Le Tropicalisme, -...

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Le Tropicalisme, son héritage dans la Musique Populaire Brésilienne, et au-delà. Séance d’écoute musicale Juin 2006 SOMMAIRE Présentation et définition du Tropicalisme Quelques données géographiques et démographiques sur le Brésil Quelques repères politiques et culturels, jusqu’en 1960 Contexte musical et culturel, et racines du Tropicalisme, 1960-66 1966 – 1967, années charnières, et débuts du mouvement tropicaliste 1968, année tropicaliste Exil et post-tropicalisme Héritage du Tropicalisme dans la MPB et au-delà, depuis les années 70 Sélection de documents (CDs, vidéos, livres, liens)

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Le Tropicalisme, son héritage dans la Musique Populaire Brésilienne,

et au-delà.

Séance d’écoute musicale Juin 2006

SOMMAIRE

►Présentation et définition du Tropicalisme ►Quelques données géographiques et démographiques sur le Brésil ►Quelques repères politiques et culturels, jusqu’en 1960 ►Contexte musical et culturel, et racines du Tropicalisme, 1960-66 ►1966 – 1967, années charnières, et débuts du mouvement tropicaliste ►1968, année tropicaliste ►Exil et post-tropicalisme ►Héritage du Tropicalisme dans la MPB et au-delà, depuis les années 70 ►Sélection de documents (CDs, vidéos, livres, liens)

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Présentation et définition du « Tropicalisme »

Os Mutantes, Gal Costa, Caetano Veloso and Gilberto Gil pendant le show à TV Tupi, 28 octobre 1968

Photo: PAULO SALOMÃO/ABRIL IMAGENS

Le Tropicalisme est un mouvement culturel brésilien qui apparaît à la fin des années 60. Il s’illustre principalement à travers la musique, mais aussi dans les arts visuels, le cinéma, le théâtre ou la littérature. Il cherche à établir un mélange d’avant-garde et de culture de masse, dans un contexte politique qui est celui d’une dictature militaire violente et répressive. La musique tropicaliste développe un mélange de sambas, de rock psychédélique anglo-saxon, d’avant-garde européenne, de bossas et de musiques traditionnelles du Nordeste (région du Nord-est) brésilien. Les musiciens tropicalistes prônent un son à la fois brésilien et international. Les textes des chansons sont tout à la fois empreints de poésie surréaliste, de métaphores renvoyant au contexte politique et d’ironie mordante. Les tropicalistes critiquent au début de leur mouvement artistique aussi bien la dictature de droite que la gauche intellectuelle d’alors, quelque peu figée dans la culture bossa-nova dominante sur le plan musical et esthétique. 1968 est l’année clé d’un mouvement qui ne durera pas en tant que tel. La « révolution musicale brésilienne » des tropicalistes connaît une rupture rapide, avec l’emprisonnement et l’exil temporaire de ses deux figures principales Caetano Veloso et Gilberto Gil. Pourtant, ce mouvement hautement créatif va avoir une influence profonde dans la MPB (Musique Populaire Brésilienne) jusqu’à nos jours, et, comme un juste retour des influences, est également une source d’inspiration pour certains artistes phares du monde du pop-rock international à partir des années 90. Le Tropicalisme apparaît donc comme complètement ancré dans son époque - la fin des années 60 et ses bouillonnements politiques et culturels - et aussi comme le terreau d’un bouleversement de la musique populaire brésilienne.

Caetano Veloso :“Tropicalia”(Caetano Veloso), extrait de l’album « Caetano Veloso » (1968) Un des morceaux emblématiques du mouvement, où l’on retrouve tous les ingrédients évoqués pour présenter cette séance d’écoute.

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QUELQUES DONNEES GEOGRAPHIQUES ET DEMOGRAPHIQUES SUR LE BRESIL

Carte du Brésil avec ses principales villes :

Nation du continent sud-américain dite « en développement », le Brésil est le 5ème plus grand pays de la planète et la 10ème économie mondiale. Un grand fossé social demeure entre riches et pauvres. - Superficie = 8 511 965 km2 (plus de 15 fois la France, 47 % du continent sud-américain). - Composé de 26 états et d’un district fédéral (où se situe la capitale Brasilia), le Brésil est une république fédérale à régime présidentiel. Nombre de villes (données 2001) = 5 560. - Population estimée (données 2004) = 178 millions d’habitants (France = 63 millions); densité de 20 hab./km2 (France = 97) ; population urbaine à 81 %. - Répartition par âge : 0-14 ans : 28 % ; 15-64 ans : 66 % ; + 65 ans : 6 %. - Répartition ethnique : blancs 53% ; mulâtres 38% ; noirs 6% ; asiatiques 1% ; métis 1% ; indiens 1%. - Répartition par religion : catholiques 73% ; protestants 13% ; divers autres 10% dont une centaine de sectes.

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Quelques repères politiques et culturels, jusqu’en 1960 - 1500 : découverte et colonisation du Brésil par les portugais. Extermination de la population indienne. Salvador de Bahia est la première capitale. Le commerce des esclaves venus d’Afrique va durer 300 ans. - 1807 : la cour royale est transférée à Rio de Janeiro, nouvelle capitale depuis 1763. - 1822 : indépendance. - 1850 : fin du commerce des esclaves. L’esclavagisme est aboli en 1888. - 1889 : le Brésil devient une république. - 1890 – 1915 : 3 millions d’immigrants (européens, japonais) arrivent au Brésil pour travailler et s’y installer. L’export se développe (café, matières premières). - années 20 : émergence d’un nouveau mouvement littéraire et culturel : le Modernisme (qu’on peut mettre en parallèle avec les principaux mouvements d’avant-garde européens tel le cubisme, le futurisme ou le surréalisme) et qui aura une forte influence sur le tropicalisme à venir. L’identité brésilienne est redéfinie : les intellectuels encouragent une interaction avec le reste du monde. Concept du « cannibalisme culturel » formalisé par Oswald de Andrade dans son Manifeste cannibaliste de 1928 : la culture brésilienne doit absorber la culture internationale pour s’enrichir. Les autres figures marquantes de l’époque sont Mario de Andrade en littérature, ou en musique Heitor Villa-Lobos. Les Tropicalistes se référeront aux Modernistes en définissant leur propre concept comme un « néo-cannibalisme », où il s’agit de s’ouvrir sur le monde et mettre fin à un repli identitaire sclérosant. - 1930 : Getulio Vargas au pouvoir. Période de dictature jusqu’en 1945. De 1937 à 1945, c’est la période de l’«Estudo Novo » (l’état nouveau), à la doctrine paternaliste, inspiré du fascisme italien. Augmentation de l’industrialisation, comme de l’emprise de l’armée sur la vie civile. Les intellectuels sont persécutés, mais le concept de « race mixte » supplante le modernisme. A la fin de la seconde guerre mondiale, le Brésil est amené à coopérer avec les Alliés. - 1945 : le président Eurico Dutra est élu suite à des élections démocratiques. - 1951 : retour de Vargas à la présidence, cette fois élu « démocratiquement ». Il se suicide en 1954. - 1955 : le nouveau président est Juscelino Kubitschek. Une nouvelle ère commence, faite d’optimisme. Réformes économiques et sociales. Un slogan : « avancer de 50 ans en 5 ans ». L’industrialisation prend son envol (la ville de Sao Paulo par exemple connaît une forte croissance), une nouvelle capitale, Brasilia, est construite dans le centre désertique du Brésil par les architectes Oscar Niemeyer et Lucio Costa, et inaugurée en 1960. En musique, c’est l’avènement de la Bossa-Nova.

