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    L A T R A N S E V A U D O U E S Q U E :UN SYNDROME DE DEVIANCEPSYCHO-CULTURELLE

    Emerson Douyon

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    PREMIRE PARTIEA S P E C T P H E N O M E N O L O G I Q U E

    A. CARACTRISTIQUES GNRALESD U V A U D O ULe Vaudou se prsente tout d'abord comme une vritablereligion. Bien qu'il ne comporte ni thologie dogmatique, nimorale codifie, ni structure hirarchise, il offre toutefois unensemble de croyances et de pratiques relatives des chosessacres. Les liens qu'il tablit entre l'homme et la puissancedivine postulent de faon implicite des ralits transcendantespar rapport au monde sensible. De telles ralits, mme sion les conoit de l'extrieur comme de faux dieux auxquelss'adresse un culte idoltre, ne sont pas moins objet de pit etde dvotion aussi bien que la source d'une exprience intrieureet d'une spiritualit authentique. De plus, l'observance d'unrituel liturgique l'intrieur d'un sanctuaire, la prsence desacrements, l'intuition de mystres sacrs, le sens du pch etdu repentir par les moyens de sacrifices expiatoires, l'existencede la communion par la consommation des offrandes, consti-tuent dans le Vaudou les lments d'une vie religieuse sociale-ment organise, reconnue et accepte.Le Vaudou est essentiellement une religion polythiste etanimiste, ne comportant aucun chef suprme sur la terre. Lescroyances et le rituel varient d'une rgion l'autre du pays etne maintiennent leur intgrit que grce la fonction coordon-natrice de certains chefs de confrries. Le culte comprend deuxformes: l'une publique, source de curiosit folklorique et touris-tique, l'autre prive, strictement ferme l'observateur trangeret rserve aux crmonies secrtes tenues de manire cyclique

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    16 ACTA CRIMINOLOGICAchevauchent leurs fidles comme un cavalier sa monture. LeVaudou est une religion de l'incarnation perptuelle o chacunpeut prtendre jouer Dieu ou jouir du pouvoir de se ddoubleren homme-dieu. Dans cette thorie de dieux, qui se droulesous nos yeux, il est parfois difficile de reconnatre traversces gracieuses ou tumultueuses figures de danse quel person-nage on a vraiment affaire. Les divinits prsentent de fait unecurieuse ressemblance psychologique avec les fidles, tant parleur langage truculent et obscne que par leurs manires frustesd'o l'indcence n'est pas exclue, note Mtraux (1958). voirles dieux s'engueuler ou chercher s'attirer les faveurs del'autre sexe, on ne peut s'empcher de penser un dramereligieux o le sacr et l'irrvrence se ctoient continuellement. celui qui y vient en spectateur, les crmonies, les riteset les danses vaudouesques offrent, sous des dehors de fte duvillage, l'aspect d'une comdie musicale l'intention purementreligieuse. Cependant, les fortes sensations que procure l'assis-tance ce drame religieux font pressentir la prsence dans lescoulisses d'un monde grouillant et inquitant d'tres invisiblesdont la projection intermittente sur la scne fait ressortir lecaractre insolite du Vaudou. De tous les phnomnes specta-culaires associs la pra tique de ce culte, la crise de to constituecertainement un lment de mystre et une redoutable question-problme. Avant d'explorer les dimensions de ce problme etses implications pour la criminologie clinique, il convient toutd'abord de prciser les concepts de lo et de crise de possessionqui sont des ralits omniprsentes du culte vaudou.B. CONCEPT DE LO

    Lo est un terme qui signifie divinit, esprit ou gnie.Autrement dsign sous le vocable mystre, il renvoie aux grandsdieux africains aussi bien qu' la foule innombrable des espritslocaux qui ont prolifr au gr de la fantaisie sur la terred'H ati. Ils portent des noms respectables comme Gnral A chillePiquant, Baron~Samedi, Grande Brigitte, des surnoms aussi d-sinvoltes que Ti-pt, Gud~caca, Gud-Oussou. Il y en ade sophistiqus, p arla nt pointu ou la franaise comme lecouple tranger la Sirne et la baleine; il y en a de grossierscomme le guerrier et coureur Ogoun qui mange son cigare etrclame du rhum pour rchauffer ses testicules gels. Les unsgrondent comme la tempte, tel Agaou surnomm le canonnier

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 17du Bon Dieu, ou bien dardent la langue la tte en bas et imitentle sifflement du serpent comme Damballah.

    Les autres sont mdecins comme Loco, le patron desdocteurs-feuilles, font au contraire le malade comme le boiteuxLegba Atibon, ont des prjugs de couleur comme la coquetteet sensuelle Erzulie, font leurs premiers pas et pleurent de faimcomme le bb Linto, dbutent l'cole et nonnent sur leurslivres de classe comme les Jumeaux ou bien font le clown, exhi-bent un phallus en bois ou un cordon ombilical de leur sac,appellent le rhum piss-tigre et les lunettes, double-languette(Mtraux, 1958): ces derniers sont les guds nasillards etexcentriques, ou les gnies de la mort.En plus de ces traits caractriels, chaque lo est mystique-ment affili la famille des esprits Rada ou la terrible nationdes mystres Ptro, Consquemment, il a ses rythmes, ses salu-tations, son rpertoire de pantomimes, son arbre-reposoir, sasource, son trou de roche, son jour de la semaine, sa couleur deprdilection, sa dite, ses parfums, ses instruments, ses sym-boles. Les los se marient entre eux, se jalousent, se trompent,divorcent et convolent en secondes noces. Ils vont mme jusqu'pouser les fidles dont ils rclament un trousseau, une chambreet un lit, une soire d'amour et surtout la promesse d'une fidlitconjugale pour la vie.

    Les los remplissent des rles multiples au sein du Vaudou.On leur prte la rputation de recommander des nominations certains postes, car ils auraient l'oreille des autorits en place.Ils prviennent temps au sujet des noirs desseins de l'ennemi,parce qu'ils voltigent d'une maison l'autre. Ils veillent l'administration du budget familial et suggrent dans certainscas les meilleurs atouts pour accumuler des revenus. Leurprcieuse connaissance de la flore tropicale comme des pro-prits mdicinales des racines, des corces, des feuilles et desfleurs fait de certains d'entre eux de fins cliniciens dont lesinterventions diagnostique et thrapeutique accomplissent sou-vent des prouesses curatives qui n'ont pas fini d'ennuyer lamdecine officielle. Si Legba est leur chef et leur principal inter-prte, ces mystres sont toutefois capables d'initiative person-nelle et peuvent souvent se passer de mdiateur entre eux et leshommes. Rves, visions, crise de possession sont des tmoi-gnages quotidiens de leur existence, principalement de leurtoute-puissance.

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    18 ACTA CRIMINOLOGICAC. CRISE DE LO( P O S S E S S I O N O U T R A N S E V A U D O U E S Q U E )

    Puisque les los ont des murs, des statuts, des fonc-tions, des intrts et attitudes trs diversifis, l'incarnation deleur personnalit sous la forme de transe mystique prsented'un criseur l'autre des variations trs marques. Pour endonner une image concrte, voici une description purement ph-nomnologique de la possession vaudouesque , telle que nousl'avons maintes fois perue personnellement chez les paysanshatiens. Cette crise consiste dans le fait qu'une personne, soitsous l'influence des cantiques, du tambour, et des danses aucours d'un rite vaudou, soit soumise une stimulation endognede nature inconnue durant son sommeil ou pendant l'tat deveille et en dehors de toute atmosphre crmonielle, se mta-morphose subitement et s'aline dans une personnalit de substi-tution. On dcouvre qu'un lo vient de la monter, danse etmarche dans sa tte. Alors commence la chevauche divine,selon un vocabulaire questre et militaire fort en usage dansle Vaudou.Le criseur ou choal (cheval) des los compose sur sonvisage un masque caractristique. Eperonn par son divincavalier, le regard fixe, le front en sueur, le corps rigide tenduen avant, il fonce droit, s'arrte, se cabre, trbuche, tombe, roule,se dbat, s'immobilise enfin dans une attitude cataleptique. En-tour, secouru, rveill aprs un temps plus ou moins long, ilest salu et reu par des chants, des libations, des accolades,des cierges allums. Quelques pas de danse caractristiques, uncantique spcial, ou un rituel particulier excut par le possdpermettent l'assistance de vrifier l'identit du lo.C'est ce moment que sous le coup d'une inspirationsurnaturelle , le criseur de lo commence s'exprimer dansun crole forte consonance africaine et parfois inintelligible.Questionn par l'assistance, il rvle le pass et l'avenir, dicteses volonts, adresse des reproches ou des compliments, prescriten faveur des malades ou les soigne sur place. Il n'est pas rarenon plus d'entendre le lo critiquer sa monture et laisser desmessages l'adre sse de son cheval.D'autres fois, il se constate une hyperactivit gnraleaccompagne d'une absence apprciable de la sensibilit lachaleur et la douleur. L'effet parapsychologique le plus spec-taculaire de la crise consiste en un accroissement d'nergie

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 19physiqu e chez le criseur.Des infirmes marchent droit; des inhibssautent comme des araignes, ou se faufilent entre les jambes,insaisissables comme des couleuvres; des femmes fragiles soul-vent des hommes ou excutent entre les branches d'arbresgants des acrobaties qui donnent le frisson. On en a mmevu manger du verre sans se blesser, enjamber des flammes sansse brler ou devenir si dangereux pour eux-mmes et les autres,qu'il a fallu les attacher solidement aprs une vritable battuepour les ram ener leur domicile.Il existe des criseurs qui prtendent entendre des appels dudehors. Ils font allusion certains groupes, certaines per-sonnes qui leur en veulent ou dsirent les enlever, leur chevalfictif qui les attend impatiemment dans la cour pour les ramenerdans leur province natale. Ils voient encore des phnomnes quichappent la perception de l'entourage, dveloppent des peurssubites et inexplicables, deviennent tout coup tristes, pleurentsans pouvoir tre consols, puis exhibent sans transition appa-rente une exubrante gaiet. Dans le mme temps, ils peuventaussi accomplir certains rituels caractre symbolique, telsque presser la main ou esquisser un nombre dtermin de pasen alternant la gauche et la droite, appuyer la tte contre celled'un autre, baptiser avec le crachat ou la sueur, ou faire tour-niquer les spectateurs dans deux directions opposes successive-ment.La rumeur veut que les possds soient saisis avant lacrise d'un courant lectrique qui parcourt leur corps de basen haut. D'autres sentent venir la crise de loin, ds les premiersaccents d'un cantique rituel ou aux premiers accords d'unrythme particulier du tambour. La crise ne se produit pas sicette stimulation sensorielle cesse ds le dbut. Tout se passecomme si les dispositions la crise se synchronisaient lentementavec le rythme et que le charme tait interrompu juste au momento l'harmonie critique allait tre ralise. Le criseur reste surson lan et prsente un tat d'hbtude bnigne. On dit qu'iln'est pas entr en transe, mais a t seulement saoul par le lo.C'est l un signal d'alarme, une sorte de mise en garde divinecontre toute imprudence.On ne saurait trop insister sur ce fait que la crise de loest minemment contagieuse. Rares sont les criseurs capablesd'assister une crise de lo sans se sentir branls. La simplevue d'un autre criseur en transe, le contact avec une scrtionou une partie quelconque de son tre, la perception des flammes

