Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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Université d’Aix-Marseille Faculté de Droit et de Science politique Mémoire Le traitement des cas inédits Etude de droit civil et commercial Présenté par Monsieur Pierre Bon Sous la direction de Monsieur le professeur Frédéric Rouvière Master Droit privé et sciences criminelles Spécialité Théorie du droit Année universitaire 2015-2016

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Université d’Aix-Marseille

Faculté de Droit et de Science politique

Mémoire

Le traitement des cas inédits

Etude de droit civil et commercial

Présenté par Monsieur Pierre Bon

Sous la direction de Monsieur le professeur Frédéric Rouvière

Master Droit privé et sciences criminelles

Spécialité Théorie du droit

Année universitaire 2015-2016

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Université d’Aix-Marseille

Faculté de Droit et de Science politique

Mémoire

Le traitement des cas inédits

Etude de droit civil et commercial

Présenté par Monsieur Pierre Bon

Sous la direction de Monsieur le professeur Frédéric Rouvière

Master Droit privé et sciences criminelles

Spécialité Théorie du droit

Année universitaire 2015-2016

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La Faculté de Droit et Science politique d’Aix-Marseille n’entend donner aucune approbation ni improbation aux

opinions émises dans ce mémoire. Les opinions qui y figurent doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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Remerciements

Je tiens à témoigner en premier lieu ma profonde reconnaissance à Monsieur le

professeur Frédéric Rouvière, pour m’avoir permis de traiter ce sujet qui me tenait à cœur ainsi

que pour ses précieux conseils tout au long de la réalisation de ce travail.

Je tiens en particulier à remercier Monsieur le professeur Jean-Yves Chérot, directeur du

Laboratoire de Théorie du droit, pour m’avoir permis de suivre le Master II Théorie du droit, qui

a représenté pour moi une année particulièrement enrichissante.

Ma gratitude se porte également envers l’ensemble du personnel des bibliothèques de

l’Université Aix-Marseille, qui m’ont renseigné et m’ont aidé dans mes recherches.

Je tiens aussi remercier amicalement mes camarades de Master II mais aussi les membres

de l’équipe du Laboratoire de Théorie du droit.

Mes remerciements vont enfin à mes proches pour leur soutien et leurs encouragements

dans la réalisation de ce mémoire.

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Sommaire

I) Le cas inédit entre redite et création

A) Un retour au connu

1. L’inédit de retour : l’extension des qualifications 2. L’entretien du mythe de la sécurité juridique

a. Un mythe questionné par les cas b. Un mythe préservé par la recherche d’une cohérence

B) La reconnaissance de l’inédit : de la question à la création

1. L’expression d’un pouvoir 2. Le rôle déterminant de la question de droit 3. La construction d’une cohérence

II) L’inédit au cœur d’une tension entre implicite et explicite A) La place de l’implicite 1. La construction du cas entre généralité et particularité 2. La brièveté de la motivation : une réserve pour l’inédit à venir B) La décision ou le retour de l’explicite 1. L’inédit comme moyen de connaissance du droit 2. L’inédit de solution, marque d’une évolution constante

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Al. : Alinéa

AJDI : Actualité juridique droit immobilier

Art. : Article

Ass. Plén. : Assemblée plénière de la Cour de cassation

Bull. Civ. : Bulletin des chambres civiles de la Cour de cassation

C. Civ : Code civil

C. Com : Code de commerce

C.J.U.E. : Cour de Justice de l’Union Européenne

Cass. : Cour de cassation

Cass. Soc. : Chambre sociale de la Cour de Cassation

Cass. Req. : Chambre des requêtes de la Cour de Cassation

Civ. 1ère/2ème/3ème : Première/Deuxième/Troisième chambre civile de la Cour de cassation

Com. : Chambre commerciale de la Cour de cassation

D. : Dalloz

Dir. : Dirigé par

DP : Recueil périodique et critique mensuel Dalloz (années antérieures à 1941)

Gaz. Pal. : Gazette du Palais

In : Dans (tel ou tel ouvrage)

JCP : La semaine juridique

JCP G. : La semaine juridique, édition générale

LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence

Obs : Observation

PUF : Presses Universitaires de France

RDC : Revue des contrats

RRJ : Revue de la Recherche Juridique

RTD civ. : Revue Trimestrielle de droit civil

Tr. Corr. : Tribunal Correctionnel

Table des abréviations

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« Personne maintenant ne s’intéresse aux faits.

Ce sont de simples points de départ pour l’invention

et le travail de l’esprit. »

Jorge Luis Borges,

« Utopie d’un homme qui est fatigué »,

Le livre de sable.

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Introduction

1 – Apprivoiser l’avenir – S’il semble impossible de savoir comment les hommes ont commencé

à penser ; une constante reste frappante, comme si elle avait toujours été : le désir de régularité1.

Soucieux de se mettre à l’abri2, l’homme cherche à rendre le monde régulier autour de lui. Contre

l’insondable imprévisibilité de la vie, l’homme construit des régularités pour faire d’hier un point

d’appui et que demain ne soit plus une déstabilisante surprise. Comme pour dompter la terre,

l’homme a nommé et regroupé, comme Adam a appelé par leurs noms tous les animaux3 ;

l’homme a construit des villes aux remparts protecteurs. Il a inventé des modèles de

représentation du temps, et des lois pour s’entendre4. Tout se passe comme si l’homme fuyait la

spontanéité, comme si son action était animée par une phobie de la surprise et du désordre. La

recherche d’un bon ordre a fait voir la justice non plus comme un devoir-être mais comme

garante de l’intégrité de ce qui est5.

2 – L’inédit ou la cassure – Ainsi que l’homme construit et régule, il lutte contre les coups du

sort ; et l’inédit lui semble insupportable. Il suffit d’un accident, d’une résurgence du hasard

ennemi, d’un retour du spontané sonnant comme un réveil brutal pour le sortir de son rêve

éveillé. Devant l’inconnu les murs du théâtre tremblent et l’espoir d’apprivoiser le monde s’est

mué en dérision. La situation est pour ainsi dire nouvelle, elle ne s’est jamais vue, jamais produite.

Elle n’est consignée nulle part ; la diversité du réel est irréductible. Comment l’homme de la

régularité pourrait-il ne pas se sentir désarmé face à la « création continue d’invisible nouveauté

qui semble se poursuivre dans l’univers »6 ? Voilà l’inédit, voilà la faille, voilà l’embarras. Que faire

de nos précieuses généralités devant ce cas si particulier qu’il les défigure ? L’homme qui s’était un

temps espéré divin en dominant le monde est comme rappelé à l’ordre par la chute.

1 Y.-M. Adeline, La pensée antique, Paris, Ellipses, Ellipses poche, 2015, p. 5. 2 J. Dewey, La quête de certitude, Paris, Gallimard, 2014, traduction P. Savidan, p. 23. 3 Genèse, II, 19-20. 4 Y.-M. Adeline, précité, p. 8. 5 J.-F. Balaudé, « Les Présocratiques », in J.-P. Zarader (dir), Le vocabulaire des philosophes. De l’Antiquité à la Renaissance, Paris, Ellipses, Ellipses poche, 2016, tome 1, p. 33. 6 H. Bergson, La pensée et le mouvant, Paris, Puf, Quadrige, 1990, p. 99.

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3 – Le droit dans l’accident – Le cas est la chute. Il est ce qui arrive, du latin casus : ce qui

tombe, l’accident. Un cas expose une ambiguïté dont nous n’avions pas conscience, et qui ne peut

exister qu’en référence aux catégories que nous avons à l’esprit7 : ce que nous appelons un cas

résulte donc d’une certaine configuration entre les éléments du monde extérieur, et les catégories

avec lesquelles nous raisonnons. Le cas peut être tout s’il est une pure construction ; il peut n’être

rien si cette construction dépend d’un contexte et d’un arbitrage qui aura choisi « une certaine

pondération entre les faits et les valeurs »8. Paradoxalement, le jamais vu serait alors toujours

connu. Le cas devrait être prévu ; la casualité serait l’essence du droit, qui se tiendrait « dans un

rapport singulier de l’essence à l’accident »9.

4 – Après la chute – Le juriste regroupe sous des catégories : il fait des généralités auxquelles il

confronte ce qui se présente comme des particularités. C’est cette affaire, c’est ce litige qui

l’intéresse. A quelle généralité peut-on ramener les faits de cette espèce ? Jusqu’à quel degré la

particularité est-elle par lui tolérée, jugée pertinente ? Quelle est donc dans cette situation le

véritable problème qui attend du juriste une réponse ? Le profane attend, et espère du juriste une

réponse claire et simple ; il espère candidement savoir s’il a raison ou tort, si le droit est de son

côté ou non. Une telle soif de réponse est sans doute vouée à la déception, en ce que les règles de

droit ne sauraient contenir d’avance des réponses évidentes aux questions qui n’existent pas

encore.

5 – « Redire l’inédit » – Il n’y a jamais deux situations qui sont complètement identiques,

chaque cas comporte toujours une frange d’inconnu. Le point de départ de notre étude est

l’antinomie soulevée par un article de Christian Atias, « Redire l’inédit », paru au recueil Dalloz en

199210 : l’inédit serait à la fois l’essence et l’accident du droit. Si « l’inédit est hors du droit » ;

traiter les cas inédits est-ce dire le droit quand il semble absent ? Ce point de départ nous

ramènera fréquemment vers l’œuvre de cet auteur, afin de ne pas perdre de vue les réflexions qui

ont fait apparaître ce problème autant que celles qui l’ont suivi.

6 – Redite et création – La première difficulté qui se pose, consiste à savoir à partir de quand on

peut dire qu’un cas est inédit. En fait c’est toute la question autour de laquelle deux théories

s’affrontent. Selon la première, il n’y a jamais vraiment d’inédit : les juristes réduisent le cas à ce

qu’ils connaissent, effaçant sa frange d’originalité pour le ramener vers le précédent. L’inédit a

7 S. Boarini, Qu’est-ce qu’un cas moral ?, Paris, Vrin, Chemins philosophiques, 2013, p. 9. 8 S. Boarini, précité, p. 13. 9 J.-L. Nancy, L’impératif catégorique, Paris, Flammarion, 1983, p. 39. 10 C. Atias, « Juris dictio : redire l’indédit », D.1992.281.

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beau être consubstantiel au droit, dans les deux approches, il est assimilé au connu. Selon la

seconde théorie, il y a des cas inédits qui font apparaître des lacunes dans le droit, des zones où

rien n’est dit. C’est le problème du pouvoir discrétionnaire : en l’absence de droit préétabli, le juge

peut-il créer la règle et motiver comme bon lui semble, au mépris de tout idéal de sécurité

juridique ? On assiste parfois à la création de concepts, pour faire comme si l’on savait déjà. La

tension entre ces deux théories de l’inédit révèle un paradoxe : tout est inédit mais tout est déjà

dit. Le juge est-il alors véritablement créateur ou ne fait-il que révéler un implicite ?

7 – Inédit et cas difficiles – Ce problème ne serait-il qu’une reformulation de la distinction des

cas faciles et difficiles ? Selon Ronald Dworkin, une distinction est à faire entre cas faciles et cas

difficiles : les premiers seraient ceux dont la réponse est évidente, les seconds ceux auxquels

aucune règle spécifique ne semble s’appliquer de sorte qu’il faudrait retrouver la bonne

interprétation au regard de l’ensemble11. Le cas facile se définirait par sa solution qui « paraîtrait

s’imposer » ; quand le cas difficile naîtrait « d’une sorte d’incapacité de la doctrine ou de la

jurisprudence à déterminer rapidement et unanimement la bonne réponse »12. Dire d’un cas qu’il

est facile pose un problème colossal : cela revient à le considérer comme tranché d’avance. Si le

cas est facile et que la solution s’impose, autant éviter le procès et renoncer d’emblée à l’idée

d’égalité des citoyens devant la loi. S’il existe des cas faciles, il existe des « causes perdues » ; et

autant de débats que l’on s’interdira de mener. On ne peut en vérité admettre sérieusement une

telle distinction sans présupposer ce faisant que les cas soient décidés d’avance13 ; c’est pourquoi

nous ne la retenons pas. Si la distinction des cas faciles et difficiles est critiquable en ce que les cas

ne sauraient être réglés a priori, elle n’est pas ce qui nous préoccupe ici. Les cas inédits ne sont pas

nécessairement des cas difficiles : un cas peut être inédit en ce qu’il se présente pour la première

fois et ne pas soulever de difficulté particulière. La seule nouveauté factuelle ne saurait

nécessairement être une nouveauté juridique, ou à tout le moins déclencher un processus

d’innovation chez les juristes.

8 – Inédit et lacunes – Notre problème est-il celui des lacunes et de la complétude ? Nous ne le

soutenons pas, en partie pour les mêmes raisons : il ne saurait y avoir d’équation du type « cas

inédit = solution inédite », en ce que l’ordre juridique contient toujours une règle dont le degré de

généralité permet d’y subsumer le cas. Ce n’est pas parce qu’il est nouveau que la solution n’est

11 R. Dworkin, « Hard cases », in Taking Rights Seriously, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1977, p. 102. 12 M. Boudot, Le dogme de la solution unique. Contribution à une théorie de la doctrine en droit privé, Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, thèse, 1999, p. 233 ; 239. 13 C. Atias, Questions et réponses en droit, Paris, Puf, L’interrogation philosophique, 2009, n°168, p. 116-117.

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pas trouvable dans le connu. De plus nous verrons que l’inédit semble résulter de la structure

même des règles : on le dit inédit au regard d’une certaine configuration, d’un certain lien entre le

fait et ce que nous tenons pour le droit.

9 – Démarche – Tout l’enjeu de notre question est celui de savoir ce que l’on peut s’autoriser à

qualifier d’inédit en droit et ce qu’implique le caractère inédit d’un cas. Nous entendrons ici

montrer que l’inédit peut être une catégorie, c’est-à-dire une classe de prédicats regroupant des

situations sous un trait commun14. C’est pourquoi nous le traiterons comme tel et confronterons

cette vision catégorique à la réception judiciaire des cas. L’approche sera avant tout casuistique : il

conviendra dans un premier temps de partir des cas afin d’observer leur réception par le juge et

de comprendre les réactions jusqu’à présent adoptées face à des cas que l’on peut qualifier

d’inédits. Dans un second temps, il faudra découvrir comment les juges construisent des concepts

pour donner du sens à l’inédit. Le corpus partira donc des décisions de justice et s’enrichira

seulement par la suite de réflexions théoriques pour tenter d’éclairer de l’intérieur des mécanismes

déclenchés par la soumission d’un cas inédit au juge. Nous nous intéressons donc au rôle joué par

l’inédit dans la formation du discours juridique.

10 – Cadre théorique – Questionner la pratique juridique d’un point de vue interne et

rechercher des fondements à la décision des juges dans un sens ou dans un autre autant

qu’expliquer le raisonnement et la méthode suivis, appelle une épistémologie du droit. Cette

dernière « recherche les origines de ces préceptes, de ces notions qui guident le raisonnement

juridique, s’efforce d’en découvrir les justifications et les limites et s’applique à en évaluer les

résultats »15. C’est donc une recherche des justifications qui sera entreprise ici. Si certains

exemples pourront paraître marginaux, leur intérêt est qu’ils permettent de faire apparaître plus

clairement les mécanismes du raisonnement en questionnant les limites des concepts mobilisés et

en poussant les réflexes et habitudes dans leurs retranchements. L’épistémologie met en crise le

raisonnement juridique et entend questionner ce qui est admis parfois sans démonstration pour

répondre à la question de savoir ce que l’on dit vraiment lorsque l’on tranche un cas.

11 – Champ de l’étude – Ne pouvant pas ici traiter la question quant à tous les domaines du

droit en raison du temps imparti et de nos domaines de compétence, nous restreindrons

principalement notre étude au droit civil et commercial. Les différents cas rencontrés dans ces

14 A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Puf, Quadrige-Dicos poche, 3ème édition, 2010, p. 125. 15 C. Atias, Epistémologie du droit, Paris, Puf, Que sais-je, 1994, p. 26-28.

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domaines nous semblent particulièrement riches et parlants, permettant de mettre au jour de

grandes tendances dans la réception judiciaire de l’inédit.

12 – Deux temps – Le traitement des cas inédits semble pouvoir s’appréhender sous deux

angles : une face visible, qui consiste dans le traitement proprement dit, c’est-à-dire la réponse

donnée par les juges ; et une face dissimulée, qui tiendrait à la construction du cas selon diverses

opérations de sélection. L’omniscience ne nous étant pas prêtée, nous avancerons ici du visible

vers l’invisible, de la clarté vers la pénombre. Nous observerons donc en premier lieu le

traitement judiciaire des cas inédits, qui semble alterner les redites et la création (première partie) ;

avant en second lieu d’étudier la formation des cas afin d’envisager l’inédit au cœur d’une tension

entre implicite et explicite (seconde partie).

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Première partie : Le cas inédit entre redite et création

13 – Deux regards – La réception des cas inédits est avant tout révélatrice d’une tension, d’une

scission entre deux méthodes, entre deux manières de procéder qui conduisent chacune, au

résultat inverse l’une de l’autre. Le point de bascule est celui de la reconnaissance ou non du

caractère inédit du cas qui est soumis aux juges. Peut-être que cette reconnaissance dépend de la

force de l’argumentaire employé par les parties : l’une a intérêt à ce que la singularité de l’affaire

soit affichée au grand jour, l’autre à ce qu’elle soit étouffée. C’est précisément l’alternative qui

s’offre au juge pour traiter les cas inédits : les reconnaître ou les nier, les ramener vers le connu ou

consacrer leur nouveauté. Deux théories se font donc face, chacune tenant l’autre comme rivale,

comme si elles étaient elles-mêmes les parties au procès. Les parties en présence se font le temps

d’une affaire et pour le triomphe de leur cause, ambassadrices de l’une ou de l’autre. L’inévitable

frange d’originalité des faits laisse toujours la porte ouverte à l’inédit. Tout cas est un cas inédit en

puissance. Il est un inédit potentiel que le juge peut accepter de découvrir et d’en tirer les

conséquences ou non. Ainsi, il peut ramener le cas inédit vers le connu (A) mais également créer

et faire ainsi évoluer sa propre grille de lecture (B).

A) Un retour au connu

14 – Nier l’inédit – Nier l’inédit, c’est le faire entrer dans des cases qui ne le prévoyaient pas.

C’est aussi faire le choix sans doute d’un certain confort intellectuel, c’est refuser de déranger

l’ordre établi. Les juristes ont tendance à progresser de l’inconnu vers le connu, à s’approprier à

leur manière des éléments du monde une fois passé l’effet de surprise. Le fait de ramener les

éléments d’un cas inédit vers le connu afin de le traiter, que nous appellerons ici inédit de retour,

consiste principalement en une extension des qualifications déjà existantes (1). Cette extension

maintient par ailleurs l’impression d’un déjà-là, l’impression rassurante que les questions sont

réglées d’avance. L’inédit de retour contribue donc nettement à l’entretien d’un mythe, celui de la

sécurité juridique (2).

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1. L’inédit de retour : l’extension des qualifications

15 – De l’inconnu vers le connu – Si « l’inédit est hors du droit »16, il est savamment passé sous

silence. La tendance la plus fréquente lorsqu’un cas inédit se présente, consiste à précisément

faire comme s’il n’était pas inédit, comme s’il était prévu et ne surprenait nul juriste. On fait fi de

sa frange d’originalité, de sa part de nouveauté pour le classer parmi les catégories déjà existantes,

pour le subsumer sous des qualifications déjà disponibles. Est-ce œuvrer au maintien d’un savoir

ou à son élaboration ? Le procédé est simple : lorsqu’un cas se présente et que ses composantes

factuelles ne correspondent pas aux catégories connues, on ramène ces éléments vers ces

catégories plutôt que d’assumer leur nouveauté. Le cas inédit n’est en somme pas traité comme

tel mais comme s’il avait déjà été anticipé par les règles existantes. Peut-être est-ce tout

simplement la solution la moins coûteuse intellectuellement et la plus favorable à l’autorité de

l’édifice juridique déjà constitué à l’heure où le cas se présente. Mais trancher ainsi, est-ce aller

dans le sens du droit ou contre lui ? La question est sans doute insoluble et lourde d’équivoques,

mais on peut soutenir que trancher en ce sens est avant tout consolider un ensemble théorique : il

s’agit de maintenir des propos passés et le mythe d’un droit arrêté au préalable, ferme, définitif et

somme toute rassurant. Le paradoxe est pourtant bien là : on refuse d’enrichir le discours

juridique d’une nouvelle qualification, peut-être afin de le préserver ; mais dans le même temps

on accroît l’extension des concepts que l’on met en œuvre. Curieuse sauvegarde qui implique

d’étendre une qualification pour pouvoir l’appliquer au cas qu’elle ne prévoyait guère.

16 – Une configuration nouvelle – L’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de

cassation du 19 février 201417 en fournit un bel exemple. Cet arrêt résulte d’une situation dont la

frange de nouveauté invite nécessairement à l’analyse. En matière de bail commercial, l’article L.

145-9 du code de commerce permet au bailleur de ne pas renouveler le bail à condition qu’il

accepte de payer une indemnité d’éviction au preneur, à peine de nullité du congé. Par exception,

cette indemnité peut ne pas être due si le bailleur justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre

du preneur, comme le précise l’article L. 145-14, alinéa 1er du même code. En l’espèce, alors

qu’un bail était en tacite prolongation, le bailleur avait délivré un congé sans offre de

renouvellement ni indemnité d’éviction, sans donner aucun motif. Le preneur invoque la nullité

du congé et réclame le paiement d’une indemnité d’éviction. Néanmoins, alors que la procédure

est toujours en cours, il quitte les lieux ce dont la Cour d’appel déduit que le contrat est rompu de

fait. Selon elle, « le départ volontaire de la locataire sans attendre l’issue de la procédure en nullité

16 C. Atias, « Redire l’inédit », précité. 17 Civ. 3ème, 19 février 2014, n°11-28.806, Bull. 2014, III, n°23.

Page 17: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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du congé qu’elle avait elle-même initiée ne constitue pas un cas légal d’ouverture à paiement

d’une indemnité d’éviction ». Les juges du fond avaient déclaré le congé nul aux termes de l’article

L. 145-9 du code de commerce, et que ce qui est nul étant de nul effet, il n’avait pu mettre fin au

bail. Dès lors la fin du bail était imputable au preneur du fait qu’il avait quitté les lieux, en

renonçant ainsi à l’indemnité d’éviction. L’arrêt est cassé et la Cour précise que la demande du

preneur « ne peut le priver de son droit à indemnité d’éviction », assimilant ainsi le congé non

motivé au congé mal motivé18.

17 – Une question nouvelle – La Cour de cassation avait déjà rencontré le problème du congé

dépourvu d’indemnité et sans que le motif donné ne justifie effectivement son absence. En ce cas

elle avait décidé que le bailleur ne pouvait être condamné à renouveler le bail mais qu’il devait

payer au preneur une indemnité19 : un congé sans offre d’indemnité d’éviction mal motivé ouvre

donc droit au paiement de cette indemnité. La Cour de cassation avait déjà connu la question de

l’insuffisance de la motivation de l’absence d’offre d’indemnité mais pas de l’absence de motif

pure et simple. C’est donc une nouvelle question qu’il fallait trancher dans une configuration

résultant de la rencontre entre l’article L. 145-9 du code de commerce et la règle tirée des

précédents. L’absence totale de motivation pouvait-elle être assimilée à une mauvaise

motivation ? C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation dans cet arrêt en étendant donc le champ

d’application de la règle qui existait déjà.

18 – Une réponse déjà dite – L’assimilation consiste à appliquer une catégorie juridique à un

élément « qui ne tombe pas tout à fait, voire pas du tout, sous la définition »20. Pour ainsi dire il

ne fait aucun doute que l’insuffisance de motivation et l’absence de motivation sont deux choses

différentes. Pourquoi alors les traiter identiquement ? L’assimilation a tout d’abord cet avantage

de ne pas en dire trop, de ne pas être un procédé trop engageant en ce sens qu’il permettrait de ne

pas prendre parti sur la qualification discutée21. En effet, en assimilant on tranche sans trancher

véritablement, en ce que l’on répond à la question posée par les parties en l’espèce sans se

prononcer sur la nature de la qualification discutée. D’autre part un argument a fortiori permettrait

de justifier une telle assimilation. Cet argument apparaît justement quand un cas « ne tombe pas

exactement dans une catégorie »22. A fortiori, littéralement « à plus forte raison » : c’est donc la

18 Cour de cassation, Rapport annuel 2014, Paris, La documentation française, 2015, p. 492. 19 Civ. 3ème, 1er février 1995, n°93-14.808, Bull. 1995, III, n°35 ; Civ. 3ème, 28 octobre 2009, n°07-18.520, Bull. 2009, III, n°82. 20 S. Goltzberg, L’argumentation juridique, Paris, Dalloz, Connaissance du droit, 2ème édition, 2015, p. 107. 21 A. Sériaux, « Qualifier ou l’entre-deux du droit », in C. Puigelier (dir.), Mélanges en l’honneur de Jerry Sainte-Rose, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 1282, n°19. 22 S. Goltzberg, précité, p. 47.

