Le thème des « Quinze signes du jugement dernier » dans la tradition française

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Reine Mantou Le thème des « Quinze signes du jugement dernier » dans la tradition française In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 45 fasc. 3, 1967. Langues et littératures modernes — Moderne taal- en letterkunde. pp. 827-842. Citer ce document / Cite this document : Mantou Reine. Le thème des « Quinze signes du jugement dernier » dans la tradition française. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 45 fasc. 3, 1967. Langues et littératures modernes — Moderne taal- en letterkunde. pp. 827-842. doi : 10.3406/rbph.1967.2693 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1967_num_45_3_2693

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Reine Mantou

Le thème des « Quinze signes du jugement dernier » dans latradition françaiseIn: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 45 fasc. 3, 1967. Langues et littératures modernes — Modernetaal- en letterkunde. pp. 827-842.

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Mantou Reine. Le thème des « Quinze signes du jugement dernier » dans la tradition française. In: Revue belge de philologie etd'histoire. Tome 45 fasc. 3, 1967. Langues et littératures modernes — Moderne taal- en letterkunde. pp. 827-842.

doi : 10.3406/rbph.1967.2693

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1967_num_45_3_2693

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LE THÈME DES « QUINZE SIGNES DU JUGEMENT DERNIER»

DANS LA TRADITION FRANÇAISE

Récemment, nous avons été amenée à donner une édition critique d'une version des Quinze signes du Jugement dernier (1). Il s'agissait de la version la plus représentative si l'on songe aux nombreux manuscrits français des xnie et xrve siècles qui la conservent. Nous avons déjà attiré l'attention sur l'intérêt que présentait ce thème fort apprécié au moyen âge. Jusqu'à présent, personne n'avait envisagé l'ensemble de la tradition française.

Nous nous proposons de réunir un certain nombre de textes où il est question des quinze signes, afin de les rapprocher de notre poème, de préciser leurs sources textuelles latines ou françaises, de dégager leurs traits particuliers. Nous nous limiterons aux textes du xne au xve siècle. C'est pendant cette période que le thème a été le plus répandu (2). Nous ne reviendrons plus aux sources lointaines de ce qu'on a appelé« la légende des quinze signes». Celles- ci ont été longuement étudiées par G. Nolle (3), G. Grau (*) et M. W. Heist (5).

La plupart des versions qui font l'objet de notre étude ont été publiées. Nous avons jugé utile de reproduire ici celles qui restaient inédites.

***

(1) Dans les Mém. et Publ. de la Société des Sciences, des Lettres et des Arts du Hainaut, t. 80 (1966), fasc. 2, pp. 112-212. Une autre édition a paru simultanément : E. von Krae- mer, Us quinze signes du jugement dernier, poème anonyme de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle publié d'après tous les manuscrits connus avec introduction, notes et glossaire {Commentationes humanarum litterarum, vol. XXXVIII, n° 2), Helsinki, 1966.

(2) Voy. G. Gröber, Grundriss der romanischen Philologie, 11/ 1, Trübner, Strassburg, 1902, pp. 691, 692 et 865, 866.

(3) Die Legende von den fünfzehn Zeichen vor dem jüngsten Geruht, in Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur, VI (1879), pp. 412-476.

(4) Quellen und Verwandtschaften der älteren germanischen Darstellungen des jüngsten Gerichtes. Anhang I Quelle und Entwickelung der Legende von den fünfzehn Vorzeichen des jüngsten Gerichtes, in Studien zur englischen Philologie, XXXI (1908), pp. 276-279.

(5) The Fifteen Signs Beßre Doomsday, East Lansing, Michigan College Press, 1952, pp. 91-95, 98, 101.

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Notons tout d'abord qu'en général, le thème des quinze signes qui auront lieu pendant les quinze jours précédant la fin du monde est accompagné d'une tableau du Jugement dernier, de la béatitude qui attend les bons et des peines que subiront les mauvais. Dans quelques adaptations, il est seulement question des signes. Rappelons ici brièvement en quoi consistent ces prophéties fort horribles qui impressionnaient les foules : une pluie de sang tombera et colorera la surface de la terre (premier signe) ; les étoiles tomberont du ciel (second signe) ; le soleil s'obscurcira (troisième signe) ; la lune, devenue rouge, descendra du ciel et se précipitera dans la mer (quatrième signe) ; les bêtes se jetteront dans leurs fosses et crieront (cinquième signe) ; la surface de la terre sera nivelée par suite des tremblements (sixième signe) ; les arbres, sans feuilles et le tronc fendu, monteront vers le ciel (septième signe) ; la mer s'élèvera jusqu'au ciel, puis reviendra dans son lit (huitième signe) ; tous les fleuves parleront (neuvième signe) ; le ciel et la terre se fendront et les diables sortiront de l'enfer (dixième signe) ; l'arc-en-ciel descendra du ciel et se mêlera aux vents pour précipiter les morts et les diables en enfer (onzième signe) ; le ciel se refermera (douzième signe) ; les pierres se combattront (treizième signe) ; les tempêtes et les orages se déchaîneront et les nuages descendront vers la mer, puis vers l'abîme (quatorzième signe) ; le ciel et la mer brûleront complètement (quinzième signe).

