Le temps du discrédit

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    Le temps

    discrdit

    A l a i n S i m o n

    conomie

    Crise des crances,

    crise des croyances

    du

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    ALAIN SIMON

    Le temps du discrdit

    Crise des crances, crise des croyances

    Quel rapport entre la crise du crdit et ladisparition des grandes croyances collectives ?La crise actuelle est-elle purement financire

    ou vient-elle dailleurs ? travers une rflexionoriginale, lauteur montre comment la monnaie est une ralit politique et idologiqueautant quconomique. Pour comprendrelconomie actuelle et sa crise en cours, il fautla regarder avec des lunettes de gopoliticien.Cest ce que propose cet essai.

    Alain Simon, conomiste et juriste de formation, estconfrencier et consultant pour les dirigeants dentreprises.Il est galement matre de confrences associ luniversitde Rennes 1 (IGR-IAE). Il a publi deux essais aux ditions

    Descartes & Cie, Gopolitique et stratgie dentreprise : Cranceset Croyances (Prix du meilleur livre d'conomie financire en1994) et Le sens des cartes, et un aux ditions Eyrolles,Gopolitique dun monde mlancolique.

    ISBN : 978-2-212-86004-7 Groupe Eyrolles, 2008

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    Table des matires

    Chapitre premier Petite chronique des mois de crises.......................10

    Prmices..................................................................11Rechute...................................................................12Ter Repetita.............................................................13Estivales..................................................................14D. Day...................................................................16

    Aux grands maux, donc............................................17Eurobalbutiements.....................................................1848 heures pour sauver le monde financier ?.......................19

    Chapitre deuxime Regards gopolitiques

    sur des crises que lon ne sait plus nommer...........22Au commencement, il y eut.......................................23conomie politique.....................................................24Une monnaie plus gale que les autres.............................26Pompes finance.......................................................28Fluctuat et mergitur...................................................30

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    Amrique, le retour.....................................................31

    la guerre comme la guerre.......................................33Profiteurs de guerre....................................................34Crdit illimit ?.........................................................35Les dettes des uns font les crances des autres......................36Petite histoire des recyclages..........................................39On prend les mmes................................................41Les recyclages du troisime type......................................43

    Tournez manges.......................................................44Last but not least.......................................................45Une Histoire qui fait des bulles......................................47La Cina e vicina........................................................50Le commerce international sen va-t-en guerre...................53Plus a change et plus cest pareil...................................57

    Barbichette conomico-politique.....................................61Chapitre troisime Du bateau ivre lge du capitaine, si capitaine il y a....................64

    Sous les pavs financiers...........................................66Y croire dur comme fer.................................................68Dis-moi quelles sont tes croyances...............................70Hors des croyances, point de salut montaire.....................72Nouveau Monde........................................................74Les croyances motrices.................................................76Des souvenirs enfouis aux croyances explicites....................79

    Aux croyances, sans rancune..........................................82Cest en croyant quon devient crdible............................84Les croyances de Ground Zero........................................88

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    Le fils de son pre.......................................................91

    Krach de croyances.....................................................95Chapitre quatrime Dune crise lautre,rglements de comptes...........................................98

    Compagnons darmes..................................................99Victoire et ingratitude, suite........................................104Les armes de la nouvelle guerre de Scession.....................107Quand un chien dans la nuit aboie une ombre, dix millechiens en font une ralit...........................................112Plus on est de fous....................................................115Entre en rsonance..................................................117Financiers suicidaires................................................118

    dfaut de pouvoir conclure..........................120

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    Peut-on lire la drive des continents dans laffolement dessismographes ? Si la gopolitique, qui sera utilise icicomme matrice de traitement de linformation, est dunequelconque utilit, cest lheure pour elle de le dmontrer.

    Car lactualit la sollicite.

    Crise, crise, crise, crise La Crise !

    Elle enfle, on nentend plus parler que delle, sans tropsavoir dailleurs sil sagit dune nouvelle ralit laquelle ilfaudrait sadapter ou dune imminence, le pire tant

    venir, qui exigerait quon se prpare sans dlai.

    Les bourrasques que lon enregistre signifient-elles que lecoup de vent est dj l ou bien quune tornade, de plusgrande ampleur encore, se profilerait ?

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    Chacun se souvient, selon son ge, de novembre 1989, de

    septembre 2001 ; mais, ces deux occasions, il sagissaitclairement dune nouvelle donne : un avant, bien connu, unaprs, plein dincertitudes. Certes, on avait rarement vuvenir les vnements, la brutalit de leur survenancestupfiait, mais la rupture tait immdiatement accomplie,un vieux monde tait mort, un nouveau allait natre.

    Nous sommes lautomne 2008 dans une perception toutediffrente. Lvnement fondateur nen finit pas de servler, dans une gestation interminable qui donne penserquune crise en dissimule une autre et, qu linverse despoupes russes, chacune est plus importante que laprcdente.

    Lheure ne semble mme pas prioritairement rflchir aumonde futur mais, peine tente-t-on de le faire, decontinuer dcouvrir les dgts laisss par celui qui nenfinit pas de mourir en abandonnant ses hritiersinvolontaires un passif insouponn. Faudra-t-il accepter ou

    refuser la succession ?La rflexion qui est ici propose tentera faire le tri entreles pripties de la quotidiennet et les tendances quonprfre appeler historiques plutt que lourdes .

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    Mais comment concilier la rapidit des ractions aux

    informations quotidiennes le travail des journalistes , etle recul, le recours au temps long apanage des historiens ?

    Jusqu une date toute rcente, le support des premiers, lapresse, se distinguait de celui des seconds, les livres ; tousdeux en papier, certes, mais aux rythmes de publicationbien diffrents.

    Lirruption dun nouveau support, le livre lectronique,brise la frontire, rend raliste le projet de parler la foisdes pripties de la mtorologie et de lvolution de laclimatologie. Ce support est donc choisi pour tre enaccord avec son sujet.

    Il sera donc question aussi bien de mnages endetts qui nepeuvent pas payer leurs chances de fin de mois, debanques qui narrivent pas boucler leurs bilans annuels, degnrations qui renvoient aux suivantes les problmesquelles ne savent pas rsoudre. Courts, moyens et longstermes sont mls dans la crise cheveau que lon va tenterde dnouer.

    Il sera aussi, et mme surtout, question des guerres, cellesdont on croit tre sortis, celles dont on nimagine pas quonpuisse y entrer nouveau.

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    Il nest cependant pas possible de faire lconomie dun

    rappel chronologique. On commencera ainsi, avant detenter de reculer, de changer de perspective, de solliciter letemps long, pour essayer de faire le tri entre les priptiesdu jour le jour et les vnements porteurs davenir.

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    Chapitre premier

    Petite chronique

    des mois de crises

    Tout est all si vite, succession des vnements et delvolution des mots pour les dsigner. Une mise enparallle des faits et des mots, sans recherche dexplicationpour le moment, fera lobjet de ce premier chapitre.

    Sans remonter aux signes non perus, commenons par lapremire prise de conscience dans le monde des non-initis.

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    Prmices

    Cest autour du week-end du 15 aot 2007, on pourraretrouver les titres des journaux, que sabattit ce quonappela aussitt une tornade boursire sur les marchs dumonde. On aurait t pourtant prudent de garder les motsemphatiques pour des dates ultrieures, car le CAC 40 se

    contentait de passer sous les 5 300 points ; il allait encoreperdre 30 % dans les 14 mois venir.

    Il sagissait alors de lirruption de la crise des subprimes ,ce fut sa premire appellation. On commena sefamiliariser avec ces crdits immobiliers risqus, o lonprtait des chasseurs de quoi acheter une maison en leurproposant de rembourser non pas en vendant des peauxdours mais grce la plus-value attendue de la maison elle-mme, sans vrifier si la rgion tait giboyeuse ou mme silemprunteur possdait un fusil.

    On crut quil sagissait dun orage isol, les marchs

    reprirent leurs esprits et, le 20 dcembre 2007, George W.Bush signait le Mortgage Forgiveness Debt Relief Act,permettant des emprunteurs, pris contre-pieds par leretournement des prix de limmobilier (et labsencedours), de conserver leurs maisons hypothques. Reliefpouvant aussi se traduire pas soulagement, on respira, et la

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    photo qui immortalisa le moment montre le Prsident

    signant, entour de responsables conomiques souriantbenotement. Sur le bureau est crit en grosses lettres : Aider les Amricains garder leur maison .

    Bonnes ftes ! Mais pas Happy New Year

    Rechute

    Ds le 21 janvier 2008, le second mandat de George W.Bush nen a plus que pour 364 jours, on ressort lexpressionde Lundi noir , clich dont on sait quil renvoie auxtraumatismes lanne 1929. Les marchs boursiers chutent,

    rechutent, aux tats-Unis et par mimtisme contagieuxdans le monde entier. La trve des confiseurs est finie, lacrise des subprimes bouge encore. Les explicationsprivilgient alors une combinaison de trois facteurs :limmobilier, limmobilier vous dis-je, mais aussi la faiblessedu dollar et la flambe des prix du ptrole. Souvenons-

    nous, le baril franchissait les 100 dollars. Cest la faute laChine, cest la faute la raret des nergies fossiles , telletait la chanson.

    Peut tre faudrait-il nommer cependant Jrme Kerviel Homme de lanne 2008 , double symbole dune finance

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    livre elle mme dune part, et dautre part de notre

    illusion que ses dysfonctionnements relevaient dunaventurisme individuel et non dun systme. La suite delhistoire lui rservera sans doute une place emblmatique.Et cest prcisment en janvier 2008 que le trader de laSocit Gnrale fit irruption dans lactualit.

    On continua cependant vivre avec lexpression de crisedes subprimes , jusqu ce quelle devint boursire en serpercutant sur les marchs des valeurs au travers duneprise de conscience par les emprunteurs que leurs biensimmeubles ne valant pas ce quils avaient imagin, ils nepourraient pas rembourser, ni consommer, et encore moinsacheter des biens meubles, les actions.

