde, ~tres futiles et vains, qui osezlever sur le pre~e un regard de mauvaise eu~site, si jedévots vos secrets pensées/d'h~r, de ce matin, de

Page 273: Le Vice Supréme

270 LE VICE SUPREME

maintenant, quelle confusion serait, la vôtre, et quelle 1

rougeur sur vos fronts d'orgueill »

« Osez dire que vos heures oisives ne sont point han-

tées par le rêve de l'adultère; que voa insomnies et vos

paresses du matin ne se complaisent pas aux cogita-tions qui souillent; que !e désir que vous prenez aux

lectures malsaines, aux spectacles lubriques, vous ne

l'attisez point et que vous ne vous exposez pas joyeu-sement aux émotions défendues! 1»

« Osez dire que vos pensées ne sont pas femmes

d'adultère, jeunes filles de stupre, veuves d'incontinence,toutes de luxure! »« Le monde, dit Massillon, qui ne connaît plus de rete-

nue sur ce péché, en exige pourtant beaucoup dans le

langage qui le condamne. « Néanmoins je, rendrai votrehonte manifeste. »

« M. S., je vous considère épouses comme fMèles,

vierges et veuves sans incontinence officielle, et cepen-dant, je vous dis ceci vous n'êtes pas d'honnêtes fem-mes. « Toute luxure sera remise, dit l'apôtre, mais l'espritde luxure ne sera jamais pardonné, ni en ce monde, nien l'autre. »

« Péché inconscient, ai-je dit, a voir votre sérénité,mais j'ôterai à votre délit cette épithète qui semble une

excuse, et descendant dans vos cœurs, j'y ferai tant delumière qu'il faudra bien que vous conveniez de votre

iniquité' »« Si cet examen où je vais vous forcer ne vous convertit

point, vous qui vous vous damnerez sciemment désor-

mais, vous qui vous croyez sages, vierges folles de

l'esprit. »« L'esprit de luxure est l'habitude d'une préoccupation

perpétuelle de ce vice. Or, constamment recéler est pireque de voler une fois, et moins criminelle est la femme qui

Page 274: Le Vice Supréme

LE VÏCE SUPREME 271

succombe que celle qui se joue en des tentations quoti-diennes, a

« Toujours déplorable est la chute, mais s'amuser dupéché, c'est mépriser Dieu Votre luxure, M. S., n'estpas un acte passager du corps; c'est un état perma-nent de l'esprit, vous jouez du vice, et si vous vousarrêtez au jeu, c'est crainte des lendemains funestes, –et votre retenue apparaît bien faite de lâcheté. ?

« Sachez, M. F., disait saint Jean, qu'il y a un péchéà la mort, pour lequel il ne faut point prier. » Ce péchéc'est le péché de Malice, le vôtre! 0 femmes du monde,de quel vice votre vertu est faite et que de turpitude dansvotre continencel J'ai dit que vous n'étiez point adultè-res,j j'ai menti. Voyez en vous-mêmes si dans les assem-blées du monde, le désir de l'adultère ne s'est jamais levéen vos cœurs, et adultères par la pensée, êtes-vous moinssouillées d'un péché du cœur que d'un péché du corps?U Dieu, que de boue dans 'le cœur de l'homme et qu'ilfaut croire que votre miséricorde fera taire votre justice! »

« Vous serez responsables, disent les Pères, de tous lespéchés dont vous aurez été l'occasion, et ajoutent-ils, l'in.citation à la concupiscence est la pire des luxures. »

« Concevez-vous, femmes du monde, ces effroyablesparoles? Je vous ai demandé combien de fois, vous aviezrecommis l'adultère dans votre cœur? ce nombre! vousl'ignorez. Je vous demande maintenant combien de foisvous avez fait commettre l'adultère aux autres, dans leurcœur. Vous l'ignorez encore ce nombre, et si vous lesaviez, loin d'en être confondues, vous en tireriez gloire,car il n'y a qu'un but dans votre vie exciter la concupis-cence. »

« Quelle différence entre la courtisane et vous? Uneseule et qui ne vous décharge pas la courtisane tient ce

Page 275: Le Vice Supréme

X72 LE VMB SUPRÊME

qu'elle promet, tandis que vous promcLtez sans tenir. Vous

mentez, et parmi tous les désirs qui vont à la courtisane,combien sont nés de vous! Ah! oes vicieux qui vous font

cortège vous abandonneraient vite, si vous n'étiez pas pâ-ture à leurs vices. Ce qui les charme en vous., est-ce votre

intelligence? Vous êtes nulles, vous êtes vides, vous ne

savez que la médisance et la toilette. Votre prestige estun prestige de chair sinon le monde qui n'aime que la

chair ne vous fêterai, pas. »

Dans l'immense cathédrale, les respirations haletaient;

des sueurs perlaient aux fronts, les gorges battaient l'étone

du corsage, les mains se crispaient; un flot d'orgueil pié-tiné et furieux de l~être, se môt&it à une confusion, à un

étonnement qui ne laissaient personne de sang-froid.

Le moine n'oublia rien dans son épouv&ntaMe réqui-sitoire. Une heure durant, il piétina les mondaine.

<<Vous Vous mdîgnez d'être dévoilées et demain, tout

à t'heure, vous retoumerez à ~otre.

H s'arrêta laissant le mot suspendu sur {'auditoire quieut presque un murmure.

« Le fruit de ce sermon sera une calomnie vous direz

que l'apôtre vous a scandalisées, car, hypocrites vous ne

voulez pas qu'on vous nominè du nom de vos péchés!Mais comment vous ont donc parlé ceux qui m~ont pré-cédé dans cette chaire Ah! ce devaient être dé ces âmes

si saintes qu'elles ignorent !e mal. funeste ignorance le

nom de Dieu est vérité et je dirai dimanche à vos épouxet à vos frères ce qu'ils sont, comme je vous ai uii au-

jourd'hui ce que vous êtesî »

Il éleva les bras.

« Pardonnez-moi, ô mon Dieu, d'avoir latigué les échosde eo sanctuaire à redire les choses du mal! J'ai osé pr@a-

Page 276: Le Vice Supréme

La TtCBBUPR~MN

373

t ce fouet ~v~< t~M~i~i~d~r~ X~' avez <=h~ lesde vices dont cesâmes sont possédées. »

« Au-dessus du tabernacle, l'arch.ange piétine le dé-l'apôtre a le droit

~T~ terrasser à v os pieds augustes,n'est-ce-pas ô mon Dieup »Et ab~sssant son regard et songeste.« Plaignez-moi de vous mépriser, M. S. N'était la grâcedu saint ministère, je n'aurais pas la force de me ~n!cher sur la lèpre de vos cœurs pour les guérir« Que ~agrâce vous touche! que Dieu vous pardonne!non pas les péchés de votre vie qui veulent une vie d'ex-

piation, maisque vous avez commis enni 'écoutant. »

II fit sur l'assemblée un vaste signe de croix; puis saforme blanche disparut dans le tournant de la chaire.L'auditoire resta un instant immobile, les yeux fhéssur la chaire vide. Puis on se leva, on se secoua comme

mouillé; chacune ayant conscience d'une altération destraits et voyant cette altération autour d'elle. Tout d'uncoup ce fut nn débordement d'épithètes.

L'orgueil mondain se vengeait.Pensez-vous? )) demandait Mme de Trinque-tailles, qui, futile, avait déjà secoué l'émotion comme troplourde à ses épaules rondes.

de'Case~ « que l'exclamationde Caselli tânt de soleil et pas un homme est rétor-quée, »

Onattenditla Mnédiction~dans une causerie animée,à ce point que lorsque le prêtre éleva l'ostensoir, quel-ques-unes de ces dames oublièrent de baisser la tête, tan-

_o18

Page 277: Le Vice Supréme

~74 LE VME SUPRÊME

dis que d'autres parlaient encore courbées sur leur chaise.

Au tambour, la duchesse de Noirmoutier, dit

« Regrettez-vous d'être venue? – Un pareil vision-

naire est rare et curieux. »

a Vous faites tort à votre jugement; ce moine a

superbement raison! ? déclara Léonora d'Este.

Page 278: Le Vice Supréme

xxxn

UN MARDI CASUISTIQUE

La parole du Père Alta, colportée, commentée, déna-turée, ricochait singulièrement dans tous ces esprits médu-ce Émules, non contrites; point converties, humiliées,ces pécheresses, commele moine

l'avait prédit accusaientle scandaleux prédicateur, et se vengeaient, comme sevengent les femmes – petitement. Le Père Alta devint lecanevas de parlage qu'elles brodèrent d'mcro~~s

calomnies. Au mardi de laprincesse d'Este, de la retentissante domi-nicale, chaque femme divaguait sur ce moine, selon safêlure romanesque ou perverse.

« Il a aimé, cela se voit, » disait Mme de Thouars.– « Je ne sais, mais il a certainement vécu dans lesens masculin du mot », ajoutait Mme de T.~u~ei« Il a un dédain de la femme, qui en prouve laconnaissance, » concluait la princesse.

« AJif mesdames; » s'exclama M. de Chaumontel« il parait qu'on vous a. » et il St le geste d'une fessée.« Du haut de la chaire, il fait le grandl » s'écriaMmede Genneton, mais en tête à tête, il ne serait passi Père de 1 '~1ise. »

nJh/' a l'audace et le talent de pousser l'analyse dupéché plus loin qu'aucun romancier, il dit des véritésvraies. »Il y eut dea~exclamations protestantes.

Page 279: Le Vice Supréme

276 LE VICE SUPREME

(( je veux croire, mesdames, que son sermon vous

condamne moins que moi », dit la princesse.

Pour un peu, elles se seraient récriées dans une belle

émulation d'être aussi condamnées qu'elle, même plus

encore.« Ah! l'abbé ~lajon.« Votre jugement, vous qui « êtes de la partie ».

« Étonner, » fit-il n'est pas convertir, frapper fort

n'est pas frapper ~us.e; ni dépasser le but, ~'atteindre; on

revient pire de pareil s sermons!

La princesse l'enveloppa d'un coup d'œil dédaigneux.

MVous semblez un enfant de chœur qui critique-

rait Bossuet; mais je vois où le bât blesse votre sautil-

lance. La réprobation des mondains englobe les pr&tres

mondains et, cette phrase vous pose « .Pour que mon

langage vous étonne, comment vous ont donc parlée ceux

qui m'ont précédé »

Le vicaire insista«Ha exagéré le péché et le rend invraiseinblable! »»

« Et vous confessez! » s'écria la princesse en haus-

sant les épaules.« C'est au confessionnal que jè l'attends, » insinua

Mme de Chamarande.

« Pas assez de largeur dans la manche, » déclara en

riant la marquise.Le chanoine Durand entra, on l'interrogea avant qu'il

rut assis.– Sa seconde dominicale est visible pour les hom-

mes seulement, » demanda Mme de Thouars.

« j'irai en homme, au confessionnal aussi, il m'ap

pellera mon fils, » et Mme de Trinquetailles riait.

– « Les prêtres ne devraient pas aller dans le monde »

fit le chanoine « ce que vous dites-la, vous semble fort

Page 280: Le Vice Supréme

M virn sup~ÉMz 277

joli; mais de quelle oreille, d'abbé et moi, voulez-vousque nous i'écoutions? »

Le prince de Courtenay s'avança– « Cousine, nous vous laissons ad alta. » Et tous leshommes sortirent avec lui. Il n'y avait plus que ces da-mes et les deux prêtres dans le salon.~T

« Que dites-vous de la casuistique du Père Alta,M. le Chanoine? »« Que son purisme confine à l'impureté. M

La princesse sonna « Sarkis est-il au palais? »Ce dernier, au bout d'un instant, parut.–-a Pourquoi ne vous voit-on jamais quand il y a du

monde; vous savez bien que vous êtes ici chez vous »« C'est en vertu de cette gracieuse assurance que

je n'y suis pas, quand on y est. »« Vous êtes misanthrope, monsieur, » fit la du-

chesse.« Misogyne tout au plus, en vieux savant qui jugeles femmes intéressantes pendant qu'on est jeune seule-

ment. ?– « Vous êtes galant! M– « C'est une peine que je ne prends plus. »– « Monsieur, » dit Mme de Thouars, « une femme

peut avoir le cœur aussi haut placé que celui d'unhomme! ?

– a Plus haut mais supérieure et exaltée, la femmeest sans indulgence; on est épicier dès qu'on sort descentons de Sand. »

« Vous préférez les femmes savantes? »« Il n'y en a pas, des pédantes tout au plus. La

science et la femme se tournent le dos. »« Comme ce que vous dites à ce que je voudrais

entendre »interrompit la princesse.« Savez-vous la casuistique, SarMs~ »

Page 281: Le Vice Supréme

2?8 LE VICE SUPRÊME

– « Je sais les livres où elle est et le chef-d'œuvre

de la matière me parait la Somme des péchés et les remè-

des d'yceulx, par le P. Benedicti, énorme in-octavo im-

primé à Lyon, fin seizième c'est le gradus, le Quicherat

casuistique, »

« Voudriez-vous nous l'aller chercher et nous lire

les passages ayant trait. »

« A la luxure » devina Sarkis, ironique.

« Est-ce ortho(toxe? » demanda l'abbé Vlajon.

« Œuvre de !aint, approuvée par tous les ayant

droit et dédiée à la Vierge; mais tout est dans tout; et des

femmes qui ne sont pas saintes trouveront ce qu'elles

cherchent dans ce livre d'une indéniable pureté d'inten-

tion. »

Sarkis rentra bientôt, avec l'm-octavo en basane éra-

flée et l'établit sur un pupitre.« Mesdames, » Gt-il, « questionnez, et il vous sera

répondu H« Cherchez. péché inconscient. »

« Le mot n'y est pas, mais voici, d'après ce que je

sais du sermon de Notre-Dame, des points qui confinent

au sujet « Péchés de l'esprit plus griefs que cetM:du

corps; page 869. »

Il lut« J'ai t<mtôi dit que le péché commis avec une femme

layde, est plus grief qu'avec ceHe qui est belle; car

ï'howme n'est pas si tenté d'une layde et vieille comme

d'une belle et jeune femme. »

« Mesdames», fit la marquise, « choisissons les plus

jolis partenaires afin que le péché soit moins grief. ))

« Voici qui est tout à fait dans les idées du Père

Alta. »« CeïtMqui consent en la délectation du pèche, pèche

wor«~eweMt. En gMOt, convient de noter que péché et

Page 282: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 279

délectation sont péchés doubles. Parquoy, qui prendplaisir à la délectation du pèche, encore qu'il ne vouldt,accomplit Fœwre. Quelquefois il arrive que la personnen'ose pas commettre ou par crainte d'être damnée oud~ow~e ou punie du monde; toMte/OMse délecteà penserau péché. Exemple celle qui ne voudrait commettref a<ït~<ëre,~M~ ~e d~ecterait penser aMp~t~r d'tcetuuet des attouchements, dM propos lasci fs et autres chosesimpudiques qui se font en luxure, pécherait mortellement.

« Le consentement et la délectatior est de même espèce

qu'est lepéché dnç~e~ on pe~e. Ea-e~pfe gue~M'uM

prend plaisir de penser au péché d'adultère, c'est adul-tère; au péché d'inceste, c'e~t inceste; au péché de sacri-lège, c'est sacrilège; au pèche de sodomie, c'e~taodotnte. ?

cc Eh bien, i'abbét » interrompit la princesse d'Esté,« le P. Alta est-il visionnaire »« Qu'est-ce que la sodomie~ )) demanda Mme de

Genneton.– « Page 222 », lut Sarkis.

« Ce pèche est contre rovdre de nature, parce ou'~se commet contre rordre du sexe péché qui est plus <?ne/que d'avoir af faire avec sa ~oBur, voire cvec sa propreMère; or tï~ a sodomie et acte sodomique, qui sont deux,voyez la marge en latin. »

Sarkis lut la rubrique.« Traduisez », demanda-t-on.

L'abbé et le chanoine s'étaient levés « Altesse etvous, mesdames ». fit le vieillard, rouge et indigné,« notre présence ici est déjà coupable. C'est abominableet le P. Alta a bien raison. »

Les deux prêtres sortirent vivement. Quand la portefut refermée, elles éclatèrent d'un rire nerveux. Gami-nement, comme des enfants qui se serrent coude à coude

Page 283: Le Vice Supréme

i

280 Ut TMB SUN~ÈMK

pour écouter une histoire, d~s Ërent cercle aattoœr de

Sarkis, leurs yeux luisants Qxés sur les pages )a~M~~e8etétMiées do mouillures.

– « La loi de Mo~t; eom~MMdeque tant t'aient que ïe

po<ien<<ote~ MM à t~ort. Ce p~ehe et< <eiiet)Mt~t<M<a<-table qu'il y a même y~siew~ e<pnts f< d~motts ~Mti'o~t~n horreM~. ?

– «H n'y a pas d'.mtres détails? »– « Ah un péché 'are », fit Sarkis « De i'eacû~ dM

~ens tMoW~. »– «SMcteP~tha~or<cte~<~<que t'homme qui <e MMMi~e

plutôt d~~f<M a<?ïcun;MacenDers M femme que <Mfy, aita<M<ère. Pa~gMO~, Me /aM<p<Mque t'h<wwne «M<j~M femme ~<WMKed'uMe puiat~; Mtg~e <a ~ttTMtte<ep<eMt)ersson war! comme avec tt~ amouyelMCtNotM eect,~<MM<tM<yeagens martes, qui y<nte<de wM~t <?<otteDieu. »

– w C'eat cependant le rêve de la morale que l'amour

dans le mariage M, s'écria Mme de Stains.– « Ceua? qui s'en<rec<MMMtMe~contre ï'o~~tre prêt-

ent, de teMe sorte gMe<c ~etWMne pMM~ conceto<r, ils

o//etMeM< ce qui o?rme gue~j~e~OMô cetcc ~Mt e<<M~wyet de ~t~ ou d'<MMOKf<tMptMH<~e,ett a~tMe" jft y e~

a qm TeMM~quente~ <eotnMettde tMOMere~CMpeut peyoeir-'itf Z'ordre de ~a jCon~OMCiion;cw qui ~e doit p<M<c direert D~aire. M

II lut !e latin de la marge et la parineeMese mit à rire

pour BTïter les curiosités.– et Vous êtes bien hecreuse de savoir le latin. »– « Je venx l'apprendre, c'est la langue des choses

défendues fit la marq'uisc.– « Si <K<CM~,ee que M'<ïdM<MMM,~e co~teMidient <

!eMMt~e MMOMiey<ettleur t~M~e, pdy at~OtMheHtetti,~<~< <if!e<~M!~ ~eraiem o~Mt MM~teM~.JSh ~M~

Page 284: Le Vice Supréme

LB ~ÏCB SUPRÊME 281

n<~ p<Mp<~ l'homme 'et d /<~e tou-dire P< ~~M r~ dl'autre? Oui bien, quand tout cela se fait pour s'inciter

à rendre le ~<Mr de mariage et non pour .utre ~~o~e~M.

« Remarquez, mesdames n, dit Sarkis, « que c'«<on M c<~<~ plutôt par <Meo~<~ pouravoir h~Mée. ?

~~1~ renoncer au fut l'avis unanime deces dames, très Mch~s de ces points sur les i, dont leurconscMnca se Mrait avec plaisir passée.

« Ecoutez la suite », continuait Sarkis avec la mêmegravité qu'il eût mise à expliquer un texte grec–« ~< pour ~~e ç~'OMpeut transgresser ce cotK.~~e~ cœ bouche ei ~'œi~~ celles qui~MK d'accomplir roM~ chair ~o~ tmriage,~I~ ~'7 pu, mortellement.C M< définition ~'<.M donnée J.-C. quand il &dit:« Qui M~de femme pour la convoiter, il c ~d com-MM péohé avec elle. » A c~we, on se doit accmerdM p~MéM qui ~tt <Mt«m<p~ch~ que des œw~M. Lo/~M M M~t la ~~re pour être regardée, ou M<*< ~<M pour MM- être ~w, )0ti a'~M~ p<wm<w~

pour être d<r~ charnellement, p~ m<~He.fi. e

– « Le P. Benedicti concorde avec le P. Alta a ditla princesse, « toutefois, si ce dernier écrivit une Somme«M péchés, elle serait plus complète. »

– « Oht ? fit Sarkis », voici un paragraphe qui damnetout Paris et Cadenet « Celui ou celle qui par chant,musique, écrits, paroles, ~e. des ~r, des fM~, de.pieds », ici, il regarda la princesse, f<tâche d'attirer unaMtrë en coMctqMMeMcO,P. AJf.?

< Comment P. M. jt

Page 285: Le Vice Supréme

282 LE VICE SUPREME

1– « Oui, le saint homme avait à écrire si souvent =

« péché mortel », que par économie d'espace et de

temps. »« Quoique ce Beuedicti connaisse bien le péché pour

quelqu'un qui ne l'a pas pratiqué, je ne vois pas », dit

Mme de Chamarande « l'indication de cette coquetterie

impudique et féroce c~uiporte bien son nom dur et amé-

ricain, Flirtation NoiLSavons progressé depuis.« Ecoutez cela et ne vous exclamez pas « Qui-

conque sollicite une /emme au péché de la chair, pèched'autant plus grièvement, qu'il emploie de temps à cette

poursuite. ?Elles rirent.

« Voilà pourquoi », s'écria la marquise, « ces

messieurs nous pressent tant de nous rendre et nous en

veulent de résister. Qui eût pensé que leur ardeur à ~onsobtenir n'était autre que le souci de la diminution du

péché? »« Celle qui se détecte de penser au péché de la chair,

encore qu'elle n'y consente pas, pèche. Les cogitations et

délectations sont de diverses cot.ii~on< comme leur objet.Désirer, c'est commettre. Quiconque Idésire de toucher,

d'embrasser, de baiser quelque personne avec intention

seulement d'en tirer délectation et non pour autre chose;,il pèche comme celui qui la touche, embrasse et baise

pour en abuser, encore que tels attouchements se fassentailleurs que ès-parties impudiques. ?

« Jusqu'ici le P. Bened~cti, au moins, ne nous rend

pas responsables des péchés dont nous pouvons être

l'occasion. »« Et si », répondit Sarkis, « vous m'avez mal

écouté. »« Çà non! )~fit la marquise.« Ceu.c qui vont aua; eoKses pour y contempler les

Page 286: Le Vice Supréme

LE VICESUPREME

283

P.Q fPrnynao )nn J.¡~femmes, et les femmes les hommes. Item, la fille ou lafemme qui se présente en la compagnie des hommes pourêtre vue et souhaitée d'eux charnellement, pèche mortelle-ment pour ce que son intention est sinistre et perverse.Ceux mêmes qui se regardent pour provoquer à latentation, P. M. »

« Oh si on ne peut plus se regarder 1»« Ecoutez une métaphore de saint Ambroise,femmes coquettes « Plusieurs plus f acilementont gardécontinence continuelle que non pas une interposée; car

c'est de la, volupté comme de la f ournaise du /oroeroM ·tant plus elle est soufflée, tant plus elle est ardente. »

« Autre chose, mesdames « Celles qui se précipi-tent dans le mariage comme la ca~o~ et la tMÛÏeet autresbêtes brutes, Satan leur engendre un mépris e< dédainde leur propre mari et une fureur pour les étrangers. »

Sarkis ferma le livre..« Vous ne resterez point coites à la prochaine

confesse, mesdames; autant de péchés complaisammentouïs, autant de péchés commis 1»

« Ah ce serait injuste, nous n'avons pas eu le plaisiret nous aurions la peine A ce compte, il faut réaliser cequ'on rêve, puisque le délit est semblable. »

Sarkis se leva« Allez-vous en, si vous voulez, mais laissez-

nous. »Et eUes lui prirent le livre; Mme de Genneton le posasur sa main et étendit le bras.

« Je porte tous les péchés du monde à bras tendu »,déclara-t-elle.

,– « Votre perversité a bien du biceps », fit Mme deTrinquetailles, prenant l'in-octavo à son tour; « il esttrop gros pour ne pas contenir d'autres friandises, maisj'ignore les bons endroits. »

Page 287: Le Vice Supréme

284 LB VMRSUPmÊMR

.1..1.&Et elle se déganta pour feuilleter.– « Ah1 la table « De J!Ma?we,5i0. M

Ces dames avaient le sang aux oreilles de sa voix

claire, rendue hésitante par 'la suppression dea lettres et

tours formes anciennes, la marquise lut, sautant tout ce

qui ne croustillait pa;« Au <Mc<ewecottWMHtdemeni, a esté amplement

troicté de cette fnatter: et peut-être plus que les oreilles

de gueigttc~ ph<tnt~gn<'s esprits n'eussent voulu enten-

dre. »– « Et Cœtera a. fit-elle.

– « Ah il y a dix espèces de luxure, six selon le coura

de la nature et trois contre nature. Ce sont la fornica-

tion, radnitere, l'inceste, le stupre, le ravissement, le

sacrilège, la pollution volontaire, la sodomie, la bestialité

et l'excès des gens mariés. »

« Rien que dix espèces H, remarqua Mme de Gen-

neton. et un petit rire nerveux circula. 1

La marquise lisait, passant toutes 1es considérations

savantes, pures, indignées de l'autel, ne s'arrêtant

qu'aux gros mots naHs, aux passages qu'elle et l'auditoire

trouvaient agréablement charnels

a La loi moM~q~e d~e~doti put~M et oovdeau~c.

