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ÉGYPTIEN CLASSIQUE LE SYSTÈME PRÉDICATIF : UNE APPROCHE SÉMANTIQUE Jean Winand Liège, 2007-2008

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ÉGYPTIEN CLASSIQUE

LE SYSTÈME PRÉDICATIF :

UNE APPROCHE SÉMANTIQUE

Jean Winand

Liège, 2007-2008

1. QUELQUES NOTIONS DE LINGUISTIQUE ET LEURS APPLICATIONS À L’ÉGYPTIEN ANCIEN

A. GÉNÉRALITÉS

1. La théorie des trois points de vue

Toute langue peut s’étudier sous trois angles complémentaires, mais distincts : le point de vue grammatical. C’est essentiellement l’étude des marques, comme la différence entre une forme sDm.n.f et une forme sDm.t.f (morphologie), mais aussi l’étude de la manière d’assembler les parties du discours (syntaxe).

le point de vue sémantique. Pour la prédication, il s’agit surtout de la sémantique des constructions verbales (p.ex., le sens d’inaccompli progressif fondamentalement lié à la construction SN + Hr + inf.), de l’actionalité des procès (p.ex., la différence entre iri « faire » et pH « atteindre »), et des rôles sémantiques (p.ex., la différence entre un agent et un patient).

le point de vue énonciatif (qui ne recouvre pas exactement ce qu’on appelle la pragmatique). Pour l’étude de la prédication, on se préoccupera surtout de l’organisation de l’énoncé entre thème et rhème, ainsi que des processus énonciatifs qui y sont associés (thématisation et rhématisation). Entrent également dans ce point de vue les instances d’énonciation (cf. ci-dessous).

Les points de vue sont complémentaires ; cela veut dire qu’ils sont en interaction constante. Un point de rencontre important entre grammaire et sémantique est constitué par la temporalité verbale. Le sens temporel ou aspectuel d’une construction ne peut se déduire entièrement du sens du paradigme verbal ; il est aussi tributaire du sémantisme de la proposition, ce qu’on appelle son actionalité (cf. infra, p. 18 et suiv.). Autre exemple : les processus de rhématisation et de thématisation font l’objet d’une grammaticalisation partielle, en égyptien ; il y a donc interaction entre les points de vue grammatical et énonciatif.

Cela posé, le point de vue grammatical reste clairement instrumental par rapport aux deux autres. Pour n’envisager que la relation entre les points de vue sémantique et grammatical, le point de vue sémantique a une prétention universelle tandis que le point de vue grammatical envisage les moyens mis à disposition par une langue particulière pour rendre les catégories sémantiques. De surcroît, les deux plans ne sont pas isomorphes : en effet, une réalité sémantique, comme les indications de mode, mobilise tout à la fois le plan strictement grammatical (paradigmes verbaux), mais aussi le plan lexical et le système intonatif.

2. La langue comme système sémiotique

La langue est aussi un système sémiotique. Le schéma ci-dessous rappelle les composantes traditionnelles de toute communication :

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1. NOTIONS GÉNÉRALES DE LINGUISTIQUE 3

Contexte (ou référent) (Canal) Emetteur Message Destinataire Code

F. émotive F. Conative

F. référencielle

F. phatique

F. Métasémiotique

F. poétique

Fig. 1. Les éléments de la communication et les fonctions communicatives.

Étudier le fonctionnement d’une langue, c’est essentiellement s’intéresser au code dans lequel le message est structuré. Le code linguistique est un des codes possibles pour transmettre un message. Notre connaissance de la civilisation égyptienne implique le déchiffrement d’autres codes : iconique, architectural, juridique, organisation de l’espace, etc. Par la force des choses, le message linguistique est lui-même codé dans un système particulier, celui de l’écriture hiéroglyphique, dont les règles gênent parfois la compréhension du code linguistique de l’égyptien.

On peut tenter de faire un lien entre le schéma communicationnel et le système des trois points de vue. Comprendre le code linguistique revient à se placer du point de vue grammatical. La relation entre le code et le contexte est l’affaire du point de vue sémantique. Le point de vue énonciatif se retrouve dans la relation qui unit l’émetteur au destinataire. L’émetteur structure en effet le message de façon à agir sur le destinataire (fonction conative). Il peut aussi présenter son propos en laissant paraître sa subjectivité (fonction émotive), qui, sur le plan linguistique est du domaine de la modalité.

Dans les paragraphes suivants, on s’attache à préciser quelques notions touchant aux points de vue grammatical (§ B, C, D et E) et énonciatif (§ G). Le point de vue sémantique, dans le cadre strict de l’analyse du système prédicatif est développé au chapitre 2.

B. LES CATÉGORIES DU DISCOURS

1. Généralités

La tradition grammaticale découpe le langage en des unités appelées catégories du discours. Une fois ces catégories identifiées, on peut étudier comment les assembler : c’est le domaine de la syntaxe. Le point de vue adopté pour isoler les unités du langage n’est pas constant chez tous les linguistes, ce qui donne beaucoup de flou et d’incertitude aux classements. Ont tour à tour été envisagées par les spécialistes des catégories plus ou moins exclusivement basées sur :

le point de vue de l’écrit : les blancs, la ponctuation, la mise en page de manière générale sont considérés comme des indices sérieux de la segmentation et de l’organisation du discours. Si ce critère reflète bien un certain sentiment des usagers sur leur langue, on conviendra qu’il est peu utilisable d’un point de vue scientifique. Éminement variable et culturellement conditionné, il se révèle de surcroît largement inapplicable pour l’égyptien où règne la scriptio continua (voir néanmoins infra, p. 7 et suiv., les déductions qu’on peut tirer de la mise en page sensu lato) ;

1. NOTIONS GÉNÉRALES DE LINGUISTIQUE 4

le point de vue de l’oral : la segmentation des parties du discours est fondée sur l’intonation et le rythme. Ce critère est malheureusement inopérant dans le cas des langues mortes, comme l’égyptien ;

le point de vue morphologique, qui permet de dresser des paradigmes : les unités appartenant à un même paradigme sont alors réputées appartenir à la même classe ;

le point de vue syntaxique : la commutation est érigée en principe absolu pour établir des classes. Pour être crédible, cette méthode doit composer avec les phénomènes de recatégorisation (cf. infra, p. 5) ;

le point de vue sémantique : traditionnellement, les substantifs sont réputés représenter des entités du monde, les verbes des activités ou des états, les adjectifs des qualités, etc. C’est aussi selon ce point de vue que le lexique est réparti en mots vides et mots pleins. Une autre division fait appel à la notion de catégories ouvertes (substantifs, verbes) ou fermées (pronoms, prépositions, particules).

2. Les catégories de l’égyptien

On peut aisément se mettre d’accord sur l’existence d’un certain nombre de catégories et de leurs caractéristiques. La difficulté vient du classement des unités à l’intérieur des catégories, cela en raison des phénomènes fréquents de recatégorisation (cf. infra, p. 5). On s’attachera donc ici à classer les lexèmes en fonction de leur comportement prototypique.

Pour l’égyptien classique, on posera les catégories suivantes, en les justifiant brièvement. Comme c’est le point de vue grammatical qui est ici (logiquement) privilégié, les critères morphologiques et syntaxiques sont les plus importants. Le critère sémantique (notionnel) se révèle inopérant. Quant au critère intonatif, on n’y a accès que fort indirectement en égyptien ancien. Son incidence est d’ailleurs plus grande pour le découpage des unités syntaxiques.

substantifs : ils varient en genre et en nombre ; ils peuvent constituer un argument direct du verbe, ou y être reliés par une préposition ; ils peuvent jouer le rôle de prédicat ;

pronoms : ils se comportent en fait comme les substantifs, d’un point de vue syntaxique et sémantique ; ils constituent toutefois des classes fermées et restreintes, alors que les substantifs forment une catégorie ouverte ;

adjectifs : cette catégorie est peut-être un fantôme d’un point de vue morphologique ; les adjectifs sont en fait des formes participiales du verbe.

adverbes : on peut à nouveau douter de l’existence d’une catégorie adverbiale en tant que telle ; il existe pourtant des emplois adverbiaux. Les lexèmes qui sont susceptibles d’un tel emploi sont soit des substantifs utilisés absolument (ra nb « chaque jour »), des adjectifs (wr.t « grandement ») ou des prépositions utilisées absolument, c’est-à-dire sans régime (im « là »), parfois pourvues d’un suffixe –w (xntw « devant, auparavant »).

verbes : ils sont porteurs des marques de temps, d’aspect et de mode ; ils peuvent s’adjoindre un ou deux arguments directs ainsi que des arguments et des satellites prépositionnels. La fonction prédicative leur est naturellement affine.

prépositions-conjonctions : elles sont chargées de marquer une relation entre un verbe et un argument ou satellite, ou entre deux substantifs. C’est une catégorie semi-fermée en ce sens que beaucoup de prépositions composées sont formées sur des substantifs ce qui laisse beaucoup de liberté à un enrichissement de la catégorie. Elle n’est toutefois pas complètement ouverte dans la mesure où le nombre des prépositions-conjonctions est tout de même réduit comparé aux stocks substantival ou verbal. Pour l’égyptien, on notera

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encore qu’il n’y a généralement pas de différence formelle entre une préposition et une conjonction de subordination.

particules : elles constituent une catégorie vague, à vrai dire non homogène. Comme les prépositions-conjonctions, elles sont invariables ; à l’inverse des prépositions, les particules ne sont pas des connecteurs syntaxiques au sens étroit. Leur rôle est essentiellement énonciatif : elles ont un rôle intratextuel, assurant la cohésion textuelle, et extratextuel, en indiquant la position et l’attitude du locuteur vis-à-vis de l’énoncé ou de l’interlocuteur. D’un point de vue syntaxique, on distingue des particules en périphérie de la proposition, situées en position initiale et des particules internes à la proposition. Les premières ont parfois fait l’objet d’une grammaticalisation. Dans l’exposé qui est fait ici, on réserve le nom de particules au sens strict aux éléments intégrés à l’intérieur de la proposition. Les particules situées en tête de la prédication sont appelées auxiliaires d’énonciation (cf. supra, p. 12 et suiv.).

3. Procédés de recatégorisation

Comme la plupart des langues, l’égyptien connaît des procédés de recatégorisation, qui ont pour effet de transférer un mot dans une catégorie du discours différente de sa catégorie première. Par exemple, en français, un adjectif peut fonctionner comme un substantif (« premier » > « le premier »). En égyptien, le phénomène est assez répandu. Pour autant qu’on puisse en juger, il existe trois grands procédés de recatégorisation :

La recatégorisation avec mutation morphologique

Un élément d’une catégorie peut être versé dans une autre catégorie via une transformation morphologique :

- un substantif ou une préposition devient un adjectif par le procédé du nisbé : nTr « dieu » > nTrj « divin », Hr « sur » > Hrj « qui se trouve sur »,

- un verbe est versé dans la catégorie du substantif en étant conjugué à une forme appropriée : mri « aimer » > mrr.f (f. subst. personnelle) « le fait qu’il d’aime », mri.t (inf.) « le fait d’aimer », etc.,

- un verbe est versé dans la catégorie de l’adjectif par le biais des participes et formes relatives (cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.).

La recatégorisation par le recours à des outils externes - un verbe, une proposition est versé dans la catégorie du substantif ou de l’adjectif en recourant à

un convertisseur (cf. infra, p. 10),

- un verbe, une proposition est versé dans la catégorie du substantif, de l’adjectif ou de l’adverbe via un connecteur syntaxique,

La recatégorisation sans tranformation interne ou externe

Un élément d’une catégorie se comporte comme ceux d’une autre catégorie par le seul fait de pouvoir exercer les mêmes propriétés de commutation paradigmatique :

- un adjectif se comporte comme un substantif : wr « grand » > wr « le grand »,

- un verbe se comporte comme un substantif : sDm.f (subj.) « il entendra » > rdi sDm.f « faire qu’il entende »,

- une phrase entière se comporte comme un substantif : mi m-sA.i pw « c’est un viens-à-mon-secours » (c’est-à-dire « c’est un appel à l’aide »).

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Ce type de procédé est en général ouvert à toute la classe concernée. Dans certains cas, il peut y avoir figement grammaticalisé ou lexicalisé. C’est notamment le cas pour les auxiliaires d’énonciation, dont beaucoup ont une origine verbale (cf. infra, p. 11).

N.B. Certaines théories grammaticales posent un parallélisme plus ou moins strict entre morphologie et fonction syntaxique (école polostkyenne). Toute recatégorisation ne s’envisage alors que dans le cadre d’une mutation morphologique, même si celle-ci est indécelable dans l’écriture. Un tel postulat va tout à la fois à l’encontre de l’évidence, du critère d’économie et de la typologie générale. Il ne sera donc pas suivi ici.

C. LES UNITÉS SYNTAXIQUES

La syntaxe s’occupe de la manière d’assembler les éléments du langage. Il existe plusieurs unités syntaxiques, qui opèrent à des niveaux différents. On pourrait considérer un peu rapidement que ces niveaux s’emboîtent un peu à la manière des poupées gigognes. En fait, la présence d’une unité supérieure ne postule pas nécessairement la présence démultipliée de tous les degrés inférieurs. On distinguera ici six unités syntaxiques : le mot, le syntagme, la proposition, la phrase, le paragraphe et le texte. Les critères qui servent à les définir sont plus ou moins les mêmes que ceux utilisés pour les catégories du discours. Ils rencontrent aussi les mêmes limitations. Il s’agit des points de vue de l’écrit, de l’intonation, de la commutation paradigmatique et de la sémantique.

Le mot

La définition du mot a déjà fait couler (et fera encore couler) beaucoup d’encre en linguistique générale, à tel point que certains ont préféré renoncer à utiliser la notion même de mot. D’une manière empirique, sont considérés comme mots les éléments d’une classe morphologique donnée à la fois commutables et indépendants. Ainsi l’article néo-égyptien pA est-il considéré comme un mot parce qu’il peut commuter avec d’autres éléments (démonstratif, possessif) et qu’il n’est pas rattaché exclusivement à une catégorie de mots (on le trouve avec des substantifs, des adjectifs, des pronoms, etc.). Après beaucoup d’hésitation et en laissant de côté le critère de l’intonation, le pronom suffixe est de même considéré comme un mot : commutable avec un substantif (p.ex. dans l’expression du sujet d’un verbe fléchi), et possibilité de se joindre à plus d’une classe de mots (verbe, substantif, préposition, auxiliaire). Joint à l’adjectif démonstratif pour former le possessif (pAy.f), il n’est plus considéré comme un mot parce que, d’une part, il n’est plus commutable dans cette position avec quoi que ce soit, et, d’autre part, il forme bloc avec l’élément précédent, lui faisant finalement perdre toute nuance démonstrative en néo-égyptien. C’est pourquoi il vaut mieux parler dans ce cas d’un nouvel adjectif. Des infixes comme -xr, -kA, -in ou -t, ne peuvent être davantage considérés comme mots, parce que, bien que commutables, ils sont exclusivement rattachés à une seule classe de mot (le verbe).

Le syntagme

Par syntagme, il faut comprendre un groupe de mots ayant entre eux des liens plus étroits qu’avec aucun autre élément de la proposition et ayant une fonction déterminée au sein de la proposition. Le syntagme a généralement un centre, que l’on appelle aussi le noyau. Le syntagme peut se ramener à un seul mot. Par exemple, m pr « dans la maison », m pr it.i « dans la maison de mon père », im.f « en elle » et im « dedans » constituent quatre possibilités de syntagme.

La proposition

La proposition comprend un ou plusieurs syntagmes et contient une relation prédicative, ce dernier point étant le plus important (cf. infra, p. 9). Dans mk sn.k m pr.f « vois, ton frère

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est chez lui », on a bien une proposition puisqu’il y a une relation prédicative, mais le syntagme m pr.f, à lui seul, ne peut pas constituer une proposition. Les propositions ne seront pas confondues avec les phrases : en effet, une proposition n’est pas toujours une unité auto-suffisante et indépendante. On distinguera ainsi deux sortes de propositions : les propositions autonomes et les propositions non autonomes (cf. infra).

La phrase

La phrase comprend une ou plusieurs propositions. Par rapport à la proposition, la phrase ajoute une opération énonciative. Elle a une valeur autonome, ce qui n’implique pas nécessairement une autosuffisance totale : elle est syntaxiquement autosuffisante, mais peut être sémantiquement dépendante. Elle ne coïncide pas toujours avec la proposition autonome en ce sens qu’une phrase peut comprendre plusieurs propositions: p.ex., une proposition autonome et une proposition dépendante.

Le paragraphe

Le paragraphe comprend une ou plusieurs phrases. Prototypiquement, un paragraphe s’ouvre par une forme initiale (autonome ou non), suivie par une ou plusieurs propositions dépendantes. La fin d’un paragraphe se signale par la présence d’une nouvelle forme initiale, de formules-types de transition, ou de particules de liaison (comme xr).

Le texte

Le texte comprend un ou plusieurs paragraphes. Étant donné les définitions qui ont été proposées ci-dessus, il ressort qu’un texte peut très bien ne contenir qu’une seule phrase, elle-même réduite à un seul mot.

On verra ci-dessous l’usage que l’on peut faire de ces découpages en fonction de l’articulation de l’égyptien en propositions autonomes et non autonomes. Il n’y a, à vrai dire, que trois niveaux indiscutables : le mot, la phrase et le texte.

D. LES FONCTIONS SYNTAXIQUES

1. Les niveaux de l’analyse syntaxique

On distinguera ici cinq niveaux syntaxiques de base : le syntagme nominal, la proposition, la phrase, le paragraphe et le texte. Chaque niveau met en œuvre des moyens spécifiques. Il ne sera question ici que des structures énonciativement non marquées.

Le syntagme

Deux types de syntagmes sont ici à envisager : le syntagme nominal (SN) et le syntagme verbal (SV). La notion de SV est utile pour régler le cas des formes verbales analytiques comme la construction pseudo-verbale (Hr + inf.) et les constructions faisant intervenir des auxiliaires (n-pA.f sDm). Dans la linéarité du discours, le SV peut être discontinu.

En égyptien classique, le noyau du SN est le substantif ou son substitut, notamment pronominal. Il peut être accompagné de déictiques et de marque de définition (p.ex., les démonstratifs), et de déterminants ou qualifiants (p.ex., les adj., les propositions introduites par nty). Leur ordre à l’intérieur du SN et les règles d’accord font l’objet d’une étude spécifique. En règle générale, les déterminants et qualifiants suivent le noyau.

Les SN peuvent entrer en relation avec d’autres SN ou s’intégrer dans des propositions. Les relations avec un autre SN sont de deux ordres, soit d’égalité (p.ex., coordination, disjonction), soit de dépendance (p.ex., relation génitivale de détermination, relation via une préposition). Dans ce dernier cas, le syntagme entre dans un syntagme plus large. C’est

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également le cas quand un SN entre en relation avec un SV. À l’intérieur d’une proposition, la relation peut se faire de manière immédiate (p.ex., argument direct d’un verbe, mais aussi emploi adverbial) ou médiate, via une préposition.

N.B. Dans les manuscrits égyptiens, le syntagme est parfois matérialisé par la ponctuation.

La proposition

Ainsi que cela a été défini plus haut, la proposition renferme une relation prédicative. En égyptien classique, il y a deux types de prédications : non verbale et verbale (cf. infra, p. 9).

La prédication non verbale est prototypiquement la relation entre un SN et un prédicat substantival, adjectival ou adverbial. En fonction du type de prédicat, l’ordre des mots et le choix des substituts pronominaux du SN varient.