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    20 ACTA CRIMINOLOGICAde la crmonie, la dtonation rituelle de petites charges depoudre, une vaporisation de clairin sur l'assistance par le houn-gan suffisent, en plus d'autres facteurs dj mentionns, dclencher une raction en chane parmi les criseurs potentiels.Ceux-ci doivent fuir la scne s'ils ne dsirent pas que les losse dtachent de l'esprit des autres pour venir marcher dansleur tte.La plupart des criseurs de lo sont inconscients de leurcrise, selon toute apparence. Lorsqu'ils sortent de la transe, ilsparaissent engourdis et semblent revenir d'un sommeil trsprofond. Ils sont comme un dormeur qui se rveille dans unendroit inconnu. Ils cartent le voile dont on avait recouvertparfois leur visage. Ils interrogent alors l'assistance pour savoirce qu'ils ont fait ou racont durant leur crise. En gnral, ils ensont tonns, demeurent sceptiques ou avouent n'en garderaucun souvenir. Dans certains cas rares, la crise peut durer plusd'une semaine. L'individu devient alors un criseur ambulatoire,qui parle peu ou pas, se retire en lui-mme, s'isole, parat indif-frent, bizarre et incomprhensible. Souvent, l'entourage ne finitpar s'apercevoir de cet tat de crise permanente qu'aux rponsesvasives du criseur qui tmoignent de la persistance dans cedernier d'une personnalit trangre son moi.La crise de lo, indpendamment de son aspect rituel ounon rituel, se prsente gnralement selon deux formes cliniques.Dans sa forme primaire ou rcente, elle est caractrise par laviolence et une perte de contrle sur les fonctions cognitives,affectives et motrices de la personnalit. On dit alors que lesujet est mont par un lo bossai qui ncessite d'tre dompt,car il maltraite trop son cheval. Ce lo sauvage dsire tre serviet commence rclamer un serviteur. Pour qu'il ne se venge pas,il est urgent de le ramasser.La forme secondaire ou habituelle prend place lorsque lejeune criseur, cdant la pression de l'entourage et la peurdes reprsailles des los, dcide de dresser un autel domestiqueet de se consacrer au service de ses mystres. Ses crises de pos-session revtent alors un caractre plus sociable et plus pacifique.Elles exprimentent moins souvent la perte de connaissancetotale ou cataleptique pour s'acheminer vers un tat crpuscu-laire caractris par un lger hiatus dans le courant de laconscience. Toutefois la possession par certains los reste tou-jours marque par l'agressivit mme aprs que le criseur les

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 21a ramasss, fait baptiser ou frer par une crmonie spcialedite du laver tte.

    En gnral, les criseurs de lo sont admirs ou respectsde la communaut. Ils tirent un certain prestige du fait de leurcapacit de s'vader dans l'irrel et de communiquer avec desdieux puissants et invisibles. Certaines personnes tentent deles imiter et simulent des crises de possession. Elles ne fontque s'attirer le ridicule, la moquerie ou le blme du public. Lebut de ces individus est de faire savoir l'entourage certainsbesoins fondamentaux dont ils se croient frustrs. Etant tropinhibs pour le faire durant leur tat de veille, ils se revtentalors de la personnalit d'un lo pour confrer leur demandeun caractre divin.D'autres criseurs, au contraire, transplants de leur milieud'origine la ville comme garons ou servantes, par exemple,ont honte parfois de leur disposition naturelle aux crises delo. Celles-ci, clatant en pleine nuit ou au milieu d'une mani-festation mondaine, gnent par leur caractre intempestif,bruyant et souvent violent. Ces criseurs-domestiques finissentpar se percevoir comme des tres exceptionnels qui sont connusdans le quartier par cet aspect bizarre de leur personnalit.Comme ils se font renvoyer parfois d'un foyer l'autre pourcette mme raison, certains d'entre eux se rendent compte queleur instabilit occupationnelle vient de leur rputation decriseur. Ds lors, il y en a qui ressentent leur tat virtuel depossd comme la prsence en eux d'un corps tranger dont ilsvoudraient tre dbarrasss, et s'en rfrent au houngan ou aupasteur pour tre librs de leur lo. Ce qui jusque-l taitconsidr comme une source de prestige pour les siens estregard maintenant par ces criseurs et par l'entourage commeun handicap social.Notons que dans certaines familles, la crise de lo semblehrditaire. Les enfants des criseurs ont tendance faire aussides crises de lo. Il sera toujours difficile de prciser si cesenfants deviennent criseurs parce qu'ils ont hrit la crise deleurs parents ou parce qu'ils ont vcu avec une mre ou un precriseur et se sont identifis eux. Mais, en gnral, seulementun ou deux enfants de ces familles montrent une dispositionnaturelle faire ces crises. Ils sont parfois dsigns par lesparents eux-mmes ou lus par la famille entire sur l'indicationdes los, grce l'interprtation symbolique de certains signesou de quelques rves. Ces criseurs~ns ont parfois un choc devant

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 23C'est ainsi que J.-C . Dorsainvil (193 1) soutient qu e: LeVaudou est une psychonvrose religieuse raciale caractrise

    par un ddoublement du moi avec altrations fonctionnellesde la sensibilit, de la motilit et prdominance des symptmespithiatiques (p. 111). L'auteur, dont les travaux de pionnieront servi de point de dpart la passionnante controverse surle Vaudou hatien, a, de plus, affirm dans une volution subs-quente de sa pense que le Vaudou prsente, d'autrepart, les traits d'une psychose raciale hrditaire greffe lastructure de personnalit socialement ambivalente de l'Hatien,lequel constamm ent, vit sur ses nerfs .Dans la mme perspective, le docteur Jean Price-Mars( 1928) parle de la crise de lo comme d'un... tat mystique caractris par le dlire de la possessionthomaniaque et le ddoublement de la personnalit. Elledtermine des actes automatiques et s'accompagne de trou-bles de cnesthsie... Elle contient un ensemble de mani-festations physiologique et psychique qu'on trouve associeschez les mmes malades, et qui se prsentent, les premires,comme des ralisations d'attitudes anormales de paralysie,de contractures et de crises nerveuses... les serviteurs du loseraient des dsquilibrs psychiques pourvus d'uneconstitution mythomaniaque (p. 123, 140).

    Si la transe vaudouesque apparat aux deux auteurs pr-cits comme un phnomne essentiellement anormal et dontl'explication ressortit la pathologie descriptive traditionnelle,elle revt, au contraire, un aspect psychodynamique nouveauavec l'approche du docteur Louis Maximilien (1945). Celui-cidfinit en effet la crise de lo comme un phnom ne nerveuxd'ordre suggestif qui se ralise d'une faon extrmement aisechez une catgorie d'individus antrieurement prpars quantaux lments qui constituent le contenu de la crise et quant audclenchement de la crise par rapport l'ambiance (p. 30).C'est sans doute la considration de semblables facteurs

    dynamiques, la fois structuraux et fonctionnels conditionnantla phnomnologie de la crise, qui a amen le psychiatre LouisMars (1956, 1958) formuler une opinion trs nuance ausujet de la crise de possession.En dernire analyse, dit-il, la crise de lo est stricto sensuun processus schizondide d'apparence mystique qui survientchez nos paysans et les porte au sommet du mysticisme oils communient avec leurs dieux, leurs gnies, dans l'inti-mit de leur chair et de leur esprit (1956, p. 90).

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    24 A CTA CRI M IN O LO G I CALe processus schizonode caractriserait des troubles de disso-ciation de la personnalit prcds ou non d'une priode d'ambi-valence et additionns d'autres symptmes (1956, p. 95). Ilfaut, en outre,... distinguer la crise de possession rituelle de la possession-maladie qui surgit, en rgle gnrale, indpendamment detoute atmosphre crmonielle ... La crise de lo rituelleserait une conduite originale, un mcanisme mental normal.Si elle prsente parfois une incidence pathologique, celle-cidoit tre lie l'histoire personnelle d'un individu maisn'est pas la rgle chez tous les criseurs (1958, p. 218).

    Transportant le problme sur le terrain de la psychiatriedynamique, le docteur Wittkower, assist des psychiatres La-marck Douyon et Legrand Bijou (1964), a tent de formulerune interprtation psychanalytique de la crise de lo. Aprs avoirnot l'infime proportion des possds parmi les participantsaux crmonies vaudouesques, l'occurrence en priode de stressmotionnel de possession non rituelle, l'vidence de dsquilibremental chez ceux qui sont possds malgr eux ou par des dieuxinappropris, il remarque que, du point de vue phnomno-logique, la crise ressemble beaucoup la fois l'pilepsie, l'hystrie et un tat d'hypnose. Mais si elle prsente les phno-mnes d' aura , de convulsions et d'am nsie typiques d el'pilepsie, par contre les mouvements convulsifs ne se produi-sent pas en dehors des crmonies (sic) tandis que les effetsconcomitants et rmanents de la transe pileptique, tels quemorsure de la langue, incontinence sphinctrielle, et la fatigueprolonge (sic) manquent dans la symptomatologie de la crisede lo.Celle-ci, cause de son caractre rapide, rvle plutt destraits qui suggrent la manifestation d'un pisode hystrique.Mais la transe peut se prsenter aussi bien chez des nvrossque chez des psychoses et servir de voie d'expression de leurpathologie. Ainsi un schizophrne peut organiser tout son dlireparanode de grandeur ou de perscution autour de certainsthmes vaudouesques. Dans la ligne des tendances hystri-formes, l'auteur propose comme diagnostic final en regard dela crise de possession, un phnom ne de suggestion chez dessujets impressionnables vivant dans une culture qui met l'accentsur la soumission et la suggestibilit (p. 9).En para llle cet effort de diagnostic diffrentiel, l'auteurapplique la crise de possession le schma classique de lapsychanalyse. Selon Wittkower, en effet, la crise est l'aboutisse-

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 25ment d'une longue prparation o les facteurs tels que l'at-mosphre de la crmonie, le type de personnalit autoritaire etpersuasive du houngan, l'anticipation et la dsirabilit dela possession jouent un rle important. Cette transe libre ougratifie des besoins sexuels, agressifs, narcissiques et exhibi-tionnistes longtemps refouls, allge la tension motionnelle, laculpabilit et l'anxit. Au-del des mcanismes d'identifica-tion, d'introjection, de compensation, de rationalisation, de for-mation ractionnelle et de rgression trs actifs dans le droule-ment de la crise, et par-devers une impression apparente dedplaisir et de gne chez le criseur, on peut dceler au fonddes bnfices secondaires apprciables qui expliquent l'attraitet la permanence du Vaudou et de ses transes dans le milieurural hatien.Bien que l'auteur ne se prononce pas nettement sur le carac-tre normal ou anormal du phnomne, il laisse l'impression quela crise serait une suggestion d' tat au sens de Filiozat(1943) et devrait tre aborde sous l'angle de la parapsycho-logie. Car il ne faut pas oublier qu' ct de manifestationsd'allure pathologique soulignes par tous les auteurs prcdents,il subsiste dans la crise des lments sains. Ainsi la prsencedans la crise de phnomnes de perception extra-sensoriellecomme la clairvoyance, la prconnaissance, la tlpathie, lapsychokinesthsie, la rapidit de rcupration des criseurs, lanormalit de leur existence en dehors des moments de transe,la diffrence frappante entre eux et les malades mentauxhatiens hospitaliss ou non, l'incapacit de discriminer parmiles criseurs et les non~criseurs dans la population urbaine etrurale, sont des facteurs considrer. Les houngans eux-mmesauraient, dit-on, assez de flair clinique pour faire le dpartentre la possession vaudouesque chez un individu normal etcette mme possession chez un malade mental. Par consquent,il est hors de question pour les vaudouisants eux-mmes deconfondre ici le pathologique et le culturel.