Les f emmespubliques qui sont otMCbordeaux ou oiKett~

pèchent gravement. 7c~ se présente une question à vider

d <ocotf Mon doit permettre les bordeaulx. D'aucMMt dt-

<eM<qu'~ n'est pas at yrond péché d'oï~er' d'une ~<Me

publique et qui est 'déjà prite à mal faire, que d'aller

debo«chey une ~ïe ou une ~~e tnanee. mon <!df~

tant s'en f aut que l'ardeur de paillardise se pwsse etei~-

dre pour l'évaporer avec ~ÏM publiques, que ph~toi elle'

t'en/taw~e; ce 'g«t incite doconta~e les jeM~M ~CMdeb<Kmh~- les ~MM et ~emmM de boMne MMtMMaprès

gt<'t~ ont appris les subtilités d'amour au bordeau; car

Page 288: Le Vice Supréme

LE vicE supR~Me 285

cetM:qui ont apprM à faire ~emoMr atM;putaws, serontencore plus e~ottMne~ e< hardM d /<Mfele fMeweÀ reyc-droit des sages et honnestes /~ï~e~. »

« Je saute l'adultère. »Et dans sa préoccupation fébrile, sans y prendre garde,

elle laissa échapper« Ça nous connaît! M

On sourit sans se regarder.– « Il y a toutes sortes de citations des Pères, mais

cela n'est pas croustillant du tout, à part les manchettesen latin. »

Et elle s'arrêtait à en lire des mots, essayant de com-prendre, s'imaginant des énormités.

« Du stupre et de~ofaMon d'une pucelle. Quiconquedécore une /tHe vierge e<rompt le sceau de sa virginité,pèche grièvement. La f emmeaect~tèrc qui a contpa-~Mted'un homme d'église, c'est ~ocrt~~e. » Ahl « péchécontre nature. »

– « Voyons H firent-elles, curieuses.– « Quiconque se procure pollution volontaire, hors le

tMcn~e, qui est iOppeMpar ~es ~~o!o~teMs mollesse;telles poKttttOMs exercent aussi les sorciers au sabbatavec les ~MfMesentre eM.r-?M~es, en jaisant des mixtions,ô D<eM/avec des choses sacrées, pour leurs charmes cequi se doit p~tdt taire que ~tre. St quelqu'une ~OtntMCt-tant le pech~, p~n~e avoir affaire ou <~stfe tM hommemarié, outre le péché de WtoHMse,c'est <Mh~fe. Si,elle d~~e MMe vierge, c'e« .s<Mp~; si elle désire ~onpofent, c'Mt Mw~te; st tm religieux, Mcn!~e; si unefemme, sodomie; ce péché est plus grief que ~a<It<!<ere,voire M~Me que ~~Mc~te.)t

« On ne s'en doute guère au pensionnat H, observaMme de Thouars.

La marquise coatinun

Page 289: Le Vice Supréme

~?6 LE VICE SUPREME

– « Eh! eh! mesdames, cela s'SMte~d de poHutioM ro-curée par la lecture des livres impudiques. » L'excellenthomme a tout prévu, hormis. »

Et elle s'arrêta' dans un rire.« Le voilà qui se justifie, ce bon Père « D'aucuns

diront gu'a~att à /afe Benedicti de traiter en vulgaireces affaires-là? !V'esi-cs pas en cela phtiôt apprendre lespéchés que les désapprendre? Il est vrai que je leur pour-rais bien rdportdre que je ne suis pas ïe premier aow?MM<equi ait traité ces pech(s ett vulgaire car l'Italie et l'Es-pagne sont pleines de tels livres. Ce tte sont pas les livresqui enseignent les péchés, c'est notre nature, hélasl partrop viciée, qui nous les appretid <Mse< Et guoy? leslivres ont-ils f ait ~atre ~espèches? Non certainement, maisles péchés ont fait f aire ~es livres. ))

~IIe ferma l'in-octavo« Dire que voilà tout le mal qu'on peut faire?.

Peuh1. »

« Je crois », fit la princesse, « qu'il peut y avoirbeaucoup de circonstances aggravantes qui ne sont pasénoncées ici. ?

« Commentse confesser de cette lecture » interrogeaMme de Chamarande.

La marquise prit un ton dévot.

« Mon Père, je m'accuse d'avoir écouté avec beau-coup d'attention la lecture de la Sommedes péchés duT. R. P. Benedicti. Le confesseur vous répondra Cen'est point un péché de s'éclairer sur la gravité de sesfautes, au contraire. »

« Mais ajuutez », dit la princesse, « que vous vousêtes délectée à l'énoncé de ces péchés, il vous dira Masoeur, ces péchés sont les vôtres. »

« Alors », conclut Mme de TrinquetaiIIes, « en une

Page 290: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 287

heure nous avons été fornicatrices, adultères, inces-tueuses, stupreuses, molles, sodomites et bestiales? »

« Vraiment! Oui! MElles ne protestèrent pas et se levèrent, ayant hâte

d'êtres seules pour repasser cette nomenclature des vices;énervées, les seins durs, elles échangèrent des serrementsde main saccadés.

– <( Allez, mes sœurs M, fit la princesse avec son grandair ironique, « l'esprit de luxure et l'esprit de malicesont en vous. »

Et parodiant le P. Alta« Je ne demande pas à Dieu qu'il vous pardonne les

péchés de votre vie qui veulent une autre vie d'expia-tion mais seulement ceux que vous avez commis pendantcette lecture. C'est la grâce que je vous souhaite. »

– « Ainsi soit-ill » firent-elles dans leur gaieté fébrile.

Page 291: Le Vice Supréme

XXXI)I

LET.R.P.ALTA

Il n'avait pas voulu loger à l'archevêché, oonune c'estla coutume on s'étonna, mais sans objection, car le gé-néral de l'ordre avait averti de ne le contraindre en rien.

Toutefois, le dimanche soir, quand une lettre d'excusearriva à l'archevêque qui n'attendait que lui avec toutsou chapitre pour se mettre à table, il y eut un grandmécontentement. On vit du calcul dans tontes ces singu-larités, et sauf ie chanoine Durand, que le mardi casuistique de la princesse d'Este avait éclairé sur l'opportunitédes audaces du sermonaire, on opina que ce froc était

plein de mystères. Tandis que Son Eminence assaison-nait le fin dîner d'insinuations tout ecclésiastiques, le P.

Alta, dans son appartement délabré du cloître Notre-

Dame, s'accoudait la tête dans ses mains, sur la table enbois blanc, où se voyaient poussés vers le bord les restesd'un mauvais dîner apporté d'un restaurant.

Le lendemain, des valets en livrée s'informant de~heures de confesse, le bedeau arrivait chez le moine quid'un geste le congédiait.

– « Cela ne presse point. M

Et la nuit venue, sous la lampe fumeuse, il remuaitd'une main ennuyée un tas de lettres au vélin couvert defines écritures penchées, qui demandaient une confessionavec des termes de rendez-vous.

Ces femmes chrétiennes cherchaient une émotion et unefaute de plus auprès du moine.

Page 292: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 289

'9

– « Voilà donc ce que j'ai semé des mauvaises cu-riosités Comment faire ô mon Dieu, pour qi~ votre rè-gne arrive? Qu'à donc l'homme d'empoisonné aux mainspour que. touchant aux cœurs pour les guérir, la vaseseule vienne au bord? »

Une tristesse d'apôtre impuissant, un découragementeffrayé de mystique, une crainte à la Saint-Bernard, selevèrent dans la pensée de ce moine qui se comparaitmentalement à ces princes méchants des contes de féesqui font jaillir des crapauds sous leurs pas.

Quelle que soit la supériorité d'un homme, quand ila fait un livre ou dit une parole grave et publique, il abesoin qu'on rassure son esprit affaibli par l'effort enlui venant dire « C'est bien! »

Le dominicain pressentait la désapprobation du clergéet le scandale hypocrite et rancunier de son auditoire; etla pensée amère, il regarda dans le passé.

A travers des brumes épaisses, son temps de vanité seprésentait impersonnel. Les années de cloître avaient dis-sous ce comte Alta, qui brandissait sa coupe à cham-pagne avec un singulier rire, dont les stridents éclatsarrêtaient l'orgie et répeuraient; et du pécheur hardiétait sorti un pécheur d'âmes plus hardi peut-être Largedémesurée, sa prévarication avait exploré les pôles dumal; et sans chemin de Damas, sans coup de la grâcequand l'extrême péché défaillit sous ses pas, il alla versle bien, simplement pour faire de nouveaux pas. Son pres-tige, c'était pour les narines féminines l'odeur de sonpassé; elles le devinaient ce « saint Michel qui avait étéSatan, ce Satan qui était devenu saint Michel », de lapoésie de Marestan. Lent, le retour à Dieu du comte Alta,commencé par le Beau métaphysique et la lecture de Pla-ton, s'était effectué par une lente recherche des évidencessurnaturelles. D~s qu'il eût déclaré inanes, amour, femme

Page 293: Le Vice Supréme

290 LE VICE SUPREME

et plaisir, il porta son effort vers la conception de l'Abso.

lu, et les voiles se déchirèrent les uns après les autres~

jusqu'à ce cri sublime « Adonai, notre Seigneur est

un! )) Croire est un acte; la foi n'existe que ~manifestée,et le comte Alta entra au couvent. Là, on connut tout de

suite quel chevalier venait à la rescousse de la foi et

on aplanit la discipline à son dédain. On laissa les

griffes au lion, et à peine ordiné, on lui montra la chaire

de Notre-Dame.« Commencer sa carrière par un scandale », pensait-

il, « et dans quel lieu? Le plus retentissant qui soit, aprèsSaint-Pierre! »

A cet instant on frappa discrètement

« Entrez! » fit-il vivement.– « Mon Père M, fit Mérodack, « je viens vous dire que

je vous admire ».

« Ahl vous m'admirez! M

Et le moine qui s'était levé, aspira ce mot avec une gra-titude qui fit sourire ses traits.

– « Oui, vous avez fouaillé la femme du monde, en

grand psychologue et en digne moine. »

« Vous croyez que c'était bien là ce qu'il fallait

dire, selon Dieu?

– « Je le crois, et comme j'ai deviné que de fausses

terreurs vous tourmentaient, je suis venu! »

Le P. Alta lui tendit les deux mains. Ils restèrent un

moment à se regarder dans l'âme, heureux de se sentir

unis et attirés invnciblement l'un vers l'autre.

–«Vous êtes fils de l'Eglise? M demanda subitement

le dominicain avec anxiété.

Qu'il lui eàt été dur de ne pas trouver la même foi

dans celui qui venait à l'heure de la défaillance et qu'ilaimait déjà de son immense cœur mystique! 1

Page 294: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 291

npH~~ féal de l'Eg-lise, mon Père dit solen-nellement le jeune homme.

«Père, dites-vous. Non! nous sommes frères. ?

Et les deux thaumaturges, ïe Prodige de la Grâce et leProdige de la Volonté, le Moine et le Mage s'embrasse.

Page 295: Le Vice Supréme

XXXÏV

LE PÉCHÉ D'IMBECILLITË

Elles avaient employé toutes les ruses pour envoyer

père, frère, mari, amant à ce sermon; si bien que la

grande nef était pleine de gens de cercles et de sport

et autres niais.

Dans les bas-côtés, tassées et heureuses, elles atten-

daient ce fin régal la condamnation de LL. SS. les

hommes.Le R. P. Alta commença ainsi

« Peccatum est tmbec~Ht<M

« La Bêtise est un péché, le vôtre, M. F. Vous vous

damnez bêtement; petits vos vices, idiote votre vie; nulle

votre pensée, et l'Enfer vous dédaignera pour votre

inanité m6me dans le mal. ))

Il prit ensuite la vie de l'homme du monde, et en des

paroles abstraites, les seules qui conviennent à la chaire,

où particulariser dans l'expression manquerait d'ampleur,`

il énuméra le multiple abrutissement des gens du monde

avec ce mot pour refrain imbéciles!1

« Je m'étonne, gens du monde, qu'on ait daigné vous

confondre en de longs discours, un s<?ulmot vous qua-

lifie et vous juge imbéciles!

« Oui, vous êtes imbéciles, je ne parle qu'au point de

vue humain. Ce qui fait la dignité de l'homme, c'est

autant que sa vertu son intelligence. Les anges rebelles

étaient des intelligents et Dieu les a honorés de sa colère.

Mais vous qui vous permettez l'orgueil, vous qui déshono-

Page 296: Le Vice Supréme

1B VICE S~K&BtE 293

rez chacun une page d'histoire, nobles qui ne faites pasd'actes nobles, vous êtes déchus de votre prestige. Onme répondra que le temps n'est plus de la défense duSaint Sépu'~re et de la recherche du saint Graal! Imbé-cillité Ta~t qu'il y aura un devoir à accomplir, une idéeà défen~rf, un faible à secourir, il y aura place pourdes croi~j. La civilisation vous a ôté l'épée, prenez laplume, le compas, la parole, magnifiez le Verbe en uneœuvre, fut-elle seulement utile; gentilshommes, vous ser-viez jadis des rois indignes, aujourd'hui servez l'idéesa force est invincible quand elle est catholique. Maisnon, vous vivez dans vos écuries, et si le penseur vousméprise, vous réclamez. Vous, les dégénérés et les in-dignes. vous faites les dédaigneux! Sachez que !e blasonest au cœur, que les parchemins re sont que des chosesd'archives, et qu'il n'y a qu'une race de droit divinle Génie. Génie et vertu, voilà les aristocraties étemellesde ce monde et de l'autre. Le reste n'est que de la conven-tion et qui passe avec le temps qui Ha vu naître. Avez-vous du génie? Avez-vous de la vertu? Eh bien, je vousappelerais manants si je n'étais le moine, pour qui touthomme, et lui-même, n'a qu'un nom le pécheur. »

Telle fut sa péroraison

« Vous valez vos femmes; vous donnez aux prostituéesce qu'elles se donnent à elles-mêmes. Est-il vrai, monDieu, que ces êtres, auxquels tu as appris la loi decharité, mettent en une parure, ou en un pari, le painde cent aSamésP

« Mauvais riches! vous rendrez compte de cet or queDieu vous avait départi pour en être les distributeurs, etque vous avez dissipé en folies égoïstes. Entendez-vous cecri, c'est le râle de toutes les faims et de tous les déses-poirs que vous pouviez secouru*!

Page 297: Le Vice Supréme

294 LE VICB SUPRÊME

1« Mauvais orgueilleux! vous rendrez compte des titres

glorieux que vous dmhonorez et que Dieu ne vous avait

permis que pour donner de plus voyants exemples devertus. Entendez-vous cette huée? C'est la risée des

intelligents qui vous jugent.« Imbéciles, vous rendrez compte de cette intelligence

que Dieu avait mise en vous pour le magnifier et quevous avez abrutie. Entendez-vous cette clameur? C'est

l'Enfer qui vous repousse; ouvert aux méchants, il estfermé aux imbéciles que je souhaite de cesser d'être 1

Ainsi soit-il. »

I

Page 298: Le Vice Supréme

XXXV

PRONAOS

Admirer, c'est aimer avec l'esprit, et la princessed'Este admirait le P. Alta. Ce moine lui semblait dansle bien une plus grande exception qu'elle-même dans lemal. Confondue par le sermon sur le péché inconscient,la troisième dominicale sur l'égoïsme fit monter à savolonté de passagères bouffées de charité.

« L'esprit se mesure à la pensée, le cœur se mesure àla bonté. Votre pensée, hommes du monde est de gour-mandise ou de luxure; la vôtre, femme, l'oripeau. Ahl1que je vous mépriserais bien, gens du monde, si mongrand Dieu ne m'ordonnait de vous aimer et de vousconvertir. »

« Toute intelligence a le devoir de l'idée, toute volontéa le devoir du sacrifice. Se dévouer en paroles à la vérité,en actes à la charité, tel est tout le mérite de la vie.Egoïstes sans bonté, on ne vaut que par dévouement etcelui qui s'est dévoué pour l'humanité, ne donnera sonéternité qu'à ses imitate jrs. »

La princesse pria par une lettre le Dominicain del'honorer de sa visite; elle reçut une carte où il y avaitw Le moine ne doit parler au monde que du haut de lachaire; le moine ne doit écouter le monde qu'au confes-sionnal. Sa parole est l'anathème suspendu qui avertit oul'absolution qui sauve. »

Elle lut entre les lignes un immense dédain de lafemme, de ses pompes et de !;es œuvres, et si ce refus

Page 299: Le Vice Supréme

296 LE VICE SUPRÊME

la blessa, car la sottise des circonstances et des hommes

l'avaient habituée à se voir obéie; elle en conçut une

idée plus haute de ce Bernard, auquel il ne manquait

qu'un xn* siècle à ~peurer de sa sainteté et à faire mar-

cher droit à sa parole. Elle disait souriante « Je suis

toujours Ad. alta », sans se douter que l'admiration, ce

pronaos de l'amour franchi, on ne sort plus du labyrinthede la Passion.

Page 300: Le Vice Supréme

xxxvi

HAMLET ET OPHËLIE

Tous les ans, dans la nuit du vingt-troisième jour demars, anniversaire de sa naissance, Mérodack dressait sonthème annuel. La terrible menace de l'horoscope devaitN'accomplir cette année-là « Assassin par amour. n Lecrime s'imposer à sa main et violer sa volonté du bien.Assassin, lui! et par amour! l'absurdité était double, etcepèndant i] croyait à l'astrologie.

En réfléchissant, il substitua au mot amour, celuid'affection et justicier à assassin. Corysandre subiraitun auront dont il serait le vengeur? S'éloigner d'elle,c'était déchirer l'arrêt astral, mais il ne s'en croyait pasledroit.

Assis, face & face, à une table d'ébène, dans le petitsalon de l'hôtel de Cocrtenay, Mérodack et Corysandre,tous deux préoccupés, évitaient de se regarder.

– « Vous avez du chagrin? » et elle leva sur lui sonregard bleu.

– « Je songe que si le prince venait a mourir, vousseriez bien seule dans la vie. »

« Ne seriez-vous pas I&P»« Je ne sui~ qu'un frère et je vous cherche vaine-

ment un époux, »« Il ne faut pas chercher », murmura M~' d'Urfé,

d'une voix altérée, abaissant ses longues paupières, etla tête courbée résorbant ses larmes, elle piquait parcontenance la marge d'nn alb~un.

Page 301: Le Vice Supréme

298 LE VICE SUPREME

– « Ecoutez-moi Corysandre », reprit Mérodack d'unevoix grave. « Je peux tous les dévouements; mais je n'aipas toutes les tendresses. Oui, je vous fais mal, je lesens, mais il faut chasser les illusions avant qu'elles vousdéçoivent. Belle, pure, angélique, vous avez droit qu'onvous consacre sa vie, et la mienne ne m'appartient plus,je suis un chevalier de Malte. Ne pleurez pas, Cory-sandre. Un amant est un mirage qui trompa, un frère. »

La jeune Bile pleurait.« Ne pleurez pas, Ophélie, le frère sera si tendre

qu'il vous fera oublier l'amour. Je sais que vous com-prendriez l'exigeante indépendance du penseur, que vouspardonneriez à ses absorptions; mais vous en souffririez.Ne pleurez pas, Ophélie, je n'aurai qu'une sœur; nousserons d'éternels fiancés. »

Corysandre saisit un crayon, traça sur l'album quel-ques lignes et s'enfuit en sanglotant.

« Hors de ~ous, je ~'<K pas d'avenir, je n'en veut

pas », lut le jeune homme. Ah! prévoir l'impossible de

l'intëlligen e humaine 1 L'initiation a brisé en moi lafibre d'amour. J'ai voulu la toute puissance et j'ai tuéen moi l'attraction sexuelle. J'ai fermé mon cœur, labonté n'en peut sortir, mais la passion n'y peut entrer.

J'expierai mes ailes d'archange, car la douleur ne reprendpas le cœur d'autrui. Corysandrel je saignerai plus quetoi de tes blessures, et mes larmes qui ne couleront pas,seront plus salées que les tiennes; compatissant au déses-

poir d'autrui, toute joie ne trouve en moi qu'une harpesans corde, une Sûte sans trou a

Page 302: Le Vice Supréme

XXXVII

LA CONFESSION

Sarkis assistait à la toilette de la princesse.– « Quel soin et pourquoi ce parfum violent? »

– « j~ vais ad alfa. »– «Vous confesser? H

– « Le confesser. »– « Ouais, seriez-vous plus convertie qu'il ne semble? r

et ce second Père Francesco.« Je suis intéressée et veux voir ce qu'il reste de

l'orateur dans le religieux. »Elle mettait un corsage en grenadine noire garni d'un

aemis de fleurs brodées laissant des places où la chairétait attirante plus crue nue. Une fente qui montrait undoigt de peau, descendait du col fermé, s'évasant surl'entredeux des seins.

« M fait froid M, observa Sarkis.– « J'ai ma pelisse. »

« Elle ne vous préservera pas d'une humiliation. Oh Isouriez bien à la Léonard j'ai entendu la cinquièmeDominicale sur l'amour, et ce mépris de Circé n'est pasune grimace. M

– « Ignorez-vous, Sarkis, la fréquence de hautes pen-sées aboutissant à des actes bas, qu'on peut être éprisd'idéal en se vautrant dans les réalités, et que ce con-traste est de tous les jours, sous tous les yeux, d'uneperversité théorique avec une vie bénévole, ou du désirdes vertus avec pratique des vices. L'homme est deux

a

Page 303: Le Vice Supréme

300 LE VICE SUPREME

esprit et brute; d'où deux existences parallèles et simul-

tanées, et tel qui va au lupanar le samedi se trouve ledimanche à l'église et de bonne foi. ))

« Par Hercule, j'attends votre retour et le plaisirque me causera votre défaite! »

– « Je serai franche avec vous sur l'honneur. »– (( Je vous crois; et Mérodack et ses prophéties?

Hé! Altesse, le moine est une robe comme la femme;mais plus terrible, car parfois, il y a un mort dessous. ?

Tandis que son coupé la menait à Notre-Dame, la prin-cesse s'étonnait de se sentir surexcitée. Elle avait obtenucette heure de midi pour n'être pas mêlée au commundes pénitentes.

Un pâle soleil frappait les glorieuses couleurs des ro-

saces, et s'éclipsa tout à coup quand la princesse entradans la cathédrale, pleine de silence; et tel était sonétat nerveux, qu'elle remarqua ce retrait de la luiniè eà son approche.

Il lui semblait que l'écho, rediseur des paroles de vieet des voix de l'orgue répétait avec humeur et ennui

le claquement de ses bottines sur les dalles.Au lu de sa carte, le sacristain retira sa calotte, priant

son Altesse d'attendre le T. R. P. &la troisième! chapellede la nef gauche. Aucune idée de piété ne lui vint. Elle

s'assit en face de la chapelle indiquée, regarda en l'air,

puis à sa montre. La fatigue de l'attente qui dissout les

résolutions, la mettait déjà en un état d'appréhensionirraisonnée. Elle s'agenouilla s'accoudant au prie-Dieu,les yeux errant d'ogive en ogive, comme si elle les comp-tait. Soudain, jaillit au seuil de la sacristie l'apparitionlumineusement blanche du Dominicain. Elle l'écouta

venir, trouvant l'écho favorable a ses pas, elle le regardavenir avec le plaisir de voir une chose d'art qui marche.

Il s'avançait lentement, avec l'allure d'uii moine pro-

Page 304: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 301

menant son oraison autour d'un préau, les mains dansses manches, symbole de renoncement au monde, le fronthaut comme il convient à celui qui lie et qui délie:

Ni l'un, ni l'autre ne baissa la paupière. On eût ditd'un religieux chargé d'affaires diplomatiques auprèsde la princesse d'Este, non d'un confesseur et d'une péni-tente. Il entra dans la chapelle et s'agenouilla, la prin.cesse d'un léger coup de talon jeta la caresse parfuméede sa robe sur les pieds.

A peine à genoux, elle ouvrit sa pelisse, fit bayer lafente du corsage, repoussant ses manches pour avoirl'avant-bras nu.

Ces préparatifs de séduction faits avec hâte, et trou-vant le moine plus désirable encore, vu d'aussi près,elle se dit « l'avoir à mes genoux comme il est là. » LeP. Alta s'était relevé en se signant. ïl ouvrit le confes-sionnal, y entra sans un bruit et tira le volet de boisqui grinça; puis le silence de la chapelle s'ajouta ausilence de la cathédrale.

Celui qui eût été adossé au plus proche pilier eût puvoir, au bout d'un quart d'heure, les pieds de la péni-tente s'agiter, se crisper et par leurs soubresauts faireosciller !es plis de la pelisse. Dans cette immense im-mobilité, il n'y avait de vivant que le dos de cette femmeet sa robe débordant du confessionnal, frémissante etagitée.

Peu à peu la voix de la pénitente s'éleva en des into-nations de colère; la porte du confessionnal s'ouvrit len-tement, le moine alla s'agenouiller comme il avait fait enarrivant.

Les mains crispées sur l'accoudoir, le buste penché,très pale, la princesse regardait le dominicain se frapperh oit fois la poitrine en un <on/tteor. Il se releva et lea

Page 305: Le Vice Supréme

302 LB VICE SUPRÊME

mains dans les manches, remonta la nef, avec la majestéd'un apôtre de Fra Bartolomeo.