Le noyau de la prédication verbale est le verbe et ses arguments, qui sont des SN. La prédication prototypique est la prédication transitive, qui met en scène un verbe et deux arguments directs : le sujet et l’objet. Le verbe peut également être intransitif, et régir un ou deux arguments. En égyptien classique, il y a deux grands types de prédication verbale, qui gouverne chacun une structure propre influant sur l’ordre des mots et, corrélativement, sur le choix des substituts pronominaux des arguments : la conjugaison suffixale et la conjugaison pseudo-verbale. Le premier type est gouverné par l’ordre V-S-O, le second par l’ordre S-V-O. Voici un exemple-type :

(aux.) Vb. Suj. Obj. (satellite)

arguments subst. iw iri.n z mnw m niw.t.f

l’homme a fait un monument dans sa ville conjugaison

suffixale arguments pron. iw ir.n= f sw im(=f)

Suj. Vb. Obj

arguments subst. iw z Hr ir.t mnw m niw.t.f

l’homme fait un monument dans sa ville conjugaison pseudo-verbale

arguments pron. iw= f Hr ir.t= f im(=f)

Fig. 2. Ordre des mots en égyptien dans la prédication verbale.

L’étude du verbe, de ses arguments et ses satellites mobilise plusieurs notions connexes : la valence, l’actionalité et les rôles sémantiques (cf. infra, p. 18).

Le syntagme prédicatif peut régir des SN en périphérie, et se combiner avec des opérateurs énonciatifs, aspecto-temporels et modaux.

N.B. Dans les manuscrits égyptiens, la proposition est parfois matérialisée par la ponctuation, ou rendue explicite par la mise en page (saut à la ligne).

La phrase

La phrase peut coïncider avec les limites de la proposition. Il s’agit alors nécessairement d’une proposition autonome. Mais une phrase comprend fréquemment plusieurs propositions. Le schéma le plus fréquent est une proposition autonome à laquelle se raccrochent une ou plusieurs propositions non autonomes. Une proposition non autonome peut se rattacher à une proposition autonome de plusieurs manières :

par des moyens morphologiques : p.ex. la forme mrr.f dans le rôle d’objet direct,

par des moyens lexicaux : conj. de subord., auxil. d’énonciation spécialisés (p.ex. isk),

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par des effets sémantiques au sens large,

par l’intonation, difficile à apprécier dans une langue morte. NB. ces moyens ne sont pas mutuellement exclusifs. L’intonation est sans doute toujours présente.

On notera qu’une proposition non autonome peut également dépendre d’une autre proposition non autonome, ou d’un SN. Enfin, deux propositions non autonomes peuvent former une phrase (système corrélatif).

Le notion d’initialité, que l’on fait parfois intervenir dans la définition de la phrase, n’est pleinement opérationnelle que dans la notion de paragraphe (cf. ci-dessous).

Le paragraphe

Le paragraphe peut se résumer à une seule phrase. Le plus souvent, un paragraphe comprend plusieurs phrases. Deux questions se posent : d’une part, la définition des limites du paragraphe, d’autre part, l’organisation des phrases à l’intérieur du paragraphe.

Le début et la fin d’un paragraphe se laissent souvent reconnaître à certains indices. Un nouveau paragraphe peut être signalé par ce qu’on appelle des indicateurs d’intialité : cas fréquent, un verbe déclaratif introduisant un discours [16,79,185], les syntagmes lexicalisés r-Dd [28] et (r-)nty/(r-)ntt [6,37]. La fin d’un paragraphe peut aussi être formellement signalée, notamment par des marqueurs de fin de discours (in.f, xr.f, etc.) [58]. À l’intérieur d’un paragraphe, certaines constructions sont prototypiquement initiales (mk), d’autres sont spécialisées dans la séquentialité (aHa.n, wn.in, etc.). Il faut encore mentionner des expressions formulaires qui indiquent un nouveau paragraphe (HD.n tA, xr-ir m-xt hrw qnw (swA) Hr nn, etc.).

N.B. Dans les manuscrits égyptiens, le début d’un paragraphe peut être matérialisé par l’emploi de la couleur rouge (rubrique).

Le texte

Un texte peut se résumer à un seul paragraphe, une seule phrase, voire un seul mot. Généralement, un texte comprend plusieurs phrases. Dans de nombreux cas, les limites du texte coïncide avec les limites du support : une lettre sur un ostracon. Mais il n’est pas rare que plusieurs textes soient réunis sur un même support ; dans les cas favorables, les limites

seront matérialisées par des titres, des signes de fin de texte ( ), ou encore des colophons.

Une analyse de longs extraits de textes est donnée à la fin de l’ouvrage (cf. infra, p. ).

2. La relation prédicative

Aucune proposition ne se conçoit en dehors d’une relation prédicative. Le terme relation implique la présence de deux éléments au minimum : un premier élément, qui sert de support, et un deuxième élément, qui dit (« prédique ») quelque chose se rapportant au premier élément. D’un point de vue grammatical, le premier élément est appelé le sujet et le second le prédicat. Prototypiquement, les deux termes de la relation prédicative sont présents dans tout énoncé. Des phénomènes d’effacement sont néanmoins possibles, avec des latitudes variables suivant les langues (cf. infra, ). Sur le plan sémantique, il existe fondamentalement quatre types de relations : le support peut être mis en relation

avec une autre entité (opération d’identification ou de classification : Pierre est mon père, Pierre est un étudiant),

avec une qualité (Pierre est grand),

1. NOTIONS GÉNÉRALES DE LINGUISTIQUE 10

avec un espace, terme utilisé dans un sens large (Pierre est à la maison, en colère, etc.),

avec une activité (Pierre joue, Pierre construit une maison).

La dernière relation se laisse diviser en deux grandes catégories, suivant que l’activité n’implique que le sujet (Pierre joue), ou qu’elle affecte une autre entité (Pierre construit une maison). Lorsque le terme de la relation est le sujet, on parle de relation endocentrique ; quand la relation part du sujet vers une autre entité, on parle de relation exocentrique. Pour la prédication verbale, les deux types de relations recoupent la notion de diathèse.

Les langues mettent en œuvre des moyens variés pour rendre ces quatre (cinq) types de relations. En égyptien, les trois premiers types sont rendus par des constructions non verbales. La prédication verbale concerne au premier chef les activités. En résumé, les choses se laissent présenter de la manière suivante :

niveau grammatical nature de la relation type de relation

préd. substantivale identification/classification

préd. adjectivale qualification

prédication non verbale

préd. adverbiale spatialisation

activité intransitive

endocentrique

prédication verbale activité transitive exocentrique

Fig. 3. Les relations prédicatives en égyptien.

Sur le plan sémantique, la division des activités verbales selon la transitivité est insuffisante. Elle doit être complétée par une analyse de l’actionalité des procès (cf. infra, p. 18).

Sur le plan énonciatif, on notera qu’on peut, prototypiquement, faire une adéquation entre le premier élément et le thème, et le deuxième élément et le rhème. Cette structure fondamentale peut toutefois être modifiée.

3. Les convertisseurs syntaxiques, aspecto-temporels et modaux

On a vu qu’un verbe pouvait changer de catégorie (cf. supra, p. 5) soit par commutation paradigmatique, soit par une modification morphologique. Ces possibilités sont toutefois limitées. D’une part, il existe des nuances impossibles à rendre de cette manière, d’autre part, ces moyens ne sont pas accessibles aux propositions non verbales et à leurs dérivés. L’égyptien dispose de convertisseurs spécialisés, tous formés sur le verbe wnn « être », dont la fonction est de transposer une proposition dans une nouvelle catégorie syntaxique, aspecto-temporelle ou modale. La plupart des convertisseurs combinent deux de ces fonctions. Les formes suivantes sont les plus courantes :

wnn (inaccompli général) convertisseur de substantivation. Pour substantiver une construction, on recourt à wnn, conjugué à la forme substantive mrr.f. Les propositions introduites par wnn sont ainsi aptes à jouer les rôles d’un substantif (sujet, COD, complément circonstanciel, génitif, prédicat d'une proposition à prédicat substantival). Les propriétés aspectuelles de la forme mrr.f se retrouvent en partie dans le convertisseur.

1. NOTIONS GÉNÉRALES DE LINGUISTIQUE 11

wnn (inaccompli général) convertisseur adjectival. wnn peut revêtir la forme d’un participe ou d’une forme relative pour transformer la proposition qu’il introduit en une proposition relative.

wn convertisseur du subjonctif et parfois de substantivation. Le recours au convertisseur wn (forme du subjonctif du verbe wnn) permet de doter les formes pseudo-verbales des valeurs sémantiques et syntaxiques du subjonctif, c’est-à-dire de leur conférer une valeur modale, laquelle tend à devenir un simple futur, et parfois, en même temps, leur permettre d’assumer des fonctions substantives (mais non de temps seconds).

wn convertisseur du passé. Ce convertisseur attribue une signification temporelle de passé à l’inaccompli général sDm.f [66,68] et aux constructions pseudo-verbales. Il permet également à ces formes de fonctionner comme des temps seconds. Sous la graphie simple, se cache peut-être la forme sDm.n.f.

wn convertisseur adjectival du passé. wn peut aussi revêtir la forme d’un participe ou d’une forme relative pour transformer la proposition non verbale ou pseudo-verbale (plus rarement, verbale) qui suit en une proposition relative.

wnn convertisseur du prospectif (?). Sous une graphie unique, wnn cache peut-être deux formes morphologiquement distinctes : la forme substantive mrr.f et le prospectif sDm.(w).f. Cette hypothèse permettrait de rendre compte de certains emplois du convertisseur nettement orientés vers le futur avec mise en emphase éventuelle.

E. GRAMMATICALISATION ET LEXICALISATION

Deux principes, en synchronie et en diachronie, doivent être pris en considération : la grammaticalisation et la lexicalisation.

La grammaticalisation fige l’emploi de certains mots dans des usages grammaticaux. Au terme du processus, on remarque une désémentisation plus ou moins importante qui va de pair avec une spécialisation syntaxique (limitation des possibilités de commutation paradigmatique par rapport à la classe de départ) ; on observe également souvent une réduction phonologique :

- des formes verbales sont figées en auxiliaires d’énonciation : c’est p.ex. le cas de mk, aHa.n, wn.in, xr, et probablement de iw (cf. infra, p. 13),

- des prépositions servent de constituants dans des paradigmes verbaux : Hr, m, r.

Ce processus s’étale en général sur des périodes assez longues. Dans certains cas, on remarque des tentatives de grammaticalisation qui n’aboutissent pas pleinement.

La lexicalisation est un autre type de figement, qui consiste à verser dans la catégorie du substantif une entité appartenant originellement à une autre catégorie : verbe, adjectif, proposition. La différence entre la lexicalisation et la recatégorisation réside dans le degré de stabilité du transfert. Dans le cas d’une recatégorisation, le transfert est occasionnel ; l’entité recatégorisée est encore employée dans sa catégorie d’origine. Dans le cas d’une lexicalisation, l’entité transférée quitte définitivement sa catégorie première pour fonctionner exclusivement comme un substantif.

La lexicalisation peut toucher une proposition entière ; les éléments en deviennent indissociables, figés dans leur séquence, et subissent des modifications accentuelles (ex. « un sot-l’y-laisse »). En égyptien, on peut citer, à titre d’exemple, xpr.f-iT.f « un conquérant né »

1. NOTIONS GÉNÉRALES DE LINGUISTIQUE 12

(litt. « un-il-apparaît-il-saisit »). La lexicalisation d’un syntagme se devine parfois par le rejet, en fin de syntagme, du déterminatif appartenant primitivement au premier membre du groupe.

F. LES INSTANCES D’ÉNONCIATION

1. Définition

On distingue deux instances d’énonciation fondamentales, qui fondent chacune un système de références : le discours et la narration. Le discours est l’instance dialogique par excellence. Il met en scène un « je » et un « tu », un locuteur et un interlocuteur. La narration envisage son objet en dehors d’une interaction active entre locuteur et interlocuteur. C’est idéalement le domaine de la troisième personne. La distinction des deux instances est importante parce que s’y trouvent prototypiquement attachées plusieurs valeurs : la narration apparaît comme plus objective, elle se rapporte d’ordinaire au passé, elle est le domaine de la troisième personne ; le discours, comme instance de l’échange interactif, sera ressenti comme plus subjectif, orienté vers le présent ou le futur, et met en scène les deux premières personnes. À ces deux instances fondamentales, il convient de joindre une catégorie mixte, le discours narratif, où des faits du passé sont ramenés dans la sphère d’intérêt du locuteur. Comme on peut s’y attendre, cette dernière catégorie est bien typique des autobiographies.

Discours Narration Disc. narratif

personnes 1re-2e p. 3e p. 1re p.

modalité subj./polémique objective objective

sphère aspecto- temporelle

inaccompli présent/futur

accomplipassé

parfait passé-présent

Fig. 4. Les instances d’énonciation.

En égyptien, les constructions prédicatives se laissent assez facilement classer en fonction de l’instance d’énonciation. Certaines constructions peuvent apparaître dans plusieurs instances ; il importe donc d’établir la nature de l’instance dans laquelle on se trouve pour comprendre la fonction de la construction considérée (cf. infra, le cas de la sDm.n.f ou du subjonctif sDm.f). Un parallèle avec le français se révèle ici éclairant pour montrer le caractère changeant des oppositions : en français littéraire des 18e-19e s., le passé simple (il fit) s’oppose au passé composé (il a fait) en fonction de l’instance d’énonciation. En français contemporain, le passé composé s’est généralisé : sa valeur est donc fonction, en contexte, de l’instance d’énonciation où il est employé : signaler un fait passé sans incidence au moment d’énonciation dans une narration, mettre en évidence la situation résultante au moment d’énonciation dans un discours.

2. Les auxiliaires d’énonciation et les particules énonciatives

L’égyptien classique recourt fréquemment à ce qu’on appelle des auxiliaires d’énonciation. Très souvent d’origine verbale, ce sont des éléments invariables qui se placent en tête de phrase. Leur fonction est soit d’indiquer le point de vue du locuteur sur le procès qu’il rapporte, soit de structurer le message. Souvent, se joignent des effets de sens modaux. Il existe des auxiliaires « spécialisés » dans l’instance du discours (p.ex., mk), d’autres dans l’instance de la narration (p.ex., aHa.n), d’autres opèrent dans l’une et l’autre catégorie.

D’un point de vue syntaxique, certains auxiliaires sont intégrés à la prédication (p.ex., iw), tandis que d’autres fonctionnent plutôt à sa périphérie (p.ex., mk ou isk).

1. NOTIONS GÉNÉRALES DE LINGUISTIQUE 13

On réservera l’appellation particule énonciative aux éléments qui se situent à l’intérieur de la prédication. Ils sont d’ordinaire d’origine non verbale et ils ne sont pas intégrés à la prédication (p.ex., rf), à l’exception notable de is.

a. Les principaux auxiliaires d’énonciation

iw ( , )

En employant iw, le locuteur indique qu’il valide la proposition dans le lieu et le moment d’énonciation. C’est ce qui l’a fait parfois qualifier de « véritable indicatif ». On le trouve essentiellement avec les propositions adverbiales et pseudo-verbales, ainsi que, par extension, avec l’accompli sDm.n.f et l’inaccompli général sDm.f, avec lesquelles iw tend à former des constructions figées (début d’un processus de grammaticalisation). On notera que iw deviendra en néo-égyptien, entre autres emplois, un auxiliaire marquant la dépendance ; des exemples en sont déjà perceptibles au Moyen Empire [80].

mk, mT, mTn ( , , )

Il s’agit d’un interpellatif (fonction phatique : cf. supra, p. 2) qui varie en fonction du genre et du nombre de l’interlocuteur (« Vois (m.), vois (f.), voyez (pl.) »). Cet auxiliaire est typique du discours. Le nombre des constructions avec lesquelles il peut se combiner est plus large que iw.

HA ( )

Placé notamment devant le subjonctif, il donne à l’énoncé une valeur d’optatif1. 1 BM 562,9

ix ( )

L’auxiliaire ix introduit une proposition séquentielle caractérisée comme dépendant de l’attente du locuteur (« je crois ») ou exprimant un ordre poli, une requête (« je te prie »). Il est surtout employé avec le subjonctif, plus rarement avec une prédication adverbiale.

in ( ) et in-iw ( )

L’auxiliaire interrogatif in s’emploie devant une phrase non verbale à prédicat substantival ou adjectival ; il est également utilisé devant une forme de la conjugaison suffixale capable d’occuper une position initiale. L’auxiliaire in peut encore introduire des constructions formées à l’aide de l’auxiliaire iw, qui érige la construction qui suit en énoncé prédicatif. On distinguera les emplois de in + iw de ceux de l’auxiliaire composé in-iw, où l’élément iw n’est plus la marque de l’indicatif, mais forme une unité avec in. On notera que in-iw se répand beaucoup plus tard que in et in iw.

isk ( ), isT ( )

Cet auxiliaire marque le propos comme incident par rapport à l’argumentation générale. Le sens est généralement temporel ou causal. Par la force des choses, les constructions attestées derrière isk, isT sont des formes de l’accompli et des constructions non verbales, en particulier à prédicat adverbial.

aHa.n ( ) et aHa ( )

Ces deux auxiliaires sont le produit de la grammaticalisation du verbe aHa « se mettre debout », respectivement conjugué à la forme sDm.n.f et, sans doute, au subjonctif sDm.f.

1. NOTIONS GÉNÉRALES DE LINGUISTIQUE 14

aHa.n introduit une proposition séquentielle qui marque un nouveau développement. Il est spécifique de la narration ; il situe l’action dans le passé par rapport au temps du narrateur et souligne que l’action implique un changement de posture ou d’attitude (physique ou morale) des participants. Il est utilisé surtout devant des constructions relevant de l’accompli : la sDm.n.f, le passif sDm.(w) + SN, ou les constructions pseudo-verbales, rarement devant le perfectif sDm.f [201].

L’auxiliaire aHa est plus rare. L’action ainsi introduite est marquée comme une suite. aHa peut être suivi du subjonctif sDm.f, de son passif sDm.(w).f, de la sDm.xr.f ou encore d’une construction pseudo-verbale.

wn.in ( )

Cet auxiliaire est le résultat de la grammaticalisation du verbe d'existence wnn utilisé à la forme sDm.in.f. Il s’agit donc étymologiquement d’un convertisseur (voir supra, p. 10). Il est typique du registre de la narration, où il sert à introduire un développement dans le récit qui suit immédiatement ce qui précède. La nuance qui le distingue de aHa.n n'est pas facile à cerner ; elle relève plutôt de la stylistique que de la sémantique.

xr ( )

Cet auxiliaire introduit une proposition séquentielle, quand le lien avec ce qui précède est considéré comme dépendant d’une norme extérieure ou d’une obligation ; il exprime donc une nécessité générale, mais qui est contingente. L’auxiliaire xr est suivi du subjonctif sDm.f et, éventuellement, du prospectif, ou de la construction Sujet + parfait ancien, voire d’une proposition non verbale.