    Ter Repetita

    Jusquen mars, lorsquune faillite dun fonds de placementamricain entrane un nouveau lifting smantique. Le 14

    mars, Le Figaro titre sur la crise bancaire majeure quevivent les tats-Unis. On dcouvre que, lorsque lesemprunteurs ont des difficults de remboursement, leurscranciers ne peuvent tre au spectacle.

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    Mais lAmrique tait loin, locan tait grand, les

    Amricains avaient un problme, ctait leur problme.Ce nest pas la contagion en Grande-Bretagne ni, le 21 avril,lintervention en urgence de la Banque dAngleterre quignralisera linquitude, notamment dans le village dePetitbonum, lequel y voit confirmation que la Grande-Bretagne est comme toujours plus amricainequeuropenne.

    On continua sintresser aux tranges murs lectoralesdes tats-Unis, quand bien mme seraient-elles primaires :on parle de laffrontement, suivi comme jamais, entreHillary et Barack.

    Estivales

    Vint lt 2008. Au lendemain du solstice, le 27 juin, citonscette fois Les Echos qui titrent Les marchs dcrochent, la

    crise financire stend . Fannie Mae et Freddie Mac, lesdeux principaux piliers de la garantie des crdits gags surdes hypothques, commencent vaciller fin juillet.

    Notons la troisime dnomination. Aprs avoir t immobilire puis boursire , on parle dsormais de

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    crise financire . Les mots nouveaux sont plus tendus,

    comme sil fallait des habits plus large pour vtir la ralit.Mais la mtaphore vestimentaire nest sans doute pas labonne. Il aurait mieux fallu de parler dune crise Salom qui nous aurait interprt une danse des sept voiles. Troissont dj tombs, il en reste quelques-uns avant que lavrit nue apparaisse enfin.

    Le 8 aot 2008, Le Monde titre que la crise financiremenace toujours lconomie mondiale. On allait fter lepremier anniversaire de la crise dite des subprimes. Maislpoque tait panem et circences, on pourrait traduire enloccurrence par vacances et jeux Olympiques qui

    dmarraient le mme jour.Leur crmonie de clture clipsa un autre feu dartifice : le21 aot, Les Echos annoncent Les rebonds de la crise fontplonger les marchs . Freddie et Fannie sont dans unbateau qui prend leau, on parle dune recapitalisation parltat, on murmure des compagnies dassurances, desbanques mme des banques ! Ltat fdral sauve une deces compagnies si mal assure, AIG, au prix de 80 milliardsdintervention publique. Enfin des chiffres, tout tait siabstrait jusque-l !

    Et cest alors lemballement.

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    D. Day

    Sept ans aprs les Twin Towers, Lehman Brothers scroulele 15 septembre sans que ltat ne veuille, cette fois,intervenir, sans que la confraternit bancaire, si elle existe,narrive la rescousse. Cette date sera un jouremblmatique. On parlera du 15-Septembre comme on

    parle de lautre effondrement, en crant un nologisme. Wall Street, le choc barre la couverture des Echos datsdu 16 septembre.

    Si plus rien nest impossible, tout devient alors possible, ladigue du too big to fail (trop gros pour faire faillite) vient de

    se rompre. Lensemble des Banques dinvestissement, lesfleurons de lancienne Wall Street triomphante, se font harakiri (ou racheter) pour devenir banques commerciales etpouvoir ainsi bnficier de la protection de ltat, quellesrcusaient jusque-l.

    What next? , telle est la couverture de The Economist du 20septembre. Quoi dautre encore ? qui le tour ? On parlede septembre noir (Le Monde du 19 septembre) sans tropse souvenir que cette expression renvoie des massacres dePalestiniens en Jordanie en 1970, puis un groupe

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    terroriste vengeur ; les massacres et attentats sont oublis,

    lexpression est reste.Salom poursuit son effeuillage et la crise devient bancaire , gnralise, systmique et contagieuse aumonde entier puisque toutes les banques ont tcontamines, ne serait-ce que davoir t en contactfinancier avec celle qui est tombe ou avec celles qui ontmanqu de le faire. Limage de lpidmie nest pasfortuite, on parle de produits (financiers, certes) toxiques.Toutes les banques tant malades de cette peste, aux grandsmaux les grands moyens publics ! Les banques ne sontplus immunises, on connat le syndrome.

    Aux grands maux, donc

    Le Secrtaire dtat amricain au Trsor, Henri Paulson,lui-mme issu du monde dsormais sinistr il vient deGoldman Sachs , met son mouchoir sur ses convictions et

    fait donner les fonds publics. Son plan prvoit, le 19septembre, que sept cents milliards de dollars soient mis surla table pour racheter les crances plus que douteuses.

    Las, le Congrs se fait tirer loreille et, le 29 septembre,rejette le plan. De nombreux parlementaires, surtout

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    rpublicains, rpugnent faire ainsi les poches des

    contribuables amricains qui sont aussi les lecteurs du 4novembre suivant. Les bourses seffondrent dautant plusquelles avaient cru au pompier public.

    Les Europens savent dsormais quils nchapperont pas ausinistre et ragissent dans la prcipitation disperse.

    Eurobalbutiements

    LIrlande, qui depuis le rfrendum de juin se considre nouveau davantage comme une le que comme un payseuropen, apporte sa garantie publique ses banques, au

    risque de siphonner les autres banques de lUnion, lesparticuliers demandant lasile financier chez les plusscuriss des banquiers.

    Commence alors une srie deuro-runions.

    Le 4 octobre, llyse, les quatre membres europens du

    G7 commencent par tancer le franc-tireur avant de faireeux-mmes, quelques heures plus tard, ce quils avaient sifortement critiqu. LAllemagne se porte garante sontour, la Grande-Bretagne nationalise ses banques, en Franceltat sengage empcher toute faillite bancaire, sans

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    oublier la Belgique et les Pays-Bas qui rattrapent in extremis

    Fortis.Mais ce directoire auto-proclam, la bande des quatre, aaussi pour rsultat de choquer les vingt-trois autresmembres de lUnion europenne, qui ont le sentimentdtre considrs comme des nains inexistants par cesquatre qui se croyaient grands et qui ne staient en outrepas concerts avec les trois autres membres du G7.

    La crise boursire entre en rsonance avec la crise bancairedans la semaine qui suit. La dsunion engendre la faiblesse.

    Ladoption, in fine, du Plan Paulson arrive dsormais troptard, dautant que les sommes en jeu et les modalitsprvues ne semblent plus la hauteur des problmes.

    48 heures pour sauver le monde financier ?

    Il faut rattraper lerreur et runir, le week-end suivant (11

    et 12 octobre), un vrai G7 et non pas le seul euro-G4dabord, les 15 pays membres de lEuroland ensuite (uneplnire 27, occasion dune belle photo de la familleeuropenne au grand complet, se tiendra mme le 15octobre), et afficher lunion.

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    Les marchs semblent croire cette intervention concerte

    et rebondissent le 13 octobre. Euphorie des Bourses aprsle plan europen de 1 700 milliards deuros (Le Figaro du14). Des traders de la Caisse dpargne font alors le pari queSalom ne poursuivra pas son effeuillage et quun rebonddes marchs se produira, mauvaise pioche.

    Car le strip-tease se poursuit : il apparat que la crise auxnoms multiples va se transformer en crise de lconomierelle lautre ne ltait donc pas. On parle dsormais dercession durable.

    Les banques, qui ne se font plus confiance entre elles tout endemandant leurs clients particuliers de continuer leur

    accorder la leur, ne pouvant se refinancer, ne peuvent plusfaire crdit leurs clients, particuliers et entreprises.

    La frontire entre les conomies nest donc aucunementtanche. La soi-disant irrelle conomie contamine laprtendue relle ; les efforts pour rsoudre la premirenont fait que repousser lchance de laffrontement avec laseconde. On visitera plus loin les rponses que, pour leurpropre compte ou collectivement, les tats, qui semblentavoir repris le pouvoir sur les marchs, mettront en place.

    De tous cts, on ne parle plus que de La Crise, sans plusprouver le besoin de la qualifier, comme pour la

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    circonscrire, en attnuer la porte. On ne la millsimera

    sans doute pas non plus de lanne de son dclenchementcar elle ne sera pas limite lanne 2008, elle sinscriradans la dure, vivra encore de nombreux dveloppements,ce nest pas prendre un grand risque de laffirmer avantmme toute argumentation. Un jour viendra ou lon enparlera comme de la Chute-du-Mur, du 11-Septembre dj

    voqu, les plus anciens se souviendront dautresexpressions qui ont faitflores, les vnements-de-mai-68,toutes expressions qui marquent quun avant et un aprs ontt jalonns.

    Mais est-on certain que Salom nous a tout rvl ? Si lon abien voulu compter les voiles, le compte ny est pas Ehbien continuons !

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    Chapitre deuxime

    Regards gopolitiques

    sur des crises que lonne sait plus nommer

    Ainsi, une crise peut en cacher une autre, plein dautres

    Ni tout fait la mme, ni tout fait une autre, une crisechasse la prcdente, peut-tre mme tente de se rsoudreen gnrant la suivante.

    La chronique tait invitable pour garder traces des pisodesmais elle se rvle insatisfaisante.

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    Do vient-elle cette implosion ? tait-ce un coup de

    tonnerre dans un ciel quon pouvait, de bonne foi, croireserein ?

    Les appels rpts un nouveau Bretton Woods, lapremire rencontre dans cette perspective se tenant le 15novembre 2008, mettent sur la piste du ncessaire reculhistorique. Qui appelle une refondation du systmefinancier international se doit de revenir sur la fondationelle-mme. De mme que certains revisitent un lieu devenuterme gnrique, un Grenelle symbolisant une tapequils savent fondatrices, mais sans plus vraiment sesouvenir avec prcision des circonstances de lpoque, sanstrop savoir si comparaison vaut raison, voici donc quil nousest propos dassister un Bretton Woods II, le retour .