Quand sa forme blanche eut disparu à la porte de lasacristie, elle resta un moment immobile, puis d'un passec, elle sortit de Notre-Dame.

a Ah! » fit Sarkis en la voyant entrer et il retintle mot ironique qu'il avait aux lèvres devant la confusionde cette femme si iière; il se leva pour sortir.

« Restez, aussi bien ai-je assez d'orguen pour avouerma défaite H, fit-elle les dents serrées. « H se soucie demoi comme du drap (le son froc. Ecoutez à redire je merendrai mieux compte de mes impressions. »

Sarkis se rassit.« Vous savez le soin que j'avais pris' d'être trou-

blante. Quand il eut tiré le volet et prononcé les p~olealatines Je la bénédiction au lieu du co~teor, je restaimuette, le corsage entr'ouvert, laissant le silence du faceà face produire sur lui l'impression d'anxiété que je netardai pas moi-même à ressentir. J'attends nn mot quime permit dès le début de faire tourner la confession encauserie.

« On eu' dit qu'il devinait ma pensée, son immobilitém'épeurait, je me serais crue seule, et qu'il n'y avaitpersonne derrière le treillis. Je m'énervais, à ma nuqueune douleur physique de malaise, je subissais l'anxiétéde ce muet tête-à-tête, & ce point que pour secouerl'étrange magnétisme de ce silence, lâchement, commeune pensionnaire, je dis le confiteor, puis des balbutie-ments de sons qui n'étaient pas des mots. « Ma sœur,je vous écoute, » « Tu m'écoutes, pensai-je, je vaisvoir si le démon d'orgueil ne viendra pas à la rescoussede celui de luxure. » « Mon père, vous êtes le dernierdes pères de l'Eglise, égal aux plus grands; vous savez

Page 306: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 303

les secrets des cœurs et si vous prêchiez le mal, on seraitheureux de se damner pour vous plaire. »

« Je m'arrêtai; il y eut un long silence, puis sa voixsimple dit Après, ma sœur! ?

« Mon père, la parole de Dieu se divinise encoreen passant par votre bouche, vos lèvres parfument l'Evan-

gile et on commettrait un crime pour s'entendre condam-ner par vous. »

« Après un silence où je rougissais de mon pathosmystico-sacrilège, sa voix calme dit « Après, ma sœur!1»

« Je repris Vous êtes beau, vous semblez un archange,quand vous prêchez, je vois se dessiner un nimbe derrièrevotre tête adorable.

« Le silence reprit, et après un moment, sa voix graverépéta « Après, ma sœur? P»

« Son unpavMité m'envoûtait; j'étais en sueur, la gazeplaquait à mes épaules moites, cette odeur de femme eûtdû le troubler. Il doit être au moins ambitieux, pensai-je,montrons-lui la tiare: « La double prédestination dela sainteté et du génie vous désigne aux grandes dignités.Je puis vous ouvrir le sacré collège, et vous obtenir le

chapeau en peu d'années? Voulez-vous une nonciature? »« Ai-je besoin, Sarkis, de vous dire que tout cela n'est

pas en ma main, et que s'il se fût pris à ces appeaux, jel'eusse raillé d'une belle façon. Mais, comme si je luidisais que j'avais oublié ma prière du matin, il répétason étemel « Après, ma sœur. » Ce répons m'exaspé-rait.

« Après, » fis-je, « j'aime un moine, ma chair

aspire à sa chair. »– « Après, ma soeur », laissa-t-il tomber avec indif-

férence.– « Après. qu'on vient au confessionnal convier un

Page 307: Le Vice Supréme

304 LB VtCB aUPR&MB

moine à son lit. s'il y a quelque chose après cela, appre-nez-le moi donc! ?

Alors, il M leva sans hâte, sans colère, sans trouble.et sortit du confessionnal, récita un confiteor à genouxet s'en alla.

« Vous vous tairez, Sarkis B, îit-eUe agacée.« Que vous dire, si ce n'est que Mérodack est sor-

cier et que vous aimez? ?1

« Je ne vous souhaite pas beaucoup de haine commece sentiment que vo~s appelez amour. »

– « Que c'est femmel il a manqué tous ses devoirsenvers vous. en gantant ceux qu'il a envers Dieu! ?

– « S'il était dign~, m'eût-il écoutée? ?– « Accusez-lel. x– « Je ferai mieux. M– « Lui enverrez-vous votre sbire RoohenardP ?– « Cette aNair~-là, je la ferai mor-même! ? et toujours

pale, elle passa dans ses appartements.

Page 308: Le Vice Supréme

xxx~n

PAQUES

A Notre-Dame débutante de fidèles, fe P. A!ta com-mençait d'une ;voix éclatante

Adveniat regnum tuurn.– w L&m<mdo ~~e autour de la pensée; il faut quete monda tourne autour de la pensée catholiquel 1

Du&semt-ils être vains, H faudrait encore y épuiser noseBbrts; c'est la plus sublime entreprise qui soit auxmains de t'homme. w

« Ce jour de joie potu- l'Elise, je ne veux pas l'attris-ter, M~F. Maïa i'ensetgnement de ce tKurêmeaérait in-CMn-piet, si ~e Mssais le silence sur ie péché pubttc. Oh! teva~dMis réunit ici tes représentants de cea detx incon-testables aristocraties, le génie et la science, jedMa Hommes des rac~s !atinM, veillez, car le feu ducièi va passer et vo~ïs ~n&umer si vous êtes impcM. »

Juaqtt'ici, je ~'ai traiM que du péché personnel <d<mtie proeh~ né porte pas <)oIIeotivemem le poids et laP~!ne, je m'adresse aujoud'huj non aux comparses, maisaux grands acteurs do l'ceuvre humaine.

« Et d'abord, vous qui aoumez var t'of des nimbesrhaleine amère des négations- mauvais nabis, ne savez-vous pas que tous vous seraient soerds, si un peu de cetor sacré de la toi que vous croyez ternir, ne s'attachaità v<M%VM<et n'empre~gMM vos paroles. Vous attirez la~udre sur ceux qui vous <~ooutMt~t voas auvent, et

ao

Page 309: Le Vice Supréme

806 LE VME SUPRÊME

la pensée 'de votre cpuqu~ ''si. empoisonnée de vous. w

« Ecrivains qui peignez la cœur de l'homme et ses pas-sions, ne savez-vous pas que poétiser l'adultère, admettre

l'aveugle instinct, absoudjfe les luxures, c'est du proxéné-tat. »

« Artistes qui ne parlez qu'aux sens, vos œuvres sont

semblables à celles d( s courtisanes. M« Quant à vous, hommes politiques, qui avez en main

le sort du plus noble peuple de tout l'Occident, les mots

qui vous jugent me fmt peur. »

« Réformes et répu~iques sont des crises qui peuvent

durer, des a vertement: qui se trament quelquefois long-

temps mais ce ne sont que des crises et des avortements

une société n'élue pas la loi hiérarchique sans périr; et

en la rencontre présente, j'envisage avec stupeur votreinertie. Ohl la -divinité du catholicisme éclate en effet,de subsister avec des prêtres comme nous ;et des laïcs

comme vous. Cette vertu commune, cette vertu du sau-

vage, le courage, vous ne l'avez pas eu devant la profa-nation et le sacrilège. Vous allez me répondre que

l'Evangile défend l'épée aux moines, oui, aux laïcs, non

pas! ?« Une idée no doit que persuader et l'inquisition

d'Espagne et de Flandre est la honte de notre ordre; une

idée n'a pas le droit d'être armée quand on n'arme pointcontre elle. A l'idée, l'idée seule s'oppose et c'est au verbe

d~ triompher du verbe. Mais, laïcs, si l'épée touche à

votre foi, alors servez-vous de l'épée! »

« Si les athées blasphèment, priez; s'ils discutent, ré-

pondez s'ils profanent les autels, égorgez-les; l'épée doit

rouvrir le temple que l'épée a fermé. »

« Mon cœur se navre, M. F., à toujours crier « Jéru-

salem, malheur! Oh!si vous étiez de bonne volonté, jevous dirais lève-toi et marche, Lazare latin, avec cette

Page 310: Le Vice Supréme

LE VME SUPRÊME 3C7~I

devise <~ œMure. aux ~r~/ Ohl si vous vouliez!1Penseurs, à chaque blasphème, répondre par un acte defoi; à chaque livre mauvais opposer un livre supérieuret venger Dieu, l'Eglise et la Tradition? Ecrivains, ensei~gner que le Moyen Age a.vait raison, qu'il faut tuer hBête, et que l'homme ne vaut qu'en raison de sa victoiresur les instincts. Artistes ne mettre que de l'âme en vosœuvres! Et puis aux vertus! aux vertus! Femmes êtrechastes et humbles, hommes, continents, tous bons decœur, larges d'aumône, purs de pensée. Ohl si vousvouliez, tout serait sauvé; car à cette heure, tout mesemble perdu pour vous, hommes latins. ?

« L'Etat blasphème le pouvoir est aux athées, et vousle leur laissez. Vous feriez une révolution pour un Bour-bon, et vous ne songea pas à en faire ur e pour N. S. Dieu 1Pour l'heure des sacrHèges et de l'athéisme d'Etat, voicile devoir catholique

« Vous n'avez qu'un chef le Pape; vous êtes Romainsavant d'être Français. Tant que la France respecteraRome, servez-la, vous le devez. Mais si la France se lèvecontre 1 Eglise, Français catholiques, levez-vous contrela France et reprenez la double croix du ligueur. L'Etatportera bientôt sa main sur la pensée de vos enfants.Résistez à l'Etat, luttez avec l'Etat, culbutez l'Etat. Làoù il n'y a pas de crucifix, il vous est défendu de vousdécouvrir. Ministres et juges qui ne sont point F .js l'invo-cation de Jésus-Christ ne doivent être à vos yeux que lesgrimaciers ridicules du r~uvoir et non ses justes déten~teurs »

« Hors de l'Eglise, pas de salut. Ce mot que se passentles ironies, je vous le répète en historien. Le.catholicismepeut se passer des races latines, mais les races latines nepeuvent pas se passer du catholicisme. Le jour o& la

Page 311: Le Vice Supréme

~)8 LB VICE SUfRÊMN

France ne sera plus la RHe aînée de FË~ise. elle sera

mûre pour la curée teutonne. »

a Mais les brutes qui vous châtieront M prendront

pas votre place; jamais la Providence ne mettra le flam-

beau de la civilisation en des mains de protestants, et

l'avenir ne peut vous être retire que pour être donné

aux Slaves, quand ITglise grecque reviendra au giron

catholique. M

u A vou", penseurs et gouvernants des races latmes,

je dis ceci l'Eglise e:.t l'Arche Sainte, qui peut sauver

la France, et si vous ns m'écoutez point, les Slaves vien-

dront prendre votre place, car le monde tourne autour

de la pensée, et il faut que le monde toume autour de

la pensée catholique M

Í

Page 312: Le Vice Supréme

~poox

LEK~ACK

Mérodack traversant la place de la Bourse, aperçut

Mérign~ux qui, contre son habitude de ~yn~ie intel-

lectuel, semblait préoccupé.« Que fait là votre indolence? ?

– « Mon indolence est fort secouée )). et du geste il

indiquait l'ignoMe bâtisse d'où sortait une clameur.« Auriez-vous des intérêts dans ce lupanar? »

demanda Mérodack.« Marcoux est perdu w, 8t Mérigaeux, « les titres de

la Nouvelle-France, émis à cinq cent, éta";nt hier à quatremille. Les Sémites gonflaient ce papier, aujourd'hui ils

le laissent retomber; six mille titres jetés sur le marché

ont fait uéchir le cours jusqu'au-dessous du prix d'émis-

sion et Marcoux rachète ses propres valeurs. Entrons.

Ils montèrent aux tribunes.Plëbe en furie, septembriseurs en délire, chapata

acharnés sur une charogne, tauves fous de faim, sau"

vages ivres d'eau de feu, damnés blasphémant ne don-

neraient pas idée de la meute d'hommes <ruivociféraient

autour de la corbeille.– « Pouah! )) fit Mérodack. « Que disent-ils? »

– « Il faut être de leur bord pour comprendre. »– « Dites de leur boue. »D'un pavage boulant de têtes, émergeaient des bras

agitant désespérément des calepins. Les crânes chauves

s'empourpraient, apoplectiques; de cet écrasement éner-

Page 313: Le Vice Supréme

310 Lis VMB 8UPRÊMZ

gomene, un hurlement sans nom, fait de deux mille voixde brutes folles, roulait ses ondes sonores jusqu'au cielouvert d'où tombait un jour triste d'éclairer cela.

– « Quelle profanation du verbe! Mdisait Mérodack,« la parole, cette chose presque divine, prostituée à

l'argot de l'or et à ses vociférations. Le jour où la prièredes églises ne couvrira plus cette olameur. a il fit un

geste qui veut dire Gni. « Ces mains levées appellent la

foudre de justice et Dieu doit l'enfer dans l'autre monde à

ceux qui l'ont créé en cîlui-ci. »

A un garçon de ban que qui passait, Mérigneux de-

manda « La Nouvelle-France? »

« Il n'y a p~us preneur à 200. »« Courtenay est perdu », ut Mérodack, « vite che~

la Nme. ?Ils la trouvèrent habillée pour sortir; à la nouvelle< de

la ruine du prince, elle se répandit en étonnement navré.« Je crains un suicide », dit Mérigneux, « soyez tout

à l'heure à l'hôtel, Milady. »Le krack se répandit avec cette incroyable célérité de

transmission des malheurs collectifs. Presque un demi-milliard de perdu par la classe qui déroge en travaillant,et qui de la misère ne peut en appeler ni au commerce,ni à l'industrie. En quelques heures, les olefs d'or desblasons effacés, l'argent des pals disparu et avec la ruine

de la noblesse, celle des espérances dernières d'un parti.Le prince, dans son cabinet, causait avec Corysandre.– « Altesse, une grave affaire », dit en entrant Méri-

peux.Corysandre se leva.

« Eh bien » dit le prince quand la portiène fut

retombée. « il y a baisse M.– « ïl y a krack!

~e prince ferma les yeux un instant

s

Page 314: Le Vice Supréme

LE VMESUPRÊME 3Ï1

– « Et la fortune de Corysandre? »

Mérigneux ne répondit pas.« C'est bien; allez chercher ma reserve, et payez

tout la monde. »Et il le congédia.Mérigneux, impressionné par cette royale tenue devant

une ruine qui aboutissait au suicide– <( Quelle allure dans le malheur! Comme ils vous

portent cela, ces nobles 1» se disait-il, se~cachant sonémotion dans une formule d'admiration artiste.

Resté seul, Courtenay garda son impassibilité hautaine:telle était son habitude de se tenir toujours comme devantl'objectif de l'histoire, que cette annonce de sa mort netroubla pas sa contenance. Il l'avait dit lui-même ausouper dominical un roi ruiné est un roi condamné;mais sa grande douleur, c'était la ruine de Corysandre.

Il prit une plume sèche eb se mit à exécuter des taillesqui ne marquaient pas sur la marge d'un journal.

« Milady Astorl Mannonça Anselme.La Nine entra vivement.– « Vous êtes ruiné, Sire », fit-elle en lui prenant les

mains. « Je vous apporte ma fortune. »

Courtenay fronça les sourcils j"– (( Milady,- vous êtes ici à l'hôtel de Courtenay, où

habite Mlle d'Urfé. Quant à l'offre de votre fortune. » )La Nine crut rêver, ne comprenant pas cet homme qui ;ichez lui oubliait sa vie du dehors et ne regardait plus S

choses et gens que du haut de son blason.« Mais votre pupille est ruinée et vous n'avez pas

le droit. »– « D'onrir votre fortune à Mlle d'Urfé, qui ne peut,

pas plus que moi, recevoir de vous. M– « Je veux vous sauver. et vous m'insultez,

Robert. »;I)

Page 315: Le Vice Supréme

Mt VMBSLiPtt~t

– « Milady, H ne faut pas que Mlle d'Utfé vousrencontre ici. »

II ne vit pas luire la haine aux yeux de la Nine qui,cachant sa honte, reprit

– a Il doit vous rester quelque chose, ne f&t-~e quecent mille francs. Je femi jouer à la Bourse. Je ne vousdemande que trois jourt. »

Mérigneux entrait.« U reste à votre Alto:;se ces quatre-vingt mille livrée. jtLa Nine prit la liasse de bUlets

« Votre parole, que vous attendrez trois jonra. w« So~t! ? céda le prince dans l'espoir de restitua

une partie de son patnmoine à Corysandre.Celle-ci, frappée de la pâleur de Méri~neux, était reve.

nue à la porte du cabinet, avait gratté, et n'obtenant, pasde réponse, était entrée,

Le prince fit un geste à la Nine qui disparut, soumiseet furieuse.

Mlle d'Urfé s'&vança vers la table, et à la vue des pagesde chiffres que tenait Mérigneux, oomprit qu'il s'agissaitd'argent.

– « Ne vous inquiétez pas. parrain, ma fortune est àvous, prenez-la. »

Courtenay pâlit. Lâche pour la première fois, il n'osaavouer qu'il avait déjà risqué et perdu le dépôt qu'onlui avait commis.

– a Merci, Cory sandre, tout s'arrangera », fit-il aveceffort.

– a ~ar qui? par cette dame qui sorti Oh j'auraisvoulu l'embrasser. Son nom?. a s'écria-t-elle.

Courtenay ne répondit pas, se mordant la lèvre. Nonseulement il ruinait sa pupille, mais il la faisait rencon-trer chez lui par une fille. Ces deux transgressions de sa

Page 316: Le Vice Supréme

m v<<m<~p~~

d~M et du devoir de son ra.~ lui tonnèrent à l'esprit1 n&tlah de sa propre estime.Un silence plein de gêne fut rompu par Anselme« Son Altesse Royale est servie. MA peine attablés, ils virent arriver, les uns après les

autrea, tous les dominicaux. Au dessert, il ne manquaitque Mérodack. On avait mis un couvert à chaque arri.vant. L était la même tablée que boulevard de Cour-celles mais la présence de Mlle d'Urfé laissait mécon-naissable cette réuBion.

– « Ah! messieurs, bénis une infortune qui meprouve de tels amis. C'est bien d'être tous là et tout desuite. ?

H sentait l'extraordinaire valeur de l'empressement de ilces mdmérents et de !'aSection de ces égoïstes.– « Et Mérodack? ?

était avec moi à la Bourse, à quatre heures M,dit M&T~neux.

« (?! ne doutez pas de lui M,Qt Corysandre. il« Je parierais qu'à cette heure il transmue despavés en or 6n! w l'

Corysandre faisait les honneurs de la t&ble avec un.gmce tmude qui ravissait tous ces pervers.

« Oui », répétait le prince au dernier arrivant, leduc de Nîmes, « on doit jouer pour moi à la Bourse etréparer. Au fait, je n'y entends pas plus qu'un baron

;idu treizième au grimoire d<~son chapelain! »AiMehne entra.

ii– « Votre Altesse, un homme est là chargé d'unecaisse de la p~rt de Mérodack. p

« Qu'on l'apporte ici! »Deux valets, avec peine, l'ouvrirent, et le couvercle

soulevé, sur un lit de copeaux, des lingots d'or brillèrentTous se avèrent en un cri stupéfait

Page 317: Le Vice Supréme

~14 LB VYCBSUPRÊME

– «De l'or! ?

Aucun prodige ne !cs eût pareillement éblouis; l'or.

cette synthèse de la toute-puissance, l'or en caisse, était

un spectacle à se croire halluciné.

Ils prirent les lingots, les soupesèrent, se les passant.

les laissant tomber et souriant au bruit, comme à une

musique divine.On les emporta au s ilon, où ils furent rangés symétri-

quement autour de la lampe. Cette tablée d'or égayait

tout le monde, et Mérodack prit un prestige tel, qu'Us se

levèrent tous quand on l'annonça.« Nicolas Flamel, merci! ? dit le prince au jeune

homme qui souriait en voyant l'éblouissement des

regards.« Comment confiez-vous à un commissionnaire?.. w

demanda Gadagne. 1« Un commissionnaire ne se figurera jamais que

cette caisse qui lui luxe l'épaule est une caisse d'or.»

M Avez-vous dmé? ? demanda Corysandre.M-~e n'ai pas eu le temps, je ne savais plus où était

cet or, il m'a fallu chercher. C'est servi pour Tantale,

mais je ferais volontiers chère plus humaine. »

On apporta des perdreaux froids, et pour faire UM

place, on empila des lingots.« Je ne bois que de l'eau H, répondait Mérodack au

domestique qui lui murmurait « bourgogne ou bor-

deaux M.« J'aurais fait la Divine Comédie, vous me critique-

riez vous croyez que j'ai fait de l'or, et je vous apparaisdemi-dieu. Rentrez votre admiration cet or est bien

de l'or alchimi~u'L.mais je n'en suis pas l'auteur. Voici.

Il but un grand 'verre d'eau.« Il n'y a qu'une bonne police la passion. Deux

Thugs, aux deux bouts de Parr, finiront par se rencon-

Page 318: Le Vice Supréme

LB VMB SUPRÊME~g

f!er. ~t a'Mt~n~ r"

oiatrer, se ps.rIer, et S'entendre. C'est la loi des affinités5=~perpétuel effort de se grouper. Qui a jamais su que, ruedes Partants, à

MM~)~ un juifqui transmuait les mét.auxp Vous savez peut-être que falibrairie Guillemot, du quai desGrands-Augustins, a laspécialité de la Magie et que tous les illuminés de Pariss'approvisionnent là; et ne souriez pas, car c'est la toutepuissance, sous forme d'in-quarto ou d.in~douze, qui sedébita pour qui sait savoir, vouloir, oser et se tair'e.Je rencontrai là le vieux Manassé. nous kabbalâmesenomble tout de suite,41.Il me dévoila son grand et uniqueAthanor, comme vous ouvria~iezvotre bourse en la lais-sant devant moi. J'ai assisté à la projection, mais jene m'en chargerais pas, mon grand-œuvre n'étant pascelui de la matière. Manassé avait soixante-dix ans quandje le rencontrai, et me dit « J'ai cinq ans, » dans le sensde Saül, élu roi à trois ans. Il fabriquait pour cent mille

francs par an; il mourut à quatre-vingts ans, ayant faitdeux millions d'or. J'ai hérité d'importants manuscritsse, qui laissent au prince quarante mille livres de rente.-arrangée pour être expédiée. OÙP Je l'ignore. Je faisdire, tous les ans, un trentain de saint Grégoirn pour ce

de Léonard. Enfin, prince, voici tout l'or artificiel deParis et du siècle. ))

Onsedonnarendez-vouspour lesurlendemain, quitombait un vendredi.

Les dominicaux se trouvèrent devant une lettre coller,-?5~!&=~ei d'un séjour de dix semaines.

«que~ soucieux« que la Nine a fait de merveilleuses opérations de Bour-se, qui laissent au prince quarante mille livres de rente.

Page 319: Le Vice Supréme

3~ LE yic&aupHÈMN ""1

Hestreignez-en tout le train de Fbôte~ Méri~eux,et con-

venons de nous ~trouver tous ici'les demiera vendredi

du mois. »– « Je pense, » dit Taia~rand.Il s'arrêta.– « Mais je n'en suis pas sûr. ?

On se sépara plein de suspicions sur le&agisaementade la Nine; et chacun retourna à ses vices.

Page 320: Le Vice Supréme

XL

PSYCHOLOGIE

Oèux mois s'étaient écoulés depuis le krack de la Non-veile-Fi-sûce, formidable écho aux avertissements duP. Alta. Si Ht p~aie d'amour-p~prc s'était cicatrisée, ~aplaie d'argent saignait toujours depuis cette journée oùtant d'armoiries avaient été grattées sur les panneaux descalèches vendues. Les écuries s'étaient vidées, des maria-ges dè convenance avortaient, d'autres d'argent se con-cluaient subitement.

Et tandis que les uns cachaient leur gêne en leurs châ-teaux, d'autres vendaient jusqu'à leurs Largillières.

– w Voilà, ? damaient les journaux de l'opposition,« ces gens qui demandent que la fortune de la Franceleur soit conBeé, ~t qci ne bavent pas gérer la ieur. »

L'honneur du nom, cette vertu de la noblesse, posthu-me à t6Mte~les antres, s'enritait auMi. Les de Narsannes,de Bont!~ny. deux ducs, un pïtMM)parent du roi, avaient~6 iËt~Uq~tés<X~Mle M~tiMànt prooet en eacroqueriede la Nouvelle-France. A force d'innuencos et de rela-tion, ih s'en ~rer~nt p<tr une ordOMMaMede non-lieu.Qu~ & MATëoux,<~nq ans de réclusion. Plus teniMeencore le verdict de l'opinion, qui accrochait l'épitbëted'dMMo aux grands Bôm~ des administrateurs, ~t avecune telle unanimité que le duel, ni le pKM~sen dMtamation, n'étaient possibles. En descendant sur le terrain dela bot~eôïsie par une si h~urde chute, l'aristocratie, d6-consM6r6e, p~rut odg~us~<Maànt<q~ maladroite. A c~tté

Page 321: Le Vice Supréme

318 LB VtCB HUPRÉME

du million perdu qui fermait un hôtet, les vingt millefrancs engloutis qui ôtaient le pain à une vieillesse lesnobles perdaient plus que leur fortune leur dernier

prestige.Au mardi de la priacesse d'Esté, M. de Narsannes ra-

contait pour la centièjne fois l'arrivée du commissaire« Si vous aviez vu Marcoux! Il ne dit rien que

« Pécaîre! Henri! MH ne plaignait que le Roy. Sur leseuil de la salle du conseil, il se retourna, regardant le

plafond do Chavanne- La nuit venait, effaçant la fres-

que, comme la présence du commissaire effaçait sonrêve~ N

– « Je vous trouve changée, rêveuse, » faisait Mme de

Trinquetailles.« Je m'ennuie de plus en plus, » expliqua la prin-

cesse.« Courtenay est toujours à Venise, jé crois, ? dit

Nonancourt.« Corysandre, vous êtes donc seule? ? demanda la

princesse.« Il y a Mérigneux, et Mérodack vient tous les

jours. »« II est au mieux avec le P. Alta, ce semble. »« Oh 1ils sont comme deux frères, » dit Corysandre.

a Le P. Alta est revenu de Russie depuis une semaine;vous savez qu'il veut réconcilier l'Eglise grecque. H

« Que conspirez-vous. Messieurs? ? demanda la

princesse à Chamontel et Narsannes qui causaient à mi-.voix.

a Nous disions que ruiné par le krack, le prince aun triste avenir. »

Le ton était perMe.« M. de Narsannes, » dit la princesse avec son grand

air, a tous ceux qui portent de France sont cousins, et

Page 322: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME *~Q

la princesse d'Esté est à la disposition du prmcp de Cour-tenay, comme il convient aux Altesses de s'aider entreelles. )J\

Elle sentit que son cousin, l'irréprochable gentilhomme,aurait sur son blason une tache prochaine; mais dès quele dernier des visiteurs l'eut laissée, sa pensée alla aumoine.