NB. Il existe d’autres auxiliaires, plus rares, comme smwn ou nHmn2. Leur étude n’est pas abordée ici. 2 Oréal 2000

3 Oréal 2000

b. Les particules énonciatives

Les particules énonciatives, aussi appelées enclitiques, forment une unité prosodique avec l’élément qui précède. On envisagera ici les particules gr, is et rf.

gr ( ), grt ( )

Elle sert à introduire un nouvel élément. Elle a un peu le même sens que en grec [28, 104, 230, 262]. On notera aussi les emplois de gr(w) en fin de proposition [134].

is ( )

Il s’agit probablement d’une particule focalisante à l’origine (cf. ses emplois dans les propositions à prédicat substantival et avec les temps seconds). Elle a ensuite servi à marquer la dépendance (cf. ses emplois dans des propositions complétives). On la trouve associée à la négation n dans la négation discontinue n … is et dans la négation composée n-is.

irf ( ), rf ( )

Deux emplois principaux pour cette particule issue de la lexicalisation de la préposition (i)r + pr. suff. : marque de cohésion avec ce qui précède et renforcement de l’expressivité (notamment avec l’impératif) [183,197,264].

NB. Il existe d’autres particules, plus rares, comme A, w, wy, ms [223] ou swt [25]. Leur étude n’est pas abordée ici3.

1. NOTIONS GÉNÉRALES DE LINGUISTIQUE 15

G. LES CONSTRUCTIONS ÉNONCIATIVEMENT MARQUÉES

On s’est contenté jusqu’ici de décrire sommairement les constructions énonciativement non marquées. Cette notion fait écho à la distribution fondamentale des constituants du message en thème (support) et en rhème (apport). La phrase énonciativement non marquée prend pour modèle la prédication transitive. Le sujet, d’une part, et le groupe verbe-objet, d’autre part, y assument respectivement les rôles de thème et de rhème. Cette répartition correspond à des constatations statistiques.

Comme toute langue, l’égyptien peut, en fonction de la stratégie d’énonciation déployée par le locuteur, mettre l’accent sur la partie thématique ou rhématique du message, ou encore bouleverser la répartition courante entre fonction syntaxique et fonction rhématique. Pour y parvenir, l’égyptien met en branle trois types de moyens :

- l’isolement en périphérie de la proposition d’un élément, avec reprise anaphorique ou cataphorique. Ce moyen est bien connu dans toutes les langues ; il est typique des procédés de thématisation.

- le recours à des paradigmes morphologiques appropriés, moyen que l’égyptien partage avec certaines langues africaines et des langues de l’Asie du sud-est. C’est ce qu’on appelle aussi en égyptien les temps seconds. Ils sont typiques des procédés de rhématisation.

- le recours à des tournures particulières, comme les phrases coupées, qui servent originellement à rhématiser le sujet.

N.B. Un court chapitre de synthèse en fin de volume reprend les principaux moyens de thématisation et de rhématisation.

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ

A. LES ACCEPTIONS TRADITIONNELLES DU TEMPS

Quand on parle du temps en linguistique, on entend communément l’évaluation de la position d’un procès par rapport à un point de repère. En schématisant les choses, on arrive à une représentation du genre de celle donnée ci-dessous, où les crochets brisés symbolisent les procès et T° le moment d’énonciation (sur le formalisme graphique, cf. infra, p. 22) :

|T° < >a < >b < >c

Fig. 5. Les temps « absolus ».

Les procès sont évalués en bloc par rapport à un point de repère, ici le moment d’énonciation. Si celui-ci suit entièrement le procès, ce dernier appartient au passé (cas a), s’il est inclus dans le procès, le procès appartient au présent (cas b), et s’il précède entièrement le procès, on dira que ce dernier appartient à la sphère du futur (cas c). Le même type de raisonnement vaut pour les temps relatifs, c’est-à-dire l’évaluation d’un procès par rapport à un autre procès :

|T° < >a < >b

Fig. 6. Les temps « relatifs ».

Le schéma ci-dessus pourrait être une illustration de l’exemple 1, où < >a représente la proposition « il regarda », et < >b la proposition « qui avait mangé » ; comme on peut le vérifier, on a bien la suite logique : b < a < T°.

1 : Il regarda l’homme qui avait mangé

Le mot « temps » en grammaire française connaît une deuxième acception ; il peut être utilisé pour caractériser la manière dont un procès se déroule, indépendamment de sa relation avec un point de repère. On parle alors parfois de temps du procès ou de temps de l’action. En d’autres termes, le temps équivaut ici à ce qu’on appelle d’ordinaire l’aspect. Considérons les deux phrases suivantes :

2 a : Il lut de 8 heures à 9 heures b : Il était en train de lire entre 8 heures et 9 heures

Suivant l’opinion la plus répandue, les deux phrases sont équivalentes du point de vue du temps (le procès est antérieur à T°) ; elles diffèrent en revanche par la manière dont le procès est présenté.

- 16 -

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 17

J’appelle temporalité l’entité supérieure qui englobe le temps et l’aspect. On peut représenter sommairement l’articulation générale de la temporalité de la manière suivante : temporalité temps aspect

Fig. 7. Les deux axes de la temporalité.

B. TEMPS, ASPECT ET MOMENT DE RÉFÉRENCE

La définition provisoire de la relation temporelle rappelée ci-dessus est encore traditionnelle en linguistique. Elle pose pourtant de nombreux problèmes. Le premier – et le plus important – concerne la relation supposée entre le procès et un point de repère, que ce dernier soit absolu ou relatif. Quelques exemples montreront facilement de quoi il s’agit.

3 a : Quand j’ai regardé par la fenêtreb, le chien était dans la coura

Selon l’analyse traditionnelle, cet exemple serait interprété comme exprimant un procès < >a dans le passé. Ce procès est en relation de concomitance avec un autre procès, celui de la proposition temporelle < >b. On pourrait schématiquement représenter la situation de la manière suivante :

T° < >a < >b

Fig. 8. Représentation traditionnelle de la relation temporelle.

Cette analyse est peu satisfaisante. Il suffit en effet de donner une suite à notre exemple pour s’apercevoir que la relation postulée entre < >a et T° est invalidée :

3 b : Quand j’ai regardé par la fenêtre, le chien était dans la cour. Je constate qu’il y est toujours.

Il est évident que la fin du procès ne peut plus cette fois être antérieure au point de repère. D’autre part, la relation de concomitance que l’on avait cru pouvoir établir entre la proposition temporelle et le procès de la principale ne peut plus être davantage maintenue. La seule conclusion qui s’impose est que le temps grammatical n’établit aucune relation directe entre le procès et le point de repère. En réalité, le temps grammatical ouvre une fenêtre sur le procès, fenêtre par laquelle on le considère ; c’est cette fenêtre qui est en relation avec le point de repère. Dans l’exemple ci-dessus, l’imparfait a pour fonction, d’une part, d’isoler un segment de temps à l’intérieur du procès à l’exclusion de ses bornes et, d’autre part, d’établir une relation d’antériorité entre ce segment (et non le procès) et le point de repère. Les limites de ce segment de temps peuvent être linguistiquement explicitées, comme c’est le cas ici, par un complément de temps.

Pour désigner la fenêtre par laquelle le procès est considéré par le locuteur, je propose d’utiliser le terme « moment de référence ». Le schéma donné ci-dessus en première approximation peut dès lors être actualisé afin de tenir compte du moment de référence, symbolisé ici par des crochets droits :

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 18

|T° < [ [ >a < >b

Fig. 9. Représentation de l’exemple 3b.

Une remarque s’impose d’emblée. Tout d’abord, la limite droite du procès n’est pas linguistiquement donnée. Il suffit de compléter notre exemple d’une autre manière pour s’en convaincre :

3 c : Quand j’ai regardé par la fenêtre, le chien était dans la cour. Je constate qu’il n’y est plus.

|T° < [ [ >a < >b

Fig. 10. Représentation de l’exemple 3c.

Dans cette nouvelle version, nul doute que le procès < >a, dans sa totalité, ne soit antérieur à T°. Cela prouve l’absence de toute relation directe entre le procès et le point de repère. Ce qui demeure en revanche dans tous les cas, c’est la sélection opérée à l’intérieur du procès par le moment de référence, et la situation de ce moment de référence par rapport au point de repère.

La première sélection correspond à la dimension aspectuelle de la temporalité, tandis que la relation établie entre le moment de référence et le point de repère constitue à proprement parler la dimension temporelle de la temporalité.

Une première conclusion s’impose : la relation temporelle est une relation complexe à trois éléments : le procès, le moment de référence et le point de repère. Le modèle peut être représenté de la manière suivante :

moment de référence

TEMPS ASPECT

point de repère procès

Fig. 11. Les deux axes de la temporalité (bis).

C. L’ACTIONALITÉ DES PROCÈS

1. Généralités

J’ai considéré par hypothèse que la relation aspectuelle était primaire parce que c’est la seule qui traite directement avec le procès. Considérons maintenant les deux phrases suivantes :

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 19

4 a : Ils jouèrent à 3 heures b : Ils atteignirent le sommet à 3 heures

Dans les deux cas, même temps et même mode. Le moment de référence est situé avant T°. Mais ici s’arrête la comparaison. Dans le premier exemple, le moment de référence sélectionne le début du procès. La suite du procès, et notamment sa fin ne sont pas envisagées. C’est ce qu’on peut constater en poursuivant la phrase comme ceci :

5 : Ils jouèrent à 3 heures, mais durent s’arrêter vingt minutes plus tard à cause d’un violent orage

Dans le deuxième exemple, le procès stricto sensu se résume au moment précis où les acteurs atteignent le sommet. Mais on peut aussi atteindre linguistiquement la pré-phase du procès, comme le montre la variante ci-dessous :

6 : Ils mirent cinq heures à atteindre le sommet, qu’ils atteignirent à 3 heures

Tout ceci met en évidence les points suivants : la sélection aspectuelle opère bien sur le procès, la relation temporelle s’élabore par un lien qui unit le moment de référence au

point de repère, par exemple T°, tous les procès ne sont pas identiques ; les instructions données par les temps de la

conjugaison n’aboutissent pas à des sélections identiques.

C’est le dernier point qui fait ici l’objet de la discussion. Si les deux exemples (4a et b) n’ont pas la même valeur aspectuelle, cela ne peut tenir aux instructions données par les temps de la conjugaison, puisqu’on a affaire à chaque fois à un passé simple. La différence tient donc dans le lexème verbal lui-même. Chaque lexème verbal possède une structure qui permet de le ranger dans ce qu’on appelle une classe d’actionalité. Les traits distinctifs qui fondent ce classement sont, par exemple, la durée, la dynamicité ou la télicité. Du point de vue de l’actionalité, <jouer> et <atteindre> appartiennent à des classes distinctes. Le premier fait partie des activités atéliques, le second des achèvements téliques. C’est ce qui permet d’expliquer qu’une instruction de base unique, comme celle qui est donnée en français par le passé simple, puisse aboutir à des sélections différenciées en fonction de la nature des procès.

Au terme de cette introduction, il apparaît très clairement que tout système visant à rendre compte de la temporalité se doit d’étudier les éléments suivants :

la constitution interne du procès, c’est-à-dire qu’il faut établir une taxinomie de l’actionalité,

les instructions de base données par les temps verbaux, les interactions entre ces instructions et l’actionalité des procès lors de la

constitution du moment de référence (dimension aspectuelle), la relation du moment de référence avec le point de repère, T° ou un autre moment

de référence (dimension temporelle).

2. L’actionalité des procès en égyptien

L’actionalité d’un procès est le résultat d’une combinatoire entre le verbe, noyau de la prédication, et ses arguments. L’actionalité peut également être modifiée par la présence de satellites.

Tout verbe projette une structure d’arguments, ce qu’on appelle une structure actancielle. Les arguments sont les SN dont la présence est requise pour que la prédication soit complète.

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 20

Par exemple, le verbe « faire » projette une structure bi-actancielle : un sujet et un objet. Un segment comme « Jean fait » ou « fait un château » ne constitue pas une prédication complète. Les arguments d’un verbe se caractérisent par :

leur nombre : 1, 2 ou 3,

leur relation syntaxique avec le verbe : directe (X fait Y) ou indirecte (X va à Y),

un degré de liberté moindre que les satellites (propension à se grouper autour du noyau),

leur mémorisation en compétence,

leur rôle sémantique (cf. infra, p. 22).

On appellera Aktionsart verbale l’aspect inhérent du lexème verbal, et Aktionsart étendue l’aspect du groupe verbe + arguments. Le terme actionalité sera réservé à la proposition complète, c’est-à-dire à l’Aktionsart étendue complétée des satellites éventuels.

Avant de classer les procès en fonction de leur actionalité, il importe de définir ce qu’est un procès d’un point de vue cognitif. Un procès comprend prototypiquement cinq phases, lesquelles ne sont pas obligatoirement réalisées.

____________|_________________________|_____________ A B C D E

Fig. 12. Représentation prototypique d’un procès.

Le segment B-D correspond au procès proprement dit, le point B en marque le début, le point D la fin. La phase C correspond au procès en cours. La phase A correspond à la situation précédant le procès, la phase E à la situation suivant le procès.

En d’autres termes, la plupart des procès ont une durée, si petite soit-elle, un début et une fin, et sont précédés et suivis par d’autres procès. Cette première approche est toutefois un peu courte. Les procès sont en effet conceptualisés en fonction de traits jugés saillants par la communauté linguistique. Pour ce faire, les paramètres suivants sont le plus souvent pris en compte :

a) La notion de borne ou de limite du procès. Tout procès est naturellement borné, à droite et à gauche. Suivant que la borne possède ou non une saillance cognitive, on parle parfois de borne intrinsèque dans le premier cas, et de borne extrinsèque dans le second. Cette notion permet d’introduire naturellement la notion de point culminant, dont il sera question ci-après, et ouvre la voie à la distinction entre procès télique et procès atélique.

b) La notion de point culminant, laquelle peut s’identifier au début et/ou à la fin du procès. Dans ce dernier cas, on a en vue la finalité naturelle vers laquelle tend le procès. Les deux bornes du procès ne revêtent pas partout la même valeur sur le plan cognitif. Selon les cas, la borne de gauche (début du procès) ou la borne de droite (fin du procès) possède une saillance plus importante du point de vue du sujet. C’est ce que démontre la fonction de l’aspect PERFECTIF (cf. infra, p. 39).

c) La durée du procès. Contrairement à ce qui se passe dans le monde référentiel, tous les procès ne sont pas conçus comme ayant une durée.

d) La structure interne du procès : le cours du procès peut être conçu de différentes manières : dynamique ou non dynamique, uniforme ou non uniforme, continu ou avec des ruptures. Ces notions ne sont pas équivalentes. On ne retiendra ici que l’opposition du premier

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 21

type. Dynamique s’oppose à statique ; la dynamicité implique un apport d’énergie au procès pour que celui-ci puisse se maintenir.

e) Les phases qui précèdent ou suivent le procès peuvent être cognitivement intégrées dans le procès ou au contraire être négligées. À côté du procès au sens étroit, on constate souvent la présence de zones frontières, situées en amont et en aval du procès, qui, sans faire linguistiquement partie de celui-ci, sont néanmoins comprises dans son espace mental. Par exemple, une proposition logique comme « venir en ville », c’est-à-dire une proposition d’accomplissement, incorpore l’idée d’une situation qui s’instaure une fois le procès parvenu à son terme. De même, une proposition comme « atteindre le sommet », c’est-à-dire une proposition d’achèvement, incorpore mentalement l’idée d’une situation résultative, comme dans l’exemple précédent, mais envisage de surcroît l’activité préparatoire nécessaire à la réalisation du procès. On appellera pré-phase la zone contiguë précédant immédiatement le procès et post-phase la zone contiguë suivant immédiatement le procès.

La combinaison de ces critères permet de retenir, pour l’égyptien, plusieurs catégories d’actionalité, lesquelles s’organisent en une taxinomie, résumée dans le tableau suivant :

Actionalité Situation Procès [– TEMP] [+ TEMP] Stable Contingent Etat Action [– BORNÉ] [+ BORNÉ] [– DYN] [+ DYN] Stable Contingent Activité Evénement [– TÉL] [+ TÉL] Duratif Sémelfactif Duratif Ponctuel [+ DUR] [– DUR] (Achèvement) [+ AGT] [– AGT] Immédiat Gradable (Accompl.) [+ CTRL] [– CTRL] télicité télicité implicite explicite

Fig. 13. Taxinomie de l’actionalité en égyptien ancien.

Les critères d’actionalité qui ont été retenus sont les suivants : ± TEMP : inscription ou non du procès dans le flux temporel, ± DYN : perception du procès comme dynamique ou statique, ± TÉL : présence inhérente d’une limite qui marque la fin du procès (télique) ou non

(atélique), ± DUR : perception du procès comme duratif ou ponctuel, ± AGT : perception du sujet comme agentif ou non agentif (cf. infra, p. 23), ± CTRL : reconnaissance au sujet agentif d’un contrôle fort ou faible sur le procès.

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 22

Afin de visualiser la sélection aspectuelle et ses rapports avec le point de repère, les procès peuvent être représentés par des graphiques. Par convention, le procès stricto sensu est rendu par une paire de crochets brisés : < >. Différents symboles sont utilisés pour matérialiser les traits d’actionalité (durée, dynamicité, télicité, etc.). Voici une liste des procès avec leurs représentations graphiques et un exemple égyptien :

état <__________> mn « rester » activité durative, à sujet agentif <~~~~~~> wsTn « aller librement » activité durative, à sujet peu agentif <----------> sDm « entendre » activité sémelfactive <-> / <~> Hwi « donner un coup » événement <~~~~~+>______ iwi « venir »

événement gradable à tél. explicite <++++++>e______ qd « construire » événement gradable à tél. implicite <++++++>i______ dSr « rougir » achèvement sans pré-phase <+>______ / <+>~~~~~ xr « tomber » / Sm « s’en aller » achèvement avec pré-phase ~~~~~<+>______ pH « atteindre »

Le moment de référence, c’est-à-dire la sélection aspectuelle, se notera au moyen de crochets droits : p.ex., l’accompli ponctuel d’un événement sera rendu <~~~~~[+>]______.

Les procès peuvent encore se classer en fonction de leur orientation au départ du premier actant (cf. supra, p. 9). Deux grandes catégories émergent suivant que le procès reste sur le premier actant (visée endocentrique) ou qu’il passe à un deuxième actant (visée exocentrique). Combiné avec l’axe de temporalisation (cf. infra, p. 33), cela donne le tableau suivant :

Visée Prédication Tempor.

préd. substantivale préd. adjectivale

endocentrique préd. adverbiale vb. intransitifs

Obj. [- Pat.]exocentrique vb. transitifs

Obj. [+ Pat.]

+

Fig. 14. Prédication et orientation du procès.

3. Les rôles sémantiques (RS)

Le rôle sémantique correspond à la fonction logique qu’un argument ou un satellite joue dans la proposition. On n’entrera pas ici dans les questions complexes qui traitent notamment du lien entre RS de surface et RS en structure profonde (La brique dans « la brique s’est envolée sous l’effet du vent » est-elle un véritable Agent ou plutôt un Patient, voire un Instrument dans « la brique qui s’est envolée sous l’effet du vent a cassé la vitre » ?). On s’intéressera plutôt aux RS fondamentaux liés au schéma prototypique de la prédication événementielle, laquelle postule une relation simple où un Agent (prototypiquement un humain) agit sur un Patient (prototypiquement un inanimé), ce qu’on pourrait schématiser de la manière suivante :

Ag Pat

Fig. 15. Prédication événementielle de base.