    Au commencement, il y eut

    Retournons-nous donc vers loriginal, les premiers, les seuls

    accords de Bretton Woods , pour tenter de mieuxcomprendre notre prsent et, si possible, le futur enprparation. La dmarche nest, aprs tout, pas illgitime cet instant puisque Barack Obama lui-mme a dclar(discours de Philadelphie le 18 mars 2008), citant William

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    Faulkner : Le pass nest ni mort ni enterr. En fait, il

    nest mme pas pass. Tout avait en effet commenc en juillet 1944 dans le NewHampshire, dans un bel htel entour de bois. Le rapportde forces dans la Seconde Guerre mondiale avait alorsbascul, lURSS avait repris loffensive aprs sa victoire Stalingrad, les Allis avaient dbarqu en Europeoccidentale, en Sicile, en Normandie, bientt sur la Cte-dAzur. Un certain nombre de pays savaient quils allaienttre dans le camp des vainqueurs, vrais vainqueurs oulibrs par eux. Personne ne savait encore de combien detemps, de quels prix se paierait la victoire. (Certains paystaient reprsents par leur gouvernement en exil : PierreMends-France tait lmissaire du Gnral de Gaulle.)

    Et le monde btir lorsque la paix reviendrait tait lordredu jour.

    conomie politiqueIl allait ncessairement comporter une dimensionconomique et financire tant tait vif le souvenir du rle dela crise de 1929 dans le conflit en cours. De la crise ladpression, des ractions protectionnistes aux montes des

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    nationalistes, la filiation tait claire. Dautres rencontres, la

    mme anne 1944, accoucheront du FMI et de la BIRD,future Banque mondiale.

    Bretton Woods, une alternative est prsente, qui peuttre formule de la manire suivante.

    Premire possibilit : lorsque la paix reviendra, la

    reconstruction des pays dEurope se fera-t-elle en laissantlesdits pays compter sur leurs moyens ? Le temps requis parla reconstruction sera alors ncessairement long, laissantdchirs les tissus sociaux bien longtemps, avec tous lesrisques quune agitation sociale sy installe sans oublier ledtournement possible de ladite agitation par lune des

    formes la plus organise des rsistances anti-nazi, larsistance communiste.

    Ou bien, seconde alternative, se reconstruire grandesenjambes pour raccommoder au plus vite les tissus sociauxdchirs et couper lherbe sous le pied dune agitationsusceptible dtre rcupre par les partis communistes.

    Pour bon nombre de pays reprsents la runion, lesecond choix sest impos. Le communisme tait pour eux, moyen terme, un danger plus grand que le militarisme.On se doute aisment que lURSS, pour sa part, narrivaitpas la mme conclusion. Certains pays ayant t librs (?)

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    par lEst et non par lOuest nont, de surcrot, pas pu

    mettre en uvre le choix formul en juillet 1944, laTchcoslovaquie par exemple.

    videmment, la mise en uvre du second choix supposaitun soutien financier extrieur. Qui pouvait le proposer, sice nest le seul pays qui allait sortir de la guerre plus fortquil y tait rentr, le pays hte de la rencontre ?

    Cest ainsi quen cette fin juillet 1944, certains pays ont faitle choix de se reconstruire le plus rapidement possible laide du soutien montaire des tats-Unis. Pour des raisonspolitiques. (On ne parlait plus et/ou pas encore, degopolitique, cette approche fonde sur la Gographie et

    lHistoire ayant t discrdite par lusage quen avaient faitceux des gographes allemands qui avaient inspirlexpansionnisme du Troisime Reich.)

    Une monnaie plus gale que les autres

    Ce jour-l, le dollar amricain est devenu monnaieinternationale dune reconstruction rapide dans une libertrelative dune partie du monde quon appellera plus tardoccidentale. Pour plus de commodit, on retiendra par lasuite la formule diminutive de monnaie internationale ,

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    accepte, que dis-je sollicite, en dehors de sa zone

    dmission.Ce jour-l aussi, les tats-Unis se retrouvrent titulairesdun privilge inou et exclusif. Ne pas avoir payer cequils importent, ne pas avoir rembourser ce quilsempruntent. Ds lors quils possdent de lencre verte et dupapier, ils pourront faire face.

    Ce jour-l fut mise feu la mche combustion lente quiconduira de nombreuses explosions jusquau feu dartificeactuel dont rien ne dit quil en est le bouquet final.

    On reconstituera ultrieurement lenchanement, mais ilconvient cependant de garder lesprit ds maintenant quece leadership montaire exorbitant nest pas seulement larsultante de la volont du leader mais aussi celle de lademande pressante des autres pays, ceux qui en Europestaient suicids pour la seconde fois du sicle.

    Les tats-Unis promettent au cours de la rencontre de ne

    pas abuser de leur prrogative montaire, de ne pas mettrede dollars de manire irresponsable et sans limite. preuve,ils sengagent changer tous les dollars qui leur seraientprsents contre la valeur la plus scurisante de lpoque,lor. Le tarif est arrt : quiconque leur prsentera 35dollars pourra ressortir avec environ 28 grammes, une once

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    dor. Le fantasme des alchimistes qui voulaient transformer

    le vil plomb en or est revisit ; les tats-Unistransformeront le vil billet vert en mtal jaune. On a parlplus acadmiquement de convertibilit du dollar en or.

    En 1944, la valeur de leur stock dor est value 20milliards de dollars, et les dollars en circulation slvent un milliard. Le compte est bon, largement.

    Mais la tentation tait videmment forte dmettre desdollars en faisant le pari que tous les dtenteurs nedemanderaient pas la conversion en mme temps. Lesbanques ont toujours procd ainsi, la suite de lhistoire lamontr. La seule manire de venir bout dune tentation

    tant dy cder, les tats-Unis sont alors tombs du ct ouils penchaient. Ils ont cr des dollars, tant et plus.

    Pompes finance

    Deux processus principaux y ont contribu : pour rglerleurs importations et pour financer les dpenses de ltatfdral. Il sagit dans le premier cas du dficit commercial etdans le second du dficit budgtaire des tats-Unis,crateurs lun et lautre de dollars. On reviendra plus tard,lorsquils semballeront, sur les causes des dficits

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    jumeaux ; il suffit pour le moment de comprendre combien

    il tait tentant de faire tourner la planche dollar.Un quart de sicle plus tard il faut faire vite lorsque lelecteur se fatigue lire un cran , la masse des dollars encirculation dans le monde atteint 80 milliards. Et le stockamricain nest plus que de 10, ayant t divis par 2. Il estvrai que certains avaient pris les tats-Unis au mot etavaient demand la conversion de leur stock de dollarscontre des ppites et des lingots. On pense au Gnral deGaulle qui, en procdant de la sorte, voulait dmontrer quele pouvoir des faux-monnayeurs dpend surtout du degr detolrance des receleurs.

    Une bombe a retardement tait au-dessus de la tte delOncle Sam, celle dun mouvement de panique desdtenteurs de dollars, comme une vritable baudruche deDamocls. Cest la raison pour laquelle un lointainprdcesseur de Barack Obama, il sagit de Richard Nixon,a coup le cordon du ballon, le laissant senvoler. Le 15

    aot 1971, il annona que les tats-Unis ne respecteraientplus le pacte alchimiste sign vingt-sept ans auparavant ; ilsmettaient fin alors, de manire unilatrale, aux rgles dun

    jeu auxquelles ils savaient ne plus pouvoir se conformer.

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    Fluctuat et mergitur

    Mais, bien entendu, il continua dtre possible dchangerdes dollars contre lor sans que la parit soit garantie. Onentra dans les taux de change flottants et surtout dans unchangement de vitesse, la surmultiplie, du processus decrations de dollars. Il est vrai que la Guerre Froide, qui au

    Vietnam ne ltait dailleurs pas vraiment, cotait aux tats-Unis environ un milliard de dollars par semaine, autant dedficit budgtaire et de diffusion de dollars supplmentaires.Plus quauparavant, on se mit crire lHistoire enimprimant du papier qui permettait denvoyer des boysdans le bourbier.

    On sait que, nonobstant le couple dollars-GI, limpressiondes premiers finanant lenvoi outre-mer des seconds, lamachine amricaine senlisa au milieu des annes 1970. Lacration montaire nempcha pas les tats-Unis de perdrepion aprs pion face lURSS. En Asie du sud, en Afrique,en Amrique centrale et, fin 1979, en Afghanistan, lathorie des dominos sappliquait.

    Tandis que, sur un plan conomique, les effets pervers decette politique taient clairement perceptibles. Le dollar,diffus tour de planche billets, perdait une partie de sonpouvoir dachat extrieur (cest ainsi quil chuta sous les 4

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    francs franais pendant lt 1980) et intrieur (ce qui

    revtit la forme dune inflation suprieure 10 %).Gardons cependant en mmoire que la masse des dollars encirculation dans le monde ne cessait de crotre, sinondembellir. Nous ne manquerons pas de finir par enretrouver les traces, peut-tre mme en 2008. Lhistoirena ici dintrt que dtre au service de la comprhensiondu prsent et du prsent venir !

    Amrique, le retour

    Cest alors que Ronald Reagan, lu en novembre 1980,

    accda au pouvoir en janvier 1981. Et que lvidence sautaaux yeux, largement confirme cet automne 2008, que leslections prsidentielles amricaines avaient plus dimpactsur nos destins que bon nombre de nos scrutinsdomestiques. Le nouveau prsident avait t lu sur lethme de la ractivit amricaine (America is back!). cette

    fin, il relana des dpenses darmement (la guerre destoiles ) afin de rattraper le retard accumul vis--vis delURSS dans la phase de deuil conscutive lchecvietnamien. Il sen est naturellement suivi une augmentationdu dficit budgtaire amricain, dautant plus que son

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    programme prvoyait une baisse des impts, cest--dire

    des recettes. Le prsident Reagan, ctait une poque ou lesrpublicains amricains fustigeaient linterventionnismepublic, lana la vague de dsengagement de ltat, la baissedes impts ntant quune variante au mme titre que ladrglementation, la drgulation autant de mots et depratiques dont on sait bien lautomne 2008 quils sont

    revenus en boomerang, la crise actuelle commenant ici rvler sa gnalogie, jalonne dvnements survenus en1944, en 1971, partir de 1980 galement. Les crises aussiont une histoire.