    Tous ces faits expliquent en partie les rserves et scrupulesmthodologiques de plusieurs auteurs qui s'interrogent sur lebien-fond d'un recours la psychopathologie pour expliquerla crise de possession, alors que celle-ci semble davantage s'ac-commoder d'une analyse ethnologique ou sociologique. Melvilleet Frances Herskovits (1937) furent les premiers souligneravec vigueur le caractre normal de la crise de lo. Us concdentque la possession peut tre un exutoire la tension psychique,

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    2 8 ACTA CRIMINOLOGICAdes au chant, des escortes, des baise-terre, des poignes demain, des promesses et faveurs qui tmoignent d'une certainereconnaissance, il reste que les possessions rgles du cultelaissent trs peu de place la fantaisie personnelle.Co ntrairem ent l'hystrie o le patient, indiffrent, agit ses pulsions inconscientes, la possession rituelle serait une ex-pression pantomimique de fantasmes de la mythologie vaudou.Il s'agit, avant tout, de se conformer un personnage. Lehoungan qui fait des passes de magntiseur pour parvenir la matrise des hounssis en transe, le criseur sur commande quimontre l 'tranger des los dsirs, la possde qui commetdes distractions et lapsus ou vite de salir sa belle robe neuveen rampant comme la couleuvre Damballah, le spectateur quireste assis, les bras croiss, la mine rbarbative et attache unegraine son mouchoir pour amarrer son lo et se soustraire la transe collective, sont autant d'acteurs qui russissent ouchouent dans la composition de leur rle (Mtraux, 1958, p.106-120). Dans cette atmosphre toute de gravit et de solen-nit, chacun peut, par la possession, se parer tour de rlede vtements d e rechan ge en s'approvisionnant sans cesse une sorte de vestiaire de personnalits multiples o lescomportements jouer sont prpars longtemps l'avance(Leiris, 1938 ).

    La crise de lo n'a pas t seulement soumise l'observationpsychiatrique et ethnologique, elle a galement fait l'objet deviolentes polmiques dans les revues, dans les pamphlets etdans les journaux o le problme a souvent volu du plansociologique aux considrations politiques et nationales (Ableet al, 1956; Alexis, 1957; Cabon, 1933; Cinas, 1945; Deniset al, 1949; Durant, 1960; Kersuzan, 1895; Leyburn, 1945;Mtraux, 1958; Montilus, 1963; Peters, 1960; Pompilus, 1963;Price-Mars, 1928; Rigaud, 1953; Romain, 1959; Roumain, 1942,1944; U.N.E.S.C.O., 1951).On sait qu'entre le Vaudou et le catholicisme il a toujoursexist une profonde animosit. Cette querelle de l'hritagesacr (Cinas, 1945) a toujours oppos le culte des anctres,les Noirs, au culte des colons, les Blancs. Adopter la religiondes anciens matres quivaut pour les fils des anciens esclaves une trahison symbolique.Quels sacrilges l'enfant noir n'allait-il pas commettre pourla plus grande gloire du Dieu des blancs ! Pendant troiscents ans, le houmfort avait dfi la cathdrale... Les los

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    30 ACTA CRIMINOLOGICA32. Quel est le nom que les houngans donnent Satan ?R: Los, ang es, saints, morts, marassa.34. Comm ent les gens servent-ils Satan ?

    R: En pchant, en faisant des malfices, de la magie,des mangers-lo , des mangers-les-anges , des mangevs-marassa .37. Avons-nous le droit de nous mler aux esclaves deSatan ?R: Non, parce que ce sont des malfaiteurs, ce sont desmenteurs comme Satan (cit par Mtraux, 1958,p . 2 9 9 ) .Ce quoi les sociologues, dont plusieurs marxistes, s'objec-tent vigoureusement. Ce qu'il faut mener en H ati, ce n'estpas une campagne anti-superstitieuse, mais une campagne anti-misre (Roumain, cit par Pompilus, 1963, p. 40). Replaantla question du Vaudou et de la possession dans le cadre desstructures socio-conomiques de la paysannerie hatienne, lessociologues pensent qu' il y a injustice et navet reprocheraux paysans de gaspiller une bonne partie de leurs maigresrevenus en crmonies paennes (Mtraux, 1958, p. 51). Sil'on analyse, comme Alfred Mtraux (1957, 1958), Paul Moral(1961) , Jacques Roumain (1942, 1944) et Jacques Alexis(1957) , les relations fonctionnelles entre les croyances vau-douesques et le problme conomique en Hati, on s'aperoitque le Vaudou traduit la fois le miracle continuel de lasurvivance de l' arrire-pays et l'inscurit du paysan privde l'assistance mdicale et sociale, hant par la maladie, ladisette due aux caprices des saisons, les tentatives d'expro-priation des bourgeois francisants de la ville qui exploitentson analphabtisme.Les los, dit Jacques Alexis (1957), sortent de la terrecomme les bananiers, comme le manioc, comme le mas ...Les los sortent de notre terre parce que notre terre estmisrable... ils ne mourront que le jour o la lumirechassera l'obscurit dans les cases, le jour o des machinesagricoles henniront dans les champs, le jour o les habi-tants sauront lire et crire, le jour o la vie changera, pas

    avant. . . (p. 270).E. EXAMEN DES THSES EN PRSENCE

    Lorsqu'on parcourt l'impressionnante littrature consacreau Vaudou, on arrive vite la conclusion que la diversit despoints de vue sur la question de la crise de possession loin deprciser les aspects essentiels du phnomne cre, au contraire.

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    32 ACTA CRIMINOLOGICAen faveur d'une psychopathologie du Vaudou se heurtent, il fautle dire, des objections difficiles luder. Comment, disent les culturalistes , considrer le phnomne de la possessioncomme anormal alors qu'il ne se trouve personne dans le milieu,en dehors des spcialistes rcemment dbarqus de l'tranger,pour s'en tonner ? Le caractre rgl, conditionn, anticip,dsirable, suggestif, rversible, intgr, adapt, conformiste etnon souffrant de la transe, tel que dvelopp prcdemment,interdit certainement d'tiqueter comme morbide un fait socialrpandu, qui a reu la sanction de toute une communaut depuisplus d'un sicle.Par contre, la thse culturaliste est essentiellement basesur des critres de normalit sociale et statistique dont la valeurici est fort douteuse. Si le Vaudou est un trait culturel univer-sellement distribu dans les campagnes hatiennes, on ne peutpas dire pour autant que chaque famille paysanne a ses criseurs.La tran se vritable, spontan e, non l' exprience pour voir de la crise, est relativement rare dans tous les villages, sur lafoi mme des paysans. De plus, bien des formes larves demaladie mentale paraissent aussi bien intgres que la posses-sion, dans la structure primitive et indiffrencie de la paysan-nerie hatienne. L'observance courante d'un rituel par quelquesmembres d'un groupe ne change pas ncessairement sa naturepathologique fondamentale en regard de la normalit indivi-duelle. La pratique normale du totmisme dans plusieurs socitsn'exclut pas, selon Bastide (1950b), la possibilit que ce sys-tme ait t imagin par un sorcier nvros et que la traditionperptue cette nvrose travers des gestes collectifs.Il est important de noter, d'autre part, que les sociologues,les ethnologues et les psychiatres tendance culturaliste, onttoujours prfr centrer leur argumentation sur la possessionrituelle ou culturelle. Ils v itent prudem ment de commenter au sujet de la possession non rituelle ou possession-maladie selon la dichotomie hypothtique formule par l'ethno-psychiatre,le docteur Louis Mars (1958). C'est que les facteurs deconditionnement, d'app ren tissage , de suggestion, de jeu derle , de milieu cathartique, d'ambiance hypnotique, de conta-gion hystriforme, de group e scurisant , apparemm ent siactifs durant les crmonies, ne semblent jouer aucun rle dansles crises de lo survenues pendant le sommeil par exemple.D'o la ncessit logique o se trouvent ces auteurs derecourir en dernire analyse la pathologie pour expliquer

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 3 3certaines formes de possession qui, dan s leur droulem ent,se conformeraient moins des archtypes ou modles de base,inscrits d an s la tradition ancestrale, qu ' la dicte de lalibido personnelle (Bastide, 1960, p. 521, 525). C'est ainsique les Herskovits (1937) reconnaissent que le phnomnede la possession dans les cultures ngres au moins, n'est pasencore expliqu de faon satisfaisante, en grande partie causedu manque de rapports sur les antcdents et l'incidence decertains cas (p. 11). Bastide (1950b) de son ct dit: Tantqu'on n'aura pas cependant de bonnes monographies analy-tiques de quelques-uns de ces fils de saints , nous seronsobligs de rester sur le terrain de l 'hy po th se (p . 257 ).Q ua nt M trau x ( 1958 ), il finit par avouer ap rs avoir con-front sa position avec celles des au tres que la crise depossession pose une vritable nigme psychologique (p. 108).No us ne nous attarderons pas rfuter l 'approche du clerghatien qui suppose le problme rsolu avant mme de l'avoiranalys. Le fait de considrer le criseur de lo comme un possddu dmon a peu de poids dans une considration objective duphnomne sous investigation, car cet apriorisme mtaphysiquen d'une simplification extrme de la question est purementhypothtique et tout fait strile, du point de vue de larecherche. De plus, il suffit de se rappeler que dans l'histoirede la psychopathologie, bien d'autres phnomnes comme l'hys-trie, la dlinquance criminelle et l'pilepsie ont t faussementattribus une intervention quelconque du dmon ou de puis-sances extra-terrestres non identifies pour se rendre compteque, derrire cette prtendue psychopathologie du diable, ilexiste bien des phnomnes naturels auxquels seule notreignorance confre le sceau du mystre.Quant l'approche socio-conomique du Vaudou, elle aselon nous le mrite de montrer la solidarit de ce culte avecles cadres sociaux o il s'insre. Mais elle a le tort de gnra-liser au culte des los la thse marxiste, qui considre touteexprience religieuse comme un piphnomne social drivantd'une infrastructure conomique. Si les Amricains de race no irene pratiquent pas le Vaudou comme les Antillais, les Sud-Amricains ou les Africains, ce n'est pas parce qu'ils sont pro-tgs par une civilisation matrielle surdveloppe, c'est d'abordparce qu'ils ont volu dans le protestantisme qui constitue,selon Mtraux (1958), un cercle magique (p. 312) quiprotge contre les los. N'oublions pas non plus que bien des

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    34 ACTA CRIMINOLOGICANoirs amricains protestants poursuivent l'exprience de latranse et pratiquent l'adoration de couleuvres sacres au coursd'exercices spirituels dont la nature convulsive parat fort sus-pecte aux anthropologues. Si les conditions d'existence enHati s'amlioraient au point d'atteindre un bien-tre cono-mique et social gnralis, il n'est pas certain que le Vaudoudisparaisse du mme coup des campagnes hatiennes. Peut-treque le culte s'embourgeoisera et qu'aux misrables maisons delos actuelles succderont, comme Cuba ou au Brsil, deshoumforts mieux construits et plus riches.