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 23

Sur le plan grammatical, l’étude des RS est importante dans la mesure où les langues — avec des latitudes variables — tentent de faire coïncider RS et fonctions syntaxiques.

a. Les rôles sémantiques liés au sujet

Les RS associés au sujet tournent autour de deux notions fondamentales : agentivité et contrôle. On posera ici que l’Agent est l’énergie qui provoque un changement de situation. On identifie habituellement l’Agent à la source du procès. En d’autres termes, on considère que l’Agent contrôle le procès ; l’agent est donc naturellement animé. Toutefois, entre un sujet pleinement agentif ayant le contrôle de l’action et un sujet dénué de toute agentivité, comme dans le cas d’une prédication de situation ou de classification, il existe des degrés intermédiaires. Par exemple, on retient généralement une sous-catégorie appelée « expérient » ou « expérienceur » pour désigner celui qui éprouve le procès, qui en est le siège, mais sans en avoir le contrôle, ni même la moindre participation agentive (« Paul souffre de l’estomac »). Une autre sous-catégorie est constituée de verbes exprimant l’exercice des sens comme « voir » ou « entendre », dont les sujets sont perçus comme peu agentifs.

D’une manière générale, les verbes exprimant des états physiques ou mentaux, affectifs ou intellectuels, échappent au moule de la phrase bi-actancielle prototypique. À l’inverse du français, où le modèle bi-actanciel est très fort, de nombreuses langues recourent en effet à des constructions particulières afin d’éviter la coïncidence du sujet grammatical et d’un RS différent de l’agent (cf. es ist mir kalt « j’ai froid »).

b. Les rôles sémantiques liés à l’objet

Dans la phrase bi-actancielle prototypique, l’objet est conçu comme un Patient. Par Patient, il faut comprendre toute entité affectée au terme du procès. De même que tous les sujets ne sont pas des Agents, de même tous les objets ne sont pas des Patients. Le français est à cet égard trompeur, car il a étendu le canevas de la prédication évenementielle à toutes sortes de procès si bien que le rôle de Patient s’en trouve dilué.

Plusieurs langues marquent l’objet de manière différenciée suivant qu’il est effectivement perçu ou non comme un Patient. Ainsi, dans des langues comme le grec ou l’allemand, le deuxième argument d’une phrase comme « Pierre aide Marie » se met à un cas oblique ; ces langues marquent de la sorte la différence entre Patient et Bénéficiaire. De même, dans une série de langues ergatives, il existe une construction particulière pour les procès qui sont orientés vers un objet sans toutefois l’affecter (« Pierre voit Marie »). En égyptien, on relèvera l’existence de certaines tournures obliques en variante paradigmatique avec les tournures directes (cf. ci-dessous, § 4).

Le tableau ci-dessous fait ressortir les affinités qui existent entre certains traits d’actionalité et les R.S. Pour la bonne compréhension, on notera que l’axe objectal matérialise la frontière entre deux domaines : celui du non-objet à gauche, et de l’objet à droite.

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 24

Vision

exocentrique

États

Événements intrans. trans.

a x e s u b j e c t a l + —

A G E N T I V I T É

P

axe

Activités

intrans. trans. AT IENT

ob j ec t a l

endocentrique +

Vision

Fig. 16. Les axes du sujet et de l’objet en fonction de l’actionalité des procès.

4. Modifications de l’actionalité

L’actionalité de base peut être altérée. Deux procédés sont particulièrement fréquents :

la modification du nombre des arguments. Il existe deux possibilités : l’augmentation et la diminution de valence. La première a généralement pour effet de préciser la portée du procès, c’est-à-dire de le limiter. En d’autres termes, l’ajout d’un argument peut rendre télique un procès normalement atélique. La suppression d’un argument (qu’il ne faut pas confondre avec l’omission d’un argument pour des raisons énonciatives, rhétoriques ou stylistiques) génère d’ordinaire l’effet inverse, à savoir la détélicisation du procès. Ce procédé est bien connu en égyptien où il fonctionne un peu à la manière d’un supplétisme lexical (iri SN « faire qqch. » vs. iri Ø « agir »).

la modification de l’expression grammaticale des arguments. Un seul cas sera ici envisagé : l’expression oblique d’un argument normalement rendu de manière directe. En égyptien, l’objet direct peut être exprimé de manière indirecte via une préposition (m ou n), ce qui provoque généralement une modification de l’actionalité du procès. En dehors du procédé de rhématisation de l’objet dans le schéma des temps seconds (irr.f m X « il ne fait que X »), L’expression oblique de l’objet au moyen de m à un effet généralement partitif (wnm iwf « manger la viande » vs. wnm m iwf « manger de la viande »). Avec n, un procès peu agentif peut voir l’agentivité du sujet renforcée (sDm X « entendre X » vs. sDm n X « écouter X »).

5. Compatibilité de l’actionalité avec les temps verbaux

La plupart des temps de la conjugaison possèdent un sémantisme propre du point de vue aspectuel. Certains postulent en plus la présence de RS précis dans l’actionalité (p.ex., l’impératif implique prototypiquement un sujet agentif ; de même, en égyptien, le parfait ancien postule d’ordinaire un procès télique). Les temps de la conjugaison peuvent donc être compatibles, partiellement compatibles ou incompatibles avec l’actionalité de la proposition. Pour le dire autrement, tout ne se conjugue pas à n’importe quoi. Lorsque la compatibilité n’est que partielle, on assiste à des phénomènes de recatégorisation. Par exemple, l’emploi du

2. INTRODUCTION À LA TEMPORALITÉ 25

progressif avec un temps ponctuel entraîne la sélection de la post-phase (« être en train d’atteindre le sommet »).

L’emploi d’un temps verbal peut également modifier les RS d’un argument. Par exemple, le progressif égyptien postule que le sujet soit agentif. Les verbes à sujet peu agentif voient par conséquent leur sens modifié : cas topique, les verbes transitifs de perception visuelle ou auditive qui évoluent respectivement entre « voir » et « regarder » ou « entendre » et « écouter » au gré des conjugaison.

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE

Comme la plupart des langues chamito-sémitiques, l’égyptien connaît un riche système de prédications non verbales. Par prédication non verbale, on entend prototypiquement une relation entre un sujet et un syntagme non verbal qui joue le rôle de prédicat. En égyptien, ce dernier peut être un substantif, un adjectif ou un adverbe. Dans sa forme élémentaire, la prédication non verbale exclut donc tout élément verbal. La possibilité existe toutefois de réintroduire certaines formes verbales en périphérie de la prédication pour donner à la proposition une coloration temporelle ou une valeur modale déterminée.

Les trois types de propositions non verbales de l’égyptien se distinguent entre elles sur le plan grammatical et sémantique (cf. le tableau ci-dessous). De plus, elles entrent, à des degrés divers, dans des relations complémentaires, parfois complexes, avec les constructions verbales.

Sur le plan sémantique, la prédication substantivale exprime fondamentalement une identification (« Paul est l’égyptologue du moment ») ou une classification (« Paul est un égyptologue »). La prédication adjectivale attribue une qualité au sujet (« Paul est intelligent »). La prédication adverbiale exprime essentiellement une localisation (« Paul est en Égypte »).

Prédication Niveau sémantique Expression formelle

Substantivale identification/ classification Sujet + Prédicat / Prédicat + déictique

Adjectivale qualification Prédicat + Sujet

Adverbiale localisation Sujet + Prédicat

Fig. 17. Les types de la prédication non verbale en égyptien ancien.

Aux trois types de prédicats correspondent des schémas syntaxiques précis. En gros, la prédication substantivale connaît deux constructions de base : soit Sujet + Prédicat, soit Prédicat + un élément déictique servant d’indice du sujet. La prédication adjectivale observe rigoureusement la construction Prédicat + Sujet. La prédication adverbiale suit toujours l’ordre Sujet + Prédicat. L’identification d’une prédication non verbale procède donc à la fois de l’identification de la nature du prédicat, c’est-à-dire de la classe à laquelle il appartient, et d’une analyse syntaxique. La nature du prédicat n’est pas toujours un critère suffisant pour déterminer le type de prédication, car il existe des opérations de recatégorisation.

- 26 -

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 27

A. LA PRÉDICATION SUBSTANTIVALE

La prédication susbtantivale effectue une opération d’identification ou de classification. Dans le premier cas, on pose l’identité du sujet et du prédicat, lesquels sont nécessairement définis (A = B). L’opération est de surcroît réversible (si A = B, alors B = A). Dans le deuxième cas, on a affaire à une opération d’inclusion (A ⊂ B). Le sujet n’est plus alors nécessairement défini. Sur le plan logique, l’opération n’est plus susceptible de réversibilité (si A ⊂ B, alors B ⊄ A). Graphiquement les deux types d’opération peuvent se représenter ainsi :

A B B A

Fig. 18. Opération d’identification et de classification.

Sur le plan formel, l’égyptien possède deux constructions fondamentales, qui ne recouvrent pas exactement les deux types d’opérations logiques décrites ci-dessus.

1. La construction Sujet + Prédicat

La première construction consiste en la juxtaposition directe du sujet et du prédicat (A B). Si les deux termes sont des substantifs, ceux-ci sont grammaticalement ou sémantiquement définis. Il s’agit donc d’une opération d’identification. Dans ce type de prédication, plutôt rare, l’égyptien affectionne des phrases où sujet et prédicat se répondent dans un parallélisme lexical. Autre cas de figure où la prédication par juxtaposition est très utilisée : la présence de substantifs inaliénables et les anthroponymes.

Il est des cas où le sujet ou bien le prédicat n’est plus un substantif, mais un de ses substituts paradigmatiques. S’il s’agit d’un pronom personnel, cas le plus fréquent, l’égyptien recourt à la série des pronoms indépendants. Sur le plan sémantique, on trouve des opérations d’identification ou de classification. La distinction se fait en fonction de la définition du prédicat, qui n’est toutefois systématiquement marquée qu’à partir du néo-égyptien.

Quand le sujet pronominal est à la 3e personne, l’égyptien recourt au deuxième type de construction (cf. infra, p. ). S’il opte néanmoins pour la première, ce qui implique l’utilisation du pronom indépendant, la proposition est énonciativement marquée, le sujet est alors rhématisé. Pour les deux premières personnes, l’opposition entre formes marquées et formes non marquées existe aussi, comme le montre le copte, mais elle est neutralisée dans l’écriture hiéroglyphique.

Niveau énonciatif Nature du sujet Moyen égyptien Copte

1re et 2e pers. sing. ink / ntk + SN ang / ntk + SN Neutre

3e pers. sing SN pw SN pe / te / ne

1re et 2e pers. sing ink / ntk + SN anok pe + SN Rhématisation du sujet 3e pers. sing ntf + SN ntof pe + SN

Fig 19. Expression du sujet pronominal en fonction du niveau énonciatif.

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 28

2. La construction Prédicat + pronom démonstratif, indice du sujet

La deuxième construction connaît une forme simple et une variante élargie.

a) La construction de base

En moyen égyptien, la forme de base consiste en l’expression du prédicat suivi d’un élément invariable qui constitue l’indice du sujet. Cet élément est morphologiquement un pronom démonstratif masculin singulier pw. La forme élémentaire est donc A pw « c’est A ». Sur le plan sémantique, cette construction opère fondamentalement une opération de classification.

b) La construction élargie

Dans la construction élargie, le « sujet » est explicité de manière paratactique, après l’expression du déictique : A pw B « c’est A, que B », autrement dit « B est A », ce qui fait parfois dire un peu rapidement que B est le sujet.

Sujet Prédicat Déictique Apposition au déictique

I A B

IIa A pw

IIb A pw B

Fig. 20. La prédication substantivale.

3. Extensions de la construction à prédicat substantival

L’égyptien s’est servi des deux variantes de la construction substantivale pour créer des types de phrases spécialisés. Sur le modèle de la première construction (A B), il a formé ce que les égyptologues appellent une phrase balancée (Wechselsatze), consistant en la juxtaposition de deux propositions verbales traitées comme des substantifs [15,102,103]. Sémantiquement, les deux propositions sont jugées corrélatives et équivalentes. En termes logiques, si les conditions de vérité sont remplies pour la première proposition, la deuxième proposition se trouve automatiquement validée. La phrase balancée se caractérise notamment par un parallélisme lexical entre les propositions, comme son modèle dans la prédication substantivale (cf. infra, p. 52 et Erreur ! Signet non défini.).

Toujours sur le même modèle, l’égyptien peut former des phrases coupées (cleft sentences) dont la fonction énonciative consiste en la rhématisation du sujet. Si celui-ci est un pronom, on retrouve la série des pronoms indépendants toniques ; si le sujet est un substantif, celui-ci est introduit par la particule agentive in. En égyptien classique, le prédicat est soit un participe à l’accompli ou à l’inaccompli, soit le prospectif sDm.w.f, une forme de la conjugaison suffixale.

Évolution diachronique : En néo-égyptien, ce type de phrase connaît une nouvelle extension pour permettre l’emploi d’une plus large variété de prédicats. Presque toutes les constructions autonomes peuvent être utilisées dans ce nouveau schéma ; elles sont substantivées au moyen du pronom relatif nty et définies au moyen de l’article défini.

Le schème de la deuxième construction (A pw) peut ériger en prédicat un élément qui n’est pas morphologiquement un substantif. On peut trouver dans ce type de tournure

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 29

différents syntagmes (p.ex. une préposition et son régime), mais aussi, ce qui est plus insolite, des propositions prédicatives [101]. Dans mj m-sA(=i) pw « (litt.) c’est de l’ordre de ‘Viens après moi !’ », c’est-à-dire « c’est un appel à venir à mon secours », le prédicat est en fait une phrase à l’impératif.

4. La négation de la prédication substantivale

En moyen égyptien, la négation des deux types de constructions de la prédication

substantivale s’obtient en plaçant la négation n ( ) en tête de phrase. Il s’agit d’une négation de contradiction portant sur le nexus prédicatif. La négation n connaît une variante sous la forme n … is, où is est à l’origine une particule déictique, dont les utilisations, assez diverses en ancien égyptien, tendent à se figer en moyen égyptien dans les tournures négatives (cf. supra, p. 14). Les effets de sens de la négation n associée à is peuvent se résumer sous l’étiquette vague de focalisation, avec des réalisations diverses, comme le contrastif, le restrictif, le confirmatif et l’explicatif.

B. LA PRÉDICATION ADJECTIVALE

1. Construction de base

La prédication adjectivale opère fondamentalement une opération de qualification. Elle ne connaît qu’un seul schéma : Prédicat + Sujet. Le prédicat est prototypiquement un adjectif, en réalité une forme participiale du verbe, qui demeure invariable. On distinguera donc soigneusement la construction Adj. + SN, prédication adjectivale, du syntagme SN + Adj., qui ne forme pas un énoncé complet. Outre une modification dans l’ordre des constituants, on notera que l’adjectif reste invariable dans le premier cas, mais s’accorde en genre et en nombre dans le second.

A Qual.

Fig. 21. Opération de qualification.

Le sujet est soit un substantif, soit un de ses substituts paradigmatiques, p.ex, un verbe à l’infinitif [130] ou conjugué à une forme susceptible d’un emploi susbtantival [100]. S’il s’agit d’un pronom personnel, c’est la série des pronoms dépendants qui est utilisée. Si le référent du sujet est indéterminé, l’égyptien peut le laisser inexprimé. Quand le sujet est le pronom de la 1re personne, l’égyptien recourt plus volontiers à la prédication substantivale, bien que la prédication adjectivale soit attestée. Le choix de la prédication de classe ne reflète pas une quelconque impossibilité systémique, il est plutôt motivé par des considérations de stratégie énonciative. Sur le plan sémantique, l’attribution d’une qualité au locuteur est donc présentée comme une identification ou une classification. On notera enfin que le sujet peut être non exprimé [243].

2. Extensions de la construction à prédicat adjectival

L’égyptien peut substituer à l’adjectif prédicat la forme participiale d’un verbe autre que de qualité (cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.).

Le prédicat adjectival peut être renforcé par –wj, sans doute étymologiquement relié au morphème du duel. Comme n’importe quel adjectif, le prédicat adjectival peut être évalué par rapport à une entité de référence introduite par r (expression de la comparaison). Si la

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 30

proposition contient un bénéficiaire pronominal (« datif suffixal »), celui-ci remonte en tête de la proposition de manière à passer devant le sujet.

Prédicat Sujet

nfr sHD

(renforcement par wy)

(datif suffixal n.f) SN sw Ø

(comparaison : r + SN / pr.

suff.)

Fig. 22. La prédication adjectivale de base.

3. Prédication adjectivale et prédication substantivale

On a déjà noté que l’égyptien recourait plus volontiers à la prédication substantivale quand le sujet était à la 1re personne : ink nfr « je suis bon », plutôt que nfr wi. L’adjectif est alors en emploi substantival. On trouve parfois la même tournure à d’autres personnes. Comme l’adjectif peut être substantivé (nfr « quelqu’un de bon »), il peut être utilisé dans la construction A pw (cf. supra, p. 28) : nfr pw « c’est quelqu’un de bon ».

4. L’expression de la possession

En dehors des emplois canoniques où le prédicat est un adjectif de qualité, la construction à prédicat adjectival sert notamment à exprimer la possession. Une des tournures les plus fréquentes consiste à utiliser l’adjectif nisbé formé sur la préposition qui sert à marquer le bénéficiaire ou le destinataire (n > nj). En fonction de la nature substantivale ou pronominale du possesseur et de l’entité possédée, on obtient plusieurs schémas de construction, résumés dans le tableau ci-dessous :

POSSESSEUR (régime de nj) POSSÉDÉ (sujet) substantival pronominal

substantival n(j) A B « B appartient à A »

n(j) sw B « B lui appartient »

pronominal n(j) sw A « il appartient à A »

n(j) sw wi « je lui appartiens »

Fig. 23. La prédication d’appartenance avec nj (moyen égyptien).

La combinaison fréquente de n(j) avec un pronom dépendant de la 3e personne du

singulier donne le jour aux orthographes suivantes qui recourent au bilitère ns : pour

n(j)-sw et pour n(j)-sj. On notera encore que la prédication peut être renforcée par un

élément imy, écrit le plus souvent . Le groupe n.f-imy peut fonctionner à l’intérieur d’un syntagme nominal à la manière d’un adjectif. Enfin, il n’est pas rare que le possesseur ou le possédé fasse l’objet d’une thématisation.

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 31

Possesseur Possédé

n(j) + ntf ntf

Ø thématisation du possesseur ou du

possédé n.f-imy

SN sw

Fig. 24. La prédication d’appartenance ntf A et n.f imy A.

Ces constructions expriment fondamentalement la possession naturelle ou inaliénable. Elles s’opposent à d’autres tournures, formées sur le canevas de la prédication adverbiale, qui expriment la possession contingente (cf. infra, p. 34).

5. Négation de la prédication adjectivale

La négation de la prédication adjectivale s’obtient au moyen de n … (is), placé en tête de la proposition. Il n’y a guère d’attestation en dehors de l’expression de la possession. Plutôt que de nier une qualité, l’égyptien préfère en effet nier le processus menant à cette qualité. Pour ce faire, il conjugue l’adjectif, dans sa formation verbale, à une forme de l’accompli. N nfr.n.f signifie au propre « il ne s’est pas produit qu’il devienne bon », c’est-à-dire « il n’est pas bon » (cf. infra, p. 59).

On rattache encore à la prédication adjectivale l’expression de la non-présence (cf. infra,

p. 38). Elle s’effectue au moyen de nn ( ). Le sujet est d’ordinaire non défini. Il existe bien des cas de nn sw, mais ce sont des extensions secondaires. Quand le sujet a un déterminant (génitif ou pr. suff.), la tournure a valeur d’une possession niée. Une tournure fréquente est nn + infinitif, dans le sens de « sans faire » (litt. « inexistant est le fait d’entendre » ; cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.).