    Un autre choix, lourd de consquences lui aussi, fut fait, aumme moment, par ladministration Reagan. Le dficitbudgtaire explosif ne serait plus financ par la crationmontaire inflationniste, et dont le bilan politique ntaitpas positif, mais par le recours des emprunts, le Trsorpublic amricain mettant des bons, les US T-Bonds.

    Traduisons en recourant dautres mots : les tats-Unis

    dcident de lancer des emprunts de guerre (froide) pourfinancer leur ractivit gopolitique.

    On sait que cette ractivit porta ses fruits en faisant monterles enchres de la course aux armements un niveau tel quelURSS ne put suivre. (Il est vrai quelle tait bien en peine

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    pour sa part de recourir des emprunts, la mmoire tant

    encore vive chez les titulaires chauds des anciensemprunts russes)

    la guerre comme la guerre

    Quelques autres consquences collatrales, mais nonngligeables, doivent galement tre rappeles. La demandedemprunts en dollars augmentant brutalement, le prixdesdits emprunts sleva, on parle des taux dintrtsamricains qui dpassrent les 20 % par an pendant lt1982. Le dollar devint donc le placement le plus

    rmunrateur qui soit, aspirant les capitaux du monde, parles taux dintrts allchs. Ce qui conduisit les dtenteursde marks, de yens, de francs (suisses ou non), de livressterling vendre leurs monnaies pour acheter du dollar etprofiter de laubaine.

    De ces achats, il rsulta que le dollar monta ( moins quon

    prfre dire que les autres monnaies chutrent). La valeurde la monnaie amricaine fut multiplie par 2,5 entre 1980et 1985 ; il valut 10,60 francs au dbut de cette anne-l.

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    Profiteurs de guerre

    Les produits europens et japonais, dont les prix sentrouvaient dautant plus comptitifs, sengouffrrent alorssur le march nord-amricain aggravant lautre dficit,commercial, quil fallut bien financer en payant lesfournisseurs trangers par une cration de dollars

    supplmentaires. Le niveau de vie, la prosprit, desEuropens de lOuest et des Japonais augmentait dueproportion. Leur stabilit sociale suivait, et avec elle leurfiabilit politique dallis privilgis. (LEurope occidentaleet le Japon ont bien profit du sprint, qui sest rvl final,de la Guerre froide.) Et une bonne partie des dollars ainsi

    accumuls tait replace, on pourrait dire recycle, en bonsdu Trsor amricain.

    Il nest que temps de synthtiser puis de relier les fils dupass et ceux de lactualit.

    Les tats-Unis ont cr de la fausse monnaie pour financer

    leurs importations (et la prosprit de leurs allis), puis ilsont emprunt ladite fausse monnaie pour financer leprocessus qui allait asphyxier leur adversaire sovitique.

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    Une fausse monnaie qui sert deux fois il nest pas

    illgitime dtre partag entre leffroi et la fascination. On alimpression de dcrire le casse du sicle .

    On pourrait par ailleurs discuter la qualification de faussemonnaie pour dsigner le dollar amricain, puisquellerenvoie une approche lgale ; on dsigne habituellementcomme fausse une monnaie imprime par quelquun quinest pas autoris le faire. Tandis que les tats-Unis ontreu ce droit (avec limitation) en 1944, et se le sontrenouvel eux-mmes (et sans limite) en 1971.

    Crdit illimit ?

    Mais de quelque manire que lon aborde la logique ou lalgitimit du processus, le rsultat est l : les tats-Unis ontcrit lHistoire crdit. Car en diffusant des dollars dans lemonde, ils contractent une dette ds lors que les dtenteursextrieurs possdent une crance sur les USA, un dollar

    tant une sorte de bon dachat , un voucher, valable auxtats-Unis.

    Cest mme cette capacit mettre en uvre cefinancement crdit qui leur a permis de mettre genouxlURSS, oblige pour sa part, on la vu plus haut, de payer

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    la course aux armements au comptant. La reddition de

    lURSS puise et incapable de suivre les enchres prendacte de cette ralit. Larrive de Gorbatchev au pouvoir en1985 ressemble lattitude dun joueur de poker qui secoucherait face un adversaire dont les possibilits demiser, crdit il est vrai, dpassent les siennes. Fin departie dirait Samuel Beckett.

    Ils sont passs par ici, ils repasseront par l, un gigantesquemistigri montaire. Il est question de cette immense demasse de vrais-faux dollars que les tats-Unis ont mis encirculation au fil dune Histoire qui ne connatra pas de fin,nen dplaise au mythe qui a prvalu, peu de temps il estvrai, lorsque la Guerre froide sest acheve.

    On verra mme ci-dessous que la machine tournera ensuitesans cesse plus vite et avec dautres partenaires, nouveauxreceleurs des dollars nouveaux qui vont arriver.

    Les dettes des unsfont les crances des autres

    Mais soufflons un peu et imaginons le destin de tous cesdtenteurs, hors des tats-Unis, de dollars amricains. Ilssavent pertinemment que, sils entreprenaient de les

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    convertir contre des biens et des services dans le pays

    metteur, ils ne trouveraient pas de contrepartie.Si toutes les bonnes raisons gopolitiques justifiaient, dunpoint de vue amricain, la cration de tant de dollars, ilsnont pas t mis en relation avec la croissance de larichesse du pays imprimeur. Une conversion des dollarsprovoquerait la mme dsillusion que, jadis, juste avant1971, auraient connu ceux qui auraient voulu changerleurs billets contre de lor.

    Les dollars ne valent que sils ne sont pas utiliss. Leurvente pour acheter aux tats-Unis provoquerait la flambedes prix donc leffondrement de la valeur du patrimoine

    montaire. Sils ne peuvent tre changs, il faut donc lesconserver. Le crancier des tats-Unis est contraint de leurdemeurer faute de se ruiner. Crancier il tait, crancier ilcontinue dtre, crancier il demeurera.

    Il se peut, premier cas de figure dj voqu, quil dcide dedevenir crancier du Trsor public amricain. Il financealors les dficits budgtaires du pays qui crit lHistoire parce tour de passe-passe. On est en prsence dune variantedu processus bien connu o les marchands, quisenrichissent, financent les mercenaires, qui vont laguerre.

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    Il se peut aussi que les cranciers cherchent dautres

    placements. Soit auprs de ltat fdral amricain, maismme lui ne peut absorber la totalit de la capacitdpargne quil a gnr dans le monde. Soit dans le cadredautres placements qui apparatraient moins risqus ou plusrmunrateurs.

    Et va donc se mettre en place un processus de recyclage desdollars dtenus en dehors des tats-Unis. On se souvientsans doute quon avait forg le mot recyclage lorsque lapremire grande masse de dollars avait cherch des pointsde chute, la suite du choc ptrolier de 1973. On avaitalors parl de recyclage des ptrodollars.

    Mais on aurait pu et d trouver dautres prfixes pourdsigner dautres processus de nature financire voisine,quand bien mme lorigine des dollars, leurs dtenteurs,auraient t diffrents. Il aurait fallu parler des nipo-dollars,des germano-dollars, des asio-dollars, la liste aurait tinterminable de ces placements quasi contraints puisquils

    ne peuvent se dpenser.Le prfixe aurait permis de clairement identifier loriginedes placements mais aucunement leurs destinations. Il auraitfallu mener lenqute plus avant, elle aurait t difiante

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    Petite histoire des recyclages

    On aurait alors repr de grands flux, comme des modesqui se sont succd et, chacun le sait depuis Roland Barthes, la mode cest ce qui se dmode .

    Sans prtendre lexhaustivit, on pourrait voquersuccessivement une srie dengouements.

    Une premire gnration sest dirige, aprs le chocptrolier de 1973, vers les pays du sud, on parlait alors duTiers-Monde, jusqu ce que les bons emprunteursdAmrique latine, dAfrique ou dAsie se rvlent tre demauvais payeurs. Incapables de faire face leurs chances

    de remboursement, ils se trouvent insolvables en 1982. Ilfaut dire quils avaient t foudroys par laugmentationparallle du dollar et des taux dintrt amricains qui ontbrutalement accru leur charge. Et cest ainsi que lon adcouvert que ceux qui sment les crances rcoltent de ladette ; la comptabilit en partie double est dune logique

    implacable. Pour la premire fois dans lhistoire financire,des cranciers se retrouvent avec des engagements sur desdbiteurs devenus insolvables qui se sont rvls suprieurs leurs fonds propres.

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    O lon a dcouvert quelques vidences qui nont pas pris la

    moindre ride en 2008, bien quon ait fait sembler de lesavoir oublies :

    Linsolvabilit est une maladie transmissible desdbiteurs aux cranciers.

    Lendettement est laboutissement dans un cul-de-sacfinancier dun processus qui voit certains emprunter

    trop, certes, mais auprs de ceux qui prtentexcessivement.

    Lorsque tous les prteurs font les mmes choix au mmemoment, il en rsulte une sorte de bulle qui ne peutquclater, la seule incertitude tant la date et ledclencheur de lexplosion.

    On ne manquera pas de remarquer que ceux qui,aujourdhui mme, stonnent de La Crise ont oubli laleon, il est bien possible que la capacit de mmoire descranciers excde rarement une gnration. Sans parler deceux dont la mmoire ne prcde pas la naissance

    loccasion de lirruption de la crise de la dette, premireen date dune longue srie, les cranciers ont galementimprovis, dvelopp des mthodes de gestion de cettesituation qui leur ont permis dtre emports dans lemaelstrm, le rchelonnement des dettes.