    Toutes ces considrations nous conduisent la constatationfinale que le problme de l'interprtation de la crise de posses-sion dans le Vaudou hatien demeure entier. Devant toutes lesambiguts suscites par les nombreuses controverses au sujetde la vraie nature de ce phnomne, nous sommes dans lancessit de nous demander, la manire d'Henri Bergson( 1934 ) confront avec les redou tables sophismes de Zenond'le, si la question ne parat pas insoluble, parce que sansdoute elle a t mal pose. En nous appliquant mieux laposer, aurons-nous sans doute plus de chance de ramener biendes contradictions app aren tes un point unique, quelquechose de simple, d'infiniment simple, de si extraordinairementsimple (p. 137) que le criseuc de lo pourrait tomber toutesa vie sans jamais russir se faire comprendre.

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    36 ACTA CRIMINOLOGICAment possible de provoquer des crises exprimentales l'lectro-encphalographie ou au laboratoire, soit par stimulation senso-rielle, soit par synchronisation des ondes crbrales avec desrythmes pileptiformes (Neher, 1964). Certains rapports d'ob-servation font galement tat du fait que certains trangers la culture hatienne ou africaine, assistant pour la premire fois des crmonies vaudouesques, tombent en transe comme lescriseurs du Vaudou (Deren, 1953).La simple observation de la crise de possession peut fairedcouvrir par voie d'analogie plusieurs points de ressemblanceou de diffrence avec d'autres types de crise apparaissant dansun contexte diffrent de celui du Vaudou ou n'ayant aucunrapport vritable avec une crmonie vaudouesque. Mais cettecomparaison purement phnomnologique, si fconde en contra-dictions, s'est rvle jusqu'ici strile et tout fait incapablede rendre compte de la vraie nature de la crise de lo. Ladifficult consiste prcisment rsoudre cette complexit de latranse vaudouesque, la dpouiller de toutes les scories quil'apparentent autre chose, pour dcouvrir travers les rsidusde l'analyse, le fondement de son originalit propre.Or, ce qui a toujours obscurci le problme de la crise depossession et constitu un obstacle redoutable la prise deconscience de sa ralit existentielle, est le fait que son approchetraditionnelle a t solidaire d'une dialectique purement verbale.O n s'est toujours cru oblig d'affirmer au dpart que ce phno-mne est normal ou pa thologique, puis d 'articuler toute une sried'arguments logiques pour le prouver. Sur ce terrain commesur celui de tous les phnomnes humains complexes, il estdifficile de convaincre ses contradicteurs par le simple recours la logique des analogies. Car tout ce qui se ressemble n'estpas ncessairement identique. Le souci de l'objectivit commandede passer du domaine de l'opinion celui des faits, du plan dela construction hypothtique celui de l'exprimentation.En abordant cette tude exprimentale de la crise de pos-session, nous nous gardons bien de formuler en principe aucunehypothse de travail. Attentif ne pas rpter l'erreur de nosprdcesseurs dans l'observation de la psychopathologie duVaudou, nous vitons tout recours de tels schemes mentauxqui, dans la mesure o ils reprsentent la projection d'unethorie prconue, portent souvent prjuger de la nature duphnomne sous investigation. Cette attitude de reconversionmentale ou de rceptivit sympathique l'gard des faits

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 3 7recueillir nous parat ncessaire au seuil mme de notre explo-ration.

    On m'objectera sans doute que lorsqu'on ne sait pas ceque l'on cherche, on ne sait pas non plus ce que l'on trouve.Qu'il est ncessaire d'aborder la ralit avec une attitude inter-rogative et des cadres mentaux prtablis. Car la nature nefournit de rponse significative qu' ceux qui savent la ques-tionner et qui se mfient du hasard. Aussi bien, notre volontd'aborder les faits de la crise avec une candeur mthodologiqueet de les apprhender selon une optique nouvelle n'est-elle pasincompatible avec certaines lignes directrices destines nousguider dans notre recherche, et organiser, pour les rendreintelligibles les multiples donnes de l'exprimentation.Nous nous posons donc les questions suivantes proposde la transe vaudouesque:a) Existe-t-il un profil caractristique de la personnalitdu criseur de lo ?b) Ce profil correspond-il un tableau clinique: 1) dena ture normale , c'est--dire en conformit exclusive avecdes valeurs religieuses et culturelles collectives, socialementacceptes et universellement distribues l'intrieur d'unecomm unaut ethnique homogne; 2 ) de na tu re caractrielle (selon une rceptivit particulire un conditionnement hypno-tique, ou selon des prdispositions hrdita ires propres ) ; 3 )s'agirait-il, au contraire, d'une condition path olog ique biendfinie ? Auquel cas sommes-nous en prsence d'une pathologiedu type organique, nvrotique ou psychotique ?Comme, selon toute apparence, la crise de possession revtl'allure d'un phnomne complexe et surdtermin, il noussemble que pour bien apprhender ce quelque chose demystrieux dont la prsence ou l'absence dans la personnalitsera it responsable de la crise et diffrencierait le criseur dunon-criseur, une approche convergente et multidisciplinaire dela transe vaudouesque est mthodologiquement indispensable cette premire recherche exprimentale sur ce phnomne. Tou-tefois, si ce procd de rduction exprimentale par liminationprogressive des variables en cause semble tre fondamental, ilne constitue qu'une tape initiale dans no tre tude .Ici le problme le plus important notre sens n'est pastant de diagnostiquer la crise que d'explorer l'univers mentaldu criseur. Il est relativement commode de catgoriser un phno-mne lorsqu'on vise des fins de simple classification. Mais, il

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    38 ACTA CRIMINOLOGICAnous parat plus fascinant et plus capital pour cette recherchede transcender tout schmatisme nosologique ou caractriel pourtenter d'accder la ralit intrieure du criseur.Que reprsente la crise aux yeux du criseur et de sonmilieu ? Quelle fonction vritable sert-elle au sein de la person-nalit ? Quel rle positif ou ngatif joue-t-elle dans le processusd'adaptation ? Quelles sont les variables dont la synchronisationpar un mcanisme rgulateur en explique la gense, et l'volu-tion au sein du psychisme ? quelles conditions est-elle suscep-tible d'tre exprimentalement provoque ? Dans quelles limitesfavorise-t-elle l'tablissement d'une maladie mentale ou ner-veuse, ou joue-t-elle au contraire comme mcanisme inhibiteurd'une pathologie latente ? quel prix est-elle accessible tousou rserve des initis, en tant que simple exercice d'ascsementale ? Ou n'est-elle enfin qu 'une dang ereuse culture dumorbide comportant les risques de traces permanentes dans lastructure de l'appareil psychique ?

    La stratgie gnrale de cette recherche 3 a t planifiede telle sorte qu'elle nous permette au moins d'amorcer unerponse ces questions fondamentales au sujet de la crise de loet de tenter par ce biais une perce dans le domaine si profon-dment obscur de la parapsychologie.Quarante-quatre (44) sujets de sexe fminin rpartis endeux groupes exprimentaux (N: 25) et un groupe contrle(N: 19) ont t examins cet effet. Le premier groupe exp-rimental (crise rituelle) comprenait des catholiques illettresqui tombent en transe durant les crmonies vaudouesques. Ledeuxime groupe exprimental (crise non rituelle) galementcompos de catholiques illettres incluait des sympathisants duVaudou qui exprimentent la crise en dehors de toute atmos-phre liturgique. Chaque sujet fut soumis d'une part destests de contrle 4 (mdical, neurologique, laboratoire), d'autrepa rt des examens psychologiques ( Raven, Goldstein-Scheerer,Sacks, Rorschach, autobiographie, observation du comporte-ment, preuves objectives d'examen mental). L'exprimentationfut poursuivie de faon intermittente de 1957 1963 au rythmede huit sances de trois heures chacune par sujet. Elle fut con-

    3. Cette recherche fut finance pa r Aq uinas Fun d et par T heInstitute for the Study of Man (New York).4. Les tests de contrle furent raliss par les professeurs Herv Martin(neurologue), Paul Boncy (pathologiste) et Jean Preira (biochimiste), dela Facult de mdecine, Universit d'Hati.

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 39duite dans le dialecte crole et eut lieu en dehors des priodesde transe vaudouesque.B. RESULTATS DE L'EXPERIMENTATIONLes rsultats complets des examens physique et neuro-logique, des analyses de spcimens (sang , selles, urine) soumisau laboratoire, des tests psychomtriques, psycho-moteurs, pro-jectifs, et autres preuves de personnalit ont dj fait l'objetde deux rapports techniques (cf. Douyon, 1965, 1968). Lesconsidrations suivantes seront faites dans une perspectiveessentiellemen t criminologique.