C. LA PRÉDICATION ADVERBIALE

1. Construction de base

La prédication adverbiale est d’abord une opération de localisation. Elle situe fondamentalement un sujet dans un espace. La localisation peut être proprement spatiale (« en ville »), temporelle (« en ce jour »), ou notionnelle (« en fureur »).

A Sit.

Fig. 25. Opération de localisation.

Le schéma syntaxique de base est Sujet + Prédicat. Le prédicat est soit un adverbe soit un syntagme prépositionnel. Le sujet peut être un substantif ou un de ses substituts paradigmatiques. S’il s’agit d’un pronom personnel, on recourt, en moyen égyptien, à la série des pronoms dépendants ou à celle des pronoms suffixes. Quand le référent du sujet est indéterminé, le sujet est le plus souvent omis4.

4 Sin. B 43

La prédication adverbiale ne figure que rarement réduite à ses deux éléments constitutifs. Le plus souvent, elle est précédée d’un opérateur syntaxique ou d’un auxiliaire d’énonciation. C’est la nature morphologique de ces éléments introducteurs qui conditionne le choix du pronom personnel sujet (cf. supra, p. 12).

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 32

2. Extension de la construction à prédicat adverbial

Sur le modèle de la prédication adverbiale, l’égyptien a développé un type de prédication verbale, qui sera très fécond tout au long de l’histoire de la langue égyptienne. Le prédicat peut être soit un infinitif précédé de la préposition Hr (ou encore m ou r), soit une forme spéciale du verbe différemment appelée dans la tradition égyptologique (parfait ancien, pseudo-participe, statif, qualitatif, etc.). En d’autres termes, il s’agit d’une forme à l’origine étative ayant ensuite évolué vers l’expression du parfait, une fois intégré dans le système d’oppositions aspectuelles de l’égyptien (cf. infra, p. 68 et p. 57).

3. La négation de la prédication adverbiale

Pour nier une prédication adverbiale, l’égyptien recourt à la négation nn placée en tête de la proposition5.

5 Eb. 101,15

Modalité Auxil. énonc. Négation Sujet Prédicat

mk isT HA

nn

Ø SN pr. dép.

Adv. Prép. + SN

in

iw ou nn

Ø SN pr. suff.

Ø nn SN (ink)

m r + inf. Hr Pft ancien

Fig. 26. La prédication adverbiale de base.

D. LA PRÉDICATION NON VERBALE ET L’EXPRESSION DE LA TEMPORALITÉ ET DE LA MODALITÉ

La prédication non verbale reste naturellement en dehors de la deixis temporelle. En règle générale, la relation temporelle dans laquelle s’inscrit une prédication non verbale se déduit de l’instance d’énonciation (opposition discours : narration), et de considérations syntaxiques (opposition temps absolus : temps relatifs). Dans la narration, par exemple, les propositions non verbales sont prototypiquement des constructions d’arrière-plan. En égyptien, quand elles ne sont pas accompagnées d’un auxiliaire d’énonciation ou d’un convertisseur syntaxique ou temporel, elles peuvent être utilisées soit de manière autonome, soit dans une relation sémantique de dépendance. Dans ce dernier cas, la dépendance se marque soit par la présence d’un élément anaphorique, soit par le biais d’inférences directionnelles.

À y regarder de près, il semble qu’on puisse répartir les prédications non verbales en deux groupes d’un point de vue sémantique : la prédication substantivale et la prédication adjectivale forment ensemble le premier groupe, et la prédication adverbiale constitue seule le deuxième groupe (sur l’axe de temporalisation, cf. supra, p. 22).

Le premier ensemble exprime fondamentalement une identification/classification ou une qualification non contingente. Pour le dire autrement, la prédication substantivale et la prédication adjectivale affirment l’identité du sujet ou une qualité du sujet vue comme essentielle ou caractéristique. Les contingences temporelles ne peuvent donc facilement s’appliquer. Préciser une visée temporelle reviendrait en effet à limiter ipso facto la portée de l’assertion. Pour rendre une identité ou une qualité contingente, l’égyptien doit dès lors se tourner vers d’autres types de constructions.

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 33

1. L’opposition essentiel vs. contingent

a) L’expression de l’identité ou de la classification

L’identité ou la classification essentielle est rendue en égyptien par la prédication substantivale. L’identité ou la classification contingente est le domaine de la prédication adverbiale, c’est-à-dire d’une prédication de localisation. L’égyptien recourt en l’espèce à un syntagme prépositionnel m + SN, qui signifie au propre « dans SN ». Cette tournure est fréquente pour décrire le statut social ou professionnel d’un individu.

En optant pour une prédication de localisation, l’égyptien limite la validité du propos dans le temps. Cet effet de temporalisation de l’énoncé est très souvent souligné par la présence de l’auxiliaire d’énonciation iw (cf. infra, p. 35).

La préposition r peut commuter avec m pour exprimer, non pas une situation future, mais une situation non actualisée avec laquelle le sujet est présenté comme lié : iw.k r sr « tu es destiné à être magistrat », et non « tu seras magistrat ». Graphiquement, la différence entre iw A m B et iw A r B peut se rendre comme illustré ci-dessous ; le sens futur de la construction avec r est un effet de sens iconique sous la pression de l’axe de la temporalité (formalisé par iw).

A B A B

Fig. 27. iw A m B versus iw A r B.

L’égyptien peut insister davantage sur le côté contingent d’une classification en utilisant un auxiliaire aspectuel au sein de la construction pseudo-verbale avec un prédicat au parfait ancien. L’auxiliaire le plus commun est xpr « (litt.) devenir, se produire », qui insiste sur le processus parcouru par le sujet pour la situation décrite. L’égyptien a encore la possibilité de transformer une situation contingente en une activité, en utilisant le verbe iri « agir, faire ». Littéralement, une expression comme iri sS signifie « faire le scribe », donc « être scribe », « exercer le métier de scribe ». Comme il s’agit d’une prédication verbale, ce type de phrase entre de plain pied dans le jeu des oppositions temporelles et aspectuelles de toute phrase verbale égyptienne. On observe donc une gradation assez fine dans l’expression, depuis la classification jusqu’à l’activité. La phrase « je suis un scribe » pourra être rendue en moyen égyptien, suivant les circonstances, par :

ink sS « je suis un scribe » prédication susbtantivale

A B

iw.i m sS « je suis présentement un scribe » prédication adverbiale

A B

iw.i xpr.kwi m sS « je suis devenu un scribe » prédication pseudo-verbale

A <~~~~~+>[________

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 34

iw.i ir.i sS « je fais métier de scribe » inaccompli général

A [<~~~~~~~>_______

T° On a également représenté les opérations notionnelles des quatre procès par un graphique.

La flèche du temps est évidemment exclue pour l’opération d’identification. Pour les derniers procès, les chronographes ont été ajoutés. Dans le premier cas (xpr.kwi), le moment de référence sélectionne la post-phase du procès par un intervalle semi-ouvert à droite (c’est le sens résultatif du parfait ancien) ; le point de repère, ici T° par défaut, est nécessairement inclus dans le moment de référence. Dans le deuxième cas (ir.i), le moment de référence sélectionne l’ensemble du procès par un intervalle semi-ouvert à droite ; T° est obligatoirement situé après la borne gauche du moment de référence. On notera au passage la détélicisation de iri dans ce type d’expression.

b) L’expression de la qualité et de la possession

La qualité inhérente se rend en moyen égyptien par la prédication adjectivale. Pour exprimer une qualité contingente, la langue recourt à la construction pseudo-verbale, en conjuguant au parfait ancien le verbe de qualité correspondant à l’ « adjectif » (cf. infra, p. 55). La qualité n’est plus présentée comme inhérente au sujet, mais comme acquise au terme d’un processus. Le caractère contingent, circonstanciel de la prédication pseudo-verbale est parfois souligné par la présence d’un complément de temps.

Étant donné que la construction pseudo-verbale est une dérivée de la construction à prédicat adverbial, elle est fréquemment accompagnée d’auxiliaires d’énonciation ou d’auxiliaires à portée temporelle ou modale (cf. infra, p. 35).

L’égyptien peut aussi utiliser le participe d’un verbe comme prédicat d’une construction adjectivale. Une phrase comme sHD.w sw tA.wj r pA itn « il illumine par nature les deux terres plus que le disque solaire » s’oppose à l’inaccompli général iw.f sHD.f tAw.j r pA itn « il illumine d’ordinaire les deux terres plus que le disque solaire » et à l’inaccompli progressif iw.f Hr sHD.t tA.wj r pA itn « il est en train d’illuminer les deux terres plus que le disque solaire ». On obtient donc un jeu d’oppositions que l’on peut résumer ainsi :

essentiel contingent

habituel immédiat

L’opposition entre inhérence et contingence s’observe encore dans l’expression de la possession. L’appartenance per se s’exprime par une prédication adjectivale (nj-sw A), tandis que l’appartenance occasionnelle recourt à la prédication adverbiale, en utilisant le plus souvent une tournure locative (SN m-a X « A est chez X », c’est-à-dire « X possède A ») ou attributive (iw.f n A « il est pour A »). Dans ce dernier cas, on notera que l’égyptien préfère inverser l’ordre des constituants quand le prédicat adverbial est pronominal et que le sujet est nominal. On se gardera d’analyser cette tournure comme une prédication adjectivale.

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 35

Auxil. énonc. Sujet Prédicat

SN / pr. suff. n + SN m-a + SN / pr. suff.

Prédicat Sujet

iw

n.f SN

Fig. 28. La prédication adverbiale : expression de la possession.

À cela, il convient d’ajouter les constructions basées sur la prédication de présence vs. non-présence (cf. infra, p. 38) : wn x.t.f « il a des biens (litt. ‘des biens de lui sont présents’) ». D’un point de vue sémantique, on peut tenter une répartition entre les trois types de prédication telle que résumée dans le tableau ci-dessous :

prédication paradigme niv. sémantique temporalisation

présence wn A appartenance —

qualité nj-sw A dépendance contingence

situation iw A n/m-a B acquisition +

Fig. 29. Expression de la possession.

2. Présence d’auxiliaires d’énonciation, d’auxiliaires temporels et d’auxiliaires modaux

a) Les auxiliaires d’énonciation

Le principal auxiliaire d’énonciation du moyen égyptien est sans conteste iw, qui indique que le locuteur prend positivement attitude sur la véracité de son énoncé au moment de l’énonciation (cf. supra, p. 13). Une phrase comme iw=f m pr signifie donc, en glosant un peu, « moi qui vous parle, je vous affirme qu’en ce moment il est dans la maison ». Cette phrase s’oppose théoriquement à l’énoncé it=i m pr.f, qui pourrait se rendre par « mon père est d’ordinaire chez lui ». La prédication adverbiale, sans auxiliaire d’énonciation, est cependant très rare, du moins en dehors des emplois paratactiques où elle assure une fonction d’arrière-plan par rapport à une proposition verbale ou un syntagme nominal précédent. Sur le plan modal, la présence de iw est ressentie comme le marquage de l’indicatif (mode assertif). Sur le plan temporel, le lien établi par iw entre le locuteur et son énoncé est interprété comme l’indication d’un temps absolu.

L’auxiliaire iw se combine tant avec des prédicats verbaux que non verbaux. Pour ce qui est de la prédication non verbale, la présence de iw est rarissime en dehors de la prédication adverbiale, où son emploi est banal6. Cette différence de traitement entre la prédication adverbiale et les prédications substantivale et adjectivale découle de leur signification respective. Elle confirme à sa manière la répartition qui a été opérée sur base de la distinction entre construction essentielle et construction contingente. Il y a en quelque sorte une incompatibilité logique à vouloir combiner une construction exprimant une qualité essentielle à un opérateur qui en limite la validité dans le temps, et qui en restreint la portée au jugement d’un locuteur.

6 Naufr. 101-102

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 36

Cela posé, il n’est pas exceptionnel de trouver avec la prédication adjectivale des auxiliaires d’énonciation à portée syntaxique ou à valeur argumentative, comme isT, mk ou xr. De même, une prédication substantivale peut faire l’objet d’un questionnement marqué par in-iw7.

7 Westc. 8,12-13

2. Les auxiliaires verbaux

Un raisonnement analogue permet d’expliquer les emplois des auxiliaires verbaux. Le principal est wnn « être », sous ses différentes manifestations (cf. supra, p. 10). Pour des raisons semblables à celles qui régissent l’emploi des auxiliaires d’énonciation, on observe une restriction quasi totale des emplois de wnn à la prédication adverbiale.

Convertisseurs Sujet Prédicat

Ø préposition

wnn

Ø ix rdi

prépos. (Dr, r)

wn(n)

wn

wn.in

Ø wn-xr

SN pr. suff.

adv., etc.

Fig. 30. La prédication adverbiale : les convertisseurs.

Les convertisseurs permettent encore de transférer la proposition dans la catégorie du substantive et de l’utiliser soit comme régime d’une préposition, soit comme objet, sous la dépendance d’un verbe (p.ex. rdi « faire en sorte que »). Sont ici concernés les convertisseurs wnn (forme mrr.f), le subj. wn et le prosp. wnn.

Un prédicat adverbial peut recevoir une coloration modale et être, par exemple, présenté comme souhaitable par le locuteur (subj. wn, prosp. wnn).

Un prédicat adverbial peut être formellement marqué comme appartenant à la sphère du passé, généralement en ouverture de séquence, en fonction d’arrière-plan (wn), ou en position séquentielle (wn.in).

Avec les autres prédicats non verbaux, ces combinaisons sont très rarement attestées. On en dénombre quelques occurrences avec la prédication adjectivale en moyen égyptien8. De même, il y a quelques rarissimes attestations du convertisseur wn devant une construction à prédicat substantival.

C. Les prédications non verbales et les locutions temporelles

La répartition des trois types de la prédication non verbale du point de vue de l’ancrage temporel entre constructions essentielles (prédication substantivale et prédication adjectivale) et construction contingente (prédication adverbiale) se vérifie encore dans l’emploi des locutions temporelles. Comme on peut s’y attendre, celles-ci ne sont guère attestées qu’avec la prédication adverbiale.

8 Pays. B2,131-2

3. LA PRÉDICATION NON VERBALE 37

On rencontre très rarement une spécification temporelle avec une prédication substantivale ou adjectivale. À chaque fois, une classification ou une qualification est présentée comme caractéristique du sujet bien que faisant l’objet d’une temporalisation. La présence d’une localisation temporelle laisse entendre que l’appartenance à une classe ou la possession d’une qualification n’a pas toujours été vraie dans le passé. Il s’agit, en d’autres termes, d’un procédé de recatégorisation.

4. PRÉSENCE ET NON-PRÉSENCE

L’égyptien recourt au verbe wnn pour exprimer la présence, qu’il ne faut pas confondre avec l’existence ; l’égyptien n’a en effet aucun moyen pour poser l’existence de quelque chose (une phrase comme in-iw wn rm.w n’est pas une question sur l’existence de l’espèce des poissons, mais bien sur la présence de poissons dans un lieu et un moment donné). La forme la plus simple est wn A « A est présent ». Cette construction est surtout utilisée quand le sujet est indéfini : wn dqrw « il y a des fruits ». Très souvent, elle est complétée par une expansion adverbiale, exprimant une situation : wn dqrw m pr.i « il y a des fruits chez moi ».

Si le sujet a un déterminant (génitif ou pr. suff.), la construction wn A exprime une possession : wn Hm.t.f « il a une femme ».

La construction wn A se combine avec

des auxiliaires d’énonciation : iw, mk, isT, in-iw,

des relateurs syntaxiques : nty, ir (le plus souvent accompagné du convertisseur wnn : ir wnn wn A « s’il existe A » : cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.).

La négation se fait au moyen de nn (cf. supra, p. 31), nn wn ou n-wnt (forme sDm.t.f de wnn : cf. infra, p. 63). Elle exprime la non-présence, et, par un effet dérivé, la non-possession quand le sujet est accompagné d’un déterminant : nn wn A n B « le A de B n’est pas présent », c’est-à-dire « A n’a pas B » (nn wn pr.f « il n’a pas de maison »). Il semble y avoir peu de différence sémantique entre les trois tournures, encore que n-wnt se prête souvent à des traductions du type « x n’est pas encore prêt d’arriver / x ne s’est pas encore produit ». D’un point de vue syntaxique, nn wn est commun dans les propositions autonomes, nn dans les propositions autonomes et dépendantes, et n-wn.t dans les propositions dépendantes.

L’égyptien évite d’employer nn ou nn-wn dans une relative introduite par nty. Il préfère

utiliser une forme spéciale de pronom relatif iwty, qui exprime tout à la fois la relation syntaxique et la polarité négative : nn wn x.t.f « il n’a pas de bien » -> iwty x.t.f « celui qui n’a pas de bien ».

Comme on l’a déjà noté, le verbe wnn est à l’origine des convertisseurs (cf. supra, p. 10). Quant à wn.t, c’est une unité lexicalisée servant à introduire une complétive, à l’instar de ntt.

- 38 -

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL

Comme on l’a vu, la temporalité se subdivise en une branche proprement temporelle et une branche aspectuelle. La manière dont le temps et l’aspect sont rendus en langue varie énormément. En égyptien classique, les oppositions aspectuelles font l’objet d’un système pleinement grammaticalisé qui forme le noyau de la prédication verbale. C’est ce qui permet de poser que le système prédicatif verbal de l’égyptien classique est fondamentalement un système aspectuel. L’ordre suivi ici dans l’exposé du système prédicatif reflète cet état de chose. L’expression du temps, quand elle est grammaticalisée, est laissée à des moyens périphériques qui entrent en combinaison avec des formes aspectuelles. L’exemple-type est sans doute la sDm.n.f, une forme de l’accompli, qui peut entrer en composition avec des auxiliaires d’énonciation comme iw, mk ou aHa.n avec des effets de sens proprement temporels. La fixation du cadre temporel est encore assurée par l’instance d’énonciation (cf. supra, p. 12) et la présence éventuelle de locution temporelles (cf. infra, p. 45).

Il y a deux manières d’aborder un système aspectuel : le point de vue sémantique (typologie universelle), et le point de vue formel (spécifique à chaque langue). Il faut se garder de les assimiler, même si les rapports entre les deux systèmes sont évidents : par exemple, l’aspect sémantique peut être rendu par des moyens lexicaux, situés donc en dehors du système aspectuel grammaticalisé.

A. LE POINT DE VUE SÉMANTIQUE

D’un point de vue sémantique, deux grandes articulations sont à distinguer : le PERFECTIF et l’IMPERFECTIF.

ASPECT PERFECTIF IMPERFECTIF

Fig. 31. Taxinomie de l’aspect sémantique.

1. Le PERFECTIF

Le PERFECTIF constitue le terme marqué de l’opposition. Il sélectionne l’intervalle qui correspond, sur le plan perceptuel, au moment saillant du procès. Le perfectif connaît une subdivision majeure en PERFECTIF MOMENTANÉ vs. PERFECTIF RÉSULTATIF.

Le PERFECTIF MOMENTANÉ se spécialise en deux sous-aspects : le COMPLÉTIF et l’INCHOATIF. Le premier exprime positivement que la fin du procès a été atteinte ; le second signale l’entrée dans un procès. Le COMPLÉTIF sélectionne un intervalle fermé ( [ ] ), l’INCHOATIF un intervalle semi-ouvert à droite ( [ [ ), ce qui signifie que le procès est accessible par un autre procès (phénomène dit d’emboîtement ou d’encapsulation).