Les sources auxquelles les différents auteurs du moyen âge ont recouru sont très variées. Nous les signalerons au fur et à mesure.

Examinons en premier lieu le poème que nous avons publié. Il est à rapprocher du IVe livre d'Esdras (chap. 5 et 6 et chap. 15 et 16), apocryphe écrit au premier siècle après J.-G. On sait cependant combien son auteur a puisé dans l'Ancien et le Nouveau Testament. C'est probablement à Bède le Vénérable (x) que revient l'idée d'avoir traité les quinze signes en quinze jours (2). M. W. Heist fait remonter notre poème à V Apocalypse de Thomas (3) et ceci par l'intermédiaire d'autres versions. Il a relevé des similitudes frappantes (3) avec les strophes 153 à 162 du poème Saltair na Ram (5) et avec les versions en prose The Evernew Tongue (β) et Airdena inna Côic La nDéc ria mBrâth (7), trois textes irlandais. Il s'est toutefois trouvé devant de nombreuses difficultés et

(1) Texte publié par J. P. Migne, Patrologia latina, XGIV, col. 555. (2) Cf. l'opinion de Michaelis, Quindecim signa ante judicium, in Archiv für das Studium

der neueren Sprachen und Literaturen, XLVI (1870), p. 59. (3) Op. cit., p. 62. Il renvoie à la traduction anglaise du texte latin, faite par M. R.

James, The Apocryphal New Testament, Oxford, 1924, pp. 559-562. (4) Op. cit., pp. 91-92. (5) Publié par M. W. Heist, op. cit., pp. 2-21 (accompagné d'une traduction anglaise). (6) Éd. W. Stoken, The Evernew Tongue, Eriu, II (1905), pp. 96-162. (7) Éd. W. Stoken, TL· Fifteen Tokens of Doomsday, in Revue Celtique, XXVIII (1907),

pp. 308-326.

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a été obligé de faire intervenir un poème irlandais sur V Antéchrist, une version latine disparue et des sources inconnues (x).

M. E. von Kraemer, qui a publié récemment notre poème d'après un autre manuscrit de base (notre ms. D = B.N.fr. 2094), a longuement étudié les sources de chaque signe en particulier (2). Il a également consacré quelques pages à la place du poème parmi les différents types de la légende des quinze signes (3). Nous y retrouvons les versions étudiées par M. W. Heist. Nous avons donc jugé inutile de revenir sur ces questions.

Ajoutons toutefois que, dans de nombreuses versions, on retrouve le nom de saint Jérôme, qui prétend avoir trouvé l'énumération des quinze signes dans les « Annales des Hébreux» (4). Nous ne savons pas s'il faut prendre ce titre au sens strict ou si Jérôme fait seulement allusion à des écrits juifs en général. Ce texte n'a pas encore été découvert et certains auteurs vont même jusqu'à nier son existence. On a peut-être joint le nom du saint à la « légende » pour qu'elle ait plus d'importance.

Voici les autres représentants de la tradition française étudiée dans l'ordre chronologique :

1. Le manuscrit français n° 6 de la «John Rylands Library» à Manchester, fol. 12r°, contient un petit poème de 117 vers en alexandrins. Cette rédaction, copiée en anglo-normand au xine siècle, n'a pas été signalée par M. W. Heist.

D'après les éditeurs R. Fawtier et E. C. Fawtier-Jones (5), l'auteur s'est inspiré, fort librement d'ailleurs, du texte faussement attribué à saint Jérôme. Ils renvoient à ce propos à un texte publié dans la Patrologia latina de Migne, XCIV, col. 555, où figure un passage de Bède le Vénérable.

Les taches sur le parchemin ont rendu illisibles les vers 13 à 21 et 62 à 102, respectivement les trois premiers signes et les cinq derniers.

Les quinze signes s'y déroulent en quinze jours. Au Jugement dernier, les martyrs et les confesseurs trembleront et la Vierge demandera en vain grâce pour les pécheurs. L'auteur cite en passant seint Jeromes, la Sibille (6) et VEscrip- ture.

Le poème offre d'autres caractères particuliers : les animaux et les oiseaux s'assembleront sur la mer et crieront (4 e jour) ; ils ne voudront ni manger ni

(1) Voy. les trois arbres généalogiques proposés par M. W. Heist, op. cit., pp. 99, 100 et 102.

(2) Op. cit., pp. 15-34. Cf. les Notes de notre édition, pp. 184-203. (3) Op. cit., pp. 13-15. (4) Voy. G. Michaelis, op. cit., pp. 51-54 ; G. Nolle, op. cit., pp. 418, 419 ; G. Grau,

op. cit., pp. 274-275. (5) Dans Romania, XLIX (1923), p. 340. (6) Sans doute la Sibylle Erythrée, considérée, au moyen âge, comme la prophétesse

du Jugement dernier.

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boire (5e jour). Cf. 11e signe de Airdena (x) ; le ciel, la terre, les eaux et les vents ( ?) brûleront (suite du 4 e signe) ; les gens s'évanouiront quand la terre tremblera (7 e jour) ; les étoiles luiront du côté de l'Occident comme le soleil à midi.

