Le travail en chambre mortuaire : invisibilité et gestion en huis clos

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Sociologie du travail 54 (2012) 157–177 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Le travail en chambre mortuaire : invisibilité et gestion en huis clos Working in the mortuary: Invisibility and management behind closed doors Judith Wolf Cermès 3, centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (CNRS/Inserm), site CNRS, 7, rue Guy-Môquet, 94801 Villejuif cedex, France Résumé Comment la société gère-t-elle ses morts ? Souvent situées au fond des hôpitaux, délaissées des soignants comme des directions d’établissement, marginalisées, voire stigmatisées, les chambres mortuaires rec ¸oivent pourtant près d’un défunt sur deux, représentant ainsi l’un des principaux lieux d’accueil de la mort en France. Agents hospitaliers, thanatopracteurs, employés des pompes funèbres, représentants religieux, etc. : toute une microsociété se déploie là, à la frontière du monde médical et du monde funéraire. On y découvre un univers paradoxal, aux hiérarchies bousculées. À partir d’une étude ethnographique, cet article décrit les processus de prise en charge des corps au sein des chambres mortuaires. En mettant l’accent sur les séries de collaborations qui forment la trame du traitement des défunts, il s’interroge sur le rôle de chacun et sur la portée de ce travail collectif. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Mort ; Hôpital ; Chambre mortuaire ; Corps ; Agents hospitaliers ; Funéraire ; Groupes professionnels ; Collaborations Abstract How does society manage the deceased? Often located in the most remote section of a hospital, forsaken by nurses, doctors, and management, even stigmatized, hospital mortuaries admit nearly one out of two deceased persons. They thus represent one of the main places receiving the dead in France. Hospital employees, morticians, funeral directors, the representatives of religions, etc., a full micro-society develops there at the borderline between medicine and funerals, a paradoxical place where hierarchies bump against each other. Adresse e-mail : [email protected] 0038-0296/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.soctra.2012.03.023

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Sociologie du travail 54 (2012) 157–177

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Le travail en chambre mortuaire :invisibilité et gestion en huis clos

Working in the mortuary:Invisibility and management behind closed doors

Judith WolfCermès 3, centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (CNRS/Inserm), site CNRS,

7, rue Guy-Môquet, 94801 Villejuif cedex, France

Résumé

Comment la société gère-t-elle ses morts ? Souvent situées au fond des hôpitaux, délaissées des soignantscomme des directions d’établissement, marginalisées, voire stigmatisées, les chambres mortuaires recoiventpourtant près d’un défunt sur deux, représentant ainsi l’un des principaux lieux d’accueil de la mort enFrance. Agents hospitaliers, thanatopracteurs, employés des pompes funèbres, représentants religieux, etc. :toute une microsociété se déploie là, à la frontière du monde médical et du monde funéraire. On y découvreun univers paradoxal, aux hiérarchies bousculées. À partir d’une étude ethnographique, cet article décrit lesprocessus de prise en charge des corps au sein des chambres mortuaires. En mettant l’accent sur les sériesde collaborations qui forment la trame du traitement des défunts, il s’interroge sur le rôle de chacun et surla portée de ce travail collectif.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Mort ; Hôpital ; Chambre mortuaire ; Corps ; Agents hospitaliers ; Funéraire ; Groupes professionnels ;Collaborations

Abstract

How does society manage the deceased? Often located in the most remote section of a hospital, forsaken bynurses, doctors, and management, even stigmatized, hospital mortuaries admit nearly one out of two deceasedpersons. They thus represent one of the main places receiving the dead in France. Hospital employees,morticians, funeral directors, the representatives of religions, etc., a full micro-society develops there at theborderline between medicine and funerals, a paradoxical place where hierarchies bump against each other.

Adresse e-mail : [email protected]

0038-0296/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.soctra.2012.03.023

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Fieldwork is used to describe how bodies are taken in charge inside hospital mortuaries. By emphasizingthe chain of acts of collaboration in the handling of corpses, questions are raised about each person’s roleand the scope of this collective work.© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Death; Mortuary; Corpse; Hospital; Hospital employees; Funeral; Occupational groups; Collaboration; France

Comment la société gère-t-elle ses morts ? Se poser cette question de manière empirique, c’est-à-dire en cherchant à savoir ce qui se joue dans les espaces et les temps qui sont consacrés auxdéfunts, amène inévitablement à se tourner vers l’hôpital1. En France, en effet, dès le milieu desannées 1970, le nombre des décès survenant à l’hôpital devient supérieur au nombre des décèssurvenant à domicile, faisant de l’hôpital le premier lieu d’accueil de la mort (Barrau, 1992 ;Monnier et Pennec, 2004). Aujourd’hui, sur les 530 000 décès annuels que l’on dénombre enFrance, plus de la moitié (58 %) se produisent dans un établissement de santé (Lalande et Veber,2009).

La prise en charge des morts par l’hôpital n’est pas un phénomène nouveau. Il s’inscrit dansun mouvement plus général de médicalisation des sociétés (Foucault, 2001) et a fait l’objetde nombreuses études notamment de la part d’historiens (Ariès, 1975, 1977 ; Vovelle, 1974,1983), d’anthropologues (Thomas, 1975, 1980) ou de sociologues (Glaser et Strauss, 1965, 1968 ;Sudnow, 1967). Pourtant, il est un domaine où la situation reste peu lisible, mal connue : celuide la gestion hospitalière de l’après-décès. Comment les défunts sont-ils pris en charge, quelleplace est faite aux familles durant les quelques jours précédant les obsèques où les corps peuventreposer dans l’enceinte de l’hôpital ? Peu d’études ont éclairé ce petit espace-temps. Il y a là unmoment charnière — où les corps ne dépendent plus d’une prise en charge soignante et ne sontpas encore placés dans le circuit d’une prise en charge funéraire — qui se soustrait aux regards etéchappe à l’action des politiques publiques.

En amont, la gestion de la fin de vie par l’hôpital a entraîné tout un mouvement de réflexions,de critiques (Elias, 1987 [1982] ; Déchaux, 2001), de réaménagement des pratiques, notammentà travers la mise en place des soins palliatifs qui se sont développés depuis une trentaine d’années(Baszanger, 2000, 2002 ; Baszanger et Salamagne, 2004 ; Castra, 2003 ; Moulin, 2000 ; Mino etFrattini, 2007). Mais en aval, rien de tel ne s’est observé : tandis qu’à l’extérieur, les pratiquesfunéraires connaissaient d’importantes évolutions, notamment sous l’effet de la fin du monopoledes pompes funèbres en 1993 (Trompette, 2008), à l’hôpital, le temps de l’après-mort n’a faitl’objet d’aucun investissement particulier. Contrairement à ce qui se passait dans le secteur funé-raire — où l’on a vu apparaître de nouveaux métiers (notamment, à partir des années 1960, celuide thanatopracteur) — à l’hôpital, aucun nouveau segment professionnel ne s’est constitué autourdes patients devenus des défunts. L’augmentation du nombre des décès accueillis par l’hôpitaldepuis une cinquantaine d’années s’est en quelque sorte faite insensiblement, l’institution absor-bant les défunts dans ses structures de fonctionnement et ses modes d’organisation. Avec cetteabsorption silencieuse, c’est tout un pan du rapport à la mort — celui qui a trait aux rapportsaux corps qui s’instituent lorsque les morts sont encore physiquement présents dans l’espace desvivants — qui semble disparaître de la scène publique. Paradoxalement, alors que leur gestion est

1 Je tiens à remercier vivement Isabelle Baszanger pour ses relectures successives, attentives et exigeantes qui m’ontété particulièrement précieuses.

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devenue plus collective et s’est professionnalisée, on sait mal ce qu’il advient des corps des mortsaprès le décès.

C’est à cette question que cet article est consacré. Il s’attache, d’une part, à étudier le travailhospitalier qui se déploie autour des morts — en montrant qu’il est le résultat d’un ensemblede collaborations entre groupes professionnels distincts — et, d’autre part, à rendre compte dela dimension sociale et politique de ce travail qui, du fait d’un déficit de gestion politique, seconstruit, pour une large part, dans une relative invisibilité.

Pour mener cette recherche, je me suis placée dans un espace de l’hôpital bien particulier, toutentier centré sur la prise en charge des morts : la chambre mortuaire. La chambre mortuaire est, parexcellence, le lieu dont un hôpital, entièrement tourné vers la préservation de la vie, souhaiteraitpouvoir se passer2. Parallèlement, ces espaces hospitaliers constituent, de fait, un lieu central dansl’accueil des morts et de leurs familles (un défunt sur deux est amené à y être pris en charge).Situés à la fois à la marge et au centre, ces espaces sociaux sont paradoxaux. On y découvre, eneffet, une configuration assez inédite où des agents, situés au plus bas de la hiérarchie hospitalière,se trouvent en première ligne non seulement pour s’occuper des corps et recevoir les familles,mais finalement pour s’acquitter d’une fonction bien plus vaste qui, faute d’une véritable politiquede gestion de la mort à l’hôpital, leur revient. Tout se passe comme si la question de la gestion dela mort, après avoir été, à l’échelle de la société, déléguée à l’univers hospitalier, était en quelquesorte, au sein de l’hôpital, déléguée, par défaut, à la chambre mortuaire et à ses agents.

