Le temps des vendanges - Octobre 2011

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LE TEMPS DES VENDANGES L e chemin qui conduit de la grappe de raisin au vin semble immuable et à l’écart des idées révolutionnaires. Pourtant depuis 10 ans, le regard sur les vendanges n’a cessé d’évoluer. Observations, bon sens et intuitions ont profondément bouleversé les choses et modifié la conquête d’un millésime. D es vignerons de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne et de Provence apportent leurs témoignages sur l’évolution des vendanges. Merci à Denis Dubourdieu d’ouvrir la route en focalisant sur les points essentiels qui ont, selon lui, marqué ces dix dernières années. Merci à Stéphane Derenoncourt qui nous résume ensuite en quelques lignes les évolutions techniques les plus significatives de cette première décennie du XXI è siècle. DENIS DUBOURDIEU Agronome, professeur d’œnologie à l’Université de Bordeaux, membre de l’INAO 1 Les rendements Taille plus sévère, ébourgeonnages, vendanges vertes, ils ont baissé d’au moins 20% dans toutes les appellations et dans tous les crus… L’idée est de faire naturellement des vins plus (trop ?) concentrés. La chaptalisation et la concentration des moûts La baisse des rendements mais aussi une série climatique exceptionnelle ont mis ces pratiques au placard (même à sauternes). L’identification des parcelles La cartographie a permis de mieux connaître les parcelles et partant, de pénétrer dans l’intimité des vignobles. Les meilleurs terroirs de graves, d’argile ou de calcaire sont aujourd’hui parfaitement identifiés. Dans les domaines ambitieux, les sols sableux, limoneux et/ou humides, au potentiel limité, sont désormais systématiquement affectés au second vin dont la proportion est croissante. Le temps des vendanges 45 jours après la véraison il y a dix ans, 60 jours aujourd’hui, les vendanges des raisins rouges se fait de plus en plus tard. Le but ? Atteindre la maturité complète et idéale pour chaque parcelle. Sur la Rive Droite, la recherche de maturation des merlots est devenue une compétition locale. Il n’est pas exclu que certains soient allés trop loin. Le tri des raisins Chaque raisin qui entre dans une cuve doit être parfait. Tous les moyens possibles sont mis en œuvre, manuel, mécanique, optique pour arriver à un tel résultat. Le retour du petit verdot La proportion de cabernet et de petit verdot augmente dans le premier vin des crus de la rive gauche. L’arrivée du bio La sensibilité environnementale des crus s’éveille. Beaucoup de châteaux ont des essais «bio». Certains (rares) ont sauté le pas et sont en conversion pour la totalité de leur surface. Les autres observent prudemment. A Sauternes Fait remarquable du vignoble liquoreux : les vendanges sont de plus en plus précoces… La pourriture noble qui forge l’âme des sauternes apparaît massivement de plus en plus tôt.

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Quelques témoignages de viticulteurs des quatre coins de l’hexagone, mais aussi de Denis Dubourdieu et Stéphane Derenoncourt sur ce qui a fondamentalement changé depuis dix ans.

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LE TEMPS DES VENDANGES

Le chemin qui conduit de la grappe de raisin au vin semble immuable et à l’écart des idées révolutionnaires. Pourtant depuis 10 ans, le regard sur les vendanges n’a cessé d’évoluer.

Observations, bon sens et intuitions ont profondément bouleversé les choses et modifié la conquête d’un millésime.

Des vignerons de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne et de Provence apportent leurs témoignages sur l’évolution des vendanges. Merci à Denis Dubourdieu d’ouvrir la

route en focalisant sur les points essentiels qui ont, selon lui, marqué ces dix dernières années. Merci à Stéphane Derenoncourt qui nous résume ensuite en quelques lignes les évolutions techniques les plus significatives de cette première décennie du XXIè siècle.

DENIS DUBOURDIEUAgronome, professeur d’œnologie à l’Université de Bordeaux,

membre de l’INAO

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Les rendementsTaille plus sévère, ébourgeonnages, vendanges vertes, ils ont baissé d’au moins 20% dans toutes les appellations et dans tous les crus… L’idée est de faire naturellement des vins plus (trop ?) concentrés.

La chaptalisation et la concentration des moûtsLa baisse des rendements mais aussi une série climatique exceptionnelle ont mis ces pratiques au placard (même à sauternes).

L’identification des parcellesLa cartographie a permis de mieux connaître les parcelles et partant, de pénétrer dans l’intimité des vignobles. Les meilleurs terroirs de graves, d’argile ou de calcaire sont aujourd’hui parfaitement identifiés. Dans les domaines ambitieux, les sols sableux, limoneux et/ou humides, au potentiel limité, sont désormais systématiquement affectés au second vin dont la proportion est croissante.