RéconcilierI_Eglise grecque à la race latine! unir larace slave par le lien le plus fort, celui de la foi, queldessein plu, capable de changer la face du m~nde!1Sa pensée, maintenant, était toujours ad alta, à ce point

qu'elle n'employait plus cette expression, la fuyant com-me l'aveu d'une préoccupation qui était sa défaite. Elleavait offert la tiare, elle s'était offerte, ce qui lui sem-blait plus encore, par bravade, pour ébranler et animercette mdluérence insulteuse, et voilà que sa propre indiffé-rence s'animait et s'ébranlait. L'effroyable silence duconfessionnal. cette heure d'humiliation courbée sous lefroid dédain de ce moine, cette éloquence qui forçait sonadmiration; ce mystère de grands desseins à l'Hildebrandet à la Sixte; en6n cette beauté, transpiration des subli-mités de l'esprit, tout cela contraignait son esprit à unhommage lige et son cœur immobile à un battement; mê-me de sa continence impudique naissait un désir du corpsde ce moine, que les grands plis de son froc rendaientmystérieux et attirant. En vain fixait-elle son espritailleurs, le strabisme de la passion naissante la ramenaitau dominicain. Elle s'était sentie soulevée, quand cetteparole sonna comme-un olifant de la catholicité à sonRoncevaux « le monde tourne autour de la pensée, ilfaut que le monde tourne autour de la pensée catholique. »A cette fanfare de guerre sainte, elle, pour qui aucunmobile humain ne semblait valoir un pas, avait sentibrûlant sur sa poitrine aiguë, te croix rouge de la croi-

Page 323: Le Vice Supréme

~?0 mv~~MÊBtK

sade: Fidée de s'associer « au Dieu le veut deceKerre

l'Ermite qui prêchait contre les inertes, l'illumina d'un

éclair, puis elle retomba à son meer du cœur, mais de~

lors il y eut de la tnsteste dans son ironie.

Les affections sont libres, mais tes sympathies sont

fatales, eHes agissent anonàlement sur nous, et ne sont

démenties que par un ~rand vouloir. Chaque fois quedeux volontés sont en ~r~senoe et en lutte, la vaincue yoitrevenir contre elle t~t le fluïde nerveux qu'elle a

émis. La volonté perverse de la princesse repoassëe parla volonté idu saint m~ine était Tevenue perver~r M lu-

mière astrale. Les faitômes mauvais qu'elle avait en-

voyés au moine, le Moine inconsciemment les lui ren-

voyait accrus; au lieu d'obséder te moine, elle était obsé-

dée par le moine !o mal qu'elle avait tenté revenait sur

elle et l'envoûtait!

(

Page 324: Le Vice Supréme

21

ALI

IDYLLE A VENISE

Ce que pensait Talagrand, était un pressentimentjuste et avertisseur; et la Nine avait ses raisons pourenlever le prince à son entourage et le gorger de plaisirsdans un palais du Grand Canal. Lui inventant un coupde Bourse fabuleux, le lendemain même du krack, ellelui avait remis sept cent mille francs en titres de Suezà son nom. Sans s'expliquer comment il vivrait sans dé-roger, avec ïe septième de son revenu habituel, il s'étaitlaissé convaincre, venu à l'heure où la volonté abdiquesous l'énervement des reins. Il était toujours temps dese tuer, et se donnait pour prétexte de reconstituer enpartie la fortune de sa pupille.

Au palais Malapieri, en vue du Rialto, les amantsavaient trouvé une demeure de roi, à fresques de maitrepour le prix d'un troisième, boulevard Haussmann.Le descendant des Josselin, empereurs de Constanti-

nople, fut reçu avec honneur par tout le livre d'or véni-tien. Chaque après-midi il allait au café Florian, pren-dre sa demi-tasse, avec les petits-fils des-Doges.La femme est toute-puissante dans la solitude, et la

Nine entra plus avant encore dans les sens du prince.Une soirée, qu'une gondole les emmenait al mezo al ~r<elle eut un de ces sourires où s'entrevoit l'éclair d'unegriffe.

« Pourquoi souriez-vous ainsi? »

Page 325: Le Vice Supréme

322 LE VICE SUPREME

1

« Je songe à ces pauvres dominicaux. Que font-ilsde leur dimanche soir? »

Elle pensait ceci '( Entretenue a un masculin Tuas refusé l'or de la fille, tu en mangeras assez du moins.pour que ton fameux honneur trépasse. Buse de prince,et prince des buses, si tu savais pourquoi je t'ai conduitici? Je veux un petit Courtenay; tu crois que je t'aime

parce que maintenant je te laisse me posséder en bon

bourgeois; quandj Saurai ton blason tae~simiié dansle bedon, je te ramène! ai à Paris te ia~ sauter. a

– «A quai pensex-~ous donc?– «A toi, » et élit se glissa dans ses bru avec un

relèvement de robe impudique et passMaa~, 1~ gondolevacilla; elle sourit en dedans, à un souvenir. C'était dansune gondole qu'elle avait reçu un million de pevcntL et

qu'elle recevait maintenant un fils de roi, eU~, la ûlte de

portière, le succube de Killiet, l'idole lesbienne de l&'ruede Lorraine, le joujou du marquis de Donnereux.

Au targhetto, une bague de son doigt glissa dans lecanal. « Ah Mfit-elle, « te suis doga~resse, j'ai épouséla mer. »Le comte Chiaravatle, un cauteleux Italien, s'éprit

follement de la Nine, et grâce à~son anure bouffe et ser-

vile, il se glissa dans l'intimité du palais Malapieri. Cour-

tenay le considérait eomme un être sans conséquence;la Nine en fit son SMrnre-dou!enr et son factotum, lui im-

posant son humeur et ses paquets. ChiaravaMe avaitla patience d'un VTCK'nxqui attend son heure.

Trois fois déjà, les doBamicaux s'étaient rencontrés au

vendredi mensaet, Tata~and dit ators nettement– « Ceci, 1&Nime, toefa eeto, le princel B

Page 326: Le Vice Supréme

XLII

LEViOL

Le marquis de Donnereux était lettre, mais de ceslettrés qui n'ont à la Bibliothèque Nationale qu'une ar-HMMrepour les sept cents volumes qu'on ne communiquejamais, et comme le prince possédait nombre de livresobscènes venamt de cet aïeul toujours fomrré parmi lespages de Mazarin, il venait parfois emprunter quetquegratvelure rare,, en l'absence du prince, il vint souvent,et chaque ioi~ Clémence, femme- de chambre, prise. surla recommandation de l'étourdie marquise de Trinque-tailles, se trouvait sur le passage du vieux libidineuxdont elle devinait l'infâme désir.

– « Combien me donnez-vous de cela? Mfit-elle tmjour en lai montrant une miniature d& Corysandre enImogène.

« Trois mille francs. »« Et de l'original? M« Cinquante mille. »

Tout de suite elle expliqua son plan. Le pavillon deMlle d'Urfé avait une entrée sur le jardin, et le jardinune porte sur la rue Amélie; elle introduirait. le marquisun~ nuit qu'elle aurait donné un somnifère à sa maî-tresse.

Le marché fut, conclu d'un regajrd, et Donnereux cou-rut chez Pouancé « un narcotique pour une nuit, M –et il aligna quatre biU~ts- de cinq cents.

Page 327: Le Vice Supréme

324 LF!VICE SUPRÊME

– « On ne paye si cher que les crimes, » dit le doc-teur.

« Vous refusez? M« Non, car vous le trouveriez ailleurs. Si ce mal doit

avoir lieu, autant que j'm aie le profit », et le docteurdu vice, le docteur aux philtres, qui avait chez lui toutela pharmacopée thessalienhe, composa une drogue, écri-vit dessus « pour l'usage externe, » et tendit le flacon au

marquis.« Dars un verre d'<au sucrée sommeil de six heu-

res. ?

Quatre jours après, Cciysandre se plaignit de migraine;Clémence alla chercher ua médecin et il dit que ce n'était

rien; Corysandre fut étonnée à son coucher, de voir labonne lui présenter un ~verre d'eau. « En partant », fit-

elle, « le médecin m'a recommandé de vous faii'e 'prendreun peu d'eau aromatisée. » Comme les enfants qu'unepotion ennuie, la jeune fille avala ce verre d'un trait.L'effet fut instantané.

– « Clémence, que m'avez-vous donné là?. C'est du

poison. Cela endort », et elle s'affaissa entre les bras deLi femme de chambre qui la porta sur le lit. Puis, la do-

mestique se hâta de réunir les bijoux et les dentelles

qu'elle put prendre, et son paquet à la main, alla ouvrirla petite porte de la rue Amélie.

En fausse barbe, le marquis longeait le mur. « Venez »,dit-elle, « mais donnez d'abord », et il lui tendit uneliasse qu'elle compta des doigts, et prenant son complicepar la main, le conduisit jusqu'à la porte du pavillon« Montez, tout est ouvert ». Elle s'enfuit hâtivement.D'abord Donnereux eut peur, il hésita; mais alléché parl'attentat, il s'enhardit et allumant une lanterne sourde,monta au premier, traversa l'antichambre et le boudoir.Une veilleuse éclairait lugubrement la chambre. Il s'arrê-

Page 328: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 325.r v.auavau VIJi¡j'e.I

ta, rénéchit si toutes les précautions étaient prises, etarrachant sa fausse barbe qui le gênait, il posa sa lan-terne sur une tablette. Un rire muet dilata sa face. à lavue de tout ce qu'il y avait à souiller dans ce lys. Lalimace contemplait la rose avant d'y baver. M se mit &trembler de joie et, avec des gestes fous, lacéra le cor-sage et. la robe, dispersant ces lambeaux d'étoBe quisemblaient résister et défendre le corps de cette vierge– bientôt martyre.

Page 329: Le Vice Supréme

XLin

L'ENVOUTEMENT

Depuis le départ du prince, Mérodack passait tous lesmatins à l'hôtel.

Il était huit heures.

« Clémencen'est pa~ encore venue prendre le déjeu-ner de mademoiselle », dit Anselme.

Mérodack se dirigea vers les appartements de Cory-sandre. Il appela Clémence vainement, et ~'avançantjusqu'au boudoir, il entendit des sanglots t

En sortant de sa léthargie, Corysandre avait mis long-temps à secouer l'hébétude, et avec la lucidité, une ter.reur de cauchemar s'empara de sa pensée. Elle fit uneffort pour atteindre le cordon de sonnette, et cet effortlui révéla une fatigue physique incroyable. Elle eutbesoin, d'air et voulut se lever pour aller à la fenêtreet l'ouvrir; et ce mouvement lui découvrit qu'elle étaitnue et encore coiffée.

rSur le tapis, des lambeaux de sa chemise gisaient. Cette

vue et le mystérieux brisement de son corps lui effarèrent

l'esprit. En rejetant les couvertures, elle vit du sang aux

draps, et affolée par l'angoisse d'un malheur sans nom et

mystérieux, elle sanglota dans un indescriptible désarroides idées.

Mérodack, à peine entré, vit l'éparpillement des vête-ments lacérés.

– « Mérodack! 1»cria la jeune fille.

Page 330: Le Vice Supréme

3LZ'VK:B~<NHBf~)tE ?7

Et elle se précipita contre ~a poitrine, l'entourait deees br~, ouj~liemse de sa nudité.

Il allait poser une question, quand la lanterne aoMdeoubliée sur le guéridon, dans la 'précipitation épenréedu crime accompli) lui révéla le drame. Sa pensée s'em-plit d'horreur; il devint livide, m~is le mage prit la placede l'homme. Il souina sur la tempe de CorysandM etavec une telle tension de volonté qu'eUe s'endormit sn&i-tement.

Il fit l'ordre dans la chambre, ramassa les moMQMxd'étone, les enveloppa avec la lanterne <dans un tapisde table. Puis il étendit la main sur le front de la ~eune811eendormie qui sursautait nerveusement, et d'un -ordremental lui imposa des rêves sereins.

A l'instant de sortir, il revint vers le lit et posa, sansremuer les lèvres, une question qui fit frémir la magné-tisée. Voyant ce trouble, il effaça d'une passe la ques-tion.

« MademoiseHe dTJrîé a passé une mauvaise nuit w,dit-il à Ansehne, « ne la réveillez sous aucun prétexte a.

A grandes enjambées, son paquet sous le bras, il allaau 47 de la rue Saint-Jacques.

– <( AdëleP »tdemanda-t-il à la portière.« Elle est chez l'épicière, elle va revenir, »« Tenez!M fit le jeune homme.

Et il donna deux louis à la mégère.« Ah! vous êtes notre providence Sans vous, Adèle

Mêlerait comme sa sœur, et avec ses maladies, t~Hene<KmI<MrMtpas longtemps.

Uae grande Slle à la poitrine lourde, l'air <saBaiHe,sortit de la loge.

– « Vous avez un Gohu goût de me préiérar ma sœur,cette scMfuleMe qui dégoûte ies hommes.

MéMdack to<mia le dos.

Page 331: Le Vice Supréme

328 LE VICE SUPRÊME

Adèle, maigre. aux cheveux rares, criblée de petitevérole, les yeux chassieux et le cou couturé de scrofule,entra dans l'allée.

« Ah vous avez besoin de moi, Monsieur Méro-dack? H

– « Oui, tout de suite, va chercher un fiacre. »Dix minutes après, le jeune homme se trouvait devant

son hôtel de la rue Notre Dame-des-Champs. D'elle-même,Adèle s'assit dans le fauteuil qui occupait le milieu d'unedes pièces du rez-de-chaussée.

Mérodack s'assit en fa<~ed'elle, lui enserrant les genouxdans les siens, et en quelques passes verticales, toutesallant du front à l'épigestre, il l'endormit.

–« Va hier, à onze heures du soir, à l'hôtel de Cour-tenay, rue Saint-Dominique H, dit Mérodack'.

– « J'y suis. »« Mcnte dans le pavillon et vois. »« Il y a une femme de chambre qui fait un paquet.

Ah! mais ces: bijoux et ces dentelles ne sont pas à elle.Elle les a volés. »

« Va dans la chambre à coucher. »« Ohqu'elle est jolie1. Mais elle est triste, elle

tient un livre qu'elle ne lit pas. »« La femme de chambre entre. Elle tient un verre.

Ohl cela endort, ce qu'il y a dans ce verrel » fit la som"nambule avec un rejet de la tête. « Elle tend le verre à lademoiselle blonde. Ça lui fait de l'ennui, mais elle boittout. Ah elle chancelle. la femme de chambre la

porte sur le lit. Elle a l'air d'un ange.. La femme dechambre sort. »

« Suis-la », ordonna Mérodack.« Elle pre~d son paquet de dentelles et de bijoux.

Elle descend au jardin. Elle va à la petite porte.. Elle

Page 332: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME329

ouvre et regarde. Quelqu'un attend. Oh! sa barbe estfausse. Elle l'appelle M. le marquis. »

« Donnereux! » s'écria Mérodack, « je l'eusse juré. »La somnambule continua

« Il lui donne des papiers. Elle les compta.. Ellele mène jusqu'à la porte du pavillon et se sauve. »

– « Suis l'homme », ordonna Mérodack.– « Il hésite. il allume une lanterne. »Mérodack lui mit dans la main la lanterne qu'il avait

trouvée sur le guéridon.« C'est celle-là. » s'écria la somnambule. Il entre.

le voilà. Il ôte sa barbe. il rit, il est affreux. »Tout à coup, Adèle fut agitée de soubresauts, et de ses

mains voilant ses yeux fermés« C'est affreux », cria-t-elle. :<Oh la canaille, le

monstre! »

Mérodack lui mit sur les genoux les morceaux éparsdes vêtements de Corysandre.

Sitôt la lucidité devint navrante elle décrivit la scènesans nom de la veille par le détail, l'entrecoupant decris « Réveillez-moi! Oh! de grâce que je ne voie paspa! »

« Je veux que tu voies et que tu dises H, comman-dait le mage, qui suait la sueur froide d'une agonie.

La somnambule, avec un recul de la pensée à chaquemot, récitait les péripéties effroyables du viol avec lefrémissement de la réalité; le mage, pendant trois heures,but cet affreux calice.

A peine réveillée, Adèle se jeta sur un lit de repos ets'endormit tout de suite.

« Vains efforts vers la sagesse! le thème a dit vraije serai assassin », se disait Mérodack en retournant àl'hôtel de Courtenay.

Page 333: Le Vice Supréme

330 LZ VICE SUPRÊME

«Comme vous êtes pâle 1 » dit Mérigïteax on l'aper-cevant.

– « J'ai bouquiné toute la nuit. Ma4s où étiez-vous'

hier soir? Clémence, cette drôlesse, s'est fait enlever.

Corysandre a entendu des bruits de v<aix et de pas dansle jardin, une peur iolle s'est emparée d'elle. M

Il se rendit à la chsanbre de,la jeune fille, l'enveloppadans une couverture e< la porta toujours endormie dans

le lit du prince; puis, "etoumant au pavillon, id arracha

les draps souillés, les jeta dans une armoire dont il pritla clef, brisa le verre de narcotique et fit disparaître tou-

tes les traces du crime avec plus de soin que s'il eAt été

le criminel. Ensuite il réveilla Mlle d'Urfé qui s'étonna,en ouvrant les yeux, de se trouver dans la chambre de

son tuteur. Sentant sa nudité, elle pensa que Mérodackl'avait transportée lui-même, et un flot de sang lui monta

au front. Elle tourna la tête vers le jeune homme, €h. le

vit si affreusement pâle ra'elle se ressouvint de l'atroce

mystère de sou réveil. Une idée surgit comme un spectredevant elle, elle poussa un grand cri et battant l'air de

ses bras se tordit en une crise. Le mage prit la tête dela jeune fille dans ses mams et~l'endormit de nouveau.

– « Pouvez-vous dormir jusqu'à demain? », demanda-

t-i~ mentalement.

« Otu », fit la magnétisée, « si vous voulez d'une

îacon extraoTdinaue. M

–- « Cory sandre ne se réveillera que demain, à mon

arrivée, Mérigneux. EHe avait des hallucinations, je l'ai

endormie. Sur votre tête que personne, surtout un méde-

cin, n'entre dans la chambre; du reste, je prends la

clef. »

« Mais s'il y avait feu », dit Mérig'neux.« Ayez une hache pour briser ta porte, en ce cas

seulement. ))

Page 334: Le Vice Supréme

LEVKHESM'RiME 331

« Mais.– « Je suis infaiUiMe, quand j'afSrme! ?Une itecre après, s'étant puriHé par des ablutions, Mé-

rodack, revêtu d~une robe de lin, une baguette de feraimanté à la main, faisait des signes cabalistiques, de-bout, au milieu d'une pièce tendue de laine blanche etéclairée d'un chandelier à sept branches; M disait

« Devant vous. Mon Seigneur Jésus-Christ, je vienssonder mon âme. Dieu de justice, vous m'avez permisla <xmnaissaiice des lois, et j'ai le droit de hâter le châ-timent d'un mauvais. Je sais la loi qui tue, j'ai dans lamain votre épée de feu; avant de frapper, je viens vousdire voulez-vous que je sois votre bras? Vous ne faitesnattre en mon cœur aucun doute; vous permettez doncau mage de frapper avec la loi, selon la justice? »

Il s'arrêta, écoutant sa pensée et cessant la prière pour~incantation.

« Devant celui qui est trois et qui est un, qui s'estincarné en Jésu. christ qui a dix splendeurs, auxquelleson arrive par cinquante portes de lumière; devant lesneuf chœurs des anges et les sept sceaux du livre. Devantmes pères, les Saints et les Génies; devant les mages,mes frères, je condamne à mort le monstre qui a violé un

C lys. »« En Soph, madame la Vierge, avertissez-moi si je

vais .mal faire. »

Après un silence, il reprit d'une voix forte– En mon intelligence et ma continence, par la grâce

de Dieu et l'effort de ma volonté, affranchi des lois

sexuelles, j'écris mon Verbe dans ma lumière astrale. Ce

jour de Saturne, le dix-septième de la quatrième annéede ma naissance. »

Peu après, il jetait au valet de l'Hôtel Donnereux,

Page 335: Le Vice Supréme

332 LE VICE SUPRÊME

un « le marquis m'attend » et pénétrait brusquementdans le cabinet du scélérat qui sursauta à sa vue.

« Vous êtes condamné à mort et vous mourrez cejour. Confessez-vous. ')

Il dit cela d'un ton (aime et s'en alla à reculons, tenantDonnereux sous son regard. Près de la porte, il vit surune chaise un serre-t~te de soie et le prit. Ce voyant,Donnereux ne douta pas qu'il fût devenu fou.

– « Mon cher ami », disait le mage à Antar sanspréambule, « faites-moi tout de suite une cire la tête dumarquis de Donnereux. »

– « Mais demain. pourquoi? »– « ïl me la faut, tout de suite. »

Antar, subjugué 'par cette volonté, prit une boule decire, et en moins d'une heure modela la tête, sans qu'ùséchangeassent un mot.

– « Merci », dit Mérodack en la mettant (dans un tor-chon. Il était huit heures du soir.

A neuf he~ires, dans la cave crépie en noir, une scèneétrange avait lieu.

Sur une table, de forme triangulaire, au tapis noir, latête de cire grimaçait entre deux cierges sur une chaise,Adèle dormait du sommeil magnétique, et Mérodack, enrobe noire, se tenait immobile.

Il dit des paroles hébraïques, puis envoya mentalementAdèle à l'hôtel Donnereux.

– « Oh 1»fit Adèle, « c'est ce vieux qui a violé lademoiselle blonde. Il s'apprête à sortir. »

Mérodack s'avança vers la table et posa la main gauchesur le volt.

« Il porte la main à son front. et s'assied. il sesent mal. et sonne. il ne veut plus sortir.. la tête luitourne. »

Mérodack retira sa main.

Page 336: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 33g

« Il se sent mieux. »Mérodack adapta étroitement le serre-tête de soie à l'ef-

figie.« Oh! il crie que son crâne brûle, qu'on aille cher-

cher le médecin. il vomit. Oh on le porte au lit ilgeint. Ah! voici le docteur. »

Un espace de plusieurs minutes séparait souventchaque mot d'Adèle.

Mérodack déprima le volt.« Il crie « ôtes ces mains. » « ces mains me ren-

dent fou. » « et ce serre.tête, c'est un étau. » Méro.dack aplatit la tête.

– « Oh! c'est affreux. il rug~ comme un 'damné! »Du front du mage, de lourdes gouttes de sueur tom-

baient sur la cire fondante et liquéfiée par place sousla chaleur des mains.

« Il griffe les draps. il rentre ses pouces. »Il y avait une heure que Mérodack envoûtait; un trem-

blement l'agitait de la nuque au talon, il pesa sur la têtel'aplatissant.