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raison qui ici va jouer le rôle central. La raison d’être de la règle devrait fournir au juge la raison

de décider dans une situation donnée en ce qu’elle y semble encore plus adaptée23. Ainsi dans

notre exemple, si pour que le congé dépourvu d’offre d’indemnité soit valable, il faut justifier

l’absence d’offre par un motif grave et légitime, à plus forte raison il faut invoquer un motif. En

assimilant et usant de l’argument a fortiori, on fait « comme si pour que ce soit comme ça »24, on

trouve un moyen de ne pas reconnaître la nouveauté mais de revenir vers le connu. Tout se passe

comme si le juge rappelait aux parties que la limite était au préalable fixée plus loin qu’elles ne le

croyaient : par l’assimilation, l’illusion d’un déjà dit est entretenue.

19 – Classification et extension des qualifications – Le retour au connu ainsi matérialisé est

une manifestation d’un mouvement de catégorisation, habitude que développe le cerveau humain

dès l’enfance25. Classer permet de construire des concepts26. Le retour au connu opéré par

assimilation, par classement sous une catégorie déjà existante, est une activité de construction de

cette catégorie. Le champ que recouvre une qualification, se trouve alors étendu. L’extension du

concept se trouve accrue par l’ajout de nouveaux éléments : le cas inédit est joint à l’ensemble

existant, qu’il prolonge et précise. Si les juristes doivent qualifier les situations, c’est-à-dire les

rapprocher de notions et catégories connues et les soumettre aux règles qui s’y appliquent27, tout

ajout d’un cas augmentera le champ de la qualification, justifiant ainsi le futur recours à un

argument du précédent afin de qualifier les situations analogues à venir. Les divers procédés qui

peuvent y mener sont des méthodes d’interprétation extensives, afin d’élargir les concepts

utilisés28. Les cas inédits semblent à première vue, comme le montre l’exemple précédent, appeler

un tel processus d’élargissement. Ainsi les critères de distinction se déplacent mais les catégories

restent29.

20 – Discriminations – Un cas a toujours au moins deux solutions. Par exemple, soit on étend

la catégorie ; soit on ne l’étend pas. Dans l’espèce que nous avons étudiée, la troisième chambre

civile aurait pu décider de ne pas procéder à une assimilation en argumentant différemment et

retenant que le fait de motiver insuffisamment et le fait de s’abstenir de motiver sont deux choses

différentes, deux attitudes qui peuvent potentiellement n’avoir rien en commun. L’une est

23 J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, Paris, Puf, Thémis droit privé, 1ère édition, 2001, p. 245. 24 J.-L. Sourioux, « La pensée juridique en images », in Etudes Bruno Oppetit, Litec, 2009, p. 597, n°20. 25 R. Lecuyer, M.-G. Pecheux et A. Streri, Le développement cognitif du nourrisson, Paris, Nathan, Nathan Université, 1994, t. 1, p. 196. 26 M.-L. Mathieu, Logique et raisonnement juridique, Paris, Puf, Thémis droit, 2ème édition, 2015, p. 34. 27 J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, Paris, Puf, Thémis droit privé, 1ère édition, 2001, p. 151. 28 J.-L. Bergel, précité, p. 244. 29 J.-L. Bergel, « Différence de nature (égale) différence de régime », RTD civ., 1984, p. 255 et s.

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commission, l’autre est abstention ; l’une est justification (fût-elle insuffisante), l’autre est silence.

Les concepts utilisés dans le processus de qualification sont ce que Ronald Dworkin appelle des

concepts discriminants ; c’est-à-dire que si le concept en question est applicable à l’espèce

soumise au juge, il devra « au mois a priori, trancher le litige dans un sens déterminé »30. Par

exemple, si « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’engagent,

envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose »31, il y aura ou

non contrat selon les situations. Nous raisonnons alors sur une alternative qui est l’existence ou

non d’un contrat entre ces personnes, et nous n’admettrions pas l’existence d’une voie médiane.

Ainsi, les concepts discriminants sont selon Dworkin utilisés de manière bivalente en ce sens que

« soit il est vrai que le cas relève d’un concept discriminant, soit c’est l’affirmation opposée qui est

vraie »32. On retrouve en fait ici une expression du principe du tiers exclu, retenu depuis

l’Antiquité comme une des lois fondamentales du raisonnement, une science bien faite

n’admettant en principe pas d’hybrides.

21 – Binarité – Ces concepts discriminants seraient donc utilisés de manière binaire et l’on ne

pourrait répondre à une question de droit que par oui ou par non. Cette idée fonctionne comme

un présupposé dans l’esprit des juristes33, une telle conception aurait en fait tout d’un obstacle

épistémologique comme l’entend Bachelard dans La Formation de l’esprit scientifique34. Il s’agit d’un

d’un obstacle mental qui empêcherait l’accès à l’attitude permettant de tendre vers la

connaissance. L’exigence de binarité se manifeste déjà dans la manière dont la question est posée :

est-ce l’un ou l’autre ? Quelle est place de cet obstacle dans le raisonnement juridique ? Et

jusqu’où peut aller la justification ? Prenons un exemple. Grâce à un appareil dissimulé sous des

planches, une personne soustrait l’énergie électrique de son voisin afin de ne pas payer

l’électricité35. D’après l’article 379 de l’ancien code pénal en vigueur à l’époque des faits,

« quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol ».

Le problème est qu’il était impossible de qualifier rigoureusement l’énergie électrique de chose

puisqu’il s’agit d’un phénomène naturel résultant d’un mouvement d’électrons ; une énergie n’est

pas une chose au sens naturel du terme. La Cour de cassation a pourtant assimilé l’énergie

électrique à une chose, manière de répondre en respectant la binarité de la question posée36. Le

30 R. Dworkin, Une question de principe, Paris, Puf, Recherches politiques, trad. Aurélie Guillain, 1996, p. 152. 31 Code civil, article 1101. 32 R. Dworkin, précité. 33 R. Dworkin, précité. 34 G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 2011, p. 15-22. 35 Nous rappelons que la présente étude n’entend pas traiter de droit pénal mais l’exemple est ici utilisé pour son intérêt méthodologique et pour son aspect didactique. 36 Cass. Crim. 3 août 1912.

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vol n’était admis que pour les choses corporelles et mobilières et par conséquent le vol d’énergie a

posé problème37. Les juridictions du fond avaient déjà eu à connaître de la question et s’étaient

déjà prononcées dans le sens de l’assimilation de l’énergie à une chose38 ; la Cour de cassation a

également tranché dans ce sens dans l’arrêt du 3 août 1912 en retenant que l’électricité était bien

une chose au sens du texte alors en vigueur. Cette décision s’est justifiée par le transfert de

possession d’une personne à l’autre, faisant fi de la définition physique de l’entité en question39.

Les juristes ont dans ce cas ignoré la définition retenue par la science pour fonder la décision sur

des concepts internes au droit, comme en l’occurrence celui de possession. Le droit face à l’inédit

reviendrait donc à lui-même et à ses propres concepts, distincts de ce que l’on tient pour des

réalités extérieures. Par le souci d’une binarité, on a maintenu la seule catégorie qui était retenue ;

on a préservé à cet endroit l’alternative. L’obstacle est donc bel et bien à l’œuvre dans le

raisonnement et se manifeste dans les cas de réponse positive par une assimilation à une catégorie

existante. Une telle méthode révèle l’aspect constructif du traitement des cas inédits : la catégorie

initialement prévue s’accroît pour recouvrir de nouvelles situations, y compris en ignorant au

besoin délibérément, les catégories des autres disciplines. Le retour au connu apparaît alors

comme une preuve de l’autonomie scientifique du droit.

22 – Argument du précédent et règle de justice – Cette autonomie se poursuit une fois les

catégories augmentées ; le cas subsumé sous la règle qui ne le prévoyait pas se mue ensuite en

argument du précédent. Le retour au connu appelle donc le retour au connu : l’inédit de retour

intègrera la jurisprudence et sera traité comme un précédent afin de justifier la demande d’un

traitement analogue. On invoquera alors la similarité des cas pour provoquer un certain

traitement en vertu de la règle de justice : « traiter les cas semblables de manière identique ». Tout

le problème est de savoir comment décider de la similarité des cas, des cas inédits et des

précédents. L’exigence de la seule similarité des cas plutôt que de leur identité permet de recevoir

l’inédit et de le ramener vers le connu. Mais persiste le problème de pouvoir décider

effectivement de leur similarité en ce que la règle de justice demeure – et doit demeurer – en elle-

même une forme vide40. On retrouve alors la tension plus tôt évoquée : une part importante des

argumentations dans un litige tournera autour de la question de savoir si les cas sont semblables

37 R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, Librairie du Recueil Sirey, 3ème édition, 1935, p. 109 et s. 38 Voir not. Tr. Corr. Troyes, jugement du 7 nov. 1893 (D. 95.2.102), « l’individu qui, à l’insu de la Compagnie avec laquelle il a un contrat d’abonnement pour l’éclairage électrique, fait usage d’une lampe non encore munie d’un compteur, et consomme ainsi de l’électricité sans en payer le prix, commet le délit de vol ». 39 R. Garraud, précité, p. 112. 40 H. L. A. Hart, The Concept of Law, Oxford, Oxford University Press, Clarendon Law Series, 3ème édition, 2012, p. 159 : « (...) ‘Treat like cases alike’ must remain and empty form. To fill it we must know when, for the purposes in hand, cases are to be regarded as alike and what differences are relevant. Without this further supplement we cannot proceed to criticize laws or other social arrangement as unjust. »

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ou non. Poser la question de l’assimilation revient à poser la question de savoir si la mauvaise

motivation et l’absence de motivation sont des cas semblables en ce sens qu’ils appelleraient un

traitement identique. Il ne s’agit pas des mêmes faits, de la même situation ; mais ne s’agit-il pas

de faits proches ? Suffisamment proches pour justifier que l’on puisse assimiler l’un à l’autre ? Ce

ne sont pas les ressemblances factuelles mais leur rapport au concept juridique mobilisé en

l’espèce qui permettra de trancher41. Dans l’exemple de la motivation du congé42, si l’insuffisance

et l’absence de motivation sont deux choses différentes, comment justifier leur assimilation ? Elle

n’est pas évidente sur le plan factuel mais se comprend aisément par un retour au concept ; les

deux situations n’ont pas fourni la motivation adéquate. C’est donc justement cette motivation

suffisante qui sert de troisième terme afin de justifier l’assimilation et donc le traitement

identique43.

23 – La binarité en question – Le principe du tiers-exclu fonctionne comme un quasi-

automatisme dans l’esprit du juriste mais c’est peut-être sous-estimer le problème que d’exclure

d’avance toute solution tierce. Si la logique formelle est utile pour tout raisonnement, il serait

imprudent et inexact d’y asservir le raisonnement juridique44. Celui-ci, bien que fortement

influencé par la logique formelle, serait plus souple qu’elle en raison de son objet que sont les

règles juridiques45 Lorsque l’on dit qu’un cas n’appelle pas forcément une seule solution, mais au

moins deux, il faut comprendre deux comme un minimum. En effet on ne connaît pas a priori

toutes les possibilités de réponse que peut admettre une même question, de sorte qu’une simple

alternative binaire ne saurait en traduire l’ensemble. On peut se demander si entre une réponse et

son contraire il ne pourrait y avoir un espace logique. Peut-on se contenter de la question de

savoir si l’absence de motivation est ou n’est pas assimilable à une mauvaise motivation ? Comme

l’explique Dworkin, il se peut qu’aucune des deux branches de l’alternative ne soit la bonne

réponse, celle-ci serait alors à trouver dans une troisième voie46. Par exemple pour expliquer

simplement notre propos, si l’on posait la question de savoir si un homme est grand ou petit, on

pourrait répondre qu’il est de taille moyenne. Le droit fournit également des situations où la

réponse qui a été donnée s’est trouvée dans l’interstice entre oui et non, entre blanc et noir. C’est

par exemple le cas pour la question de la nature juridique de l’enfant à naître. Peut-il être qualifié

de personne ; ne peut-il l’être ? On ne raisonne en posant la question ainsi que dans l’alternative

41 F. Rouvière, « Traiter les cas semblables de façon identique : un aspect méthodologique de l’idée de justice », Jurisprudence. Revue critique, 2012, p.89-100, n°11. 42 Cf supra, n°22. 43 F. Rouvière, précité ; nous adaptons ici à notre exemple l’analyse opérée par l’auteur. 44 C. Perelman, Logique juridique, Paris, Dalloz, 2ème édition, 1999, p. 4-5. 45 F. Gény, Science et technique en droit privé positif, tome IV, n°302. 46 R. Dworkin, précité, p. 155.

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binaire et la loi se tait. Le droit peut-il faire de même ? Bien que des tentatives de définitions aient

pu être données47, elles ne l’ont été que pour éviter certaines situations. Le fait que le problème

soit toujours aussi débattu sans réelle prise de position stable montre la permanence de la pensée

du tiers-exclu, comme s’il fallait dire que l’embryon était humain ou non humain, (A) ou (non-A).

Le tiers inclus serait comme une zone interdite de la pensée, comme une reconceptualisation vers

laquelle les juristes n’oseraient pas s’orienter. Tout se passe comme si l’on refusait, pour

reprendre les termes de Dworkin, que l’espace ne soit occupé par un concept distinct48. Et

pourtant la question de la nature de l’embryon se pose toujours, comme si pour préserver un

mécanisme de pensée on avait maintenu l’inédit, en ne répondant jamais vraiment. Le retour au

connu semble imposé, le principe du tiers exclu fonctionnant ici comme un obstacle

épistémologique qui neutraliserait d’avance l’évolution de l’appareil conceptuel.

24 – L’inédit de retour, de l’ombre à la clarté – L’inédit provoque sauf exception la

qualification et se révèle alors être un facteur de construction des catégories ; l’inédit de retour

permet de préciser les contours des qualifications déjà connues. Il permet d’affiner la

connaissance de l’existant, tout en enrichissant les qualifications. L’inédit s’éteint dès lors qu’il est

traité, il disparaît de la sphère de l’inconnu pour entrer dans celle du connu et devenir pour le

juriste un cas de plus qu’il aurait prévu, pour lequel une réponse serait déjà disponible. L’inédit

cesse dès sa réception judiciaire, autrement dit c’est au moment où il s’éteint que le droit avance,

l’ombre cède face à la lumière, de même que l’ignorance face à la connaissance. Le retour au

connu est peut-être la marque d’une peur, d’une crainte inhérente à l’homme face à l’inconnu, au

jamais vu. Faut-il réformer les catégories qui nous permettent de le saisir ? « Vivant dans un

monde plein de dangers, l’homme est voué à rechercher la sûreté »49. Et le fait de ramener

l’inconnu au connu est certainement la méthode qui permet le mieux d’entretenir un grand mythe

du droit derrière lequel parfois on aime se réfugier : la sécurité juridique.

47 Par exemple par la Cour de justice de l’Union européenne afin de protéger l’embryon contre toute invention impliquant de le détruire : CJUE, gde ch. 18 octobre 2011, JCP G 2012.146, « tout ovule humain dès le stade de la fécondation » ; « tout ovule humain non fécondé dans lequel le noyau d’une cellule humaine a été implanté et tout ovule humain non fécondé qui par voie de pathénongenèse a été induit à se diviser et à se développer ». 48 R. Dworkin, précité, p. 156. 49 J. Dewey, La quête de certitude, Paris, Gallimard, 1ère édition, 2014, trad. P. Savidan, p. 23

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2. L’entretien du mythe de la sécurité juridique

25 – Insaisissable sécurité – Si aucune définition ne va de soi, celle de la sécurité juridique ne

fait certainement pas exception à la règle. Traditionnellement présentée comme la fin ultime du

droit50, la sécurité juridique est pourtant une notion bien fuyante et difficile à cerner. L’homme

cherche à prévoir, à anticiper, à échapper au péril de l’inconnu. La recherche de la sécurité

juridique semble être l’attitude la plus évidente, la plus primaire pour le justiciable, si bien que

Jean Carbonnier parlera à son égard de besoin « animal »51.. Le Saint Graal paraît néanmoins

difficile à saisir : avant même d’être une étrangère pour le sensible, la sécurité juridique ne semble

pas être facilement intelligible, tant il en existe de visions différentes. Dans son approche la plus

simple, la sécurité juridique pourrait être définie comme la stabilité du droit permettant au

justiciable de faire des prévisions quant à l’attitude ou à la stratégie qu’il peut adopter dans une

situation donnée. Elle exigerait alors trois conditions : la clarté et la précision des règles, l’absence

d’arbitraire administratif ou judiciaire, et la non-rétroactivité des règles nouvelles52. Elle

supposerait ainsi « la possibilité, pour les personnes de prévoir les conséquences de leurs actes »53. Il est ensuite

possible de distinguer deux grandes conceptions de la notion. Premièrement, existe une

conception classique selon laquelle la sécurité juridique serait le but du droit avec la justice et le

progrès social54. Elle impliquerait une application de règles juridiques stables et préétablies,

chassant l’arbitraire des gouvernants55. Deuxièmement, selon une approche dite moderne, l’objet

de la sécurité juridique serait de lutter contre le danger inhérent à la règle de droit de nature

législative, règlementaire, ou jurisprudentielle ; elle aurait donc une fonction de sécurisation de

l’ordre juridique56. On peut également, comme l’a fait Jean-Louis Bergel, opérer une distinction

de nature entre sécurité juridique objective – celle du droit et de ses sources, menacée par

l’inflation législative et la dégradation de la qualité de la loi57 – et subjective – celle des sujets de

droit, résidant dans des mécanismes protecteurs : non-rétroactivité des normes, voies de recours,

publicité…58 –.

50 P. Roubier, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz-Sirey, 1951, p. 318. 51 J. Carbonnier, Flexible Droit, Paris, LGDJ, 9ème édition, 1998, p. 193-194. 52 Fr. Chabas, H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Paris, Montchrestien, 12ème édition, 2000, p 29-30, n°10 et 10-1. 53 Fr. Chabas, H., L. et J. Mazeaud, précité. 54 A.-L. Valembois, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, Paris, LGDJ, Thèses, 2005, p. 4. 55 A.-L. Valembois, précité. 56 A.-L. Valembois, précité, p. 8. 57 J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 5ème éd., 2012, p. 43. 58 J.-L. Bergel, précité.

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26 – Un mythe imposé – La sécurité juridique apparaît donc comme une notion fuyante,

possédant autant de formes que d’auteurs, autant de visages que d’identités. Le concept même de

sécurité juridique se révèle, de par l’existence de ses multiples acceptions, particulièrement peu

sécuritaire. Alors qu’il est délicat de dire avec précision ce que l’on entend par « sécurité

juridique », un certain nombre de manuels passent la notion sous silence. Philippe Malaurie, à

l’occasion du bicentenaire du code civil, ira même jusqu’à la présenter comme « un mythe auquel

presque plus personne ne croit »59. La sécurité juridique est souvent présentée comme un idéal vers

lequel le droit doit tendre60. Sa recherche aspirerait donc à l’accomplissement d’une idée ou d’un

modèle, d’une norme exigible sans être pleinement réalisable de sorte que l’on doit se contenter

d’une approximation infinie61. Loin d’un tel rapprochement asymptotique, le droit contient des

facteurs non négligeables d’instabilité, qui feraient de lui une entité insécuritaire par nature. C’est

ce que H.L.A. Hart a appelé la « texture ouverte » du droit, constituée des marges d’interprétation

laissées par les lois comme par les décisions de justice62. La difficulté serait de trouver l’équilibre

entre la souplesse inhérente au droit et le besoin de stabilité. Cet état de crise entre clair et obscur,

cet état de lutte permanente d’un côté et de l’autre de la corde se retrouve dans les célèbres

articles 4 et 5 du code civil. Le juge est forcé d’agir dans l’incertitude au risque de se rendre

créateur d’une règle de droit nouvelle et devenant ainsi malgré lui source d’insécurité juridique en

ce qu’une telle règle ne pouvait entrer dans une quelconque prévision.

27 – Un mythe discuté – Le mythe de la sécurité juridique et ses contradictions sont comme

contenues en germe dès l’origine, naturellement formés par ce besoin de stabilité et de prévision.

Pourtant, il ne peut échapper à la remise en question si dérangeante que lui posent les cas inédits

(a). Il est pourtant sauvé in extremis, et en apparence seulement, par le retour au connu opéré par

le discours judiciaire (b).

a. Un mythe questionné par les cas

28 – Inévitable insécurité – Seuls des exemples concrets peuvent mettre à mal un mythe aussi

puissamment installé que celui de la sécurité juridique. Les arrêts précédemment évoqués

apportent déjà leur lot d’instabilités et d’incertitudes. Fallait-il s’attendre à voir assimilé le congé

non motivé au congé mal motivé ? Fallait-il s’attendre à voir l’énergie électrique qualifiée de

59 Ph. Malaurie, « L’utopie et le bicentenaire du Code civil », in 1804-2004. Le Code civil. Un passé, un présent, un avenir, Paris, Dalloz, 2004, p. 5. 60 R. Cabrillac (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Paris, LexisNexis, 5ème édition, 2014, p. 460. 61 J-M Vaysse, Dictionnaire de philosophie, dir. J-P Zarader, Paris, Ellipses, Ellipses-poche, 2001, p. 349. 62 H.L.A. Hart, précité, p. 127-128.

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chose ? Il est encore d’autres cas où le règne de l’insécurité juridique est plus flagrant, comme par

exemple le problème bien connu du contrat de coffre-fort. Dans un tel contrat, une banque met à

disposition de son client un coffre-fort auquel celui-ci a un libre accès et non une jouissance

continue, ce qui exclut la qualification de contrat de location. Mais le banquier n’ayant pas pour

autant accès au contenu, la qualification de dépôt n’est pas non plus appropriée63. La réponse

apportée est assez imprévisible et peut anéantir les attentes du justiciable.

29 – L’insécurité juridique en marche – Observons l’arrêt Crédit lyonnais, rendu par la chambre

commerciale le 11 octobre 200564. Si le problème de la qualification du contrat de coffre-fort est

loin d’être une nouveauté65, les circonstances de l’affaire la rendent assez originale pour mériter

notre considération : alors qu’une banque avait conclu un contrat de coffre-fort avec une de ses

clientes, un incendie ravage les locaux. La salle des coffres n’est pas directement touchée mais son

accès est compromis pendant plusieurs mois. Le problème est que la cliente en question avait mis

à l’abri dans son coffre des titres au porteur qui lui octroyaient des intérêts sur présentation. Son

préjudice, et c’est là toute l’originalité, résultait de l’impossibilité d’accès et non de la destruction

du contenu du coffre. N’ayant pu y avoir accès durant près d’un an, elle a assigné la banque en

responsabilité. Comment trancher alors, étant donné que les catégories disponibles a priori ne

permettent pas de classer le contrat ? La Cour de cassation refuse d’appliquer l’article 1722, et de

revenir au connu en qualifiant de bail. Elle ne revient pas plus vers la qualification de dépôt. Si le

contrat de coffre-fort est un contrat sui generis appelant le retour au droit commun66, la question

n’est pas fermement tranchée et la difficulté n’est pas pleinement assumée par les juges qui se

contentent seulement en l’espèce de dire dans une phrase toute paradoxale que « l’article 1722 du

code civil n’est pas applicable au contrat par lequel la banque loue à un client un compartiment

ou un coffre dont elle assume la surveillance et auquel le client ne peut accéder qu’avec le

concours du banquier ». Alors le coffre serait bien loué mais le texte applicable aux choses louées

ne lui serait pas applicable ? Est-ce à dire que le coffre-fort n’est pas une chose ? Le caractère sui

generis du contrat de coffre-fort n’est pas incompréhensible mais il est, en restant un non-dit, la

négation de toute sécurité juridique. La Cour s’était en outre déjà prononcée en sens contraire sur

la question67. Le choix est donc fait pour ce problème de demeurer dans l’inédit68 : la réponse

existe mais est passée sous silence.