Le temps des vendanges45 jours après la véraison il y a dix ans, 60 jours aujourd’hui, les vendanges des raisins rouges se fait de plus en plus tard. Le but ? Atteindre la maturité complète

et idéale pour chaque parcelle. Sur la Rive Droite, la recherche de maturation des merlots est devenue une compétition locale. Il n’est pas exclu que certains soient allés trop loin.

Le tri des raisinsChaque raisin qui entre dans une cuve doit être parfait. Tous les moyens possibles sont mis en œuvre, manuel, mécanique, optique pour arriver à un tel résultat.

Le retour du petit verdotLa proportion de cabernet et de petit verdot augmente dans le premier vin des crus de la rive gauche.

L’arrivée du bio La sensibilité environnementale des crus s’éveille. Beaucoup de châteaux ont des essais «bio». Certains (rares) ont sauté le pas et sont en conversion pour la totalité de leur surface. Les autres observent prudemment.

A Sauternes Fait remarquable du vignoble liquoreux : les vendanges sont de plus en plus précoces… La pourriture noble qui forge l’âme des sauternes apparaît massivement de plus en plus tôt.

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STEPHANE DERENONCOURTVigneron consultant

CHÂTEAU CANTEMERLE, CRU CLASSE DE HAUT-MEDOCPhilippe Dambrine, Directeur

A Cantermerle, le vignoble a été replanté en grande partie dans les années 80 quand la Société Mutuelle Agricole du Bâtiment et des Travaux Publiques a acheté le domaine. Cela a permis un enracinement profond de la vigne. Aujourd’hui, la vigne arrive dans la fleur de l’âge, cela se ressent à la dégustation des vins : ils ont gagné en intensité, une progression qui n’a pas échappé aux fidèles observateurs du cru.

Au fil des ans, la conduite de la vigne s’est faite plus précise et plus respectueuse de l’environnement. Dans le même temps, la connaissance de la maturité des raisins a progressé grâce aux analyses sophistiquées des laboratoires. Cet examen de la maturité s’accompagne aussi de la dégustation des raisins, elle reste déterminante pour apprécier la texture de la peau et le goût des pépins.

Les vendanges ont aussi évolué vers une plus grande délicatesse dans le ramassage. Le tri sélectif, aujourd’hui bien maîtrisé permet de préserver l’intégrité des baies jusqu’au foulage.

CHÂTEAU TALBOT, CRU CLASSE SAINT-JULIENChristian Hostein, Directeur de production

Les règles qui fixaient les dates des vendanges ont disparu… La recherche de la maturité optimale passe désormais par une prise de risque de plus en plus importante… Il faut désormais agir vite et bien.

Nous avons ainsi modifié notre capacité de ramassage des raisins en augmentant les effectifs des vendangeurs. Nous avons aussi cherché à les fidéliser et à les « fixer » à Talbot en mettant à leur disposition de nouvelles installations, en leur proposant un « contrat ». Côté technique, nous faisons évoluer chaque année les chaînes de traitement de la vendange. Tout est mis en place, de la vigne à l’érafloir, dans le but de respecter au maximum l’intégrité des raisins. Cela passe par des contenants plus respectueux des baies et l’optimisation du tri par flottation avant un dernier tri manuel avant l’encuvage.

Pour l’élaboration du Grand Vin, l’individualité des parcelles a pris une place de plus en plus importante. Les assemblages sont désormais plus tardifs, cela permet des mariages plus fins et la mise en place de synergies porteuses de minéralité. Des éléments qui concourent à la recherche de la complexité.

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C’est la décennie du respect et de la sélection de la grappe. Les remorques à vendange, bennes à vis et tout autre moyen de transporter la vendange sont remplacés par des cagettes. Les érafloirs sont repensés et deviennent plus doux, plus respectueux de la grappe.

Les tapis pour trier s’enrichissent des techniques de vibration. Les pompes à vendanges, à piston ou hélicoïdale disparaissent au profit du péristaltique pour éviter les actions mécaniques. Les plus soucieux optent pour le convoyage.

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CHÂTEAU CARBONNIEUX, CRU CLASSE DE GRAVESEric et Philibert Perrin, Co-propriétaires

La règle est intangible, pour faire un bon vin, il faut de beaux raisins… Les principales évolutions observées ces dernières années concernent le vignoble. C’est dans cette direction que nous travaillons le plus en espérant nous améliorer au fil des années.

Un vignoble mieux connu et mieux ressenti a autorisé une gestion parcellaire plus pointue. La taille et les amendements se font sur mesure, ils sont adaptés à la personnalité de chaque parcelle et même de chaque portion de parcelle. Le palissage de certaines vignes a été rehaussé pour améliorer la surface foliaire. Cette connaissance et cette technique ont conduit à une maîtrise plus naturelle des rendements. Les vendanges vertes ont pratiquement disparu, à l’exception des jeunes vignes trop ardentes.