    1. PERSONNALIT DES POSSDES DU VAUDOUL'analyse des donnes exprimentales, dont un rsum trssuccinct est p rsent ici, nous a permis d e mettre en v idence chezla criseuse de lo une structure de personnalit qui diffresignificativement de celle de la paysanne hatienne moyenne.Grce nos diffrentes techniques d'exploration, nous avonsapport la preuve cumulative d'une constellation nvrotique etpsychotique du caractre chez des personnes sujettes la transe.Toutefois le groupe des possdes tendance non rituelle n'apas manifest dans son comportement ni dans sa personnalitune orientation psychopathologique plus accuse que dans lecas du groupe dont la transe apparat surtout au cours d'unrituel vaudouesque.L'essentiel est qu'il existe un profil psychologique de lacriseuse de lo qui explique le choix permanent de la possessioncomme une rponse prtablie aux multiples problmes quepose l'existence.Les possdes du Vaudou hatien prsentent en communles traits suivants :a) Une grande instabilit d'humeur qui confre leurconduite un caractre imprvisible. Ces sujets se fchent trs

    facilement, ce qui porte souvent les amis, les patrons et lesparents les considrer comme susceptibles. Ce trait de carac-tre explique souvent leurs difficults tant dans le domaine del'emploi que dans ceux des relations familiales, amicales et conjugales .b ) U ne agressivit fleur de peau qui pren d souven t uneforme explosive, destructive ou incontrlable. L'histoire despossdes est remplie de rcits de provocation, de batailles,d'pisodes d'emprisonnement. L'explosion des affects a lieu non

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    4 0 ACTA CRIMINOLOGICAseulement au cours de frquentes pertes de connaissance l'occasion d'une colre ou de funrailles, mais encore durantdes transes furieuses. Certaines possdes deviennent alorsloquaces et dnotent une agressivit verbale qu'on ne leurreconnaissait pas. Elles passent leur temps injurier, dnon-cer, se plaindre. D'autres broient du verre entre leurs dents,se dclarent une bte sauvage, rclament leur poignard, vont baliser les champs avec une machette, ou crient tue-tte voici le diable dans une tentative pour s'identifier au dmon.Il y en a aussi qui essaient de se jeter l'eau sans savoir nager,vont se jucher au fate d'un arbre d'o elles menacent de sauterou s'arment d'un couteau pour s'attaquer l'entourage. Leurslos eux-mmes se nomment Criminel ou dimensan ( dis-moique je suis en sang ).B eaucoup de possdes avouent mme se sentir hostiles sansraison apparente, en dehors de leur priode de transe. Elles ontalors l'impression d'une monte de sang leurs gencives, sousleur peau et dans leur cerveau au point qu'elles vont parfoisse mettre la tte sous le robinet pour calmer leur saignement dedents, leur dmangeaison cutane ou leur migraine. Elles donnentalors leur entourage l'impression d'tre toujours en colre etde cuper ou de faire continuellement la moue mme durant leursommeil alors qu'elles n'en veulent personne en particulier.Notons que le pre de la possde apparat souvent commeun homme brutal et alcoolique. Il a parfois commis un meurtreou menac de le faire. Cette agressivit est ressentie sous laforme d'une menace par la fille qui par ailleurs parle de sonpre avec une hostilit non dguise.c) U ne ten dan ce se reprsen ter l'existence sous un jourtrs pessimiste. La plupart des possdes ne nourissent aucunespoir pour l'avenir et n'attendent que la mort. Cette ractions'accompagne souvent de crises de larmes frquentes et d'accsde dsespoir qui les porten t parfois penser au suicide. D'ailleurs,quel que soit le nombre ou la frquence de ses transes, chaquepossde tombe irrsistiblement soit la fte des morts ou laToussaint, soit la veille de Nol ou durant les festivits des Rois.La possession, mme si elle est individuelle, suit donc un cyclequi vraisemblablement est celui de la mort et de la naissance etdont la signification dynamique mrite d'tre souligne.d ) D e mme que les possdes ont tendance se croire lesprfres de leur mre en particulier, elles sont galement en-clines se percevoir comme jouissant d'une sollicitude spciale

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 41de la part des dieux du Vaudou. Elles estiment en effet quece n'est pas sans raison que les los ont choisi de venir danserdans leur tte et non pas dans celle d'une sur ou d'un frre.Si nous avons dmontr qu'il faut tre psychologiquementperturb pour tre possd (les rsultats au test Rorschachsont trs significatifs cet gard), nous avons galement tabliavec des faits qu'il existe une conjonction de facteurs qui concou-rent la production d'une crise de possession, savoir:a) U ne transmission d'attitude s patho logiques l'intrieurde la famille: l'examen de l'hrdit tant par voie directe quecollatrale montre que pour la majorit des cas le nombre desnerveux, des alcooliques, des individus au comportement bizarredans la ligne parentale de chaque possde est impressionnant.On ne saurait s'tonner ds lors que nos sujets ayant hritd'une constitution affective aussi lourdement charge tmoignentd'une disposition naturelle toute une gamme de manifestationsnerveuses.Car une possde ne tombe pas de lo uniquement, elles'affaisse aussi en d'autres circonstances. En rservant les casdouteux, nous avons not que soixante-quatre pour cent (64 fo )des sujets du groupe exprimental ont l'habitude de perdreconnaissance l'occasion d'une contrarit, d'une dispute, dudcs d'un parent, d'un ami ou mme d'un inconnu dans levoisinage. Ces crises nerveuses et funraires offrent une curieuseanalogie avec la transe vaudouesque. La seule diffrence vientdu fait qu'elles ne s'accompagnent pas du ddoublement depersonnalit ni de l'excessive activit fantasmatique et mythiquesi typiques de la possession. Pa r leur ca ractre quasi autom atiqueet par leur absence d'laboration idationnelle, elles se rap-prochent plutt de la crise pileptique sans en tre une.Une telle relation entre la transe vaudouesque et d'autrestypes voisins de crises souligne chez nos sujets une tendanceremarquable la dcompensation mentale et l'vasion horsdu rel ds qu'il y a impossibilit d'affronter un e situation pni-ble ou angoissante de faon approprie. tout stress nos sujetstendent appliquer une solution commune: la fuite par le moyend'une crise. Le type de cette crise dpend du contexte mme dustress. Crises funraires, crises de colre, crises de possessionsemblent bien tre les expressions diffrentes d'une mme into-lrance la frustration et d'une m me rag e d'impuissance devantl'adversit.b) Un milieu propice au conditionnement la transe et

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    42 ACTA CRIMINOLOGICAl'identification avec les criseurs de lo. La possession vau-douesque est le fruit d'un certain apprentissage. Nos sujets,qui descendent de toute une ligne de parents criseurs, ont tfamiliariss trs tt avec la possession et plusieurs possdesavourent qu'elles s'attendaient d'une certaine manire tomberun jour en transe conformment une vritable vocation indivi-duelle. Ainsi leur premire exprience personnelle de la posses-sion n'a fait que confirmer cette expectative. La crise depossession s'installe toujours l'intrieur d'une personnalitqui a t longuement prpare la recevoir.

    c) U n renforcement p ar le milieu de ce processus d 'appren -tissage afin que la transe soit fixe comme une habitude. C'estdans son interaction avec l'entourage que la possde ralisevite et ds sa premire transe qu'une bonne crise de lo, apaie toujours. Toute activit est suspendue lorsque la possdeparat . La foule envahit les lieux, car la prsence d'au moinsun spectateur est requise pour donner un sens l'acte de lapossession et rpondre au dsir de dialogue de la possde.N os sujets se disent protgs duran t la crise. O n nepermet jamais au lo de maltraiter son cheval. On va jusqu'le sermonner de bien se conduire. Le patron lui-mme, quid'ordinaire n'hsite pas prendre les grands moyens l'garddes domestiques, leur tmoigne une plus grande considrationet y met un peu plus de faons lorsqu'il s'adresse aux mystres.D'autant que dans les discours de l'esclave-possde il y asouvent des allusions aux propres affaires du matre.Comme on le voit on n'est jamais neutre ou indiffrent l'gard de la transe. On peut tre pour ou contre mais on s'yintresse toujours et intensment. D'ailleurs une possession esttrop bruyante pour passer inaperue. Elle force l'attention etla considration. Elle est un spectacle intressant pour les autres.Quant la servante des los, c'est sa faon elle de se fairereconnatre. la vrit l'acte de la possession n'est jamaisisol. Pour qu'il ne soit pas gratuit, il doit s'inscrire dans le

    contexte d'une relation de possde public. Il n'y a de posses-sion qu'en vue de quelque chose. En formulant sa demande, entransmettant le message des dieux, la possde n'espre qu'unrsultat: tre comprise travers ses mystres.Nous avons not par ailleurs que la crise se prsente commeune rponse psychophysiologique complexe une stimulationessentiellement endogne, mme chez des sujets qui paraissentsurtout influencs par le climat du rite vaudouesque. La cr-

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 43monie n'est souvent que l'occasion ou le prtexte la dcom-pensation mentale, elle n'est nullement indispensable. Au pointque la crise n'offre souvent que des rapports lointains avec lareligion sur laquelle elle se greffe la manire d'un piphno-mne. Elle s'explique moins par le Vaudou que par la personna-lit des possdes.Elle ne serait normale que si les possdes se limitaient jouer une geste ancestrale, conformment des modlesimaginaires fixs par la tradition; mais, derrire l'cran dulo, c'est leur propre personnage qu'elles prsentent et leurdrame intrieur qu'elles jouent. Le style trs personnel de lapossession trahit donc la possde par la concrtisation destendances individuelles. Celles-ci font sans cesse irruption travers un rle compos, mais trop vite oubli. Mais pourquoiprivilgier ce type de rponse alors que des voies bien diff-rentes d'expression de soi sont ouvertes la pathologie ? C'estici qu'il convient de rappeler la manire dont un paysan hatienvit un conflit pour comprendre en profondeur le problme dela transe au niveau de cette sous-culture.Pour peu qu'on ait vcu dans les campagnes hatiennes, onse rend vite compte que la plupart des conflits individuels nesont pas avec les vivants, mais avec les morts et les los. Icidans les rapports interhumains, il faut toujours passer par une mdiation surnaturelle . D'o une si grande frquence detroubles motionnels d'origine prtendument extra-terrestre. Or,cet univers des esprits est beaucoup plus apeurant que le mondevisible. Son caractre anxiogne vient d'une menace invisiblecontinuelle, imprcise et omniprsente.Dans l' arrire-pays il existe un pauprisme peu t-tremoins apparent qu'ailleurs. La misre matrielle frappe surtoutle proltaire de la ville, absolument coup de toute ressource.Le paysan garde toujours une base conomique: la terre infini-ment divise, il est vrai, et dsesprment assoiffe. La structurefamiliale la campagne est beaucoup plus cohrente, mme sile placage est la rgle. On n'abandonne ni la fille-mre, nil'orphelin, ni le vieux l'ge de la re traite . Les jeunes on t plus decadres de rfrence que la paysanne en domesticit la ville.Ils ont entre eux des rapports beaucoup plus personnels. Lagagure et le Vaudou leur fournissent les seules distractionsqui interrompent la lourde monotonie de la vie campagnarde.Mais le paysan pauvre jouit d'une quitude matrielletoujours prcaire, nullement l'abri des caprices de la nature,

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    44 ACTA CRIMINOLOGICAdes incertitudes du march, de l'exploitation des gens de la ville,de l'oralit dvorante et insatiable de ses dieux. De plus, sonanalphabtisme, son isolement culturel et technique, sa fixationaux traditions africaines indracinables, son long hritage depratiques superstitieuses profondment archaques, le condam-nent vivre dans un monde animiste o la causalit morale etmagique a toujours le pas sur la causalit physique. La terreurconstante du paysan, c'est encore moins la misre ou lescatastrophes conomiques que ses croyances. Il croit davantage une menace des los qu' celle des hommes.