« Il râle H, dit la somnambule.Alors le mage écrasa et tordit la cire.Adèle poussa un cri Corysandre était vengée.Mérodack, chancelant, sortit, suivi de la somnambule à

qui il en avait tdonné l'ordre mental.La fumée des cierges suffoquait la cave; sinistres, des

taches gras;,es constellaient le tapis noir, où le nez defaune avec sa loupe s'étalait, ayant encore sa forme;tandis que roulé par terre, le volt n'était plus qu'unechose sale et sans nom, d'où pendait, luisant et à moitiépris dans la cire, le serre-tête!i

Page 337: Le Vice Supréme

Depuis qu'elle sait que le Père Aha d~ t& messe de

sept heures à Sai&t-(tervai&-Saint-PFotais, la princessed'Este y assiste, hemeuse de le contempler de si. près.Elle l'aime et se l'est avoué. Ce même ~pgueil qui yua<pM~là l'avait reteaue, la iascine et. la p<msse par cette pen-sée « Rivale de Dieu. » En mesurant la grandeur du

sacrilège, sa perversité s'exalte. Supplanter Dieu dans tm

cœur tout à lui, est une conception qui t'eidjeve ce des-

sein, digne de- la fille d'Heren~ la réconcilie avec elle-

même, elle ne cachera plm&désormaM som cœur à son

esprit, ses sentiments à. son orgueil. Sa gtace d~ toilettela voit souvent sans voiles, souriante à sa nudité, elle

fera dire la messe noire àt ce religieux, et le mènera au

sabbat sur elle. Son état est ~m. a~acemest ~oyeux desnerfs. Le froc qu'elle a fait vnler au Père AHa, elte le met

immédiatement sur sa, peau Sac qm s'irBite e~ rosit déli-

cieusement. Ainsi v&tote,elle se livre aux poses et. aux

mimiques lias plus éhontées; en attendant de dépraverl'homme, elle déprave Fhabit, goûtani des plaisirs étran-

ges è souilley la livrée de. chasteté. San~is n'a pu-suivrel'évoliution de cet amour; elle-même se t'est caché jus-

qu'au jour omcette pensée 6Lsauvé son oNgueN « ealiever

une âme à Dieu. » Lors, suEpsa chadr calme et d&os son

cœur froid, une aurore sentimentale apparut et sa chair

rosit au souffle du désir et au soleil d'amour la glace de

son cœur fondit et fleurit la fleur des neiges, à feuilles

XLIV

L'IVRESSE DU SACMLËGE

Page 338: Le Vice Supréme

M VÏCESUPRÊME 33&

noires parallèles aux sentiments, les icMes changent etatïctnent avec eux, A peine amoureuse, rameur sexuel dela femme p<yur l'homme, dédain de sa vie, lui apparutnaturel, fascinant et glorieux. Mais soa égoisme ne setransforma pas en dévouement. Convaincue qu'en elle,AtMna s'humanisait; comme la plupart des femmes ditessupérieures, elle se croyait l'infini, entretenue qu'elleavait été dans cette insanité, par l'abrutissement serviledes hommes.

Le véritabte amcur se manifeste uniquement par l'abné-gation absolue de soi et l'anéantissemeat dans l'objetaimé. Qui garde son orgueil et sa pensée, a de l'exaltationnon de l'amour; et la princesse n'eut jamais dit « lieBMsmains, les voici; voilà mon corps, ton tapis marcheet piétine 1 »

Sa superbe irréductible, fascinée par le prestige dusacrilège, agitait encore parfois sa cape d'écarlate devantson amour qui se ruait, sans chasser l'appréhension d'être

.vaincue daM cette rivalité avec Dieu. Oh! comme elleallait se venger, elle le ferait blasphémer, comme elle afait parjurer le due de Quercy. Qu'elle le. tint par unendroit du corps ou de l'esprit, de cette sainteté, de cegénie, elle allumerait t'autodafé heureux Elle l'aviliraiten le forçant aux reniements qui damnent, eHe l'abru-tirait aux voluptés qui détraquer; elle le muerait enfinde moine en bête et pour toujours!'

Cependant bourdonnai à ses oreilles, semblable au

for ever du Corbeau « Après, ma soeMrH; et ce réponsqui évoquait son impuissance, effaçait son sourire deLise. Jamais fruit plus défendu ne pen'dit plus hors de

portée à l'arbre du mal; de là son désir. La Bête qu'elletirerait de ce froc serait certainement monstrueuse; et

quel attrait d'inceste spirituel, de la femme laïc avec unclercl Comme en ces mers où les lames deviennent flam-

Page 339: Le Vice Supréme

336 LE VICE SUPRÊME

mes, le naphte de l'amour l'embrasait toute, sauf lasalamandre d'orgueil qui survit toujours, même sous lescendres de la pénitence.

Depuis son inénarrable nuit de noces, l'hypothèsed'une nuitée sexuelle l'eut révoltée; elle avait renoncé àla réalité 'de la chair et son désir flottant, ne s'était jamaisattaché à peindre des couleurs favorites le portraitd'idéal miniature changeante, à laquelle les femmes

comparent les hommes pour les juger. Médusée, à traversson amour, elle voyait :;a revanche. N'avait-elle pas sentile granit de son orgueil s'effriter sous la pénétration de

Mérodack, s'émietter aux coups du Père Alta. Deux foisdevinée par un jeune homme sans nom et un religieuxsans gloirel Quelle honte et qu'il fallait bien qu'elle com-mît un crime si pervers qu'il échappât à ces deux psycho-logues, jusqu'à plein effet! Mais comment arracher de ce

froc, ce cri du corps, d'ordinaire si exact répondeur à

l'appel impudique~ Sa perversité fut le tremplin qui d'un

ressaut la lança tout entière à l'extrême de la passion.Sans effroi devant les affres de l'amour, elle se félicitaitde sa vita nuo~a douloureux ou délectable, un intérêt

'vif animerait son existence, thème aux variations de

l'humeur, mobile aùx activités de la pensée; quelquechose où se prendre enfin 1

Artémis abdiquait dans le ferme espoir de triompherde Dieu, et par avance elle s'enivrait du vin le plus noirdu crime; le Sacrilège dans le Rut.

Page 340: Le Vice Supréme

2~

XLV

LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

En une voluptueuse anxiété, la princesse 'd'Esté, pourla cinquième fois peut-être, faisait le tour du boudoircirculaire, semblable dans le lenteur de ses pas attentifsà une sorcière thessalienne exécutant le rite initial du voltamour. Aucun vertige, ni du corps dans sa rotation decheval de meule, ni de la pensée, au bord du crime.

Prise d'une folle et subite envie d'avoir son moine, enface d'elle, dans l'amollissant tête-à-tête du boudoir, elleavait écrit

« La princesse d'Este a la plus grande envie d'une con-sultation casuistique et pour que ce temps ne soit pointperdu pour la charité, elle donnerait au Père Alta, trentemille francs pour ses pauvres, pour deux heures de son

après-midi d'aujourd'hui. a Elle attendait en une misemerveilleuse de lubricité. Sa robe n'était que de dentellessuperposées, de façon à ce que la chair se vit un peupartout. Ces bouts de nus gazés, trouvaille de vice, ren-daient cette toilette montante, aux manches serrées, pluspopéenne que la nudité, et d'un charme qu'elle jugeaitirrésistible, car ses pieds luxurieux étaient nus avec de

mignonnes sandales. Où étaient ses pensées et sentimentsd'autrefois? Le passage du Père Alta séparait sa vie endeux cycles, en de~x ères. Avant, elle était la Joconde, la

sirène, le sphinx depuis, elle était femme et amoureuse.Le valet annonça

Le T. R. P. Alta. »

Page 341: Le Vice Supréme

338 LE VICE SUPRÊME

Le moine, arrêté sur le seuil, luttait du regard. avec le

demi-jour.« Daignez entrer, mon Père », elle se leva dans un

froissement de dentelles « et laissez-moi d'abord vousremercier d'être venu! »

« Madame, c'est moi qui voue suis obligé d'êtrel'occasion d*une si beU<aumône! n

Du geste, elle indiquait un fauteuil crapaud, l'uniquesh~ge, à part la chaise !ongue où elle était.

Le Père Alta s'assit MM laisser voir d'étonneaMnt ni

degtM.– wAllonsI a pensa la princesse; il résiste à l'éprenve

du tduteuil, et garde da style. Comment serait-il au lit?a Vous ne m'en voulex pas? w fit-elle brusque-

ment.« Vous en vouloir, madame, quand je v<M&vois pour

la première fois. M t

<tPour la seconde. Vous devez vous so'uvenir quej'ai été votre pénitente? »

c Le confeme~ ne x~ souvient des pén!~ntes qu'auconfeamonnal, comme la somnambule ne se rappelle sessommeils précédents~que pendant le sommeH. w

– <t Aht w fit la princesse, un peu ag<tce~du tour queptotait la conversation, et gênée, par ce moine tran-

quille, qui, son chapelet sur les genoux, et les mains dans

ses manches, ne baissait pas les ye<uc.– « Dn mains, vïWMme voyez to'us les jcur~ aseister à

votre messe, à Saint-Gervais'-Saiat~Protais.– < Ftates~iBoi l'honneur de croirey madMae, qu'en

célébrant la Sainte Messe, je suis MMzpénétré de la

présence réelle pour ne rien voir que l'acte immense que

j'accomplis.– « Vous êtes grand, mon père! »

« Non, je suis moine, ambassadeur de Dieu, je le

Page 342: Le Vice Supréme

LB VÏCE SUPRÊME 33~

représente aussi dignement que je puis. Beaucoup valentmieux que moi qui cachent au monde le dédain queje lui montre. Nous devons avoir les bras grands ouvertsau repentir, mais menaçants à la prévarication endurcie. »

–K Si une femme venait vous dire qu'elle vous aime,que lui répondriez-vous? »

« Rien, car elle serait perverse à mépriser ou sotteà dédaigner t »

– « Perverse, oui; mais sotte? réclama la princesse.– a Sotte surtout, d'offrir l'amour humain, cette folie

boueuse, à celui qui possède l'amour divin, cet absolu. w« An lien de tant de hauteur, mon père: ne vau-

drait-il pas mieux ramener. »

« Oui, si elle s'accusait de son sacrilège avec détes-

tation; mais si cet aveu n'est qu'une sollicitation au mal.on répond par le silence M

« Ce silence n'~st-il pas traversé de tentation, car il

y a toujours un homme dans un prêtre? », elle croisa ses

jambes de façon à montrer ses chevilles nues.« II n'y a un homme dans le sens où vous dites, que

chez un mauvais prêtre. Celui qui obéit encore aux ins-tincts appartient au monde. Il faut être mort à la chair

pour naître à Dieu. ?

La princesse trouvait ces paroles de sermonnaire.dépla-cées, en face de sa robe transparente.

« Cette continence, n'est-elle pas une transgressionorganique? » et elle remua ses orteils.

– « Oui, la chasteté est une transgression de l'instinctcomme la charité est une transgression de l'égoïsmet »

« Mais l'amour du cœur? » et elle décroisa ses jam-bes, se faisant pudique.

« Lacordaire vous a déjà répondu « Jamais depuisque j'ai connu Dieu, rien ne m'a paru assez beau pour

Page 343: Le Vice Supréme

340 LE VICE SUPREME

le regarder avec concupiscence. Tout est si peu de chose

pour une âme qui a connu Dieu et qui l'a sentil.. »

« Eh! vous supprimez l'amour? ?« Non pas, l'amour est tout l'homme. »HAvec la haine, » ajouta la princesse.« La haine est encore de l'amour comme le blas-

phème est encore de la foi. »– « Eh bien! si l'amour est tout l'homme, qu'êtes-vous,

moines, hommes sans amour? »

« Nous sommes les vivants miracles de l'amour. La

grâce nous fait le cœur a~sez grand pour être encore tout

& nos frères, après nouR être donnés tout à Dieu. La

passion Sandesque n'est que l'absorption d'un être parun autre, une forme de 1 égoisme.. Allez dire à ces deux

amants, je souffre, soulagez-moi; je pleure, consolez-moi;

je suis seul, aimez-moi. ils ne vous entendirent pas.Cependant Dieu qui est amour n'a pas voulu que sa

créature perU faute d'amour; il a choisi des hommes purset forts et leur a dit

« Fils de l'Église, je vous fiance à toute douleur

Allez à ceux qui sont seuls et qui pleurent, 'essuyez ~eurs

larmes et annoncez-leur l'éternité d'amour. Soyez des

cceurs toujours ouverts, des bras toujours tendus. On

vous appellera les Pères, et tout homme vous l'accueil-

lerez comme un fils bien aimé et toute femme comme une

fille chérie. J'ai aimé les hommes jusqu'à la croix; voilà

tout l'exemple à suivre; je vous donnerai une invincible

&~e d'aimer qui aura pour nom la Charité et sera le

grand témoignage de mon Calvaire. Allez, amants de l'hu-

manité. « Dites, madame, dites à la femme la plus ai-

mante et du meilleur cœur voici un lépreux qui a besoin

d'être'embrassé, elle s'enfuiral Prenez deux amoureux

que la gangrène s'attache à l'un et l'autre disparaîtra!Eh bien, pour nous, la lèpre du péché, la gangrène du

Page 344: Le Vice Supréme

LE VICESUPRÊME 34i

crime sont plus répulsifs encore Cependant plus souilléeest une âme, plus nous l'aimons Aimer Dieu parce qu'ilest infini, aimer 1~prochain pour ressembler au Sauveur;comparez la réunion de ces amours à la mauvaise ardeurdes romans modernes. Un point sulût à marquer ladifférence. Vous savez la fragilité de l'amour sexuel, qu~sa naissance dépend de la matité d'un teint, et sa mortd'une ride. Voyez donc le cœur du moine qui aime cha-

que pécheur et tout de suite, sans déchoir ni se lasser! »– « Ceci est de l'idéal, )) déclara la princesse extre"

mement agacée de payer trente mille francs un sermondomicile.

« Cet idéal est réalisé tous les jours par un bravecuie de campagne qui n'inspire, pour toute admiration,

que ce « brave M. le Curé! »« Il m'est revenu », fit la princesse, en recroisant les

jambes, ce qui montra ses mollets, « que vous aviez de

grands desseins la réconciliation de l'Eglise grecque. n« Et aussi, » continua le moine, « la fondation c~un

tiers ordre tout intellectuel de poètes, d'artistes et de

savants, une armée du Verbe; imposant par la ipro~ duchef-d'œuvre et du document le sceau catholique à toutesles manifestations du génie humain M

« C'est grand, dit-elle troublée devant ce moine

qui la regardait, le mollet à l'air, comme il eit regardéun autre moine. « Vous avez de l'ambition et pour lebien Voudriez-vous pas m'associer à votre grand œ

vre catholique'? n« Je ne dois refuser aucun aide à la cause de Dieu;

mais quelle serait votre coopération? H–. « Ma fortune. »

– « L'argent qui serait tout pour une affaire hu-

maine, n'est rien pour une divine entreprise ce q~'itiaut des mains pures, des volontés droites. M EMe

Page 345: Le Vice Supréme

342 ~E VMESUPRÊME

décroisa ses jambes, rougit, prise -d'une subite oontu-aon et dit le regard baissé « pnrineMnoi.

a Au confessionnal, » dit le moine.EUe se icv&, jouant ua grand trouble

« Monpère, je -Mis une samaritaine, je me aenstouchée de ia grâce; voulez-v<ms m~entendreP demain

.aurai peut-être perdu cette heureuse disposition. HLe Père Alta réCéchit un instant; it n'osait repousaer

cette hypocrisie avant c~'eUe se démasquât.« A~pnouiHez-TMisdonct je voaa écoute! :')

Pendant que le moine disait les paroles latines, ta prm-cesse dénudait rentre-d'mx de ses seins.

Elle commença une ~éricose -oon~ession, s'approchantpeu à peu, et, dans un mouvement haMe dB iMmte. elle

posa sa tête et ses mains sur les genoux du, morne, quisentit une caresse et un baiser souiller sonj troc. D'un

geste fort, il lui prit le bras et ~écarta, se levant, ~ansun mot d'i&d~nati<Mi <yude Même.

A la pnnceMe, toujours à ses genoux et Même de dé-

ception, il dit d'une impassible voix, en tendait son cha-

peau blanc « P<mr les pauv es. La prÊncesee se relevalentement.

« C'était une ep<r<euve;vous êtes ~msaint <Mt un

euauq~ie, je vais vo'm chercher la sc~BMae.E!!e -sortit presque eMis embarras apparent, mais ptei-

ne de rage pour l'indescriptime indinérence de ce geste

qui l'avait écartée -comme on écarte la branche d'un

buisson.Le P. Alta fit le tour du boudoir circutaife, se pen-

chant pour respirer un lys. « Vmlà dcmc I~hmeMinena-

ture, » pensait-il. « Je prêche la demain des ~aMions et

les p&ssioM se prennent à moi. Vonasfvez petims, mon

Dieu, que ~a vie mauvaise servtt à Tn'a&N'mir dans

votre voie, âne M~ <nn~e. Un maître de vos serviteurs

Page 346: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 343

ltlü·lf~a~i'tb wuiln 4e»~~i.i~ -2 -1- ~Ie&t succombé peut-ôtre à cette tentation qni m'a ennuyé,et cette défaillance pleine de remords aurait eu qui sait?plus de prix à vos yeux que ma facile impavidité; cardans votre sagesse vous proportionnez toujours la tenta-tion à la grâce, -et il n'y a pas d'irresponsabilité. Que vousavez droit de me demander de grandes vertus, m'accor-dant <ett< forcel »

Il s'absorbait dans ces pensées, quand tout à coup laMit $e fit dans le boudoir. Le dôme qui réplairait seul,venait d'être subitement voilé.

EtoMé, il resta immobile et attentif; il entendit laportieM soulevée et retomber, et sans Mcim bruit derobe. Soudain, des mains tâtonnèrent, des bras l'en-toareMnt; Il avança d'un pas, ta princesse était toutenue et l'enlaçait.

La repousser? S'enfuir? il trouva mieux, il retrouvace rire qui jadis épeurait l'orgie, à l'époque de sa pré-varication. Ce moine ricana comme un démon, en destrilles si inattendus de stridence que les bras qui l'être~gnaient le' lâchèrent comme coupés. Il se souvint qu'ilfaisait face à la portière, quand le dôme avait été voilé,il marcha droit devant lui, toucha le velours, le souleva~t sortit, traversant les chambres. Arrivé au grand sa-lon où était Sarkis

« Monsieur, voudriez-vous aller dire à la princesseque j'attends son aumône! »

Sarkis, très intrigué, s'inclina.

Après un quart d'heure d'attente, la princesse repa-rut rhabillée.

« Voilà trente mille francs 1» dit-elle.

Le P. Alta tendit son chapeau.La princesse s'approcha du feu et y jeta les billets qui

flambèrent.

Page 347: Le Vice Supréme

344 LE VICE SUPR&MB

« Les pauvres ne sont pas responsables. » 81 leP.AHa.

– « Avant deux mois, vous serez interdit, ? cria-t-elledans un éclat de rage.

« Si Dieu me réserve cette épreuve, je la subiraiavec humilité. M

La princesse, malgré ses efforts, ne se put contenir etmarchant vers le domi nicain

« Que 'veux-tu, d( mon amour ou de ma haineP »Ils se.mesurèrent du *egard, longuement.

« Je n'ai que fair de l'un et je méprise l'autre. M« Eh bien Alta, je ferai mentir ton nom sous

cette haine que tu méprises, tu descendras bien bas! ?« Que Dieu vous juge, » dit le moine qui sortit

sans saluer.

<

Page 348: Le Vice Supréme

XLVI

LA TRISTESSE DE MÉRODACK

Malgré les artifices voluptueux de la Nine, à l'appro~che de l'hiver, le prince, las de Venise, voulut revenirà Paris.

– <( Je vous suis, si vous voulez )), demanda Chiara-valle.

– « Venez », dit le prince qu'il ne gênait point, ayantl'adresse italienne de ne jamais paraître qu'à propos.

–« Qu'as-tu, que t'est-il arrivé; mon enfant? » fitle prince en apercevant Corysandre.

« J'ai été ua peu malade, mon parrain H ilMérodack raccata l'enlèvement de Clémence, la

Î4frayeur et les crises nerveuses de Corysandre.En parcourant les lettres accumulées en son absence,.

¡IIle prince trouva celle de faire-part de la mort du mar-quis.

« Oui 1 » fit Mérodack impassible, ? il est mort enmoins d'une heure, d'un transport au cerveau. »

– ? Est-ce illusion? » faisait le prince, « je trouvetout le monde attristé et jvieilli autour de moi. Cory-sandre n'est plus elle; et vous-même plus grave i,qu'avant. Allons, il va falloir se refaire content et que Iiije songe à mes affaires. Comment la Nine m'a-t-elle sauvéun million? Je rénechirai gravement à ces choses graves.

Il:Et mes chers dominicaux, leur ai-je manqué autant 1qu'ils me manquaient? » i,

Corysantdre n'avait plus retrouvé sa gaieté depuis ce

}.i

Page 349: Le Vice Supréme

346 LE VICESUPRÊME

réveil dont le souvenir confus l'oppressait, sans qu'ellepût se rendre compte du genre de péril qu'elle avaitcouru. Même, telle était sa pureté, que la cessationd'un fait organique, en l'étonnant, ne lui avait rienrévélé. Elle ignorait tout de son malheur que Mérodack

portait seul.« Enceinte )), se disait le mage; « lorsqu'elle sen-

tira le crime s'agiter en elle, ce sera sa mort; je nepais pas cependant la faire avorter p<Mr la SMtver. ObI-si je l'aimais de passion fcUe et non de charité, je pour<rais lui sauver l'honneur e: la vie sans qu'elle sût jamaisqu'ils furent en danger. Mais tuer même l'enfant dumal! un innocentl. Cependant, quand elle saura, ellese tuera certainement et l'enfant m'étant pas à termemourra de sa mort. Doac. de toute façon il est con-damné, ce frmt du crimel autant la sauver! Un avorte-ment. je ne le veux pal. Ohl mon Mec, faites que ce

que je n'<ae vous demaadef arrive!

Méng&eox di&ait à CkMia~ne« Qu'à etone notre mage? C'est enrayant à force de

<Mume,la tristesse de Méfodack. a

Page 350: Le Vice Supréme

XLVIÏ

w

LA PLANTE ATTRACTIVE DE VAN HELMONT

L'Italienne vindicative et féroce n'osa pas dire à Sar-kis avec quelle impudeur eUe s'était ouerte, avec quelmépris elle avait été refusée et se~ nmts pleines derage furent atroces. Acculé au pied de l'impossible, ledésir se retourne dans un espoir désespéré vers le sur-naturel. Le peuple du moyen ~e, après les trois ansde peste et de famine qui précédèrent l'an mil, voyantque ni ses saints ni ses anges ne l'exauçaient, ~an-donné d'En Haut regarda En Bas et tenta de désarmerles Puissances du mal; puisque celles du bien ne ledéfendaient pas 1

La princesse impuissante rêva de CoéUe et de ceMérodack qui lui avait par'é d'une plaate qui faitAiBMr. « H coamait d'Alpes moyens encore )), pensa-t-elle, « en les .mettant tous en œuvre, qui SMt~ w

A sept hernie da maftia, la marqniM dormait, fatiguéede sa promenade en voiture de la veille avec Plélan,quand sa femme de chambM la péTeilla et loi tendit cebiljtet w i'adrMM de M~rodaek et annoncez-~ mavisite à trois heures. a La marquMe pet<ta, dépêchant safemme 'do chaB&3)M<hez Cadenet, d'où eUe revint sin-guli~peBMntéboMinée avec mae caT&e « i~8, rue Niotfc-~3me-de~€o&mpa, MMtez six Me. w

Vers midi, Adèle qui maintenant habitait la mattonpour les &réqa<ntBheso<M qae MéMdaek en airait, intro-duisait la marquise.

Page 351: Le Vice Supréme

348 Lis vïCE s~pRÊMB

« La princesse d'Este vous fait annoncer sa visite

pour trois heures, a

–«Bien. »« Et Marestan? » demanda la marquise.« Vous l'avez commencé, d'autres le unissent. M

est perdu de tout. a

– « Alors, il fallait me le laisser autant moi pourbûcher que d'autres. »

Mérodack sourit devait cette naïve perversité.A l'heure dite, la princesse parut.

« Je viens vous demander, mage votre aide pourme. faire aimer1. »

– « Vous êtes perdue, w– K Soit, mais je veux perdre.. Le nom de la plante

qui fait aimer?. w– « Van Helmont ne l'a pas dit, je ne 1~ dirai pa~

non plus. En cette matière, il y a le ~oit d'amour cpiiest irrésistible! 1»

« Enseignez-le moi. »« Qui aimez-vous? a« Que vous importe? »

« Il m'importe si bien que je vais le savoir, atten~

dez-moi! »Un quart d'heure après, Mérodack revint.– « Vous aimez un prêtre! je le savais, l'ayant prédit;

mais ce prêtre c'est le père Alta, mon frère spirituel etcette magie que vous venez demander contre lui, j&

l"emploierai à le défendre de vous. »

« Eh bien, mage! » fit la princesse dans un redres-

sement magnifiquement hautain, « pare si tu peux le

coup que je vais porter à ce moine que tu appelles ton

frère. M– « Kong om

pojciMdit Mérodack avec tranquillités

Page 352: Le Vice Supréme

XLvm

<"

LE DEVOYEMENT DE MARESTAN

Dans la perpétuelle excitation de la vie de Paris, quienflamme et déprave les natures voluptueuses et mollesdu Midi, Marestan était devenu un obsédé de la chair,et aggravation, il mettait la sentimentalité de son âmetendre dans la poursuite du p~aisi~. Après la marquise,il avait passé aux bras d'actrices sottes, de filles nul-

les, de veuves exaltées, et menait une vie d'acoquine-ments et de collages successifs. A peine sorti d'un bour*bier, il trébuchait dans un autre. Mérodack n'avait puveiller sur lui, absorbé par l'infortune de Corysandre.

La Bête exige d'autant plus, qu'on lui donne davan-tage et Marestan se laissa entraîner dans un tourbillonde luxure qui devait fatalement l'engloutir. Les Bilesdu quartier latin se le passaient comme un « gaillardflambant ». Tandis que son corps se pliait à la manie deta chair, son esprit se déshabituait des pensées hautes.Hercule aux innombrables Déjanires, il s'immolait surla femme, l'autel le plus banal du fétichisme. Maintes

fois, Mérodack était venu l'arracher à un caprice avi-lissant Marestan avait remercié pour retomber le len-demain. En proie à des remords rendus cuisants par sa

religiosité qui lui conservait la notion du péché, il priait,pleurait, se bardait de résolution et une nuque ou unbout de jupe relevée le rendait au rut.