1. Découvrir la chambre mortuaire

1.1. Un monde à part

Souvent située au fond de l’hôpital, parfois près des poubelles, rarement mentionnée sur lesplans, délaissée des soignants qui, sauf circonstances particulières, en ignorent pour la plupartla localisation, la chambre mortuaire n’est pas un espace anodin. Les lieux eux-mêmes souventvétustes, chargés d’histoire, peuvent être impressionnants (Genyk, 2005). Certaines chambresmortuaires ont ainsi des chambres basse-température collectives aménagées dans de grandescaves voûtées dans lesquelles les brancards portant les corps, enveloppés dans un drap, s’alignentcôte à côte. D’autres ont été récemment entièrement restructurées, modernisées. Dans une pièceon trouve alors une série de cases réfrigérées superposées sur plusieurs niveaux. Un élévateurélectrique, sur lequel les brancards contenant les corps viennent s’insérer permet d’accéder àchacun d’eux. Quelle que soit sa forme, ce dispositif de conservation des corps est placé hors dela vue des familles, dans la zone technique de la chambre mortuaire3. Cette présence des corpsmorts rassemblés en un même lieu est naturellement le premier élément à travers lequel la chambremortuaire est identifiée. Elle est même fréquemment réduite à cette identité, appréhendée commeun simple local de conservation des corps, une « consigne à cadavres »4.

Pourtant, ce que l’on découvre en premier lieu en pénétrant dans cet endroit, ce ne sont pastant des morts qu’un monde au travail. Des agents en blouse blanche accueillent les proches des

2 C’est ainsi qu’un grand hôpital parisien récemment construit avait tout simplement omis, dans son architecture,l’emplacement de la chambre mortuaire (celle-ci fut finalement intégrée au parking).

3 La législation impose, en effet, que toute chambre mortuaire soit divisée en deux zones distinctes, une zone publiquedestinée aux familles et une zone technique réservée aux professionnels.

4 Pour reprendre une expression utilisée par Danièle Hervieu-Léger, lors de son audition dans le cadre de la préparationde la loi sur la prise en charge de la fin de vie (Loi du 22 avril 2005 dite « Loi Leonetti ») (Audition du 19 novembre 2003).

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défunts, des brancardiers transportent des corps, des employés des pompes funèbres viennent fairedes levées de corps, des médecins légistes font leur expertise, des thanatopracteurs pratiquentdes soins, des policiers posent des scellés, des représentants de cultes officient, des toiletteursreligieux s’affairent auprès des défunts, des fleuristes, des livreurs de cercueils apportent leurslivraisons. . .

Toute une microsociété se déploie là, à l’intersection du monde médical et du monde funéraire.Loin d’être un service clos, la chambre mortuaire est un lieu de travail que se partagent plusieursgroupes professionnels. À l’échelle locale du quartier, de l’hôpital, le milieu mortuaire est unpetit milieu où, à force de se croiser, des hommes et des femmes de métiers divers finissent parse connaître, par former une petite communauté.

C’est dans ce réseau, fait de relations qui se tissent par petites séquences de courtes collabora-tions répétées dans le temps, que les familles sont accueillies, que les corps sont pris en charge. Ilconvient, dès lors, afin de rendre compte de ce travail « en actes » (Bidet et al., 2006 ; Bidet, 2004,2011), de l’observer dans son déroulement concret (Arborio et al., 2008), de se situer au cœur deces interactions. Cette étude est ainsi principalement fondée sur une enquête ethnographique aucours de laquelle j’ai passé huit mois au sein des chambres mortuaires de deux hôpitaux parisiensde l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris. J’ai fait le choix de mener cette enquête en parallèlesur deux sites hospitaliers, non dans le but de faire une étude comparative à proprement parler,mais parce que ce double regard offrait une mise en perspective intéressante, aidant à distinguerce qui, sur chaque terrain, était de l’ordre de contraintes spécifiques de ce qui relevait de pro-blématiques plus générales. Ce travail d’observation participante de longue durée a été complétépar des entretiens avec des agents et des responsables de chambre mortuaire travaillant dansd’autres établissements et par des observations ponctuelles d’une journée dans d’autres chambresmortuaires5.

Les deux hôpitaux qui sont au centre de cette étude ont pour particularité d’accueillir un nombreimportant de décès (1000 et 1500 par an). Une équipe d’agents (composée d’infirmiers, d’aides-soignants et d’agents de service hospitaliers et comptant cinq personnes dans un cas et sept dansl’autre) travaille donc à temps plein à la chambre mortuaire. Bien qu’ils occupent une positioncentrale — puisqu’ils ont la charge de ce service où ils sont donc les « maîtres du lieu » (qui plus est,on le verra, dans des conditions où ils jouissent d’une relative autonomie de fonctionnement) —ils n’ont qu’un rôle partiel, à l’instar de n’importe quel autre intervenant, dans le processus deprise en charge des défunts. Ils se trouvent ainsi régulièrement décentrés dans leur propre espacede travail, placés en position d’adjuvants ou d’auxiliaires des groupes professionnels « visiteurs »qui effectuent des actes sur lesquels ils ont toute autorité.

Ce qui est premier, dans la prise en charge des défunts, ce n’est donc pas l’action d’un groupeprofessionnel distinct, mais une série de collaborations.

1.2. Une levée de corps

Chambre mortuaire, hôpital parisien, le 31 octobre 2002, 10 h 35. (Notes de terrain)Quatre agents de la chambre mortuaire sont dans le bureau d’accueil.La sonnerie de la porte cochère retentit. Un des agents, depuis le bureau, actionne le mécanisme

d’ouverture de la porte. Tous les regards se tournent vers la fenêtre. Une jeune femme traverse lacour, entre dans le bureau.

5 À l’exception de quelques entretiens, ce travail d’enquête a été entièrement réalisé en région parisienne.

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— « Salut ! »Sur la mallette, gris métallique, qu’elle pose sur le bord du bureau, on peut lire : « BPAIJ-

GSVP » (Bureau de police administrative et instruction judiciaire - Groupe de surveillance de lavoie publique). La jeune femme, fonctionnaire de police, vient poser un scellé.

— « Alors, demande un des agents, ca va, c’est tranquille ? »— « Oh, oui. Y’a Bruno6 qui est malade, on tourne à cinq. »Tout en parlant, elle ouvre sa valise, en sort un appareil en forme de pistolet dans lequel elle

glisse un long bâtonnet de cire rouge. Elle branche le pistolet pour faire chauffer la cire.— « Et votre petite sortie entre filles, l’interroge un autre agent, c’était sympa ? »Elle rigole : « Très ! »Entre l’équipe de la chambre mortuaire et le service du commissariat du quartier qui s’occupe

des « OM » (« opérations mortuaires »), les relations sont simples et cordiales. D’abord, parcequ’étant donné que les trois quarts des convois nécessitent la présence de la police, les policiersviennent presque quotidiennement (parfois jusqu’à trois, quatre fois par jour) à la chambre mor-tuaire (ils sont sept à venir à tour de rôle, cinq hommes et deux femmes). Ensuite, parce qu’ilsont, dans l’ensemble, sensiblement le même âge, une trentaine d’années, ce qui sans doute lesrapproche, rend les échanges faciles. Très vite, donc, les policiers et les agents ne sont plus les unspour les autres des fonctions, mais des individus singuliers. L’ambiance entre eux est détendue.

Un livreur de cercueil passe la tête dans l’entrebâillement de la porte :— « Bonjour ».— « T’as une petite boîte pour nous ? » lui demande un des agents.— « J’en ai deux, je peux les apporter ou. . . »— « Tu peux attendre 5 minutes ? »— « Pas de problème », répond l’homme et il ressort. Il attendra que les proches soient entrés

dans le salon où se fait la levée de corps pour traverser la cour, vide, avec ses cercueils.Le téléphone sonne. « Chambre mortuaire, bonjour. . . . Attends, je regarde ». L’agent tourne les

pages du registre de destination des corps posé devant lui. « K. c’est ca ?. . . Un soixante-quinze ».Deux hommes, pantalon foncé, veste noire, chaussures noires, cravate, viennent d’entrer dans

le bureau : un maître de cérémonie et un porteur.— « Dis donc, t’as pas maigri, toi ! », lance un des agents à l’un d’eux.— « M’en parle pas, j’ai pris quatre kilos en un mois ! »La policière lui remet l’autorisation de transport de corps délivrée par la préfecture.— « Merci. On peut y aller ? ajoute-t-il, ma famille est prête. »La policière interroge du regard l’agent de la chambre mortuaire assis derrière le bureau. Il se

tourne vers une horloge accrochée au mur : 10 h 44.— « Oui, oui, tu peux y aller ».Les deux opérateurs funéraires sortent. La policière débranche le pistolet.— « Tu viens prendre un café avec nous après ? », lui propose un des agents.— « J’peux pas, j’ai un domicile à 11 h. »La policière se dirige vers le salon de départ. Changement d’atmosphère : à la chaleureuse

convivialité du bureau succèdent le silence et la réserve qui accompagnent souvent la mise enprésence des professionnels et des familles. La pièce est petite, rectangulaire, sans fenêtre, éclairéepar un néon. Au fond, une double porte est fermée. La pièce est à peine plus large que ces portes.Au centre, un cercueil, encore ouvert, est posé sur deux trépieds en bois. Il occupe presque tout

6 Tous les prénoms ont été changés.

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l’espace. Le couvercle est posé sur le cercueil, mais il n’en couvre que les deux tiers ; il estdécalé, placé de facon à ce que le visage du mort soit apparent. La famille, les employés del’entreprise funéraire et un agent de la chambre mortuaire se trouvent rassemblés. En voyantla policière entrer, le maître de cérémonie a fait un signe de tête : il est temps de fermer lecercueil.