Il paraît impossible de préciser les sources de ce poème. L'auteur a dû connaître le texte de Bède ou un texte qui s'y rattache, ainsi que d'autres écrits en langue vulgaire.

2. La version contenue dans un manuscrit du xme siècle, f. fr. 17177 de la Bibliothèque nationale, fol. 281r°b-v°b, se rattache directement au texte de Bède le Vénérable ou du Pseudo-Bède (2). Il s'agit d'un poème de 112 vers octosyllabiques à rimes plates. L'auteur a traduit presque mot à mot son original latin dans les 87 premiers vers. Il y a joint un bref commentaire sur le Jugement dernier, différent de celui qu'on trouve à la suite d'autres poèmes sur les Quinze signes.

3. Bérengier est l'auteur d'un poème conservé dans le manuscrit f. fr. 1444 de la Bibliothèque nationale, fol. 61r°a-v°a (3). C'est une version en alexandrins groupés en laisses dont la longueur varie entre 11 et 25 vers. L'auteur l'a insérée dans Y Antéchrist, composé dans la première moitié du xme siècle, selon E. Walberg (*). Il s'est inspiré du texte de Bède le Vénérable, ce qui est également l'avis de G. Nolle (5). Il ajoute cependant quelques détails : le Jugement aura lieu lejour de Pâques, c'est-à-dire un jour après le quinzième signe ; tous les hommes seront ressuscites à l'heure où le Christ fut ressuscité. Le poème se termine par une exhortation à servir Dieu et à prier pour le rachat des péchés.

4. G. Nolle (6) et, après lui, M. W. Heist (7) ont signalé un poème, dont l'incipit serait : El primer signe que sera et qui figurerait au fol. 8v° d'un manuscrit écrit en 1251, n° 307 de la Bibliothèque de l'Arsenal à Paris (8). Mais le manuscrit 305 de la Bibliothèque de l'Arsenal contient des lettres de saint Augustin et le manuscrit 307 est un manuscrit latin qui contient aux fol. 1-23 un texte de Jean Damascene. Il s'agit en réalité de l'ancien manuscrit fr. 306, aujourd'hui dans les catalogues sous le n° 3645. Le vers, donné comme incipit, n'est autre que le vers 281 du poème anonyme sur Y Antéchrist publié

(1) M. W. Heist, op. cit., p. 81. (2) Voy. G. Nolle, op. cit., p. 424 ; M. W. Heist, op. cit., p. 142, 143. Le texte a été

publié par ce dernier dans Mediaeval Studies, XV (1953), pp. 191-193. (3) Texte publié par E. Walberg, Deux versions inédites de la légende de l'Antéchrist en

vers français du XIIIe siècle, Lund, 1928, pp. 68-71. Voy. aussi V Histoire littéraire de la France, XVIII, p. 838. (4) Op. cit., p. Lxxi. Sur l'analyse du poème, voy. pp. lv-lxvii. (5) Op. cit., p. 424. M. W. Heist n'a pas utilisé cette version dans son étude. (6) Op. cit., p. 472. (7) Op. cit., p. 213. (8) Dans l'ouvrage de G. Nolle, on trouve aussi l'indication du n° 305 de l'Arsenal.

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par E. Walberg (*). Celui-ci a comparé le poème à la version latine de P. Comestor (2) que G. Nolle avait indiquée (3). Il a relevé certaines concordances textuelles avec notre poème (4). Sans doute, d'autres détails, tels que les fleuves qui crieront (2e signe) et la lune qui descendra du ciel (12e signe), sont-ils également des réminiscences de notre poème. Les 11e et 12 e signes sont propres à la version insérée dans l' Antéchrist.

5. Le manuscrit français 3516 de la Bibliothèque de l'Arsenal à Paris contient un poème sur les Quinze signes, suivi du Jugement dernier, fol. 155r°- 156v°c. Il a été transcrit au xnie siècle. Cette version compte 140 alexandrins, répartis en 12 laisses de longueur inégale (5). M. W. Heist l'a étudiée en montrant combien il est difficile de suivre la filiation des nombreux poèmes traitant de ce sujet si populaire. Il a pu y déceler l'influence de plusieurs versions. La source principale est la Légende dorée de J. de Voragine (6).

6. Le manuscrit français n° 9106 de la Bibliothèque royale de Belgique, de la fin du xme siècle, fol. 253r°a-v°b, contient une version en prose qui se rattache à celle de Petrus Comestor. Les différences entre les deux textes ont été signalées par M. W. Heist (7). Le contenu du 15 e signe est propre à la version française (8). Il n'y a pas lieu de la rapprocher des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles, comme l'a fait M. W. Heist.

7. Notre poème a été remanié en prose (9). Cette rédaction a été conservée dans un manuscrit du début du xrve siècle, f. fr. 15212 de la Bibliothèque nationale, fol. 156r°b-161r°a (10). Tantôt l'auteur a repris tels quels des vers de son modèle, tantôt il a paraphrasé le texte.