« Retourne à Arles, malheureux! a lui disait Méro-dack, « tu n'es déjà plus qu'un bouc; tu ne seras

<~

Page 353: Le Vice Supréme

350 LE VICE SUPRÊME

demain qu'un porc. Toi qui as du génie, qui peux de&

chefs-d'œuvre, tu ne fais que cette insanité l'amour.

Comment te grises-tu de chair à ce point? L'écœure-

ment ne te contient-il pas, avec sa main glacée? Toi un

prédestiné, marqué du sceau d'élection, tu es dupe des

mirages sexuels. La volupté, la femme et l'amour sont

trois inventions de poètes. Refais Catulle, mais ne te

vautre pas. Et ton poème le Gr~d mystère de

l'idéal?. »– « Je vais m'y mettre, tu verras ce sera beau!

s'écriait Marestan. « Un temple, synthèse de tous les

temples Thèbes, ËHora, le P~rthénon, Notre-D~me.

L'ogive, le cintre et l'architrave; l'acanthe, le trèfle et

le lotus mêlés. Dans l'abside, en gloire, à la place de

l'autel, la Trinité et la VMfge, les neuf chœur? Pui?

prophètes, patriarches. Les saints et les génies dénientet chacun dit en une ode, sa conception de l'idéal1'lhidias résumant la Grèce, Dante le Moyen Age, Saint

Vincent de Paul la charité. C'est infini, écrasant; puis.tous tes concepts en exposés lyriques par leurs arché-

types créateurs. Et c'est là le difficile, le chœur final

l'hymne à l'Ineffable. Ah! ce sera beau, le Gr<ntd mys-t<~e de ï'/deaL.. »

Méfodack secouait la tète.« Tu es tombé 'dans la femme; ce gouffre ne rend

pas! Latin, tu es perdu comme ta race! n

Page 354: Le Vice Supréme

XLIX

ENTRETENU 1

Lee poignées de main que le prince échangea avec les e

dominicaux lurent plus que cordiales, émues; et au

plaisir de se retrouver, ils se sentirent mieux que cama- e

rades amis.La Nine présenta le comte Chiaravalle comme un nou- 1

veau et dix-huitième dominical. Un silence glacial f

l'ae«MiHit, qui eût fait perdre contenance à tout autre

qu'à l'Italien.il

Talagrand souMa à l'oreille de la Nine« Vous auriez pu rapporter un autre souvenir

d'ïtaMe! »« Et Mérodack? Mdemanda-t-on.« Chiaravalle », dit la Nine, vous verrez là un

vrai sorcief. wLe comte crut à un Robert Hou'din quelconque.– < Je le ferai poser, votre sorcier, milady. »

A cet instant, Mérodack parut, portant une longueveste de velours noir, qui accentuait sa pâleur. Il serrala main M prince, mais ne prit pas celle que lui tendaitla Nine.

– w Voici w, <Mt-elle piquée, « le dix-huitième deminical que voM ne connaisMz pM. »

– « Monsieur, n'a pas besoin de me connattre pourmvohr qei sais, puisqu'il est sorcier. »

Mérodack lov~ BM yeux aur lui,– <t Je n'<d pu besoin de vous connattre pour savoir

L

Page 355: Le Vice Supréme

352 LE VICE SUPRÊME

que vous mourrez de mort prochaine, violente et par lefer. » Il se retourna, lançant à la cantonade

Dix-huit est le mauvais nombre il attire la fata-lité! a

Tous se délectèrent à voir traiter ainsi l'intrus.Comme on passait à la satle à manger, la Nine quitta

le bras du prince, simulant un ordre à donner, etChiaravalle resta en arrière. Mérodack, q&e ce doublemouvement inquiétait, s'attarda à la porte. Se croyantseuls, la fille et l'Italien échangèrent quelques mots àvoix basse

« Nous disions. » fit La Nine en apercevant Mero"

dack, et embarrassée, ne tiouva rien.D'un geste, Mérodack les força d'entrer de front le

prince rêvait à quelque chose, mais les dominicaux saisi-rent le sens de cette poussée qui les accolait.

« Mes amis », dit le Mage avant de s'asseoir, « si 1;quelqu'un vous disait j'ai le pressentiment, la certi-tude même d'un danger; ne passez pas là, y passeriez-vous? »

« Deux fois au lieu d'une », dit Chiaravalle.« Je parle à mes amis, pourquoi répondez-vous? »

Et gravement « au nom de la science de Magie, un

danger est sur vous; un danger où, plus que du sang,dp l'honneur coulera. Crcyez-moi, levons-nous et par-tens. »

« Je crois votre science, mais non à votre pro-nostic », dit le prince.

« Soit! », il jetta par-dessus sa tête, son verre quise brisa au mur. « J'ai satisfait la loi, la main a parléadvienne ce que doit. »

Ces athées ne songèrent pas à rire et la conversationresta glacée par le vent de cette prophétie.

La Nine sentait une malveillance des regards qui signi-

Page 356: Le Vice Supréme

LE ViCE SUPRÊME 35~

?.t

1M si je parlais. et je parierais si cela ne devait pasfaire plus de mal au prince qu'à toi. »

– « Vous nous avez ensorcelés )), fit le prince frappéde la disparition de l'entrain'd'autrefois.« Au contraire, Sire, j'ai voulu conjurer un sort. »

Au dessert seulement, on s'anima.« Nos perversités sont rouillées M, déplorait le duc

défîmes.« Vois », disait Marestan à son aini, « comme l'Ita-

lien et la Nine se regardent d'intelligence!Le prince souffrait maintenant de la présence du

comte. « Je perds donc le soin de ma dignité qu'ils enont plus que moi M

– « Sire, quelle bague singulière vous avez au doigta »,remarqua de Quéant.

!?

cc Une bague italienne, c'est-à-dire empoisonnée,que j'ai achetée au Ghetto de, Venise

pour peu de chose )),il fit jouer le chaton. « J'ignore le nom de la drogue »,et il montra un point noir, « mais la grosseur d'une têted'épingle mise sur la langue d'un chien l'a foudroyé. )~

« Cela peut servir hasarda CtnaravaUe.« Aux Italiens », gronda Rudenty, qui eût assommé

le comte avec bien du plaisir.<( A soi-même », dit ChiaravaIIe, décidé à ne pasvoir les agressions.

La conversation tourna comme toujours sur les fem-mes déplorable obsession de l'instinct qui hante mêmeles blasés.

– « Ahl disait l'Italien, « il y aurait une curieuseétude 4 faire du rô~e de l'argent en amour; – et un pré-jugé à réformer; je ne compris pas~ que lorsqu'onohvre sa robe et son coeur, on ferme sa bourse, et je nevois pas plus ~e déshonneur à recevoir d'une maîtressequ'à lui donner. M

Page 357: Le Vice Supréme

354 LE VICE SUPRÊME

«Ceci est une théorie de. barrière », dit le prince.« Préjugé! » fit Chiaravalle.

« L'honneur, monsieur, n'est pas un préjugé; et'

qui défend cette opinion, donne à croire qu'il la pra-tique. »

« Admettez-le un instant. »

« Si je l'admettais, je ne vous admettrais pas ici. »

« Prince, êtes-vous sans péché pour jeter la pre-mière pierre? »

– « Monsieur le Comte, je vous somme de vous expli-

quer. »

« La vérité blesse toujours », fit négligemmentl'Italien.

« Drôlel », cria le prince, et il lui jeta, à travers

la table, sa serviette au visage.– « Ce qui est drôle, monsieur de Courtenay M,

s'écria l'Italien en se levant, « ce qui est fort drôle,c'est votre rigueur, à vous qui n'êtes qu'un Entretenu. »

Tous les dominicaux, comme souffletés, se levèrent.

Le prince resta assis, hébété par l'inouï et l'inattendu

de cette accusation.

La Nine, terrifiée de ce qu'elle avait fait, sans en pré-voir les suites, restait assise aussi, immobile et trem-

blante.« Messieurs », dit le prince, « veillez sur cet

homme et sur cette femme! Je vais tuer l'un, bâtonner

l'autre, et vous m'expliquerez, après, les incroyables

apparences qui ont donné lieu à cette calomnie. » Il

décrocha deux épées des panoplies et sortit, suivi des

dominicaux qui poussaient devant eux la Nine et Chia-

ra'v'alle. Fiévreusement, on bouscula les meubles du

salon, et les quinze dominicaux se rangèrent en demi-

cercle. La Nine fut poussée contre la cheminée.

L'Italien ramassa l'épée que le prince lui avait jetée.

Page 358: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 355

1N

Il tirait bien, mais en face de lui, Mérodack le regar-dait, le forçant à des disLiactions – et pendant la seconde

de fascination, l'épée du prince perça en plein cœurl'Italien qui tomba raide.

Pouancé s'agenouilla, examinant la blessure.« Bien mort », fit-il.

A coups de pied, Rudenty et Tisselin roulèrent lecadavre dans le~coin du piano.

« Maintenant une cravache », cria le prince en

marchant sur la Nine.– « Sire », dit Mérodack, « la Nine est venimeuse, il

faut ou la tuer ou la dédaigner! ))

La Nine reprenait son aplomb.– « Sire, on vous a insulté et vous avez tué l'insul-

teur. C'est bien. Mais moi, que vous ai-je fait? Chiara-

valle, ayant surpris un brouillon où je donnais ordre

à mon agent de change Gillin d'acheter du Suez en

votre nom, a conclu, par jalousie, car il me désirait,

que. » tSKOh! dit le prince », je pressens un abîme d'igno-

minie! Si j'y suis tombé, vous êtes assez mes amis pourdevenir mes complices, nous condamnons cette créature,et. H

« La Sainte Wehme », s'écria Tisselin ravi.– « J'ai pensé juste, tout de suite! » disait Talagrand

à Saint-Meen.Avec son habit d'homme, la Nine, appuyée à la che- "f'

minée, semblait un collégien qui a peur d'être fouetté. i'Le prince affectait de l'ignorer, dans un mépris d'atti-

tude dont les nobles actuels ont perdu le secret et qui

jadis a dû être d'un grand effet.– « Mérodack, éclaircissez cela! » demanda le prince.

« Combien restait-il, Mérigneux? »

– « La réserve 80.000 francs.. »

Page 359: Le Vice Supréme

356 LÉ VïCBSUPPÊ~B°

« Je vous ai donné, Sue, i5.00C fr. ajoutée la

réserve, cela fait 9S.OOO francs vous donniez d 00.000 fr.

par an à cette fille;. il n'y a que quatre mois que lekrack a eu lieu donc, loin d'être entretenu par elle,vous l'aurez entretenue cette année d'un tiers pluscher. »

Le prince respira comme un Atlas délivré du poids du

monde; puis il coula, par-dessus son épaule, un regardqui crachait le mépris sur la Nine, et sans un mot, d'un

geste d'empereur, il la chassa.

Elle gagna la porte lentement, rassurée, mais enragéed'avoir eu peur, calculant que l'étonnement de ce

qu'elle allait dire lui laisserait le temps de la fuite;sur le seuil, elle leur fit face

« Amateurs de perversité, si je n'ai pas entretenuCourtenay, j'ai fait mieux », et frappant son ventre

enacé d'éphebe« J'ai dans mon bedon ton blason fac-similé, ô roi,

et avant de te faire sauter, vois si.-tu veux reconnaîtreton fils. MCela dit, elle disparut.

Cet adieu de Parthc immobilisa un instant l'assem-

blée.

Le prince, chancelant, s'était appuyé à une table.

« Saint-Meen », dit Mérodack, K voulez-vous vous

laisser endormir? »

Le dominical prit une chaise et s'assit; le mage com-

mença les passes. ïl fallut huit minutes; enfin, le magné-tisé eut cette secousse nerveuse du sujet qui entre dans

l'état somnambulique.– Pourvu qu'il soit lucide », pensait Mérodack.

– « Gadagne, pensez un titre d'ouvrage peu connu »,

et il ordonna mentalement à Saint-Meea de lire dans la

pensée de Gadàgne.Les lèvres du magnétisé s'agitèrent, puis dirent

Page 360: Le Vice Supréme

Lt: ttCË SUPRÊME1

a8T

« Octodécatérons de Mahethon. n

Gadagne fit signe que c'était bien cela.

Alors, Mérodack interrogea à voix haute

« La Nine est-elle enceinte? a Voyez dans son

ventre. »

« Elle est enceinte )), dit Saint-Meen.

« De combien? ))

– « De trois mois et sept jours. »

– « Suivez les vibrations de la lumière astrale jus-

qu'au jour où elle a été fécondée: H

Les veines du front du sujet se gonflèrent en une

grande contention d'esprit.« Où?. »

« En gondole. »

« Répétez les paroles que vous entendez?. »

– « Le prince s'inquiète d'un sourire. il dit

« Pourquoi souriez-vous ainsi?P » La Nine répond

« Je songe à ces pauvres dominicaux, que font-ils d~

leur dimanche soir? »

« Répétez quelque chose de plus décisif. »

« En descendant de gondole, la Nine laisse tomber

une bague dans le canal; c'est une entaille représentant

une femme sur un bouc, elle dit « J'ai épousé la mer,

je suis dogaresse. »

Le prince, confondu, fit le geste qu'il était convaincu.

– « La Nine est-elle grosse du fait de Courtenay? »

demanda encore Mérodack.

« Oui », fit le sujet, que 1~ mage réveilla en souf-

Bant sur lui.

« Sire », dit Tisselin, « La Nine aura prévenu

la police, il faut sortir d'ici en hâte. »

Ce mot de police évoqua aux yeux de Courtenay le

spectacle d'une arrestation, de la prison préventive, de

la cour d'assises.

Page 361: Le Vice Supréme

3~ LE VICE SUPRÊME

rf parinnc Yn.Q"ftll"~i:' L:a :1« Partons, messieurs », fit-il.Les dominicaux prirent pardessus et chapeaux au

hasard, oubliant le cadavre de Chiaravalle qui faisaitde son sang répandu en mare caillotée, un tapis rougeau grand piano à queue. Tisselin eut seul la présence d'es-prit de fermer la pièce ~ui précédait le salon et d'enemporter la clef.

Ils descendirent par gr.vupe le boulevard Malesherbes.« On dirait d'un reLour d'enterrement et que nous

venons du Père-Lachaise », dit Beauville.« Nous y allons », f t Mérigneux.

Le prince marchait en ivant, donnant le bras à Méro-dack et parlant avec animation.

« Je comprends vos exhortations, elles sont loua-bles, mais inutiles. Ruiné, taché devant l'opinion, dépo-sitaire infidèle envers Corysandre, gentilhomme déchu

.à mes propres yeux, je ne veux plus vivre. Et ce cada-vre d'Italien que j'oublie me mènerait devant des jugestNon. »

Avenue de l'Opéra, le prince des Baux arrêta Courte-nay

« Eh bien! cousin, vous voilà revenu de Venise, etla Nine ))

« Toujours charmante. »Balthazar des 'Baux l'invita à une partie fine où il

allait et sur le refus du prince, lui parla du krack « Sivo~s aviez besoin d'un billet de cent mille, je suis là. »

Cette offre de débauche et d'or faite à deux heuresde la mor~, était navrante.

« Mon ami », disait le prince, « je sais que lemariage n'est pas votre souhait, qu'il dérange vos écha-faudages et vos desseins de mage: mais les mourantssont égoïstes, et vous refusez d'être l'époux de Cory-sandre, je meurs désespéré, d'autant qu'elle n'a plus de

Page 362: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 359

fortune que mon hôtel et les cornes d'Urfé. Le mérite

de votre dévouement plaidera devant Dieu le pardon de

mon suicide. »

« J'épouserai Corysandre », dit le mage avec effort.

« Oh! merci », dit Courtenay qui lui quitta le bras

pour lui serrer les mains.

– « Mais vous reconnaîtrez. »

– <( Le fils de cette fille, jamais! »

– « Il est aussi le vôtre; vous l'avez engendré en des

flancs indignes; mais doit-il porter tout le poids de votre

faute? Qui sait s'il ne remettra pas dans l'histoire ce

nom que vous lui refusez? Ecoutez, je me charge de

l'enlever à la Nine avec l'aide des dominicaux, 'de

l'élever en père; et à sa majorité, s'il est digne de porter

votre nom, je lui remettrai un acte de naissance in

extremis que vous me donnerez tout à l'heure. »

Et comme le prince hésitait.

– « J'épouse Corysandre. il faut que vous reconnais-

siez votre fils 1 »

« J'y consens », dit le prince. On entrait à l'hôtel

de Courtenay.Anselme ensommeillé regarda avec hébétude cette

bande qui avait l'air funèbre.

Dans la grande salle tendue d'azur aux fleurs 'de lys

d'or sans nombre, les dominicaux allumèrent le lustre

et les appliques comme pour une fête, tandis que Cour-

tenay assis dans sa cathèdre blasonné écrivait son testa-

ment et la reconnaissance de son fils.

Les dominicaux, immobiles et recueillis, se taisaient.

Du regard, Talagrand montrait à Tisselin une pièce

que le hasard mettait en évidence à un bout de table

Mort et trépas de monseigneur le prince de Courtenay

par la malicieuse sorcellerie d'une misérable sorcière qui

Page 363: Le Vice Supréme

3~0 LE V!CB SUPRÊME

depuis fut exécutée. Il souligna de l'ongle « Qui DEpUïsFUT EXËcuTËi!:» disant Ceci nous est dédie. 0

Le prince posa sa plunie et redressant sa haute taille« Mes pairs », dit il. La calme majesté de ces

deux mots avait une si naturelle ampleur, que chez cespervers une idée courut comme une traînée de poudres'allume et, d'une voix j'autant plus émouvante quelleétait basse pour ne pas réveiller Mlle d'Urfé, ils mur-murèrent « Vive le Èoy! »

La proclamation de son droit méconnu à l'heure desa mort êlëctrisà Court may. L'empereur de Constan-tmopîe réapparut en lui; l'hommage lige de ces inte!.tigences indisérehtes aux hiérarchies valait plus quel'acclamation d'un peuple; il le comprit et aussi le senti.ment de charité spl<-ndide qui faisait un trône aux der-nières minutes de sa vie.

« Voulez-vous fuir? » dit Tisselin. t,7" c'est moi qui ai tué l'Italien! »

s écria Rudenty.– « Merci, Rudenty, merci vous tous qui m'avez fait

roi. Mes pairs, je vous lègue mon fils Robert dont voicil'acte de reconnaissance. Je !e confie à Merodack- ilvous guidera dans l'exécution de mes dfrnièrps volon-tés. »

tc Prinëe ?, disait le tnagé, « songez au salut devotre âme! »

Gourtenay fit un gèste de résolution absolue.– « Mes amis, embrassons-nous! » dit-il en se levant

et les dominicaux, graves et livides, embrassèrent leprince.

Il se rassit, disant– « Qae Dieu me pardonne! )f puis ouvrant le chaton

de sa bague, il avala vivement le grain noir, et aprèsune secousse, s'affaissa.

Page 364: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 361

mort vive rovl H fr~rpnt t~<: <1nnn-– « Le roy est mort! vive le royl » crièrent tes domi-nicaux à toute voix, oubliant Corysandre.

On porta le cadavre sur le lit Pouancé mit une glaceaux lèvres et la retira brillante.

« Maintenant », dit Tisselin, « Rudenty, duc de

Nîmes, Talagrand et moi a~ cddavrel »

A peine les trois dominicaux étaient-ils sortis,qu'éveillée par les cris et attirée par la lumière, Cory-sandre parut en peignoir. Sans s'expliquer leur pré-sence, elle vit son~tuîeur mort, et se précipita vers lelit. <y nffaisMnt. sanglotante. (Jans onc ~t:ihd~ duu-leur.

Page 365: Le Vice Supréme

L

LE CADAVRE

Rapprochant d'un geste l(s trois dominicaux, Tisse-lin les entraîna jusqu'au vestibule, où Anselme, anxieux,se leva à leur approche.

« Son Altesse? » demanda-t-il.« Vous lui êtes dévoue, AnselmeP Eh bien! attelez

le coupé en hâte et préparez une livrée noire, cela toutde suite; les instants sont ici inestimables. »

Puis, dès que le domentique obéissant eut disparu t– « Nous n~ pouvons plus rien pour lui, si ce n'est

de cacher à la justice le cadavre de l'Italien. Ce duel ades airs d'assassinat, et nous sommes complices. Il estdeux heures et demie du matin; à quatre heures, le par-quet de la Nine doit être déblayé; je vous ai choisis,duc et Rudenty pour vos biceps, Talagrand pour tonadresse d'automédon. »

« Je ne comprends pas », fit le duc de Nîmes,« mais l'occasion est propice de vous montrer le prati-cien de vos théories. »

« II ne faudra pas me juger là-dessus! )) protestaTisselin; « pour réussir un assassinat, il faut le prépa-rer, et on n'a plus ses aises quand tombe sur vos brasun cadavre imprévu deux heures auparavant, et qu'ilfaut enterrer avant t'aurore. »

Anselme revenait, portant sur son bras la livrée.– « C'est attelé », dit-il.

Page 366: Le Vice Supréme

i,

LE VICESUPREME 363 M

Talagrand endossa, sans rire, le vêtement trop largeet se coiffa du chapeau à cocarde.

– « Chez la Nine », dit Tisselin.

Après sa sortie théâtrale, celle-ci s'était réfugiée ausecond étage; au bruit des dominicaux qui sortaient,elle redescendit. Les domestiques étaient habitués aux

grands tumultes des dimanches; tel vacarme ou tel va-et-vient qui les eût étonnés pendant la semaine passaientinaperçus pour eux ce soir-là. Au reste, dès la fin du

rep-as, ils avaient ordre de se retirer dans les communs,et depuis longtemps ne prenaient aucun souci des sab-bats 'dominicaux. Seule ainsi, la Nine s'épeura; et seressouvenant tout à coup du cadavre, elle se précipitavers le salon et se heurta à l'antichambre fermée. Affolée,à la brusque vision de la police, des gendarmes, de la

prison préventive, des assises, elle tomba en une panique

désespérée sans autre idée que de fuir et l'épaule trem-

blante, sous l'appréhension d'une main qui allait s'yabattre comme un cauchemar. Arrachant une bougieallumée à une torchère, elle courut à sa chambre, bou-

leversant les armoires, réunissant ses titres de rente et

ses bijoux. Peu à peu cette Gévreuse activité se ralentit,l'élève de Gadagne se prit à réfléchir; ce cadavre les

embarrassait aussi? « Quelle apparence que les domini-

caux se désintéressent de ce mort qui les expose à une

instruction criminelle, tout au moins? ))

« Suis-je bête! )) conclut-elle tout haut en se lais-

sant aller sur une causeuse. « Cependant s'ils oublient

Chiaravalle? )); et cette pensée la faisait pâlir!

Elle attendit Gévreusement; la demie de deux heures

sonna; elle ouvrit la porte-fenêtre et malgré le froid

s'accouda au balcon.

Deux municipaux allaient et \<naient du coin de

Page 367: Le Vice Supréme

tc~LS Vtt!E SUPRÊME

m__l'avenue de Villiers à la rue de Prony, frappant despieds et toussant dans le broniIlaM glacé

Enfin, un coupé déboucha du boulevard Malësherbeset s'arrêta devant l'hôtel; elle reconnut le duc de Mme.ce~~ à sa haute taille, Talagrand des-cendait le boulevard au petit trot. Elle se précipita à leurrencontre, mais ne put trouver un mot; leurs regardsla glacèrent, elle y lut une menace de mort pour l'ave-mr. Dans un silence mortuure, Tisselin ouvrit l'anti-chambre et ils pénétrèrent dms le salon n désarroi oùl'odeur du sang affadissait J'air; des bougies brûlaient'ncore, d'autres s'étaient éteintes et des bobèches écla-tées s'écrasaient sous leurs pas.

Tisselin prit le cadavre par le collet de l'habit et letira hors de la mare de sang; le duc et Rudepty le

`

déshabillèrent; nu, il apparut un beau modèle d'atelierLa Nine avait pris une cigarette et levait allumée;t

d un soufflet Rudenty la lui fit tomber ..des lèvres« « Un drap », ordonna-t-il.Blême, la Nine obéit.A cet instant on entendit la voiture qui revenait.Tisselin arrachait ses bretelles, de l'une liant les brasau tronc, de l'autre liant les pieds, puis il roula le

cadavre dans le drap et enprirentle due et Rudenty.

« Et ça », fit la Nine en arrêtant Tisselin et luimontrant du geste, les du comte et les flaquesde sang caillf

Au lieu de lui répondre, le dominical la prit par lesreins et la jeta dans la mare de caillots.

– « Marie, trempe ton pain dans .la .auc~ » cria-t-il,et se précipitant dans l'escalier, il rejoignit les sinistresporteurs. Au bruit de pas qui descendaient, de lui-mêmele concierge tira le cordon et Tisselin <~l un clin d'œil

Page 368: Le Vice Supréme

t.~ VÏC~ ~U~R&t~p 36&

~jta ta barre, puvr~ le second buttant, tandis que Tala-

grand qui avait fait face à la porte s'engouNrait à demi

sous Pprphe. Vivement, ils mirent le cadavre dans la

voiture et y entrèrent eux-mêmes.Pont de Passy, parapet de gauche», souffla Tis-

selin à Talagrand qui fouetta ses chevaux.