L’agent de la chambre mortuaire, placé à la tête du cercueil, ramène le bord du capiton àl’intérieur du cercueil, recouvrant ainsi le haut du corps du mort. À l’autre extrémité, un desporteurs appuie sur le bas du couvercle qui se soulève. L’agent en saisit le haut et, à deux, ils lepositionnent lentement et sans faire de bruit sur le cercueil. Les autres porteurs se sont rapprochésdu cercueil. L’agent leur tend des vis et des cache-vis qui étaient disposés sur une toute petite tabledans un coin de la pièce. Les hommes glissent les vis dans les trous prévus : quatre de chaquecôté, une à chaque extrémité. De la poche intérieure de leur veste, ils ont sorti des tournevis.Tandis qu’ils vissent silencieusement, la policière pose ses scellés, sur les vis destinées à cetusage, placées aux deux extrémités du cercueil : elle les recouvre de cire et y appose le sceau de lapréfecture. Puis elle sort de la pièce. Son intervention a duré à peine plus d’une minute. Au pieddu cercueil, le maître de cérémonie s’adresse aux porteurs : « Messieurs. . . ». Les quatre hommessoulèvent le cercueil par des poignées. L’agent de la chambre mortuaire retire rapidement lestréteaux pour qu’ils ne gênent pas la marche. Les porteurs, le cercueil à l’épaule, sortent, suivispar la famille.

Réception des défunts, toilettes, habillage, présentations aux proches, levées de corps. . . :chacun de ces moments de prise en charge se présente comme une petite séquence d’actionmettant en scène divers protagonistes.

Ce qui apparaît très vite, lorsqu’on se trouve pris dans ce quotidien, c’est la segmentation desprises en charge et le nécessaire travail de coordination qu’implique chacune de ces séquences. Cequi, au contraire, a tendance à disparaître du regard, à ne plus être percu, à devenir « invisible »,c’est la continuité d’une prise en charge particulière. Le caractère morcelé des prises en chargeapparaît dans ce lieu comme un des éléments les plus caractéristiques de l’organisation hospita-lière. Chacun travaille sous contraintes, sans avoir une conscience claire de celles qui pèsent surles autres. Aucun des intervenants n’a de vue d’ensemble sur le processus.

La professionnalisation de la gestion des morts se traduit ainsi d’abord par un morcellement desdomaines de compétence. Certains actes deviennent ainsi le noyau autour duquel se forment denouvelles professions (la thanatopraxie en est le modèle type), tandis que d’autres gestes, situés àla frontière de ces zones de professionnalisation (comme l’habillage, par exemple), apparaissent,par contraste, comme peu signifiants, sont banalisés et ne dotent pas les professionnels qui lesexécutent d’une identité qui leur assurerait lisibilité et reconnaissance. Il en va ainsi, notamment,des agents de chambre mortuaire, dont les attributions ne s’unifient pas autour d’une compétenceunique (puisqu’ils sont, comme on le verra, « multitâches ») et qui peinent à construire une identitéprofessionnelle spécifique. Mais cette situation a également des conséquences sur la lecture quel’on peut faire de l’évolution des rapports aux corps morts. Il est aisé de dire que ces rapportsont été marqués par une augmentation de la pratique de la crémation ou par une large diffusiondes soins de thanatopraxie : nous disposons, pour cela, d’indicateurs fiables (Michaud-Nérard,2007). Mais qu’en est-il de ce que l’on pourrait appeler la relation de « corps à corps » avec ledéfunt, c’est-à-dire de ce qui a lieu dans les moments où les vivants doivent composer avec lamatérialité du mort ? Sur ces rapports-là, sur la manière dont la présence de ces corps se donneà voir, à toucher, à manipuler, nous ne savons pas dire grand-chose, nous ne disposons pas dedonnées fines, précises. Ce que nous savons des rapports au corps mort est totalement dépendantdu découpage en territoires professionnels dont il fait l’objet.

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Observer la prise en charge des défunts à l’hôpital, c’est d’abord observer ces partages deterritoires.

2. Une prise en charge collective

« Tout travail, nous dit Everett Hughes, implique une sorte de matrice sociale », prend place dansun système d’interactions qui met en relation des individus qui occupent des fonctions différentes.Par conséquent, « si l’on veut comprendre tel ou tel travail, il faut d’abord comprendre le rôle desdifférentes personnes qui y sont impliquées » (Hughes, 1996a, p. 95).

La prise en charge des morts à l’hôpital se prête tout particulièrement à cette approche interac-tionniste, dans la mesure où elle est toujours une réalisation collective, impliquant plusieursgroupes professionnels, hospitaliers et extrahospitaliers. Tous ces professionnels ne sont pasimpliqués de la même manière : il y a ceux qui n’interviennent que dans un contexte mortuaire(les pompes funèbres, les thanatopracteurs.) et ceux pour lesquels la mort ne représente qu’unepartie de leur activité (les brancardiers, les représentants de cultes religieux. . .). Il y a ceuxqui prennent en charge toute une partie du processus (les agents en chambre mortuaire ou lesemployés des pompes funèbres) et ceux qui n’interviennent que ponctuellement (les policiers,par exemple), voire épisodiquement, dans des circonstances particulières (comme le médecinlégiste). Il y a ceux qui sont en contact avec les familles des défunts et ceux qui restent « dansles coulisses ». Certains de ces professionnels travaillent régulièrement en étroite collaborationles uns avec les autres (une levée de corps, par exemple, peut ainsi réunir autour du cercueilagents en chambre mortuaire, employés des pompes funèbres, représentant religieux et policiers),d’autres ne sont jamais amenés à se rencontrer et ne se croisent que très exceptionnellement, soitparce qu’ils interviennent dans des moments distincts du processus (c’est le cas, par exemple,entre les brancardiers hospitaliers et les employés des pompes funèbres), soit parce que leursactivités s’excluent l’une l’autre (comme c’est le cas, en général7, pour les thanatopracteurs etles toiletteurs religieux). Certains travaillent en équipe (les porteurs), d’autres travaillent seuls(les thanatopracteurs).

La chambre mortuaire apparaît comme une sorte de plaque tournante où des prises en chargede formes diverses se mêlent, chaque défunt suivant un parcours qui lui est propre. Le traitementdes défunts prend ainsi la forme d’une véritable chorégraphie collective (Cussins, 1996). Suivrele parcours des défunts depuis le décès jusqu’à leur sortie de l’hôpital, c’est d’abord voir sesuccéder ces divers groupes professionnels qui interviennent de manière circonscrite dans leprocessus.

C’est la totalité des différentes opérations réalisées (transport, habillage, mise en bière, etc.)qui, prises dans leur ensemble, constituent ce qu’on appelle « la » prise en charge. Celle-ci estdonc plurielle et compartimentée.

7 Si ces deux interventions sont, dans l’esprit des familles qui y ont recours, antagonistes, il arrive cependant qu’ellessoient, au moins officiellement, pratiquées en parallèle. Le problème se pose, en effet, lorsqu’un défunt, appartenant à lacommunauté juive ou musulmane et qui recoit une toilette religieuse, doit être inhumé à l’étranger. Un certain nombre depays imposent, en effet, comme condition de transport, que le corps ait recu un soin de thanatopraxie. En pratique, cettesituation donne lieu à des compromis et des arrangements (un thanatopracteur pourra, par exemple, remplir un certificatde soin alors que celui-ci n’aura pas été complet).

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2.1. Transporter les corps à la chambre mortuaire : les brancardiers

Une fois le certificat de décès signé par le médecin, le corps quitte rapidement le service desoins. Dans les gros hôpitaux, ce sont des brancardiers qui se chargent de son transport vers lachambre mortuaire. De jour, le corps est directement réceptionné par les agents de la chambremortuaire.

Un petit déclic, le bruit de la porte réservée au personnel qui s’ouvre, le cliquetis d’un chariotqu’on roule, des bruits de voix : « Ah, voilà les brancardiers qui amènent un corps ! ». Une partiede l’équipe interrompt alors sa tâche pour aller prêter main-forte aux brancardiers, aider à fairepasser le corps du chariot molletonné des services de soins à celui, métallique, de la chambremortuaire. Le relais se prend à ce moment-là, dans ce transfert qui peut, en souplesse, être faiten commun. Ce passage de relais, routinier, s’effectue sans que les gestes aient besoin d’êtrecommentés. La conversation, à bâtons rompus, s’engage d’emblée, facilement. Les échanges sontcordiaux, parfois personnalisés, souvent teintés d’humour.