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    On prend les mmes

    Une seconde gnration, dun point de vue chronologique,de placements des surplus de dollars peut ensuite treidentifie. Elle a t destine aux tats-Unis eux-mmes,quil sagisse de placements en bons du Trsor amricain oude prts des entreprises de nationalit amricaine. Certes

    les cranciers ont ici t rembourss, mais point autantquils lavaient imagin. Seconde famille de prts, secondepriode de dsillusion.

    Car si les prts staient multiplis pour participer aufinancement de la Guerre froide (les T-Bonds) ou desentreprises du pays qui la conduisait crdit, ils ont pourbeaucoup fait lobjet dun remboursement aprs que celle-cise soit acheve. Et si la hausse de la valeur du billet vert aaccompagn le dernier round du conflit, peine tait-ilachev que lon a vu les tats-Unis faire chuter, il faudraitdire rechuter, leur monnaie. Il est vrai que la hausse dudollar ayant provoqu une invasion du march nord-amricain par les produits eurasiatiques, les destructionsindustrielles qui en ont rsult, et qui pouvaientventuellement se comprendre sil sagissait du prix payerpour gagner la guerre, ne prsentaient plus que desinconvnients ds lors que le slogan nest plus la guerre

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    comme la guerre . Cest prcisment au moment de

    larrive de Gorbatchev au pouvoir dans ce qui allait treencore pour peu de temps lURSS, que le retournement depolitique montaire se produisit. En 1985, ils provoqurentla division par deux de la valeur de leur monnaie maisaussi de la valeur des crances en dollars.

    On imagine aisment que les caisses de retraite japonaises,qui avaient plac leur magot en bons du Trsor amricain,ont grinc des dents en dcouvrant que la contre-valeur deleurs crances en yens venait dtre diminue de moiti. Ledbiteur, cette fois-ci, tait certes solvable, mais lecrancier nen a pas t moins dpit. Une partie de la crisetraverse par le Japon, une partie seulement car elle eutgalement, dj, une dimension immobilire, a trouv sonorigine dans les pertes de change enregistres par lescranciers.

    Les deux premiers processus que nous venons de dcrireprsentent, au-del de leurs diffrences, un point commun.

    deux reprises, on a assist des phnomnes degonflement de la valeur des crances, suivis dundgonflement brutal limage de la bulle continue dtrepertinente.

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    Certains parlent de la valeur des actifs ; on revendique

    de prfrer le mot de crances, car ce sont, tout de mme,entre tous les actifs, des actifs singuliers, trs spcifiques. Sila valeur relle de tous les actifs est douteuse, les crancespeuvent tre parmi les plus douteuses, une place dans lesbilans leur est mme rserve sous ce nom.

    Cranciers dpits sans doute mais cranciers encore, etmme sans cesse davantage, les dtenteurs de dollars horsdes tats-Unis, on pourrait parler de xeno-dollars, ontpoursuivi les dmarches de recyclages.

    Les recyclages du troisime type

    On en a retrouv la trace sur les marchs boursiers dumonde o ils ont achet des actions, provoquant donc lahausse des cours, en dautres termes un gonflement de lavaleur de leurs crances sur les entreprises cotes en bourse.(Une action peut tre assimile une crance sur une

    entreprise dont la date dexigibilit nest pas fixe ; elle seproduira lors de la liquidation de lentreprise, cest ce qui ladistingue des obligations.) Las, les actions, aprs avoirmont plusieurs annes, ont brutalement chut lors de deuxmois doctobre, quon qualifiait dj de noirs, en 1987 et en

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    1989. Et le dgonflement des crances frappa pour la

    troisime fois.Jamais lasss, nayant gure la possibilit de ltre, lescranciers en dollars ont poursuivi leurs placements,remplis dillusions qui se sont toutes termines dans lemme dpit.

    Tournez manges

    Ils ont t reprs dans la multiplication des prts aux paysmergents dans les annes 1990. Jusqu ce quune nouvellecrise les atteigne, en Amrique latine partir de 1994, en

    Asie, violemment, en 1997, en Russie en 1999. Chaquenouvelle bulle clatant laissa les prteurs avec leurs crancesdgonfles pour pleurer.

    Vint alors un nouvel enthousiasme, nouvel emballement, lamultiplication des crances sur les entreprises dune

    conomie quon avait cru nouvelle. Mais l encore les fruitsnont pas tenu les promesses des fleurs. En mars 2000, labulle de la nouvelle conomie se dgonfle en accouchantdune vieille ralit, les cranciers avaient perdu une partiede leur mise. Ils jurrent une fois encore quon ne les yreprendrait plus. Rodomontade, une fois encore.

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    Faut-il aller plus loin ?

    Last but not least

    Chacun aura compris quune des plus spectaculairesillusions par lesquelles les cranciers ont t enrls est lefantasme de laccession des classes sub-moyennesamricaines la proprit, assortie du mythe que lesdbiteurs allaient pouvoir rembourser grce la plus-valueralise en revendant une maison quils pensaient avoiracquise, crdit. Chacun conviendra que nous assistons une nouvelle version dune histoire ressasse : un

    dgonflement de la valeur des crances, sur la valeur dupatrimoine immobilier amricain cette fois.

    Le dernier avatar du processus, concomitant du prcdent,a t la multiplication des crances sur les matirespremires. Elle a t initie la fin de lanne 2006 par lafrange de ceux qui avaient russi quitter le bateau ivre des

    crdits immobiliers temps et qui ont provoqu ce qui a tprsent comme une flambe des prix des matirespremires , notamment fossiles mais galement vgtaleset animales. Mais que la cosmtique smantique ne fasse pasillusion : laugmentation, pendant dix-huit mois, des prix

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    du ptrole, des minerais, des crales, entre autres, na pas

    t le fait des acteurs conomiques utilisant ces produits,mais de spculateurs qui, les considrant comme unplacement, ont provoqu, encore et toujours, le gonflementde la valeur des crances sur des produits matriels, devenusde vritables produits financiers.

    Et, bien videmment, le processus ne pouvait tre durable ;dconnect quelque temps de la ralit, il allait syconfronter tt ou tard. La percussion du fantasme par lesfaits sest produite pendant lt 2008, les prix des matirespremires seffondrant en deux mois pour retrouverdailleurs peu ou prou le niveau qui tait le leur avant uneparenthse denviron deux ans. Gonflement, dgonflement,on y revient toujours.

    La simultanit des deux dgonflements, rsorption deldme matires premires et de labcs crditsimmobiliers , durant lt 2008 fut violente pour lescranciers dpits.

    Que lon puisse tre surpris de limportance et de laviolence du dgonflement, de la gnralisation de sesclaboussures, passe encore.

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    Que lon nait pas vu venir laiguille qui allait percer, en

    2007, cette bulle, peut aussi se comprendre, nous lachercherons plus tard.

    Que lon nait pas compris le caractre inexorable,implacable, tragique car dbouchant invitablement sur uneissue si bien connue, est tout de mme plus surprenant !

    Une Histoire qui fait des bulles

    Toutes les bulles que nous connaissons, lactuelle tant,convenons-en, la plus grosse, sont les consquences duprocessus par lesquels sont gres les immenses masses

    financires qui ont t diffuss dans le monde pour desraisons gopolitiques. Au risque que la mtaphore manquedlgance, on pourrait dire quil sagit des flatulencesfinancires qui rsultent de lingestion, jusqulindigestion, de la colossale masse de fausse monnaie aveclesquelles les tats-Unis crivent, tentent dcrire

    lHistoire.

    Elles constituent autant dclaboussures financires duneHistoire qui, au moins depuis 1944, et dune manire quiactuellement semballe, est crite par de la crationmontaire limprimeur amricain, lui, toujours lui,

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    exclusivement lui, sendettant vis--vis de receleurs qui,

    forgeons le nologisme, sencrancent , des cranciersqui nont cess de se renouveler, dune priode lautre,dune zone gographique lautre, ne partageant quuneconviction et un aveuglement, mais ils sont fondamentauxet fondateurs du systme : ils senrichissent en dtenant descrances en dollars, mais leur enrichissement est virtuel car

    il est constitu en fausse monnaie, faisons une concession etparlons de vraie fausse monnaie .

    Surtout, ne pas les regarder avec condescendance etcommisration, en les considrant comme des illumins,riches mais uniquement virtuellement riches, dtenteurs decrances qui, ne cessant de prendre de la valeur, lesconfortent dans le sentiment que leur patrimoine saccrot.Coluche faisait, en son temps, remarquer que les nouveauxriches oublient souvent quils sont des anciens pauvres.

    Jusquau jour ou la ralit revient, le nouveau richeredevenant ce quil avait cru ntre plus.

    Car ils sont nombreux, et pas seulement dans lunivers de lafinance, ceux qui, voyant sur le march la valeur de leurpatrimoine immobilier augmenter considrablement, ontmme t, de ce fait, considrs comme fortuns , lafiscalit les dsignant ainsi pour les assujettir lISF. Ilsagit, on le connat bien, du syndrome du petit propritaire

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    de lle de R, fortun virtuel mais bien en peine de dgager

    des revenus pour payer son impt. Se faire taxer defortun par ladministration fiscale elle-mme pourraitfaire croire aux plus sceptiques que fortuns rels ils sontdevenus ! Ceux qui croient ainsi leur fortune de mer, silsmodifient leurs modes de vie et empruntent pourlamliorer tout en gageant ces nouveaux crdits sur leur

    richesse toute neuve et virtuelle, deviennent alors desvictimes toutes dsignes pour les retours de fortune, bienrels ceux-l. Point ne sera besoin de leur expliquerlonguement la crise des subprimes.

    Ils auront compris les dangers acheter une maison crditen pensant la rembourser avec les gains dune loterie donton na mme pas achet de billet et dont on ignore quand etmme si le tirage aura lieu.