Au coin de ~a rue de Prony, les municipaux arrêtés

rjsgardaien~ la vo~ure.Les trois dpm;nicaux étaient mal a l'aise, ils n'avaient

pu faire asseoir le mort, et forces de le mettre en diago-nale, les pieds en F air, presque sur., leurs genoux. Ce

contact les glaçait; on entendait le du~ de Nîmes grincerdes dents.

– « Et maintenant? » demanda Rudenty comme ils

atteignaient la placp de l'étoile.– « Il eût été étegant )), commença le dominical, « de

le porter en terre sainte. au cimetière du Nord: en

escaladant le mur de la rue de Maistre, nous l'aurions

ms~rc dans le caveau de quelque famille bourgeoise et

nous aurions fumé jusqu'au premier convoi avec lequelnous serions sortis. Mais la main est forcée par l'im-

prévu. Cacher le cadavre eût é~e bien, nous en débarras-

ser suffit. Que les filets de Saint-Cloud contiennent dans

quelques heures d'ici un cadavre nu dont l'identité ne

peut être établie, qu'est-ce que cela iait au prince de

Courtenay et à ses amis? La Nine, a cette heure, fait

son petit lavage en conscience, je vous jure. et nous. »

Le coupé arrivait au quai.« Attention, messieurs, je vous prie. Chez !a Niuc,

le cadavre nous accusait; ici, il nous convainc. Qu'un

municipal ait l'idée de venir regarder à la portière et

nous voilà assassins et aux travaux forcés à perpétuité.

Donc, attention et démaillotez. »

Tandis qu'il fouillait de l'œil la solitude des quais,

Page 369: Le Vice Supréme

LB VICE SUPRÊME

1ses deux acolytes ôtaient le drap au cadavre, sinistredans sa nudité.

« Au pas », commanda Tisselin à Talagrand quandle coupé atteignit le pont et il entr'ouvrit la portière degauche.

« Rudenty aux épaules, duc aux pieds et préparez-vous à un élan. Balancez. et vous lancerez au com-mandement de trois. Il tau) qu'il tombe sur la pentegazonnée de l'île aux Cygnes et roule dans l'eau sansbruit. »

« Une.. deux. » Tis~elin tenait la portière ou-verte. Et « Trois! M

Le cadavre jaillit de la voiture et passa le parapet.Il y eut un bruit sourd et amorti; quelques secondesaprès, un clapotement. Ils respirèrent, refermant la por-tière. Les six tours de roue pour quitter le pont leurparurent une heure. t

– « Trotte seulement M, commanda Tisselin en tou-chant au quai.

Ils se taisaient, pliant le drap, avec des mains éner-vées.

A l'avenue de Suffren, Tisselin sortit un cigare, criantà Talagrand

« Maintenant. dévale! »

Page 370: Le Vice Supréme

LI

L'AGONIE DE CORYSANDKË

Corysandro pleura le prince comme elle eût pleuré son

pète, crédule à la rupture d'anévrisme certifiée par

Pouancé. Elle s'étonna seulement que les lettres de faire-

part portassent muni des sacrements de l'Eglise; sa

candeur s'étonnait du mensonge même officieux qui per-

mit au père Alta de dire la messe de Requiem dans

Sainte-Clotilde toute blasonnée d'or aux trois tourteaux

de gueules posés deux et un; écarte des armes de

France, brisées d'une bordure e~re~ee de gueules.

Dans la voiture qui les ramenait du Père-Lachaise, Tis-

selin montra à Mérodack, aux faits divers du Gil Blas

« Hier, on a trouvé dans les filets de Saint-Cloud, le

cadavre nu -d'un homme ayant une blessure au cœur;

transporté à la Morgue, l'autopsie a prouvé qu'il avait

été tué d'un coup d'épée avant d'être dépouillé de ses

vêtements et jeté à la Seine; on n'a pu établir l'identité,

une enquête est ouverte. » Mérodack serra la main de

Tisselin.La douleur de Corysandre s'augmenta du vague effroi

des désordres physiques que son innocence ne s'expli-

quait pas.« Voulez-vous être ma femme? » l~i demanda Méro-

dack une semaine après la mort du prince.« Pourquoi cette méchante question? » fit-elle toute

confuse et rougissante.

Page 371: Le Vice Supréme

LE ~ICE SUPREME

« J'ai promis au prince de vous la poser n« Ah! » fit la jeune fille en puissant; et elle chan-cela.

« Ne m'en veuillez pas de mes hésitations, Cofv-sandre, je n'osais me commettre le soin de votrebonheur. Je ne suis pas comm( les autres hommes i'aD-partiens à des études sans fir. »

– « Quelle injustice de croire )), s'écria-t-elle, « queje veuille de vous autre chose que l'épouse chrétienneet que je m égale à la science c ans la part de vos heuresJe me donne à vous, Mérodack, je ne vous prends pas;je me donne simplement sans change; il suffit que vousm'acceptiez. H

Emu, le mage la baisa au front.

~Acceptonsles destins pensa-t-il. « Dieu a unevolonté en cette rencontre et me rendra en bénédiction 1fe temps et la force que me coûtera ce devoir M

Trois mois s'étaient écoulés depuis la mort du mar-qu.s de Donnereux et Mérodack hâtait le mariage tandisque par une pudeur charmante, Corysandre, sûre de sonbonheur, en retardait la consécration.

– « Restons lancés jusque ta fin du deuijH ? ppurla première fois elle s'en~tait.

Mér~dack dut exprimer sa formelle voionté et fairepubher !es bans. Corysandre passait i'pprès-midi chexMme de Montessuy, qui n'avait cessé d'être MHe deLbaramande que d~~puis un < A peme remise de cou-ches heureuses, elle ne tarissait p~ en détails étonaés surles péripéties du ~rand drame de la parturition. Ce qutattirait sa contemplation émerveillée de jeune mère quin'a pas tout à fait ce~é d'être une ieune ûUe, étaientles premiers trouves, les premiers symp~~es de sa fé-condité et devant l'attention de Cory~dr~ eUe preci.

Page 372: Le Vice Supréme

LE~tCÈSt~ÊaMs 3M

sai~ – dans don langage audacieux d'ingénue– ses sen-

sations.Tout à Coup, Gorysatidre pâlit àHreusëment, se If'va

toute droite comme si un fantôme eût apparu, et pc<is-6ant un grand cri, toinba raide.

En écoutant la jeune comtesse de Montëssuy, elle Ve-

nait de se découvrir tous les symptômes de là grossesseet le souvenir de son anreux réveil malgré les voiles

que Mérodack avait épaissis sur cet événement ~ndant

les deux longs sommeils magnétiques, ce souvenir s'était

dressé devant elle, lui révélant sa honte!

Ramenée à l'hôtel de Courtenay, elle s'enferma dans

sa chambre.

Qui t'eût vue s'emmitoufler de toutes ses iOtMrurea et

ensuite s'épuiser à soulever les meubles, l'eût crue Mie.

Quand elle fut inondée de sueur, la nuit était venue

très noire, elle se mit nue et ouvrit la fenêtre toute

grande.Des frissons coururent sur ce corps de vierge en sueuril

les dents s'entrechoquaient et une toux soulevait sea

jeunes seins. Elle resta ainsi plusieurs minutes. Alors

elle ferma la fenêtre, se couvrit d'un peignoir et s'age"nouillant à son prie-Dieu

– « Sainte Vierge, pardonnez-moi ce que je viens dé

faire Pourquoi avez-vous permis qu'on me profanât? )<

Et cette âme d'ange ne se repentait pas, prise d'ùnû

colère d'agneau devant cette fatalité qui la souillait.

– « Comment ?, lui disait lé lendemam Merodàck,« être malade à là veille de notre bonheur! et il sortit

avec Pouanoe.

– h Perdue! ))Gt celui-ci, h ùhe nuxion ~e poitrine Oît

l'on ne peut rien. »Mérbdack rentra dans la chambre avec le P. Alta.

Page 373: Le Vice Supréme

370 LE VICE SUPRÊME

– « Sortez, Mérodack », dit-elle, « je vais me confes-ser. »

« Monfrère », disait le dominicain en quittant Cory-sandre, « elle a permis qi~ je vous révélasse hors'dela confession le secret de na mort la jeune dame de

Montessuy lui racontant sa grossesse, elle reconnutqu'elle aussi. et se souvenant d'un épouvantable réveild'il y a trois mois, elle se vit -violée, et incapable desurvivre. elle s'est exposée en sueur à l'air du soir.. »

« Vanité de la sciencel » s'écria Mérodack, « ne

pouvoir ni prévoir ni prévenir! », et il s'affaissa et s'ab-sorba dans une immobilité de douleur.

« Corysandre », cria-t-il en courant vers la malade:« Vous m'avez tué le cœur, je savais tout et je ne vousen aimais que davantage. »

– « Vous êtes bon autant que grand, mais je ne pou-vais plus vivre après cela », et elle pleura.

Transportée dans la chambre du prince, cette suicidéefut couchée dans le grand lit où un suicidé avait dormiles premières heures de sa mort

« La tombe et vous deux » disait-elle d'une voixaffaiblie », personne autre ne saura; et Dieu me par-donnera, n'est-ce pas mon père? Mérodack, je puis vousle dire, maintenant que je vais mourir, oh! je vous aibien aimé; et ~e vous aime plus encore et mieux. Serai-je punie de ne pas survivre à ma pureté? Je prierai, là-haut, pour que vous deveniez très savant en cette sciencede magie que vous me préférez. Cela vaut mieux pourvous que je meure, j'aurais embarrassé votre vie. Oh!1ne dites pas non, vous n'avez voulu de moi que quandj'ai été seule et souillée. Ne pleurez pas, surtout; voslarmes, à vous semblent de sang. Je vous ai bienassez donné de chagrin, car je sais maintenant que vous

Page 374: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 371

Il

~~n.. u_ T\navez commis un crime pour me venger. Dieu nous par-donnera à tous les deux, n'est-ce pas, mon père? »

Mérodack tenta un miracle magnétique, mais troublé,désespéré, il échoua.

Corysandre reçut le viatique avec une onction de

sainte, en présence des dominicaux qui pleuraient 1« Mérodack », dit-elle d'une voix éteinte, « dès que

je serai morte, vous ferez sortir tout le monde, vousvous enfermerez et vous me ferez la dernière toilette. »

« Je vous le jure », dit Mérodack, les larmes résor-bées.

Elle fit apporter et disposer sur les meubles, la robe,la chemise, les bas qu'elle devait mettre pour les vers.

– « Ce n'est pas tout, Mérodack. Quand on apporterale cercueil. oh! qu'il soit capitonné c'est si dur lebois! vous resterez seul et vous me clouerez dans labière.

Puis elle s'assoupit une heure et se réveilla dans une

agonie douce, qui souriait à des visions de paradis. Ledélire la prit tout de suite, un délire d'Ophélie presqueenfantin.

Le P. Alta agenouillé récitait les prières des agoni-sants.

Tout à coup, des frissons coururent sous les draps,ses mains charmantes se crispèrent avec le mouvementde ramener la terre sur soi; elle ferma ses pouces, sa

poitrine chaste se souleva et elle rendit l'âme sous lebaiser de la mort qui la violait une seconde fois dansson âge et sa beauté.

Mérodack fit seul la dernière toilette de sa fiancée..8\8.

On apporta la bière, une bière d'ébène capitonnée desatin blanc et faite en un jour et une nuit pour unesomme presque folle. Fidèle à son serment, Mérodack

Page 375: Le Vice Supréme

372 Lt! VtCiS SUPRÊME

s'entérina pour mettre au cercueil. cette morte dont le

secret était caché dans son cœur d'initié qui ne parle

jamais, et dans le cœur du moine, où un Léthe inces-

sant efface tout ce qu'on y verse. Il coucha pieusement

Corysandre dans sa jolie boîte. Elle souriait comme la

sainte que les anges de Bemardino Luini emportent au

ciel.

Résolument, il rabattit le couvercle et enfonça un clou;

mais une étrange hallucinaLion s'empara de ce mage

dont toute l'humanité était hu cœur. A chaque coup de

marteau, il croyait entendre Corysandre gémir. Plu-

sieurs fois, il arracha les cl<;us déjà enfoncés et rouvrit

le cercueil; il se remémorait des exemples de catalepsie,

il avait peur de l'enterrer vivante!

Alors ouvrant la porte du salon où étaient les domi- w

nicaux 1

« Saint-Meen », cria-t-il d'une voix égarée, et ~1 (

l'endormit et le magnétisé dit qu'elle était bien morte.

I! réveilla le poète et s'enferma de nouveau.

Les dominicaux tressaillaient d'entendre ces coups de

marteau qui pleuraient; ils cessèrent. Au bout d'un

instant de silence, Rudenty, d'un fohnidable coup

d'épaule, força la porte.A côté du cercueil cloué, Merodack gisait, si pâle, qu'il

semblait mort.

« Oh! J) fit Pouancé qui lui mouillait les tempes, et

il montra dans la noire chevelure du m.age des cheveux

soudainement blanchie qui luisaient.

Page 376: Le Vice Supréme

LU

L'INTERDICTION

La femme, – ce faible d'esprit, – a toujours le vouloir

despotique et irraisonné. Elle s'irrite devant ce qui résis-te, et on prend cette colère pour de 1~ force. HallucinéeJe nature et surtout dans l'amour, sa vocation, elle ne

résiste pas au double attrait de l'impossible dans le

crime. ~'autant plus curieuse qu'elle es~ ignorante,pleine de remuements organiques et moraux qui se cro~sent et s'enchevêtrent, elle met dans la passion, au ser-

vice de son désir, une force folle et redoutable.Si la princesse d'Este e~t connu le breuvage qui rendit

Césonie maitresse de Caligula, elle l'eût employé; sans

dégoût aux rites infernaux de Sagane, commettant sesmains aux étranges cuisines de Canidie, elle eût même

ëgoi'gé le chevreau pour posséder ce moine, qu'elle ne

pouvait ni étonner, ni indigner, ni troubler, et qui, sanscolère et du pied, l'avait poussée commeun caillou, horsde son chemin. Le phosphore do l'Aphrodisie illuminaitsa pensée, et brûlait ses reins. Impuissante, l'Italiennetrouva ce qui meurtrirait cette invulnérabilité à cetapôtre, l'interdit.

Demeurée en relations épistolaires avec le vieux car-dinal Pallavicini qui avait envoyé Sarkis au duc Torelli,elle lui manda une lettre perQde

– M Votre Eminence ne saurait se figurer la per-versité de ce moine q~i est beau et qui se sert de sa

Page 377: Le Vice Supréme

374 LE V2CE SUPRÊME

beauté pour attirer les pénitentes; qui est éloquent etqui emploie son éloquence à troubler les âmes. Il séduitau nom de Dieu, au nom de l'évangile il sème la concu-piscence; c'est un ensorceleur de !aïcs comme UrbainGrandier était un charmeur de religieuses. J'ai vu, j'aioui un dominicain exciter les sens de son auditoire, àNotre-Dame. Son premier sermon sur l'esprit de luxurefrisait Pétrone et Martial il conclu que la chasteté dela femme honnête était pire que toute incontinence. Ce

qui est une excitation au vice et une apologie des cour-tisanes. »

« Quant au confesseur, il va à domicile donner l'abso-lution d'ordinaire, il trousse ses pénitentes et pour péni-tence, les fouette. A la dépravation de ses sens, s'ajouteune intolérance incroyable, il traite les catholiques d'im-béciles, d'inertes; lui ne l'est point, à voir la rougeur set le trouble de ses pénitentes. Un pareil moine, à Pariset si en vue, me peine pour l'Eglise à laquelle je suisattachée, malgré ma tiédeur présente. »

Le cardinal Pallavicini crut sottement à ces calom-nies et s'informa à l'archevêque qui répondit

– « Le T. R. P. Alta est un moine singulier d'uneindépendance extrême. On l'a vu en froc, à deux heuresdu matin. Mais d'ordinaire, il ne sort point que poursa messe. Il y a quelque temps, il était en Russie 1 le tzarl'a reçu, parait-il, et ils ont longuement parlé de laréconciliation de l'Eglîse grecque. Sa véhémence contrela « bêtise Hcatholique mécontente tout le monde et ré-jouit nos ennemis. Beaucoup de ses pénitentes parlentmal de lui, à cause de sa sévérité sans doute. J'ai retardéjusqu'à ce jour une retraite qu'il voulait prêcher au cler-gé de Paris, il y aurait cassé vitres et vitraux. Que dire àVotre Emmenée? Je crois à la pureté de ses intentions,

Page 378: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 375j1

je suis certain que sa manière est mauvaise et m'abstiensde le juger plus à fond. »

Le cardinal trouva une concordance suffisante entre lalettre de la princesse et celle de l'archevêque qu'il priad'autoriser la conférence au clergé de Paris, pour mieuxéclaircir le cas.

Soit qu'il défiât l'animosité, soit qu'il obéît à saconscience apostolique, le Père Alta fut plus formidableencore.

Il accusa non seulement le clergé dans ses vices, maisaussi dans ses ridicules et ses incapacités

«Le geste, le ton, l'allure du prêtre sont des méritesou des péchés, des exhortations muettes ou des sujetsd'éloignement de l'Eglise pour les laïcs. Je n'admets

pas qu'un prêtre rie, quand l'Eglise pleure et que lesraces latines agonisent. Ils sont de mauvais prêtres,ceux qui ne portent pas avec onction la livrée de l'Evan-

gile. Nous qui combattons le monde, nous osons lui res-sembler. »

« Sur notre robe, soutane ou froc, les vertus ne sevoient pas, car on sait qu'elles doivent en être la trame

même, mais le vice y fait une tache éclatante, et voussavez que les hommes fourbes concluent de l'indignitédu prêtre, à la vanité du dogme. A voir toutes lesvertus, ce n'est que la moitié de l'apôtre; l'autre est deles créer dans le prochain. Il suffit aux laïcs de faireleur salut, mais nous ne nous sauverons que si nous sau-vons nos frères. Cette charge d'âme est l'obligationd'être aimanté'de vertu, au point que le prochain en

prenne à notre contact et ainsi attiré, le conduise ausalut par l'exhortation et l'exemple. »

Puis il revint à son texte, le Voe pastoribus d'Ezé-chiel

« Le verbe du Seigneur s'est manifesté, me disant

Page 379: Le Vice Supréme

~7<? 1~ V~C~SUP~ÊB~E

FHs de l'homme, prophétise sur les pasteurs d'Israël;prophétise et dis aux pasteurs « Malédiction sur l$spasteurs qui se repaissent tandis que mes brebis nepassent point. Mes brebis sont dispersées, parce que lepasteur n'était pas ~à et elles sont Uvrees la dévora-tion de toutes les bêtes des champs. »

« Elles Qnt erré, mes breb s, sur tou~ ~esmonts et partoute ta ferre; et personne, vous dis-~e, personne ne ~scherchait. »

je, jpef$o.ge ne les

~ous prQc;amon~ ~~en haut toute-puissance deDieu pour nous épargner des enorts. Les portes de t'En-fer np prévaudront point contre elle, mais elles prévau-drpnt contre nous. Le mir~le, direz-vous, Dieu n'enfait pas pour les inertes, et Fhistoire la main, je vouscort~e oue tout clergé, toute caste sacerdotale cathoUqueou païenne n'a régné sur une civilisation qu'en en pre-nant la tête; et tant que nous ne serons pas les mieiMeurskde coeur, les plus grande d'oeuvres, tant ou'U y aura unlaïc plus saint ou plus savant que nous, nom seronsconspués et ce sera justice. »

Méduses et (urieux d~ t'être, tes auditeurs sortn'entpteuis de fiel. Son Em~nence eUe-m~me manda le domi-nicain et le morigéna

Celui-ci répondit en tatin avec tranquillité« Le Verbe de Dieu s'est manifesté, me disant u~ de

l'homme, d~ aux pasteurs d'Israël Malédiction surceux qui se repaissent et ne font point paître leurs bre-bis. ?

Le clergé qui a t'impudeur de s'abriter derrière le,dogme, considéra le moine comme un néau de l'Eglise,quand par une rencontre inexplicable, que la princesseaurait pu expliquer, des fragments sténographiés etdéfigures de la conférence, parurent dans les journauxrouges. Son Eminence, harcelée, écrivit à Rome qu'on le,

Page 380: Le Vice Supréme

LE VICE 9UPRÊME 377

délivrât de ce fâcheux sermonaire. Le cardinal Pallavi-cini se prit d'un zèle ardent et manda à la princesse« Que votre Altesse découvre une infraction au DroitCanon, et ce mauvais pasteur sera retranché d'entre lespasteurs, suivant son expression. 1)

La princesse d'Este n'~ai~ pas convaincue de la rup-ture d'anévrisme qui avait tué Courtenay, et interro-geant Antar, sur qui elle avait grand empire, elle fitavouer le suicide de celui qu'elle appelait son cousin.P~mandan~ à Sarips la fameuse Somme des péchés, elle~a l'ut presque en entier et découvrit un décret du Con-çue de Trente, donnant comme neuyieïne cas d'interdit« Ceux qui admettent à la sépulture les suicidés. » Or lePère Alta avait dit la messe de Requiem et donné!'absoute à la mort du prince de Courtenay! l

Page 381: Le Vice Supréme

Lïïï

SOMMArION

Dans la pauvre chambre oit Mérodack était venu direà son anxiété « Vous êtes un grand psychologue et un

digne moine », le Père Alta réfléchissait, entouré d'in-folios ces livres nobles entre tous les livres.

« Entrez », fit-il à un frappement, sans lever latête. La porte s'ouvrit dans un bruissement de soie, etun parfum entra qui s'empara de l'air humide.

Sûre de l'interdiction, la princesse d'Este venait re-t

paître son orgueil et doubler sa vengeance. Elle venaitoffrir au moine de désarmer sa haine, si le moine désar-mait sa chasteté; elle voulait qu'il prévariquât par amourde Dieu, qu'il péchât par dévouement à l'Eglise. « Ou-vre-moi tes bras à moi que tu hais, afin que je ne t'arra-che pas de ceux de l'Eglise que tu aimes. » C'était sibfau de mal, de le souiller et de le perdre à la fois,qu'elle eût vendu son âme au démon pour le convaincre.Acheter la possession d'un être à ce prix que nul nevaut, c'est aimer si follement, que la passion sembles'ennoblir à devenir ainsi monstrueuse. A se retrouverdevant le moine, elle sentit la double secousse de sesdéfaites, le dédain du confessionnal et le mépris duboudoir.

« Mon Révérend M, dit-elle, « je tiens toujoursmes promesses, j'ai un peu tardé pour celles que je vous

Page 382: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 379

ai faites, patientez quelques jours, elles auront pleineffet. »

Le moine ne répondit pas, et la princesse alla prendrecontre le mur une chaise de paille et s'assit à la table

s'y accoudant.

;– « Je vcus ai promis », continua-t-elle en soutenantson menton de ses mains jointes, « de faire mentir votre

nom, et en effet, vous êtes interdit. »Elle lança ce mot d'une voix si venimeuse qu'Alla ne

put douter que ce fût réel, et il tressaillit« Ahl » fit-elle joyeuse et battant des mains, « j'ai

frappé votre talon, et si bien, que ide longtemps vousne marcherez dans la voie de Dieu. »

« Que sa volonté s'accomplisse », murmura lemoine d'une voix altérée.

La princesse se mit à rire nerveusement.« Ce n'est pas la volonté de Dieu qui s'accomplit,

c'est la mienne, que dis-je, la vôtre, puisque vous aviezle choix, vous avez préféré. »

–~ « On ne préfère pas l'une des deux choses égale-ment indifférentes )), dit-il durement.

Le terrible silence, aux palpitations fébriles, à la res-

piration angoisseuse, à la sueur froide, à la pensée éga-rée, aux nerfs souffrants, le terrible silence du confes-sionnal enveloppa ce face à face.

Le moine regardait une fleur safranée de la tapisseriegondolante sous le suintement du mur, tandis quel'haleine de la princesse lui venait au visage.

– « Si vous n'aviez qu'un mot à dire pour éviterl'interdit, le diriez-vous? » demanda-t-elle.

– « Ce mot serait de ceux qui m'interdiraient pourl'éternité! H

– « Traitons! Mfit-elle brusquement, et elle tendit une

Page 383: Le Vice Supréme

380 LN V!CB! SUP~&m

main que le moine ne prit pas et qu'elle ne put retirersans une rougeur.

– « Supposons », reprit-elle, « que le pouvoir tempo.rel dépende du vouloir d'uae reine et qu'elle d~se ucmoine « Viens dans mon 11, et le Pape. restera à Rome,que lui

répondriez-vous?))

– « Qu elle ment! )) dit h moine, étonné de la perver-sité de cette attaque, « qu'elle ne tiendra pas la promessequ'elle fait, et que ~ome sen perdue et la vertu du moineaussi. »

– « Mais », fit-elle furieuse, d'être devinée », si autemps des persécutions, ure impératrice eût dit à unmoine « Sois mon amant, et je reconnais ta religion, reli-gion d'Etat. Qu'aurait-il dû? »

« Se taire », dit fortement le moine, « car il n'y aqu'une insensée pour croire que l'œuvre de Dieu puissese faire par 1e péché! » o

« Ah: » s'écria-t-elle exaspérée; « vous n'aimez pasDieu, moine: Un courtisan sert mieux son roi. Moi, quevous méprisez, je ne craindrais pas la damnation pourvuqu'elle profitât à celui que j'aimerais. Vous ne voyezque votre salut en égoïste. Un baiser, vous ne le donne-riez pas pour éviter à cette religion que vous dites aimer,un scandale qui ébranlera des milliers de croyants!))