- 39 -

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL 40

PERFECTIF MOMENTANÉ RÉSULTATIF INCHOATIF COMPLÉTIF

Fig. 32. Taxinomie du PERFECTIF (point de vue sémantique).

Le choix entre COMPLÉTIF et INCHOATIF se fait en fonction de l’actionalité de la proposition [± TÉL] :

PERFECTIF MOMENTANÉ

COMPLÉTIF INCHOATIF

Proposition télique <~~~~~[+>]_____

Proposition atélique [<~[~~~~~>

Fig. 33. Les valeurs du PERFECTIF en fonction de l’actionalité.

En séquence, une suite de trois COMPLÉTIFS (a,b,c) signifie une succession chronologique des procès : a < b < c. En revanche, un INCHOATIF (a) suivi d’un COMPLÉTIF (b) implique bien que b > a, mais n’implique pas que (a) est terminé au moment où (b) se produit.

Le RÉSULTATIF est un développement secondaire du PERFECTIF. Il signale la prise en compte du moment qui acte le changement de situation intervenu au terme du procès. L’emploi du résultatif est donc prototypiquement lié aux verbes qui possèdent une post-phase (cf. supra, p. 21) : <~~~~~+>[_____. La post-phase est généralement stative, mais il existe des cas de post-phase dynamique (cf. infra, p. 55). Avec les autres classes de verbes, le RÉSULTATIF entraîne toujours un effet de recatégorisation (cf. infra, p. 55+1).

2. L’IMPERFECTIF

L’IMPERFECTIF est la forme non marquée de l’opposition aspectuelle. D’un point de vue sémantique, il connaît une subdivision majeure en IMPERFECTIF GLOBAL vs. IMPERFECTIF PROGRESSIF.

ASPECT PERFECTIF IMPERFECTIF GLOBAL PROGRESSIF

Fig. 34. Taxinomie de l’aspect sémantique.

L’IMPERFECTIF GLOBAL est la forme non marquée de l’opposition. Comme l’IMPERFECTIF est lui-même la forme non marquée dans la paire qu’il forme avec le PERFECTIF, il peut

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL 41

sembler illusoire de donner de l’IMPERFECTIF GLOBAL une définition positive. Il semble néanmoins qu’on puisse en proposer les caractéristiques essentielles suivantes :

l’IMPERFECTIF GLOBAL crée un intervalle ouvert à l’intérieur du procès ; la borne gauche correspond au début du procès ; la borne de droite n’est pas spécifiquement prévue ; elle existe nécessairement, mais sa saillance cognitive est extrêmement faible ;

l’intervalle ainsi créé englobe nécessairement le point de repère, que celui-ci soit le moment d’énonciation ou un autre moment de référence.

Graphiquement, l’IMPERFECTIF GLOBAL se laisse représenter de la manière suivante (où t° représente le point de repère par défaut qu’est le moment d’énonciation) :

k<[i |t° >l

De son côté, l’IMPERFECTIF PROGRESSIF possède les caractères suivants : il crée un intervalle ouvert à l’intérieur du procès ; les bornes sont explicitement prévues ; l’intervalle ainsi créé englobe nécessairement le point de repère, que celui-ci soit le moment d’énonciation ou un autre moment de référence.

Graphiquement, le PROGRESSIF se laisse représenter de la manière suivante :

k< [i |t° [j >l

L’IMPERFECTIF GLOBAL se laisse sémantiquement diviser en deux sous-aspects : l’HABITUEL et le CONTINUEL. Le CONTINUEL caractérise un procès, proche de la situation, dont les conditions de vérité sont toujours remplies à l’intérieur du moment de référence, celui-ci pouvant excéder les limites de la conscience humaine, puisque l’IMPERFECTIF GLOBAL n’est pas borné à droite. L’HABITUEL postule nécessaire la factorisation, donc la répétition du procès, sur un rythme qui peut être variable. Contrairement à ce qui se passe au CONTINUEL, il n’est pas obligatoire que le procès soit validé au point de repère. Il suffit qu’il le soit potentiellement.

ASPECT PERFECTIF IMPERFECTIF GLOBAL PROGRESSIF HABITUEL CONTINUEL

Fig. 35. Classification des oppositions aspectuelles de L’IMPERFECTIF. Point de vue sémantique.

B. LE POINT DE VUE FORMEL

D’un point de vue formel, chaque langue possède des moyens spécifiques, plus ou moins développés, plus ou moins riches, pour exprimer l’aspect sémantique. En moyen égyptien, on

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL 42

observe un système arrivé à maturité. Deux grandes articulations : l’accompli et l’inaccompli, connaissant chacun une subdivision : acccompli ponctuel vs. accompli résultatif ; inaccompli général vs. inaccompli progressif. Cette taxinomie de base peut être développée pour faire place à des aspects dérivés : aspect inaccompli accompli général progressif ponctuel parfait itératif habituel mellique conatif inchoatif complétif terminatif égressif

Fig. 36. Les aspects fondamentaux et les aspects dérivés en égyptien.

N.B. Afin d’éviter les confusions, il vaut mieux opter pour deux séries de termes différents, l’une pour le point de vue sémantique, l’autre pour le point de vue formel. Comme ce n’est pas toujours possible, les petites capitales ont été réservées pour le point de vue sémantique.

1. L’accompli

D’un point de vue formel, le système de l’accompli repose en égyptien classique sur une opposition de base entre la forme sDm.n.f et le parfait ancien. La première véhicule l’accompli ponctuel, la seconde le parfait.

Toutefois, en raison de certaines caractéristiques sémantiques du parfait ancien (notamment l’inversion de diathèse pour les verbes transitifs), la forme sDm.n.f, quand elle est utilisée dans des constructions complexes (iw sDm.n.f), est également apte à exprimer le parfait (cf. infra, p. 48).

En marge de cette opposition de base, l’égyptien possède d’autres formes qui appartiennent sur le plan aspectuel à la sphère de l’accompli ponctuel ou du parfait, mais qui possèdent des spécificités propres sur le plan syntaxique. C’est pourquoi elles seront examinées dans un deuxième temps (cf. infra, p. 61).

Il s’agit

– pour l’accompli ponctuel, les formes et/ou constructions sDm.in.f, wn.in.f Hr sDm, aHa.n sDm.n.f, aHa.n.f Hr sDm ;

– pour l’accompli parfait, les formes et/ou constructions sDm.t.f, iy.t pw ir.n.f, le participe de l’accompli et la forme sDm.tj.fj.

2. L’inaccompli

D’un point de vue formel, le système de l’inaccompli repose en égyptien classique sur une opposition de base entre la forme sDm.f (dite aoriste) et la construction SN + Hr/m + inf. La première véhicule l’inaccompli général, la seconde le progressif.

En marge de cette opposition de base, l’égyptien possède d’autres formes qui appartiennent sur le plan aspectuel à la sphère de l’inaccompli. Il s’agit des formes converties (participe et forme relative de l’inaccompli) et de la forme substantive mrr.f.

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL 43

Pour des raisons qui tiennent à la fois à l’actionalité des procès, à la diathèse verbale, à la diachronie et aux registres d’expression, on constate en égyptien de nombreux cas d’asymétrie formelle. En voici quelques exemples :

une fonction sémantique est assumée par plusieurs formes (phénomène de complémentarité) : p.ex., l’accompli parfait est rendu par iw sDm.n.f pour les verbes transitifs, et par iw.f sDm.w pour les verbes intransitifs ;

absence de parallélisme formel à l’intérieur d’un paradigme sémantique : p.ex., n sDm.n.f ne nie pas l’accompli, comme on pourrait l’attendre, mais l’inaccompli ; la négation du futur iw.f r sDm se fait au moyen de nn sDm.f (négation du subjonctif) ; la forme sDm.n.f n’est pas utilisée avec les verbes intransitifs en fonction autonome (*iw iy.n.f), mais bien en fonction substantive ;

l’évolution diachronique laisse subsister des formes à l’état résiduel dans certaines niches seulement d’un paradigme sémantique : p.ex. la négation de l’accompli est n sDm.f, alors que sDm.f est peu utilisé au positif en égyptien classique (et seulement en fonction autonome) ; au passif de l’accompli, on assiste à la création d’une forme sDm.n.tw.f, bâtie sur la sDm.n.f active, mais avec un emploi restreint à la fonction substantive. On obtient ainsi une différenciation au passif (sDm.w.f vs. sDm.n.tw.f) qu’on n’observe pas à l’actif (sDm.n.f dans toutes les fonctions).

C. QUELQUES CORRÉLATIONS REMARQUABLES

Le système aspectuel n’est évidemment pas isolé dans le système linguistique de l’égyptien. Il entretient des liens croisés avec d’autres points de vue. Sont évoquées dans ce paragraphe quelques corrélations entre l’aspect d’une part, et l’actionalité, l’organisation de l’énoncé, le temps et les locutions temporelles d’autre part. On notera qu’il s’agit bien de corrélations et non de règles absolues.

1. Aspect et actionalité

L’accompli et l’inaccompli peuvent se combiner avec toutes les classes d’actionalité, il faut être clair là-dessus. Cela posé, il existe des affinités naturelles, statistiquement démontrables, entre aspects et classes d’actionalité. Les activités atéliques se rencontrent naturellement à l’inaccompli général, tandis que les événements téliques entretiennet des liens étroits avec l’accompli ponctuel. Comme on l’a déjà observé, l’accompli parfait sélectionne la post-phase du procès. Il se rencontre donc prototypiquement avec les événements téliques. Quand il est employé avec une activité atélique, il y a recatégorisation. Un exemple bien connu est celui du verbe sDm « entendre » qui prend le sens de « avoir pris bonne note de qqch. » au parfait. On prendra garde que le parfait ancien, qui est la forme naturellement en charge du parfait en égyptien classique, a d’abord fonctionné comme un étatif avant d’être intégré dans le système aspectuel. On ne s’étonnera donc pas de le retrouver dans ce sens avec les verbes d’états (p. ex. mn « rester » ; cf. infra, p. 55).

On verra plus bas que cette corrélation statistique entre aspect et actionalité se manifeste très clairement dans l’organisation de l’énoncé. Les sphères de recoupement des catégories aspectuelles et des classes d’actionalité peuvent être représentées dans un tableau en les ordonnant sur l’axe de visée endo/exocentrique :

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL 44

ASPECT Étatif Inaccompli Accompli visée visée endocentrique exocentrique États Activités Événements ACTIONALITÉ

Fig. 37. Corrélation aspect – actionalité.

2. Aspect et organisation de l’énoncé

Sur le plan énonciatif, les propositions peuvent se répartir, assez grossièrement, entre propositions d’avant-plan et propositions d’arrière-plan. Les premières constituent l’épine dorsale de la narration ; ce sont elles qui forment les événements saillants qui font progresser le récit. Les secondes, dépourvues de saillance, constituent le fond, le décor en quelque sorte. Elles ont donc pour vocation d’exprimer des propos incidents ou circonstants. En égyptien classique, la répartition s’effectue de la manière suivante.

Aspect Organisation de l’énoncé

Accompli ponctuel Avant-plan

Accompli résultatif

Inaccompli général

Inaccompli progressif

Arrière-plan

Fig. 38. L’aspect et organisation de l’énoncé.

Il est important de bien saisir que l’organisation de l’énoncé est d’abord fondée sur ce type d’oppositions aspectuelles. Certaines relations peuvent être soulignées par des auxiliaires d’énonciation, mais l’absence de marque reste la norme dans certains textes.

3. Aspect et temps

La corrélation entre aspect et temps reste indirecte en égyptien classique. Elle est une retombée de l’organisation de l’énoncé (cf. ci-dessus). L’accompli ponctuel, comme véhicule privilégié de la progression du récit, a une affinité évidente avec le passé. De même, dans le discours, les temps de l’inaccompli, en position autonome, se rendent d’ordinaire par un présent (général ou immédiat). En fonction circonstancielle, les aspects rendent une situation concomitante. Ils correspondent donc à des temps relatifs. Le temps de la traduction sera alors fonction de la sphère temporelle de la proposition principale. Par exemple, l’accompli parfait exprime une situation (b) qui prévaut au moment de la principale (a). Selon les cas, il se rendra par un passé du second degré, un passé composé ou un futur antérieur :

|T° a < > < > < > b < >[______ < >[______ < >[______

Fig. 39. L’accompli parfait et les temps relatifs.

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL 45

Voici trois exemples-types :

passé du second degré : aHa.n ir.n.f X et alors il fit telle chose sDm.n.f st après qu’il avait entendu cela

passé composé : iw ir.n.f X il a fait telle chose sDm.n.f st après qu’il a entendu cela

futur antérieur : iw.f r ir.t X il fera telle chose sDm.n.f st après qu’il aura entendu cela

On notera que la construction (b) sDm.n.f est inchangée dans tous les cas (cf. en français, la traduction possible « après avoir fait cela »).

4. Aspects et locutions temporelles

Les locutions de temps peuvent se répartir en trois grandes catégories :

les temps de position (TEM-P), qui situent un événement absolument sur la ligne du temps (« le 8 juin 2004 », « demain ») ou relativement par rapport à un point de repère secondaire (« il y a trois jours », « le lendemain »). Les TEM-P peuvent intégrer explicitement un segment de temps (TEM-P-D : « hier, entre 3 h et 5 h ») ;

les temps de fréquence (TEM-F), qui indiquent, avec plus ou moins de précision, le rythme auquel un procès s’actualise (« souvent », « tous les jours ») ; on peut considérer que les TEM-F représentent une sous-catégorie des TEM-P.

les temps de durée (TEM-D), qui évaluent l’intervalle de temps dans lequel se situe un procès, une situation ou une durée (« pendant trois heures », « longtemps ») ; les TEM-D connaissent une variante :

o certaines locutions n’envisagent que la limite gauche (TEM-D-g : « depuis une heure ») ou la limite droite de l’intervalle (TEM-D-d : « jusqu’à trois heures »),

et une sous-catégorie :

o les temps de durée instrumentale (TEM-Di), qui expriment le temps nécessaire à la réalisation d’un procès (« en trois heures », « rapidement ») ;

Il va de soi que les locutions peuvent se combiner pour former des expressions complexes : « il est venu un jour sur deux pendant deux semaines ».

Les circonstants de temps n’ont pas tous la même portée : les TEM-P et les TEM-F portent sur l’énoncé (relation temporelle), tandis que les TEM-Di portent clairement sur le procès (actionalité). Les TEM-D ont une valeur plus ambiguë, pouvant porter directement sur le procès (actionalité) ou préciser l’étendue du moment de référence (relation aspectuelle). Dans ce dernier cas, des effets de factorisation sont possibles. Par exemple, en français, « j’ai couru pendant une heure » implique que la course a duré une heure, tandis que « j’ai couru pendant trois ans » implique une activité de course régulière pendant une période de trois ans ; on peut combiner les deux informations en intégrant la première directement au procès « j’ai couru une heure pendant trois ans », ce qui montre suffisamment le lien que les TEM-D entretiennent avec l’actionalité.

Le tableau ci-dessous fait apparaître la chronogénèse d’un énoncé, depuis l’Aktionsart jusqu’à l’énoncé final, en reliant les circonstants de temps aux étapes qui les concernent.

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL 46

Énoncé II TEMPS Énoncé I TEM-P Proposition TEM-D ASPECT ACTIONALITÉ Aktionsart étendue TEM-Di / TEM-D Verbe Arguments (Aktionsart)

Fig. 40. Portée des circonstants de temps.

Le tableau suivant reprend les corrélations les plus fortes entre les locutions temporelles, l’actionalité des procès et l’aspect. Certains critères d’actionalité comme la réversibilité ou la gradabilité du procès n’ont pas été envisagés. Ils peuvent évidemment contrarier certaines réalisations (* « il mourut plusieurs fois »). Une corrélation forte signifie que les instructions des trois termes de la relation sont pleinement compatibles, tandis qu’une corrélation faible signale une recatégorisation ou une dispersion des instructions. Par exemple, dans « je suis arrivé à trois heures », l’accompli resultatif exprime une situation qui prévaut encore au moment de l’énonciation, tandis que la locution temporelle (TEM-P) précise le moment de l’arrivée. Il y a en revanche corrélation forte dans « j’arrivai à trois heures ».

{<+>}[______ {[<+>]}_______ t° t° « je suis arrivé à 3 h » « j’arrivai à 3 h »

De même, on a une corrélation plus forte dans « il était en train de courir à 3 h 25 » (TEM-P) que dans « il était en train de courir depuis 3 h 25 » (TEM-D-g) :

<~[~{~}~ [~> {<~[~~~ [~> t° t° « il était en train de courir à 3 h 25 » « il était en train de courir depuis 3 h 25 »

Fig. 41. Les corrélations les plus fréquentes entre loc. temporelles, aspects et actionalité.

Loc. temp. Corrélation aspectuelle Corrélation d’actionalité

inacc. général activité TEM-D

acc. résultatif tous procès (avec factorisation possible)

TEM-Di acc. ponctuel événement

TEM-P acc. ponctuel achèvement

TEM-F inacc. général acc. résultatif tous procès dynamiques

5. LE SYSTÈME ASPECTUEL 47

Il faut répéter qu’il ne s’agit que de corrélations. La prudence est d’autant plus de rigueur que l’emploi des locutions temporelles sert souvent de critère dans la classification des lexèmes verbaux. C’est ainsi que l’emploi des TEM-Di avec un verbe conjugué au passé composé en français passe pour révélateur d’un verbe télique (« il a construit sa maison en trois ans »), tandis qu’un TEM-D, dans les mêmes circonstances, permet de diagnostiquer un verbe atélique (« il a couru pendant une heure »). Or il existe des procédés de recatégorisation. C’est ainsi qu’un verbe atélique peut s’employer avec un TEM-Di pour donner naissance à un procès télique (« il a couru en une heure »).

En égyptien classique, les moyens de rendre les cinq grands types de locutions temporelles sont assez diversifiés :

a) Les TEM-P

TEM-P pour fixer un temps absolu (avec posibilité de thématisation) une date : Hsb.t X (xr Hm n nj-sw.t NR) « année de règne X (sous la Majesté du roi NR), un substantif employé absolument : sf « hier », min « aujourd’hui », dwAw « demain », un syntagme prépositionnel : m hAw X « à l’époque de X », m hrw pn « en ce jour », pour rappel, l’auxiliaire d’énonciation iw situe explicitement le point de repère au moment

d’énonciation.

TEM-P pour fixer un temps relatif un syntagme prépositionnel : m-xt nn « après cela », m HA.t « au préalable », un substantif employé absoluement : hrw 3 r pAy « il y a trois jours », une subordonnée de temps : m-xt sDm.f « après qu’il a entendu », xft sDm.f « alors qu’il entend », tp-a

sDm.f « avant qu’il entende », différentes formes de la conjugaison en emploi circonstanciel (sDm.f, sDm.n.f, parfait ancien, etc.).

b) Les TEM-D un syntagme prépositionnel : m wnw.t « pendant une heure », un substantif employé absolument : ibd 5 hrw « pendant cinq mois pleins ».

c) Les TEM-D-d un syntagme prépositionnel : r tAy « jusqu’ici », SAa dwA « jusqu’à demain », la construction r sDm.t.f « jusqu’à ce qu’il ait entendu ».

d) Les TEM-D-l un syntagme prépositionnel : Dr rk nTr « depuis le temps du dieu ».

e) Les TEM-Di un adverbe : As « rapidement », un syntagme prépositionnel : n ibd 5 « en cinq mois », m Abd 5 (même sens, forme récente).

f) Les TEM-F un substantif employé absolument : ra nb « chaque jour », zp 5 Tnw hrw « cinq fois par jour », un syntagme prépositionnel : m mn.t « quotidiennement », une subordonnée de temps : r-Tnw sDm.f « à chaque fois qu’il entend ».