    On pourrait aussi voquer ce salari qui se croyait richedune crance sur son systme de retraite par rpartition,crance quil comptait encaisser mensuellement au moment

    de son dpart en retraite et qui dcouvre que son pointde retraite a fondu, sa crance sest dgonfle. Il rejointalors celui, il peut vrai dire sagir du mme, qui avaitconstitu une retraite, ventuellement complmentaire, parcapitalisation, et qui constate que ses crances sur lesentreprises cotes en bourse se sont galement d-cotes.

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    Le jeu du gonflement-dgonflement invite donc sa table

    beaucoup plus de joueurs quon ne limagine au premierabord. Nous avons, pour le moment, fait la part belle auxcranciers les plus anciens, quand bien mme leurdconvenue serait-elle actuelle.

    La Cina e vicinaMais comment ne pas voquer les cranciers de la derniregnration, qui nont rejoint la table de jeu que rcemment.

    Parlons donc de la Chine. Aprs avoir vaincu, crdit,lURSS au milieu des annes 1980, les tats-Unis se sont

    occups, crdit l encore, de lautre gant communiste, laRpublique populaire de Chine, quils avaient russi neutraliser, au sens propre du mot, pendant la Guerrefroide. LHistoire retiendra aussi cette contribution deRichard Nixon qui est parvenu fracturer le camp desadversaires, avec laide, il est vrai, des dirigeants chinois de

    lpoque qui savaient pertinemment que leur pays avait tout perdre dtre trop partie prenante dans laffrontementEst-Ouest. Ds 1979, Deng Xiaoping avait compris, etexprim, que les problmes intrieurs de la Chine, taienttellement immenses quelle ne pouvait pas entrer en guerre,

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    mme froide. Il a fait le choix de tenter de sauver son pays,

    il faudrait dire lempire chinois, en linsrant danslconomie de march, seule solution pour tenter dviterlimplosion du pays. Quimporte que le chat soit rouge ounoir sil permet de dvelopper le pays, de lindustrialiser un rythme suffisant pour que les villes, ctires, soientcapables dabsorber lexode rural chinois.

    Une alliance dintrts sest ainsi mise en place, qui vaprendre de lampleur lorsque le pays vainqueur de la Guerrefroide et celui qui a vit de la perdre mettront en uvreune relation dinterdpendance.

    Le dveloppement de la Chine reposera, repose encore

    pour lessentiel, sur un modle conomique qui est tir parlexportation et notamment vers les tats-Unis, mme si lereste du monde, et notamment lEurope, devra absorber lesproduits que les nouveaux ouvriers chinois, rcemmentvenus de la campagne, produisent tout en surbanisant. Ceque lon a appel, au dbut, latelier du monde est en

    fait un processus par lequel on voit apparatre des classesmoyennes, acteurs de la tentative de stabilisation dun paysqui reprsente 20 % de la population mondiale et dontlinstabilit serait dsastreuse non seulement pour lui-mmemais galement pour le monde entier et notamment sesvoisins, ne serait-ce que Tawan.

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    En important des produits chinois, les tats-Unis

    participent cette logique, plus nombreux tant ceux qui,dans lEmpire du Milieu, travaillent pour exporter, plusnombreux tant ceux qui ont dsormais quelque chose perdre, leur niveau de vie progressant, et moins nombreuxtant ceux qui, sans espoir, seraient tents par uneimmigration intrieure non contrle voire une aventure

    nationaliste.Mais en important de Chine, pour payer leurs importations,les tats-Unis transfrent alors des dollars innombrablesvers un pays qui son tour devient leur crancier. La Chineest mme sur le point de devenir le premier crancier destats-Unis.

    Nous avons bien connu ce processus puisquil reprend celuiqui avait vu, la fin de la Guerre froide, lEuropeoccidentale et le Japon se dvelopper et se stabiliser enexportant vers les tats-Unis labri dun dollar qui prenaitde la valeur et se diffusait tant et plus. Lhistoire se rpte

    donc, sans mme bgayer, avec de nouveaux marchands,cranciers du mme dbiteur.

    Le partenariat stratgique entre la Chine et les tats-Unis est dabord gopolitique, puis commercial, enfinfinancier.

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    Le commerce international

    sen va-t-en guerre

    Il convient dinsister sur ce point. Qui veut savoir lespriorits gopolitiques amricaines, leurs volutions, doitcertes couter les discours mais galement regarder quelssont les pays avec qui ils acceptent dlibrment dtre en

    dficit commercial. De mme que lEurope occidentale, leJapon ne demandait pas mieux que de participer auprocessus qui lenrichissait en prosprit et en cranceslibelles en dollars, de mme la Chine sait que son propresalut sinscrit dans une dmarche de mme nature.

    On pourrait parler de syndrome coren pour dsignercette machinerie. Lorsquune partie, mridionale, de laCore est devenue occidentale , les tats-Unis, quimaintenaient 37 000 soldats au sud, ne pouvaientvidemment prendre le risque de son instabilit. Ils lontdonc aide se reconstruire, puis se dvelopper,

    lapparition de classes moyennes stabilisatrices tantvidemment dautant plus importante que le pays tait plusexportateur et les tats-Unis se sont mme mis importer eux-mmes le maximum de produits corensvendus labri dune monnaie faible vis--vis du dollar. Lecommerce international apparat sous son vrai jour, la

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    gopolitique poursuivie par dautres moyens. Une machine

    importer des produits, mais surtout la paix sociale etpolitique chez le fournisseur, se met en place qui, enretour, exporte du papier vert. Un vritable aspirateur quirecracherait des dollars, des crances en dollars.

    Ce qui fut fait jadis lchelle des allis occidentaux de laGuerre froide, est remis au got du jour avec limmenseChine.

    Et la Chine daccumuler des dollars, certains chiffrent sesrserves de change, simpressionnent de leur montant,1 906 milliards de dollars fin septembre 2008 ; nousprfrons dire quun nouveau crancier, soucieux de son

    avenir politique, fait irruption en accord avec son dbiteurqui partage en fait les inquitudes de son crancier.

    Comme depuis le milieu du 20e sicle, les tats-Unisprfrent prendre le risque daller au centre commercialtout de suite plutt que celui que leurs enfants aillent lacaserne plus tard. Le rsultat du pari nest dailleurs pasacquis, mais cest pourtant bien l le pari. Cest aussi ce quiexplique que les tats-Unis aient dlibrment accept quele renminbi chinois, le yuan, soit durablement sous-valuvis--vis du dollar, subvention montaire indirecte. Certesils demandent, mollement et de manire intermittente, une

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    rvaluation de la monnaie chinoise, mais il sagit surtout

    dun souhait formul pendant les campagnes lectoralesamricaines afin dviter que le sujet des importationschinoises ne devienne par trop polmique, llecteuramricain, quand bien mme irait-il faire ses courses deproduits made in China chez Wall Mart, est aussi un salaridune entreprise amricaine qui est souvent alle

    sinstaller dans lEmpire du Milieu. Il faut dailleurs noterque prs des deux tiers des exportations chinoises vers lestats-Unis sont le fait de socits amricaines implantes enChine et qui, leur manire, participent lcriture delHistoire tout en poursuivant, lvidence, leurspropres intrts. Les dirigeants chinois, qui redoutent

    galement la polmique, font rgulirement des gestes,petites rvaluations de leur monnaie, en gage de bonnevolont. Mais ces ajustements ne sont aucunement dumme ordre de grandeur que ceux quont d subir le yen

    japonais ou leuro.

    Il faut reconnatre que lors de la fin de la campagnelectorale amricaine de 2008, la question chinoise navraiment pas t lobjet des attentions prioritaires descitoyens amricains ! La monte des poussesprotectionnistes, et maintenant de la rcession, aux tats-Unis proccupe donc autant les dirigeants chinois que leurs

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    homologues amricains. Cest dans cet esprit quil faut

    dailleurs comprendre le US-China Business SigningCeremony & Trade and Investment Forum qui sest tenu Pkin la mi-juin 2008 au cours duquel 35 accordscommerciaux supplmentaires ont t signs dans le cadredun dialogue stratgique entre cranciers et dbiteurs.

    Il sinscrit dans une tradition inaugure la fin des annes1990, lorsque les prsidents des tats-Unis successifsrenouvelaient la clause de la nation la plus favorise dontbnficiait la Chine, cest--dire le droit pour celle-ci devendre aux tats-Unis dans des conditions privilgies. Lerenouvellement annuel de cette clause qui ntait valableque douze mois donnait chaque fois lieu un affrontementamricano-amricain entre un excutif qui avait une visongopolitique et un Congrs naturellement davantageproccup des ractions de llectorat devant qui il se rendtous les deux ans. En dcembre 2008, aussitt aprs leslections amricaines, ils ont mme, au contraire, procd

    une dvaluation de leur monnaie.Il nest dailleurs pas fortuit que la clause ait t finalementaccorde titre permanent en faisant entrer la Chine danslOrganisation mondiale du commerce, la position de plusfavoris tant alors statutaire. On notera au passage queles ngociations sur ce point, qui tranaient depuis quinze

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    ans, ont t immdiatement dbloques dans la semaine qui

    a suivi le 11-Septembre, un moment o lalliance entre lestats-Unis et la Chine trouvait une justificationsupplmentaire dans la perspective de ce quon appellerapour le moment la lutte contre le terrorisme .

    Le savait-il ? Sans doute pas. Le souhaitait-il ? Ce ntaitcertainement pas sa priorit. Mais Oussama Ben Laden arenforc le statut de la Chine crancire privilgie destats-Unis.

    Plus a change et plus cest pareil

    Qui dit crancier dit aussi lobligation dans laquelle il est deplacer ses crances ; la musique est bien connue, seulespeut-tre les paroles changeront.