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Contexte musical et culturel, et racines du Tropicalisme, de 1960 à 1966

- Avènement de la bossa-nova : C’est la musique emblématique du Brésil de ces années. En 1958, Joao Gilberto, originaire du Nordeste, enregistre « Chega de saudade ». C’est le premier acte important du courant bossa, avec des figures notoires comme le compositeur Tom Jobim ou le parolier Vinicius de Moraes. La bossa est un son unique, au style d’une grande pureté, neuf, mélange de rythmes samba et de cool jazz. C’est aussi la musique de Rio de Janeiro, et des clichés romantiques associés à ses plages, où la thématique de l’amour se décline sans fin. C’est aussi une musique issue en grande partie d’une classe bourgeoise. La bossa se répand rapidement sur toute la scène musicale. Le développement du média télévisuel, avec ses nombreux shows TV, apporte une grande popularité à des artistes comme Carlos Lyra, Sergio Ricardo, Roberto Menescal, et quantité d’autres. L’industrie musicale emboîte rapidement le pas, avec des labels emblématiques comme Odéon, Philips ou Elenco. La bossa connaît aussi une rapide expansion internationale. Le film « Orfeo Negro » (dirigé en 1959 par Marcel Camus) contribue à exporter la popularité de la musique de Jobim, de Luiz Bonfa, à travers un portrait de la culture afro-brésilienne. Le jazz exploite jusqu’à l’usure les harmonies de la bossa, aux Etats-Unis notamment avec des musiciens comme Stan Getz, Quincy Jones ou Wes Montgomery. Le pic du mouvement est atteint en 1963, avec le succès international énorme de l’insubmersible « Girl from Ipanema » de Tom Jobim interprété par Astrud Gilberto et Stan Getz.

Joao Gilberto :“Coisa mais Linda”(Carlos Lyra / Vinicius de Moraes), 1961.

- Rupture dans le mouvement bossa : Le contexte politique change après Kubitschek. La pauvreté n’est pas résorbée, c’est la fin des grands travaux, et le ressentiment envers l’impérialisme américain augmente. Le mouvement bossa se scinde en deux camps : - d’un côté ceux qui développent toujours plus avant les harmonies musicales - on parle de « hard-bossa », avec une prédominance du piano (exemple : le Tamba Trio) -, ou qui deviennent d’immenses vedettes populaires de la chanson, telle Elis Regina ; - de l’autre, le mouvement se politise, à la recherche d’une culture « authentique » face à l’américanisation du courant. C’est la démarche d’un Carlos Lyra, par exemple. L’incorporation d’éléments de la culture afro-brésilienne en est un trait, comme chez Baden Powell avec ses « Afro-sambas ».

Baden Powell :“Berimbau”(Baden Powell / Vinicius de Moraes), 1964.

Les Tropicalistes auront une relation complexe avec la bossa : ils admirent sa puissance évocatrice et souhaitent en même temps s’en affranchir.

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Nara Leao Photo: Folha Imagem - L’émergence de la MPB (Musica Popular Brasileira, ou Musique Populaire Brésilienne) : Entre 1960 et 1964, sous les présidences de Joao Goulart et de Janio Quadros, alors que les droits des travailleurs ruraux sont développés, les étudiants se politisent. Par peur d’une ouverture vers le communisme, les militaires prennent le pouvoir. Le 1er avril 1964, un coup d’état installe au pouvoir de façon durable (jusqu’en 1985) une dictature militaire soutenue en sous-main par les Etats-Unis qui vont faire main basse sur l’économie du Brésil. Les activistes étudiants de gauche sont traqués, les syndicats de travailleurs ruraux du Nordeste brisés. La répression s’étend à tous les opposants qui subissent arrestations, persécutions et torture. Au départ, la presse reste relativement libre, ainsi que le monde culturel. Le pouvoir adopte une attitude paternaliste qui favorise surtout les classes moyennes et bourgeoises. On parle de modernisation conservatrice. La télévision occupe une place de plus en plus prépondérante. Dans le milieu musical, les bossa-novistes les plus politisés se sentent concernés par les thèmes défendus par la gauche, avec des textes de chansons engagés face au totalitarisme. C’est l’avènement de la MPB. Nara Leao est une des premières bossa-novistes à s’orienter vers une plus grande radicalité, avec en 1964 la comédie musicale « Opiniao ». Ce spectacle, dirigé par Augusto Boal, rassemble un compositeur sambiste de Rio, Zé Keti, et un du Nordeste rural, Joao de Vale. Cette aventure musicale, radicalement à gauche, est une des premières réponses culturelles à la dictature. Elle use de métaphores et de références allégoriques pour la dénoncer. Son succès est la matrice de la MPB.

Nara Leao :“Opiniao”(Zé Keti)

Nara Leao, figure culte de la période bossa, déclare cette dernière « ennuyeuse » et crée ainsi un séisme dans le monde musical. Elle participera au mouvement tropicaliste, seule bossa-noviste emblématique à figurer sur leur disque manifeste de 1968, « Tropicalia ».

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Edu Lobo, est aussi à cette période l’un de ceux qui s’illustrent dans le phénomène en pleine expansion des comédies musicales. Avec « Arena conta Zumbi » (Zumbi est une figure mythique de l’histoire et de l’identité brésiliennes, esclave noir qui à la fin du 17ème siècle avait fondé un quilombo, enclave communautaire d’esclaves échappés qui s’opposaient aux Portugais), ou d’autres titres, Edu Lobo propose ainsi des chansons épiques qui développent l’héritage musical du Nordeste et vont à contre-courant du style bossa. - Le groupe des « Bahianais » et les racines culturelles des tropicalistes : Quasiment tous les protagonistes du mouvement tropicaliste à venir sont originaires du Nordeste, région pauvre du Brésil (notamment avec le désert du Sertao). Ils font leur apprentissage culturel et artistique à San Salvador de Bahia, capitale de l’état de Bahia et ancienne capitale du Brésil. Port, Salvador était le centre du commerce des esclaves, et les plantations sucrières de l’état de Bahia lui assurait une grande prospérité. Mais le déclin du commerce du sucre au profit du café produit dans le sud du Brésil a entraîné aussi celui de la ville, parallèlement à l’émergence des mégapoles du sud-est comme Rio et Sao Paulo. Mais Salvador de Bahia reste le centre de la musique et de la culture afro-brésilienne (le Candomblé, la Capoeira), et le berceau du samba.