Le passage des brancardiers se fait de manière éclair. On prend le temps d’échanger quelquesmots, mais tout va très vite. Avec eux, le temps est fractionné, morcelé. Ils ne restent jamaislongtemps, mais à tout moment ils sont susceptibles de venir à la chambre mortuaire, de manièreimpromptue. Leur arrivée vient s’inscrire dans le travail en cours. Les interactions se font ainsi,par petites touches. Le tutoiement est de mise. À force de se croiser, même brièvement, des liensparfois se créent, au fil du temps. Je n’ai cependant jamais vu de brancardier prendre le temps departager un café, comme cela se fait, assez régulièrement, avec d’autres professionnels passantpar la chambre mortuaire. Leur rythme de travail ne le leur permet pas. En revanche, cela se faitplus naturellement avec des policiers ou des employés de pompes funèbres qui arrivent toujoursavec au moins quelques minutes d’avance par rapport à l’horaire des levées de corps et doiventdonc patienter pendant que les proches se recueillent auprès du défunt.

Pendant ce passage de relais, il n’est pas fait allusion au patient décédé. L’intervention desbrancardiers opère une rupture dans la prise en charge hospitalière des défunts ; s’ils font transiterle corps d’un lieu à un autre, ils ne sont pas pour autant vecteur de transmission. Ils ne savent, leplus souvent, rien de la personne qu’ils transportent et qu’ils ne voient pas : quand ils vont dansle service, le corps est, en effet, prêt à être transporté, c’est-à-dire déjà enfermé dans un drap, etils quittent la chambre mortuaire, où ce drap sera ouvert, aussitôt après avoir déposé le corps.

2.2. Recevoir et préparer les corps : les agents de la chambre mortuaire

Les agents de la chambre mortuaire s’occupent des défunts dès leur arrivée. Ils les « préparent ».Cette étape du traitement du mort est au centre de la prise en charge hospitalière des défunts. La« préparation » des corps se fait, en effet, de manière systématique : aucune famille n’est jamaismise en présence d’un défunt dans la chambre mortuaire avant que le corps n’ait été préparé ; tousles corps recoivent le même traitement.

Le corps arrive nu dans un drap noué aux deux extrémités. Le premier geste des agents consisteà ouvrir ce drap, à « déballer le corps ». La prise de contact avec le défunt se fait donc dans unface-à-face direct, qui n’est pas dénué de brutalité, avec un patient dont ils ne savent rien8.

8 C’est progressivement, par la lecture du bulletin d’identification puis lors de la rencontre avec la famille et des contactstéléphoniques avec l’entreprise de pompes funèbres, que le patient perdra son anonymat et se verra réinscrit dans sonhistoire.

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Dénouer un drap, ouvrir une housse9 pour découvrir un défunt n’est jamais tout à fait ano-din. Ce geste a beau être routinier, il est toujours potentiellement déstabilisant — parce que ledéfunt est très jeune, par exemple, ou parce que le corps est dans un mauvais état. Si l’habitudeagit comme un écran, si le contact avec les corps morts s’apprend, fait l’objet de socialisa-tions particulières dans le monde médical (Fox, 1988 [1979]) et funéraire (Cahill, 1999), cesformes de familiarisation ne prémunissent pas toujours contre les émotions (Bernard, 2009 ;Wolf, 2006).

Préparer un défunt consiste à s’assurer du bon état du corps, à faire éventuellement une toilette,à procéder, le cas échéant, à l’ablation du pacemaker, à mettre des pansements sur des plaiesvisibles ou sur des traces laissées par un soin. Une attention particulière est portée au visage.Ainsi, les agents font en sorte que la bouche reste fermée, en pratiquant si nécessaire une suturedes lèvres, remettent en place un éventuel dentier, et veillent à ce que les paupières restent closes,au moyen parfois d’un couvre-œil qu’ils glissent sous la paupière pour compenser l’affaissementdu globe oculaire. Une « têtière » — appui-tête en bois qui permet de maintenir la tête légèrementsurélevée — est glissée sous la nuque. Le corps est ensuite installé entre des draps propres, levisage apparent, et placé dans un espace réfrigéré. Il n’en sera extrait que ponctuellement, pour lesvisites des proches, pour être habillé, ou encore pour que soient réalisés une toilette religieuse ou unsoin de thanatopraxie. La préparation d’un corps se fait seul ou à deux et prend, en moyenne, entredix et 25 minutes. Souvent, plusieurs corps sont préparés en même temps, les agents se mettent àdeux pour faire certains gestes (soulever le corps pour le placer sur un drap propre, par exemple)puis terminent seuls. Ces gestes peuvent se trouver interrompus (par l’arrivée d’une famille, lalivraison d’un cercueil, un appel téléphonique. . .). Un autre agent prendra alors éventuellementle relais. L’activité est souvent fractionnée. Les agents ont, en effet, plusieurs tâches à effectuer(mises en bière, accueil des familles, assistance aux autopsies, réception des agents des pompesfunèbres, etc.) et les priorités sont susceptibles de changer.

La préparation des corps incombe entièrement aux agents de la chambre mortuaire. Par cetteaction, ils opèrent la transition entre une prise en charge soignante et une prise en charge funéraire.L’objectif de cette intervention est, en effet, double : s’il s’agit de faire en sorte que les corpspuissent être présentés à la famille, il s’agit également de les préparer en vue de leur inhumationou de leur crémation10. Un certain nombre de gestes est ainsi automatiquement effectué, quel quesoit le défunt, indépendamment de toutes considérations liées à son appartenance religieuse ou àla suite de son parcours.

Après ce premier moment d’accueil des corps à la chambre mortuaire, les trajectoires sediversifient. Toilette religieuse pour les uns, soins de thanatopraxie pour d’autres, ou encoreretour à visage découvert à domicile ou vers une chambre funéraire ; les prises en charge varienten fonction des appartenances religieuses, des souhaits des défunts et des familles. C’est à partirde là que la chambre mortuaire s’ouvre à des professionnels extérieurs à l’hôpital. C’est égalementà partir de là que les corps pourront être traités en fonction de ce que demandent les familles.Jusque-là, en effet, du moins dans les gros hôpitaux qui imposent des règles de fonctionnementdifficilement contournables, les défunts ont été traités de manière standard sans que les famillespuissent participer à ces moments de prise en charge. Le transport et la préparation des corps sepassent entièrement « dans les coulisses ».

9 Les défunts qui sont porteurs d’une maladie infectieuse sont placés dans une housse en plastique.10 D’où, par exemple, le retrait systématique des prothèses cardiaques — le lithium contenu dans certaines étant

susceptible de faire exploser les fours lorsqu’il y a crémation.

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2.3. Corps-mémoire, corps sacré : thanatopraxie et toilette religieuse

Viennent ensuite les actes par lesquels chaque prise en charge se différencie, devient singulière.On peut distinguer deux grands types de prise en charge : une prise en charge laïque et une prise encharge religieuse. Celles-ci mettent en scène des intervenants différents, dont le thanatopracteur,d’une part, et les représentants des diverses traditions religieuses, de l’autre, sont les deux grandesfigures. Dans un cas, le corps est appréhendé comme un corps-mémoire, renvoyant tout entierà ce que fut la personne de son vivant. Il apparaît alors important d’en conserver une imageaussi fidèle que possible. C’est dans cette perspective que travaillent les thanatopracteurs. Leurintervention consiste à préserver l’intégrité du corps, à retarder, par des moyens physiques, sadécomposition. Il s’agit en quelque sorte de figer un état présent du corps pour ne pas laisserse perdre le souvenir d’un état passé — d’où la dénomination de « soin de conservation ». Lesprises en charge religieuses se placent dans une perspective inverse puisqu’elles inscrivent lemort dans un devenir. Certaines n’entraînent pas de traitement spécifique du corps. D’autres, aucontraire, imposent un rituel particulier : la toilette mortuaire religieuse11. Les toilettes religieusessont essentiellement pratiquées dans les religions juive et musulmane. Elles mettent en scène destoiletteurs religieux — de même sexe que le défunt — qui interviennent seuls, ou à deux, maissans se faire assister par le personnel de la chambre mortuaire. Ils officient, dans une pièce à part, àl’abri des regards. Ils perpétuent un rite qui tire une partie de son sens, de sa force symbolique, deson caractère traditionnel. À l’opposé, la thanatopraxie se présente comme une méthode modernede traitement du corps.

Introduite en France au début des années 1960 (Marette, 1999), la thanatopraxie s’estrapidement développée : 40 % des défunts font aujourd’hui l’objet d’un soin de conservation(Lemonnier et Pesquera, 2007). La profession compte près de 1000 thanatopracteurs12 qui pra-tiquent 200 000 soins de conservation par an (Guez-Chailloux et al., 2005). Le métier, à l’originepresque exclusivement masculin, connaît une féminisation rapide ; le pourcentage de femmesthanatopracteurs est ainsi passé de 11 % en 2004 à 30 % en 2007 (Hardy, 2007). Le prix d’un soinvarie entre 150 et 500 euros13.