63 P. Le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, Paris, Dalloz, Dalloz Action, 10ème édition, 2014, n°5306. 64 Com. 11 octobre 2005, n°03-10.965, Bull. Civ. IV, n°206 ; D. 2005. AJ 2869, obs. Xavier Delpech. 65 P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Paris, LGDJ, 7ème édition, n°868. 66 F. Rouvière, « Contrat de coffre-fort : le sui generis à l’épreuve de la force majeure », Petites affiches, 23 décembre 2005, n°255, p. 13 et s. 67 Cass. Civ. 1ère, 28 mars 1989, Bull. Civ. I, n°142, JCP 1990. II. 21145, note E. Putman et B. Soletty.

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30 – Lacunes et absence de réponse – Il aurait été tentant d’invoquer ici, et pour ce type de cas

l’existence de lacunes. La lacune est une absence, un manque, un vide que le droit comporte alors

qu’il ne le devrait pas. A telle question il n’y aurait pas de réponse ; l’ordre ne contiendrait pas une

règle dont on pense qu’il devrait la contenir69. On observera un point de distinction important du

présent problème avec celui des lacunes en ce qu’il n’y pas ici de vide, d’absence de réponse. On

ne peut qualifier avec les catégories des contrats spéciaux mais l’acte litigieux étant n’étant pas

moins un contrat, on peut revenir faute de mieux au régime général. Le droit a donc bien une

réponse ; mais elle n’est pas forcément celle que les justiciables peuvent prévoir. C’est à cet

endroit sans doute qu’une lacune pourra être invoquée par l’une ou l’autre des parties afin

d’amener le juge à trancher en sa faveur. L’existence d’une lacune est parfois invoquée mais n’est

jamais véritablement démontrée en ce qu’une réponse est bien déjà là70.

31 – L’artifice admis ? – On peut à la lecture de certaines décisions de justice se demander ce

qu’il reste de la sécurité juridique. L’arrêt de la première chambre civile du 9 octobre 200171 a

avoué à double titre le règne de l’insécurité. Premièrement du point de vue méthodologique ;

deuxièmement par une phrase malheureusement honnête. Les faits de l’espèce sont désormais

célèbres. En 1974, un médecin accoucheur fait accoucher une femme d’un enfant n’ayant pas

pivoté et se présentant donc par le séant. En pareil cas, on pratique normalement une césarienne

sauf qu’en l’espèce le médecin a tiré le bébé par les pieds, lui cassant alors les deux bras. La mère

n’intente pas de procès. Une fois l’enfant ayant atteint la majorité, il assigne quant à lui le médecin

en lui reprochant de ne pas avoir informé sa mère des risques liés à l'accouchement, l’ayant de fait

empêchée de demander une césarienne. La Cour d’appel n’accède pas à se demande au motif

qu’au moment des faits, une telle obligation d’information n’existait pas pour le médecin, celle-ci

n’ayant été consacrée par le Cour de cassation que plus tard72. La Cour de cassation ne l’entend

plus de cette oreille et décide en cassant l’arrêt d’appel, d’appliquer à cette espèce le droit qu’elle

avait postérieurement elle-même consacré : « un médecin ne peut être dispensé de son devoir

d'information vis-à-vis de son patient, qui trouve son fondement dans l'exigence du respect du

principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, par le seul fait qu'un

risque grave ne se réalise qu'exceptionnellement ; la responsabilité consécutive à la transgression

68 Nous rappelons l’étymologie de « inédit », du latin ineditus « qui n’a pas été publié ». 69 O. Pfersmann, « Lacunes et complétude », in Dictionnaire de la culture juridique (dir. D. Alland et S. Rials), Paris, Lamy-Puf, Quadrige-Dicos poche, 2003, p. 911 et s. 70 C. Atias, Questions et réponses en droit, Paris, Puf, L’interrogation philosophique, 2009, n°121. 71 Civ. 1ère, 9 octobre 2001, n° 00-14.564, Bull. Civ. I, n° 249 p. 157 ; RTD civ. 2002, p. 176, obs. R. Libchaber, « Retour sur une difficulté récurrente : les justifications du caractère rétroactif ou déclaratif de la jurisprudence ». 72 Civ. 1ère, 7 octobre 1998, JCP 1998. II. 10179, concl. J. Sainte-Rose et note P. Sargos, D. 1999. 145, note S. Porchy, somm.259, obs. D. Mazeaud.

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de cette obligation peut être recherchée, aussi bien par la mère que par son enfant, alors même

qu'à l'époque des faits la jurisprudence admettait qu'un médecin ne commettait pas de faute s'il ne

révélait pas à son patient des risques exceptionnels (...) ». Si les faits de 1974 avaient été jugés avec

le droit en vigueur en 1974, le médecin n’aurait pas été tenu responsable ; c’est le temps écoulé

qui s’est fait le meilleur allié de la victime et le pire ennemi de la sécurité juridique. La Cour de

cassation admet ensuite, comme un aveu pour se justifier que « nul ne peut se prévaloir d'un droit

acquis à une jurisprudence figée ».

32 – Du connu vers l’inconnu – Les juges sont ici revenus vers un connu qu’ils ne

connaissaient pas au moment des faits, comme si ce retour était plus important encore que ce

mythe que l’on avait tant construit. On reviendrait alors au connu au moment où l’on parle, où

l’on tranche, comme s’il nous était impossible de nous replacer dans un état de connaissance

antérieur. Rien ne s’oublie, comme si le droit ne savait pas reculer, comme si la limite de la

connaissance juridique était précisément un présent infranchissable. Tout ceci alors qu’une

décision de justice tranche pour le passé. Il y aurait donc une dissonance assez remarquable et

incommodante entre l’espèce passée et la connaissance du droit actuelle, que la Cour de cassation

aurait tranchée dans ce cas en faveur de la seconde. La doctrine s’en est logiquement émue,

dénonçant une insupportable injustice résultant d’une discordance des temps73. Peut-on supposer

qu’un progrès du savoir puisse justifier une telle décision ? « La loi du savoir est de s’améliorer

par extension et par correction : savoir plus, savoir mieux »74. Aurait-il été acceptable de faire acte

d’une ignorance volontaire en faisant fi des principes tout juste dégagés ? A cette question il

faudrait peut-être ajouter un sujet : acceptable pour qui ? Les juges n’ont pas voulu se résoudre à

faire prévaloir la justice sur leur autorité. La justice évoquée plus haut75 aura été sacrifiée pour

préserver le principe dégagé, pour préserver un progrès que le droit aurait fait. Seule la cohérence

non pas temporelle mais conceptuelle du discours judiciaire pourrait en tirer profit.

b. Un mythe préservé par la recherche d’une cohérence

33 – L’entretien de l’artifice – Aussitôt attaqué, aussitôt défendu, le mythe de la sécurité

juridique semble résister encore et toujours – dans les formes au moins – à l’inédit qui se

présente à lui. Il ne faut évidemment pas dire qu’on ne sait pas, que tel cas n’était pas prévu,

qu’on est bien incapable de répondre. L’inédit de retour sert également à donner l’impression que

73 R. Libchaber, précité. 74 C. Atias, Epistémologie juridique, Paris, Dalloz, Précis Dalloz, 2002, n°119. 75 Cf. supra n°22

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toutes les solutions sont déjà disponibles d’avance et que par conséquent le litige en présence ne

surprend nullement la juridiction. Alors que le cas est inédit on le traite comme déjà dit.

34 – Le poids de l’habitude – Cette « attitude intellectuelle qui ramène le nouveau à l’ancien »

pourrait selon Christian Atias trouver deux justifications76. La première est un réflexe erroné,

celui de la routine, de l’habitude de pensée. C’est par manque d’effort, par confort intellectuel que

l’on revient au connu. A priori lorsqu’on évoque le traitement des cas inédits, l’habitude semble

exclue d’avance : comment peut-on avoir l’habitude de ce que l’on n’a jamais vu ? Il n’en est

pourtant rien car s’il est impossible d’être habitué à traiter cette situation qui ne s’est jamais

présentée, il est sans doute plus probable d’avoir l’habitude de réagir d’une certaine façon quand

un cas inédit se présente. Ainsi l’habitude de ramener le nouveau à l’ancien peut relever d’un

automatisme, d’un piège de la routine tendu au praticien expérimenté qui ne verrait plus de

l’espèce que ses « caractéristiques génériques »77. Nous raisonnons continuellement avec les

catégories du droit positif qui occupent notre esprit lors de l’opération de qualification. Le retour

au connu est un effet de cette connaissance, qui peut prendre la forme d’une habitude et peut se

muer en obstacle épistémologique.

35 – La cohérence du déjà dit – La deuxième justification possible est un réflexe cohérentiste

traduisant – et sans doute est-ce un trait commun avec la sécurité juridique – la peur de la

contradiction. C’est donc vers celle-ci que va notre inclination ; « parce qu’en soi, toute

connaissance s’efforce à la cohérence »78. Entretenir la cohérence par le retour c’est donner

l’impression d’une part que tout se tient mais surtout donner l’impression que tout, pour ainsi

dire, se tenait déjà. Un exemple permet de justifier notre propos : celui du problème de l’indu

objectif79. Contrainte de réduire ses effectifs, une société verse des indemnités dites de départ

volontaire à ses salariés. Elle paye spontanément des cotisations à l’Urssaf calculées sur la base de

ces indemnités alors qu’il ne s’agit pas de salaires mais de dommages-intérêts. Ce n’est qu’après

coup que la société s’aperçoit qu’elle n’avait rien à payer, la Cour de cassation l’ayant précisé par

le passé80. Elle demande donc à être remboursée. L’article 1376 du code civil concerne l’accipiens81

76 C. Atias, Epistémologie juridique, Paris, Puf, 1985, p. 86. 77 C. Atias, « Juris dictio : redire l’inédit », D. 1992. 281. 78 C. Atias, précité. 79 Cass. Ass. Plén. 2 avril 1993, n° 89-15.490, Bull. 1993 A. P. N° 9 p. 12 ; D. 1993. 373, concl. Jéol, et p. 229, chron A. Sériaux, JCP 1993. II. 22051, concl. Jéol, Dr. Soc. 1993. 901 et chron. P. Chauvel, Defrénois 1993. 1380, obs. J.-L. Aubert, RTD civ. 1993. 820, obs. J. Mestre ; H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette et F. Chénedé, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, tome 2, Paris, Dalloz, 13ème édition, p. 512 et s. 80 Cass. Soc. 27 novembre 1985, n°83-16.653, Bull. Civ. V, n°563. 81 C. Civ. Art. 1376 : « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui était pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu. »

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et prévoit pour lui une obligation de répétition, son acceptation du paiement pouvant résulter ou

non d’une erreur de sa part. Mais le texte suppose que le solvens soit bien débiteur d’une autre

personne ; en d’autres termes qu’il ait bien la qualité de solvens. De plus il suppose que l’accipiens ne

soit pas le bon mais qu’il existe bien un accipiens. Or en l’espèce ce n’est justement pas le cas

puisque la société n’a pas payé la mauvaise personne : elle ne devait tout simplement payer

personne d’autre. L’article 1377, alinéa 1er, vise quant à lui l’erreur du solvens82. En l’espèce, la

société, par erreur se croyait bien débitrice. Mais elle n’a pas acquitté une dette à quelque

créancier que cela soit, puisqu’il n’y a justement ni dette ni créancier, ni débiteur. La société a

juste payé spontanément une somme, parce qu’elle s’est crue obligée de le faire. Bien que la

société se soit crue débitrice, l’article 1377 suppose d’autres conditions qui empêchent de

l’appliquer à cette situation. Il en va de même pour l’article 1376 : le solvens n’est pas plus débiteur

que l’accipiens n’est créancier ! Serait-ce une impasse ? Serions tombés dans le piège d’une lacune ?

Selon Otto Pfersmann, une vraie lacune se manifeste dans trois types de cas : quand l’ordre

juridique ne contient pas une norme générale que l’on estime souhaitable ; quand un cas

particulier devrait trouver telle ou telle solution mais que les ressources du droit positif ne

permettent pas d’y parvenir ; ou quand une norme générale existe mais que sa formulation paraît

si obscure qu’on ne sait comment l’appliquer83. Peut-on dire en l’espèce qu’il y a lacune ?

Contrairement aux apparences, une telle conclusion paraît bien improbable en ce qu’une réponse

a bien été trouvée84, la lacune n’ayant au mieux que pu servir d’argument. Le cas ne s’était jamais

présenté et pourtant l’ordre juridique contient une norme générale permettant de trancher, et les

ressources du droit positif permettent de parvenir à une solution. L’existence d’une lacune, et

l’arrêt le prouve, ne dépend que du niveau de généralité adopté pour traiter le cas. La Cour

répond « qu’il résulte des articles 1235 et 1376 du code civil que ce qui a été payé indûment est

sujet à répétition, (...) que dès lors, les cotisations litigieuses n’étant pas dues, la société était en

droit, sans être tenue à aucune autre preuve, d’en obtenir la restitution ». Les juges sont en fait ici

revenus à l’article 1235, alinéa 1er, disposition plus générale aux termes de laquelle « tout

payement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition ». Le paiement,

au sens technique du terme, est l’exécution d’une obligation85. Nulle obligation néanmoins ici. Si

tout payement suppose une dette ; a contrario l’absence de dette suppose l’absence de payement. A

s’en tenir à la motivation de l’arrêt, le cas n’était pas inédit mais déjà dit par l’article 1235 et il

convenait seulement de le préciser ou mieux encore, de le rappeler. Cet inédit-là était donc déjà

82 C. Civ. Art. 1377, alinéa 1er : « Lorsqu’une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, a acquitté une dette, elle a le droit de répétition contre le créancier. » 83 O. Pfersmann, précité. 84 C. Atias, Questions et réponses en droit, précité, n°121. 85 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, Puf, Quadrige, 11ème édition, 2016, p. 730.

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dit, le jamais vu ramené vers le connu pour faire apparaître le discours comme cohérent et

surtout, conforme à l’idéal de sécurité juridique. Tout se passe comme si le discours était vidé de

ses contradictions potentielles et que l’on choisissait à cette fin, une solution qui peut s’intégrer à

l’ensemble comme si elle le continuait, « comme s’il fallait absolument continuer le roman plutôt

que recommencer »86. C’est sans doute l’idée d’une continuité qui est à l’œuvre ici : en cas d’erreur

du solvens, il y a lieu à répétition de même qu’en cas d’erreur de l’accipiens. S’il fallait retenir l’erreur

ou le simple fait que la somme n’était pas due comme dénominateur commun, il paraîtrait

incohérent que l’indu objectif ne soit pas également sujet à répétition. En somme l’histoire

continue sur sa lancée, suivant le mouvement qu’elle avait déjà amorcé.

36 – Cohérence a contrario – Si on a classé sous l’article 1235 un cas qu’il ne prévoyait pas, on

l’a fait par le jeu d’une certaine interprétation, on a fait prendre au texte un certain sens.

L’interprétation a contrario de la disposition générale est présentée par la Cour de cassation comme

« résultant » du texte. Elle aurait été révélée à l’occasion du traitement du cas mais était déjà

présente, comme immergée entre les mots. Comment justifier l’inédit de retour ici ? Est-ce, pour

reprendre la dichotomie précédemment empruntée à Christian Atias87, l’effet d’une habitude de

pensée ou d’un réflexe cohérentiste ? L’habitude a peut-être joué, mais il est hasardeux de se

prononcer sur son compte sans mener une étude psychanalytique des décisions de justice. La

recherche d’une cohérence semble en revanche moins douteuse, celle-ci étant une tendance

naturelle de l’esprit88. Tout cas inédit n’appelle pas directement une solution inédite : point

d’invention ni de troisième voie ici, la réponse est donnée sans contredire l’ensemble déjà

existant. L’entretien d’une cohérence du discours joue au profit de l’entretien du mythe de la

sécurité juridique puisque l’ensemble est conforté et se présenterait comme exempt de failles ou

de contradictions89. L’idée d’un droit prévu d’avance est donc sauve dans le discours judiciaire.

L’impression de déjà dit ou de déjà vu se maintient alors d’autant plus et c’est cette fois

l’argument a contrario qui en a été l’outil. Faire parler le texte jusqu’à lui faire dire ce qu’il aurait pu

dire mais ne dit pas, voilà la recherche de cohérence non pas entre le texte et le cas mais au regard

de l’ensemble des solutions connues, pour le justifier à tout prix devant la nouveauté.

86 R. Dworkin, Law’s Empire, Oxford, Hart Publishing, 1993, p. 230-231. 87 Cf supra, n°34 88 Cf supra, n°19 89 Voir A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Puf, Quadrige-Dicos poche, 3ème édition, 2010, p. 146 : « Cohérence. (…) Absence de contradiction et de disparate entre les parties d’un argument, d’une doctrine, d’un ouvrage (...). »

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37 – L’expression d’un savoir – Un savoir est donc mis en œuvre au-delà des textes qui n’en

étaient que le signe. La confrontation des textes à l’inédit fait émerger ce qui n’était pas dit ; des

aspects inconscients mais pourtant bien présents. L’inédit de retour fait émerger un savoir jusqu’à

lors enfoui. Par le traitement d’une situation imprévue et jamais vue, les bords tranchants des

concepts sont questionnés et affinés : c’est un savoir qui est mobilisé par la question des limites

du concept en présence. Faut-il considérer qu’elles s’étendent jusqu’à tel cas ; faut-il s’en garder ?

Cette idée de limite ne va pas sans rappeler ce que disait Martin Heidegger en affirmant que « la

limite n’est pas ce où quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l’avaient observé, ce à

partir de quoi quelque chose commence à être »90. Le droit ne fait qu’advenir et ne cesse jamais91,

les limites de ses concepts étant sans cesse questionnées par l’infinie diversité du quotidien. Le

droit commence donc à être à chaque espèce, à chaque question de qualification ; et le retour au

connu semble être un mode d’expression d’un savoir des juristes, d’une chose qu’ils auraient tous

en commun. Expliquer une loi ou une décision semble alors prendre le caractère d’une

maïeutique : on fait apparaître « des raisons inaperçues par l’auteur de la loi ou du jugement ; ce à

quoi il avait été inconsciemment sensible »92. Par le cas, la connaissance progresse et le retour au

connu n’est qu’une des manières de répondre à la question, qu’une seule des attitudes possibles. Il

ne serait que la confirmation d’une tendance, d’une direction déjà prise. Mais le cœur de ce savoir

résiderait peut-être non pas dans le précédent mais dans la discussion toujours vive93 autour d’un

droit encore jaillissant.

38 – Vers des créations nouvelles – Si le retour au connu n’est que l’une des réponses

possibles, la discussion ne saurait s’y arrêter à chaque fois. Il semble être des cas où le connu ne

suffit pas et où la création apparaît comme nécessaire, brisant les habitudes qui tenaient alors le

premier rôle. Ainsi l’inédit est parfois reconnu, l’inconnu est parfois accepté comme tel. Assumé

par les juges, le cas inédit deviendrait l’occasion de mettre en œuvre un pouvoir créateur : du cas

inédit on parviendrait à une solution inédite.

90 M. Heidegger, « Bâtir, habiter, penser », in Essais et conférences, trad. André Préau, Paris, Gallimard, 1958, p.183. 91 C. Atias, Théorie contre arbitraire, Paris, Puf, Les voies du droit, 1987, p. 17. 92 C. Atias, Epistémologie juridique, précité, p. 87. 93 C. Atias, Science des légistes, savoir des juristes, Aix-en-Provence, PUAM, 3ème édition, 1993, p. 141.

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B) La reconnaissance de l’inédit : de la question à la création

39 – Briser les chaînes – Rien n’est définitif. Certes des obstacles ont été créés, des habitudes

ont été prises et ont été confortées ; mais rien de tout cela n’est insurmontable. Aucun obstacle

n’est gravé dans le marbre. Si elle est parfois une barrière, l’habitude peut également être un

instrument de la liberté : la création est permise. Elle est permise pour aller contre ce qui avait

neutralisé notre regard, contre l’automatisme qui avait condamné l’analyse. « Il semble donc que

la puissance de contracter des habitudes durables [...] appelle à sa suite une autre faculté qui en

corrige ou en atténue les effets, la faculté de renoncer, le cas échéant, aux habitudes qu’on a

contractées ou même aux dispositions naturelles qu’on a su développer en soi (...) »94. Le juge

bien qu’il en ait l’habitude, ne ramène pas toujours vers le connu. Parfois il abandonne la binarité

et il peut lui arriver, bien que le phénomène soit assez rare, de créer et ainsi d’élargir le champ des

possibles. Nous appellerons les cas où cela se produit inédits de création. Par une activité de

création, le juge manifeste un pouvoir, une autorité qui lui permet de saisir le monde autrement

(a). Mais la création n’intervient jamais d’emblée mais à l’issue du débat judiciaire. L’une des

parties est parvenue à faire accepter l’idée que son cas était nouveau, trop atypique pour les

catégories déjà existantes. Peut-être est-ce parce qu’elle a su poser la bonne question, orientant

alors le débat dans une direction favorable (b). Si la création est permise elle est toutefois

extrêmement rare, sans doute parce que lourde de conséquences. Ainsi lorsqu’elle a lieu, elle

s’inscrit dans la construction d’un certain sens, d’une direction qui demeure soucieuse de ne pas

complètement déséquilibrer l’ensemble de sorte à toujours le laisser apparaître comme cohérent

(c).

1. L’expression d’un pouvoir

40 – Un pouvoir de création – On ne présente plus les articles 4 et 5 du code civil95. Le premier

interdit le silence ; le deuxième la généralité. Dans le premier, le juge se voit imposer le devoir de

juger, de trancher quoi qu’il arrive. L’invitation à la création est implicite : le juge ne devant pas

s’abstenir de répondre, il doit à un moment ou à un autre créer. On pourrait en synthétisant les

deux textes en déduire un devoir de création réduit, limité à l’espèce tranchée96. Le droit de la

94 H. Bergson, Mélanges. Durée et simultanéité. Correspondance. L'idée de lieu chez Aristote., Paris, Puf, Grands ouvrages, 1972, p. 321-322. 95 C. Civ. Art. 4 : « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » ; Art. 5 : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. » 96 F. Gény, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, tome II, Paris, 1919, p. 35.

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responsabilité en fournit de bons contre-exemples en ce que des revirements ont consacré des

concepts qui n’étaient pas présents au moment où l’espèce s’est présentée. Prenons l’exemple de

la responsabilité du fait des choses. Au moment où la création prétorienne est intervenue, les cas

n’étaient pas nouveaux mais les solutions l’étaient et sont ensuite restées, de sorte que le pouvoir

créateur n’est pas un mythe. Il a fallu par exemple attendre l’arrêt Teffaine97 pour que la Cour de

cassation crée, avec les ressources alors disponibles, un principe général de responsabilité du fait

des choses98. La création de ce principe a nécessité d’interpréter extensivement l’article 1384,

alinéa 1er, contre sa raison d’être : il n’était destiné à être qu’une simple annonce de plan99. Le juge

a donc créé, il a apporté une pierre qui manquait à l’édifice. Sans toutefois l’avouer pleinement, il

a fait usage d’un pouvoir de création et celui-ci ne s’est pas limité à l’espèce. L’arrêt a pu servir de

précédent au soutien d’une argumentation dans une espèce voisine, invitant le juge à se suivre lui-

même.

41 – L’autorité créatrice – Entre le retour et la création, un trait commun demeure : le besoin

d’une apparence de stabilité. Dans les deux cas, l’ignorance n’est pas avouée. La construction du

droit se poursuit alors que l’on veut donner l’apparence de la prévisibilité et de la stabilité100.