Maria Bethânia et Gal Costa Photo: Jornal da Bahia L’université de Bahia est un creuset culturel où on absorbe à la fois culture d’avant-garde européenne et thématiques afro-brésiliennes. Un collectif d’artistes y prend forme, avec certaines des futures figures tropicalistes : - Caetano Veloso, né en 1942 dans la petite ville de Santo Amaro, issu de la petite classe moyenne, part faire des études de philosophie à l’université de Bahia à Salvador en 1960. Il commence à s’impliquer dans la musique avec un collectif connu sous le nom de « Bahianais ». Il y rencontre les poètes et futurs paroliers tropicalistes comme José Carlos Capinan et Torquato Neto. Veloso écoute du jazz (Chet Baker, Thelonious Monk, Billie Holiday, …), lit Proust, Lorca, Joyce. Il a une conscience de la pauvreté économique de sa

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région, et ne manquera pas de critiquer avec ironie les bossa-novistes de Rio qui se gaussent du Nordeste en le qualifiant de « marécage culturel ». - Maria Bethânia : la sœur de Caetano Veloso, née en 1946. Elle devient rapidement la première à être largement connue sur la scène brésilienne. - Gilberto Gil : né en 1942 dans la petite ville de Ituacu, fils de médecin. Etudes économiques à l’université de Bahia. Il débute la musique assez tôt, et est déjà un peu célèbre du fait de quelques apparitions TV quand il rencontre Veloso. Il dit que cette rencontre a été pour lui comme s’il « laissait derrière lui une grande solitude (artistique) ». - Gal Costa, née à Salvador en 1945. - Tom Zé : né en 1936, dans la petite ville d’Irana. A l’université de Bahia, il étudie la musique contemporaine et d’avant-garde sous la direction de Hans Joachim Koellreuter (réfugié allemand) qui avait fondé en 1955 à Rio le groupe dodécaphoniste Musica Viva. Entre 1962 et 1967, Tom Zé poursuit de hautes études en musicologie, tout en s’intégrant au groupe des Bahianais. Il explore à la fois la musique expérimentale et la musique traditionnelle brésilienne, réalise des sculptures sonores. Marmite culturelle, Salvador de Bahia permet à ce groupe de se nourrir de l’apport culturel international : expositions d’artistes européens au Musée d’art moderne, cinéma d’art et d’essai (films de Welles, Lang, Antonioni, Fellini, Godard, …). L’avant-garde s’y mélange avec les thématiques afro-brésiliennes, ces dernières sous l’impulsion d’artistes comme l’écrivain Jorge Amado et l’influence de chanteurs comme Dorival Caymmi ou Luiz Gonzaga. Les futurs tropicalistes ont conscience qu’ils sont le produit à la fois de cette ouverture sur la culture internationale et de la riche histoire de leur identité brésilienne. Ce petit groupe commence à se produire et avoir un peu de succès, avec une musique qui est encore un mélange de bossa et de sambas classiques. Peu à peu, certains de ses membres émigrent à Rio. Maria Bethânia remplace Nara Leao dans le spectacle « Opiniao » et décroche un contrat d’enregistrement. Caetano apparaît sur son premier album. Les premiers disques sont gravés en 1965. Un nouveau spectacle important d’Augusto Boal, « Arena canta Bahia », impose à un plus grand public les musiques de Bethânia, Veloso, Gil, Costa et Zé.

Maria Bethânia :“E um tempo de guerra”(Edu Lobo / Gianfrancesco Guarnieri / Augusto Boal), 1965.

Extrait de la compilation « Eu Vim Da Bahia ».

- Festivals de la chanson et shows TV : Le média télévision connaît une expansion rapide avec la multiplication des chaînes. En 1965, sur TV Excelsior (Sao Paulo), un festival de la chanson a pour objet une compétition pour auteurs-compositeurs et interprètes, sur le modèle de ce qui se pratique en Italie : c’est la première apparition télé de Veloso. Le concurrent, TV Record, comprend l’impact du genre et lance son propre show, « O fino da bossa », présenté par la chanteuse Elis Regina. Gilberto Gil y apparaît. Très populaires, ces émissions permettent aux vainqueurs de décrocher des contrats discographiques. Le public des studios, constitué d’étudiants de gauche et d’intellectuels, acclame les chansons avec des thèmes politiques. On peut y voir des « protest-singers »

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comme Chico Buarque ou Edu Lobo. Le pouvoir laisse faire, mais commence à resserrer la pression avec l’utilisation de la censure. Les artistes doivent développer des trésors d’allégories dans leurs textes pour continuer à pouvoir s’y exprimer. - La Jovem Guarda : Autre élément constitutif de la musique populaire, cette jeune garde animée par la première star du pop-rock brésilien Roberto Carlos et son show TV illustre l’avènement de l’influence du rock anglo-saxon sur la jeunesse, et l’arrivée de la musique électrifiée et amplifiée. Veloso et Gil, attirés, voient ce show comme celui destiné aux masses, alors qu’un « O fino da bossa » s’adresse aux élites et classes moyennes. Une opposition prend forme. - Le cinéma Novo : C’est un des vecteurs de la « révolution culturelle » qui se prépare. Les cinéastes Glauber Rocha (originaire du Nordeste) ou Ruy Guerra (également parolier pour Edu Lobo) amènent une évolution radicale dans le cinéma brésilien. En 1967, « Terra em transe » (« Terre en transe ») de Rocha suscitera les passions (thématiques culturelles du Nordeste, pauvreté, révolte, …).

1966–1967, années charnières, et débuts du mouvement tropicaliste :

Lancés par les shows TV, Veloso et Gil sortent leurs premiers albums en 1967. Imprésario des Bahianais, Guilherme Araujo (qui avait travaillé pour Elenco, un des labels phares de la période Bossa – MPB), fait signer chez Philips Veloso et Gal Costa qui sortent en duo un album « Domingo ». La musique y est un mélange de bossa et de sambas ancien style, avec des textes encore sages.

Caetano Veloso :“Quem me dera”(Veloso), extrait de l’album « Domingo » (1967).