6. L’ACCOMPLI sDm.n.f

A. MORPHOLOGIE

C’est une forme de la conjugaison suffixale, caractérisée par l’ajout d’un infixe –n (écrit

) derrière le thème verbal.

Les inf. ont la forme brève, certains gem. font la gémination.

Exemples : (sDm.n.f) ; (mr.n.f) ; (mA.n.f) ;

(qbb.n.f) ; ou , (rdi.n.f ou di.n.f)

B. ASPECT

Sur le plan sémantique, c’est une forme exprimant le PERFECTIF. Sur le plan grammatical, la sDm.n.f entre dans un système d’oppositions aspectuelles. Elle appartient à la branche de l’accompli.

L’accompli est soit ponctuel, soit résultatif. Le choix est fonction de l’instance d’énonciation et de la syntaxe.

Dans la narration, en proposition autonome non initiale : accompli ponctuel. On observe deux effets de sens principaux en fonction de l’actionalité de la proposition (cf. ci-dessous) :

accompli ponctuel inchoatif : [<~[~~~~~> , avec les propositions atéliques

accompli ponctuel complétif : <~~~~~[+>]_____ , avec les propositions téliques

Dans le discours et le discours narratif, ainsi que dans la narration dans une proposition initiale (rare) ou dans une proposition circonstancielle : accompli parfait : < [> ]

Narration Discours & disc. narr.

Aut. initiale Aut. non initiale Circonst.

Prop. téliques Parfait Ponctuel complétif Parfait

Prop. atéliques Parfait Ponctuel inchoatif Parfait

Parfait

Fig. 42. Les sens aspectuels fondamentaux de la sDm.n.f.

Dans l’expression du parfait, la forme sDm.n.f sert de construction complémentaire au parfait ancien. La ligne de démarcation passe par la valence verbale : les verbes transitifs expriment le résultatif à l’actif au moyen de la sDm.n.f, les verbes intransitifs au moyen du parfait ancien. En emploi substantival en revanche, la sDm.n.f se rencontre avec tous les types de verbes.

- 48 -

6. L’ACCOMPLI sDm.n.f 49

sDm.n.f Parfait ancien

Vb. transitifs

iw sDm.n.f (actif) « il a entendu » + f. circonst. (actif) f. substantive

iw.f sDm.w (passif) « il a été entendu » + f. circonst. (passif)

Vb. intransitifs f. substantive iw.f iw.w « il est venu » + f. circonstancielle

Fig. 43. Expression du parfait.

La fonction séquentielle des verbes intransitifs est assumée par des constructions complexes, comme aHa.n.f Hr iy.t « et alors il vint ».

N.B. L’égyptien possède d’autres constructions relevant également de l’accompli ponctuel, spécialisées dans narration : sDm.in.f, aHa.n sDm.n.f, aHa.n.f Hr sDm, wn.in.f Hr sDm. Elles se distinguent de la sDm.n.f par leurs propriétés syntaxiques et narratives (cf. infra, p. 61).

C. ASPECT ET ACTIONALITÉ

Voici les sens fondamentaux (hors recatégorisation, notamment par diminution/ augmentation de valence) que prend la forme sDm.n.f en fonction de l’actionalité des propositions.

1. Accompli ponctuel

classes d’actionalité aspect sélection opérée

activité inchoatif [<~[~~~~~>

sémelfactif complétif [<->] / [<~>]

achèvement complétif ~~~~[<+>]_______

accompl. non gradable complétif <~~~~~[+>]_______

accompl. grad. à télicité expl. complétif <+++++[+>]e_______

accompl. grad. à télicité impl. inchoatif [<+[+++++>i_______

Fig. 44. L’accompli ponctuel et l’actionalité de la proposition.

N.B. L’aspect peut être précisé par un auxiliaire aspectuel : l’inchoatif est notamment rendu par xpr, d’un usage encore timide en égyptien classique, et SAa 9. En dehors des cas où l’accompli ponctuel suffit à générer un sens inchoatif, leur emploi est évidemment requis. Il n’y a pas d’auxiliaire du complétif en égyptien classique ; on peut toutefois relever un emploi phraséologique du verbe pH « arriver » suivi d’un infinitif dans le sens de « en finir avec quelque chose »10.

10 Oasien R 9,3

9 Mill. I,12-II,1

2. Accompli résultatif

L’accompli résultatif postule l’existence d’une post-phase. En d’autres termes, il se combine d’abord avec les propositions téliques. Cela posé, on peut le trouver avec les activités non téliques, avec un effet de recatégorisation : iw sDm.n.i st « j’en ai pris bonne note ».

6. L’ACCOMPLI sDm.n.f 50

classes d’actionalité sélection opérée

achèvement ~~~~<+>[_______

accompl. non gradable <~~~~~+>[_______

accompl. grad. à télicité expl. <++++++>e[_______

accompl. grad. à télicité impl. <++++++>i[_______

Fig. 45. Le PERFECTIF RÉSULTATIF et l’actionalité de la proposition.

Les verbes gradables à télicité implicite (« verbes de qualité ») sélectionnent d’ordinaire le parfait ancien pour exprimer une situation nouvellement acquise (cf. infra, p. 55). L’emploi de la sDm.n.f à sens résultatif ne leur est cependant pas étranger, notamment quand est mentionnée la manière dont le procès s’est déroulé (P. Hearst 6,2 : iw nDm.n.f Hr-a.wy « il s’est immédiatement rétabli »). On retrouve la même alternance avec le verbe rx : iw rx.n.i « j’ai appris à connaître, j’en suis venu à connaître » vs. iw.i rx.kwi « je sais ». Ceci met en évidence la nuance qui sépare la sDm.n.f et le parfait ancien dans l’expression du résultatif. Alors que le parfait ancien sélectionne la post-phase du procès stricto sensu (< >[____), l’emploi résultatif de la sDm.n.f est une extension de l’emploi de base : le moment de référence englobe donc le moment crucial où le procès se réalise (< [ >____).

D. TEMPS

La sDm.n.f est indifférente au temps. Dans nos langues, elle se rend d’ordinaire par un passé composé ou un passé simple. Le choix est fonction de l’instance d’énonciation et de la syntaxe. Les possibilités sont résumées dans le tableau ci-dessous :

Propositions Discours Narration

Autonomes initiales Passé composé Passé composé

Autonomes non initiales ----- Passé simple

Circonstancielles Passé composé Futur antérieur

Plus-que-parfait

Fig. 46. Les valeurs de la sDm.n.f en fonction de la syntaxe et de l’instance d’énonciation.

La relation temporelle peut être précisée par une locution temporelle, notamment une date (cf. supra, p. 45).

E. SYNTAXE

La forme sDm.n.f connaît des emplois dans des propositions autonomes initiales, des propositions autonomes non initiales, des propositions circonstancielles et des propositions substantives.

6. L’ACCOMPLI sDm.n.f 51

1. Proposition autonome initiale

– dans le discours (narratif) : derrière un auxiliaire d’énonciation : iw [4,104], mk [5] sans auxiliaire (trait de langue récent) : [6] sDm.n.f performatif (emploi rare) : [2].

– dans la narration (rare) : derrière un auxiliaire d’énonciation : iw [7].

Du point de vue aspectuel, la sDm.n.f véhicule un parfait, c’est-à-dire une situation résultant d’un procès antérieur et avérée au point de repère considéré, par exemple, le moment d’énonciation dans l’instance du discours. Graphiquement, on peut représenter une phrase comme iw sDm.n.i st « je l’ai entendu », c’est-à-dire « j’en ai pris bonne note » de la manière suivante :

T° < >[_________

Fig. 47. La sDm.n.f en position autonome (emploi prototypique).

Le moment précis où le locuteur a fait l’acte de sDm n’est pas linguistiquement précisé ; en revanche, l’emploi de iw + sDm.n.f, indique que l’acte a débouché sur une situation nouvelle, et que celle-ci est encore d’actualité au point de répère considéré, ici T°.

Évolution diachronique : L’emploi de iw, à l’origine uniquement motivé par des considérations énonciatives (et modales), tend à se grammaticaliser en égyptien classique.

2. Proposition autonome non initiale

C’est un emploi typique de la narration, la forme sDm.n.f y assume une fonction séquentielle (accompli ponctuel). Les cas de figures principaux (qui reflètent peu ou prou l’évolution diachronique) sont :

– derrière un auxiliaire d’énonciation, notamment aHa.n [3,16,54],

– sans auxiliaire d’énonciation, par factorisation, derrière une proposition initiale (originellement contenant une forme sDm.n.f, puis derrière tout autre forme) : [7,8].

Il n’est pas rare qu’un texte narratif enchaîne plusieurs formes sDm.n.f à valeur séquentielle. Si la sDm.n.f est employée avec des propositions téliques (cas majoritaire), l’instruction temporelle donnée consiste à faire progresser le récit d’une nouvelle étape à chaque fois. Un segment de texte comme aHa.n iTi.n.f A, di.n.f sw m B, Dd.n.f n C « et alors il prit A, le mit dans B et dit à C » peut se représenter de la sorte :

a) [<+>]____ b) [<+>]____ c) <~~~~[+>]____

Fig. 48. La sDm.n.f en position autonome non initiale (propositions téliques).

Les trois propositions (a,b,c) sont des événements (+ TÉL, ± DUR). La sDm.n.f sélectionne donc le moment précis où l’action se réalise. Le moment de référence est un intervalle fermé. La succession chronologique des propositions reflète dès lors la linéarité du discours.

En revanche, si une proposition est atélique, la sDm.n.f sélectionne le début du procès (sens inchoatif) avec un interval semi-ouvert à droite. Cela signifie que les propositions suivantes peuvent se dérouler sur l’arrière-fond de la proposition à sens inchoatif. Un exemple-type pourrait être aHa.n mdw.n.f, Dd.n.f n A « et alors il se mit à parler, et dit à A ». Il

6. L’ACCOMPLI sDm.n.f 52

est clair que l’acte de mdw (a) n’est pas achevé quand celui de Dd (b) se réalise. Graphiquement, cela donne :

a) [<~[~~~~> b) <~~~~[+>]____

Fig. 49. La sDm.n.f en position autonome non initiale (propositions atéliques).

Évolution diachronique : la forme sDm.n.f en fonction séquentielle sera concurrencée, puis remplacée par aHa.n.f Hr sDm, ainsi que par la construction grammaticalisée iw.f Hr sDm, à l’origine du séquentiel néo-égyptien.

3. Proposition circonstancielle

Dans la fonction circonstancielle, la sDm.n.f exprime une situation acquise qui prévaut à un moment qui correspond au moment de référence d’une autre proposition, généralement antéposée. Celle-ci peut-être sise dans le passé, le présent ou le futur, et appartenir à l’instance du discours ou de la narration.

a) < [ >] b) < >[_________

Fig. 50. La sDm.n.f en position circonstancielle.

Le schéma ci-dessus pourrait être l’illustration de la phrase aHa.n ir.n.f nn sDm.n.f st « et alors il fit cela après l’avoir entendu » : la proposition sDm.n.f st (b) est évaluée par rapport au moment de référence d’une proposition autonome non initiale, à l’accompli ponctuel (a). Au moment où l’action de iri se réalise, le locuteur ajoute que la situation résultant de l’acte de sDm était déjà acquise.

La liaison entre les deux propositions est le plus souvent paratactique : [1,3,10]. Certains auxiliaires peuvent toutefois souligner la valeur d’arrière-plan : isT : [4,17]. La fonction circonstancielle peut également prendre appui sur un syntagme nominal : [9]. Dans ce cas, la visée se fait par rapport à la situation dans laquelle se trouve le syntagme nominal.

L’exemple donné ci-dessus pourrait, hors contexte, se rendre par « et alors il fit cela, et puis il l’entendit ». Dans cette hypothèse, on aurait affaire à deux formes séquentielles. Le départ entre la fonction séquentielle et la fonction circonstancielle est affaire de contexte, d’encyclopédie culturelle au sens large, ou encore relève de schémas cognitivement implantés (p. ex. des schémas de causalité comme [glisser → tomber], [frapper → avoir mal], etc.).

4. Proposition en emploi substantival

La forme sDm.n.f est susceptible d’emplois substantivaux ; on la trouve utilisée

– comme sujet d’une prédication verbale ou non verbale,

– comme prédicat d’une prédication substantivale (type sDm.n.f pw « c’est qu’il a entendu »), notamment dans des gloses (fonction métasémiotique : cf. supra, p. 3),

– comme objet direct d’un verbe : [12],

6. L’ACCOMPLI sDm.n.f 53

– derrière une préposition-conjonction : m-xt « après que » ; mi « comme », xft « selon que », r « jusqu’à ce que », Dr « depuis que », m « quand », n « parce que » et ir « si » (introduisant la protase d’un éventuel du passé ou d’un irréel du passé) : [13,14],

– en position de génitif indirect (cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.) : [11],

– dans un des membres d’une phrase balancée : [15],

– en position autonome : forme énonciativement marquée (cf. infra, F).

Sur le plan aspectuel, la sDm.n.f en fonction substantivale peut avoir la valeur d’un accompli ponctuel [12] ou, beaucoup plus fréquemment, d’un parfait [13,16,17].

F. INTERACTION ENTRE MORPHOLOGIE ET SYNTAXE

En principe, les constructions 1, 2 et 3 sont réservées aux verbes transitifs. La construction 4 ne connaît pas de limitations. Là où la sDm.n.f est déficiente, l’égyptien recourt à la construction pseudo-verbale avec parfait ancien (cf. supra, B).

G. NIVEAU ÉNONCIATIF

Toutes les propositions décrites ci-dessus sont énonciativement non marquées, sauf dans un des emplois de la fonction substantivale (position autonome), où il y a rhématisation du complément adverbial. Cela signifie que le poids rhématique, qui tombe prototypiquement sur le syntagme verbal (Verbe-Objet), est déplacé sur le complément adverbial. Le syntagme verbal prend dès lors une valeur thématique.

Il existe des cas typiques où surgit la forme emphatique : la reprise d’un syntagme verbal, déjà énoncé, afin d’ajouter une précision (« Il a fait telle chose ; s’il l’a faite, c’est parce que … ») [40], ou encore le contraste de deux idées exprimées au négatif et au positif (« Il n’a pas fait telle chose de telle manière, mais c’est de cette manière qu’il l’a faite »). De même, l’égyptien oppose, pour les verbes intransitifs (notamment les verbes de mouvement), la construction énonciativement non marquée iw.i ij.kwi r niw.t « je suis venu en ville » à ij.n.i r niw.t « c’est en ville que je suis venu » [4,13,16,17,34].

H. SYSTÈME NÉGATIF

Il existe une construction négative n sDm.n.f ; elle est utilisée pour nier l’inaccompli général (cf. infra, p. 65). Pour nier l’accompli, l’égyptien recourt à d’autres formes (complémentarité des constructions). Le choix de la construction est fonction de la syntaxe.

– dans les proposition autonomes initiales (D.1) et dans les propositions circonstancielles (D.3), pour tous les types de verbes : n sDm.f [12,18,19,23],

– dans les proposition autonomes non initiales (D.2) : pas attesté, – dans les propositions en emploi substantival (D.4) : tm.n.f sDm.(w) : peu attesté.

Les propositions énonciativement marquées (F) possèdent un système plus complexe : la négation du thème verbal se fait au moyen de tm.n.f sDm.w, la négation du rhème adverbial au moyen de n … is (var. nn … is) [20].

6. L’ACCOMPLI sDm.n.f 54

verbes transitifs verbes intransitifs

+ iw sDm.n.f iw.f sDm.w f. autonome initiale et circonstancielle

— n sDm.f

f. autonome non initiale ?

+ sDm.n.f f. substantive

— tm.n.f sDm(w) / n sDm.n.f is

Fig. 51. Le système négatif.

Dans les propositions autonomes initiales, il existe également des négations renforcées comme n-zp sDm.f « il ne s’est jamais produit qu’il entende » [21] (la sDm.f est morphologiquement un subjonctif), n pA.f sDm « il n’a jamais entendu dans le passé » ; cette dernière construction est à l’origine de la négation néo-égyptienne bwpw.f sDm [22].

7. L’ACCOMPLI PARFAIT – LE PARFAIT ANCIEN

A. TERMINOLOGIE

On trouve couramment dans la littérature scientifique les appellations suivantes : parfait ancien, pseudo-participe, statif, qualitatif.

B. MORPHOLOGIE

C’est une forme particulière de la conjugaison, apparentée au permansif accadien, qui possède la particularité d’avoir une série de suffixes personnels. Quant au thème, il connaît également des variations : les verbes faibles et géminés ont un thème bref (sauf quelques cas exceptionnels11).

11 Eb. 105,2

1re p. sg. -kwi :

e

[37]

2 p. sg. -ti : [25]

3e p. m. sg. -(w) : [59] 12 Ø [31]

3e p. f. sg. -ti : [62,149]

1re p. pl. -wjn :

2e p. pl. -tiwni :

3e p. pl. -(w) : [36] Ø

3e p. f. pl. -ti :

13 très rares en m.-ég.

duel 3e m. -wj : et remplacés

duel 3e f. -tj : par -w

12 Sm. 7,5

13 Eb. 41,1

Fig. 52. Suffixes du parfait ancien.

N.B. Les terminaisons sont écrites après le déterminatif éventuel, à l’exception des

terminaisons abrégées comme ou qui ont tendance à passer devant le déterminatif.

C. ASPECT

Le parfait fait sémantiquement partie du PERFECTIF RÉSULTATIF. Il crée un intervalle ouvert à droite, après le procès. Cet intervalle est conçu prototypiquement comme une situation. La post-phase fait cognitivement partie du procès. Le parfait ancien postule donc une actionalité télique : <~~~~+>[____[. La post-phase est prototypiquement statique, mais il existe des cas de post-phase dynamique : <+>[~~[~~~. Un verbe comme Sm « s’en aller », prend dès lors le sens de « marcher, être en route », une fois conjugué au parfait ancien. Le

- 55 -

7. LE PARFAIT ANCIEN 56

sens du parfait ancien est largement fonction de la diathèse du verbe auquel il s’applique. La situation nouvelle créée par le parfait ancien est envisagée du point de vue du sujet. Cela entraîne pour les verbes transitifs une inversion de diathèse, avec expression éventuelle de l’agent au moyen de in [28]. L’égyptien oppose ainsi deux constructions pour cette catégorie de verbes :

iw iri.n.i st « je l’ai fait » : situation envisagée du point de vue de l’objet (diathèse active) iw.i ini.kwi « j’ai été amené » : situation envisagée du point de vue du sujet (diathèse passive)

Pour les verbes intransitifs, la seule possibilité est évidemment l’emploi du parfait ancien : iw.i ij.kwi « je suis venu » (donc, « je suis là »).

PERFECTIF MOMENTANÉ RÉSULTATIF sDm.n.f vb trans. sDm.n.f pft anc. complétif inchoatif vb trans. vb intr. prop. télique prop. atélique vb trans. (inversion diathèse)

Fig. 53. Taxinomie du PERFECTIF et de l’accompli.