Le soin de thanatopraxie, également appelé « soin de conservation », « IFT »14 ou, plus allu-sivement, « soin »15, est un procédé qui consiste à substituer au sang une solution antiseptique àbase de formol qui retarde le processus de décomposition du corps. Le sang est drainé tandis quesix à huit litres de produit conservateur sont injectés par voie artérielle dans le système vasculaire.Les cavités thoraciques et abdominales sont ponctionnées. Ce traitement du corps n’est pas un

11 Ces toilettes relèvent d’une pratique religieuse et ne peuvent être accomplies que par un membre reconnu de la commu-nauté mandaté par les instances religieuses représentatives ; elles se distinguent des « toilettes mortuaires » effectuées parun personnel hospitalier sur tous les corps sans distinction.12 La plupart des thanatopracteurs commencent par être salariés d’une entreprise de pompes funèbres. Certains, ensuite,

se mettent à leur compte.13 Cet éventail de prix s’explique non seulement par la mise en concurrence des entreprises, mais également par le fait

qu’un soin de thanatopraxie peut recouvrir des actes allant du soin simple à une véritable restauration du corps au moyende matériaux spécialisés (cires, latex, perruques, etc.) lorsque l’état d’un défunt le nécessite.14 Cette appellation, qui reprend le sigle du premier institut de formation des thanatopracteurs (l’Institut francais de

thanatopraxie), sert communément de diminutif pour désigner l’acte proprement dit.15 C’est ainsi, par exemple, que les opérateurs de pompes funèbres peuvent évoquer ce traitement par euphémisme

lorsqu’ils en parlent aux familles : « Souhaitez-vous que le défunt recoive des soins ? ». Sur les enjeux de ces différentesdénominations (Lemonnier, 2003 ; Lemonnier et Pesquera, 2007).

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embaumement ; les viscères ne sont pas retirés. Le corps n’est ainsi préservé de la dégradationque pendant une durée limitée (de quelques jours à quelques semaines).

Les thanatopracteurs interviennent ponctuellement en chambre mortuaire. Ils travaillent ensolitaire, se déplacent avec leur matériel — contenu dans deux grosses valises métalliques — etrepartent, une heure et demie après environ, une fois le soin effectué.

Les thanatopracteurs occupent une place à part dans l’univers funéraire. Ils sont les premiersacteurs du milieu mortuaire à avoir un diplôme d’État, ce qui leur confère une reconnaissanceque les autres n’ont pas. Dans cet univers dans lequel on entre bien souvent sans qualification etoù l’on exerce des activités diverses (il faut parfois être polyvalent), le métier de thanatopracteur,très précisément circonscrit, apparaît comme une profession noble. La profession est récente, ellene porte pas le poids de l’héritage des dissections anatomiques (Le Breton, 2008 ; Mandressi,2003). Résolument ancrée du côté des pratiques funéraires et non dans le monde médical, elles’inscrit, de manière symbolique, dans la filiation de la civilisation égyptienne et de ses embau-mements, c’est-à-dire d’une société où les morts tenaient une place privilégiée. Elle conciliedonc à la fois une image de modernité (celle de morts « propres », de techniques spécifiquesqui élèvent cette pratique au rang de science) et un héritage antique qui lui confère une certainegrandeur.

Théoriquement, l’intervention d’un thanatopracteur marque la limite de celles des agentspuisqu’ils n’auront plus alors ni à habiller le défunt ni à le maquiller : c’est le thanatopracteur— et, à travers lui, l’entreprise de pompes funèbres qui l’emploie — qui est responsable de l’étatdu corps. En pratique, cependant, les échanges entre thanatopracteurs et agents de chambre mor-tuaire sont nombreux : non seulement parce qu’il est fréquent que les agents prêtent main-forte authanatopracteur — qui travaille seul — dans les moments de manutention du corps, mais surtoutparce que ce dernier leur enseigne certaines techniques. Auprès des thanatopracteurs, les agents,qui n’ont pas de formation spécifique et se transmettent leurs savoir-faire par compagnonnage,apprennent ainsi à utiliser des couvre-œil, à suturer les lèvres en faisant passer le fil sous lamâchoire pour qu’il ne soit pas visible (ils disent ensuite qu’ils appliquent « la couture thanato »)ou encore à maquiller le visage en utilisant diverses poudres ou fonds de teint ainsi que du matérielspécialisé (pinces, pinceaux. . .) dont ils peuvent ensuite passer commande auprès de l’hôpital.

2.4. La prise en charge funéraire : les employés des pompes funèbres

Les employés des pompes funèbres sont chargés de l’organisation des obsèques. C’est avec euxque les agents de la chambre mortuaire collaborent le plus étroitement. Si l’entreprise funéraireest seule responsable de négocier avec les familles le choix des obsèques, en pratique, celles-ciimpliquent la participation active des agents hospitaliers. Les deux groupes professionnels sontdonc en relation permanente pour régler un certain nombre de détails. Ainsi, pour un défunt donné,l’entreprise téléphonera plusieurs fois à la chambre mortuaire pour les informer des spécificitésd’une prise en charge (passage d’un thanatopracteur, date et heure de la levée de corps, cérémoniereligieuse à prévoir, etc.), mais aussi pour prendre certains renseignements (notamment la tailledu défunt — bien qu’il incombe officiellement aux entreprises funéraires de prendre les mesuresdu corps afin de définir la taille du cercueil qui convient, dans les faits, pour éviter qu’ils aient àse déplacer, ce sont les agents de la chambre mortuaire qui les leur communiquent par téléphone).Le brouillage des frontières que l’on observe souvent dans la manière dont se fait le partage destâches entre ces deux groupes ne tient pas seulement aux effets d’une étroite coordination ; ilprovient également du fait qu’une partie de l’activité est commune à ces deux métiers. De fait, uncertain nombre d’agents des chambres mortuaires sont d’anciens employés des pompes funèbres.

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En dehors des actes médicotechniques (prélèvements et autopsies), le traitement des défuntsest, en effet, le même en chambre mortuaire et dans une chambre funéraire16. Les agents despompes funèbres et les agents des chambres mortuaires sont donc amenés à avoir toute une pano-plie de gestes en commun. Un certain nombre de tâches relèvent du domaine de compétencesdes uns comme des autres : la toilette mortuaire, l’habillage, la présentation des corps, la mise enbière peuvent ainsi être effectués indifféremment par les deux groupes professionnels. Le partagedu travail lorsque l’on se situe dans une chambre mortuaire dépend des habitudes locales. Ainsi,dans les petites chambres mortuaires où l’équipe se réduit à deux, voire à une seule personne, il estcourant que la mise en bière soit faite par les employés des pompes funèbres. Dans les chambresmortuaires plus grandes, ce sont les agents hospitaliers qui en ont la charge. Le fait que la déli-mitation des tâches ne soit pas fixe peut parfois engendrer des situations ambiguës, notammentvis-à-vis des familles qui ne savent pas toujours clairement qui fait quoi. Certains agents consi-dèrent qu’ils doivent aux familles une information complète : « On précise aux familles, indiqueun responsable de chambre mortuaire, que c’est nous qui faisons la mise en bière, c’est-à-dire pasles Pompes Funèbres et que donc ca ne leur est pas facturé ». L’information permet aux familles,qui le plus souvent n’assistent pas à la mise en cercueil, de contester, le cas échéant, une facturationindue17.

Dans certains cas, les agents se font donc les adjuvants des familles en les aidant à défendreleurs intérêts vis-à-vis des entreprises funéraires. Cependant, toute intervention qui pourrait êtrevue comme une forme d’ingérence dans les relations entre les entreprises et leurs clients est extrê-mement délicate pour ces agents qui ont souvent été (et risquent toujours d’être) en position dese voir proposer de percevoir des avantages financiers par les entreprises de pompes funèbres quise verraient recommandées. Ces pratiques, très sévèrement condamnées (les sanctions pénalesprévoient plusieurs années de prison et une forte amende18) ont, de plus, contribué à jeter le dis-crédit sur des métiers déjà fort dépréciés. Dans ce contexte, toute intervention de la part des agentshospitaliers dans les questions funéraires est très vite suspecte. Certains agents s’autocensurent àtel point qu’ils s’interdisent de dire aux familles qu’elles ont la possibilité de demander des devisavant de faire leur choix.

Depuis la fin du monopole des pompes funèbres, en janvier 1993 (Boissin et Trompette, 2000,2002 ; Trompette, 2008), toute l’attention des pouvoirs publics s’est concentrée sur le moyen derendre le marché qui s’ouvrait équitable, afin de favoriser le jeu de la libre concurrence entreles entreprises. Dans cette perspective, les agents des chambres mortuaires sont apparus commeun groupe potentiellement « dangereux » parce que plus susceptible que d’autres de fausser laconcurrence. Situés entre ville et hôpital, à la frontière entre monde soignant et monde funéraire,les agents occupent, en effet, une zone charnière, se placent dans une sorte d’entre-deux quifavorisent des arrangements illicites. Dès lors, l’effort a consisté à séparer nettement les deuxunivers. C’est ainsi, par exemple, qu’il est interdit à un agent de chambre mortuaire, même s’ilpossède le diplôme requis, de pratiquer des soins de thanatopraxie. Ces délimitations de territoires

16 La « chambre funéraire » relève des services privés d’une entreprise de pompes funèbres. Le séjour y est payant.La « chambre mortuaire » appartient à un établissement hospitalier. Le séjour en chambre mortuaire est gratuit pendantles trois premiers jours. Dans les établissements de l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris (l’AP–HP), la gratuité del’ensemble du séjour est de mise. Selon l’Association francaise d’information funéraire (AFIF), c’est également le casdans de nombreux autres établissements de santé.17 Le prix d’une mise en bière varie, en fonction des entreprises funéraires, entre 80 et 250 euros.18 La loi différencie la corruption active, pratiquée par les entreprises funéraires qui versent les pots-de-vin, de la

corruption passive, dont se rendent coupables les agents hospitaliers qui recoivent ces pots-de-vin.