La description des signes est précédée du prologue et suivie du récit du Jugement dernier. Dans la partie consacrée aux signes, M. W. Heist a relevé

(1) E. Walberg, op. cit., pp. 10-27. Voy. sur l'analyse du poème et les sources, pp. xiv-xxn. (2) Historica evangelica, chap. cxl. (3) E. Walbero, op. cit., p. xix. (4) Ibidem, p. xxi. Il s'agit des enfants non encore nés qui crieront dans le sein de leur

mère pour implorer la grâce du Seigneur (w. 285-308). (5) Texte publié par M. W. Heist dans Mediaeval Studies, XXII (1960), pp. 196-199. (6) Voy. M. W. Heist dans Mediaeval Studies, XXII (1960), pp. 192-195. Il serait

trop long de reprendre ici tous les arguments avancés par l'auteur. Texte complet de la version de J. de Voragine d'après l'édition de Nürenberg, reprise

par H. E. Sandison dans Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen, GXXIV (1910), pp. 77-79.

(7) Dans Mediaeval Studies, XXII (1960), p. 201. (8) Voy. pp. 840, 841. (9) II ne s'agit pas d'un texte en vers, contrairement à la mention du Catalogue général

des manuscrits. Ancien Suppl. français, III, p. 329. (10) Voy. G. Nolle, op. cit., p. 451 ; M. W. Heist, op. cit., pp. 176, 177. Le texte a été

publié par ce dernier dans Mediaeval Studies, XV (1953), pp. 193-197.

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quelques détails qui s'écartent de notre poème. Il s'agit de l'ordre du 7 e et du 8 e signe et de la bataille des arbres qui montent vers le ciel. Il faut y ajouter l'arc-en-ciel qui descendra du ciel et mettra les diables en enfer (1). G. Nolle a prétendu que le signe appelé li consommations de tous les autres différait de notre poème. En effet, G. Nolle entendait par « tous les autres » les humains autres que les pécheurs (2).

Nous croyons avec E. Walberg qu'il faut comprendre : « la consommation des signes précédents» (3).

Le passage concernant le Jugement dernier est bourré de réminiscences de textes en langue vulgaire : les quatre évangélistes joueront de la trompette pour assembler tous les hommes dans la vallée de Josaphat ; les morts auront 32 ans lors de la résurrection ; Dieu sera accompagné des anges, de sa mère, des vieillards, des prophètes et des patriarches ; les anges porteront la croix, les clous, la couronne et la lance de la Passion du Christ ; les hommes seront partagés en quatre groupes : les deux premiers seront sauvés et les deux autres damnés ; la description des sept tourments de l'enfer est suivie de l'évocation de la «joie des amis» de Dieu.

8. Le manuscrit fr. 15212 de la Bibliothèque nationale contient également une version en prose des Quinze signes aux fol. lr° et v° (4), en tête d'une chronique universelle abrégée, depuis Adam jusqu'à Artaxerxès. Il s'agit d'une traduction du texte latin de Bède le Vénérable. Il est évident qu'il n'y a aucun rapport avec le texte qui suit dans le manuscrit.

9. Les vers acrostiches de la Sibylle, insérés dans la Cité de Dieu de saint Augustin (XVIII, 23) (5) sont la source d'un poème à refrain en 23 couplets de quatre vers octosyllabiques à rimes plates. Chaque vers du poème latin a été développé en une strophe. Cette version n'a pas été signalée par G. Nolle, qui publiait son étude vers l'époque où P. Meyer faisait connaître ce petit poème, conservé dans un manuscrit italien du début du xive siècle (6).

10. Le manuscrit du xve siècle, f. fr. 19397 de la Bibliothèque nationale, fol. 106v°-108v°, contient une version en prose des Quinze signes (7). Il s'agit

(1) Voy. w. 244, 245 note p. 195 de notre édition. (2) II s'agit du 15 e signe et non du 5 e signe comme l'a indiqué G. Nolle. (3) Ε. Walberg, op. cit., p. xxi, note 1. Il a repris le chiffre erroné de G. Nolle. (4) Texte ni signalé, ni publié jusqu'à présent. Voy. p. 841. (5) G. Nolle, op. cit., pp. 417, 419, 420, a considéré ce texte latin comme un type de

la« légende» ; il l'a reproduit p. 459. M. W. Heist, op. cit., pp. 58, 59, a montré qu'il ne peut être compté parmi les types et qu'il présente tout au plus des ressemblances avec la « légende ». Il a uniquement signalé le poème français dans sa bibliographie p. 220 (où le numéro du manuscrit est d'ailleurs erroné).

(6) P. Meyer, Notice du Ms. Plut. LXXVI n° 79 de la Laurentienne (Florence), in Bulletin de la Société des anciens textes français, V (1879), pp. 72-95.

(7) Texte publié par M. W. Heist, dans Mediaeval Studies, XV (1953), pp. 190, 191.

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d'une traduction d'un passage de la Légende dorée de Voragine. G. Nolle (1) faisait dériver cette version de Petrus Comestor. Les similitudes entre les deux textes sont incontestables, puisque le passage de la Légende dorée remonte vraisemblablement aux textes de Petrus Comestor et de Damien (2).

1 1 . Le manuscrit appartenant à M. von Steiger à Berne contient une version des Quinze signes en 21 couplets de huit vers (2). Le texte, transcrit au xve siècle, figure du fol. 6v°a au fol. 7v°a (4). G. Nolle (5) et M. W. Heist (β) n'ont pas vu le manuscrit et, par conséquent, ne se basent que sur les deux premiers signes reproduits par A. Tobler pour rattacher le poème à celui que nous avons publié. Ils ont fait remarquer l'un et l'autre que les cris des enfants non encore nés ont été omis.