    La Chine est son tour, comme tous ceux qui lontprcde dans le rle de crancier consentant mais incapable

    de dpenser ses actifs financiers, confronte la vieillequestion revisite tant de fois au dbut de ce chapitre : quelssont les emprunteurs potentiels susceptibles dabsorber sarcente capacit financire ? Tout se passe comme si laChine, aux prises avec ses problmes intrieurs, tentant deles rsoudre en exportant, se retrouvait dans la position du

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    marchand devenu pargnant la recherche de placements

    pour recycler les sino-dollars .On ne surprendra personne en mettant en lumire lesdbouchs naturels qui seront trouvs, chacun les connat,et leurs limites aussi.

    Une petite partie des sino-dollars se dirige vers lAfrique,

    o la prsence chinoise sest considrablement accrue, lenouveau banquier du monde occupant la place que dautrespays, en Europe notamment, nont plus les moyens deconserver. (Serge Michel et Michel Beuret dcrivent leprocessus dans La Chinafrique, un livre publi en 2008 auxditions Grasset et dont le titre renvoie feue la

    Franafrique.)Cest ainsi que la Chine accorde des prts de nombreuxpays africains pour financer des infrastructures, pourscuriser ses approvisionnements en matires premires,pour accrotre son influence aussi, pour monnayer lescrdits contre une rupture des relations diplomatiques despays bnficiaires avec Tawan. Elle se substitue mmeparfois au Fonds montaire international en accordant desfinancements considrables, sans condition explicite, sur desdures considrables, 30 ans, alors que le FMI subordonneses propres interventions des conditions politiques chres

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    faire accepter localement (les programmes dajustement

    structurel), les crdits du FMI tant de surcrot de montantsbien infrieurs et remboursables dans des dlais beaucoupplus courts. Mais, hlas, la capacit demprunt de lAfriquenest pas la hauteur des besoins de placements de la Chine.

    Pourquoi ne pas envisager alors que la Chine cessedexporter autant, daccumuler tant de dollars contraints dedevenir des crances en dollars, et tente alors de dvelopperson activit intrieure ? Riche suggestion dont on pourraitdire quelle est une bonne ide mais encore un peuprmature jusqu lautomne 2008. On avait cependantdj enregistr quelques bauches de cette approche.

    Il y eut, bien sr, les gigantesques travaux occasionns parles jeux Olympiques, qui ont permis de dpenserlocalement une partie des rserves montaires. Mais ce quiest fait en date du 8.8.8 nest plus faire. Il en est des stadesolympiques comme du gigantesque barrage des Trois-Gorges. Ds lors quils sont inaugurs, on ne remettra pas

    les ouvrages sur le mtier.Il y eut galement les travaux de reconstruction rendusncessaires par le tremblement de terre du printemps 2008,mais ils ne permettent pas de recycler plus de 100 milliards

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    de dollars, un trimestre dexcdent commercial chinois sur

    les seuls tats-UnisNe tournons pas autour du pot : seuls les tats-Unis ont desbesoins demprunt immdiats qui sont la hauteur delpargne chinoise, elle-mme immdiatement disponible !

    Les Japonais avaient bien connu, avant les Chinois, cette

    situation. Autres temps gopolitiques, mmes mursfinancires. Les dollars crs par les tats-Unis, envoys enChine pour payer leurs importations dans le cadre dundficit commercial hors des normes, y reviendront pourfinancer leur dficit budgtaire hors du commun !

    Le trajet des dollars amricains sapparente celui dunmagnifique boomerang financier, sans (pour linstant) que lelanceur rate la rcupration de ce quil lance. Ils sont passspar ici, ils reviennent par l.

    Retour lenvoyeur donc, la Chine prte au pays dont lesdbouchs sont indispensables son propre dveloppement.

    Les dollars accumuls la Banque centrale de Chine pouramliorer le niveau de vie des consommateurs amricains,qui achtent des produits chinois bon march, seront placsaux tats-Unis pour financer le niveau de vie de ltatfdral amricain qui vit au-dessus de ses moyens, puisquele consommateur US est un contribuable insuffisant.

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    Les magasins qui, sur Main Street, proposent des produits

    lectroniques venus de Shen Zen, permettent la progressionsociale des classes moyennes chinoises et aussi lefinancement des expditions de GI Bagdad et Kaboul.

    Barbichette conomico-politique

    Nous connaissons bien la relation ainsi dcrite : je te tiens,tu me tiens ; je te vends, tu machtes ; tu me payes, je teprte ; je me dveloppe, tu fais la guerre, en Irak, enAfghanistan ou ailleurs le retour de la dialectique desmarchands et des mercenaires, chinois les premiers,

    amricains les seconds. Ce nest videmment pas la fin delanne 2008 que la relation dinterdpendance financire vase distendre.

    Ne prenons quun seul exemple mais emblmatique : les700 milliards du plan Paulson de septembre 2008 vontnaturellement se traduire par une aggravation du dficit

    budgtaire amricain, donc par lmission de nouveauxbons du Trsor afin de le financer. Qui mieux que la Chineaurait les moyens de les souscrire ? Le tempo de la dansesacclre, cranciers et dbiteurs virevoltent sur un rythmedsormais endiabl. Oui mais

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    Mais on dcouvre, avant mme cette nouvelle sollicitation

    probable, que la Chine avait dj plac 1 200 milliards dedollars aux tats-Unis, la moiti desdites rserves de changeayant dj t recycles en US T-Bonds tandis que lautremoiti, selon China Newsweek, avait t place chez FreddieMae et Fannie Mac, les deux piliers, plus que vacillants, descrdits hypothcaires sur limmobilier amricain ! Les crises

    se rejoignent ici, et les deux rives de locan Pacifique sontbaignes des mmes eaux.

    La capacit des classes moyennes chinoises voir sonprsent samliorer, ses rves davenir galement, quicontribuent gnrer de lespoir pour larme de rservedes paysans chinois piaffant dimpatience de venir en ville,rejoignent ainsi les rves des classes sub-moyennesamricaines daccder la proprit en remboursant unepetite maison achete crdit grce laugmentation de lavaleur de celle-ci aprs revente. Petite maison pourra ainsidevenir plus grande tandis que les immenses villes chinoises

    pourront elles-mmes devenir gigantesques.Mao, est-ce si hrtique de sen souvenir ici, disait quonpeut dormir dans le mme lit sans faire les mmes rves.Certes, mais pas toujours. Car ici les rves sembotent lesuns dans les autres, des maisons du Minnesota auxappartements de Shanghai. Les fantasmes des premiers ne se

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    raliseront que dans laccomplissement de limaginaire des

    seconds, et rciproquement. Rves embots et crisesenlaces, on peut ne pas dormir dans le mme lit et partagerrves et cauchemars.

    Le crancier le plus peupl du monde et le dbiteur le pluspuissant sont plus que jamais dans le mme bateau, lest dedollars et de crances douteuses, au-del peut-tre de laligne de flottaison. Et, le bateau tangue dangereusement lautomne 2008 ! La nave va , vogue la galre. Vers quelshorizons ?

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    Chapitre troisime

    Du bateau ivre

    lge du capitaine,si capitaine il y a

    Les Frres Jacques chantaient gaiement, ctait il y a bien

    longtemps, lpope dun bateau, la Marie-Josphe : Encoreheureux quil ait fait beau ! Car sil advient que le tempschange

    Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tout au longde la troisime, froide, et plus encore depuis quelle sest

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    acheve et que de nouveaux dangers se dveloppent sur les

    dcombres des anciens, les tats-Unis crivent lHistoire crdit.

    Leurs projets gopolitiques, quils aient t ou soientpacifiques ou belliqueux, ont t dpendants, dpendenttoujours et plus que jamais, de leur capacit diffuser desdollars dans le monde auprs de cranciers qui, enrevanche, ont chang au fil du temps et des priorits. Toutcomme les placements quils ont effectu. Sils ont toujourst principalement orients vers les tats-Unis, ils ont tentune succession de diversifications partielles qui ont gnrautant de bulles spculatives, force de vouloir se faire aussigrosses que le buf.

    Lhistoire a t dcline de diffrentes manires mais ilsagit toujours de la mme histoire. Le moteur de lHistoireest un moteur explosions ; son carburant tant constitude dollars, ses pollutions sont financires. Je conois bienquil faille sintresser au bilan carbone, instaurer des taxes

    sur le CO2, mais le bilan financier a sembl, en revanche et ce jour, singulirement nglig. Ce nest pas un secondBretton Woods quil faudrait appeler de ses vux mais undeuxime Kyoto, financier celui-l.

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    Il ny aurait dailleurs l rien dextraordinaire puisque cest

    loccasion du premier que des droits polluer ont tmis en place, qui permettent que se mettent en relations surun march tout fait financier ceux qui ont des crancesen pollution et ceux qui ont ce titre des besoins,assimilables une dette vis--vis du climat, les deux faisantla paire.

    Tout se passe comme si les tats-Unis disposaient depuisBretton Woods dun droit polluer en billets verts, et quele monde entier, trouvant son compte ces missions,tentait de senrichir en stockant la pollution montaire quien rsulte. Toute lorganisation gopolitique du monde, lespaix ou les guerres, le dveloppement des uns, la stagnationou le recul des autres, tout repose sur la capacit des tats-Unis convaincre le reste du monde de devenir leurscranciers, de dtenir des dollars, cest--dire des crancessur eux. Et cest ici quil faut expliciter ce qui ntait quenfiligrane jusqu maintenant.

    Sous les pavs financiers

    Faire natre des crances, cl de vote du systme, supposeun pralable, pr-requis sine qua non. Il faut tre capable de

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    faire natre, en amont, ce qui pourra convaincre un

    crancier de le devenir et de le demeurer, lchons le mot,des croyances, faux suspense puisque la juxtaposition destermes figurait en tte du livre.

    Il suffisait aussi, ne serait-ce que de regarder des billets vertsamricains, pour y lire, explicite, le lien indissociable quiunit valeurs financires et culturelles : In God we trust.