    On imaginerait mal un cas classique d'obsession compulsivepar exemple dans un tel univers. Nous n'y avons jamais ren-contr un conflit au sujet du temps, de l'argent, de la propret,de l'entranement la toilette dans les formes traditionnelles,pour la bonne raison qu'il n'y a ni horloge, ni banque, ni robinet,ni chambre de toilette autour. Par contre, combien avons-nousvu de ces paysans tourments par l'imminence de leurs devoirsenvers les los ou craindre la ruine financire du fait de cesobligations priodiques. Combien sont torturs par l'ide delaisser leurs excrments vue d'ceil dans le champ du voisinau lieu de gratter le sol comme le chat pour les y enterrer etviter ainsi d'avoir l'anus retourn l'envers si jamais l'autredcidait de brler le produit de leur dfcation au cours deterribles sortilges.On voit donc que si les conflits de base demeurent identiques, leur expression culturelle varie selon des valeurs recon-nues dans le milieu. On regarde le monde autrement selon qu'onle peroit d'une luxueuse villa ou d'une caille-lo. Parce queses problmes sont d'un autre ordre, le citadin fera une crisedu type bourgeois et s'identifiera toujours au personnage deses lectures, de son milieu. Il produira des types de fantasmesconformes au monde de la technicit.Le paysan analphabte au contraire n'a sa dispositionque les gnies des sources, des arbres, des roches, de la mer.de la tempte, des grands chemins et des carrefours. Ses regardsne se dtachent de la terre que pour se porter vers ses los.Dans son dlire, il ne parlera pas de machine infernale commeun habitant d'une cit industrielle. Il fera toujours allusion soncheval, son compagnon de lutte. Son langage sera questre. Sanvrose ou sa psychose revtiront des formes frustres refltantles conditions sociales de son existence. Son alination resteracirconscrite aux limites de sa culture. Ainsi un directeur d'une

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 45 maison de sant pour les gens de l' arrire-pays , frapppar tant d'originalit culturelle chez ses patients, nous disait enconfidence: Ici nos fous sont diffrents des fous trang ers . On peut retrouver dans les conduites de la possession tousles types de comportements anormaux, tous les fantasmes, toutesles impulsions, toutes les techniques dfensives d'une personna-lit anormale. Mais la crise de lo elle-mme ne se rduit aucune entit clinique particulire. Elle est un syndrome originalde la psychopathologie du Noir en pays sous-dvelopp. Nousl'appellerons le syndrome de l' arrire-pays . Quelle que soitla dominante affective de la personnalit de ses victimes, cettemanifestation exprime une ralit sui generis inexplicable endeho rs de ce complexe analphab tisme-m isre-angoisse quicaractrise la vie rurale en H ati.Tout compte fait, la crise de lo doit tre interprte partirde la notion de dsespoir. Les possdes ne trouvent une certainejouissance que dans la crise. Celle-ci reprsente bien une fuited'une ralit dplaisante. Elle est la fois une mort symboliqueet une naissance une nouvelle vie. La possde se perd pourse retrouver ou plutt le lo tue son cheval pour le ressusciter. O n dort, puis on se rveille , telle est l'expression capitaleque les possdes utilisent elles-mmes pour caractriser leurtranse et qui reprsente selon nous cette ralit simple, infini-ment simple et si extraordinairement simple laquelle il fautrduire l'apparente complexit de la crise.La possde, l'instar de son pre ivrogne qui trouve dansla boisson son meilleur alibi, cherchera elle aussi un refugeconfortable dans une exprience alinan te . Elle se ra fascinepar le monde irrel de la possession o, comme dans l'enfanceet dans le rve, un dsir n'a qu' tre exprim pour tre aussittsatisfait. Elle pourra dire ce qu'elle voudra, agir comme ellel'entend. La possde n'est pas plus responsable de sa crisequ'un alcoolique de ses dlires, un rveur de ses songes ou unenfant de ses jeux imaginaires. La crise passe, la possderevient l'organisation de sa personnalit antrieure tout engardant les bnfices que sa crise lui aura rapports, et lapossibilit d'avoir recours encore la transe ds que la ncessitinterne s'en fera sentir. Dsagrgation, rgression et reconstruc-tion, tels sont, comme chez le schizophrne, les trois momentsmajeurs de son cycle existentiel (Burstin, 1963).L'essence de cette transe, nous l'avons vu, consiste en laformulation d'une dem ande. La sagesse popu laire dit bien: ouap

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    46 ACTA CRIMINOLO GICAprend pose lo'ou pou di ou vl (vous vous cachez derrireun esprit pour mieux exprimer ce que vous voulez dire). Or,que rclame la possde, si ce n'est qu'on la protge, qu'on luidonne boire et manger, qu'on l'habille, qu'on lui permettede revoir ses parents, qu'on lui fasse des cadeaux, qu'on l'coute,qu'on cesse de la maltraiter, qu'on la reoive avec des offrandes,bref qu'on lui donne enfin des preuves d'amour. Et que recherchela possde dans sa crise ? Des poignes de main, des accolades,un appui pour sa tte, des invitations la danse, des chos ses chansons, une occasion de bnir avec sa sueur ou son crachat,une communion la mme coupe, donc la chaleur d'un contacthumain.

    Songeons aussi qu'elle est si faible et si malade qu'elles'affaisse, ne peut plus prendre soin d'elle-mme, s'abandonneentre les mains des autres, se fait rampante comme une cou-leuvre, impuissante comme l'infirme sans ses bquilles, dpen-dante comme la quteuse, braillarde comme une damne. Elles'accuse, se menace, se fait du mal, prend des risques sur savie, souhaite se fondre avec les lments de la nature. Mmeconsciemment, elle avoue en dehors de la crise qu'elle n'attendrien de la vie et n'espre que sa mort prochaine.

    De fait que de fois ne s'est-elle anantie par ses transespour viter le suicide rel ? Qu e de fois n'a-t-elle t ainsijusqu'au-del de la vie, mais en de de la mort ? Nous retien-drons de la crise de lo ce sens d'une conduite de sauvetagequi permet de continuer vivre, condition qu'on puisse arrterl'existence et en sortir de temps autre en raison d'un dangerd'asphyxie. La crise figure la solution d'un conflit, un dispositifde rduction de tension et d'angoisse. Faire disparatre la crise,ce serait laisser l'individu sans dfense, bloquer la voie habi-tuelle de canalisation des impulsions, mettre l'inconscient nu,et ouvrir bien grandes les avenues de la folie.

    L'quilibre final des possdes elles-mmes exige qu'on res-pecte ce jeu de rle ou cette rgression institutionnalise auservice de l'adaptation. Car si la crise de lo s'est rvle uneraction infantile de la personnalit, une rage impuissanted'enfant fch quoique infiniment plus labore qu'une simplecrise de nerfs, elle se prsente bien plus comme le mcanismehomostatique d'une socit qui n'est pas encore parvenue l'ge de la psychana lyse.

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 472. POSSESSION ET CONTRLE DE L'AGRESSIVITDe mme que l'alcoolisme semble tre l'alternative du

    suicide chez le Canadien franais, ainsi la possession reprsenteun quivalent des tendances suicidaires chez l'Hatien. Dansles deux cas il existe un fond dpressif latent avec recherched'vasion dans une conduite dviante. Ici nous limiterons notrethse la considration des relations intimes entre le suicide,les tats dpressifs et la possession chez l'Hatien.a) Relations avec le suicideTout dans la nature parat anim d'un obscur lan vital .Ch aqu e entit vivante dploie le maximum d'nergie pour assurerl'intgrit et la permanence de son tre. Seul l'homme, commeindiffrent cet appel imprieux de la vie, marque parfois unesorte d'aspiration au nant. Toutefois le suicide, ngation mmedes instincts fondamentaux de tout ce qui respire, a toujoursrevtu aux yeux du commun des hommes l'aspect d'un mys-tre: cette fureur contre soi-mme, cette volont conscientede se retrancher du monde, ce mlange complexe de dterminismeet de libert, ce saut aveugle dans un au-del de tnbres n'ontpas fini d'tonner la raison.Nanmoins le suicide, aussi ancien que l'humanit, est consi-dr dans toute socit et au mme titre que le crime comme unphnomne normal. Quand il s'en produit un cas, les organesde presse en font la relation comme d'un banal fait divers. Des

    services publics spcialiss en dressent la statistique. Contraire-ment ce qu'on pourrait croire, le suicide est un fait socialextrmement rare en Hati. L'office hatien de statistiques 6 arvl que le nombre annuel des suicides varie entre deux ettrois mais qu'il est impossible d'en tablir le taux exact en raisonde la trop grande sporadicit de ce phnomne dans le pays.Sans doute une population o le suicide est presque ignorcache-t-elle une nigme.On sait que des trangers ont coutume en dbarquant enHati de se renseigner aussitt sur le taux annuel de suicidedans ce pays. Ils avouent alors leur tonnement d'apprendre quecet indice des morts volontaires est l'un des plus bas au mondeen considration de l'incroyable densit de la population. Ilss'expliquent mal que des tres humains soumis une telleintensit de stress vital et la frustration continuelle de tant de5. Communication personnelle.

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    48 ACTA CRIMINOLOGICAbesoins fondamentaux dans l'existence montrent si peu de pro-pension au suicide librateur.

    Cependant, il ne suffit pas de constater la raret du suicidedans le milieu social hatien, il faut surtout rechercher, dans lesperspectives d'une criminologie compare, les causes de la quasi-absence de ce phnomne en Hati, ou plutt les raisons de cetattachement obstin des Hatiens l'existence. Plusieurs pour-raient d'abord s'opposer cette enqute sous prtexte que laquestion de savoir pourquoi les Hatiens ne se suicident passoulve en fait un faux problme.On peut chercher comme Durkheim (1960), Halbwachs(1930), Freud (1964), Menninger (1938) dterminer lescauses du suicide dans une socit, mais il ne convient pas des'interroger sur l'absence de ce phnomne dans cette mmesocit, puisque le suicide serait par nature un fait pathologiqueet le dsir de vivre, une tendance naturelle de tout tre humain.Des travaux relativement rcents (Meerloo, 1966) ont montrque le suicide n'est pas en principe la consquence de troubles

    organiques ou mentaux. Les lsions du cerveau dont on soup-onnait l'existence chez le suicid se sont rarement rvles l'autopsie. Il existe d'autre part des cas de suicide normal l'origine desquels on dcouvre souvent un sentiment d'orgueil oude supriorit face au milieu, de haine ou de jalousie ractionnelle,d'humiliation comprhensible ou encore le souci de l'opinionpublique, la crainte justifie d'une sanction, parfois la recherched'une issue aux dures conditions de l'existence, rarement le dsirde percer le mystre de l'au-del et de raliser une expriencemystique nouvelle. Les suicides des geliers dans les camps deconcentration nazis ou les exploits des jeunes kamikazes japonaisduran t la deuxime guerre m ondiale tmoignent suffisammenten faveur de la normalit psychologique de certains candidats la mort volontaire. D'ailleurs la nvrose, quand elle existe, n'estsouvent qu'une facilitation , une tape intermdiaire entre lacause et le phnomne, un moment de l'acte-suicide, ainsi quel'a trs bien soulign le psychiatre Gabriel Deshaies (1951).On pourrait aussi reprsenter que, si l'Hatien attache tantde prix la vie, c'est p ar l'effet de cet instinct d e conservationqu'on trouve au fond de toute conscience humaine et qui mobilisecontre la mort toutes les fonctions de la vie. Mais toute laquestion est prcisment de savoir pourquoi le rle inhibiteurd'un tel instinct opre si efficacement en Hati, alors que dansla plupart des pa ys un certain apptit de la mort semble alimenter