En général, l'ordre et le contenu des signes correspondent à ceux de notre poème. Les différences n'apparaissent que dans quelques détails : tous ceux qui sont en enfer sortiront, sauf Satan ; la pluie de sang durera trois jours. L'auteur n'a pas utilisé une version contenant le prologue. Dans les trois premiers couplets, il nous dit que le jour du Jugement dernier sera précédé d'une énorme tempête et de quinze signes (d'après le témoignage de certains Pères de l'Église, tels que saint Grégoire, saint Jérôme, saint Ambroise et saint Augustin). L'auteur insiste surtout sur la peur du Jugement (les vers Pour la paour dujugemant et Lejugemant redobteront sont répétés quatre fois). Au Jugement dernier, Dieu montrera la croix, les clous, la couronne et la lance de la Passion, ainsi que ses plaies. Ensuite, il récompensera les bons et damnera les méchants.

12. Il existe une seconde version du poème précédent conservée dans le manuscrit A 260 de la Bibliothèque de la Bourgeoisie à Berne, fol. 153v°- 157v°, également écrit au xve siècle (7). Elle n'a été ni publiée, ni signalée dans les études antérieures consacrées au thème des Quinze signes. Le copiste a transcrit le même modèle que celui qu'a utilisé le copiste du manuscrit de M. von Steiger. Les variantes montrent que l'un et l'autre ont commis des fautes séparément, à des endroits différents. Le contenu des 167 premiers vers est identique. La dernière partie comprend 67 vers non groupés en cou-

(1) Op. cit., p. 440. (2) Texte de Damien publié par J. P. Migne, Patrologia latina, col. 840-884. (3) Peut-être faut-il y voir des vers de seize syllabes rimant aaaa, comme l'a fait G.

Naetebus, Die Nicht-lyrischen Strophenformen des Altfranzösischen, Leipzig, 1891, pp. 92, 93. On notera cependant un nombre d'irrégularités dans le schéma des rimes.

(4) Les 35 premiers vers ont été publiés par A. Tobler, Eine handschriftliche Sammlung altfranzösischer Legenden, in Jahrbuch für romanische und englische Literatur, VII (1866), pp. 403, 404.

(5) Op. cit., p. 451. (6) Op. cit., pp. 182, 183. (7) La mention sine titulo du Catalogus codicum bernensium {Bibliotheca Bongarsiana), p.

296 est erronée.

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plets. Il s'agit d'un long développement sur le sort des pécheurs, qui, malgré l'intervention de la Vierge en leur faveur, souffriront les peines de l'enfer, alors que les bons goûteront la «joie du paradis» (1).

13. Le manuscrit du xve siècle, f. fr. 1181 de la Bibliothèque nationale, fol. 135r°-137v°, a conservé un poème de 128 vers octosyllabiques, groupés en couplets de huit vers (2). Sa source est la Légende dorée (3) et non Y Historica scholastica, comme l'affirmait G. Nolle (*). Il n'est pourtant pas exclu que le copiste ait versifié une version française en prose, traduite àson tour du texte latin. Le Jugement dernier est évoqué dans le couplet final.

14. Le livre imprimé en 1492 par Antoine Vérard, L'art de bien vivre et de bien mourir, contient un poème très proche de celui du manuscrit 1 181 ci-dessus(6). G. Nolle le place dans le groupe appartenant au « type» Petrus Gomestor et nous renvoie à l'édition de Gh. Nisard (e). Or ce dernier ne nous donne pas le texte en question, mais reprend celui qui a été inséré dans un livre de colportage publié à Troyes en 1 728 (7). Toutefois, il s'agit très probablement d'une version des Quinze signes identique à celle qui figure dans L'art de bien vivre et de bien mourir (8).

15. La version française en prose du Lucidaire (9) datant du XVe siècle et basée sur YElucidarium d'Honorius n'a pas été signalée dans l'étude des Quinze signes : on y trouve la description des signes, inspirée du texte de Thomas d'Aquin (10). M. H. Shields (u) a montré, avec raison, que Γ interpola teur connaissait d'autres versions des Quinze signes en prose et en vers.

16. Dans Li Ver del Juïse (12), L. Petit de Julleville (13) .retrouvait« Pénuméra- tion des quinze signes qui annonceront le jugement dernier». L'auteur a,

(1) Voy. les variantes, pp. 835-840. (2) Texte publié par M. W. Heist, dans Mediaeval Studies, XV (1953), pp. 187-189. (3) Cf. M. W. Heist, op. cit., pp. 172, 173 et 198. (4) Op. cit., p. 440. (5) Voy. E. Mâle, L'art religieux de la fin du moyen âge en France, Paris, 2 e éd. 1922,

p. 478. Voy. aussi les gravures qui accompagnent L'art de bien vivre et de bien mourir, pp. 480- 481.