    Point de crances sans croyances, les mots procdent de lamme tymologie, leurs territoires respectifs sontinterpntrs, on pourrait mme dire quils empruntent lun lautre. Ne dit-on pas quun ambassadeur prsente seslettres de crances ? On peut alors, parfois, accorder crdit

    ses propos. Certains actes sont ports au crdit de ceuxqui les accomplissent tandis que dautres responsablespeuvent au contraire se discrditer. La confiance estvidemment la plus classique dentre ces croyances, enlabsence de qui personne, videmment, nendosserait lecostume de crancier, confiance dans lavenir et dans la

    vraisemblance pour le crancier de recouvrer sa crance,cest--dire en la capacit du dbiteur honorer sa dette.

    En transparence dun bilan o figurent des crituresfinancires, notamment des crances court, moyen oulong terme, il faut apercevoir les croyances qui les sous-

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    tendent et qui hirarchisent les sentiments de scurit dont

    les crances sont assorties, auxquelles elles sont adosses.Chacun connat les plus classiques.

    Y croire dur comme fer

    A minima, il y a, cest bien le moins, lespoir que le dbiteurexistera encore lorsque lchance viendra, et solvable desurcrot.

    Il y a ensuite les garanties que le dbiteur peut proposer, parexemple, individu ou structure qui se porterait garant, quiaccepterait dtre solidaire des engagements du premier,

    une caution, suppose plus crdible que le crancier depremier rang, et qui sengagerait se substituer celui-cisil venait tre dfaillant. La croyance premire est alorsdouble dune seconde suppose plus solide.

    Il peut aussi sagir, tout emprunteur sait cela qui doit

    hypothquer un bien quil achte crdit, de possibilits desaisir des biens meubles ou immeubles, qui viendraientpermettre au crancier de rcuprer tout ou partie de sacrance.

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    Ninsistons pas, lvidence est avre, qui croit lire un bilan

    comptable aperoit au-del des chiffres apparents lecatalogue des croyances dont ils sont lexpression. Lesexperts comptables ont t les prcurseurs de lanumrisation. Bien avant quon ne gnralise latransformation des sons, des images, de toutes lesinformations en 0 et 1, ils ont eux-mmes traduit des

    croyances en chiffres. Laridit de la comptabilit, de lalecture des bilans, sestompe si lon veut bien les regardercomme des transcriptions de croyances, limaginaire desacteurs conomiques, leurs confiances et leurs inquitudes,ce quils pensent tre des ralits, ce quils dcouvrirontpeut tre un jour navoir t que rve.

    Publier un bilan, cest tacitement avouer ses croyancestraduites, simplement transposes, en chiffre par desprofessionnels de la numrisation des penses, conscientesou pas, avoues ou non, des oprateurs conomiques. Lesordres des experts comptables sont finalement plus proches

    quils ne le pensent des socits de psychanalyse. Je nignorepas quen hasardant le rapprochement, jencours desreproches convergents de la part de deux parties qui sefrquentent rarement, persuads quelles nauraient rien se dire, ceux qui couchent des chiffres sur le papier, ceuxqui allongent des patients sur des divans. En quoi la trivialit

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    de lconomie pourrait-elle apprendre au champ des

    nvroses inconscientes ? Dans quelle mesure, les tentativespour faire verbaliser ces dernires pourraient-ellesrenseigner sur les rgles des plans comptables ?

    Le rapprochement entre les professionnels de la gestion descrances, experts comptables et commissaires aux comptes,et de ceux qui dans lunivers de la psychologie dveloppentle fonds de commerce des croyances inconscientes nestcependant pas aussi abracadrantesque quil pourrait paratre(ce nologisme, autre juxtaposition novatrice en son temps,est dailleurs dsormais reconnu, sans doute avalis ,encore un mot charnire, cautionn par le Petit Robert).

    Dis-moi quelles sont tes croyances

    Cest en relisant Max Weber que lon trouvera la pluslabore des rflexions sur le lien entre les crances et lescroyances. Dans Lthique du protestantisme et lesprit du

    capitalisme (Payot), il dveloppe, avec une rigueur dont jenai aucunement la prtention ni les moyens, lanalyse desliens entre lirruption de nouvelles croyances, celles quinaissent de la Rforme, et le dveloppement de nouvellespratiques conomiques chez les Rforms.

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    Sil serait bien outrecuidant de prtendre, dans cette

    rflexion, sabriter derrire le crdit moral de MaxWeber, quil soit cependant port mon crdit que lapolysmie des seuls mots de cette phrase justifie ladmarche qui est poursuivie, jusqu du moins lheure dubilan, en loccurrence la conclusion de ce livre. Il sera alorstoujours temps de passer par pertes (ou profits) ces

    quelques croyances, douteuses pour des lecteurs quidemeureraient lgitimement sceptiques.

    Quil me soit juste permis dvoquer une expriencepersonnelle : en accompagnant des responsables de cabinetscomptables franais dans un voyage au Pays-Bas, nous avonsconstat quil existait videmment dans ce pays des cabinetshomologues. La surprise est venue de dcouvrir quilexistait des cabinets dexpertise comptable protestants etdautres catholiques, identifis comme tels et mme lerevendiquant. La surprise des comptables venus dun payslaque a atteint son comble en apprenant que les banques ne

    regardaient pas du mme il les bilans transmis par les unset les autres. Il est en effet apparu que la notion de provisionpour crances douteuses na pas le mme sens pour descatholiques et des protestants. Chez les premiers, existent laconfession et labsolution qui permettent sinon de fairedisparatre du moins de classer sans suite les pchs, de

    Groupe Eyrolles 71 Alain Simon

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    remettre les comptes et les compteurs zro. On ne saurait

    ainsi rpugner, dans les bilans imprgns de culturecatholique, passer lponge, faire jouer lardoisemagique, passer le moment venu des critures de perte.De ce point de vue, les bilans teints de culture protestantesont jugs plus crdibles par des banquiers qui enHollande sont pour la plupart baigns de culture rforme.

    Les crances douteuses ne peuvent que produire desbanquiers dubitatifs.

    Les crances et les croyances sont indissociables, lespremires portant en elles les gnes de la culture qui les afait natre. On ne saurait trop conseiller aux cabinetsdexpertise comptable de recourir des consultantsextrieurs, quils soient psychanalystes ou thologiens.

    Il en est videmment de mme lorsque lon regarde le bilanque nous prsente la finance internationale, tant il est vraique les immenses dettes contractes par les tats-Unis seretrouvent en crances chez les tats dsunis.

    Hors des croyances, point de salut montaire

    Quil sexprime sur le terrain politique, militaire,conomique, financier et, on a mis cet aspect en exergue ici,

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    montaire, le leadership amricain a besoin dun socle, une

    capacit produire des croyances. Hors de celles-ci, pointde crances, point de puissance amricaine.

    La premire croyance qui a historiquement fond le systmea t, en 1944, le symbole mme de la scurit, lor, dont lavaleur dpassait de loin les cots de production et la margedes transformateurs. O lon retrouve Bretton Woods. InGold we trust. Lor valait aussi un prix supplmentaire, celuide la scurit quil procure (ou procurait) son possesseur,une vritable prime dassurance quil fallait payer pouracqurir le mtal et la scurit quil vhicule. Cettecroyance tait vieille comme le monde, depuis que sontapparus des inquiets et des coquettes, des orpailleurs et desfbriles, tous pris par les fivres rcurrentes de lor. Aulendemain de la Seconde Guerre mondiale, lor, qui avaitplus que jamais repris du service, pouvait aisment servir decroyance scurisante pour que la machine amricaine puisseimprimer. On sait ce quil advint.

    Il a donc fallu trouver dautres croyances, elles ne seront pasmtalliques et mme compltement dmatrialises. Nepouvant plus croire que leurs dollars taient un bon dachatchangeable contre des onces, les receleurs se sont orientsvers de nouvelles croyances moins tangibles.

    Groupe Eyrolles 73 Alain Simon

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    Nouveau Monde

    Dtenir des dollars est alors surtout devenu un ticketdentre dans le rfrentiel culturel dun pays producteurde rves, lAmerican way of life.

    La question nest aucunement de savoir si vous ou moi,lecteur ou auteur, croyons en ce systme de valeurs, si nousy adhrons ou le rejetons. Force est de constater que sapuissance est considrable et ses adeptes innombrables. Que

    je crois en Dieu ou non napporte ou nenlve rien uneralit intangible : les foules des croyants sont immenses, lacroyance devient donc un phnomne que mme lessceptiques et les mcrants doivent prendre enconsidration, on allait dire prendre en compte.

    Il suffit de regarder lvolution des habitudes alimentaires,vestimentaires, comportementales, ludiques, on en passe,des gamins des rues dans le monde pour mesurer la forcedattraction de la machine amricaine produire des

    croyances populaires. Observons quel est le modledidentification qui sous-tend les attitudes et lon mesureralefficacit des rves que les tats-Unis sont capables de fairenatre.

    Groupe Eyrolles 74 Alain Simon

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    Mme ceux qui rejettent, par la raison ou la violence, ce

    rfrentiel culturel se dterminent par rapport lui, sontmagntiss par lui, refusant alors une magntisation dont ilssoulignent la puissance laune de leurs refus. Comme unamateur de deltaplane continue de se rfrer lattractionterrestre en tentant dy chapper, plus il jubile de senextraire plus il souligne sa prgnance. Il finit dailleurs

    toujours par rendre les armes ; il nest pas davion quinatterrisse pas un jour, dune manire ou dune autre.Mme ceux qui rejettent la culture made in USA en arriventparfois porter des T-shirts, des jeans ou des casquettes debase-ball. Elles sont ce titre toujours troublantes, cesimages ou lon voit des manifestants brler des bannires

    toiles ou tenter de caillasser un consulat des tats-Unis ltranger, et qui portent en fait les mmes vtements quedes tudiants amricains. Ils rejettent ce qui les fascine, unrve qui les angoisse, les opprime parfois, leur sembleinaccessible ou inacceptable, semble mme broyer leurspropres croyances. Mais la croyance est bien l, pour le

    meilleur ou pour le pire.

    On pourrait dsormais dire que cest la machine amricaine p