Le vignoble de Carbonnieux, en rouge et en blanc, atteint aujourd’hui un âge vénérable. Chaque année, nous veillons à son renouvellement en replantant environ 2% de l’ensemble du domaine. Cela permet de gommer les erreurs du passé. Notamment celle qui consistait à planter des cépages précoces sur des terroirs précoces pour éviter tout risque de gel.

Longtemps reconnu pour ses blancs, Carbonnieux l’est aujourd’hui tout autant pour ses rouges. Pour autant, le style n’a pas fondamentalement changé si ce n’est un peu plus de profondeur et de précision pour les rouges, à peine moins de bois pour les blancs. Une obligation : respecter le fruit, objet de tant d’attention…

CHÂTEAU SOUTARD, GRAND CRU CLASSE DE SAINT-EMILIONClaire Thomas-Chenard, Directrice d’exploitation

Trois choses m’apparaissent essentielles dans le vécu des vendanges depuis 10 ans.- des degrés qui dans l’ensemble ont augmenté,- l’arrivée du tri optique qui autorise une fenêtre de ramassage plus précise et une meilleure sélection des raisins,- la chambre froide qui permet d’homogénéiser la température des raisins arrivant au chai tout en favorisant une meilleure macération préfermentaire.

CHÂTEAU GUIRAUD, CRU CLASSE DE SAUTERNESXavier Planty, Co-propriétaire et directeur

L’évolution ? Une précision grandissante dans la plupart des grands crus, la prise de conscience que concentration et qualité ne vont pas de paire, une passion toujours grandissante pour le vin.

MAISON LOUIS JADOT DE BOURGOGNEManuela Mouroux, Chargée de communication

Pour la maison Jadot, les quantités de raisins vinifiés ont sensiblement augmenté en raison de l’achat de vignes mais aussi avec la signature de nouveaux contrats avec des producteurs.

Ce qui n’a pas changé chez Louis Jadot :- les vendanges manuelles,- les petites caisses pour le transport des raisins,- le tri des raisins.

Nos points de progrès : 3

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- le tri qui s’opère désormais sur toutes les appellations, du Beaujolais-Villages aux Grands Crus en passant par le Bourgogne générique, une démarche unique dans notre région,- un tri non stop à la cuverie quelque soit l’état sanitaire de la vendange. Tous les raisins sans exception passent par la table de tri,- des transports plus fréquents de la vigne à la cuverie pour éviter les débuts d’oxydation et « traiter » les baies dans les meilleurs délais.

CHAMPAGNES PHILIPPONNATCharles Philipponnat, Président-Directeur-Général

Pour le vin à bulles, trois choses essentielles ont fait évolué les mentalités durant les vendanges :

- le cycle de maturation des raisins qui se révèle plus rapide et plus variable oblige à être plus réactif pour rentrer le raisin au plus vite. En 2011, les équipes de vendangeurs ont été renforcées pour cueillir les pinots noirs le plus rapidement possible. Les chardonnays ont été ramassés après les pinots, c’est un pied de nez à la tradition. - le regard sur les raisins s’est considérablement affiné. L’objectif s’est fait plus précis de ramasser les baies au point culminant de leur maturité, ni avant ni après. Cela implique aussi de pratiquer un tri strict des grappes à la vigne en observant une parfaite discipline de cueillette.

Ces nouvelles disciplines s’avèrent d’autant plus essentielles que les vendanges hâtives sont souvent plus mûres et partant, plus fragiles.

DOMAINE DE LA BEGUDE A BANDOLGuillaume et Soledad Tari, Propriétaires du domaine

Voilà 15 ans, nous avons repris un vignoble méditerranéen et nous avons pris la décision de le cultiver en « bio ».

Première conséquence : un rendement beaucoup moins élevé, environ 25 hl à l’hectare, une production infime qui entraîne quelques moments d’inquiétude.

Autres conséquences, plus gratifiantes : la vigne apparaît plus résistante aux maladies et à la sécheresse qui précèdent les vendanges, l’effet millésime est beaucoup plus marqué, chaque vendange a désormais sa personnalité. Les vins présentent plus de fraîcheur.

Un autre changement pourrait être la prise en compte du cycle lunaire pour les dates de vendanges. La base du bandol, c’est le mourvèdre et il se révèle très lunatique…

Nous avons remarqué des dates de vendanges un peu plus précoces, moins espacées. Et nous sommes toujours les derniers à rendre notre copie. La Bégude est en effet située sur le point culminant de l’appellation Bandol.

Lettres de ChâteauxMarie-Stéphane Malbec

Tél. : 05 56 44 63 50 - Fax : 05 56 44 69 45E-mail : [email protected]

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