Le texte parle de Bahia.

Veloso explique d’ailleurs dans les notes de pochette que pour lui ce disque clôt une période qui appartient au passé et qu’il faut maintenant se tourner vers un futur neuf. Gil et Veloso ne trouvent pas leur place dans cette hydre à deux têtes qu’est devenue la chanson brésilienne, bossa ou / et MPB. Ils sont contre la dictature au pouvoir, sensibles et formés aux tendances de gauche traditionnelles, mais cherchent autre chose, qu’ils vont bientôt réussir à formaliser.

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Caetano Veloso & Nara Leao Photo: Paulo Salomao / Abril Imagems. - Racines nordestines et Beatles : Alors qu’il est en voyage dans le Nordeste brésilien en 1966, Gilberto Gil entend les disques des Beatles qui entrent à l’époque dans leur période psychédélique. Il fait une connexion entre l’approche musicale des Beatles (dont le style mélange alors les influences des musiques populaires et l’expérimentation dans un format pop) et les racines populaires de la musique brésilienne du Nordeste avec ses différents styles et la force visuelle de sa culture. En y ajoutant l’usage de certaines substances hallucinogènes, un peu d’opportunisme et le discours critique flamboyant d’un Veloso sur la société brésilienne, on obtient un mélange détonnant. Le tropicalisme, qui n’a pas encore trouvé son nom, sera la « cannibalisation » de références culturelles internationales destinée à redéfinir la MPB. Gilberto Gil réunit autour de lui certains musiciens emblématiques comme Lobo, Buarque, Sergio Ricardo et bien sûr Veloso, pour leur expliquer qu’il faut une révolution musicale au Brésil parallèlement aux slogans protestataires. Il leur parle d’un mouvement qu’il imagine autre que le nationalisme de gauche des « protest-singers » et différent du son des premiers rockeurs brésiliens décalqué sur leurs modèles anglo-saxons. Hormis Veloso, personne ne comprend de quoi il parle. Seul les Bahianais (Gal Costa, Tom Zé) le suivent dans sa vision. Les tropicalistes énoncent leur programme : ils veulent un « cross-over » qui dépasse les clivages régionaux et politiques. Ils se positionnent sur une échelle planétaire tout en revendiquant leur origine bahianaise. La musique sera un mélange de rock avant-gardiste, de poésie concrète et de musique traditionnelle, à l’opposé de la bossa ou de la pop « à la Jovem Guarda », donc à contre-courant du paysage sonore de la MPB d’alors. - « Som universal », un « son universel » : C’est le nom que choisissent Gil et Veloso pour lancer leur nouvelle musique lors du festival de la chanson sur TV Record en 1967. Ils y sont accompagnés par des musiciens de rock, notamment pour Gilberto Gil par un jeune groupe de Sao Paulo, Os Mutantes, auquel s’ajoute un joueur de berimbau et un orchestre dirigé par le maestro Rogério Duprat (du Musica Novo Group). La réaction du public d’étudiants de gauche et d’intellectuels fans de bossa ou de protest-songs est bien celle recherchée : c’est un choc.

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Gilberto Gil & Caetano Veloso. Photo: Agência JB

Ils y interprètent :

Gilberto Gil : “Domingo no parque”(G. Gil). Accompagné par Os Mutantes.

Le texte évoque une histoire d’amour qui tourne à un étrange conte de meurtre passionnel dans un parc de Salvador.

Caetano Veloso :“Alegria, alegria”(C. Veloso).

Une chanson qui restera un de ses plus gros « tubes ». Le texte est une sorte de voyage surréaliste dans une grande ville imaginaire.

Ces deux morceaux possèdent un nouveau ton : un son international et en même temps bahianais. On croise au gré des paroles Brigitte Bardot, Che Guevara, les voyages intersidéraux, Jean-Paul Sartre et des stars du cinéma italien : ça change des thématiques bossa ! Rogério Duprat est un personnage clé du son tropicaliste, le « George Martin » (producteur des Beatles) brésilien. Il appartient au Musica Novo de Sao Paulo, groupe à l’avant-garde de la musique brésilienne. Os Mutantes ont une image et un impact très forts auprès du public. Groupe composé des deux jeunes frères Arnaldo et Sergio Dias Baptista et de la chanteuse Rita Lee (qui fera par la suite une carrière importante en tant que star du rock brésilien), Veloso les compare aux Beatles. Ils peuvent jouer tous les styles et vont produire plusieurs albums très réussis sous leur nom.

Os Mutantes : Sérgio, Rita & Arnaldo Photo: Folha Imagem.

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- Le nom « Tropicalisme » : Accompagné par les Beat Boys, groupe de rock argentin, Veloso sort son premier album solo («Caetano Veloso ») chez Philips en 1967, pièce de choix aux arrangements complexes, mélange de rock psyché et de vieilles sambas. Le morceau « Tropicalia » (entendu en présentation de cette séance d’écoute) donne son nom au mouvement. Il vient d’une installation nommée ainsi, du jeune artiste d’avant-garde Hélio Oiticica. Cette œuvre représente une pièce où a été recréée une favela avec au milieu une cabane et une télévision. Veloso voit dans cette œuvre le symbole du Brésil moderne : un mélange de modernité et d’archaïsme. La chanson « Tropicalia », arrangée par un autre compositeur originaire de Sao Paulo et formé à l’avant-garde, Julio Medaglia, évoque dans ses paroles « un monument géant avec à l’intérieur un enfant mort qui sourit et tend la main » …

1968, année tropicaliste

Sérgio Dias, Gilberto Gil, Caetano Veloso (derrière Gil), Rita Lee, Nara Leão and Gal Costa, pendant la soirée de lancement de l’album « Tropicália ou Panis et Circencis », au Dancing Avenida, Rio de Janeiro,12 août 1968. Photo: archives de Gilberto Gil. - Contexte : 1968 est l’année de violentes protestations étudiantes à travers le monde (Mai 68 à Paris, manifestations aux Etats-Unis contre la guerre au Vietnam, …). C’est aussi l’année où sont assassinés Martin Luther King, Bobby Kennedy, celle des Jeux Olympiques de Mexico avec les poings gantés et levés des athlètes noirs américains médaillés Tommie Smith et John Carlos en soutien au Black Power, l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques, … Au Brésil, la protestation augmente aussi. Manifestations, guérilla urbaine contre la dictature. En juin, la marche des 100.000 à Rio pour protester contre l’assassinat par l’armée d’un étudiant voit nombre de musiciens y participer côte à côte : Buarque, Veloso, Gil, Lobo, Milton Nascimento, Paulinho da Viola, … Bientôt une faction extrémiste au sein de l’armée prend le contrôle du pouvoir. Débute alors la période la plus répressive de l’histoire du Brésil moderne.