(6) Op. cit., p. 441. (7) Ch. Nisard, Histoire des livres populaires, Paris, 2 e éd. 1854, pp. 326, 327. Édition

reprise par M. W. Heist dans Mediaeval Studies, XV (1953), pp. 197, 198. (8) Voy. Ch. Nisard, op. cit., pp. 322, 323. Voy. aussi E. Mâle, op. cit., pp. 440, 441. (9) Édition d'après l'imprimé antérieur à 1480 par J. Nachbin, Le Lucidaire, Paris,

Publications Elucidarium, 1938, pp. 27, 28. (10) Texte publié par G. Nolle, op. cit., p. 461. (11) Op. cit., p. 113. (12) Éd. H. von Feilitzen, Li Ver del Juïse, Thèse Upsala, 1883, pp. 18, 19. Voy. aussi

pp. cxxvin-cxxxn. (13) Histoire de la langue etde la littérature française, Paris, A. Colin, 1909, t. II, p. 213.

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en effet, traité des « signes », mais ceux-ci n'ont rien de commun avec notre poème, ni avec les autres versions énumérées ci-dessus.

L'iconographie médiévale constitue une preuve supplémentaire de la popularité des Quinze signes du Jugement dernier. On notera par exemple qu'ils ont été figurés dans un manuscrit anglo-normand du xive siècle, d'après une version proche de celle de Petrus Comestor. Le copiste a accompagné les miniatures de quelques mots d'explication. Les fol. l-42v° ont été publiés en fac-similé par W. O. Hassall, Tfie Holkham Bible picture book, The Dropmore Press, 1954. Les signes occupent les fol. 40v°-42r° (voy. le commentaire des illustrations, pp. 152-154).

Le thème a été traité dans d'autres langues, parmi lesquelles il faut citer l'italien, l'espagnol, l'anglais, l'allemand. Il importe cependant de souligner qu'il a connu davantage de succès en France. Si tous ces textes ont été rédigés en langue vulgaire, c'est parce qu'au moyen âge ce thème d'origine vraisemblablement biblique est devenu populaire.

I. Texte du ms. appartenant à M. von Steiger à Berne.

Des XV signes devant le jour du jugement. fol. 6 v<>a En l'oneur et a la loenge 1 De Jhesucrist premieremant Et de sa sainte virge mere Qui l'enfanta virginelmant Veil recorder les XV signes 5 Que ly Père onipotens Desmostrera a tout le peuple Devant le jour du jugemant. Saint Grégoire avec saint Jheroime, Saint Ambrose avec saint Augustin 10 Tesmoignent, avant que il vuille De ce monde faire la fin, Tel tempeste vendra sur terre Pour mestre nostre foy a fin, Et puis venront les XV signes 15 fol. 6v°b Comme on treuve en latin. Les quatre doctours de la foy, Dont Pigliese est enluminée, Dient que au jour du jugemant Sera si creuse jornee 20

Variantes du ms. A 260 à Berne : titre Ce sont les XV signes/Et les jours dou jugement — 5 V. recorder 1. — 6 Q,dieu Ie — H Tesmoigniant que a. que dieu v. — 13 Tempeste v. — 16 Si commen on t. — 19 Dieu qu'ara a j. — 20 I f ara si —

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Qu'a chascun selon sa déserte Sara sa penence donnée ; Adonc n'y havra si ardy Qui n'ait la chiere tormantee. Les XV signes veil retrahire 25 Si come tesmoigne clergie : Ly premier signe si saraz Que par trois jour plouvra tel pluie, Ausi roige comme cler saing. Glorieuse virge Marie ! 30 Qui bien panserait a tel chose, II ne feroit nulle folie. Et le secons signe d'après Sera mervoillieux a voir : Les estoilles cherront du ciel 35 Dessus la terre tost, pour voir. Pensons y bien toutes et tous, Et nous ferons nostre davoir, Quar adont n'y voudra riens Ce tressour d'or ne d'avoir. 40 Et le tier signe si sera De moult grant esbaïssemant : Le beaux soloit, qui luist si cler, Deviendra plus noir qu'arement, Quar endroit l'oure de miedy 45 Saront ténèbre droitemant G'on ne verra sur terre goûte : Ce sara mervoillioux tormant. Le quars signe que Dieu voudra Devant le jugemant moustrer 50 Sera que l'on verra la lune Plus roge que n'est saing tout cler, En forme d'ung petit enfant

24 n'aiez la {leç. du ms. A 260) — 44 qu'ahemant (leç. du ms. A 260)

21 Quar a chascum s. — 22 sa penitence d. — 24 la chers t. — 26 Si coman t. — 28 plovra ploge — 29 r. comen c. — 31 b. y p. en t. — 31 mq. — 33 Les signe qui venra aprest — 36 t. tout p. — 37 P. il b. — 39 Q,. adonques ne vaura r. — 40 Le t. ne d'or ne d'argen — 43 q. luy sy — 49 Les quatre s. — 50 j. demonstrera — 51 S. tel que on v. — 52 q. nes s. —