Soudain le moine se leva et marcha vers elle, nouveauet magniûque.

« Ce baiser », s'écria.t-il, en l'écrasant d'un regard,« ce baiser, si je vous l'offrais, vous n'oseriez pas le pren-dre.))

Il la regarda avec un défi frémissant! Eblouie de cettetransfiguration, eile avait joint les mains en une extase.

– « Oh' je deviendrai sainte pour vous plaire », mur-mura-t-elle d'une voix douce et dans l'attitude ravied'une pieuse fille à qui l'archange Michel apparattrait.

Page 384: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 381

1!sfTIIPTYILPiIt. f. Il> ravnnnnmnni Wt rnn1r.n e ~6iniMais, brusquement, le rayonnement du moine s'étei-

gnit ses joues redevinrent pâles, son regard mat, sonattitude froide, il se rassit et d'un geste la congédia.

Ce geste, cet ordre au sortir de cet éblouissement, lafirent chanceler et pâlir affreusement.

– « Moine! » cria-t-elle, « on peut s'avouer vaincue,

quand on a été la rivale de Dieu! Je te laisse ceci à mé-diter tu n'as pas péché, mais tu as été l'occasion du

Sacrilège et tu seras celle du Scandale! »

Page 385: Le Vice Supréme
Page 386: Le Vice Supréme

ÉPILOGUE

A longs pas de ses jambes maigres, le rabbin Sichem

se promenait dans la grande salle. Les pans de sa douil-

lette s'ouvraient et s'agitaient en ailes de chauve-souris;.

les bras croisés, il semblait un halakiste méditant une

décision talmudique.Haut et droit comme un cèdre, sa maigreur parchemi-

née de momie rehaussait une vitalité inquiétante chez

un vieillard. De son bonnet de laine rouge à la Buona-

~otti, ses cheveux blancs sortaient en mèches plates, et

sa barbe d'argent brillait comme le pectoral d'un Cohen

hagadog. Le nez de sa race était moins d'aigle que ses

yeux dont le regard semblait prendre aux hommes et

aux choses leur secret. Un pli ironique des lèvres com-

pliquait d'un accent de modernité, cette physionomiede Gamaliel ou d'Akiba.

Il allait et venait; à son front les seuls plis de l'habi-

tude et de l'âge. On venait de le masser, cela lui tenait

lieu d'exercice corporel, car ce rabbin à qui la kabbale

avait prouvé l'Evangile, ne sortait que le dimanche pourune messe basse.

A trente ans, Sichem avait quitté la synagogue de

Strasbourg, disant « Je vais là, d'où les Mages sont

venus. » Il ne revitl'Occident qu'en sa soixante-dixième

année et vint se cacher &Paris, ce désert fait de multi-

tude.

Depuis cinq ans, il habitait la maison portant le nu-

méro 33 du boulevard de Port-Royal, avec deux somnam-

bules maronites qui ne sortaient jamais, et une vieille

Page 387: Le Vice Supréme

384 LE VICE SUPREME

juive française qui le servait. Nul ne franchissait le pre-mier étage de cette maison banale d'aspect – derniersanctuaire hermétique de l'Occident.

Par la loi des attractions proportionnelles aux desti-nées, Mérodack devait fatalement rencontrer Sichem.

Le jeune Mage se trouva i;n dimanche entendre lamesse à Saint-Jacqùes-du-Haut-Pas; la vue du rabbin,sa façon de se signer, le frappèrent. Il le suivit à la sottieet l'aborda par l'énoncé du Grand Arcane. Sichem futplus étonné qu'il n'avait été te sa vie, et se prit toutde suite d'amitié pour ce prédestiné qui Avait, avantl'âge de l'initiation, rompu les s''pt sceaux du tiVre. Méro-dack amena le P. Alta che~ le rabbin; et ces trois hdm~mes d'une supériorité Inexprimable, eurent d'extraordi-naires entretiens, où le moine demanda des moyens pourhâter le règne de Dieu, tândis qUë lé rabbin infusaitde s'intéresser à la vie sociale qui lui aurait prit, tt~aarien lui apporter en échange, ses heures, ses forces et lécalme de ses contemplations.

La salle où se trouvait le rabbin, occupait tout te pré-'mier étage. Etonnement pour qui y eût pénétré ni tour'neau, ni matras, ni cornue dans ce laboratoire Desvitrines de pierres gnostiques, des cylindres sumériens}des glaphites mystérieux; des panoplies de vergerd'Aaron, de fourches dé coudrier, d'épeeA évocatoire;des armoires d'abraxas et des bibliothèques où tenaittout l'oeuvre occulte depuis le plus lointain dés ihcuha.blés jusqu'aux rituels d'Eliphas Lévi. Lés Séph~rs, 1~Targumin, les talmuds, les Grimoires et les Clavi~ul~étaient là, avec les livres des Mystères d'EIkana quel'on croyait perdus. Des papyrus des peaux d'onagreburinées au stylet, des lamés dê pierres précieuses cou-vertes de hiérogrammes étaient sous verre musée @tbibliothèque du hiéroglyphe et du mystère.

Page 388: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 385

Mérôdack entra– « Maître », fit-il, « le Père Alta va être interdit.. »– « Qui s'est emparé de son ascendant? » demanda le

rabbin.– « La princesse d'Este qui l'aime et ~ui est venue

lui faire cette. étran sommation « Ven~z dans mongiron, ou bien je vous arracherai du giron .de l'Eglise. ?Et Sarkis qui sort de chez moi, m'a dit « Vous avezbien prédit que je n'occupais pas le port; je pars avecla princesse pour l'Egyptel Veut-elle dépayser sa passionrepoussée, ou bien chercher cette magie dont vous l'avezéblouie, pour revenir avec d'invincibles charmes etd'infaillibles sortilèges?

« Si les passions modernes savaient la magie, onverrait encore tomber le feu du ciel. Gomorrhe, la ville'de la rébellion, n'a si singulièrement péri, que parce

que les gomorrhéens avaient fait servir a leurs passionsles grands arcanes occultes. Ces poètes d'aujourd'hui,

idolâtres de la Démence, tomberaient à genoux devant laPerversité orientale, s'ils savaient à quelle intensité deMal, arrivèrent ces homme qui enflammèrent l'air même

qu'ils respiraient, du flamboiement de leurs crimes. Ceque la passion dévore laisse des cendres de phénix, etl'avenir appartient aux pays du seleil. Quand je contem-ple le monde moderne, dans son indifférence théologi-que, dans son activité seulement industrielle, moi, lejuif, je regrette le bûcher. L'autodafé, même criminel,prouve la foi d<~ bourreaux et lu foi des victimes; orla foi est le levier qui fait l'œuvre de Dieu. Tu t'éton-nes de m'entendre préconiser la passion comme un poètehalluciné; c'est que je parle ici pour la canaille humai-ne. A nous les mitiez qui savons les îois, l'idée! à tousceux qui obéissent aux instincts sexuels, le sentiment!La passion est une roue qui tourne à senestre dans 18

Page 389: Le Vice Supréme

386 LE VICE SUPREME

mal; imbécillité de l'arrêter. 11 faut la faire tournerà dextre, dans le bien. C'est la roue du Tarot c'est

le cœur de l'homme. On l'a arrêtée! On a fait des

culs-de-jatte, de peur qu ils ne fissent usage mauvaisde leurs membres. Toi qui rêves, comme Alta, de régé-nération chauffe les passions à blan~; le feu purifieou consume, et l'incendie d'une société a sa grandeur;tandis que ce monde moderne que tu aimes, jeuneque tu es, s'en ira, avec l'imperceptible gargouillisd'un robinet qui s'égoutte ou le susurrement d'unballon qui crève. Oh! l'imbécillité moderne! ils re-

trouvent la dynamite et'Ia panclastite et ils le publient.Les Thugs occidentaux, les nihilistes peuvent, en trois

minutes, lancer dans les airs et Louvres et bibliothè-

ques! Je ne veux rester ni à Paris, ni en France,ville et pays de fous dangereux, non seulement en liber-

té, mais au pouvoir. Dès que j'aurai fait assez de dia-mant pour réaliser mon dessein, je vais au Liban, j'yconstruis un palais cubique, et j'attends là l'appel de

Dieu, loin de l'Occident en démence et de la France

perdue! »Mérodack avait la pensée ailleurs.

« Je vous ai raconté », fit-il, « le viol et la mort de

Corysandre. L'autre jour je promenais la lucidité d'Adèlecomme une lampe sur les points obscurs de cet affreux

drame, et comme je lui indiquais Pouancé sans inten-

tion, elle s'écria « C'est lui qui a fourni le narcotiquepour la demoiselle blonde. Je cours chez le docteur, jel'interroge il répond avec sa franchise cynique. Certes,

je l'eusse puni, en lui révélant daM quelle scélératesseil avait trempé; mais pour lui mettre à l'âme un remords

vengeur, je ne pouvais pas violer le secret de cette pauvreviolée. ?

– « Voilà un bel exemplaire de ces Dominicaux, tes

Page 390: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME 387

alliés! Que gagnes-tu à t'écarteler un pied dans la luttesociale, l'acre dans l'hermétisme? »

« Je fais l'éducation de ma volonté. »Le rabbin leva les épaules

« Tu aimes le bien, mais tu as la curiosité du mal.Toi aussi, comme tous, tu subis le prestige de l'Activitédu Mal. Plus il y a intensité de vie, plus forte estl'attraction, et la vertu étant inerte, le vice seul agissantse revêt d'un prestige qui perd les modernes par des fan-tasmagories byroniennes. »

« J'accepte l'accusation », dit Mérodack, « maisvotre suprême indifférence, vous qui avez la suprêmescience, n'est-elle pas coupable?))

« Enfant M fit le rabbin. M Est-ce que Trithèmes'est mêlé à l'œuvre sociale, et son élève Agrippa qu'a-t-Hproduit à vouloir vulgariser? Raymond Lulle, malgré sesefforts, a-t-il inHué sur les événements de son temps?PEnfin, Guillaume Postel, qu'a-t-il ouvert avec sa C7e/ deschoses cachées qu'il envoya aux Pères du Concile deTrente Ne sais-tu pas que le Mage, tout puissant sur

l'individu, n'a d'action sur un peuple que s'il est lecentre d'un faisceau de volontés pures,, d'une chatne

magnétique. Forme une série de trois mille volontés

saintes, voulant, par delà la Mort; et j'enraye la déca-dence latine. Tu ne les trouverais que dans les cloîtreset imparfaites. Les moines d'aujourd'hui ne savent queprier; ils font beaucoup, puisque leurs prières équili-brent les blasphèmes; mais étayer, empêcher de tomber,n'est pas redresser. Contre l'épée du mal, le bien n'a

pas d'épée. La vertu ne sait pas être offensive. »On frappa, sans que Mérc'dack, pensif, tournât la tête

et que Sichem arrêtât sa piomenade; ils savaient qu'unseul être pouvait entrer ain:i.

M~is le jeune homme poussa une exclamation

Page 391: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊME

Le Père Alta était en costume laic et de voyage, gardantdans sa tenue mondaine une lenteur d'allure grandiose« Oh! )) fit le rabbin, « contre cette Jézabel, il fautle volt de Jéhou 1 »

– « Le mal peut donc réduire le bien à l'impairsance » s'exclama Mérodack en pressant la main dumoine dans les siennes.

« Oui », dit Sichem, « si le mal est offensif, et lebien seulement défensif. Vous croyez, Alta, que la sain-teté suffit, et la conformité à la marche des choses, qu'onappelle affreusement Providence. Demandez à l'Indece que lui a valu cette conception l'occupation anglaise.Mais par quelles calomnies cette princesse. ))

« D'abord, ma conférence au clergé de Paris .a faitéclater un toile terrible. On m'en a voulu à mort deréciter de l'Ezéchïel; mes mots inertie catholique imbé-kcillité catholique, ma violence contre l'aristocratie, tout

1

mon enseignement enfin a fourni griff sur grief. La prin-cesse s'est emparée de ce mécontentement public, calom-niant ma vie privée, m'attribuant autant de prévari-cations que de pénitences. Quant à la raison canonique,et il regarda Mérodack, ce serait la messe de Requiemque j'ai dite pour un suicidé. »

« C'est dont moi qui serais cause. » lit le jeunehomme consterné.

« Mon frère! » dit le moine, « je comprends quevous ne m'ayez rien dit. N'ai-je pas prononcé aussi lab-soute d'une suicidée? »

Mérodack pâlit comme il pâlissait à l'évocation de ceioux fantôme. Il aimait peut-être Corysandre depuisqu'elle était mortel

– « L'interdit n'est que suspendu sur ma tête »,ajouta le P. Alla; « je pars cette nuit pour Rome, et dèsque le pape m'aura vu et entendu, je serai sauf. »

Page 392: Le Vice Supréme

LE VICE SUPRÊMR 389

« Moi, qui ne compatis guère, je vous plains », ditle rabbin au moine.

– « Qu'est-ce que l'accident d'un juste méconnu au-près de la chrétienté entière qui méconnaît la justicemême? Pour qui pressent le demain d'aujourd'hui, touteinfortune individuelle s'annihile devant la grande infor-tune latine a

– « Vous êtes latin Alta », dit le kat'balistc.– « Je le suis d'âme; et ne le serais-je pas que je

me prendrais du même effroi, en voyant cette race bien-aimée de l'Eglise courir à toutes les morts. Ah! le con-fesseur seul peut mesurer, par l'indignité des pénitents,ce qu'est devenue la grande prévarication occidentale) »

– « L'Occident, l'Occident nie Dieu )) s'écria Sichem,« et nier Dieu, c'est appeler la mort et proclamer le né&nt:Il y a un équilibre moral et métaphysique nécessaire àl'existence des sociétés. Le jour où le Verbe humaintémoigne de moins de vMés que d'erreurs, où les égoïs-mes l'emportent sur les charités, où il y a plus de gensau lupanar qu'à l'église, ce jour-là la loi d'équilibre mé-taphysique qu'on appelle poétiquement Providence faitjustice c'un peuple. Piques des légionnaires, lancesd'Attih, fusils des Teutons, une armée qui ne vaut pasmieux, et qui aura son tour, arrive et sème du sel surlee ruines de cette nation dont les têtes furent des so-domes. »

H y eut un silence, plein de pensées.« L'antipsychisme devient le caractère même de

la pensée latine dit MéroJack. aDn viole des conoepta,on les viole ù re~o; les mystiques de notre temps sont lespervers; les croyants, les superstitieux; les vertueux, lesinertes. On rit de la présence réelle dans l'Eucharistie,mais l'on croit à celle des esprits dans les tables et l'onpasse du droit divin du roi au droit divin du peuple, et

Page 393: Le Vice Supréme

390 LE VICE SUPRÊME

de l'injustice de l'aristocratie de race à l'ignominie de

l'aristocratie de Bourse. »

Ils s'étaient assis; le rabbin, près du tableau noir, 1

maniant un crayon phosphoré; c'était son habitude de

méditer dans l'obscurité et d'écrire en signes lumineux

la formule hermétique qu'il voulait approfondir.

Accoudé et le menton dans sa main, le P. Alta regar-

dait, avec la fixité extérieure du regard tourné au-dedans

de ~oi, une peau d'onagre sous verre, toute constellée

de pentacles. Mérodack, sur un escabeau, les coudes

aux genoux, les mains disparues dans sa chevelure de

Samson fronçait les sourcils dans une extrême con-

tention d'esprit.Les derniers rayons d'un pâle soleil, par instants obs-

curci, rampaient sur les vitres dépolies. La mélancolie w

de ce soleil sans chaleur et sans éclat, qui défaillait,

augmentait la mélancolie de ces esprits, penchés sur un

monde désorbité et qui, lui aussi, sans chaleur et sans

éclat, défaillait à l'histoire et s'en allait, décroissant,

décadent, à un effacement plein d'ombre épeurante.« Tu parlais d'antiphysisme, Mérodack, mais tu ne

le voyais que dans les mœurs; il est dans les institutions

et là, pire. L'état de République est un état social

antiphysique. Diffuse, l'autorité se perd; anonyme, le

pouvoir devient lâche et honteux. Il faut l'unité de com-

mandement, et l'individualisme politique se constate,

l'histoire à la main, comme une nécessité. Oht la Répu-

blique s'est jugée par les mots de sa devise qui renfer-

ment trois propositions contre nature la liberté, c'est

la négation du devoir; l'égalité, c'est la négation de la

justice; la fraternité, c'est la négation de l'égoïsme, et

l'Etat n'a pas le droit de la demander. Ces trois mots

que les catholiques ont eu la lâcheté, ajoutée à tant

d'autres, de laisser écrire au fronton des églises, sont

Page 394: Le Vice Supréme

LE VICE SUPREME 391

trois affreux blasphèmes contre le Saint-Esprit, Alta,Le vrai nom de liberté, c'est DEVOIR; le vrai nom

d'égalité, c'est HIERARCHIE; le vrai nom de éternité,c'est CHARITË; et tant que ces trois vérités ne seront

pas écrites à la place de ces trois impostures, il n'y aura

aucun espoir de salut; et si ces trois impostures demeu-

rent encore un temps, au mépris de ces trois vérités, la

loi transgressée anéantira les trangresseurs et jusqu'auxlieux de la transgression! ?

« Un peuple ne se repent, ni un torrent ne refluel »

dit le moine. « es latins ne peuvent pas plus remettre

les vérités de leur passé dans leurs cerveaux énervés, queles armures d'autrefois sur leurs corps appauvris. »

– « Qu'espérer d'une époque qui ne punit pas les

crimes de l'esprit? » dit Mérodack. « On peut empoison-ner la pensée d'un peuple sans être inquiété. Nul ne flétrit

ces cabinets de philosophes allemands, latrines de l'idée,d'ou est sortie la pestilence athée, qui comme le crottin

de loup de la Goëtie répandu dans l'air, a affolé la plèbeet l'a faite septembriseuse, communarde, nihiliste. Tout

acte scélérat nâit d'une idée scélérate et la Révolution,cette anarchie physique, n'est que la réalisation de la

philosophie du xvnr* siècle, cette anarchie métaphysique! I

Quant à la République, c'est l'anarchie organisée de

i793, i87i et i880; il ne faut pas s'en prendre à la

plèbe, cette envoûtée, mais aux philosophes, ces envoû-

teurs La société a le même droit de défense et de répres-sion vis-à-vis de l'assassin et de l'athée. Le matérialisme

public est un attentat aux mœurs, car l'idée fait des

plaies plus profondes que le fer, et les idées allemandes

nous ont plus abaissé que les armes allemandes. Nous

sommes pestiférés d'Hégélisme. Incapables de protégernos frontières, nous n'avons pas mêrn? sauvé l'intégritéde nos concepts. Grâce aux Itenans, l'idée allemande qui

Page 395: Le Vice Supréme

392 LH VUCE SUPREME

n'est jamais qu'une stercorale éclosion de la Déforme

protestante, l'idée allemande nous envahit d'heure enheure et nul ne songe à. lui faire évacuer le livre et le cer-veau français. »

La nuit venait, amenant de longs silences qui cou-

paient, de leurs vagues angoisses, ces tirades de lugubrevaticination.

– « Cette corruption. de l'idée, c'est bien le Vice

Suprême! 1» dit. le moine, « et on la retrouve à touteminute du confessionnal dans l'inconscience des pécheursqui confondent tout le juste et l'injuste. Voler pourl'industriel, flirter pour la femme honnête, forniquer pourl'homme, paraissent des besoins qui seraient des droits.

Hormis l'adultère physique, la femme mariée regardetout ccmme véniel et anodin, et pour peu que le confes-

scur ait la sévérité qu'it doit, le pécheur est près de

renoncer au Sacrement. Et quels péchés que les leurs! Du tcrime sans courage; du vice sans audace; de la luxure

sans plaisir; oui, sans plaisir! ?La nuit venait.

– « Dans le monceau des iniquités latines, je n'en

vois qu'une », reprit le moine, « l'iniquité des égrégores,

l'indignité des apotropéens », et mentalement il se frap-

pait la poitrine.« Moine, les mages vinrent adorer Jésus alors que j

les prêtres ignoraient sa naissance; ce sont les mages

qui feront arriver le règne de Dieu; mais sur cet avè-

nement on n'écrira pas per Franco~ ?(<Mage, savez-vous ce que c'est que la Commuilion

des saints? »« Oui, c'est le palladium qui sauve perpétuellement

l'humamté; mais savez-vous ce que c'est que la commu-

nion des perverse Ne voyez-vous pas autou? de vous le

r~gn~ de. l'Antéchrist P N'a-t-on pas arraché le cru-

Page 396: Le Vice Supréme

LB VICBSUPHÉBfB 393

Mt n~ ï'~rMM~h<WA-t-~n nna .~<~a T~~t~f~w* tacoiûx des écoles, ne rarrachera-t-on pas des prétoires; les

blasphèmes du peuple français ne sottillent-ils pas en troismots sacrilèges la façade d~s églises, la face de Jésus-Christ ? Le gouvernement ne souscrit-il pa-s à une Bible

pour rire? Ahl le Galiiéen fait un cercueil celui desraces latines elles pourront traîner une longue agonie,mais elles sont déjà mortes devant Dieu ))

– a Oh! » protesta le dominicain, « tout décourage-ment systématique est un crime, et le. désespoir le péchéde Judas! a

– « Quand Jérémie désespérait de Jérusalem, quandJésus pleurait sur elle, était-ce péché, ou clairvoyance?L'Eglise est éternelle, mais sa fille aînée va mourir demort suicide! ?

« Je veux espérer contre toute espérance! » s'écriale moine.

– « Espérer! quoi? » demanda Mérodack.– « Le miracle! » proféra le p~re Alta avec une grande

foi.– « Vous !'avez dit vous-même, Alta! Dieu ne fait pas

de miracle pour les inertes. », s'écria Sichem; et, vi-

vement levé, il écrivit du crayon phosphoré qu'il avaità la main, sur le tableau noir

FINIS LATINORVM

Dans la nuit absolue de la salle, les lettres fatidiques

l Savesçaient, et le regard de ces trois hommes recula etieur esprit s'effara en voyant écrite, comme avec du feu,leur désespérance.

Ils ne parlèrent plus, les yeux hypnotisés sur l'ins-

li

Page 397: Le Vice Supréme

394 LE VICESUPRÊME

criptioc qui peu à peu s'eCa~ait; et les dernières phos-phorescences s'évanouirent et la nuit absolue se re8t. Ils

voyaient toujours la terrible sentent qui leur brûlait lecœur.

Haletants, l'intelligence éperdue, ils se répétaient dansune indescriptible terreur mentale

FINIS LATINORVM

Page 398: Le Vice Supréme
Page 399: Le Vice Supréme
Page 400: Le Vice Supréme

TABLE DES CHAPITRES

Préface de Ju!es BARBEYd'AuREviLLTf. VII

1 FrontispiceII Place de la Seigneurie. ~6

III 'L'enfance d'une Héraclide. ~9

IV L'amant et l'amie. ~3

V Le confesseur. 49

VI Gaga. 54

VII Au pensionnat. 61

VIII Le prince Sigismond Malesta. 66

IX Du même.X Veuvage. 82

XI Le rêve d'un pèche. S9XII Hermétique. 95XIII La 611e du divin Hercule. 98XIV Entre femmes. 100

XV Les prétendants. 107

XVI Circe. ~1

XÏII- L'Androgyne. 129

XVIÎÎ Un mardi au noble faubourg. 135

XIX Le bal. ~47

XX M~rodack. i58XXI Marestan. 166XXn Persée et Andromede. ~9

XXIII La Nine. i85XXIV S. A. R. monseigneur le prince de

Courtenay. 105XXV Séduction. 200XXVI Les Pervers. 206XXVII L'orgie dominicale. 2~5

XXVIh Etrange conversation. 238

Page 401: Le Vice Supréme

398 TABLE DES CHAPITRES

XXIX L'argentier du roy en l'an de srâce

i88i. 249XXX Une première. 25~XXXI Carême prenant. 266

XXXII Un mardi casuistique. 275

XXXIII Le T. R. P. Alta. 288

XXXIV Le péché d'imbécillité. 292XXXV Prennes. 295XXXVI Hamiet et Ophélie. 297

XXXVII La confession. 299

XXXVIÏI Pâques. 305

XXXIX Le krack. 309XL

Psychologie. 317XLI

Idylle à Venise. 321XLII Le viol. 323

XLML'envoûtement. 326

XLIV L'ivresse du sacrilège. 3,34XLV La tentation de Saint Antoine. <337XLVI La tristesse de Mérodack. 34L

XLVU La plante attractive de Van Helmont. 347XLVIM Le dévoyement de Marestan. 349XLIX

Entretenu!7.5iL Le cadavre. ~MLï L'agonie de Cory sandre/. 3~7\LIÏ

L'interdiction.< ..<.<3'~3~

Lin Sommation.j. J.

3'S]

Epilogue. 383/

Page 402: Le Vice Supréme

ACHEVÉ D'IMPRIMER

LE 3 JUILLET 1926

PAR LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

D'IMPRIMERIE D'ANGERS

4, RUE GARNIER, 4

Page 403: Le Vice Supréme
Page 404: Le Vice Supréme