Comme nous l’avons vu, l’article 4 du code civil oblige le juge à statuer, même si les textes sont

silencieux ou obscurs, une activité de création pouvant être incluse dans son office. Le juge va

rendre justice, en faisant usage des pouvoirs qui lui ont été transmis par l’Etat : la jurisdictio, c’est-

à-dire le pouvoir de mettre fin à une contestation en disant le droit ; et l’imperium, c’est-à-dire le

pouvoir d’injonction destiné lui permettant de faire exécuter sa décision101. Rendue « au nom du

peuple français », la décision du juge fera autorité. Mais qu’entendre par ce terme ? Si l’on entend

couramment par autorité le droit d’accomplir et de faire accomplir des actions102, on peut

également revenir au sens premier du terme à savoir le répondant latin auctoritas, dérivant lui-

même du verbe auguere, augmenter103. Augmenter, c’est pour ainsi dire créer, prolonger. L’autorité

implique donc un acte de création, que le code civil ne reconnaît qu’implicitement, à travers

l’article 4 ; et qu’il limite aussitôt par l’article 5. La force créatrice des décisions est de plus en plus

97 Cass. Civ. 16 juin 1896, S. 1897. 1. 17., « Considérant, en outre, que le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par un vice de construction ; que par analogie, il est juste de décider qu’en confiant à Teffaine une machine, Guissez et Cousin sont responsables du dommage qui a été occasionné par un vice de construction de ladite machine. » 98 Cf. infra n°93. 99 C. Civ. Art. 1384, al. 1er : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. » 100 Cf supra, n°25 et 26. 101 J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 4ème édition, 2003, p. 333, n°288. 102 M. Potchensky, « Autorité », in Dictionnaire de philosophie (dir. J.-P. Zarader), Paris, Ellipses, Ellipses-poche, 2ème édition, 2014, p. 83. 103 A. Damien, « Autorité », in Dictionnaire de la culture juridique, précité, p. 112.

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reconnue, notamment à la fin du XXème siècle, de sorte que l’on peut s’interroger sur la pertinence

de la prohibition des arrêts de règlement de nos jours104.

42 – Un concept nouveau – L’arrêt de la première chambre civile du 12 juillet 1989105 en est un

bel exemple. En l’espèce, un contrat de vente est conclu entre deux parapsychologues avec pour

objet la vente de matériel servant à pratiquer la divination. Or cette pratique est au moment de la

vente interdite par l’article R.34-7° de l’ancien code pénal106. L’acheteur refuse de payer le prix en

invoquant l’illicéité de la cause du contrat. L’article 1131 du code civil dispose que « l’obligation

sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ». Le texte

fait bien mention de cause de l’obligation et non de cause de contrat. Le vendeur réclame le

paiement de la chose, la cause de l’obligation étant le transfert de propriété ; l’acheteur quant à lui

refuse prétextant que la cause déterminante de l’engagement, ici la pratique de la divination, était

illicite. Le litige s’articule donc autour de la cause en tant que condition de validité du contrat, et il

est l’occasion de questionner le concept de cause. Ce n’est pendant bien longtemps qu’en termes

d’existence que la cause a été entendue ; de manière objective et abstraite, toujours la même dans

chaque type de contrat107. Ainsi la cause de l’obligation de donner dans le contrat de vente réside

dans le transfert de la propriété de la chose objet du contrat. De manière plus générale dans les

contrats synallagmatiques, la cause de l’engagement d’une partie réside dans l’objet de l’obligation

de l’autre, de sorte que les obligations réciproques se servent mutuellement de cause108. Ainsi,

dans un contrat de vente, la cause de l’engagement de l’acheteur réside dans l’obtention de la

chose achetée ; et la cause de l’engagement du vendeur dans le paiement du prix. On s’engage

dans un contrat pour quelque chose, en considération d’un certain but ; il faut selon l’article 1131

que notre engagement ait une cause pour que l’obligation ait un effet. Le mobile lointain de

l’engagement n’importe donc pas. Si l’on s’engage à payer un certain prix, ce peut être pour

acheter une voiture ; peu importe que l’on achète une voiture dans le but de réaliser un tour de

France des autoroutes. Peu importe les motivations personnelles qui président à l’engagement,

peu importe les mobiles ; étant variables dans chaque espèce, leur prise en compte nuirait à la

104 L. Depambout-Tarride, « Juge (Longue durée) », in Dictionnaire de la culture juridique (dir. D. Alland et S. Rials), Paris, Lamy-Puf, Quadrige-Dicos poche, 2003, p. 871. 105 Civ. 1ère, 12 juillet 1989, n°88-11.443, Bull. Civ. I., n° 293, p. 194, JCP 1990. II. 21546, note Y. Dagorne-Labbé, Defrénois 1990. 358, obs. J.-L. Aubert) 106 C. Pén. (ancien), art. R.34-7° : « Seront punis d'une amende de 600 F à 1300 F inclusivement : 7. Les gens qui font métier de deviner et pronostiquer, ou d'expliquer les songes ». 107 J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, Traité de droit civil. La formation du contrat. Tome 2 : L’objet et la cause – Les nullités, Paris, Lextenso éditions, LGDJ, 4ème édition, 2013, p. 349, n°506. 108 M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. Tome 1 – Contrat et engagement contractuel, Paris, Puf, Thémis Droit, 3ème édition, 2012, p. 428.

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sécurité juridique109. Mais qu’en est-il de la licéité ? C’est justement le problème qui s’est posé en

l’espèce. S’agissant d’un contrat synallagmatique, les obligations des parties n’étaient nullement

originales ni illicites ; somme toute une banale vente. Mais la cause lointaine de l’engagement de

l’acheteur était de pratiquer la divination à l’aide du matériel acheté ; le mobile de cet engagement

était illicite. Mais l’article 1131 ne fait mention que de cause de l’obligation et ne renverrait donc

qu’à cet aspect objectif. La Cour de cassation afin de trancher, opère une distinction dont elle ne

se cache pas : « si la cause de l’obligation de l’acheteur réside bien dans le transfert de propriété et

dans la livraison de la chose vendue, en revanche la cause du contrat de vente consiste dans le

mobile déterminant, c’est-à-dire celui en l’absence duquel l’acquéreur ne se serait pas engagé ». Il

n’est pourtant nulle part dans la loi fait mention de cause du contrat : la Cour a donc fait accéder

au droit positif un concept qu’il ne contenait pas afin de trancher le litige dans un certain sens et

de répondre à une certaine question. Pour juger de la licéité la Cour a, contre l’article 1131,

apprécié le mobile, la cause lointaine. Ce faisant elle a opéré une distinction qui n’était pas de

droit positif. La cause du contrat est donc celle qui a déterminé la partie à s’engager et en l’espèce

il s’agissait de l’exercice d’une pratique prohibée : c’est en considérant cela que les juges ont

tranché.

43 – Une redite en guise de création – Si le concept de cause du contrat n’était pas dans les

textes invoqués au soutien de la décision, on en déduit peut-être quelque peu rapidement que les

juges ont inventé le droit. Ont-ils véritablement ici fait acte de création ? Sans doute l’ont-ils fait

en un sens matériel : ils ont de par leur décision, créé une certaine situation110. Sans doute ont-ils

créé au regard du seul droit positif alors en vigueur. Mais il sans doute plus exact de noter qu’ils

ont fait accéder au droit positif un concept qui leur préexistait, ils ne l’ont pas inventé de toutes

pièces mais lui ont seulement donné vie. C’est en fait Du Moulin le premier qui a affirmé une

conception subjective de la cause : elle était pour lui presque intégralement contenue dans la

psychologie des parties111. Pothier a ensuite insisté sur une distinction à faire selon les contrats

entre cause efficiente de l’obligation et cause de l’engagement112. Autrement dit, l’idée d’apprécier

les mobiles, de retenir la cause lointaine de l’engagement des parties n’était pas nouvelle ! En ce

sens la Cour de cassation se serait dans notre exemple fait le relai d’un discours doctrinal au

mépris du texte adopté après lui. C’est une redite tardive qui implique une certaine sélection dans

109 H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette et F. Chénedé, précité, p. 94. 110 Voir A. Lalande, précité, « Création » peut s’entendre de la « production d’une chose quelconque, en particulier si elle est nouvelle dans sa forme mais au moyen d’éléments préexistants : création d’une oeuvre d’art, création d’une route ; imagination créatrice ». 111 D. Deroussin, Histoire du droit des obligations, Economica, Corpus Histoire du droit, 2ème édition, 2012, p. 341-342. 112 D. Deroussin, précité, p. 344-345.

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des connaissances. Les juges sont, par cet inédit de création, revenus en vérité à un savoir

volontairement oublié. La sélection s’est faite différemment que par le passé pour trancher la

présente espèce. Toutefois, la sélection est différente de celle observée avec l’inédit de retour en

ce que dans ce cas, les juges ont certes fait appel à un concept qu’ils connaissaient mais dont ils

s’interdisaient l’usage. Par quoi leur était-il défendu ? Peut-être par le mythe de la sécurité

juridique, peut-être par les évolutions doctrinales qui ont suivi ou tout juste précédé le code ? Si

les réponses à ces questions ne peuvent relever que de la spéculation ; la lettre de l’article 1131

n’évoque pas plus le concept mobilisé. Peut-être que l’absence de définition a permis la marge de

manœuvre suffisante pour laisser aux juge libre cours à l’usage de distinctions nouvelles vis-à-vis

du droit en vigueur.

44 – Des sources taries – L’une des conséquences directes de l’inédit de création tel que

présenté ici, est la remise en cause de la théorie des sources du droit. Celle-ci s’est tellement

imposée dans l’enseignement du droit qu’elle peut être vue aujourd’hui comme une évidence en

dépit du caractère vague du terme « source »113. Le droit serait trouvable à ses sources, il jaillirait

d’un ensemble de règles et son domaine serait clairement délimité114. La jurisprudence, entendue

en France comme l’ensemble des décisions de justice en serait exclue ou à tout le moins ne

saurait être assimilée aux sources formelles que sont la loi et le règlement115. Mais justement, et

l’inédit de retour en est une illustration flagrante, la théorie des sources ne souffre-t-elle pas de la

simplicité d’une métaphore impropre à présenter le phénomène juridique ? Si l’image de la source

jaillissante est séduisante, la théorie pêche par manque d’unité : elle est rendue complexe par

l’absence d’unification des thèses de ses partisans, des désaccords persistent sur le contenu de la

liste116. La loi y occuperait une place indiscutable, et pourtant dans l’arrêt qui a retenu notre

attention sur l’inédit de création, l’article 1131 a été littéralement méconnu et le juge a introduit

un concept auquel il a fait produire des effets. Où est donc la véritable source ? En suivant une

logique sourcière, en remontant la cascade, il ne faudrait d’ailleurs pas s’arrêter à la décision

justice. Puisque celle-ci empruntait un concept au discours doctrinal, c’est à la doctrine que

reviendrait le titre. Mais encore, puisque les situations de fait enclenchent le processus de

découverte, c’est vers les faits qu’il faudrait remonter pour trouver le droit ! La théorie des

sources révèle ici sa faiblesse intrinsèque : aucune liste ne peut contenir le droit, celui ne pouvant

se laisser enfermer. L’exigence d’une formalité ne serait qu’un artifice : si la réalité économique,

sociale ou idéologique pouvait produire du droit, la théorie des sources n’aurait plus de raison

113 P. Jestaz, « Source délicieuse », RTD civ. 1993. 73 114 C. Atias, Questions et réponses en droit, précité, p. 121, n°177. 115 F. Terré, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, Précis Dalloz, 10ème édition, 2015, p. 289, n°361. 116 C. Atias, Philosophie du droit, Paris, Puf, Thémis Droit, 3ème édition, p. 197.

Page 37: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

37

d’être117. Un tel traitement des cas inédits montre avant tout l’expression d’un pouvoir du

juge alors que l’inédit de retour se présenterait plutôt comme un savoir. Le juge est ainsi

indéniablement créateur de droit ; ce qui remet en question la théorie des sources du droit à

double titre : la jurisprudence est dans ces cas une source du droit ; de même que les faits qui ont

animé le débat.

2. Le rôle déterminant de la question de droit

45 – Expérience – Jusqu’à présent, nous avons étudié deux méthodes, deux attitudes dans le

traitement des cas inédits. La première, l’inédit de retour, consistait à ramener le cas inédit vers le

connu, à l’assimiler aux catégories déjà présentes dans notre entendement. Un concept voit son

extension accrue afin de pouvoir y subsumer le cas. La deuxième, l’inédit de création, consistait à

ajouter une catégorie à cet entendement pour y faire entrer le cas : un concept jusqu’à lors absent

accède au droit positif. Pourquoi ces deux méthodes existent-elles ? Le choix opéré entre l’une et

l’autre est-il anodin, est-il indifférent ? Afin de répondre à cette question nous allons procéder ici

à une expérience. Que se passerait-il si nous opérions un renversement de ces méthodes ? L’idée

est la suivante, nous souhaitons traiter un cas de retour au connu avec la méthode de l’inédit de

création et traiter un cas de création avec la méthode de l’inédit de retour. Si nous reprenons

l’arrêt du 19 février 2014118, un congé non motivé avait été assimilé à un congé mal motivé à l’aide

d’un argument a fortiori. Traiter ce cas comme un inédit de création revient à créer un concept

pour lui ; ainsi en suivant cette logique, nous ne devrions pas opérer d’assimilation mais créer un

concept correspondant à l’espèce. Le congé non motivé deviendrait alors une catégorie à part

entière, au même titre que celle de congé insuffisamment motivé qui était déjà connue mais

inapplicable. La conséquence qui en découle est une différence de solution : si l’on crée un

concept au lieu d’accroître l’extension d’un autre, les résultats ne sauraient être identiques – à

moins de volontairement priver la démarche de toute utilité –. Par cette opération on admettrait

que la situation est de nature différente ; et qu’il faille donc la traiter différemment en lui

appliquant de fait un autre régime119. En appliquant une méthode différente, la solution est

différente. Interrogeons-nous maintenant en reprenant l’arrêt du 12 juillet 1989 dans lequel il était

question de cause du contrat. Si justement distinction n’avait pas été faite entre cause de

l’obligation et cause du contrat, si l’on s’en était tenu à la lettre du code civil ; la solution aurait été

également différente. En revenant vers le connu au lieu d’aller vers la création, nous pouvons

117 C. Atias, Questions et réponses en droit, précité, p. 126, n°184. 118 Cf. supra n°16. 119 J.-L. Bergel, « Différence de nature (égale) différence de régime », RTD civ., 1984, p. 255 et s.

Page 38: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

38

étendre à loisir le concept de cause de l’obligation sans changer sa nature. Nous arrivons donc

encore, à un résultat différent : la cause de l’obligation résidant dans l’objet de la prestation de

l’autre, celle-ci existant et les choses vendues n’étant pas en elles-mêmes hors commerce ; le

contrat n’a plus aucune raison de ne pas produire ses effets. Ainsi lorsque nous interchangeons

les traitements des deux cas types, nous arrivons immanquablement à des solutions différentes.

46 – Contingence de la méthode – Cette expérience n’est en réalité qu’une illustration de la

première phrase de l’Ethique à Nicomaque : « Toute technique et toute démarche méthodique –

mais il en va de même de l’action et de la décision – semble viser quelque chose de bon »120. Le

choix de la méthode serait donc dépendant du résultat visé, de sorte que la méthode serait

contingente. Elle interviendrait seulement en deuxième lieu, c’est-à-dire entre la question et la

réponse. De quel côté doit alors se placer notre étude ? A en croire Aristote, c’est la réponse qui

décide de tout le reste, de sorte que l’on ne travaillerait qu’en fonction d’elle. La réponse règne et

dicte le reste, la présentation syllogistique des décisions judiciaire ne servant qu’à masquer le fait

que la solution ait déjà été choisie dès le départ121. Mais reste la question de savoir ce qui a

déterminé cette réponse. Serait-il pertinent alors de n’étudier que la sélection des réponses ? C’est

cette voie qu’a suivi Michel Troper en retenant que l’interprétation était une fonction de la

volonté et non de la connaissance ; et que les textes n’ayant aucun sens a priori, la norme est

produite au cours de ce processus d’interprétation122. Une telle prise de position nie au discours

juridique toute autonomie ; il ne serait qu’une des manifestations du politique, et la seule science

politique pourrait alors suffire à l’expliquer. Bien que le droit ne soit pas idéologiquement neutre

– le choix des règles reposant sur un jugement de valeur –, la seule approche politiste est

insuffisante à expliquer la logique interne du discours, précisément parce qu’elle y renonce en

niant sa possibilité même. Dans la pratique juridique, le droit nous apparaît principalement sous la

forme d’un discours : discours du législateur, discours de la doctrine, discours du juge, etc. Le

droit est avant tout un discours : il n’existe pas à l’état naturel. Un discours obéit à des règles de

formation qui lui sont propres. Faire apparaître ces règles de formation est le projet entrepris par

Foucault dans L’Archéologie du savoir. Il entend, en recherchant les conditions d’apparition d’un

discours ; faire apparaître les conditions de formation des « choses dites ». Selon lui, une pratique

discursive forme un savoir ; et peut donner lieu à une élaboration scientifique123. Il faut donc

120 Aristote, Ethique à Nicomaque, trad. R. Bodéüs, Paris, Flammarion, GF, 2004, p. 47. 121 J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, précité, p. 147 ; J. Ghestin, G. Goubeaux et M. Fabre-Magnan, Traité de droit civil, introduction générale, Paris, LGDJ, 4ème édition, 1994, n°55. 122 M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La théorie du droit, le droit et l’Etat, Paris, Puf, 2001, p. 69-84. 123 M. Foucault, Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 240.

Page 39: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

39

étudier les éléments de la pratique discursive pour d'une part pouvoir se prononcer sur l'existence

d'un savoir et d'autre part pouvoir en identifier la logique interne. Foucault veut rendre aux

énoncés leur caractère d'événements afin de pouvoir les mettre en relation avec des événements

d'ordre technique, pratique, etc. Il s’agit de rechercher comment l'autonomie du discours n'en fait

pas pour autant une pure idéalité, une abstraction dégagée de tout rapport avec le concret. La

question de droit est justement l’événement déclencheur du discours juridique ; c’est pourquoi

elle doit retenir l’attention pour expliquer la logique interne de ce discours. Si en apparence les

réponses semblent régner, ce n’est précisément qu’en apparence.

47 – Le règne apparent des réponses – Le juriste passe son temps à répondre à des questions.

Quand une question lui est posée, il est supposé pouvoir y apporter une réponse dite juridique.

La question de droit aurait vocation à s’éteindre assez rapidement en supposant que le rôle du

droit soit justement d’apporter des réponses à des questions particulières. Ainsi la question serait

posée au juriste ; il ne ferait que la reformuler et n’y prendrait un rôle actif qu’accidentellement.

La question serait alors reçue prête à l’emploi et non pas découverte. Si les hommes ont souvent

peur du problématique124, le juriste ne semble pas faire exception. Puisqu’elle est déjà là, la

question est alors oubliée, considérée comme une simple porte d’entrée qui serait vite derrière le

juriste et qui ne lui serait plus d’aucun secours une fois passée. Elle resterait derrière lui,

définitivement, toujours identique à elle-même, appelant une seule réponse. La question disparaît

pour laisser place à la réponse et à l’impression que tout commence désormais par elle, qui ne

répond plus à rien125. L’impression donnée est celle d’un droit simple, clair, cohérent et complet :

on assiste alors à un phénomène d’ « auto-censure du raisonnement juridique »126.

48 – Le caractère déterminant de la question – La question de droit détermine la discussion,

c’est en fonction d’elle que le débat prendra tel sens ou tel autre, que telle ou telle argumentation

sera retenue, que telle ou telle issue sera donnée. Un exemple suffit pour s’en convaincre. Dans

l’arrêt de la troisième chambre civile du 19 décembre 2012127, la question retenue a orienté le

débat dans une direction qu’il n’aurait pas dû prendre. En l’espèce un propriétaire qui consent un

bail sur un terrain pour que le locataire exploite une activité de parc de chasse. Le bail est conclu

pour neuf ans. Cinq ans plus tard, la direction départementale de l’agriculture et des forêts délivre

124 M. Meyer, La problématologie, Paris, Puf, Que sais-je, 2010, p. 10. 125 M. Meyer, précité. 126 C. Atias, Devenir juriste. Le sens du droit, Paris, LexisNexis, 1ère édition, 2011, p. 120, n°220. 127 Civ. 3ème 19 déc. 2012, n°11-28.170, Bull. Civ. III., n°187, AJDI 2014, p.130, note N. Damas, « Obligation de délivrance et interdiction d’exploiter » ; RDC 2013/2, note J.-B. Seube, « Les clauses aménageant les obligations de délivrance et d'entretien du bailleur sont d'interprétation restrictive ».

Page 40: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

40

au locataire une interdiction d’exploiter. L’administration se fonde sur une disposition particulière

du code de l’environnement selon laquelle la chasse n’est autorisée que s’il existe sur le terrain une

habitation et une clôture128. En l’espèce il n’y avait ni habitation ni clôture. Le preneur forme une

demande en résiliation du bail, sanction de l’inexécution des obligations du bailleur. Ce dernier

n’aurait pas délivré une chose conforme à l’usage pour lequel elle était destinée, à savoir l’activité

de parc de chasse. Seulement voilà, une clause aménageait cette obligation en stipulant que le parc

de chasse était à rénover et que cette rénovation serait à la charge du locataire. Faut-il alors résilier

le bail ou faire prévaloir la clause ? La Cour de cassation, dans un attendu extrêmement bref,

décide en visant l’article 1719 du code civil129, « que les terres louées, faute de comporter

l'habitation exigée par l'article L. 424-3 du code de l'environnement, ne pouvaient, dès l'origine,

être utilisées conformément à la destination de parc de chasse prévue au bail ». La réponse est à

vrai dire bien étrange dans cette espèce riche de contradictions. Ce qui frappe au premier regard,

c’est que la loi ne mentionne nullement la conformité : la loi dit de délivrer au preneur la chose

louée mais pas de la délivrer conformément à sa destination. La lettre de la loi se contente de

parler de la délivrance or en l’espèce la chose a bien été délivrée, on a bien mis le locataire en

possession de la chose louée. Si la délivrance conforme n’est pas dans la loi, elle a été ajoutée

implicitement dans le contenu du contrat et sans doute aurait-on pu s’en défaire. L’autre chose

étrange est que l’opération semble avoir été empêchée dès le départ, en raison d’une contradiction

fondamentale dans les clauses du contrat. D’une part, la définition de la destination de la chose,

ici l’exploitation d’un parc de chasse ; et d’autre part une clause selon laquelle le parc est à mettre

en conformité par le preneur. La contradiction est radicale pour ne pas dire paradoxale : dès la

conclusion du contrat, le preneur se trouve dans une situation où il ne pourra pas jouir de la

chose louée. Ainsi l’exécution était comme mort-née, d’avance impossible. Et ce sont les parties

qui en ont décidé puisque ce sont bien elles qui décident de la destination de la chose et donc de

l’essence même du contrat ! C’est de leur engagement que résulte directement la non-conformité,

ce sont elles qui ont rendu la chose impropre à sa destination dès l’origine. Mais dans ce cas, si ce

sont bien les parties qui sont à l’origine de la pathologie de leur contrat, en ce qu’elles se seraient

mises elles-mêmes dans une situation où elles ne pouvaient l’exécuter ; est-ce toujours un

problème d’exécution du contrat ? Ne s’agit-il pas plutôt, et plus fondamentalement, d’un

problème de formation ? En l’espèce l’objet était l’usage illégal d’une chose. Si l’objet était

impossible, c’est que dès l’origine le contrat était condamné. Pourtant nulle discussion dans le

traitement de ce cas sur l’existence ou la possibilité de l’objet. La Cour de cassation n’en parle pas,

128 C. Env. Art. L. 424-3 129 C. Civ. Art. 1719, le bailleur est obligé : « 1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant (...) »

Page 41: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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comme si la question n’avait pas été posée. La discussion était donc orientée par une question qui

n’était pas la bonne. En répondant sur le terrain de l’inexécution, on s’est empêché de saisir le

véritable problème. Pouvait-on seulement faire autrement ?

49 – Un déficit de question – Dans la solution retenue quelque chose dérange, comme si l’on

avait malencontreusement ignoré un point fondamental. La question est mal posée quand les

réponses qu’elle appelle sont autoritaires130. Le juge paraît répondre à une question qu’il a lui-

même posée, sauf qu’en fait il ne fait que reprendre à son compte en la reformulant celle que les

parties lui adressent. Toutefois la réponse qu’il donne, comme nous l’avons vu, répond à la

question retenue mais ne semble pas corriger le problème ; peut-être même l’ignore-t-elle. C’est là

un premier indice d’une question mal posée : la réponse donne l’impression d’être autoritaire en

ce sens qu’elle imposerait une volonté, et ne semble pas apporter de véritable solution à la

situation en présence. Une réponse est donnée et le problème persiste. La disparité relevée entre

le texte et la motivation de la solution peut s’expliquer par un défaut de la question. La véritable

question n’a pas été découverte et n’a donc pas été discutée : le problème est resté entier, et

enfoui sous des apparences trop simples. C’est parce que la question est demeurée dans l’ombre

que la solution étonne et semble ne pas répondre : ne serait-ce pas là la preuve d’une carence de

question ? Les parties se sont arrêtées à ce qui sautait aux yeux : le contrat ne peut être exécuté.