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ne se font cependant pas sans heurt, notamment parce que la ligne de démarcation qui est clairementtracée par le législateur et qui renvoie chacun des deux groupes à des univers d’appartenance biendistincts (le marché funéraire/l’hôpital) ne se superpose pas exactement à ce qui se vit dans lapratique. Au quotidien, en effet, les agents des chambres mortuaires entretiennent plus de relationsavec les employés des pompes funèbres qu’avec leurs collègues hospitaliers travaillant dans lesservices de soins. Les échanges sont quotidiens, réguliers. Les deux groupes partagent une formed’appartenance à un milieu commun, ne serait-ce que parce que les employés de pompes funèbres,qui circulent en permanence d’un hôpital à un autre, d’un funérarium à un autre, rapportent desanecdotes, donnant même parfois à des agents des nouvelles d’un collègue hospitalier affectéailleurs, font circuler des informations qui finissent par constituer une sorte d’univers partagé.Pour certains agents, il est très net qu’ils se sentent appartenir à ce qu’ils définissent comme « lemilieu mortuaire ». À leurs yeux, la ligne de partage n’est pas d’ordre institutionnel, mais renvoieà la nature du travail et passe donc entre ceux qui s’occupent des vivants et ceux qui s’occupentdes morts. Depuis une vingtaine d’années cependant, les frontières entre les deux groupes ontété réaffirmées. Dans un premier temps, la fin du monopole des pompes funèbres a ouvert unprocessus de professionnalisation du secteur funéraire marqué par une redéfinition des métiers etla mise en place de formations. Dans un deuxième temps, à la suite de la survenue d’événementsqui ont fait scandale (les 15 000 décès liés à la canicule de l’été 2003 et la découverte, en août2005, de fœtus indûment conservés dans une chambre mortuaire), le statut des agents de chambremortuaire a été réévalué : il revient désormais à des aides-soignants, ayant suivi une formationspécifique19, d’assurer cette fonction20. La revalorisation de la condition de ces agents passedonc par une affirmation de leur statut de soignant. Ce modèle qui prolonge en quelque sorteau-delà du décès l’idée, héritée des soins palliatifs, qu’un patient doit être traité « jusqu’au bout »et impose de penser le traitement des morts en l’inscrivant dans la « continuité des soins » (Dupontet Macrez, 2007 [1998] ; Hirsch, 2009 [2004]) ne va pas de soi et divise les agents. Si certainsrevendiquent effectivement une identité de soignant, d’autres, au contraire, en général parmi lesplus anciens dans le métier, refusent de laisser se perdre une part de ce qui faisait leur spécificitéet qui a trait au fait qu’ils manipulent (et parfois recousent) des cadavres21. L’arrivée dans leséquipes d’agents (aides-soignants ou infirmiers) venant de services de soins n’est pas toujours bienvécue. Ainsi, une infirmière affectée depuis quelques semaines en chambre mortuaire, s’est-ellevue reprocher par un de ses collègues ayant passé sa vie professionnelle en chambre mortuairede ne pas comprendre le métier : « le milieu mortuaire et le milieu du soin, c’est pas la mêmechose ! ». Aujourd’hui coexistent donc, au sein des équipes, des agents qui ont de leur identitéprofessionnelle des conceptions divergentes, voire opposées.

La chambre mortuaire étant une espèce de sas entre le monde médical et le monde funéraire,les agents sont placés dans un entre-deux. On le voit, la spécificité de leur travail, ce qui ferait deleurs tâches un métier, se laisse malaisément définir, circonscrire. Qu’est-ce qui leur appartienten propre ? Quand on les observe, en action, au sein de leur univers de travail, on constate queces agents — dont on peut dire qu’ils sont des acteurs centraux de l’accueil de la mort dans notresociété — ont, par opposition aux autres groupes professionnels avec lesquels ils collaborent, uneidentité professionnelle problématique, presque fragile.

19 Arrêté du 16 juillet 2009 relatif à la formation d’adaptation à l’emploi des aides-soignants et des agents de servicemortuaire chargés du service des personnes décédées.20 Décret no 2007-1188 du 3 août 2007 portant statut particulier du corps des aides-soignants et des agents des services

hospitaliers qualifiés de la fonction publique hospitalière.21 Sur la construction différenciée des identités professionnelles selon les générations, voir (Wolf, 2008).

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À travers eux, ce sont toutes les ambiguïtés sociales et politiques de la gestion de la mort quise trouvent en quelque sorte incarnées.

On retrouve là un trait que E. Hughes avait clairement mis en lumière dans son analyse desmétiers : la nécessité, pour décrire un travail, pour comprendre toute la portée d’un rôle social, dene pas « occulter une partie du système d’interactions » et de prendre en compte le système socialdont il fait partie en étant conscient que celui-ci « ne se réduit pas au cadre institutionnel reconnu,mais comprend aussi des ramifications lointaines et profondes dans la société » (Hughes, 1996b[1971], p. 66).

3. Portée sociale et politique du travail mortuaire hospitalier : la part oubliée ?

3.1. Agents en chambre mortuaire : la part invisible du travail

Si l’on reprend, à présent, notre question de départ, où en est-on ? Pour analyser le travailmortuaire hospitalier, qui repose en grande partie sur le groupe des agents en chambre mortuaire, ilnous a paru judicieux, suivant en cela les recommandations de E. Hughes, de commencer par rendrecompte de l’ensemble dans lequel il s’insérait, du système d’interactions et de collaborations danslequel il prenait place. Il apparaît, à présent, que cette manière de faire était d’autant plus pertinentequ’elle permet de mettre au jour toute une part du travail qui a tendance à ne pas être vue et priseen compte comme telle et qui est liée à la gestion du caractère partagé du travail.

Dans le collectif composé par les divers groupes professionnels qui prennent en charge lesdéfunts, les agents de la chambre mortuaire occupent une place à part. Ils sont, en effet, lesseuls à être présents d’un bout à l’autre de la chaîne des interventions, à rester en permanencedans la chambre mortuaire. De ce fait, un certain nombre de responsabilités, en général jamaisthéorisées comme telles parce qu’elles se situent dans les interstices du travail des uns et desautres, leur revient. En plus de leurs tâches propres (préparer les corps et accueillir les familles),ils coordonnent les interventions qui ont lieu dans cet espace : ils accueillent les professionnelsvenus de l’extérieur et leur aménagent les meilleures conditions de travail possibles. Ils sont ainsiplacés au centre d’un ensemble d’activités qui déterminent la facon dont leur propre travail seraamené à se dérouler.

Toute une part de leur travail — qui reste souvent largement invisible (Acker et Bourret, 2011 ;Star et Strauss, 1999), y compris à leurs propres yeux — consiste à gérer ces interactions, àfaire en sorte que les mises en relation des individus qui se croisent à la chambre mortuaire(professionnels et non-professionnels) se passent au mieux (par exemple, en s’arrangeant pourque trois entreprises de pompes funèbres ne programment pas des levées de corps à la mêmeheure). Ils sont fréquemment amenés à jouer un rôle « tampon » entre les uns et les autres, àintervenir pour désamorcer des situations de crise (quand il faut retarder une levée de corps du faitdu retard d’un policier, par exemple, ou quand il faut reprendre le maquillage d’un thanatopracteurqui ne convient pas à une famille).

Leur travail se construit ainsi dans la prise en compte du travail des autres. Il faut savoiragir, en permanence, en fonction d’une myriade de contraintes, d’ordre divers, qui scandent etmême dictent l’effectuation des différents actes. L’aptitude à intégrer ces contraintes, la facultéà entremêler avec souplesse différentes dimensions de l’activité (manuelle, relationnelle) fontpartie intégrante du travail. Celui-ci est fait d’une série de micro-relations. Il faut savoir passerinstantanément d’un interlocuteur à un autre, d’une boutade entre collègues à l’accueil d’unefamille en passant par les relations, plus ou moins suivies, établies avec les équipes des pompesfunèbres. L’exercice contraint à une sorte de « polyvalence interactionnelle ». À chaque fois, il

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faut s’adapter rapidement, quitter, plusieurs fois par jour, un habit pour un autre, rester pleine-ment disponible, que ce soit pour régler les problèmes pratiques posés par des levées de corpsconcomitantes ou pour accueillir un rituel religieux. Au sein d’une chambre mortuaire, chacunprend part à un travail partagé. Mais, sans que cet aspect soit formalisé d’une quelconque manière,c’est aux agents du service qu’il revient de superviser cette gestion collective. On peut dès lorss’interroger : comment se fait-il que toute une part de leur travail puisse ainsi être laissée dansl’ombre ?