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- L’album manifeste : On retrouve tout ce chaos dans le disque manifeste conceptuel des tropicalistes, « Tropicalia ou Panis et Circenses », assemblé par Veloso et arrangé par Rogério Duprat. Tout le mouvement y participe, sauf Maria Bethânia qui prend ses distances. Tous les ingrédients s’y trouvent : pop psyché, avant-garde, références à la musique traditionnelle, art contemporain et populaire. La pochette est signée par un artiste du mouvement Rogerio Duarte.

Gilberto Gil & Os Mutantes : “Bat macumba”(Veloso / Gil). 1968.

Le titre est un jeu de langage sur Batman, la religion afro-brésilienne Macumba, et les « iê-iê-iê » du rock.

- Evolution du mouvement : Gilberto Gil sort également en 1968 son album tropicaliste, toujours accompagné par Os Mutantes et orchestré par Rogério Duprat, dans lequel il développe ses commentaires sur les inégalités sociales et raciales au Brésil. Un autre personnage clé du mouvement sort son premier album solo, Tom Zé. Veloso l’avait invité à participer à l’album « Tropicalia … » ; Zé vit à l’époque à Sao Paulo, vaste mégapole moderne qui influence profondément sa musique (bruits concrets, expérimentation, thèmes de l’aliénation urbaine et de la consommation).

Tom Zé Photo : archives de Tom Zé.

Tom Zé :“Quero sambal meu bem”(Tom Zé) 1968.

Les apparitions télé des tropicalistes deviennent de véritables happenings, et les médias s’intéressent de près à eux. Au sein de la MPB, la controverse augmente. En mai 68, à TV Globo (Rio), Veloso chante « E proibido proibir » (« Il est interdit d’interdir ») en référence aux événements de Paris. Les cheveux longs, il porte un costume en plastique vert et un collier de fils électriques. Gil apparaît en costume africain et Os Mutantes en habits sortis de la science-fiction. Veloso arrangue l’audience des étudiants nationalistes et les provoque en déclarant : « Ainsi, vous êtes les jeunes qui disent vouloir prendre le pouvoir … Si vous êtes pareils en politique qu’en musique, c’est mal barré ! ».

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En octobre, ce sont les derniers shows tropicalistes à Rio. Installé par Oiticica, un drapeau avec une image de son ami Cara de Cavalo (criminel des faubourgs pauvres de Rio) abattu par les escadrons de la mort de la nouvelle police, est accompagné du slogan : « Seja marginal, seja heroi » (« sois un criminel, sois un héros »). Plus radicaux que la gauche classique, les tropicalistes commencent à fortement irriter le pouvoir et ses censeurs. « Divina maravilhoso », le propre show TV des tropicalistes, joue l’ultra provocation : Veloso y chante une vieille samba, pointant une arme sur sa tempe, et un enterrement est parodié pour marquer la fin de leur mouvement. Le côté provocateur des tropicalistes est aussi totalement empreint de la volonté de s’amuser au maximum et le plus librement possible. En décembre, le cinquième acte institutionnel (A1-5) pris par le président Costa e Silva rend illégale toute opposition politique. Tous les droits individuels politiques sont suspendus, le Congrès fermé, la presse et la culture censurées. Torture, disparitions, meurtres deviennent le quotidien. Les tropicalistes sont dans le viseur et vont bientôt être réduits au silence.

Exil et post-tropicalisme

Caetano Veloso, à Londres, durant l’exil. Photo : Archives de Rodrigo Veloso - 1969 et l’exil de Veloso et Gil : A Sao Paulo, où ils résident, Veloso et Gil sont arrêtés, sans charge, et emprisonnés deux mois à l’isolement. Transférés à Salvador, ils sont assignés à résidence et on leur demande de quitter le Brésil en réunissant les sommes nécessaires eux-mêmes. Un concert est autorisé à cet effet qui fera l’objet d’un disque live « Barra 69 ». Durant cette période à Salvador, Gil et Veloso enregistrent chacun un album solo. Voix et guitares sont faites sur place, les bandes envoyées à Rio où les arrangements seront complétés par le fidèle Rogério Duprat, alors qu’ils se sont déjà exilés en Angleterre en juillet. Les chansons sont tournées vers l’introspection, et une certaine dépression y pointe du fait d’un futur incertain.

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Installés dans le quartier de Notting Hill à Londres, Veloso et Gil s’immergent de 69 à 71 dans la vie culturelle locale et fréquentent les concerts de Led Zeppelin, Pink Floyd, T. Rex, … Veloso enregistre deux albums remplis de tristesse (« saudade ») envers le Brésil. Les disques sont également publiés au Brésil, la dictature voulant montrer que les exilés continuent « normalement » leur vie artistique. Gil et Veloso reçoivent à Londres la visite de nombreux Brésiliens, mais n’attendent que le jour où ils vont pouvoir retourner dans leur pays.

Caetano Veloso:“Maria Bethânia”(Veloso), extrait de l’album « Caetano Veloso »,1971.

Ce morceau, chanté en anglais, est une lettre ouverte à sa sœur.

- Post-tropicalisme : Si l’expérience collective s’est arrêtée avec l’exil de Gil et Veloso, le son tropicaliste continue de répandre son influence. Gal Costa, la plus jeune de l’ex mouvement, est sous haute influence du rock psychédélique anglo-saxon. Elle publie ses deux premiers albums solo, aux chansons écrites par Roberto Carlos, Gilberto Gil ou Jorge Ben. Elle va devenir une immense star de la MPB.

Gal Costa:“Tuareg”(Jorge Ben), 1969.

Ce morceau montre l’influence des musiques orientales dans le courant psychédélique ; l’intérêt de son interprète pour les racines amérindiennes du Brésil sera également développé sur les albums suivants.

Jorge Ben, à l’origine interprète de bossas, a été sensible au mouvement tropicaliste qui lui a inspiré un renouveau dans sa musique. Il va devenir lui aussi une star énorme, s’orientant vers un son à forte dominantes soul, funk et reggae (« groove brésilien ») et développant, à l’instar d’un Gilberto Gil, les thèmes de l’identité noire et du pan-africanisme.

Jorge Ben :“Take it easy, my brother Charles” (Jorge Ben), 1969.

La chanson parle d’un dealer des favelas, Charles, anti-héros qui utilise son argent pour aider les pauvres. Ce personnage sera récurrent dans plusieurs des chansons de Ben.