Mais elles n’ont pas cherché à savoir si le contrat pouvait être formé. Ce point n’a pas fait

question, il a sans doute été trop vite considéré comme admis. « Celui qui pense que la question

lui est imposée, servie toute prête à recevoir une réponse se prive de la liberté de comprendre ce

qui est en question »131 : la question est à découvrir et il faut pour ce faire aller au-delà des

apparences ; refuser de se contenter de ce qui semble sauter aux yeux. Questionner, c’est aller au-

delà de la phrase interrogative ; c’est s’engager, c’est faire le choix d’une certaine attitude qui

correspond à un vouloir-savoir132. Pour espérer découvrir la question, il faudrait prendre le temps

de mener une investigation véritable, il faudrait être résolu à pouvoir apprendre133.

50 – La question, chose des parties – La question en l’espèce aurait dû être celle de l’existence

de l’objet mais le juge a en fait reformulé la question que les parties lui avaient adressée,

s’abstenant lui-même de revenir au bon critère. Le procès étant la chose des parties en vertu du

principe dispositif, le juge ne pouvait recadrer le débat qui allait avoir lieu en l’espèce et n’a pu par

130 K. Popper, « Sur les sources prétendues de la connaissance », in A la recherche d’un monde meilleur, Paris, Les Belles Lettres, Le goût des idées, 2011, p. 75-76. 131 C. Atias, Devenir juriste. Le sens du droit, précité, p. 121, n°221. 132 M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, Paris, Gallimard, Tel, trad. G. Kahn, 2013, p. 33. 133 M. Heiddeger, précité.

Page 42: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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conséquent que se contenter, faute de mieux, de répondre aux moyens qui lui étaient présentés.

En effet d’une part, l’article 4 du code de procédure civile prévoit que « l’objet du litige est

déterminé par les prétentions des parties » ; d’autre part, l’article 5 du même code précise que le

juge « doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ». Il

apparaît donc que la question posée par les parties lie le juge, celui-ci ne devant se prononcer que

sur elle134.

51 – La question, déclencheur du droit – La question de droit fait l’objet d’un raisonnement,

elle est un aboutissement plus qu’un point de départ. Elle est un aboutissement mais également le

point de départ d’une discussion, l’élément déclencheur du phénomène judiciaire. Si le

raisonnement du juriste ne peut commencer avec la question posée on peut en outre se demander

où il peut s’arrêter. Mais la question est un cheminement, elle doit éclairer continuellement le

raisonnement, mais jusqu’à quel point ? S’il ne semble pas aisé de pouvoir marquer à un certain

point l’arrêt du raisonnement ; il n’en demeure pas moins que la question de droit est un élément

déclencheur et déterminant dans le traitement des cas.

3. La construction d’une cohérence

52 – Cohérence toujours – La cohérence que nous évoquions à propos de l’inédit de retour se

retrouve encore ici, pour l’inédit de création. Une nuance cependant est à apporter. Dans l’inédit

de retour, le juge cherche une cohérence qui serait déjà existante ; alors que dans l’inédit de

création il ajoute directement une nouvelle pierre à l’édifice, faisant donc œuvre de construction

plus que de continuation.

53 – De la création à la construction – Et la création entraîne la continuité, en témoigne le

mouvement suivi après le célèbre arrêt Boudier135 de 1892. Dans cet arrêt on apprend qu’il existe

en droit français « un principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui ». C’est la

création de l’enrichissement sans cause ou action de in rem verso, quasi-contrat qui n’était

nullement prévu par le code civil. On pourrait à la rigueur trouver en droit romain des actions

similaires elles semblent toujours prêter à discussion136. Pour reprendre les mots de la Cour dans

134 Par exemple, la force de ce principe est rappelée : Cass. Com. 10 février 2015, n°13-24.501 : « Attendu qu'en statuant ainsi, en se fondant sur la nullité de ces clauses qu'aucune des parties n'avait invoquée, (...) », la Cour d’appel aurait méconnu l’objet du litige et violé l’article 4 du code de procédure civile. 135 Cass. Req. 15 juin 1892, DP 92. 1. 596, S. 93. 1. 281, note Labbé ; H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette et F. Chénedé, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, tome 2, Paris, Dalloz, 13ème édition, 2015, p. 520 et s. 136 J.-P. Lévy, Histoire des obligations, Litec, Les Cours du droit (licence), 1995, n°106-107.

Page 43: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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cet arrêt créateur, l’exercice de cette action « n’est soumis à aucune condition déterminée » autre

que de montrer un enrichissement corrélé à un appauvrissement. Cette création a été à l’origine

d’un mouvement dans lequel la Cour de cassation a passé son temps à rajouter les conditions

qu’elle avait oubliées, comme si elle continuait de construire son concept. Ainsi par exemple, dans

l’arrêt Ville de Bagnères137 de 1915, la Cour précise le caractère subsidiaire de cette action : pour

qu’elle soit recevable il faut que l’appauvri ne jouisse « d’aucune action naissant d’un contrat, d’un

quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit ». Par exemple encore, « l’action de in rem verso [...] ne

peut trouver son application lorsque (l’appauvri) a effectué les travaux dans son intérêt et à ses

risques et périls »138. La création a donc été naturellement suivie par la construction, comme si la

Cour avait poursuivi l’œuvre qu’elle avait initiée, comme si chaque décision venait compléter un

ensemble pour le rendre plus cohérent.

54 – Métaphore – Ronald Dworkin a envisagé le droit comme un tout cohérent et le travail des

juges consisterait à dégager la bonne réponse, qui serait seule et unique139 en ce qu’elle

s’intègrerait le mieux à l’ensemble. Dworkin a inventé aussi un personnage mythique, un modèle

vers lequel il faudrait s’efforcer de tendre : le juge Hercule. Il serait un juge surhumain qui a tout

lu, qui est plus patient que tout autre, qui a toutes les qualités pour traiter tous les cas. Il serait

capable de théoriser un système de droit où tout s’explique de manière cohérente, chaque règle et

chaque précédent trouve sa place et trouve une justification cohérente. Il saurait toujours quelle

est la meilleure décision à prendre au regard de l’intégrité du système et de la cohérence du

droit140. Hercule doit son existence à l’image du droit comme un système sans lacune. Ainsi la

vision holiste du traitement des cas de Dworkin invite le juge Hercule à toujours se prononcer

dans le sens de la voie qui ajoute à l’ensemble de la manière la plus cohérente possible141. Il est

encouragé à avoir une vision globale et imaginative dans sa recherche de cohérence. Afin de

rendre les choses plus claires, Dworkin emploie une métaphore désormais bien célèbre en

comparant les juges aux auteurs d’un roman à la chaîne142. Dans un romain à la chaîne, chaque

nouvel auteur essaye alors d’écrire quelque chose de cohérent par rapport à ce qui a été écrit

avant qu’il intervienne. Pour y parvenir, il doit lire l’histoire et comprendre ses éléments : les

personnages, l’intrigue, le thème, le genre et le message. Il doit essayer de trouver le sens qui a été

suivi dans le processus de création et l’interprétation qui le justifie le mieux.

137 Cass. Civ., 2 mars 1915, DP. 1920. 1. 102., H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette et F. Chénedé, précité, p. 527 et s. 138 Cass. Civ. 28 mars 1939. 139 R. Dworkin, « Hard cases », in Taking Rights Seriously, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1977, p. 105-106. 140 R. Dworkin, précité. 141 R. Wacks, Understanding Jurisprudence, Oxford, Oxford University Press, 4ème édition, 2015, p. 140. 142 R. Dworkin, Law’s Empire, précité, p. 229.

Page 44: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

44

55 – Incompatibilité – Si la métaphore peut fonctionner pour l’inédit de retour, elle ne semble

pas résister à l’inédit de création. En effet, l’inédit de retour se fonde sur le précédent, donc sur ce

qui a déjà été dit : en fait de cohérence il s’agirait seulement de continuer en suivant la direction

déjà prise en usant d’arguments a fortiori ou a contrario par exemple. L’inédit de création ferait

quant à lui définitivement tomber la métaphore du roman et l’image du juge Hercule. Comment,

en suivant cette théorie, le concept créé pourrait-il être contenu implicitement dans le roman ? La

cohérence dont parle Dworkin est construite par les interprétations successives des différents

juges selon la métaphore du roman à la chaîne. Mais s’il existe une seule bonne réponse, cette

réponse existe-t-elle d’avance dans le droit ? Dworkin ne pose jamais cette question, il la

présuppose : s’il n’existe qu’une seule bonne solution, existe-t-elle avant qu’on la découvre, de

manière latente ? Hercule est tellement puissant intellectuellement que dès qu’il aura tout lu et

tout synthétisé, la meilleure solution va s’imposer tout naturellement à lui. Cela voudrait dire que

cette réponse était déjà contenue en puissance dans le roman, et que par sa force surhumaine,

Hercule l’en aurait fait sortir. D’un point de vue constructiviste, il pourrait également être soutenu

que la réponse ne serait pas extraite du roman mais qu’elle apparaîtrait lorsque nous construisons

le fil narratif : ainsi plutôt que de regarder en arrière nous irions de l’avant. Toutefois, si nous

construisons effectivement ce fil narratif, sommes-nous libres de construire le fil qui nous

arrange ? C’est l’une des critiques adressées au juge Hercule : il peut lui être reproché d’être en fait

un politicien, en ce qu’il ferait passer sa préférence personnelle pour la bonne réponse143.

143 S. J. Shapiro, Legality, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2011, p. 311.

Page 45: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

45

Conclusion de la première partie

56 – Paradoxe – La redite comme la création répondent à une question, à un problème, de deux

manières différentes mais avec néanmoins un fort point commun. Tout d’abord, contrairement à

l’inédit de retour qui se présente comme une continuation de l’existant, l’inédit de création ajoute.

La cohérence ne serait plus découverte mais construite, soulignant le rôle actif du juriste dans

l’élaboration du droit. Ensuite néanmoins, ces deux types de traitement ont un point commun en

ce que l’on fait toujours comme si l’on savait déjà. L’inédit n’est au mieux, dans le cas de la

création, que reconnu implicitement. Ceci révèle un paradoxe : tout est inédit mais tout est déjà

dit. Le juge est-il alors véritablement créateur ou ne fait-il que révéler un implicite ?

Page 46: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

46

Seconde partie : L’inédit au cœur d’une tension entre implicite et explicite

57 – Du visible à l’invisible – Nous avons jusqu’à maintenant mené cette étude en partant de

choses constatées : nous avons analysé les deux grands mouvements qui caractérisent le

traitement des cas inédits. Toutefois, ce constat étant fait il nous faut questionner plus en

profondeur et ce faisant nous demander ce qu’est un cas. Et plus encore, avant de parvenir aux

deux types de réactions que nous avons étudiées, il faut comprendre comment on peut dire d’un

cas qu’il est inédit et qu’un certain traitement se justifie. Il y a donc dans le traitement des cas

inédits une face visible et une face dissimulée. Le traitement judiciaire qui nous a préoccupé

jusqu’à présent ne serait en fait que la deuxième partie de l’opération ; ce serait aussi la seule

visible. Nous progressons donc du visible vers l’invisible. Qu’est-ce donc au juste que nous

appelons un cas et qu’est-ce que son caractère inédit peut impliquer ? Poser ces questions revient

à nous interroger sur la manière dont les juristes se comportent face aux faits : quels sont les

mécanismes et les outils qui permettent de passer d’une situation de fait à un « cas inédit »

impliquant un certain rapport de droit ? C’est la face dissimulée, que nous nous proposons

d’étudier ici. A l’image du débat judiciaire, l’inédit cristallise ruptures et antinomies. Il est au cœur

d’une tension entre le dit et le non-dit ; entre le visible et l’invisible ; entre implicite et explicite.

Nous verrons que le traitement de l’inédit fait en grande partie appel à l’implicite, au non-dit qui

va de la construction du cas à la motivation de la décision (A). Nous verrons ensuite que l’inédit

se dit aussi au grand jour et que la décision qui en résulte constitue une progression dans la

connaissance du droit (B).

Page 47: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

47

A) La place de l’implicite

58 – Choix et constructions – Si « l’inédit est hors du droit », peut-être est-ce parce que les

juristes ont choisi de l’y laisser. Des faits seraient dits pertinents et mériteraient toute notre

considération ; d’autres seraient oubliés et ne mériteraient que notre mépris. Ces faits-là sont

laissés en dehors du droit qui décide délibérément de ne pas les connaître : une discrimination a

lieu et s’opère en fonction des catégories que le droit retient. Certains faits sont passés sous

silence, restent en dehors de l’affaire alors qu’ils ont eu lieu, alors qu’ils ont peut-être joué pour

l’une ou l’autre des parties, alors qu’ils ont peut-être contribué à faire de la situation ce qu’elle a

été, ont pesé dans le drame humain qui s’est joué et qui a amené ces personnes devant un juge.

L’intérêt de l’inédit c’est justement qu’il est au cœur de cette opération de pré-qualification, il la

questionne de l’intérieur : ce fait est nouveau, les catégories disponibles sont anciennes ; faut-il

l’intégrer ou le laisser au dehors ? Ramène-t-on ce fait vers le connu ou admet-on la faiblesse des

catégories et le manque d’une catégorie nouvelle ; ou encore s’en désintéresse-t-on, comme s’il

n’avait jamais existé ? Jusqu’où admet-on l’originalité ? A quel point peut-on se saisir de l’infinie

variété du réel ? Le droit se découvre-t-il aussi dans ce qu’il ne sélectionne pas, en ce qu’il

montrerait les limites qu’il se fixe ? Les cas sont des constructions réalisées par les juristes qui

choisissent une présentation des faits pour la soumettre au juge. Les cas se construisent sur la

base d’un jeu entre des faits particuliers et des catégories générales.

1. La construction des cas entre généralisation et particularité

59 – Fait juridique – Est un fait juridique « tout événement emportant des conséquences

juridiques, c’est-à-dire déclenchant les effets d’une norme : création, transmission ou extinction

de droits individuels ou collectifs »144.

a. La singularité des faits : le fait pour le droit

60 – Faits pertinents et construction du cas – Puisqu’étymologiquement dérivé du latin casus,

participe passé substantivé de cadere, tomber ; on peut être tenté de retenir que le cas est ce qui

arrive. Il l’est peut-être au sens littéral, mais dès lors que ce qui arrive est observé à travers le

prisme d’une discipline comme la médecine, la psychologie ou le droit ; tous les cas ne font pas

cas. Toutes les situations ne sont pas un cas pour le droit, certains faits semblent lui rester

144 C. Atias, Epistémologie juridique, Paris, Puf, Droit fondamental, 1985, p. 124, n°70.

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étrangers : le propriétaire d’un jardin qui se repose dans une chaise longue sans être importuné ne

fait pas cas pour le droit, ce dernier ne se saisissant que du conflit145. On dit d’une situation qu’elle

est un cas en fonction d’une certaine configuration, « d’un agencement de faits ou de normes

dont l’irréductible hétérogénéité vient interrompre le mouvement habituel d’une prise de

décision »146. Le cas ne se pose pas de lui-même, mais résulte d’un échange, d’une confrontation

entre des faits et un cadre conceptuel : la présentation d’un cas « suppose une situation

d’interaction dans laquelle le destinateur et le destinataire savent de quoi il retourne »147. Le cas

fait également l’objet d’une présentation, d’une description par des acteurs ; ainsi dans le procès

chaque partie offre sa sélection des faits, sa version de l’histoire. Pour le droit, tout commence

avec ce récit, cette histoire, cette fabula. Alors que le récit se poursuit, l’ouverture s’agrandit

infiniment sur la voie d’une analyse interminable si l’on ne veut rien laisser des faits pertinents148.

Il faudrait retenir toute l’histoire, comme si tous les faits étaient pertinents, comme si toutes les

singularités comptaient. Chaque cas est unique, chaque situation a ses éléments de fait propres

qui considérés sérieusement ne sont pas assimilables à d’autres. Traiter les cas reviendrait alors à

traiter les singularités, ce qui provoquerait un certain embarras épistémologique dans une

science149 ou dans un discours comme le droit. En effet, traiter uniquement les singularités

reviendrait à refaire le droit à chaque affaire, au mépris de tout idéal de sécurité juridique comme

de toute idée de règle. Le juriste doit donc opérer une certaine sélection parmi les faits. Il faut

opérer une coupe, et établir l’histoire qui va être présentée au juge. Ainsi avant même la réception

judiciaire viendrait la réception juridique qui serait le premier véritable traitement. Si l’histoire est

exceptionnelle pour le justiciable, elle est volontairement oubliée en partie par le juriste qui va

devoir par une « simplification déformante », la résumer150. Le juriste va donc faire un travail de

sélection et de présentation qui aboutira à ce qu’on appelle un cas : « décrire cette situation, c’est

la présenter comme cette situation »151. Le cas est donc une construction réalisée par le juriste ; la

situation est ce qui arrive, le cas est ce qu’on en fait. Ce travail de construction comporte deux

étapes : sélection et qualification.

145 C. Atias, Devenir juriste. Le sens du droit, précité, n°152, p. 86. 146 J.-C. Passeron et J. Revel, « Penser par cas. Raisonner à partir de singularités. », in Penser par cas (dir. J.-C. Passeron et J. Revel), EHESS, Enquête, 2005, p. 15. 147 S. Boarini, Qu’est-ce qu’un cas moral ?, Paris, Vrin, Chemins philosophiques, 2013, p. 25. 148 J.-C. Passeron et J. Revel, précité, p. 26. 149 J.-C. Passeron et J. Revel, précité, p. 29. 150 C. Atias, Questions et réponses en droit, précité, n°19, p. 18. 151 S. Boarini, précité, p. 26.

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61 – Sélection des singularités – On ne traiterait pas les cas en eux-mêmes, mais les cas tels

qu’ils sont présentés. Le traitement intervient donc après un travail de description, de sélection du

pertinent. Ce n’est qu’après celle-ci que l’on pourra dire si le cas est inédit ou non. Ce que l’on

retient comme un cas est déjà un point d’arrivée. Mais tout le problème est de savoir comment

construire ce cas, comment parvenir à tel point d’arrivée plutôt qu’à tel autre ? Ce problème est

celui du tri dans la singularité, c’est celui de savoir quel élément sera retenu comme une

composante du cas. Par exemple, dans l’arrêt que nous avons étudié sur le préavis en matière de

bail commercial152, des faits ont été jugés pertinents comme mettant les règles de droit en

question. Ainsi le fait que le preneur ait quitté les lieux en cours d’instance a été retenu comme un

élément du litige, même pour dire qu’il était sans incidence sur l’application des règles. Ce fait a

été intégré au litige même si on a refusé de lui faire changer l’issue du procès : il était pertinent

sans être déterminant. Le fait pertinent est donc celui qui est pris en compte dans le litige, celui

qui contribue au débat peu important qu’il soit décisif ou non. Il a même été affirmé que c’était ce

seul fait qui rendait l’affaire intéressante153 ! Deux questions semblent se poser à cette sélection

des singularités : la première est celle du pourquoi, la deuxième celle du comment.

62 – La question des raisons de la sélection – Pourquoi retenir certains faits et non d’autres ?

Qu’est-ce qui a mené les juristes à considérer que ce fait en particulier était pertinent ? Cette

question ne saurait être évidente. Premièrement il peut être soutenu qu’un fait peut être dit

pertinent dans le sens où il traduirait une réalité qui s’impose. Deuxièmement, il peut être retenu

comme étant le point de départ d’une certaine argumentation, comme un élément qui viendrait

justifier qu’une question se pose.

63 – Des faits médiatisés – Premièrement un fait peut être pertinent en soi, en ce sens que de

lui-même il s’imposerait au juriste comme tel. Construire un cas, serait-ce donc traduire la réalité ?

Cette hypothèse repose sur le postulat de l’objectivité d’une réalité, qui serait extérieure et

indépendante de l’homme154. Elle s’imposerait à lui et il devrait l’accepter, en tenir compte et se

fonder sur ses éléments pour trancher le litige. L’œil serait innocent. Une telle hypothèse ne

semble guère tenable en droit. D’une part, comme nous l’avons vu, le droit semble faire fi des

considérations qui lui sont pleinement extérieures155 de sorte que le droit se construit sans elles.

D’autre part, le droit n’a pas vocation à s’adapter au fait. Le droit ne suit pas le fait mais au

152 Cf. supra n°16; Civ. 3ème, 19 février 2014, n°11-28.806, Bull. Civ. 2014, III, n°23. 153 M.-P. Dumont-Lefrand, « Baux commerciaux », D. 2014, p. 1659 et s. 154 L. Soler, Introduction à l’épistémologie, Paris, Ellipses, Philo, 2ème édition, 2009, p. 142. 155 Cf. supra n°21 ; l’énergie a pu être qualifiée de chose alors que les catégories scientifiques ne la définissaient pas ainsi.

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contraire le domine, l’adapte, l’entend comme il veut l’entendre ; le droit reste ainsi normatif et

non descriptif156. Il n’est en outre pas plus réaliste de se soumettre aux faits que de vouloir en

endiguer certains157. Enfin, de par la seule sélection des faits prévue par le droit procédural, la

vérité du droit ne saurait prétendre être une correspondance en ce sens que le droit

correspondrait à la réalité. Les faits ne sont pas immédiats en ce que le droit ne les connaît

qu’après que ceux-ci aient été sélectionnés par le code de procédure158. Les juristes semblent

opposer les faits au droit comme s’ils raisonnaient à la manière du sens commun, « comme si les

faits étaient tout donnés »159. Pourtant les faits sont appréhendés d’une certaine manière par le

droit ; ne sont ainsi retenus que les faits sélectionnés par le code de procédure. En témoigne par

exemple, l’article 7 alinéa 1er du Code de procédure civile : « Le juge ne peut fonder sa décision

sur des faits qui ne sont pas dans le débat ». Seuls les faits retenus conformément à la loi pourront

peser au soutien d’une prétention, seuls ces faits-là seront pris en compte par le juge. Il n’y a alors

pas dans le procès de faits bruts, de faits qui seraient déjà constitués en dehors de toute analyse et

de tout jugement160. Une coupe est réalisée par le juriste dans un réel que par son regard il domine

et transforme ; ce regard médiatise les faits pour le droit. En opérant une découpe dans les faits,

le juriste veut maintenir l’image d’un tout prévu : on supprime l’accidentalité du cas, comme pour

le relever de sa chute161. Les faits doivent être conceptualisés pour entrer dans la sphère juridique,

c’est-à-dire « soumis à un traitement intellectuel particulier qui en dégage la signification juridique

pour y attacher des effets déterminés »162. L’exposé des faits n’est donc pas le reflet d’une réalité

dans un miroir ; il est « une construction édifiée suivant un modèle variant d’une espèce à

l’autre »163. Ce que l’on appelle les faits sont donc reconstruits par les juristes, remodelés pour

correspondre à des types164 qui n’existent que dans le discours juridique : le droit ne connaît donc

pas les faits mais les juristes connaissent les faits du droit. On retrouve ici le projet de l’Archéologie

du savoir de Foucault qui entendait confronter le logique interne du discours avec les éléments qui

lui sont extérieurs165 en rendant aux éléments discursifs leur caractère d’événements.

156 C. Atias et D. Linotte, « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », D., Chron, 1977, p. 251 et s. 157 C. Atias, Devenir juriste. Le sens du droit, précité, p. 93-94. 158 C. Perelman, « La distinction des faits et du droit. Le point de vue du logicien », in Le fait et le droit. Etudes de logique juridique, Bruxelles, Bruylant, 1961, p. 271 et s. 159 L. Husson, Nouvelles études sur la pensée juridique, Paris, Dalloz, Philosophie du droit (14), 1974, p. 154. 160 L. Husson, précité 161 J.-L. Nancy, L’impératif catégorique, Paris, Flammarion, 1983, p. 40. 162 J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, précité, p. 186, n°141 163 T. Ivainer, L’interprétation des faits en droit, Paris, LGDJ, Bibliothèque de philosophie du droit (tome 30), 1988, n°106, p. 99. 164 A. Papaux, « Pour des « concepts juridiques épais » : entre un passé sédimenté par le futur et un futur préempté par le passé », RRJ 2014-5 – Cahiers de méthodologie juridique, p. 2231 et s. 165 M. Foucault, précité.