3.2. Le travail d’articulation

En analysant l’organisation du travail médical, Anselm Strauss note que celui-ci ne peut seréaliser sans que soit mis en œuvre un travail d’articulation dont les figures centrales sont celledu médecin d’une part, qui, en décidant du traitement à prodiguer, établit un plan d’ensemble,« une sorte de schéma directeur de la trajectoire » (Strauss, 1992, p. 191) et celle de la surveillantegénérale, de l’autre, qui supervise le déroulement et l’exécution des actions commandées par lemédecin en s’assurant que les agents accomplissent les tâches qui leur reviennent. À ces deuxniveaux d’articulation s’ajoute un troisième — qualifié de « travail d’articulation opérationnel » —qui concerne l’effectuation même des séquences de tâches et qui est réalisé par les agents eux-mêmes. Ces trois niveaux d’articulation s’emboîtent les uns dans les autres, à la manière depoupées russes, selon une hiérarchie descendante, le premier chapeautant le deuxième qui lui-même chapeaute le troisième. S’il arrive qu’un médecin puisse s’engager dans le deuxième oumême dans le troisième niveau ou qu’une surveillante s’engage dans des tâches opérationnelles,en revanche, les agents qui exécutent ces tâches ne prendront pas en charge un travail d’articulationqui se situe au niveau supérieur d’une supervision ou d’une direction de trajectoire.

La prise en charge des défunts à l’hôpital ne s’inscrit pas dans ce mode d’organisation. Unede ses particularités est, en effet, de ne pas disposer d’un niveau d’encadrement chapeautantl’ensemble du travail. Il n’y a pas de « maître d’œuvre » qui aurait la responsabilité de dirigerou de superviser les séquences d’action qui le constitue. Nulle instance comparable à celle quereprésente la figure du médecin pour le patient ne vient présider au déroulement de cette prise encharge et faire de la série de tâches, qui en forme le contenu, une action continue.

Cette caractéristique rend ambigus le rôle et les responsabilités de chacun ainsi que le sens deleur action. On observe ainsi que les agents de la chambre mortuaire sont régulièrement amenésà passer, imperceptiblement, d’un niveau de responsabilité à un autre, c’est-à-dire à faire eux-mêmes un travail qui, si la division des rôles respectait la structure hiérarchique, relèverait d’uneinstance encadrante. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu’il faut faire face à des situations inéditesou conflictuelles (lorsque des membres d’une famille n’ont pas les mêmes demandes pour leurdéfunt, par exemple) : les agents sont placés en situation de répondre par eux-mêmes, de déciderseuls de l’attitude à adopter sans avoir d’autre recours que de consulter les autres membres del’équipe.

Il y a là une gestion en huis clos de l’activité, particulièrement surprenante au sein d’un mondeaussi hiérarchisé que l’hôpital. On se trouve face à une situation atypique qui doit sans doute salongévité au fait que ce service fonctionne, bien souvent, à l’écart des regards, y compris de ceuxdes directions hospitalières22.

22 C’est ainsi, par exemple, que des inspecteurs de l’IGAS chargés d’enquêter, à la suite de l’affaire des fœtus de l’hôpitalSaint-Vincent-de-Paul restés non inhumés, sur les conditions de prise en charge des fœtus et enfants mort-nés, ont constaté

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Les agents en chambre mortuaire se situent, dans l’échelle hiérarchique, au niveau des agentsexécutants (infirmiers, aides-soignants ou agents hospitaliers), mais ne s’adossent à aucuneautorité supérieure qui aurait la charge de définir, de circonscrire leur rôle et d’encadrer leurintervention ; ils ne sont pas inscrits dans une action plus vaste qui aurait sa propre cohérence.D’une certaine facon, ils sont seuls responsables de ce qui est mis en œuvre en chambre mortuaire,de ce qu’ils effectuent sur et pour les défunts, seuls aux commandes de leurs pratiques ; celles-ci nesont « téléguidées » par aucun projet, n’entrent dans aucune ligne de travail collectivement définiequi ferait l’objet de négociations entre des professionnels occupant des positions différentes dansla mise en œuvre de ce travail, comme cela peut être le cas entre infirmières et médecins, parexemple.

Ils sont placés dans une position hiérarchique de subordonnés, non pas parce que ce qu’ils fontserait subordonné à un travail réalisé à un échelon d’intervention supérieur, mais parce que cequ’ils font n’entre pas en ligne de compte, n’est pas pris en considération, n’a pas d’existence entant que telle pour l’institution à laquelle ils appartiennent.

Tout se passe comme s’ils travaillaient dans une sorte de « désancrage institutionnel » qui faitd’eux des « subalternes autonomes ». Placés en situation d’être des exécutants, ils sont tributairesde quelque chose qui n’est pas formalisé à un niveau supérieur. Ils sont ainsi amenés à effectuerun travail qui n’est souvent défini et évalué que par eux-mêmes.

Ce qui tient lieu de prescription, de cadre de régulation, ce sont les textes législatifs et réglemen-taires qui dictent le devenir des corps, donne son cadre juridique au traitement des cadavres. C’està ce cadre — le seul qui soit formalisé et édicte des règles auxquelles se plier — que les agents seréfèrent en permanence, comme s’il n’y avait entre eux et la loi aucune instance intermédiaire àtravers laquelle leur activité prendrait chair, serait repensée, réinterprétée, traduite.

Si l’on peut dire de la communauté hospitalière qu’elle œuvre, dans son ensemble, à un objectifcommun de « préservation de la santé », il n’en va pas de même pour les agents en chambremortuaire. Par opposition, il n’y a pas de « projet » d’accueil des morts, aucun objectif défini verslequel œuvrer, si abstrait ou général soit-il. Qu’est-ce qui est produit par leur travail ? La questionreste en suspens.

Il y a là une absence qui traverse tout le travail mortuaire hospitalier, qui le marque en creux.L’absence de définition, de formalisation de ce qu’est le travail des agents en chambre mor-

tuaire se traduit notamment par un encadrement qui ne le saisit qu’en le morcelant. Celui-ci est,bien souvent, le vestige d’une situation historique aujourd’hui transformée, mais dont l’héritagecontinue de peser.

3.3. D’hier à aujourd’hui. . .

Quand on cherche à comprendre comment est structuré le travail des agents, on s’apercoitqu’il se laisse malaisément définir en lui-même. On commence à en percevoir la dynamiquepropre lorsque l’on prend la mesure du fait qu’il résulte presque entièrement de sa situation de« carrefour », qu’il se construit dans la place que lui laissent les autres. Pour forcer un peu letrait, on pourrait dire qu’il est d’abord « le reste » du travail des autres — le « reste » du travailmédical lorsqu’il s’agit d’assister les médecins pratiquant les autopsies, le « reste » du travaildes services de soins lorsque les toilettes mortuaires n’ont pas été faites, le « reste » du travail

que certains directeurs d’établissement ignoraient jusqu’à la présence même du service de la chambre mortuaire dont ilsont « découvert l’existence lors de la canicule de 2003 » (Lavigne et al., 2006, p. 17).

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funéraire lorsque les familles sont insuffisamment informées, etc. Non seulement, on l’a vu, unepart importante du travail des agents consiste à s’adapter aux rythmes et à la présence des autres,mais leur travail même résulte, pour une large part, de ce que les autres font ou ne font pas23. C’estdonc la substance même de leur travail, le cœur de celui-ci qui est défini, non pas « en propre »,mais comme la part restante du travail des autres. Celui-ci apparaît comme perpétuellement« décentré », comme s’il était constitué, non pas d’un noyau central, mais de l’agglomération detout ce qui n’est pas pris en charge par les autres groupes professionnels. Cet ensemble de tâches,qui se construit à la jonction des services soignants de l’hôpital, des services administratifs (del’hôpital, mais aussi de la mairie et de la préfecture) et des entreprises de pompes funèbres, n’est,de plus, souvent pas encadré pour lui-même, mais par parties, en fonction de certaines de sescomposantes. C’est ainsi que l’activité médico-technique des agents — qui consiste à préparer lesautopsies et à recoudre les corps — s’effectue la plupart du temps sous l’autorité hiérarchique duservice d’anatomo-pathologie, tandis que, dans leurs autres actions, les agents dépendent soit d’unautre service de l’hôpital (de l’accueil ou de la direction financière, par exemple) soit directementdu directeur d’établissement. À aucun moment, le travail de ces agents n’est pensé comme un tout.Et bien souvent, cette scission de l’encadrement se traduit finalement par un déficit d’encadrement— chacune des instances hiérarchiques (médicale et administrative) s’appuyant sur l’autre pourassumer des responsabilités mal définies24.

Cette situation est directement liée à l’évolution du rôle des morgues au sein des hôpitauxau cours des deux derniers siècles. Les agents de chambre mortuaire sont, en effet, le fruit destransformations du travail médical hospitalier sur le corps mort. Historiquement, cette catégoriede personnels est apparue à la fin du xviiie siècle au moment où les autopsies se multipliaient etoù s’imposait la méthode anatomo-clinique (Ackercknecht, 1986 [1967] ; Foucault, 1963). Les« salles des morts », jusque-là réduites à une ou deux pièces, se sont agrandies pour devenir devéritables services hospitaliers (dotés notamment de salles d’autopsie et de salles de cours) et ontnécessité la présence d’un personnel permanent : les « garcons d’amphithéâtre » (Wolf, 2010).Ceux-ci avaient pour principale mission d’aider les médecins à faire leurs « ouvertures de corps ».Avec la quasi-disparition des autopsies, ce qui faisait le cœur de leur travail a été vidé de sasubstance. Les morgues hospitalières — rebaptisées chambres mortuaires — ont progressivementet insensiblement changé de fonction au cours du xxe siècle, sans que le travail du personnel quiy était affecté ne soit repensé.