Os Mutantes publient trois albums entre 1968 et 1970, et connaissent un succès critique qui dépasse les frontières du Brésil. Rita Lee, la chanteuse, quitte le groupe en 1972 pour une carrière solo à succès. Le groupe continue sans elle dans un rock progressif pataud, ayant du succès au Brésil jusqu’à la fin des années 70. La période « tropicaliste » du groupe sera reconnue (avec la réédition de leurs premiers albums) comme une influence chez une partie de la scène anglo-saxonne « pop expérimentale » à partir de la fin des années 90 (Beck ou Stereolab par exemple). Luaka Bop, le label de David Byrne (ex Talking Heads et également auteur d’une prolifique et protéiforme carrière solo) a édité une compilation du groupe, qui l’a fait découvrir aux amateurs occidentaux (au même titre que Tom Zé que Byrne a également sorti de l’anonymat). Os Mutantes s’est même reformé récemment et donne des concerts en cette année 2006.

Os Mutantes :“Ando meio desligado » (Os Mutantes), extrait de leur troisième album, 1970.

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Tom Zé, certainement le plus intéressant des musiciens issus du courant tropicaliste, va, à l’inverse de ses ex comparses, tomber dans une relative obscurité à la fin du mouvement. C’est pourtant à travers sa musique que l’on peut retrouver le plus riche mélange d’avant-garde et de tradition. Il déclare : « ma musique est un mélange de Schoenberg et de Jackson do Pandeiro (mythique musicien sambiste nordestin, à l’ironie mordante) ». Zé publie d’excellents albums dans les années 70 mais qui ne connaissent aucun succès public. Ses performances live sont de véritables happenings sonores où il mélange instruments de sa conception et groupe rock, sons concrets et électroniques, scies électriques et chansons sur l’aliénation de la société brésilienne. Un grand performeur. Sa musique est redécouverte dans les années 90, de façon internationale, et il peut publier de nouveaux disques.

Tom Zé :“O olho do lago”(Cid Campos), 1998. Extrait de l’album « Com defeito de fabricaçao » (Luaka Bop).

En 1972, Gil et Veloso rentrent au Brésil, et vont développer des carrières prolifiques qui durent toujours aujourd’hui. Veloso sort en 1972 un superbe album expérimental, « Araça azul », avec une forte influence des musiques du Nordeste. Touche à tout musical, il revient à Salvador pour continuer à explorer les richesses de la culture bahianaise. Par la suite, il deviendra la star internationale que l’on connaît, à la riche discographie et aux collaborations toujours renouvelées. Gil retourne aussi à Bahia. Il participe à l’émergence du courant musical « Axé » basé autour des thèmes afro-brésiliens et de la pratique religieuse du Candomblé. Toujours à la recherche de mélanges dynamiques, Gil introduit aussi dans sa musique funk et reggae, en défendant la mixité des identités raciales et culturelles. Il devient en 2002 ministre de la culture du gouvernement Lula.

Gilberto Gil : “Maracatu atômico » (Jorge Mautner / Nelson Jacobina), 1973.

Jusqu’en 1979, la dictature militaire est toujours au pouvoir. Une période de « décompression » suit, de transition, avec un retour des libertés individuelles et l’amnistie politique. En 1985, la démocratie est de retour, malgré une forte inflation, la dette extérieure et le fossé croissant entre riches et pauvres. En 2002, Lula est élu président ; la stabilisation économique et la consolidation du processus démocratique s’imposent, non sans compromissions.

Caetano Veloso. Photo : Tribuna da Bahia.

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Héritage du Tropicalisme dans la MPB et au-delà, depuis les années 70 Musique d’une période courte, inscrite dans un contexte politico-culturel particulier, le tropicalisme a eu une forte influence sur les générations musicales suivantes. Y compris de façon significative hors du Brésil depuis les années 90.

Carlinhos Brown Photo : Tribuna da Bahia. Si peu d’artistes se déclarent de façon directe tropicalistes, il est indéniable que le concept de « cannibalisme musical » a redéfini le vaste paysage musical brésilien. Depuis les années 60, les musiciens brésiliens n’ont pas arrêté de mélanger les sons et les rythmes venus de leur pays ou de l’extérieur : du samba avec du funk, du heavy-metal avec des percussions traditionnelles, etc. Ils sont même souvent des précurseurs, voire « le futur de la musique » comme se plaît à le dire un David Byrne. Dans les années 70, un collectif comme les Novos Baianos (« Nouveaux Bahianais ») réussit par exemple à prolonger l’expérience collective tropicaliste sur un versant très « communautaire – hippie », avec quelques bonnes réussites musicales. Dans les années 80, on peut retrouver trace de l’esprit tropicaliste dans la démarche d’un Arrigo Barnabé par exemple, à la tête d’un mouvement d’avant-garde musical à Sao Paulo. C’est plus flagrant à partir des années 90, où un nouveau modernisme vient secouer une MPB un peu engluée dans ses clichés depuis les années 80. Face à la pauvreté et la corruption politique la musique reste (avec le football) un moyen d’expulser toute la négativité du quotidien, souvent une question de survie. Nous allons le voir avec quelques exemples significatifs : - Chico Science et son groupe Naçao Zumbi : musicien originaire de l’état du Pernambouc (Nordeste), il va créer un nouveau son, très vite populaire et influent. Mélange de rythmes régionaux (comme le maracatu) et d’apports rap, dub / reggae, funk, électronique. On parle de « mangue-beat ». Issu, comme beaucoup de ses comparses, d’un « afro-bloco » (groupe de percussions afro-brésilien qui s’illustre à travers le carnaval), il disparaît hélas trop précocement en 1997. Il influence toute une nouvelle génération d’expérimentateurs qui tentent de mélanger leurs racines avec les sons venus du rap, de l’electro, … Les échanges musicaux avec l’extérieur se sont développés depuis la période tropicaliste, et sont devenus une évidence pour ces musiciens.

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Chico Science & Naçao Zumbi : « Rios, pontes & overdrives » (Chico Science /Zero Quatro),1995. Extrait de l’album « Da lama ao caos ».

- Carlinhos Brown : Bahianais, on retrouve dans sa musique une démarche assimilable au cannibalisme culturel. Lui aussi issu du phénomène des afro-blocos, avec un fort apport des percussions nordestines et de la danse dans sa musique. Un mélange haut en couleur (vêtements, attitudes), totalement dans la tradition afro-bahianaise.

Carlinhos Brown :“Pandeiro-Deiro”(C. Brown), 1996. Extrait de l’album “Alfagamabetizado”. - Marisa Monte : de Rio. Très inspirée par l’esprit libertaire des tropicalistes, on en a fait une sorte d’héritière de Gal Costa. Sa musique plonge dans des directions très diverses, de la pop au rock d’avant-garde en passant par le samba traditionnel. Elle est notamment produite par Arto Lindsay, musicien expérimental américain ayant un fort ancrage au Brésil et qui a travaillé aussi, entre autres, avec Caetano Veloso. Monte s’est aussi produite avec Carlinhos Brown et Arnaldo Antunes dans le cadre du projet Tribalistas, sorte de « super groupe » rappelant les associations de la période tropicaliste.