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Ce sera Dieu tresfigurez ; Pour la paour du jugemant 55 fol. 7r°a Voudra dessendre en mie la mer. Et le quint signe si sera Plaint de tristece et de dolour : Ces bestes mues crieront Mercie a Dieu, leur Greatour ; 60 Leur teste en hault lèveront Molt haront angoisses et tristours. Qui a tel chose panseroit II ne feroit nulle folie. Le sixte signe si sera 65 Espovantable a regarder : Toutes les montaines dou monde Iront l'une a l'autre hurter ; Pour la paour du jugemant Feront si fort terre cruler 70 Et les arbres trabucheront. Chascun y devroit bien panser ! Le .VIJe. qui après venra Ce sara unng mervollieux signe : Ly arbres qui seront cheüz 75 Par tempestes et par ruïne Tout contremont se lèveront Et sara desus la racine. Adont ne sera tours ne chastel Qui ne trabuche et deffine. 80 Le .VIIJe. signe d'après Sara plaint d'orrible tormant : La mer soudra de son rivaige En montent en ciel droitemant. Toutes choses redobteront 85

65 signe sera — 71a. trabicheront (leç. du ms. A 260) — 73 Le .VIJ. qua a. {leg. du ms. A 260)

54 La f. — 57 de destresse et — 59 Les b. — 60 d. ly crieront — 61 Leurs testes en — 62 et tristece — 64 v. mie f. — 68 autre hurté — 70 F. très fort trambler — 71 Que 1. — 72 Ch. il d. — 73 Et le VIJe qui v. — 76 Pour tempeste et grant vanture — 77 T. contre amont se relèveront — 78 Et desus saront les racines — 80 Que lours ne t. et deffiner — 81 Et le — 84 m. vers le fermemant — 85 ch. que dieu onque fit —

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Quan que Dieu a fait propremant. La terre frémira d'angoisses Et tremblera le firmemant. Aux .IXe. deis XV signe Davrons nuit et jour panser : 90 Toutes les eaue dou monde fol. 7rob Vauront a voix d'orne crier ; En redobtant le jugemant Iront a Dieu mercy crier Et demanderont pour quel cause 95 II fait le firmemant tranbler. Il est vray que au Xe signe Les cherubin et seraphin, Les anges du ciel trembleront, Le jugemant redobteront. 100 La terre criera : «Je fens !», Quar ceux d'enfer ystront, Excepté le faulx Sathanas, Qui a Dieu mercie crieront. Et le XIe signe d'après 105 Plaint d'angoisse et de tormant sara, Quar tel angoisse et tel tempeste Deis ciel sus terre dessendront ; Et par la force dou tormant Le dessus desouz tornera. 110 Les prophètes et les docteurs Dient que ausint adviendra. Au XIIe deis XV signe, Les IX ciel si destorberont. Tous les sains et toutes les saintes 115 Le jugemant redobteront ; A Jhesucrist, nostre doux Père, Humblemant mercy crieront. Helas ! lor, povres pecheours

103 c. d'effert y. (leç. du ms. A 260)

86 Redoubteron le jugemant — 89 Les IXe — 90 D. jour et nuit p. — 91 c. de ces m. — 92 Venrons a voix d'omes parler — 97 Doulce gens del Xe — 98, 99 intervertis — 102 Q,. tous les signes ceulx d'enfert i. — 106 P. d'angoisseux t. — 107 t. tonnent et — 108 D. cieulz s... t. dessendra — 110 Sem d. — 112 D. qu'an ceulx un a. — 1 14 Le IX cieulx se se recloront — 1 19 H. les p. —

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Molt grant dolour au euer haront. Les XIIJe signe sera De molt mervoillieuse maniere : Les pieres si se encontreront Et feront bataille si fiere Que ausint menues devenront Comme unng pertuis de pareïs. Pour la paour du jugemant N'y demorera piere entière. Et le XIIII* deis XV signes, II sera molt a redobter : Foudres, teneures et espart Fera Jhesucrist assambler : Avec la tempeste et oraige S'ent iront eis nues bouter ; Pour la paour du jugemant S'ent dessendront dedans la mer. Le dernier deis XV signes Que Jhesucrist demostrera Sara que toute la terre Et toute la mer ardra. Dieux fist le monde de néant, Auxi a néant revenra. Ressusciter tous noz fera Endroy le vaul de Josaphat, Car tiendra Dieux son jugemant. Et lor verront en corps et en ame Bons et malvais certainement. La croix, les clos et la corone, Qui tant firent a Dieu tonnant, Mostrera adont a tout le monde ; Chascun le verra propremant. Jhesucrist, nostre très doux Père, Ses main et ses piez mostreraz, La maniere cornant en croix Morit et puis noz denuncera

120

125

130

135

fol. 7ü°a

140

145

150

155

123 si s'entrenferront — 126 Comen est ung pitif de poudre — 129 Les XIIII d. — 137 d. de tous les s. — 139 S. tel que t. la mer — 140 la terre a. — 142 A. tout n. devanra — 143 Et a telle propre journee — 145 Tiendra jhesus s. — 146 La vanront en — 149 D. de t. — 150 Se m. a t. — 152 n. doux — 153 S. pies et mains m. — 154 c. pour nos — 155 M. en croix dénoncera —

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Les biens et les mal qu'arons fait. Desus nous cleremant verra, A chascon selon sa desserte Le paymant en donnera. Quar Dieu si demandera compte 160 Des biens qu'i nous hara prestez, De l'oneur et de la richesce, De la fource, de la beaulté. Celuy que plus hara ehuz Saraz adong le plus endebtez, 165 Et, selon la sainte Escripture, Sent nulz deffaul, plus tormantez.