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64 – Le problème du tout-construit – L’idée d’un donné est donc éliminée par la sélection des

singularités et par la reconstruction des faits qui s’ensuit. Mais se pose irrémédiablement le

problème du tout-construit : comment se prévaloir contre l’arbitraire ? Pour Rémy Libchaber,

l’activité juridique consiste en une abstraction : le juriste part de la réalité pour la traduire en

concepts ou part de ses idées pour les appliquer à la réalité ; tout est donc construit. Cette idée est

traversée par un paradoxe : tout est construit mais les concepts juridiques sont néanmoins

mesurés, étalonnés sur le réel166, sur le donné. A s’abstraire de plus en plus le droit s’isolerait,

établissant comme une infranchissable cloison entre ses concepts et le monde extérieur alors que

le droit a vocation à être normatif. Un tel isolement conceptuel était déjà dénoncé par François

Gény qui voyait le tout construit comme un danger, craignant que « les fantaisies de l’imagination

créatrice prétendent influer sur la vie par des moyens de plus en plus éloignés d’elle »167. Il

faudrait alors pouvoir justifier la construction ; ou à tout le moins justifier telle construction

plutôt que telle autre. La question de la formation des discours posée par Foucault trouve alors

tout son intérêt pour le droit : pour justifier une construction plutôt qu’une autre, il faudrait

pouvoir identifier des règles de formation.

65 – Le point de départ d’une question – Si nous retenons que le phénomène déclencheur est

le litige, une piste de justification peut être à chercher à son endroit. Les faits ne sont pas le reflet

pur d’une réalité sur laquelle les juristes se fonderaient. Ils sont en revanche ce qui est présenté au

juge pour l’établissement du litige ; si chaque partie a sa version de l’histoire, chaque partie

sélectionne ses faits et les présente selon l’ordre qui va dans le sens de sa prétention. Les données

ne sont perçues par le juge qu’à travers les discours qui ont déjà sélectionnés les faits ; partant il

n’interviendra qu’en deuxième lieu et devra à l’issue du débat collecter ses propres faits

pertinents168 et imposer sa version qui sera retenue comme seule vraie pour le droit, la vérité

judiciaire. Du fait que l’immédiateté du donné n’existe pas, des contradictions naissent entre les

observateurs du même monde169 : c’est tout un jeu d’interprétation qui se met en place autour de

la controverse. Pour chaque partie, une présentation des faits sera retenue au soutien d’une

argumentation, d’une invitation adressée au juge pour le faire trancher dans un certain sens170.

C’est donc dès que le premier juriste intervient pour déchiffrer une situation qu’intervient la

rhétorique : elle devient l’instrument de la construction du cas. En vertu du principe dispositif, les

166 R. Libchaber, « Le juriste et ses objets », Enque tes, 1998, p.251-260. 167 F. Gény, Science et technique en droit privé positif, III, n°222. 168 T. Ivainer, précité, p. 50. 169 J. Parain-Vial, La nature du fait dans les sciences humaines, Paris, Puf, Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1966, p. 179 170 C. Perelman, L’empire rhétorique. Rhétorique et argumentation, Paris, Vrin, 2ème édition, 2012, p. 56.

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parties sont à l’origine du litige et donc de la sélection des faits pertinents. Tel fait sera pertinent

pour l’une et non pour l’autre. Comme nous l’avons vu, la question détermine la teneur du

débat171. Ainsi, le tri dans les singularités aurait toutes les chances d’être motivé par le choix de la

question qui permettrait à la prétention d’emporter la conviction du juge. L’intérêt du choix d’une

présentation est le fait qu’elle permette de poser la question qui fera prendre au débat la direction

qui va dans le sens de la prétention invoquée. Comment tout cela est-il possible ? Si les faits sont

triés et présentés à la lumière d’une prétention, si leur traitement se fait déjà sous une lumière

argumentative, reste à savoir par quel moyen cette opération a lieu.

66 – Pré-qualification – Les éléments du monde sur lesquels les juristes posent leur regard

semblent être immédiatement classifiés, subsumés sous des catégories préexistantes. Pour

Bachelard plus généralement, « la réalité n’est effectivement donnée que dans la mesure où elle

accepte les catégories a priori de l’esprit »172. Ce que nous appelons un cas appartiendrait au

monde extérieur : tout énoncé d’un cas serait alors référentiel173 : il ne se comprendrait que par

rapport à un ensemble de données préalables. Ainsi sans que le phénomène ne soit propre au

droit, une certaine grille de lecture serait déjà présente a priori, avant même de trancher sur la

qualification effectivement retenue. Qualifier un cas serait déterminer la catégorie générale qui lui

est applicable174 ; ce serait le faire entrer dans une catégorie préexistante175. Les catégories

composant la grille de lecture apriorique et implicite seraient donc déjà existantes et

disponibles176. Avant même d’avoir tranché sur la nature juridique du fait qui lui est présenté, le

juriste aurait déjà une idée des solutions possibles ou des qualifications pertinentes. Comme l’a

expliqué Patrick Nerhot, « juridiquement parlant, il n’y a pas de fait qui puisse être constaté sans

référence à une règle »177. Le fait n’est vu par le droit que par rapport aux règles et concepts. Un

appareil conceptuel serait donc mis en marche dans l’esprit du juriste concomitamment à sa

découverte des faits. Un animal par exemple sera immédiatement vu comme un bien178 : reste à

savoir s’il sera à classer parmi les biens meubles dans le cas général ou immeubles par destination

s’ils sont affectés à l’usage d’une exploitation. Une fois de plus le droit fait fi de la nature physique

171 Cf. supra n°48. 172 G. Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Paris, Vrin, 6ème édition, 2006, p. 12. 173 S. Boarini, précité, p. 9. 174 H. Battifol, Traité élémentaire de droit privé, 2ème édition, 1955, n°298, p. 351. 175 E. S. Robinson, Law and the lawyers. New York, Macmillan Co., 1935, p. 219. 176 T. Ivainer, précité, p. 159. 177 P. Nerhot, « Le fait du droit », Archives de philosophie du droit, Sirey, 1986, tome 31 (Le système juridique), p. 269. 178 A cet égard la loi du 16 février 2015 relative à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, disposant en son article 2 que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité » ne semble guère être plus qu’un effet d’annonce, puisqu’aux termes du même article « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».

Page 53: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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pour imposer son critère, en l’occurrence celui de la destination179. La référence aux catégories

juridiques est immédiate dans l’œil du juriste, opérant ainsi une opération de pré-qualification180,

la lecture se fait donc à partir d’un a priori. Tout se passe comme si au cours de la formation

juridique, un cadre d’intelligibilité s’était substitué à un autre afin de provoquer cet effet de pré-

qualification. Le raisonnement juridique fonctionnerait donc par abduction : c’est-à-dire par un

syllogisme dont la mineure et la conclusion sont seulement probables et non nécessaires. On

réduirait ainsi d’avance par le jeu d’une intuition le nombre d’hypothèses susceptibles

d’expliquer ; le raisonnement par abduction consiste en une sélection des causes plausibles (ou

d’explications) au regard d’une connaissance181. Le juriste serait donc déjà orienté par une

intuition résultant de sa formation ou de son expérience. Le raisonnement par abduction et la

réduction du nombre d’hypothèses qu’il implique serait un des éléments permettant d’expliquer la

fréquence de l’inédit de retour : le tri est opéré d’avance en fonction des catégories déjà présentes

à l’esprit, orientant ainsi le raisonnement vers des concepts déjà connus. Si ces catégories sont

déjà présentes à l’esprit ; elles forment au moins en partie l’objet d’une connaissance à partir de

laquelle s’opèrerait la sélection des hypothèses. Comme l’explique Bachelard, les éléments retenus

pour décrire une chose le sont pour que la description se ferme sur elle-même ; de sorte que

l’esprit tendrait à se complaire dans une logique de système182. Les qualifications possibles étaient

donc déjà présélectionnées, de sorte que pour qualifier un cas il suffisait de choisir l’une d’elles et

nier si besoin son caractère inédit en maintenant l’idée implicite d’une clôture ou d’un

achèvement de la connaissance. Le droit serait donc, par le jeu de l’abduction traité par l’esprit

comme une connaissance, dont l’incomplétude serait difficile à accepter ; en témoignent la rareté

de l’inédit de création comme le caractère discutable de la création elle-même183. Cette

connaissance recèle toutefois des fragilités qui donnent lieu à des désaccords et sont le point de

départ des questions et argumentations. Marie-Laure Mathieu a ainsi souligné « la perméabilité

des frontières censées séparer les catégories autour desquelles s’organise le discours juridique

comme si elles étaient étanches »184. Cette perméabilité est au cœur du débat et semble pourtant

demeurer implicite.

179 M.-L. Mathieu, Droit civil. Les biens, Paris, Dalloz, Sirey, 3ème édition, 2013, p. 61. 180 C. Atias, Epistémologie juridique, précité, n°71, p. 129. 181 B. Zanuttini, « Des classes polynomiales pour l’abduction en logique propositionnelle », in 8èmes Journées Nationales sur la Résolution Pratique de Problèmes, JNPC 2002, France. p. 255-268 <hal-00995243> 182 G. Bachelard, précité. 183 Nous rappelons ici qu’y compris dans ce que nous avons nommé inédit de création, le concept introduit en droit positif avait déjà eu une existence par le passé, fût-elle doctrinale et fût-elle ancienne. 184 M.-L. Mathieu, Logique et raisonnement juridique, précité, p. 65.

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67 – Unité – Le droit domine le fait en ce sens qu’il l’englobe et se l’approprie. Si droit et fait

forment une unité ou une totalité185, une présentation les séparant ne ferait que renforcer un

artifice pour les besoins d’une image autoritaire aussi rassurante que dérangeante. L’image rassure

parce que la présentation est intellectuellement confortable, habillée de la logique de l’évidence :

on se satisferait plus aisément de la logique déductive nécessaire du syllogisme que l’on ne

s’inquièterait du problème du choix des prémisses.

68 – Qualification – C’est par la qualification que le discours juridique s’approprie le fait, ce

dernier étant rattaché à une catégorie à laquelle correspond un certain régime. L’opération de

qualification nécessite le recours à un concept auquel confronter les faits ; le concept étant un

outil de mesure du réel afin de le catégoriser186. On conceptualise les objets du monde pour les

faire entrer dans des cases : chaque qualification construit un peu plus le discours juridique, qu’il

s’agisse de nuancer ou de réaffirmer son contenu. Tout se passe comme si les faits entraient dans

le droit comme en passant d’un monde à l’autre. Pour le fait, le droit serait un autre monde, dans

lequel « les juristes établissent des doubles juridiques des objets et situations du quotidien »187. Les

faits bruts sont exposés à l’oubli ; on les traduit ou les remplace par des constructions mentales

qui serviront d’appui. Le concept est aussi un outil de généralisation : il permet de « formaliser

une situation de faits ou de cas qui tombent dans son champ »188. C’est par le recours au concept

que les juristes transforment les singularités en généralités : c’est au moment du passage des faits

au concept que s’opère la découpe et que se pose la question du champ d’application. La situation

ne peut être conceptualisée dans l’intégralité de sa réalité factuelle ; une partie des faits sera

abandonnée au profit des éléments constitutifs du concept. Ce n’est d’ailleurs pas parce que des

faits sont passés sous silence que l’opération est impossible ; les concepts comportant en effet

toujours une « part d’opacité »189. Le concept, pièce maîtresse de l’opération de qualification –

elle-même au cœur de l’activité des juristes190, n’est pas formulé explicitement dans les textes : il

résulte d’une interprétation, celle-ci dégageant le sens d’un texte comme « les concepts qu’il

articule »191. Le fait qu’un cas soit inédit, qu’une situation soit nouvelle, va donc à l’occasion de

l’opération de qualification questionner la connaissance actuelle que l’on a du concept. Par

exemple, quand la Cour de cassation répond dans l’arrêt du 13 mars 2007 que « selon la loi

185 P. Nerhot, précité. 186 F. Rouvière, « Autour de la distinction entre règles et concepts », RRJ - Droit prospectif, PUAM, 2014, La pensée de Paul Amselek, 26 (2013-5), p. 2017-2028 187 M.-A. Hermitte, « Le droit est un autre monde », Enquête [En ligne], 7, 1999, mis en ligne le 15 juillet 2013, consulté le 10 mai 2016. URL : http://enquete.revues.org/1553 188 F. Rouvière, précité. 189 J. Benoist, Concepts. Une introduction à la philosophie, Paris, Flammarion, Champs-essais, 2013, p. 60. 190 O. Cayla, « La qualification, ou la vérité du droit », Droits – 18, 1993, p. 3 et s. 191 F. Rouvière, précité.

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française le mariage est l’union d’un homme et d’une femme »192, elle ne fait en réalité pas

référence à ce que dit la loi française à ce moment-là. Les textes eux-mêmes étaient parfaitement

muets sur la question de la condition de différence de sexe dans le mariage. Un tel attendu n’est

en fait possible que par référence, implicitement toujours, au concept de mariage qui était retenu

par les juristes alors. Il était enseigné et retenu par les praticiens que l’absence de différence de

sexe était un empêchement dirimant à mariage193 ; chose que la loi française ne « disait » pas.

C’était néanmoins la règle qui pouvait être déduite de l’application des textes, c’était le résultat

d’interprétations qu’il fallait lire dans cet arrêt et non une citation du texte.

69 – L’inédit comme argument – C’est à partir de la recherche d’une solution par les parties

que le juge va devoir se prononcer en choisissant la prémisse qui permettra de déduire une

certaine solution. C’est dans la perspective de ce choix que les argumentations des parties vont se

faire face, chacune va réclamer qu’une prémisse soit retenue plutôt qu’une autre. Comme nous

l’avons soutenu194, chaque partie argumentant pour défendre sa cause aura intérêt, à l’occasion

d’un cas inédit, à soit revenir au connu soit aller vers la création. Ainsi l’inédit, à l’instar des

lacunes, deviendrait un argument pour influencer le choix de la prémisse majeure : certaines

solutions ne sont atteignables par la juge qu’à la condition qu’ils disposent de certains concepts195.

L’argument de l’inédit ne pourrait tendre que vers l’inédit de création en ce que c’est la seule des

deux formes qui prend effectivement acte de la nouveauté ; dans le cas de l’inédit de retour les

arguments a fortiori, a pari, a contrario suffisent pour dire que le cas est assimilable au connu.

L’inédit de retour fait appel à d’autres arguments parce qu’il vise à cacher la nouveauté, à

délibérément ne pas s’en saisir. Défendre que tel cas n’est pas vraiment inédit et vouloir orienter

la décision vers l’inédit de retour, c’est aussi défendre une certaine vision du concept qui est au

centre du débat. C’est dire que le défaut et l’insuffisance de motivation se valent et qu’il n’y a pas

lieu de les distinguer parce qu’implicitement, la seconde engloberait le premier : le cas était donc

tacitement prévu et ne justifiait nul autre concept mais se contentait de n’appeler qu’une légère

ouverture du concept connu. L’argument de l’inédit ne peut donc être la marque de l’inédit de

retour ; il est même son exact opposé, de même que les deux théories – inédit de retour et inédit

de création – se présentent comme rivales l’une de l’autre. Défendre que tel autre cas est bel et

bien inédit, c’est réclamer un autre concept, c’est demander au juge de prendre acte de la

nouveauté en le sommant de se doter du bon concept pour trancher. Comme nous l’avons vu les

192 Cass. Civ. 1ère, 13 mars 2007, n°05-16.627, Bull. Civ. I, 2007, n°113. 193 F. Chabas, H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Leçons de droit civil. La famille, tome 1, troisième volume, Paris, Montchrestien, 7ème édition par L. Leveneur, n°720, p. 66-67. 194 Cf. supra n°13 195 C. Atias, Epistémologie juridique, précité, p. 153.

Page 56: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

56

chances de succès d’une telle prétention sont quasi-nulles. Le passage de l’un à l’autre peut être

une fonction de la prétention de la partie mais au vu de la faible fréquence, voire du caractère

hautement exceptionnel de l’inédit de création, un tel argument ne semble guère d’un usage très

stratégique. Son apparition dans une argumentation pourrait néanmoins donner un indice du

degré de nouveauté du cas en question. Si relever qu’un cas est inédit n’est pas d’une extrême

originalité pour un avocat ; relever que la configuration juridique qu’il implique justifie l’usage

d’un concept alors exclu du droit positif semble être la marque d’une audace particulière. Mais

l’argument de l’inédit, plus qu’un argument de la seule constatation d’une situation sans

précédent, serait avant tout et nécessairement l’argument d’une solution nouvelle.

b. La construction d’un sens

70 – Mouvements et méthode – Si les juristes lisent les situations et construisent les cas à partir

d’une grille apriorique, celle-ci semble subir les conséquences des mouvements impliqués par le

traitement des cas inédits (i). La grille de lecture, elle-même implicite, n’étant que l’un des outils

du juriste ; est complétée par une certaine méthode de lecture : la pragmatique du deuxième degré

(ii).

i. Une grille évolutive

71 – Une demande de concept – L’argument de l’inédit consiste en une demande de concept,

en une demande de réforme du cadre à travers lequel le juge voyait la situation. Il est, comme

tout argument, une manière d’orienter la décision vers une certaine solution, une proposition

venant au soutien d’une demande. Comme nous l’avions retenu, tout cas a au moins deux

solutions196. L’argument de l’inédit consiste à dire qu’il en existe une autre qui réside dans l’usage

d’un nouveau concept. Le fait de rejeter une telle requête ou d’y accéder n’est bien sûr pas anodin

en ce qu’il révèle la manière dont les juristes traitent leur grille : est-elle fixe ou mouvante ?

72 – L’inédit révélateur du traitement de la grille – L’usage de l’argument de l’inédit révèle le

tournant que les juristes peuvent potentiellement faire prendre à leur grille de lecture. Il serait

demandé au juge de la compléter, et l’on admettrait alors que telle qu’elle était connue, elle était

insuffisante. La question qui se pose alors est celle de savoir si cela revient à admettre que la grille

serait effectivement lacunaire et qu’il serait demandé une pure création ; ou alors que le concept

196 Cf. supra n°21 et 23.

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57

que l’on appelle, bien qu’absent du droit dit positif, serait contenu en puissance dans le discours

mais ne serait pas conscient. Revenons sur un arrêt que nous avions retenu comme créateur :

l’arrêt Boudier. La Cour de cassation y a admis sans texte la notion d’enrichissement sans cause

ou d’action de in rem verso, consacrant le principe selon lequel nul ne doit s’enrichir sans cause au

détriment d’autrui. Un tel principe ne semblait nullement consacré par le code civil à première

lecture, qui ne reconnaissait que deux types de quasi-contrat : la gestion d’affaire (article 1372) et

la répétition de l’indu (article 1376). La subtilité tient au fait que notre code, contrairement par

exemple au Code civil allemand (titre 26), ne contient pas de texte général de principe mais

plusieurs textes d’applications spéciales197. Ainsi malgré la réticence de jurisprudence, la doctrine

admettait déjà que pouvait être induit un principe général de cet état de textes198. L’arrêt du 15

juin 1892 n’aurait fait à cet égard que révéler un implicite, un concept général qui était encore

immergé sous les particularités. La grille de lecture apriorique dont nous parlions à cette occasion

a évolué en ce qu’elle s’est enrichie d’une nouvelle case : la connaissance du droit a donc par cette

création fait un progrès. Le concept qui était contenu en puissance dans le roman, pour reprendre

la métaphore de Dworkin, est alors apparu aux yeux de tous, de sorte qu’il ne paraîtra plus

incongru d’y faire référence. De l’ombre à la lumière l’argument de l’inédit a fonctionné comme

un révélateur de l’existant sous-jacent : la grille peut donc progresser sans pour autant se

déconstruire. Sans doute n’est-elle d’ailleurs jamais complètement fixe en ce que l’inédit de retour

comme l’inédit de création impliquent une forme d’évolution différente. L’inédit de retour est

une manifestation de la validité de la grille autant qu’il permet sa précision : telle occurrence

nouvelle et jamais vue étant subsumée sous le concept que nous connaissions déjà, les contours

de celui-ci s’en trouvent précisés. Ainsi, lorsque l’on assimile l’absence de motivation à la

motivation insuffisante, on confirme la validité d’une connaissance autant qu’on la fait progresser.

Si les concepts sont liants une fois qu’ils sont créés199, toute précision semble plus ou moins

engageante pour l’avenir en ce qu’elle crée un précédent. La grille est donc maintenue et enrichie

dans le sens qu’elle avait déjà pris : l’inédit de retour contribue à une forme de progression

linéaire du discours juridique. A l’opposé l’inédit de création provoque quant à lui une rupture, il

révèle l’insuffisance de la grille à qualifier la situation qui est présentée au juge. On lui fait donc

prendre une direction nouvelle qui comme le montre l’exemple précédent, ne traduit pas

forcément une opposition radicale : il peut s’agir comme pour l’arrêt Boudier d’une induction à

197 E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, Paris, Dalloz, 2004, p. 291 ; qui donne pour exemples les constructions sur le terrain d’autrui (art. 555), les impenses du tiers détenteur (art. 2175), les récompenses entre époux (art. 1433 et 1437), la spécification (art. 570 et 571), le rapport à succession (art. 861 et 862), le paiement à un incapable (art. 1241 et 1312), l’acheteur à réméré (art. 1673) et la société (art. 1864). 198 E. Gaudemet, précité. 199 J. Benoist, précité, p. 108.

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partir de cas particuliers prévus par les textes. L’argument de l’inédit invite à faire apparaître une

puissance du droit, un pouvoir de se déterminer dans un sens. Les concepts d’inédit de retour et

d’inédit de création témoignent non pas de son état d’avancement de la connaissance de la grille

mais de la direction dans laquelle les juristes veulent ou ne veulent pas l’emmener. Si dans les

deux cas elle est condamnée à évoluer, la question à laquelle répondent ces concepts est celle de

savoir dans quel sens. Les concepts dégagés en cas de création et ceux précisés en cas de retour,

le sont à la suite d’une certaine lecture.

ii. La pragmatique du deuxième degré : une lecture en contexte

73 – Lire autrement – Le problème de l’implicite dans les discours est l’objet d’une sous-

branche de la linguistique : la pragmatique. Elle est une étude du langage du point de vue de la

relation entre les signes et leurs usagers200. Si l’étude des signes a été initiée par Charles Sanders

Peirce201, c’est Hansson en 1974 qui a tenté d’apporter de l’ordre afin de développer la

pragmatique202. Pour ce faire, il a distingué trois degrés : le premier consiste à étudier les symboles

indexicaux (les expressions systématiquement ambigües)203 ; le deuxième consiste à étudier les

signes dans le contexte entendu comme « ce qui est présumé »204 ; le troisième étudie les actes de

langage205. L’implicite est l’objet du deuxième degré, qui consiste à analyser ce qui est insinué dans

un discours, à la lumière du contexte de son énonciation206. C’est cette idée que le professeur

Andrei Marmor a transposé au discours juridique207.

74 – Décoder l’implicite – Comme l’explique Andrei Marmor en reprenant les distinctions de

Paul Grice en linguistique, le discours juridique possède plusieurs niveaux : le sémantique (le sens

littéral), l’assertif (le sens exprimé) et l’implicite (le sens insinué)208. L’implicite va au-delà de ce qui

est dit, le contenu du discours est insinué. Il existe selon Grice deux types d’implicatures : les

implicatures conventionnelles ou lexicales, qui portent sur le sens attaché aux mots eux-mêmes ;

200 CNRS, site du Centre National de Ressources Textuelles et Linguistiques, http://www.cnrtl.fr/definition/pragmatique (consulté le 15 mai 2016). 201 B. Frydman, Le sens des lois. Histoire de l’interprétation et de la raison juridique, Bruxelles, Bruylant, Penser le droit, 3ème édition, 2013, n°277, p. 588. 202 F. Armengaud, La pragmatique, Paris, Puf, Que sais-je ?, 5ème édition, 2007, p. 46. 203 F. Armengaud, précité, p. 47. 204 F. Armengaud, précité, p. 63. 205 F. Armengaud, précité, p. 77. 206 F. Armengaud, précité, p. 63-64. 207 A. Marmor, « Can the Law Imply More Than It Says ? On Some Pragmatic Aspects of Strategic Speech », in A. Marmor et S. Soames (dir.), Philosophical Foundations of Language in The Law, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 83 et s. 208 A. Marmor, précité.