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 49sans cesse la promotion des suicids. Sans renvoyer l'exempledes Etats-Unis o l'on a officiellement not un suicide toutesles vingt minutes (la Presse, 1968a), rappelons seulement qu'enDominicanie, pays voisin d'Hati, o la population est deux foismoindre, dispose d'un territoire deux fois plus tendu et jouitde meilleures conditions de vie en tant que p ays sous-dvelopp,on a enregistr une moyenne annuelle de quatre-vingt-quinze(95) suicides selon les statistiques publies pour la priodeallant de 1946 1950. On voit donc qu'un recours normal auxcomparaisons statistiques confirme l'absence relative de suicidesen Hati et nous autorise ds lors en chercher les dterminismesprofonds.Parmi les causes de la carence de morts volontaires enHati, on pourrait retenir en premier lieu les conditions clima-tiques particulires o se droule la vie du peuple hatien.Certains sociologues ont cru dcouvrir quelque corrlation entrele taux de suicide et le climat d'un pays. La baisse de la pressionbaromtrique engendrerait un pessimisme favorable au suicide,alors que les priodes de hausse creraient un optimisme suscep-tible de faire prendre got la vie. Il n'est pas encore prouvque le degr de saturation de l'atmosphre dans les pays chaudsdtermine une baisse ou une augmentation du taux de suicide.Nanmoins, si l'on se place au point de vue purement sociolo-gique, on peut remarquer qu'un rgime tropical provoque unralentissement dans le train de l'existence normale: cette at-mosphre lourde endort les puissances actives de l'tre, enve-loppe la conscience de torpeur et incline vers une recherchecontinuelle du repos.Il s'ensuit que cette passivit gnrale entranerait unediminution des contacts sociaux. D'o moins d'occasions deconflits avec autrui et, partant, moins de motifs de dsirer lamort. Le suicide exige, au contraire, une certaine intensit del'existence et une certaine tension vitale. L'absence de suicidesen Hati dpendrait donc d'abord de l'action dormitive du climatsur le mode de vie des Hatiens. cette influence atmosphrique probable parat lie cellede la structure gographique du pays. On sait que le suicide estfrquent surtout dans les plaines, dans le voisinage des grandsfleuves et sur les ctes. Il se rvle par contre assez rare dansles montagnes: la difficult des voies de pntration, le rythmelent de la circulation, la monotonie et l'uniformit de l'existenceexpliqueraient cette carence. Or, les trois quarts de la superficie

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    50 ACTA CRIMINOLOGICAd'Hati sont forms de chanes montagneuses. C'est d'ailleurs cette particularit gographique que le pays doit son nom indienqui signifie terre haute et boise.L'immunit des Hatiens contre le suicide pourrait ressortir,en troisime lieu, la situation conomique du pays. Durkheim(1960) souligne justement que la misre protge tandis que larichesse serait la grande pourvoyeuse du suicide, dans la mesureo ses fluctuations mmes impliquent la rvolte contre une sou-daine dchance. Il pourrait tre permis de croire que l'Hatiena fini par s'accommoder de son tat chronique de sous-dvelopp,si souvent cit en exemple, et qu'il ne se suicide pas, prcismentparce qu'il est misrable.Mais cette misre mme n'est pas sans issue. L'attente d'unbonheur futur, les perspectives d'une amlioration prochaine deses conditions d'existence font oublier au misreux habituel sesdboires, ses soucis, et l'attachent l'existence en dpit de lasombre peinture que lui fait de lui-mme l'insatisfaction actuellede ses besoins et de ses aspirations. S'il y a des pays o leprincipal intrt de l'existence et le plus clair des esprancesdes hommes sont centrs sur les activits industrielles et com-merciales, il y en a d'autres o l'individu attache ses ambitions etses projets au mouvement mme de la vie sociale, une sorte dejeu de hasard o, pour gagner, il n'est que d'tre habile etd'attendre. L'Hatien, en gnral, accroche son train de vie etson avenir aux fortunes de la politique. Il aime et souhaite deschangem ents perptue ls, des rformes . La chute d'un mi-nistre ou d'un chef d'Etat provoque toujours comme une explo-sion d'esprances. Tout gouvernement nouveau prsage uneaurore nouvelle. Aussi bien l'instabilit administrative, ne d'unecrise politique endmique avec ses -coups et ses hasards, semblerenouveler les perspectives de l'avenir et recrer sans cesse unclimat d'optimisme o chacun puise d'autres raisons de s'attacher l'existence.

    D'autre part la sociologie du suicide montre que ce phno-mne fait des ravages dans les socits o la famille commence se dsagrger p ar l'affaiblissement des coutumes et des tradi-tions. Or, la famille hatienne, principalement au niveau desclasses dfavorises, parat fortement structure. Les traditionss'y maintiennent dans toute leur vitalit et confrent au groupefamilial une cohsion, une homognit qui favorisent la vie encommun. La solidarit ainsi cre se traduit par ce qu'on pourraitappeler le complexe du voisin . Le groupe familial se prolonge

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 5 1au-del du foyer par des relations de voisinage. D an s les sectionsrurales surtout, le voisin est trait parfois au mme titre qu'unparent. Il vient en aide la famille conomiquement et sociale-ment. Il se forme donc entre voisins une vritable associationcontre les forces autodestructrices.C'est aux sources de la religion que cet attachement lavie para t surtout s'alimenter. L 'exprience rvle que les H atien sforment un peuple essentiellement religieux et qui trouve dansles crmonies cathartiques du Vaudou des exutoires d'inqui-tude. Le paysan vit au milieu de ses morts et de ses los, de sesautels et de ses houmforts. Il entretient avec les esprits uncommerce familier. Le culte qu'il leur rend est, pour lui, occasionde chants, de danses, de beuveries. Il vit sous la protectionpermanente des dieux, ses anctres africains. Il est fort contrel'adversit, comme jadis les esclaves de Saint-Domingue, et,comme eux, prserv de toute vellit de rechercher la mort.Bien plus, quand il est marassa, chouquette marassa, dossousou qu'il est choal messieurs dames yo, il n'est pas un hommeordinaire: il n'est pas sain et sauf ; il est environn d'espritstutlaires; quoi qu'il lui arrive, il n'prouve ni dsespoir, ni mmedcouragement; il ne saurait aspirer au nant.Il n'est pas tonnant ds lors que l'Hatien soit port attribuer tout suicide une cause surnaturelle. Lorsqu'un hommese pend par exemple, on creuse une fosse sous les pieds dupendu. La corde elle-mme ne doit tre touche par personne:certaines vibrations en manent qui constituent un guignon etune menace de contagion. Puis on cherche parmi les ennemisdu mort celui qui l'avait menac d'un sort magique ou mieuxencore parmi les los de l'Olympe vaudou celui que le suicidavait nglig de servir. Tout suicide ne saurait tre qu'une mortpar suggestion, une punition d'une puissance occulte, le signed'une transgression des traditions sculaires et sacres.Chaque socit, dit-on, a son taux de suicide, qui resteconstant pendant de nombreuses annes et qui renseigne surla temprature morale du milieu. Si nous observons ces payso le taux de suicide est particulirement lev, nous remarque-rons que la frquence de ce phnomne rpond toujours uncertain degr de civilisation. Il n'y a que les socits adultes fournir un nombre considrable de morts volontaires. L, lerythme de la vie est plus acclr, l'quilibre conomique etsocial plus instable, l'existence plus eng age . L'homm e ytrouve plus d'occasions de conflits, de heu rts avec ses sem blables,

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    52 ACTA CRIMINOLOGICAplus de sujets de mcontentement et de motifs de dsespoir. Latechnicit et l'intellectualit s'y dveloppent aussi, amenant unedivision plus accentue du travail, une dsintgration progres-sive des traditions familiales et de la conscience religieuse, uneconfrontation plus dramatique avec les problmes de l'existence.Le monde artificiel, organis, structur, ainsi labor et cons-truit, en arrive perdre de sa spiritualit primitive et ouvre un plus grand nombre de malheureux la porte de sortie dusuicide.La conception de l'existence de l'Hatien interdit celui-cide s'engager par cette porte au-del de laquelle rgne uneternit de mort. La vie sociale en Hati est relativement simple.Le paysan vit dans un groupe familial dont les liens de solida-rit l'attachent un ensemble de traditions qui sous-tendentson existence. Son existence, il la vit au milieu de ses btes et de ses champs. Ses problmes sont simples: entretenir sa viematrielle et s'assurer la protection de divinits occultes. Dansles provinces, la vie sociale est concentre surtout dans les lieuxde prire, glises ou temples. Le type de l'homme de la ville estcelui du fonctionnaire, du petit boutiquier. Il n'y a que la capitale,Port-au-Prince, o l'ennui et la monotonie ordinaire de la viesociale fassent place une activit priodiquement intense.Cette structure sociale, o la complexit de l'existence estextrmement rduite, entretient dans la mentalit des Hatiensune atmosphre continuelle d'euphorie. Un tranger qui nousparlions, un jour, de l'absence de suicides en Hati nous rponditavec enthous iasme: M ais, il y a la na ture; il y a ces fleurs,ce soleil. Ici, l'on ch an te toujours ; le moindre tam-tam faitdanser. Ce peuple lyrique et heureux aime trop la vie pourpenser un moment au suicide. Rien de plus vrai. Le suicidene saurait tre une superstructure de la situation conomiquedu milieu. Il n'y a de misre que consciente. Le misrable quine se sent pas tel ignore son infortune: c'est un homme heureux.Le suicide est solidaire de la conscience de soi et d'un certainraffinement intellectuel. Tout se passe comme s'il y avait diver-ses tapes dans la vie des peuples. Les peuples adultes, parti-culirement remarquables par leur taux de suicide, seraientceux o le progrs de la civilisation industrielle et techniqueconciderait avec une intensit de la vie intellectuelle et unsentiment plus aiguis de la ralit.Il y a, certes, diffrentes faons de vivre la vie. On peutla vivre dan s l'intensit, dans la lucidit, dans l' veil de

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 53la conscience. On peut la vivre, au contraire, dans la tranquillit,dans l'insouciance, dans l'indiffrence l'gard de sa vritablevaleur. La premire manire, qui caractrise parfois ce qu'onappelle la civilisation , conduit fort souvent au dsir dunant. La seconde dfinit, notre sens, la sagesse hatienne. Saporte mtaphysique est sans doute modeste. Mais elle est unesre garantie contre cette impression d'absurdit, cette tendance la nause que sugg re souvent l'existence.