Dès lors, ces agents se trouvent placés en porte à faux, aux prises avec une identité sociale etprofessionnelle difficile à construire. Il y a, en effet, une discordance entre ce qui pourrait êtreattendu d’eux eu égard à la place qu’ils occupent et la facon dont leur travail se trouve construitpar l’institution hospitalière. En étant « gardiens » de ce qui constitue le premier espace de lamort en France, ces agents occupent de fait une position centrale tout en étant dépossédés detout ce qui pourrait leur conférer un rôle propre. Les morgues hospitalières du xixe siècle — ces

23 Ce phénomène n’est pas tout à fait le même que celui-ci que décrit E. Hughes sous le terme de « sale boulot » (Hughes,1996b [1971] ; Arborio, 1995) ; dans ce cas, en effet, ce geste de délégation de certaines tâches d’un groupe professionnelà un autre ne s’inscrit pas dans un rapport hiérarchique (il ne s’agit pas, pour un groupe donné, de déléguer la part jugéela plus inintéressante de son travail au groupe qui se trouve situé en dessous de lui dans l’échelle hiérarchique).24 Cette situation se manifeste notamment par le fait que les agents exercent souvent leurs fonctions en dehors de tout

contrôle. Cet état de fait ne devient visible que lorsqu’il débouche sur des dysfonctionnements, comme ce fut le cas,par exemple, lors de l’affaire des hormones de croissance où des patients, traités avec des hormones fabriquées à partird’hypophyses contaminées, développèrent la maladie de Creutzfeldt Jakob. Les conditions dans lesquelles des agents demorgues avaient pu très facilement — et parfois sans avoir l’impression d’agir illégalement — faire ces prélèvements àl’insu des directions d’hôpitaux furent alors mises au jour et dénoncées.

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anciennes coulisses du travail médico-scientifique fondé sur la dissection des cadavres — sontaujourd’hui devenues un des principaux lieux dans lequel la mort s’accompagne et se vit. Ens’ouvrant largement sur la cité, les chambres mortuaires ont pris une tout autre dimension sociale.Or, l’hôpital — et, à travers lui, la société — ne semble pas avoir pris la mesure de cette évolution.On aurait pu s’attendre à ce que cette transformation des conditions d’accueil des morts par sapopulation fasse l’objet d’une importante prise en charge politique. Qu’en est-il ?

3.4. Un entre-deux silencieux

Lorsque l’on s’intéresse à la manière dont les pouvoirs publics ont traité la question de la mortau sein de la société, on s’apercoit qu’ils ont été portés, d’une part, à se préoccuper de la fin devie, d’autre part, à organiser la gestion du devenir des corps, autrement dit, à légiférer dans ledomaine funéraire. Entre les deux, le moment de transition pendant lequel les morts sont encoreprésents dans le « sas » de la chambre mortuaire hospitalière n’a pas fait l’objet d’une réflexionpublique ; ce temps-là, pris entre l’action soignante et l’action funéraire, est curieusement restélargement absent des débats et des préoccupations qui ont conduit à construire une politique degestion des décès, c’est-à-dire à aménager le cadre dans lequel la population vit cet événement,à penser la manière dont elle se sépare de ses défunts.

Le travail réalisé dans les espaces mortuaires hospitaliers n’apparaît nulle part. Il n’est pris encompte ni dans les politiques régissant la gestion des fins de vie ni dans celles qui structurent lesecteur du marché funéraire. Ainsi, ni les nombreux rapports, débats et auditions qui ont servi àpréparer la Loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie, dite Loi Léonetti, ni les rapports plus spécialisésportant sur la problématique spécifique des soins palliatifs25 (mouvement pourtant attentif àgarantir un accompagnement suivi du défunt et de sa famille) ne font mention de ce qui se passeen chambre mortuaire. Et l’on peut faire le même constat lorsque l’on se tourne vers les politiquesrégissant le secteur funéraire. Pourtant, avant le vote de la Loi du 8 janvier 1993 qui institue la findu monopole des pompes funèbres26, la mission interministérielle, dont l’objet était de dresser unétat des lieux de l’organisation de la prise en charge des défunts afin d’ouvrir la voie à une réformedes services funéraires, s’était intéressée au problème de ces espaces mortuaires hospitaliers — onparlait alors de « morgues » ou d’« amphithéâtres des morts », le terme de « chambre mortuaire »étant précisément apparu avec la loi de 1993. Le Conseil national des opérations funéraires(CNOF), organisme consultatif créé par la loi du 8 janvier 1993 et concu pour faire évoluer lecadre législatif et réglementaire du domaine funéraire, avait initialement prévu d’avoir un groupede travail consacré aux chambres mortuaires des établissements hospitaliers. Mais dans son rapportde 1998–2002 dans lequel le CNOF fait le bilan de ses activités, il est précisé que : « ce groupen’a pas encore été réuni »27. Il n’existera que sur le papier.

S’il est intéressant de suivre la progression des politiques qui se sont élaborées autour de laquestion de la fin de vie et de celle du traitement des cadavres, il est tout aussi intéressant de voirapparaître ce qui fut laissé de côté. Tout se passe comme si le double mouvement de médicalisationet de professionnalisation de la prise en charge de la mort qui caractérise la seconde partie du xxe

siècle s’était institué en opérant une rupture dans le processus d’appréhension de l’événement

25 Je pense notamment aux rapports qui furent confiés à Marie de Hennezel qui avaient pourtant explicitement pour objet,comme le précise Jean-Francois Mattéi dans sa lettre de mission, d’aider à développer une « culture de l’accompagnement »(De Hennezel, 2003, 2005).26 Loi no 93-23 du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire.27 Rapport du CNOF 1998–2002, p. 13.

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mort, en séparant matériellement les espaces de prise en charge de l’avant et de l’après décès28.Aux institutions de soins la gestion de l’avant, aux pompes funèbres la gestion de l’après. Entreles deux, les familles doivent s’adapter, réinstaurer tant bien que mal l’unité d’un événement dontla gestion est séquencée. La ligne de partage entre prise en charge médicale et prise en chargefunéraire passe dans le temps de veillée des corps. Le travail en chambre mortuaire recouvreprécisément ce laps de temps. Il est situé à la jonction entre deux mondes — celui de la médecineet celui du funéraire. C’est sans doute cette particularité (il n’appartient ni pleinement à l’un nipleinement à l’autre) qui le rend partiellement invisible, qui fait qu’il disparaît si aisément aussibien du regard qui se focalise sur les organisations hospitalières que de celui qui s’attache àappréhender le secteur du marché funéraire.

Une part importante de la question de la gestion des morts (celle qui concerne le déroulementde l’après-décès dans les hôpitaux) se trouve ainsi constituée comme un impensé de la politiquefunéraire. Au cours de la seconde partie du xxe siècle, l’hôpital a progressivement absorbé unnombre croissant de défunts sans pour autant réformer ses dispositifs de prise en charge (l’accueilde la mort continue à ne représenter qu’un pan secondaire dans les missions d’un établissement desoins). La manière qu’a eu l’institution hospitalière de traiter ce phénomène a été en quelque sortede le diluer à l’intérieur de ses propres contraintes de fonctionnement et, ce faisant, de l’absorberet, d’une certaine manière, de le faire disparaître, de rendre invisible tout ce qui avait trait àcette activité. Cette absorption, cette « désintégration » a été très largement favorisée, relayée parl’absence de traitement de la question à une échelle politique plus large.

On peut cependant s’interroger sur les effets de ce déficit de gestion politique, notammentlorsque l’on considère que le nombre de morts est amené à augmenter de facon conséquente.Dans les années à venir, en effet, la situation démographique va se modifier. Depuis la fin dela Seconde Guerre mondiale jusqu’au début du xxie siècle, le nombre annuel de morts est restéremarquablement stable : le chiffre de 530 000 décès annuels est resté relativement constant. Dansles années à venir, il faudra, au contraire, s’attendre à une hausse importante du nombre des morts.Les projections démographiques prévoient, en effet, qu’en 2050, la France devrait compter plusde 770 000 décès annuels. Le nombre de morts augmenterait donc de 50 %. Cette augmentationva nécessiter un réaménagement des structures d’accueil existantes. Dans ce contexte, une réelleréflexion politique concernant les espaces mortuaires hospitaliers et la nature du travail qui s’ydéploie s’avère incontournable.

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28 Il est possible que les soins palliatifs (dont la revendication première était, pour lutter contre l’abandon médical dontils faisaient l’objet, de faire reconnaître les malades mourant non comme des « mourants » mais comme des « personnesen fin de vie », comme des vivants à part entière) aient contribué à accentuer cette scission (Baszanger, à paraître).

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