Expliciunt XV signa evidencia ad diem judicii.

II. Texte du ms. 9106 de la Bibliothèque royale de Belgique, fol. 25r°a-v°b.

Gy parle des XV signes qui advendront devant le grant jugement.

Le premier des XV jours, la mer se haulcera XLV coudées par dessus les 1 montaignes et la se tendra ainsi que ung mur. Le second jor, se rabaissera tant que a paynes se l'on le pourra veoir. Le tiers jour, les grans poissons de la mer apparront sur l'eaue et criront moult horriblement. 5 Le quart jour, la mer et les autres eaus ardront par semblant. Le Ve jour, les arbres et les herbes aront rousee comme de sang. Le VIe jour, les maisons et tous ediffices tresbucheront. Le VIIe jour, les roches et montaignes fonderont et cherront. Le VIIIe jour sera par tout le monde très grant mouvement de terre. 10 Le IXe jour sera la terre toute onnie tellement que il n'y ara ne mon- taigne ne vallée. Le Xe jour ystront les hommes des cavernes ainsi comme hors du sens, et ne pourront parler. Le XIe jour, les oz des mors apparront dessus leurs sepultures. 15 Le XIIe jour, semblera que les estoilles cheent du chiel. Le XIIIe jour, sera ung si grant feu qu'il semblera que le ciel et la terre ardent ; et ce sera feu qui doibt purifier les .1111. elemens.

167 Sera défait p.

62 Dou grant bien et de — 165 S. le p. endebter — Leçon rejetée du ms. 9106 1 cousteer p.

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Le XIIIIe jour seront le ciel et la terre tous vers. Le XVe jour, les pianettes, qui orendroit sont continuellement en mouve- 20 ment, ne se mouveront adont. Et alors le soleil sera en Orient et la lune en Occident.

III. Texte du ms. de la Bibliothèque nationale, f. fr. 15212, fol. lr°-v°.

Sains Jheromes dist que .XV. signe avenront devant le jour du jugement. 1 Al premerain jour s'eslevera la terre en haut .XL. coûtes desus la plus haute montaigne du monde et sera tout aussi comme murs. Le secont jour descendront les aiguës dusques en abysme se parfont que a paines les porra on veoir. Al tiert jour reseront toutes a lour droit ordene. 5 Al quart jour, li poisson et toutes les coses de la mer s'assembleront sour les aiguës et donront vois et muiement li un as autres ; et de çou ne set nus les droites senefiances se Dix non. Al quint jour arderont toutes les aiguës, dés Orient dusques en Occident. Al sisime jour donront rousee de sanc toutes les herbes et li arbre. 10 Li edefisce al septime jour se destruiront tout. Al octime jour se combatront toutes les pierres li une en contre l'autre et se desrompera cascune en .III. parties. Al noevime jour sera li crolles si mervillous c'onques tex ne fu. Al disime jour, toutes les montaignes et les valees seront inguaus. 15 Al onzime jour isteront li homme de leur cavernes et aussi comme de fue. Li uns ne pora parler a l'autre, ne respondre. Al dousime jour, les estoiles et li signe querront du chiel. Al tresime jour s'assambleront li os des mors et se dreceront de lour sépulcres. 20 Al quatorzimes jour morront tout li hommes pour çou qu'il surrexissent od les mors. Al quinzime ardra la terre dusques en enfer et, après çou, sera li jours du jugement.

5 j. sreseront t. —

Reine Mantou. Aspirante au F.N.R.S.

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Bibliographie

W. W. Heist, The Fifteen Signs Before Doomsday, East Lansing, Michigan State College Press, 1952, 231 pp. Indication des versions des Quinze signes, pp. 204-214. Bibliographie importante, pp. 215-223.

Voici d'autres ouvrages qui ne figurent pas dans la bibliographie de W. W. Heist :

W. W. Heist, Four Old French Versions of the Fifteen Signs Before the Judgment, in Mediaeval Studies, XV (1953), pp. 184-198.

W. W. Heist, The Fifteen Signs Before the Judgment: Further Remarks, in Mediaeval Studies, XXII (1960), pp. 192-203.

M. Mila γ Fontanals, El canto de la Sibila en lengua de oc, in Romania, IX (1880), pp. 353 et ss.

P. Meyer, Daurel et Beton. Chanson de geste provençale, Paris, Didot, 1880, pp. xcvij-c.

F. Novati, Attraverso il Medio Evo, Bari, 1905. Quelques observations sur la « leggenda dei quindici segni del Giu- dizio Universale», pp. 28, 29.

R. Fawtier et E. C. Fawtier Jones, Notice du ms. French 6 de la John Rylands Library, Manchester, in Romania, XLIX (1923), pp. 321, 322 et 340-342.

M. Pelaez, Un nuovo ritmo latino sut mest ed altri latini medievali, in Studi medievali, Nuova serie VIII (1935), pp. 61 et ss.

H. Shields, «Les quinze signes descendus en Angleterre». A medieval legend in decline, in French Studies, vol. XVIII (April 1964), pp. 112-122.