Marisa Monte :“Para ver as meninas”(Paulinho da Viola), 2000. Extrait de l’album « Memories, chronicles and declarations of love”.

- Lenine : Osvaldo Lenine Macedo Pimentel est originaire de l’état du Pernambouc. Gros succès en France où il tourne régulièrement. Sa musique mélange rock, rythmes nordestins et nouvelles sonorités électroniques.

Lenine :“Jack soul brasileiro”(Lenine), 1999. Extrait de l’album « Na pressao ».

Morceau hommage à Jackson do Pandeiro, musicien mythique, précurseur du « groove nordestin ». Conclusion : Tous ces artistes mélangent, expérimentent et repoussent toute prétention d’une pureté musicale brésilienne qui serait isolée. Ils prolongent et développent, bien ancrés dans la réalité moderne, l’esprit d’ouverture recherché par les tropicalistes à la fin des années 60. Ils sont dans le mouvement d’une certaine globalisation culturelle mondiale, s’en inspirent et en démontent les mécanismes. La musique au Brésil, à l’image de la structure même de la société brésilienne et de son histoire, a toujours été poussée vers l’avant par le mélange d’influences traditionnelles et modernes, d’apports régionaux (avec les musiques du Nordeste par exemple) et internationaux (Afrique, Europe, jazz, funk, rock, rap, …). Le Tropicalisme, quant à lui, a été ce bref mouvement qui a apporté une certaine liberté formelle à la MPB, et élargit ses horizons. Jorge Mautner (compositeur, chanteur, écrivain) : « Le Tropicalisme, c’est la démocratie appliquée au domaine des arts ». Chico César (musicien) : « Le Tropicalisme, c’est comme recevoir la lumière d’une étoile déjà morte … ».

Et cette lumière reste particulièrement brillante …

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SELECTION DE DOCUMENTS Les documents mentionnés dans cette sélection sont disponibles dans les collections de l’Espace musique (sauf indication) de la Médiathèque de Vincennes, ou sont en cours d’acquisition. DISQUES COMPACTS

signale les disques dont un extrait a été diffusé pendant la séance d’écoute. Période « pré-tropicaliste » : - Bossa 4 two : compilation 049.7 A Greats duets for (avec Astrud Gilberto, Joao Gilberto, great moments Tom Jobim, Nara Leao, Quarteto Em Cy,

Chico Buarque, …) - Le Chant du Nordeste : compilation 049.7 A 1928 – 1950 (avec Luiz Gonzaga, Joao Pernambuco, …) - Eu vim da Bahia compilation 049.7 A (enregistrements 1965 – avec Maria

Bethânia, Gal Costa, Caetano Veloso, Gilberto Gil, Tom Zé)

- Jorge BEN Samba esquema novo 049.7 BEN (1963)

- Dorival CAYMMI No Zum Zum (ao vivo) 049.7 MOR Vinicius de MORAES (Elenco, 1964) QUARTETO EM CY Oscar CASTRO-VENES - Joao GILBERTO 38 titres de bossa nova 049.7 GIL (Compilation d’enregistrements 1958-61) - Nara LEAO The Muse of bossa nova 049.7 LEA (compilation)

Nara 049.7 LEA (album sorti sur le label Elenco)

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- Carmen MIRANDA The Brazilian bombshell 049.7 MIR (compilation ; enregistrements années 40. Sa personnalité haute en couleur et son mélange musical jazz / musiques latines / samba ont laissé une forte impression sur les tropicalistes)

- Vinicius de MORAES & Especialmente para Ciro Monteiro 049.7 MOR Baden POWELL (Elenco, 1965) - Baden POWELL O Universo musical de Baden Powell 049.7 POW (compilation ; enregistrements 1964 –72) - Caetano VELOSO & Domingo 049.7 VEL Gal COSTA (1967) Période tropicaliste : - Tropicalia ou divers 049.7 A Panis et Circensis (1968 – le « disque manifeste » du mouvement. Avec : Gilberto Gil, Caetano Veloso, Os Mutantes, Gal Costa, Nara Leao. Arrangé par Rogério Duprat)

- Tropicalia : divers 049.7 A a brazilian revolution (2005. Excellente compilation du label in sound anglais Soul Jazz Records. Livret (en anglais) très complet. Avec : Gilberto Gil, Caetano Veloso, Gal Costa, Jorge Ben, Os Mutantes,

Tom Zé)

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- Gal COSTA Gal Costa 049.7 COS (1969 – arrangements Rogério Duprat) - Rogério DUPRAT A banda tropicalista do Duprat 049.7 DUP (1968 – avec la participation de Os Mutantes) - Gilberto GIL O melhor de Gilberto Gil 049.7 GIL (compilation ; enregistrements 1967 – 73) - OS MUTANTES Everything is possible ! The best of … 049.7 MUT (compilation; enregistrements 1968 – 72) Tecnicolor 049.7 MUT (1970) - Torquato NETO Todo dia é dia D 049.7 NET (2002. Compilation hommage au poète parolier. Avec : Edu Lobo, Elis Regina, Gal Costa, Gilberto Gil, Nara Leao, …) - Caetano VELOSO O melhor de Caetano Velsoso 049.7 VEL (compilation ; enregistrements 1968 – 83)

Caetano Veloso 049.7 VEL (1967 – l’album avec « Tropicalia »)

Du « post-tropicalisme » à nos jours : - Beleza tropical 2 compilation du label Luaka Bop 049.7 A

(1998 – avec Gilberto Gil, Lenine, Chico Science, Marisa Monte, Tom Zé, Arnaldo Antunes, …. David Byrne, compilateur)

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- Black Rio : compilation 1971 – 1980 049.7 A Brazil soul power (groove” made in Brazil”. Avec : Jorge Ben, Trio Mocoto, Banda Black Rio, …)

- Samba soul 70 ! compilation 049.7 A (groove brésilien 70s ; avec : Erlon Chaves, Elis Regina, Elza Soares, Gal Costa, Trio Mocoto, …)

- BECK Mutations 2 BEC 60

(1998. Plusieurs morceaux inspirés et “hommages”aux tropicalistes sur cet album de l’Américain touche à tout de la pop)

- Jorge BEN A tabua de Esmeralda 049.7 BEN (1974) Ben 049.7 BEN (1972) Brazilian hits & funky classics 049.7 BEN (compilation) - Carlinhos BROWN Alfagamabetizado 049.7 BRO (1996 – produit par Arto Lindsay et Wally Badarou) Omelete man 049.7 BRO (1998) - Chico CESAR Beleza mano 049.7 CES (1998) - Gal COSTA Legal 049.7 COS (1970)