    b) Relations avec les tats dpressifs et la criminalitNous venons de voir que la quasi-absence de suicides enHati relve autant de facteurs socio-conomiques, tels quel'intgration de la structure familiale, la forme de vie commu-nautaire, que d'lments plus proprement psychologiques, telsque l'accoutumance la misre, une philosophie fataliste del'existence si bien illustre par les proverbes hatiens et lerecours continuel aux los du Vaudou comme source de stimu-lation et de rconfort. Cette raret des cas de suicide dans lepays est d'ailleurs rapprocher du taux de criminalit dontl'indice compte parmi les plus bas au monde, selon une rcentedclaration publique du Ministre du Tourisme hatien lapresse canadienne (la Presse, 1968b). Cette constatation peuttre confirme en outre par les rapports statistiques de la police,des tribunaux, des hpitaux et de l'office national des statis-tiques (voir par exemple Institut hatien de statistiques, 1951-1968, et Quartier gnral des forces armes d'Hati, 1965).Or, la question qui se pose est bien celle-ci: si le paysanhatien ne manifeste aucune inclination ni au suicide ni au crime,quel usage fait-il donc de son agressivit ? Pourquoi les sujetsde notre exprimentation dsirent-ils tellement mourir, et pour-quoi n'essaient-ils jamais consciemment de s'enlever la vie ?C'est ici que la crise de lo parat bien tre la seule rponse cette question ou la seule alternative cette neutralisation des

    tendances destructrices.On connat mal en effet la faon dont un paysan hatienexprime un tat dpressif. On sait seulement que la mort d'untre cher et la sparation force d'un enfant d'avec, la familleprovoquent de sa part des ractions paradoxales. On se rjouitdans les campagnes hatiennes de voir un fils ou une fille partiren domesticit la ville souvent pour la vie entire, et sansespoir de retour. La mre ou le pre qui supportent dj unlourd fardeau familial sont heureux de s'en dbarrasser et en

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    54 ACTA CRIMINOLOGICAfont littralement cadeau l'tranger qu'ils rencontrent pourla premire fois.De mme lorsqu'un membre de la famille meurt, parents,voisins et amis se relaient son chevet pour tenir le cri. Cephnomne dit du Quimb tel qui rappelle la tradition despleureuses de l'Antiquit exprime, selon toute apparence, nonpas une douleur profonde et subjective, mais une forme insti-tutionnalise de solidarit devant la mort. La veille funbrequi s'ensuit est une vritable bamboche paysanne o l'on raconteau milieu des beuveries, des jeux de hasard et des galanteriesamoureuses, les exploits juvniles du dfunt, ses aventuresextra-maritales, ses hauts faits la gagure, ses talents commedanseur de congo, de yanvalou, ou de la meringue.Quant la parade funraire vers le cimetire, elle s'accom-pagne de courses, de chants, de danses et d'un rituel compli-qu, qui donnent au dfil plutt l'aspect d'une rjouissance duvillage et qui situent l'exprience du deuil la frontire imprcisede la douleur et de la joie. D'ailleurs, pourquoi s'attrister puisquetous savent que le dfunt n'est pas vraiment mort, qu'il continue se nourrir dans l'au-del, visiter les siens l'occasion devisions et de songes, qu'il hante toutes les crmonies familialeset qu'il se rincarne souvent dans la personnalit d'un loprotecteur.Il semble au contraire que tout le cycle de la dpressionse retrouve dans une crise de lo. Il n'y a qu' assister unescne vaudouesque pour s'en convaincre. ce sujet, nous avonstoujours t frapp par ce moment du rituel dans le Sud o lamatresse de crmonie, les larmes aux yeux, entonne avant satranse ce cantique aux accents pathtiques: Moin connaingnou jou pou moin mourri (bis), mais avant' m mourri, [' mfouill trou' m mette l, svrine, moin tounnin poisson landleau (je sais qu'un jour, je dois mourir (bis), mais avantde mourir, je dois creuser mon trou, svrine, je deviens unpoisson dans l'eau ).D'autre part, toute la squence de la crise comporte unetonalit nettement dpressive. C'est que la possde, en dpitde son apparente rotomanie, n'est pas une excite sexuelle ausens d'une hystrique; c'est plutt une affame d'amour au sensd'une dprime. Ce qu'elle cherche au fond, c'est travers lesexe un contact profondment humain. Nous l'avons montr:son oralit, son sens aigu de la culpabilit, son masochisme, saqute d'attention, son besoin de reconnaissance travers ses

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    LA TRANSE VAUDOUESQUE 5 5chants, ses danses, son dsir de dialogue, sa personnalit aban-donnienne de base, sa psychologie de prfre des los, sa fixa-tion maternelle, sa transition rapide des phases de prostration etde mlancolie des priodes d'exubrance et de toute-puissanceo elle s'identifie au vhicule des dieux, font invitablementpenser au cycle maniaco-dpressif d'une personnalit en ds-quilibre la recherche d'un point de stab ilit.Lorsqu'on se rappelle que durant les crmonies vaudou-esques les sacrifices d'animaux consacrs font couler un flotde sang dont l'assistance se sert pour se dsaltrer, se croix-signer, se frictionner ou pour ses libations; lorsqu'on se repr-sente aussi qu'en ces mmes occasions le meurtre de soi-mmeou de ses ennemis est mim sous la forme d'un psychodrameau ralisme poignant, et qu'on voque enfin le droulement d'unecrise de possession comme la figuration d'une mort symbolique,on comprend que le Vaudou exprime le dsespoir de l'Hatienqui y trouve un exutoire pour son agressivit refoule et sadpression potentielle. Ds lors il est aussi permis de croireque ce systme magico-religieux masque une forme de dviancepsycho-culturelle, compense la raret de suicide et d'homicide enHati, ou joue indirectement un rle rducteur de la dlinquanceet de la criminalit dans ce pays .

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    CONCLUSIONSans doute beaucoup de professionnels engags dans lapratique en Hati comme en d'autres milieux sous-dvelopps,o la culture valorise la possession et ces types de personnalitcaractristiques de la criseuse des los, seraient intresss

    prolonger nos considrations pistmologiques sur le plan del'action. Prtres et pasteurs, mdecins et ducateurs peuventbien se demander la lecture de notre travail exprimental sinous n'avons pas dmontr que la possde est anormale sansprouver pour autant que la crise de possession est pathologique.Car ce qui est m orbide pour les individus peut tre normalpour la socit, dit Durkheim (I960, p. 418).Aussi nous ne nous faisons pas d'illusion: entre prsenterl'vidence d'un comportement pathologique de la part de noscriseuses et esprer que l'entourage de celles-ci modifie sescroyances et ses attitudes l'gard de la crise de lo, il y al une diffrence norme. Les valeurs de la possession sont tropbien installes dans la mentalit paysanne pour en tre dlogespar le simple recours la dialectique. Le prestige social queconfre le fait d'tre en communication avec l'invisible et lesdieux vaut bien pour une possde toute la part de purilitdont s'accompagne la transe .En conclusion de tout ce qui prcde, nous formulons lesrecommandations suivantes :a ) II y a ncessit de dcaper la crise de possession deson aspect sotrique pour l'intgrer la psychiatrie hatienne titre de technique psychothrapique base sur le psycho-drame vaudouesque. De mme que l'lectrochoc provoque chezle grand dprim une crise pileptiforme exprimentale, de mme

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    LA T R A N S E V A U D O U E S Q U E 5 7la mise en place du jeu de la transe pourrait aider commu-niquer au niveau de l'analphabtisme un matriel prcieux quirisque de demeurer autrement incommunicable.b) Beaucoup de phnomnes parap sych ologique s. sous-jacents la crise de possession mritent d'autres investigationsexprimentales. Ainsi:1 ) La tlmtrie des rythmes du tambour et leur synchroni-sation avec les ondes crbrales, en particulier les ondes alphapour rendre compte des phnomnes lectriques apparemmentactifs dans l'occurrence de la crise.2 ) La mise au point d'un test de la possession p our valuerle degr relatif de dissolution de la conscience durant la transe,et apprcier quel point la possde joue un personnagemythique ou son propre drame intrieur.3) L'tude plus pousse de la tran se au cours du sommeilafin d'identifier avec plus de prcision le stimulus interne ouexterne de ce tte forme m ystrieuse de la possession vaudouesque .

    4) La provocation, grce au contrle de variables expri-mentales, d'une crise de possession avec stimulation sensoriellevarie capable de reproduire au laboratoire toutes les conditionsncessaires au dclenchement spontan de la transe.5 ) L'enregistrement en vue d'une ana lyse pa r le laboratoirede linguistique compare d'un chantillon rep rsentatif des dia-lectes des dieux afin de faire le point sur les phnomnes deglossomanie dans la possession.6) L'tude de possdes lettres, s'il en existe d'authen-tiques, par le moyen de tests comme le dessin main libre etau miroir pour approfondir des problmes laisss inexplors parnous, comme l'image du corps et l'criture automatique. Pource dernier cas, nous ne disposons que d'une seule observationsur une priode de deux ans (non rapporte ici).7) Une recherche bien conduite sur la crise de lo chezles enfants. Certains cas nous ont t relats par des amis, mais

    il nous a t impossible de vrifier leur authenticit en dpitde nos enqutes pour arriver tre mis en contact avec l'unde ces enfants exceptionnels.8) La dtermination l'aide d'un dispositif exprimentalplus appropri du mcanisme de la transmission de la transedes parents aux enfants. L'preuve cruciale devrait consister vrifier le sort de ces enfants de criseurs prcocement sparsde leurs parents ( comme le fait se produit constamment en Hatio les paysans aiment confier ds le plus bas ge leurs enfants

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    5 8 ACTA CRIMINOLOGICAaux bourgeois des villes, sans entretenir le moindre contact avecceux-l jusqu' l'adolescence). On saurait alors une fois pourtoutes si la crise de possession est capable ou non de se produiresans apprentissage pralable. cette longue et passionnante tude qui dpasse certaine-ment autant les ressources d'un seul homme que l'esprancemme de toute une vie nous convions les gnrations successivesdes chercheurs.

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    GLOSSAIRE

    ARBRE-REPOSOIR: Arbre o demeure un lo. C'est le plus souvent lacalebasse dont les fruits en forme de courge servent aussi bien auxusages domestiques (gourde, bol), la dcoration intrieure (lampes), la fabrication d'instruments de musique (tia-tia) qu'au rituel vau-douesque.ASSON: Calebasse recouverte d'un filet dont les mailles comprennent desgraines de porcelaine ou des vertbres de serpent.BACCA: Souvent reprsent par un gros chien noir. Il peut dsigner aussitout autre animal l'allure suspecte, parfois tranant une chane aprslui dans la nuit. Il est au service des los ou des sorciers.BAIGNER, ou SE FAIRE BAIGNER: Action de conjurer le mauvais sort,ou de confrer une certaine immunit personnelle en plongeant le corpsdans un bain magique.BOCOR: Du mot {on bakono qui signif