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et les implicatures conversationnelles ou discursives qui se situent « hors signification et en

contexte »209. Ce sont les secondes qui nous préoccupent à l’aune du traitement des cas en ce que

de même que les implicatures du discours commun210, les implicatures du discours juridique

émergeraient alors seulement en contexte211, c’est-à-dire à l’occasion du traitement des cas.

75 – Distinction avec la méthode exégétique – Une réticence que l’on pourrait éprouver à

l’égard de cette approche pour le droit réside dans l’idée qu’elle se confondrait avec

l’interprétation exégétique, c’est-à-dire une analyse interprétative d’un texte pour retrouver la

pensée de l’auteur212. Il s’agirait donc de retrouver la pensée de l’auteur du texte et partant

l’implicature ne serait engageante qu’à la condition que l’auteur ait eu conscience de ce que son

énoncé impliquait. Le législateur devrait donc être conscient que son énoncé implique tel ou tel

autre énoncé. Faudrait-il alors pour remonter à cette conscience se concentrer sur les mots eux-

mêmes, sur les expressions employées dans les textes ? Une telle lecture fut le projet de

nombreux juristes au cours du XIXème siècle, qui ont commenté, interprété chaque mot du Code

civil213. Bien que ces juristes aient eu recours à des méthodes d’interprétation diverses comme

l’interprétation historique, on les a volontiers désignés comme l’« École de l’exégèse » afin de les

discréditer au nom d’une excessive servilité aux textes, alors qu’il ne s’agissait probablement que

d’une tendance résultant de la récente adoption du code214. Toujours est-il qu’une assimilation de

la démarche de gricéenne à une méthode exégétique ne nous semble pas tenable car ce que l’on

appelle intention du législateur semble déjà être une volonté reconstruite : le législateur n’est pas

une seule et même personne, mais une assemblée qu’il pourrait ne pas être heureux de

personnifier215. Et quand bien même cela serait-il souhaitable, resterait le problème de la difficulté

pour le législateur d’exprimer sa volonté suffisamment clairement dans le texte qui serait vu

comme la « prescription souveraine »216. De plus les citoyens n’ont pas connaissance des travaux

préparatoires qui permettraient de retrouver une telle intention : ils ne connaissent que le texte217.

En outre, la conscience de l’implicature suppose logiquement une conscience et donc une

personne, que le législateur, par nature, n’est pas. Plus encore, puisque les implicatures qui nous

209 P. Grice, « Logic and Conversation », in Syntax and Semantics, Vol. 3, Speech Acts, New York Academic Press, édition par P. Cole et J. L. Morgan, 1975, p. 45. 210 P. Grice, Studies in the Way of Words, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1989, p. 23. 211 A. Marmor, précité 212 CNRS, site du Centre National de Ressources Textuelles et Linguistiques, http://www.cnrtl.fr/definition/exégèse (consulté le 15 mai 2016). 213 J.-L. Halpérin, « Exégèse (École) », in Dictionnaire de la culture juridique, précité, p. 681 et s. 214 J.-L. Halpérin, précité. 215 H. Capitant, « L’interprétation des lois d’après les travaux préparatoires », D., 1935, I, p. 77-80. 216 F. Gény, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif : essai critique, tome 1, Paris, LGDJ, 2ème édition, 1919, p. 277. 217 J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, précité, p. 242.

Page 60: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

60

préoccupent sont bien conversationnelles, soit « hors signification et en contexte » ; il ne s’agit en

aucune façon de réaliser une analyse intrinsèque des mots du texte à la recherche d’une intention

mais de les voir à la lumière des cas soumis aux juges. Par exemple, nous avions retenu l’arrêt du

2 avril 1993 à propos de l’indu objectif révélait que l’article 1235 du code civil impliquait une

interprétation a contrario218. La seule lecture du texte ne permettait pourtant pas de le déduire :

c’est là que résidait la difficulté du cas. Puisqu’il n’y avait en l’espèce pas d’autre texte applicable

que le texte général, restait encore à savoir dans quel sens il fallait l’interpréter. C’est justement ici

que la configuration du cas et des règles en présence avait permis de poser cette question et avait

donc permis au juge de dévoiler la solution en cas d’indu objectif.

76 – Implicature et contexte – La compréhension de l’implicature ne peut s’opérer qu’à la

lumière d’un contexte. Grice l’a montré avec un exemple : dans une lettre de recommandation,

dire d’un étudiant « qu’il est ponctuel et qu’il a une belle écriture » peut impliquer qu’il est un

piètre chercheur219. Toutefois, la déduction de l’implicature n’engage que l’interprète : une fois

que l’étudiant de l’exemple n’a pas été embauché, il est toujours possible pour l’auteur de la lettre

de préciser qu’il ne souhaitait pas impliquer ce qu’en a déduit le destinataire mais simplement

vanter la ponctualité et les qualités rédactionnelles de l’étudiant. L’implicature est donc annulable

par l’auteur ; et se comprend dans un contexte. Le discours juridique est un contexte particulier,

en ce qu’il s’agit « d’un discours public en partie standardisé, reposant sur des prépositions sous-

jacentes partagées »220.

77 – Le poids de l’énonciation – Si la déduction de l’implicature n’engage que l’interprète, son

énonciation pour tous les interlocuteurs change la teneur de la discussion. Si A implique B et que

B n’est pas prononcé, B n’engage que celui qui veut bien le déduire. Mais dès lors que B est

énoncé les choses changent : il n’est plus possible d’en invoquer la méconnaissance ou d’en

discuter l’existence. Seul l’auteur pourrait éventuellement l’annuler : ce qui se traduirait en droit

par l’abrogation d’un texte, par un revirement de jurisprudence ou par l’ajout d’une distinction

afin de ne pas qualifier le cas sous la règle. Comme l’explique Joseph Raz, le revirement s’explique

parce que les règles dégagées sont vouées à être modelées et remodelées par les juges : ils peuvent

par conséquent faire le choix de distinguer là où le précédent ne distinguait pas et ainsi modifier

la règle221. Par exemple, nous avons vu que l’arrêt Boudier de 1892 avait instauré le principe

218 Cass. Ass. Plén. 2 avril 1993, n° 89-15.490, Bull. 1993 A. P. N° 9 p. 12, cf. supra n°36. 219 P. Grice, Studies in the Way of Words, précité, p. 33. 220 M. Carpentier, Norme et exception. Essai sur la défaisabilité en droit, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, Collection des thèses éditée par l’Institut Universitaire Varenne, 2014, p. 356. 221 J. Raz, The Authority of Law, Oxford, Oxford University Press, 2ème édition, 2009, p. 185.

Page 61: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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général selon lequel nul ne peut s’enrichir sans cause au détriment d’autrui et avait alors admis

l’action de in rem verso. Une distinction a été introduite par la suite dans l’arrêt du 2 mars 1915222 :

cette action ne pouvait être admise qu’à titre subsidiaire, « que dans les cas où le patrimoine d’une

personne se trouvant, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d’une autre personne,

celle-ci ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune action naissant d’un contrat, d’un

quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit ».

78 – Révélations engageantes – Ainsi, si le traitement des cas inédits est l’occasion de

l’émergence d’un concept ou de la précision d’un concept existant, cette révélation engage. Même

si la sécurité juridique est un mythe, il ne semble pas pour autant pensable d’affirmer par exemple

après l’arrêt Boudier que l’enrichissement sans cause n’existe pas ou qu’aucun principe général n’a

jamais été déduit de textes particuliers. Il sera néanmoins possible de distinguer pour préciser des

critères d’application qui font donc évoluer la règle créée ou qui précisent un peu plus les

éléments constitutifs du concept. L’implicature révélée change le contenu du discours et engage le

locuteur : en droit, l’image de la sécurité juridique peut avoir cette fonction. Dès lors, quand un

cas se présente il faut prendre en compte l’impact que la solution donnée va avoir sur l’ensemble

du discours : est-il opportun de révéler cet implicite ? Il faut un fondement pour faire émerger un

concept, « que quelque chose se présente comme à penser et qu’il y ait des raisons, même futiles ou

habituelles, de le penser »223. C’est la question de savoir si ces raisons existent qui est posée aux juges

lorsque se présente un cas inédit : y a-t-il des raisons de conceptualiser cette situation ? Ce cas

justifie-t-il un concept ? Justifie-t-il que l’on opère une distinction avec les précédents ? Est-il

nouveau mais pourtant classable sous le connu ? En répondant, ils décident à la fois de

l’évolution du discours et du caractère inédit du cas ; la réponse à chacune de ces questions

impliquant ce qui serait un degré plus ou moins fort de l’inédit.

79 – L’implicite exprimé – Si l’implicite n’est pas encore dit, il est pourtant bien présent,

comme s’il était en sommeil dans le discours. Ainsi en choisissant une expression, le locuteur s’est

déjà engagé sur son contenu impliqué224. Si A implique B ; B est, sans être dit explicitement,

contenu dans l’évocation de A. Pour Marmor, ces réflexions sont transposables au droit. Les

implications sémantiquement encodées feraient donc partie du contenu assertif, c’est-à-dire du

sens exprimé225. Ce n’est à cet égard pas parce qu’un sens est exprimé qu’il est pleinement perçu,

222 Civ. 2ème, 2 mars 1915, DP 1920. 1. 102 ; H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette et F. Chénedé, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, tome 2, Paris, Dalloz, 13ème édition, p. 527-530. 223 J. Benoist, précité, p. 62. 224 F. Armengaud, précité, p. 65-67. 225 A. Marmor, précité.

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62

c’est tout l’intérêt de l’implicite : le discours est stratégique parce qu’il dit plus que l’on en perçoit

à première vue. Prenons un exemple avec l’affaire dite du second mariage des époux zaïrois226.

Deux personnes s’étaient mariées par procuration au Zaïre, leur pays d’origine. Le mariage par

procuration n’étant pas possible en France, ils se sont trouvés dans la croyance que leur union ne

pouvait y produire d’effet. C’est cette croyance qui les a poussés une fois installés en France, à y

célébrer un second mariage. Aux termes de l’article 147 du code civil, « on ne peut contracter un

second mariage avant la dissolution du premier » : ce texte interdit la polygamie227. Lorsque le

mari demande la nullité de la seconde union, la cour d’appel relève que certes deux mariages

valides ont bien eu lieu mais qu’il s’agit des deux mêmes personnes et qu’il n’y a pas par

conséquent une situation de polygamie. La Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille et

casse l’arrêt d’appel pour refus d’appliquer l’article 147. Peut-on se marier plusieurs fois avec la

même personne ? La question n’avait jamais été posée, la discussion n’avait jamais eu lieu mais la

réponse était dans la sphère de l’implicite. Poser cette question au juge l’en a fait sortir : il fallait

pour répondre dire le non-dit. Plusieurs conséquences peuvent être tirées de cet étonnant arrêt.

Tout d’abord, la décision en elle-même précise le concept qui lui-même était impliqué par l’article

147 du code civil. Le concept juridique de polygamie qui était impliqué remonte à la surface pour

apparaître enfin. La prohibition de ce remariage montre encore une fois, comme nous l’avions vu

pour le vol d’énergie, que le droit s’affranchit des discours qui lui sont extérieurs228. Pour le sens

commun, la polygamie est le fait d’avoir plusieurs conjoints229, le concept est centré sur les

personnes ; alors que pour le droit, à en croire cet arrêt c’est la superposition des liens

matrimoniaux qui caractérise la polygamie.

80 – Concepts émergés – Le concept juridique de polygamie se révèle dans le traitement de ce

cas mais le fait de le faire remonter engage pour l’avenir : on saura que pour le droit, la polygamie

est la superposition des liens matrimoniaux quelles que soient les personnes et surtout quel que

soit leur nombre ! La connaissance des concepts juridiques progresse donc avec le traitement des

cas inédits. Cette idée semble pouvoir fournir une piste pour sortir du paradoxe mis en lumière à

l’issue de la première partie de notre étude, selon lequel tout est inédit mais tout est déjà dit. Il

226 Cass. Civ. 1ère, 3 février 2004, n°00-19.838, Bull. Civ. 2004, I, n°33, p. 28. 227 Tout un régime est mis en place autour de l’idée de monogamie en droit français comme l’article 70 du code civil qui impose à chacun des époux de remettre à l’officier d’état civil un extrait d’acte de naissance ; ou comme l’article 433-20 du code pénal qui fait de la bigamie un délit ; voir P. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, 5ème édition, 2016, p. 152-154. 228 Un tel isolement conceptuel était déjà dénoncé par François Gény qui voyait le tout construit comme un danger, craignant que « les fantaisies de l’imagination créatrice prétendent influer sur la vie par des moyens de plus en plus éloignés d’elle » ; voir F. Gény, Science et technique en droit privé positif, III, n°222. 229 CNRS, site du Centre National de Ressources Textuelles et Linguistiques, http://www.cnrtl.fr/definition/polygamie (consulté le 20 mai 2016).

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conviendrait seulement de préciser que ce qui n’est pas dit est en fait impliqué et amené à être

révélé par les différents cas : on a pu le constater avec l’arrêt Boudier, avec l’indu objectif et

maintenant nous le voyons avec la polygamie. Le traitement des cas inédit serait donc l’histoire

d’un engagement progressif du discours, d’une révélation point par point. L’environnement

conceptuel se construit donc à la lumière des cas230, à chaque traitement la connaissance progresse

et le cas inédit serait à cet égard un bien fort précieux.

81 – Absence d’engagement – Un indice explicite du degré d’engagement des juges dans ces

réponses est la publication ou non des arrêts : on déduira d’un arrêt non publié, inédit au bulletin,

qu’il ne s’agit que d’un arrêt d’espèce et qu’il était si particulier qu’il a justifié une solution

étonnante sans que pour autant le discours doive changer. Les juges souhaitent parfois ne pas

s’engager, rester dans l’ambiguïté ; tant et si bien qu’il faudra autant que possible, ne pas trop en

dire. Plus l’énoncé est laconique, plus le champ de liberté de l’interprète s’accroît. Le silence serait

alors choisi et assumé. L’ambiguïté deviendrait un outil au service d’une fin : celle de laisser la

porte ouverte sur l’horizon des possibles, afin de ne pas empêcher par avance le droit d’advenir.

C’est donc sans doute par souci de réserve que les motivations des décisions se font lacunaires :

l’implicite se fait donc outil d’anticipation.

2. La brièveté de la motivation, une réserve pour l’inédit à venir

82 – La motivation, pierre angulaire de la décision – La décision de justice ne saurait se

suffire à elle-même. C’est en réaction à l’arbitraire des parlements de l’Ancien régime que

l’obligation de motivation des décisions s’est imposée ; jusqu’à être vu comme une garantie

essentielle et fondamentale pour les justiciables231. L’obligation de motiver les décisions de justice

remonte à la loi des 16 et 24 août 1790 et se retrouve de nos jours à l’article 455 du code de

procédure civile. Si le défaut de motifs fait encourir à la décision la cassation, la suffisance de

ceux-ci est aussi contrôlée par la Cour de cassation depuis le début du XIXème siècle232. C’est la

motivation qui permet de comprendre la pensée qui est à l’œuvre pour « constituer une

jurisprudence »233. Si la motivation une expression de la raison, toute faille fait perdre au discours

son autorité : il faut donc pour bien motiver de « dépersonnaliser, désubjectiviser, dépassionner »

230 « Ius facto oritur », le droit sourd du fait. 231 J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, Domat droit privé, 6ème édition, 2015, p. 400. 232 J. Héron et T. Le Bars, précité, p. 401. 233 F. Terré, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, Précis Dalloz, 10ème édition, 2015, n°349, p. 279.

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64

l’exposé autant que possible234. Le dosage de l’exposé de la motivation semble en outre être un art

difficile : il convient de ne pas en dire trop pour qu’elle puisse être accessible et de ne pas trop en

taire pour qu’elle puisse être comprise235.

83 – Coopération et stratégie – Rendue au nom du peuple français, l’une des finalités de la

décision de justice est d’être comprise par les justiciables auxquels elle s’adresse : l’exposé de la

motivation devrait théoriquement permettre la réussite de l’échange. Grice a dégagé quatre

maximes de coopération qui sont pour lui les marques d’un échange réussi : quantité, qualité,

pertinence et modalité236. La dernière maxime s’entend selon lui comme « la manière dont ce qui

va être dit va être dit »237. Elle se divise elle-même en sous-maximes : éviter les expressions

obscures, éviter l’ambiguïté, être bref ou éviter tout ce qui n’est pas nécessaire, être ordonné238. Si

le respect de ces maximes est pour Grice gage d’une communication coopérative, certains

discours s’en affranchissent et prennent donc une tournure stratégique. Les locuteurs vont user

de l’ambiguïté et des implicatures pour faire tourner la situation à leur avantage.dans un discours

stratégique, le locuteur fait en sorte d’impliquer plus que ce qu’il veut rendre explicite. Par

exemple, pour arriver à obtenir ce qu’elles veulent, les parties vont laisser leurs implications

délibérément vagues : elles vont utiliser l’ambiguïté. L’idée est d’exploiter les implicatures pour

dire quand même ce qu’on ne veut pas expliciter. Toute la question est de savoir où situer la

décision de justice : est-elle un discours coopératif ou stratégique ?

84 – Stratégie de la brièveté – Selon Marmor, le discours juridique est un discours stratégique

en ce qu’il implique plus qu’il ne dit. La loi résulte presque toujours d’un compromis : elle serait

une décision tacitement reconnue comme incomplète, laissant volontairement certaines questions

non tranchées239. Marmor imagine pour illustrer son propos une discussion entre deux

parlementaires X et Y au moment de la rédaction d’un texte de loi. X veut dire A de sorte qu’il

implique B ; Y veut dire A de sorte qu’il n’implique pas B. X et Y agissant ensemble, disent A et

ne se prononcent pas sur B. Il est aussi imaginable qu’ils n’aient tout simplement rien voulu

exprimer quant à B, le pouvoir de se prononcer étant alors délégué au juge qui ferait le lien du

général au particulier. Quant au discours judiciaire lui-même, le juge peut avoir intérêt à ne pas

trop en dire, à la manière de la discussion entre nos deux parlementaires : puisqu’il tranche pour

234 A. Sériaux, Le droit. Une introduction, Paris, Ellipses, 1997, n°263, p. 255. 235 F. Terré, précité. 236 P. Grice, précité, p. 26. 237 P. Grice, précité, p. 27. 238 P. Grice, précité. 239 A. Marmor, précité.

Page 65: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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le particulier et ne peut se prononcer par voie de disposition générale240, il doit prendre garde à ne

pas impliquer plus que nécessaire. La conséquence du contraire serait un engagement qui

permettrait aux argumentations futures de faire dire au juge ce qu’il n’a pas dit et prétexter une

identité de raison. Mais l’identité de raison ne pourra être invoquée qu’à la condition que les

raisons soient effectivement connues241. Si celles-ci sont passées sous silence, une partie de

l’argument est neutralisée d’avance : on devra se contenter d’une identité de problème ou d’une

similarité de cas suffisamment importante. Le rapprochement ne pourra être qu’incomplet et la

justification seulement partielle. En demeurant silencieux sur la ratio decidendi, les juges

condamnent l’identité de raison strictement entendue mais ce faisant, ils laissent la porte ouverte

à toutes les justifications imaginables pour provoquer une solution. Il conviendrait donc pour dire

le droit, de s’efforcer de trouver la juste mesure. Pourtant, constat est régulièrement fait d’une

diminution de la motivation des arrêts, comme si elle était « atteinte d’une sorte d’anémie »242 :

plus de mots étant consacrés aux faits qu’à expliquer la cassation ou le rejet du pourvoi243. La

brièveté de la motivation des décisions est la forme la plus voyante et la plus incompréhensible de

l’usage de l’implicite. Nous avons déjà pu le voir avec l’arrêt sur le contrat de coffre-fort244 : il

s’agit d’un contrat sui generis auquel l’article 1722 n’est pas applicable et qui suppose donc un

retour au droit commun des contrats. Pourtant, plutôt que de dire clairement de quoi il

retournait, la Cour de cassation a préféré se mouvoir dans de périlleuses circonvolutions aux

termes desquelles rien n’est résolu. Les choses se déroulent comme si le juge s’était octroyé la

liberté de ne pas répondre et de ne dire le droit que par un pis-aller, autant dire de le taire. Les

choses se déroulent comme si le juge, confronté à une question épineuse, se contentait de

départager les parties en présence mais se gardait bien de refermer la brèche que leur affaire avait

ouverte dans le discours juridique. Peut-on encore affirmer raisonnablement que l’objectif est

d’être compris ? A la brièveté se mêlent l’obscurité et l’insécurité juridique245. Les affirmations

péremptoires ne sauraient guère convaincre en ce qu’elles escamotent la discussion qui aurait pu

être et expliquer la décision246. Le style de la motivation semble pourtant la présenter comme une

évidence, comme si la Cour était infaillible et que cette évidence chassait par elle-même la

justification247 et par là-même l’autorité de la décision.

240 C. Civ. Art. 5. 241 F. Schauer, Thinking Like a Lawyer, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2ème édition, 2012, p. 50. 242 C. Atias, « Coûteuse insécurité juridique », D. 2015. 167. 243 C. Atias, précité. 244 Cf. supra n°29. 245 C. Atias, précité. 246 A. Touffait et A. Tunc, « Pour une motivation plus explicite des décisions de justice notamment celles de la Cour de cassation », RTD civ. 1978. 487 247 A. Touffait et A. Tunc, précité.

Page 66: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

66

85 – Le mirage inductiviste – La brièveté de la motivation serait aussi le talon d’Achille de la

science juridique appliquée. Si cette dernière cherche à anticiper les décisions à venir248, elle ne

peut plus revenir à la ratio decidendi qui lui permettrait de le faire. Elle devra se contenter

d’artificielles inductions et de fragiles prévisions. Comme l’a en effet montré Bertrand Russel, la

récurrence d’un cas ne permet pas valablement d’en induire une règle suffisamment stable pour

fonder une croyance249. Le fait que de nombreux cas passés se soient conformés à une loi ne peut

constituer une preuve que cette même loi s’appliquera pour l’avenir. Russel explique ce point de

vue avec l’exemple célèbre de l’induction du dindon250 : un dindon en cage est nourri chaque jour

par la même main ; timide initialement, il prend confiance au fur et à mesure que les jours passent

et que la même main revient le nourrir. Mais à l’approche des fêtes de fin d’année, la main jusqu’à

lors nourricière se fait assassine et trahit la confiance du dindon en l’étranglant. Le dindon, en

bon inductiviste, avait pourtant toutes les raisons de croire que la main revenait cette fois encore

pour lui donner à manger. En fait, il était seulement probable et non certain que le dindon allait

être nourri à nouveau. Ainsi, de la récurrence on ne pourrait induire qu’une probabilité, faute de

pouvoir en tirer une nécessité logique. Le paradoxe est que la formulation des solutions dans les

arrêts de la Cour de cassation se présente justement sous le signe de la nécessité251 ; et que les

revirements de jurisprudence et autres instabilités ne pas des illusions de nos songes252.

86 – Stratégie par défaut – Si des progrès en matière de motivation sont indéniablement

possibles et souhaitables, on peut comprendre en partie et sans l’excuser pour autant la faiblesse

des motivations. On peut d’une part la comprendre devant la difficulté de dosage que nous

avions évoquée mais aussi de par la responsabilité que prendrait un juge à l’égard de la cohérence

d’ensemble du discours en motivant trop précisément sa décision, en y incluant toutes les

considérations qu’il a pris en compte. Le qualificatif « stratégique » ne devrait à cet égard pas

revêtir un aspect péjoratif dès lors qu’il est appliqué au discours juridique. En effet, l’usage d’une

stratégie semble le nécessaire corollaire d’un droit qui ne soit pas complètement donné d’avance

mais qui au contraire, avancerait au gré des espèces. Il ne faut pas condamner d’avance l’inédit à

venir ; et le passage sous silence est sans doute l’une des seules armes pour conserver la liberté de

se déterminer au bon moment, quand l’espèce qui pose la bonne question se présente. Se taire

248 C. Atias, Epistémologie juridique, Paris, Puf, Droit fondamental, 1985, n°72, p. 132. 249 B. Russel, Problèmes de philosophie, traduction de F. Rivenc, Paris, Payot, 1989, p. 83-92. 250 B. Russel, précité. 251 A. Touffait et A. Tunc, précité. 252 M. Fabre-Magnan, Introduction générale au droit. Droit des personnes. Méthodologie juridique, Paris, Puf, Licence droit, 2ème édition, 2011, p. 127.