A todo vapor 049.7 COS (1971) - Marcelo D2 Looking for the perfect beat 290 D2 (A procura da batida perfeita)

(la nouvelle génération brésilienne. Mélange groove brésilien, rap, funk, électronique)

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- Gilberto GIL Les indispensables de Gilberto Gil 049.7 GIL (compilation ; enregistrements 1979 – 87) Gil revisitado 049.7 GIL (compilation 1967 – 1977) The Soul of Brazil : the very best of 049.7 GIL (compilation 1977 – 2002) - Joao GILBERTO Joao voz e violao 049.7 GIL (2000 – album produit par Caetano Veloso) - Rita LEE Lança perfume e outras manias 049.7 LEE (compilation) - LENINE Na pressao 049.7 LEN (1999)

Falange canibal 049.7 LEN (2002) - Arto LINDSAY Prize 049.7 LIN

(1999. Producteur pour Marisa Monte ou Veloso, ses albums « brésiliens » portent les inflexions d’une bossa du 21ème siècle, traversés par un rock expérimental des plus intelligents)

- Edu LOBO Cantiga de Longe 049.7 LOB (1970) - Marisa MONTE Rose and charcoal 049.7 MON (1994 – produit par Arto Lindsay)

A great noise 049.7 MON (1996 – produit par Arto Lindsay)

Memories, chronicles and declarations 049.7 MON of love (2000 – produit avec Arto Lindsay)

- OS NOVOS BAIANOS Acabou chorare 049.7 NOV (1972) - Chico SCIENCE & CSNZ 049.7 SCI NACAO ZUMBI (1998) Da lama ao caos 049.7 SCI (1995)

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- Caetano VELOSO Caetano Veloso 049.7 VEL (1969)

Caetano Veloso 049.7 VEL (1971 – album de la « période anglaise »)

Transa 049.7 VEL (1972) Araça azul 049.7 VEL (1972) Joia 049.7 VEL (1975) Qualquer coisa 049.7 VEL (1975) Livro 049.7 VEL (1997) Noites do Norte 049.7 VEL (2000) - Caetano VELOSO & Barra 69 049.7 VEL Gilberto GIL (live 1969. Paru en 1972) - Caetano VELOSO & Doces Barbaros 049.7 VEL Gal COSTA, Gilberto GIL , (1976) Maria BETHANIA - Caetano VELOSO & Eu nao peço desculpa 049.7 VEL Jorge MAUTNER (2002) - Tom ZE Brazil, vol. 5 : the hips of tradition 049.7 ZE (1992) Com defeito de fabricaçao 049.7 ZE (1998) Jogos de Armar (faça você mesmo) 049.7 ZE (2000) Estudando o pagoda 049.7 ZE (2005)

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VIDEOS - Yves BILLON & La Révolution tropicaliste V 049.7 BIL

Dominique DREYFUS (2001. Bon documentaire, avec de nombreuses images d’archives)

- Pierre BAROUH Saravah V 049.7 BAR (1969. Un film avec Baden Powell, Maria Bethânia, Pixinguinha, Paolinho da Viola)

- Carlinhos BROWN Bahia beat V 049.7 BRO

(1996. Documentaire de Claude Santiago + Concert aux Francofolies de La Rochelle + clips)

- Gilberto GIL Eletracustico V 049.7 GIL (filmé en concert au Canecao, Rio de Janeiro, 09/2004) - LENINE Cité V 049.7 LEN (En concert à la Cité de la Musique, Paris, 04/2004) - TRIBALISTAS Arnaldo Antunes, Carlinhos Brown V 049.7 TRI & Marisa Monte (2002) LIVRES - Caetano VELOSO Rock tropical et révolution 789 VEL (trad. 2003. Ed. Serpent à Plumes. Autobiographie) - Jean-Paul DELFINO Brasil a musica : panorama des musiques populaires brésiliennes 789 BRE (Ed. Parenthèses, collec. Eupalinos / Cultures musicales. 1998) - Chris Mac GOWAN & Le Son du Brésil : samba, bossa nova et Ricardo PESSANHA musiques populaires 789 BRE (Ed. Lusophone et ViaMedias. 1999) - MPB : Musique Populaire Brésilienne 789 BRE (Ed. Réunion des musées nationaux / Cité de la musique. Catalogue de l’exposition qui a eu lieu en 2005 au Musée de la musique, Paris, dans le cadre de « Brésil, Brésils » l’Année du Brésil en France)

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- Michel AGIER & Salvador de Bahia : Rome noire, Christian CRAVO ville métisse 981 AGI (photos) (Ed. et collec. Autrement, n° 148. 2005) (section adultes) - Béatrice DIDIER & Dictionnaire de la littérature brésilienne 869.1 TEY Paul TEYSSIER (PUF, 2000) (section adultes) - Bartolomé BENNASSAR Histoire du Brésil 1500 – 2000 981 BEN (Fayard, 2000) (section adultes) - Claudi R. CROS La Civilisation afro-brésilienne QSJ 3170 (PUF, 1997. Que sais-je ?) (section adultes- Dossiers) - Sylvie DEBS Brésil, l’atelier des cinéastes 791.44 DEB (L’Harmattan, 2004) (section adultes) - François-Xavier FRELAND Joao, Flavia et Marcos vivent au Brésil J 918.1 FRE (La Martinière Jeunesse, 2006. (section jeunesse) Trois enfants font découvrir leur pays et leur culture, de Salvador de Bahia à Rio de Janeiro, en passant par Brasilia) QUELQUES LIENS INTERNET - « Tropicalia » : un site très complet pour aborder le mouvement tropicaliste (en portugais et en anglais) : http://www2.uol.com.br/tropicalia/ - « All brazilian music » : guide en ligne, en anglais, sur la musique brésilienne (courants, artistes et discographies + extraits sonores) : http://www1.uol.com.br/allbrazilianmusic/ - « The wonders of brazilian music » : sélections discographiques par courants, artistes + ressources (en anglais) : http://www.slipcue.com/music/brazil/brazillist.html - interview( texte en français) de Tom Zé (parue dans le magazine « Vibrations ») : http://www.vibrations.ch/79/kiosque/tomze.html - « L’art engagé » : article paru dans la revue en ligne « Autres Brésils » : http://www.autresbresils.net/ancienne%20version%20du%20site/ARTICLES/artengage.htm

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Banana Night : Caetano Veloso pendant le show TV special de Chacrinha, 9 avril 1968. © Espace Musique, Médiathèque Coeur de Ville, Vincennes. Juin 2006.