Page 67: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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c’est aussi « mettre en réserve des enseignements disponibles pour les espèces à venir »253. On ne

peut d’autre part pas l’excuser car bien la motivation semble être un haut-lieu du non-dit, elle ne

doit pas nécessairement l’être au-delà de ce souci de ne pas cloisonner l’avenir. Une telle

préoccupation de prudence ne saurait d’ailleurs se fondre en excuse. En effet, se protéger en ne

s’engageant pas de manière excessive est une chose, éviter la discussion en est une autre. La

discussion est évitée sur le plan technique mais aussi sur le plan axiologique. Le juge n’a certes pas

vocation à être un politicien mais l’action de trancher un litige implique une prise de position sur

une valeur, comme l’a expliqué Perelman selon qui le texte est « un prétexte à la confrontation

des valeurs »254. Ainsi, « le juge ne juge pas du sens d’une ligne de texte. Il se demande quelle est la

valeur que l’on veut protéger et quelle est la valeur en compétition avec elle »255. Une décision en

droit, qu’elle soit législative ou judiciaire n’est pas neutre mais repose sur une valeur. Si le juge

doit se faire l’apôtre de la déclamation de cette valeur, peut-il se contenter de le faire sans s’en

expliquer ?

87 – La justification, irremplaçable vertu – L’irremplaçable est de justifier, de donner ses

raisons avant de donner raison à l’un et tort à l’autre, les mettre devant les yeux de tous et dire ce

qui a convaincu. Que ces raisons soient bonnes ou mauvaises n’a guère d’importance durable car

dès qu’elles sont exposées elles sont ouvertes à la critique, comme si elles étaient prêtes à être

mises à l’épreuve. Encore faut-il accepter au préalable l’idée que l’on puisse se tromper, l’idée que

la Cour puisse faire erreur ; cette idée semble inadmissible pour la Cour de cassation comme l’ont

montré Adolphe Touffait et André Tunc en 1974. Les choses ont-elles changé depuis ?

88 – De la dissimulation vers la clarté – Si la motivation est bien trop souvent du domaine de

l’implicite ; la décision quant à elle, est explicite. On impose ainsi une certaine forme réduite de

connaissance, qui se limiterait aux décisions en elles-mêmes et non à leur motivation. Tout ce

qu’il reste d’une telle pratique est une impression de réduction de la connaissance juridique à de

l’information : il a été décidé telle solution dans tel arrêt pour répondre à tel problème. La

question du pourquoi reste bien souvent entière. Toujours est-il que même si la motivation est

elliptique, la décision fournit une information qui peut préciser les contours d’une règle, les

éléments constitutifs d’un concept, le champ d’application d’une qualification. La réponse

donnée, malgré les lacunes qui précèdent sa formulation, fait œuvre de continuation en révélant à

253 C. Atias, « Juris dictio : redire l’inédit », D. 1992. 281. 254 B. Frydman, précité, n°305, p. 643-644. 255 C. Perelman, « Droit, logique et épistémologie », in Ethique et droit, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, Fondamentaux, 2ème édition, p. 627.

Page 68: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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la lumière d’aujourd’hui des contrées du paysage rêvé hier. La décision qui tranche un cas inédit

fait avancer la connaissance que l’on a du droit : elle révèle l’implicite.

B) La décision ou le retour de l’explicite : l’inédit découvert

89 – L’inédit comme progrès – Bien plus que le précédent qui ne sert qu’à consolider ou à

répéter ce qui est déjà dit, le cas inédit de par les questions qu’il pose, pousse le droit dans ses

retranchements et pousse donc les juristes à opérer des choix plus ou moins engageants. L’inédit

pourrait être, de par cette propriété, un outil privilégié de la constitution d’un savoir des juristes

(1), et peut-être alors permettre une relecture qui pourrait prendre la forme d’une rectification (2).

1. L’inédit comme moyen de connaissance du droit

90 – Des nouveautés de façade – Nous avons vu qu’à l’occasion du traitement d’un cas inédit,

un progrès s’est réalisé : la connaissance que nous croyions avoir s’est vue modifiée. Un concept a

pu être introduit, ce fut le cas de l’enrichissement sans cause, ou de la cause du contrat. Des

concepts ont pu être précisés, ce fut le cas de la motivation du congé en matière de bail

commercial, ce fut le cas du concept de polygamie. A chaque espèce on est tenté de conclure que

l’état du droit a changé d’une manière ou d’une autre. Mais est-ce l’état du droit qui a changé ou la

connaissance que nous en avons ? Si les solutions que nous avons relevées étaient implicitement

contenues dans le droit, cela voudrait dire que nous n’avons fait que les découvrir et faire émerger

un présupposé : ce ne serait pas le droit qui aurait changé mais la connaissance que nous en

avons.

91 – Inédit et savoir – Si l’inédit est un moyen de révéler des implicites et de clarifier des

concepts ; il est aussi un moyen de confirmer ce qui n’avait pu l’être si nous retenons que le droit

trouve son sens que dans l’expérience256. Le cas peut être inédit sans que la solution ne le soit : on

découvrirait un contenu. Prenons un exemple avec l’arrêt de la troisième chambre civile du 25

février 2016257. Les locataires d’un bail à usage d’habitation sont assignés par leur bailleur en

déchéance de leur droit au maintien dans les lieux pour manquement à la clause d’habitation

bourgeoise contenue dans le bail. Le bailleur fonde sa prétention sur l’argument selon lequel une

société commerciale ne peut, par nature, qu’exercer une activité commerciale sur son lieu de

256 C. Atias, Epistémologie juridique, Paris, Dalloz, Précis, 2002, n°98, p. 66. 257 Cass. Civ. 3ème, 25 février 2016, n°15-13.856, obs. Y. Rouquet, D. 2016. 545.

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résidence, contrevenant ainsi nécessairement à la clause d’occupation bourgeoise qui était

stipulée. La Cour de cassation ne reçoit pas sa demande en répondant que « la domiciliation d’une

société commerciale dans un local à usage d’habitation ne suffit pas à conférer à l’occupation un

caractère commercial ». Cette solution n’admet pas de précédent direct ; mais l’article L. 123-11-1

du code de commerce prévoit que « Toute personne morale est autorisée à installer son siège au

domicile de son représentant légal et y exercer une activité, sauf dispositions législatives ou

stipulations contractuelles contraires ». L’exception prévue par l’article vise à empêcher dans

certains cas l’exercice d’une activité commerciale, en l’espèce au regard d’une clause, ou de la loi

du 1er septembre 1948 sous l’empire de laquelle le bail avait été signé. La règle de l’article L. 123-

11-1 autorise expressément cette situation mais son exception pouvait faire question au regard de

la clause d’habitation bourgeoise. La domiciliation d’un local par une société commerciale suffit-

elle à conférer à l’occupation un caractère commercial ? La nature commerciale de la société

domiciliée emporte-t-elle une une présomption irréfragable de commercialité de l’occupation ? La

nature de l’occupation est-elle un accessoire de la qualité de la personne ou est-elle au contraire

un concept autonome ? La Cour de cassation répond par la négative en rejetant le pourvoi, s’en

tenant à un critère matériel pour apprécier la nature de l’activité. Le cas n’était pas tranché

d’avance par la règle de droit qui se trouvait à elle seule insuffisante à trancher et incapable de dire

le droit. La solution était implicite, il fallait que le cas se présente au juge pour qu’il puisse lui faire

accéder à la sphère de l’explicite. La question était de savoir ce qu’impliquait la formulation de

l’article : seul le contact du fait a pu nous en faire prendre conscience. Ce cas pourrait être classé

comme inédit de retour suivant la logique de notre première partie ; mais il opère une

clarification : la réponse existait alors que la question n’avait jamais été posée.

92 – De la connaissance au savoir – Un contenu est rendu explicite de par la discussion et

l’application de la règle de droit. La connaissance du droit ne pouvait donc se limiter à la

connaissance des règles, qui ne font en fait que précéder le droit, donnant une direction à suivre a

priori. La connaissance du droit ne peut en aucun cas se réduire à de l’information. Le fait de

savoir que l’article L. 121-11-1 du code de commerce dit que « toute personne morale est

autorisée à installer son siège au domicile de son représentant légal et y exercer une activité, sauf

dispositions législatives ou stipulations contractuelles contraires », est une information. Le fait de

savoir que dans un cas passé la jurisprudence a tranché en faveur de telle solution l’est également.

La connaissance de ces informations est – les cas que nous avons étudiés en sont la preuve –

insuffisante pour le juriste. La connaissance des dispositions légales ou décisions juridictionnelles

ne permet pas à elle seule de rédiger un contrat, de plaider une cause ou d’expliquer le

Page 70: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

70

déroulement d’un procès258. Une connaissance véritable devrait trouver son point de départ dans

des problèmes, et aller de problème en problème selon une méthode critique de recherche des

erreurs259 ; plutôt que de se concentrer sur des solutions qui seront tenues pour la vérité immobile

et définitive. Peut-être serait-il opportun de retenir avec Heidegger qu’une compilation de

connaissances, même organisée, ne peut pas constituer un savoir260. Selon lui, savoir c’est pouvoir

apprendre : il faudrait se maintenir dans cet état plutôt que de se satisfaire de ses connaissances au

risque de devenir un « bousilleur »261. Celui qui retient toutes les solutions ne peut plus apprendre

parce que le poids qu’il leur attribue fait barrage aux problèmes qui sont la véritable source du

savoir : « le pouvoir d’apprendre suppose le pouvoir de questionner »262. Ainsi retenir pour point

de départ que le « Droit » est « l’ensemble de règles de conduites socialement édictées et

sanctionnées qui s’imposent aux membres de la société »263 revient à neutraliser d’avance toute

possibilité d’un savoir juridique, en ce qu’on assignerait au juriste pour seule tâche la connaissance

de ces règles. C’est sans doute parce qu’il questionne avec plus de profondeur ou de vivacité les

informations détenues par les juristes que le traitement d’un cas inédit semble constituer le pont

idéal pour passer de la connaissance d’une somme d’informations à un savoir véritable. C’est

parce que les cas inédits posent problème et tiennent parfois en défaut ce précieux « ensemble de

règles », c’est parce qu’ils questionnent les connaissances que nous croyons détenir, qu’il faut s’en

nourrir et en faire une matière première de formation du savoir juridique.

2) L’inédit de solution, marque d’une évolution constante

93 – Solutions relues – Puisque les solutions ne sont pas la fin de la connaissance, il n’est guère

choquant qu’un cas déjà connu puisse aussi être relu et son traitement changé. On peut décider

que les solutions jusqu’à présent retenues sont inacceptables au vu de la gravité des conséquences

qu’elles entraînent264. Tel fut le cas en droit de la responsabilité avec la création de la

responsabilité du fait des choses. Il est indéniable que les situations n’étaient pas inédites en ce

que des choses avaient toujours causé des dommages. C’est à la fin du XIXème siècle qu’il a été

relevé que la seule responsabilité du fait personnel était insuffisante et menait à des solutions

258 C. Atias, précité, n°98, p. 66. 259 K. Popper, « Connaissance et modelage de la réalité », in A la recherche d’un monde meilleur, Paris, Les Belles Lettres, Le goût des idées, 2011, p. 22-23. 260 M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, traduction G. Kahn, Paris, Gallimard, Tel, 2013, p. 33. 261 M. Heidegger, précité, p. 34. 262 M. Heidegger, précité. 263 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, Puf, Quadrige-Dicos poche, 9ème édition, 2011. 264 C. Atias, « Juris dictio : redire l’inédit », D. 1992. 281.

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inacceptables comme l’absence de réparation de dommages corporels graves265. On a donc

considéré des cas comme inédits alors qu’ils ne l’étaient pas, on les a vu sous une lumière

nouvelle. Dans l’arrêt Teffaine du 16 juin 1896266, la Cour de cassation, en suivant le mouvement

belge267, a déduit de l’alinéa 1er de l’article 1384268 un principe général de responsabilité du fait des

choses. En 1891, à cause d’un vice de construction resté occulte, la machine d’un remorqueur à

vapeur explose et tue Teffaine, un mécanicien. La Cour de cassation s’exprime ainsi pour

consacrer un principe général de responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde :

« Attendu que l’arrêt attaqué constate souverainement que l’explosion de la machine du

remorqueur à vapeur Marie, qui a causé la mort de Teffaine, est due à un vice de construction ;

qu’aux termes de l’article 1384 du code civil, cette constatation, qui exclut le cas fortuit et la force

majeure, établit, vis-à-vis de la victime de l’accident, la responsabilité du propriétaire du

remorqueur sans qu’il puisse s’y soustraire en prouvant soit la faute du constructeur de la

machine, soit le caractère occulte du vice incriminé ». L’article 1384 alinéa 1er n’était pourtant

porteur d’aucune règle de droit puisqu’il s’agissait d’un texte de transition269. En créant ce

nouveau régime de responsabilité du fait des choses, la Cour de cassation a souhaité améliorer la

situation des victimes et favoriser la réparation des dommages causés du fait des choses ;

l’élasticité du droit civil lui a permis de le faire270. Pourquoi cette préoccupation ? On l’explique

généralement par le progrès technique : il y a plus de choses qui causent des dommages de plus

en plus importants271. Ce qui a changé est sans doute la façon de voir les dommages car ils ont

toujours existé ; on s’est seulement préoccupé de leur gravité croissante en partie due au progrès

technique. Cette gravité serait devenue suffisamment importante pour entrer dans la construction

du cas ; la pertinence ne lui était pas reconnue par le droit jusqu’à lors.

94 – La relecture, entre stratégie et coopération – Il ne fait aucun doute que le principe déduit

de l’article 1384 alinéa 1er est le fruit d’une interprétation exagérée272. Il s’agit alors ici plus d’une

construction que d’une révélation. C’est ici que l’échange entre les juges et le législateur se fait le

plus stratégique : les juges ont déduit des textes un principe que le législateur n’entendait pas y

265 M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. Tome 2 – Responsabilité civile et quasi-contrats, Paris, Puf, 3ème édition, 2013, p. 241. 266 Cass. Civ. 16 juin 1896, Teffaine, D. 97. 1. 433, note Saleilles. 267 F. Chabas, H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Leçons de droit civil. Les obligations. Théorie générale, Paris, Montchrestien, 9ème édition par F. Chabas, n°514, p. 560. 268 C. Civ. Art. 1384 alinéa 1er : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ». 269 A. Bénabent et D. Mazeaud, Les grands articles du code civil, Paris, Dalloz, 2012, p. 122. 270 R. Saleilles, note sous l’arrêt Teffaine, précité. 271 R. Saleilles, précité. 272 M. Bacache-Gibeili, Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle, tome 5, Paris, Economica, 2ème édition, 2012, p. 230.

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faire figurer. Une lecture littérale, formelle, a permis de faire dire au texte ce qu’il n’était pas censé

dire. Les juges l’ont fait pour provoquer une évolution. Suite à cette lecture le droit de la

responsabilité a semblé se préoccuper davantage du dommage que de la faute273. La lettre a

bouleversé l’esprit, la lecture a influencé le siècle. Un implicite qui n’existait pas dans l’esprit des

rédacteurs a pu être dégagé de cette suite de mots pour la faire s’exprimer en fonction d’une fin

différente de celle prévue. N’est-ce pas là la marque d’un haut degré de lecture stratégique du

juge ? On pourrait le penser et imaginer qu’il a tourné à son avantage le dialogue avec le

législateur. Mais justement, si aucune loi n’a suivi pour annuler l’implicature faussement déduite,

est-ce le signe d’une acceptation tacite de cette lecture ? La coopération serait retrouvée et la

direction prise légitimée. La lecture ainsi adoptée, la stratégie suivie, se révèle dans ce cas comme

une nouvelle manifestation de l’importance du contexte et du cas : le droit s’y dit et s’y construit.

95 – Inédit exceptionnel – Il faut toutefois prendre l’exemple précédent pour ce qu’il est : un

épisode exceptionnel. Une telle pratique n’est pas censée traduire le travail normal du juriste. Le

droit ne se réinvente pas tous les jours pas plus qu’il ne doit généralement s’adapter aux faits. La

thèse inverse a été soutenue sous couvert d’un réalisme qui aurait tout d’une excuse pour faire

prévaloir la solution que l’on préfère274. Si c’est un choix politique, il doit être justifié et ne peut

l’être par le fait du développement d’une pratique sociale. L’idée d’une adaptation, même rare, du

droit au fait ne devrait pas faire oublier qu’une discussion est à mener sur la légitimité de la

solution choisie : un débat doit porter sur les conséquences du choix opéré275. C’est sans doute

par l’effet d’une infondée peur du désaccord ou d’un affaiblissement de l’autorité des décisions

que ces débats sont escamotés au profit de pétitions de principe habillées d’évidence factice. Le

droit doit s’adapter au fait qui n’emporte pas de conséquences préjudiciables mais doit résister

aux autres. Il ne faudrait donc pas tirer de l’exemple de l’arrêt Teffaine une règle générale qui

reflèterait le travail normal du juriste ; nous l’avons retenu en ce qu’il met en exergue un trait

existant bien qu’exceptionnel.

273 A. Bénabent et D. Mazeaud, précité. 274 C. Atias et D. Linotte, « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », D., Chron, 1977, p. 251 et s. 275 C. Atias et D. Linotte, précité.

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Conclusion générale

96 – Droit mouvant – Tout le sel du juridique semble résider dans cette souplesse, dans cette

marge de manœuvre qui permet de reconstruire les catégories et de découvrir le droit en

contextes plus qu’en textes. Comme cela avait déjà été rappelé, « la loi ne doit pas être un rite

incantatoire »276 auquel on peut se permettre de faire tout dire, jusqu’à tout en attendre. Le droit

n’est pas un ensemble de règles fixes à envisager comme un catalogue de solutions mais une

entité en perpétuel devenir. C’est d’ailleurs ce qu’avaient déjà remarqué les professeurs Ghestin et

Goubeaux en en faisant un trait distinctif d’autres domaines comme la biologie : « (…) à la

différence des types biologiques dont le nombre est défini, les catégories juridiques paraissent

susceptibles d’un renouvellement constant »277.

97 – Révélations – Les cas inédits entendus comme une catégorie mettent en lumière cet aspect

particulier du raisonnement juridique, cette aptitude au renouvellement et à la relecture. Même

regroupés sous une catégorie « cas inédit », les cas ne sont que bien rarement traités comme

nouveaux dans le discours judiciaire tant le réflexe de l’assimilation et du retour au connu est

devenu un quasi-automatisme. Le cas peut pourtant aussi être un nouveau point de départ, celui

d’une argumentation, d’une construction voire d’une invention. Le droit transforme le rapport de

fait qui lui est soumis autant qu’il se trouve lui-même transformé, influencé, continué par le cas.

« C’est alors comme si le cas était le point de départ de toute science, à partir duquel celle-ci

devait être inventée (...) »278. Le droit est toujours moins clair qu’il n’y paraît. Si l’implicite dérange,

le traitement des cas inédits l’oblige à remonter à la surface en confrontant directement le

raisonnement juridique à ses propres obstacles : le cas questionne le droit en faisant apparaître ses

antinomies et faiblesses théoriques. Sans doute faut-il accepter de s’en rendre compte et ne pas

chercher à les dissimuler pour une pratique plus sereine. Plutôt qu’un non-dit prétendument

autoritaire, peut-être serait-il favorable de privilégier l’étonnement et la question. Au lieu de se

persuader que le droit est un ensemble de règles et qu’il n’est qu’un tissu de vérités fixes, il

276 P. Mazeaud, «La loi ne doit pas être un rite incantatoire », JCP. G. n° 6, 9 Février 2005, act. 70. 277 J. Ghestin et G. Goubeaux, Traité de droit civil. Introduction générale, Paris, LGDJ, 4ème édition avec le concours de M. Fabre-Magnan, 1994, n° 43, p. 35. 278 F. C. von Savigny, De la vocation de notre temps pour la législation et la science du droit, trad. A. Dufour, Paris, Puf, Léviathan, 2006, p. 64

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75

faudrait retrouver une capacité à s’étonner, accepter d’être surpris. Le traitement des cas inédits

aurait cette fonction de révélateur, il pourrait être une piste, un point de départ pour comprendre

la nature et le poids des obstacles épistémologiques qui grèvent le raisonnement juridique. C’est

cette rencontre avec les cas qui questionne les frontières de nos catégories, qui fait émerger les

obstacles et nous permet alors de les questionner et de commencer à prendre conscience des

mouvements profonds qui nous animent. En ce sens, l’inédit est sans doute au fond la mesure de

notre ignorance. Raviver notre conscience implique d’être capables de changer notre regard sur

elle279.

98 – La part de l’oubli – Dans la peur de ne pas apparaître infaillibles, les juristes font mine

d’être atteints d’hypermnésie l’instant d’avant ; et nient ou déforment les choix du passé l’instant

d’après. Au tournant se cachait l’inédit, que l’on a passé sous silence car trop révélateur, cet inédit

qui juste après n’était plus. Oublie-t-on le droit tel qu’il l’a précédé ou alors oublie-t-on de

demander ou de dire pourquoi telle orientation a été prise ? Oublie-t-on quant au phénomène

judiciaire la question de savoir si le discours a fait l’objet d’une révélation ou d’une construction ?

Les cas inédits nous rappellent que le droit serait tantôt à retrouver, tantôt à reconstruire. Si le

droit sourd du fait et si l’inédit permet de clarifier, confirmer, progresser ; peut-on jamais

s’arrêter ? Sans doute est-ce par crainte d’une éternelle fuite en avant que nous revenons sans

cesse sur nos pas, vers un déjà vu rassurant qui donne l’illusion de maîtriser les événements. À

nier l’inédit les juristes courent après des chimères. De même que le rêve de régularité n’était

qu’un rêve, « toute la science de cette terre ne me donnera rien qui puisse m’assurer que ce

monde est à moi »280.

99 – Le droit en fuite – Devant l’insaisissabilité de leur objet les juristes devraient sans doute

préférer une modeste question à un hautain silence ou à une fragile réponse. La fameuse

prudence des juristes ne doit pas se confondre avec leur rêve d’infaillibilité. C’est en recherchant

plutôt qu’en affirmant que les juristes confirment leur autorité et donnent corps à leur prudence.

C’est aussi en admettant que les raisons sont difficiles à déterminer, et que l’on peut se tromper,

qu’ils retrouvent l’humilité qui ne devrait jamais les quitter.

279 K. Sarafidis, Bergson. La création de soi par soi, Paris, Eyrolles, 2013, p. 34. 280 A. Camus, Le mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1985, p. 37.

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Table des matières

Introduction 10

Première partie : Le cas inédit entre redite et création 15

A) Un retour au connu 15

1. L’inédit de retour : l’extension des qualifications 16

2. L’entretien du mythe de la sécurité juridique 23

B) La reconnaissance de l’inédit : de la question à la création 32

1. L’expression d’un pouvoir 32

2. Le rôle déterminant de la question de droit 37

3. La construction d’une cohérence 42

Conclusion de la première partie 45

Seconde partie : L’inédit au cœur d’une tension entre implicite et explicite 46

A) La place de l’implicite 47

1. La construction des cas entre généralisation et particularité 47

2. La brièveté de la motivation, une réserve pour l’inédit à venir 63

B) La décision ou le retour de l’explicite : l’inédit découvert 68

1. L’inédit comme moyen de connaissance du droit 68

2) L’inédit de solution, marque d’une évolution constante 70

Conclusion générale 74

Bibliographie 78

Page 77: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

77

Page 78: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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Bibliographie

I. Monographies, ouvrages collectifs, recueils de textes et dictionnaires

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Economica, 2ème édition, 2012

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Montchrestien, 9ème édition par F. Chabas, 1998

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Puf, Licence droit, 2ème édition, 2011

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Thémis Droit, 3ème édition, 2012

Fabre-Magnan (M.), Droit des obligations. Tome 2 – Responsabilité civile et quasi-contrats, Paris, Puf,

Thémis Droit, 3ème édition, 2013

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Page 83: Le traitement des cas inédits - Mémoire 2016

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Cass. Ass. Plén. 2 avril 1993, n° 89-15.490

Cass. Civ. 2ème, 2 mars 1915

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Cass. Civ. 3ème, 25 février 2016, n°15-13.856, obs. Y. Rouquet, D. 2016. 545.

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CJUE, gde ch. 18 octobre 2011, JCP G 2012.146

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