Il est à noter que le parfait ancien est originellement neutre quant à la diathèse avec les verbes transitifs : en ancien égyptien, il peut rendre une situation acquise du point de vue du sujet ou de l’objet. En moyen égyptien, on trouve encore quatre verbes transitifs susceptibles d’avoir la diathèse active au parfait ancien, du moins à la 1re pers. sing. Il s’agit de rdi, ini, iri et Dd. À cela il faut ajouter rx « connaître », qui a toujours une diathèse active.

A.Ég. Ég. clas. N.-ég. Actif Tous les verbes Passif Actif iri.kwi, ini.kwi, rdi.kwi, Dd.kwi Passif rx.kwi 14 Actif

14 CT V,223d

Fig. 54. La diathèse des verbes transitifs au parfait ancien.

D’autres constructions peuvent également véhiculer le PERFECTIF RÉSULTATIF : il s’agit de la sDm.t.f, du participe de l’accompli, de la construction iy.t pw ir.n.f. Elles seront examinées ultérieurement.

L’emploi du parfait ancien peut forcer la télicité chez les verbes qui en sont normalement dépourvus (phénomène de recatégorisation) : p.ex. sDm « entendre », pft anc. sDm.w « avoir été compris, noté ».

N.B. 1) À l’origine, le parfait ancien fonctionne comme un étatif, en dehors du système aspectuel. Son intégration dans le système aspectuel s’est faite progressivement. Des traces de

7. LE PARFAIT ANCIEN 57

l’étatif sont encore visibles chez certains verbes statifs, comme wnn « être », mn « rester », etc.

2) Avec les verbes de qualité, le parfait ancien exprime une qualité acquise, par opposition à la prédication adjectivale qui exprime une qualité inhérente : nfr sw « il est (naturellement bon) » vs. iw.f nfr.w « il est (devenu) bon ». Mais il peut aussi acter qu’une situation, qui n’est pas forcément présentée comme acquise, dure encore au moment de référence15. Pour l’utilisation de la sDm.n.f dans l’expression du parfait, cf. supra, p. 49.

15 Hamm. 191 (swab.ti « restée pure)

3) Le parfait ancien s’oppose originellement au système du passif comme une tournure stative face à une tournure dynamique (cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.). Les relations entre parfait ancien et passif sont toutefois complexes, notamment en raison de la nature et du sémantisme des verbes concernés. On notera que le clivage passe parfois par la nature du sujet : le parfait ancien est préféré quand le sujet est pronominal. Cette tendance s’accentue nettement en néo-égyptien. D’un point de vue historique large, le parfait ancien fonctionnant comme prédicat d’une construction psedo-verbale (cf. ci-dessous, E 2) s’impose dans l’expression du résultatif passif face aux constructions proprement passives.

D. TEMPS

L’accompli résultatif est indifférent au temps. Dans nos langues, le choix se fait en fonction de l’instance d’énonciation et de la syntaxe.

Discours Narration

Fonct. autonome initiale passé composé passé composé

Fonct. autonome non initiale ------- passé simple

Fonct. circonstancielle passé composéfutur antérieur

plus-que-parfait

Fig. 55. Les équivalents temporels du parfait ancien, en français.

La construction pseudo-verbale (cf. infra, E 2) peut s’accommoder de convertisseurs temporels ou modaux.

E. SYNTAXE

1. Emploi indépendant

Très rare (archaïque, et à la 1re personne [23]), en dehors de certaines formules figées à la 2e et 3e pers., à valeur d’optatif (projection d’une situation dans le futur)16 : [24]. 16 Mérikarê 7,2

2. Prédicat dans une construction pseudo-verbale

Le schèma suit celui de la construction à prédicat adverbial : (aux. énonc./convertisseur) + Sujet + Parfait ancien. Il s’applique aussi syntagmes verbaux Hr/m/r + infinitif (cf. infra, p. 68).

2.1. Emploi autonome initial

2.1.1. La construction pseudo-verbale est d’ordinaire accompagnée d’un auxiliaire d’énonciation ou d’un convertisseur temporel ou modal.

7. LE PARFAIT ANCIEN 58

17 Eb. 37,3-4 18 Westc. 8,12 19 Adm. 12,5

– Dans le discours, les principaux auxiliaires sont iw [25]17, mk [26]18 et in19 plus rarement HA20 ; le convertisseur modal wn(n) [27],

22 HBT, 24 23 Eb. 108,20 ; Mérikarê 5,4

27 Eb. 102,12-13

28 Sm. Fall 19, Glose A

20 BM 562,9

24 Eb. 1,11 25 CT III,48h 26 Louvre C 10,9

21 Westc. 8,21

– Dans la narration, on trouve rarement iw, avec valeur de titre [32].

2.1.2. Les emplois sans auxiliaire d’énonciation sont rares : ils ont généralement valeur de titre (nouvelle étape du récit) : [33]

2.2. Emploi autonome non initial. Dans cet usage typique de la narration, la construction pseudo-verbale est accompagnée d’un auxiliaire d’énonciation : aHa.n [28,29], wn.in [30]21. Sur le plan aspectuel, ces constructions expriment originellement l’entrée soudaine dans une nouvelle situation ; c’est le produit attendu de la confrontation du sens d’accompli ponctuel véhiculé par les auxiliaires et le sens accompli résultatif du parfait ancien. Par la suite, ces constructions évolueront vers l’expression d’un accompli ponctuel :

aHa.n.f mwt.(w) ~~~~~<+>[_[______ ⇒ ~~~~~[<+>]_______ « et alors il se retrouva mort » « et alors il mourut »

2.3. Emploi incident ou circonstanciel

Deux cas de figures se présentent : – sans auxiliaire d’énonciation [34,35,36,87] ; c’est la tournure la plus ancienne, – accompagné d’un auxiliaire d’énonciation : isk, sT, ti [31]22, iw (trait de langue récent) :

[41]23.

2.4. La construction pseudo-verbale peut également se combiner avec des relateurs syntaxiques :

– après le relatif nty/ntt [37]24, une conj. de subordination formée sur ntt (Hr-ntt, Dr-ntt, xft-ntt) [38]25, ou le relateur wnt26.

2.5. Emploi substantival – avec convertisseur, prédicat d’une construction A pw, notamment dans les gloses27, – après la conj. de subord. m-xt [39], – avec les autres prép.-conj., le convertisseur wn(n) est nécessaire [40], – avec convertisseur, en fonction emphatique (rare)28.

2.6. Emploi adjectival

La construction pseudo-verbale peut fonctionner à la manière d’un adjectif ; elle est alors introduite par le convertisseur nominal wnn, conjugué au participe : [43].

3. Prédication seconde

Pour exprimer une situation ou une activité annexe dans laquelle se trouve engagé un des arguments d’une prédication (plus rarement un satellite), l’égyptien peut utiliser le schéma de la construction pseudo-verbale s’il désire intégrer intimement la seconde proposition à la première. Le mécanisme rappelle un peu celui de la relativisation : deux prédications à l’origine distincte possède un élément commun. Celui-ci est obligatoirement le sujet de la seconde prédication. Par exemple, iw mA.n.i Hm.t, iw/isk/Ø Hm.t tn Hqr.ti « j’ai vu une femme. Cette femme est malade ». L’égyptien peut laisser les choses en l’état. Mais il peut aussi intégrer la seconde proposition dans la première par le biais d’un élément commun, Hm.t. Pour ce faire, la seconde proposition est enchâssée dans la première : le sujet est effacé et le parfait ancien apparaît comme une expansion, dans le cas présent, de l’objet : iw mA.n.i Hm.t Ø Hqr.ti « j’ai vu une femme qui est malade » : [7,44,45,47,59,149,224]29.

29 Kah. 2,4

7. LE PARFAIT ANCIEN 59

Il faut bien voir que la tournure n’a rien d’obligatoire. Cf. la variété d’expressions en français : « j’ai vu une femme malade / qui était malade / alors qu’elle était malade / Elle était malade / Il se fait qu’elle était malade, etc. »

La prédication seconde intégrée est diachroniquement concurrencée par la construction circonstancielle introduite par iw, qui deviendra le Présent I circonstanciel du néo-égyptien [42]. Les deux constructions sont parfois en variante contextuelle.

iw mA.n.i Hm.t iw isk Hm.t tn Hqr.ti Ø

iw mA.n.i Hm.t iw isk Hm.t tn Ø Hqr.ti

Fig 56. Schéma théorique de la prédication seconde (enchâssement).

4. Emploi adjectival

Le parfait ancien connaît également un emploi pseudo-adjectival30, notamment avec des verbes exprimant la totalité comme twt, tm, dmD, largement lexicalisés [34,46]31. 31 Eb. 99,20

30 Sm. 4,21 ; Eb. 49,1-2

F. POINT DE VUE ÉNONCIATIF

La construction pseudo-verbale est énonciativement neutre. On peut toutefois rhématiser le complément adverbial éventuel en utilisant le convertisseur de substantivation wnn. Les exemples en sont rarissimes : [47]. D’autres constructions prennent habituellement le relai : sDm.n.f pour l’actif et sDm.n.tw.f pour le passif des verbes transitifs. Il n’y a là rien qui doive étonner : rhématiser une circonstance d’un procès n’a véritablement de sens que si l’on reste aspectuellement dans le cadre du procès. Par contre, dans la construction wnn.f ir.w Hr X « c’est à cause de X que cela se retrouve accompli », on focalise l’attention sur deux moments différents : la situation résultante (exprimée par le parfait ancien) et la circonstance qui a présidé à la réalisation du procès (rhématisée par le convertisseur wnn). On conçoit donc que ce cas de figure soit moins fréquent.

portée du parfait ancien <{~~~~~+}> [_______[ portée du cpl. adv.

G. NÉGATION DU PARFAIT ANCIEN

La contrepartie morphologique négative de la construction pseudo-verbale est très rare : nn + SN + parfait ancien [48]32. 32 Leb. 126-7

Avec les verbes de qualité, l’égyptien préfère tourner la négation d’une situation par la négation de l’action qui mène à la situation : iw.f nfr.w « il est devenu bon » n nfr.n.f « il n’a pu devenir bon » (c.-à-d. « il n’est pas bon » ; cf. supra, p. 30) [49,73]. Il s’agit en fait de la tournure qui sert à nier l’inaccompli général (cf. infra, p. 65).

7. LE PARFAIT ANCIEN 60

La négation de la construction pseudo-verbale en emploi autonome avec des verbes intransitifs dynamiques est n sDm.f, c.à.d. la même négation que iw/mk sDm.n.f (cf. supra, p. 53) : [50].

H. TABLEAU RÉCAPITULATIF DES EMPLOIS DES FORMES DE L’ACCOMPLI (sDm.n.f et parfait ancien)

La ventilation des emplois de la forme sDm.n.f et du parfait ancien se laisse résumer dans le tableau suivant. Il a été tenu compte de la nature des verbes et des emplois syntaxiques. Seule la situation de l’actif a été retenue.

A C T I F

Autonome Séquentiel Circonstanciel Substantival

Transitif + —

iw sDm.n.f n sDm.f

… sDm.n.f … sDm.n.f sDm.n.f tm.n.f sDm

Intr. dyn. + —

iw.f iw.w n iy.f

aHa.n.f Hr iy.t … iw.w iy.n.f tm.n.f iw

Qualité + —

iw.f nfr.w n nfr.n.f (nn sw nfr.w)

aHa.n.f Hr nfr … nfr.w nfr.n.f tm.n.f nfr

Fig. 57. Tableau récapitulatif des emplois des formes de l’accompli, à l’actif.

8. LES AUTRES MOYENS D’EXPRESSION DU PERFECTIF

À côté des formes qui constituent le système de l’accompli, l’égyptien possède des constructions aspectuellement marquées comme perfectives. Ces constructions ne font pas partie d’un système régulier d’oppositions ; c’est pourquoi elles sont traitées séparément.

On examinera successivement les constructions en rapport avec le PERFECTIF MOMENTANÉ, puis celles en rapport avec le PERFECTIF RÉSULTATIF.

A. LE PERFECTIF MOMENTANÉ

Les formes du PERFECTIF MOMENTANÉ à considérer ici sont wn.in.f Hr sDm, aHa.n.f Hr sDm et sDm.in.f. Elles ont en commun d’être spécialisées dans l’expression de la séquentialité. Les deux premières partagent plusieurs caractéristiques :

ce sont des formations complexes, composées d’un auxiliaire d’énonciation, wn.in ou aHa.n, suivi d’une syntagme prépositionnel (Hr + infinitif),

elles ne sont utilisées que dans l’instance de la narration,

elles sont employées en fonction autonome séquentielle,

elles sont aptes à commander un système séquentiel.

Signalons enfin que la construction narrative iw.f Hr sDm à valeur d’accompli ponctuel, schème narratif de base en néo-égyptien, se met en place à la DPI et à la XVIIIe dyn. (cf. infra, p. 68).

1. Les construction wn.in.f Hr sDm et aHa.n.f Hr sDm

Sur le plan aspectuel, wn.in.f Hr sDm et aHa.n.f Hr sDm ont peut-être d’abord eu un sens inchoatif, avant d’évoluer vers le PERFECTIF MOMENTANÉ. Ces constructions combinent en effet un auxiliaire aspectuellement marqué comme un perfectif momentané et un prédicat (Hr + inf.) marqué comme un progressif (cf. infra, p. 66). Le produit de cette combinaison a sans doute été originellement d’isoler l’entrée dans une activité. C’est du moins ce qu’on est en droit d’attendre, si, comme on peut le penser, ces constructions sont d’abord apparues avec des verbes atéliques.

aHa.n.f Hr sDm est encore rare en moyen égyptien ; elle apparaît comme le successeur diachronique de aHa.n sDm.n.f (cf. supra, p. 48). La construction wn.in.f Hr sDm est en revanche attestée anciennement. En moyen égyptien, il faut encore compter avec les constructions aHa.n.f/wn.in.f + parfait ancien, qui servent de substituts aux premières citées avec les verbes intransitifs (cf. supra, p. 57).

On obtient donc une première répartition des formes sur base de la nature du verbe :

- 61 -

8. AUTRES MOYENS DU PERFECTIF 62

verbes transitifs verbes intransitifs

wn.in wn.in.f Hr sDm wn.in.f iw.w

aHa.n aHa.n sDm.n.f > aHa.n.f Hr sDm

aHa.n.f iw.w

Fig. 58. Répartition des formes wn.in et aHa.n – approche morphologique.

En ce qui concerne l’organisation du texte, wn.in.f Hr sDm et aHa.n.f Hr sDm n’ont pas toujours des rôles bien distincts l’un de l’autre. Leur vocation commune est de marquer une nouvelle étape du récit [51,52,53], ce que renforce parfois l’usage de la rubrique, surtout pour wn.in. Étymologiquement, le convertisseur wn.in est une forme séquentielle (wnn conjugué à la sDm.in.f). On pourrait donc s’attendre à ce que wn.in exprime une plus grande dépendance vis-à-vis de l’énoncé qui précède. Mais cette déduction n’est pas toujours supportée par les faits.

N.B. La construction wn.in sDm.n.f est attestée, mais elle est rarissime.

2. La forme sDm.in.f

La forme sDm.in.f est construite à l’aide d’un infixe très probablement apparenté au verbe in « dire », encore utilisé en incise comme marque de fin de discours dans la narration. Le thème verbal est toujours bref, comme celui du perfectif sDm.f (cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.). En dehors des cas où elle alterne avec la sDm.xr.f dans des contextes normatifs (cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.), la sDm.in.f se rend d’ordinaire par un passé simple.

La sDm.in.f exprime la séquentialité vue comme un PERFECTIF COMPLÉTIF. On la trouve donc surtout dans la narration [197,208], où il n’est pas rare qu’elle soit rubriquée. On peut encore la rencontrer dans les mêmes contextes que la sDm.xr.f : ce qui est présenté comme le résultat d’une norme par la sDm.xr.f est présenté comme étant déjà accompli par la sDm.in.f [6], ce qui est une autre manière d’en souligner le caractère inéluctable [159].

B. LE PERFECTIF RÉSULTATIF

Les constructions à examiner sont ici iy.t pw ir.n.f, la forme sDm.t.f, et [le participe et la forme relative de l’accompli, la forme sDm.tj.fj]. Les dernières citées (entre crochets droits) seront étudiées conjointement avec les autres formes converties (cf. infra, ch. 18).

1. La construction iy.t pw ir(.w).n.f

La construction iy.t pw ir(.w).n.f « voilà qu’il vint » (litt. « c’est venir ce qu’il a fait ») est construite sur le moule de la prédication substantivale (A pw) ; le prédicat est un infinitif dont l’agent et le cadre aspectuel sont donnés par la forme relative ir.w.n.f. Cette tournure sert également à marquer les grandes étapes de la narration ; aussi est-elle quelquefois rubriquée. Elle est le plus souvent, mais pas exclusivement, employée avec un verbe de mouvement, ce que souligne le choix du verbe dans le paradigme [44]. Elle semble peu fréquente en dehors des textes littéraires. Elle peut commander un système séquentiel, par exemple une suite de sDm.n.f [8] ou une construction introduite par aHa.n [54].

8. AUTRES MOYENS DU PERFECTIF 63

2. La construction sDm.t.f

a) Morphologie

C’est une forme de la conjugaison suffixale, caractérisée par l’ajout d’un infixe –t (écrit

) derrière le thème verbal. Les inf. ont la forme brève, les gem. font la gémination.

Exemples : (sDm.t.f) ; (mr.t.f) ; (mAA.t.f) ; ou

(rdi.t.f) ; (iy.t.f).

b) Aspect

La forme sDm.t.f a la valeur d’un parfait résultatif. Elle sélectionne donc la post-phase du procès. Elle est sans doute morphologiquement apparentée au participe sDm.tj.fj. Elle fait peut-être partie du stock commun égypto-sémitique (cf. acc. iptaras).

c) Syntaxe

La forme sDm.t.f connaît deux emplois principaux : derrière la négation n, derrière une préposition (r ou Dr).

Derrière la négation n ( )

Le sens est « il n’a pas encore entendu ». Le plus souvent, la tournure est employée en fonction circonstancielle [55]. Celle-ci peut être soulignée par isk ou iw [56].

On notera que face à n sDm.t.f qui exprime la non-occurrence d’un procès avec l’implication positive qu’il va se produire, et n-zp sDm.f qui insiste sur le fait qu’un procès ne s’est jamais produit dans le passé, l’égyptien classique est assez démuni pour dire que quelque chose s’est déjà produit : iw sDm.n.f se traduit suivant les cas « il a (déjà) entendu ». En néo-

égyptien, la particule an ( ) associée à une forme de parfait peut marquer, de manière non systématique, qu’un procès a déjà eu lieu en référence à un moment donné.

Derrière les prépositions r ou Dr

La construction r sDm.t.f signifie « jusqu’à ce qu’il ait entendu », la construction Dr sDm.t.f « avant qu’il n’ait entendu », ou « depuis qu’il a entendu » : [57, 58]. La négation se fait le cas échéant au moyen de tm [59].

On relevera encore la forme wn.t comme convertisseur de la proposition pseudo-verbale et comme élément de la négation composée n-wn.t (cf. supra, p. 38).

Évolution diachronique : la sDm.t.f est déjà archaïque en ancien égyptien. Ces usages ne font que diminuer (Dr sDm.t.f a disparu en néo-égyptien), mais la forme survit en copte dans la tournure négative mpatf-swtm « il n’a pas encore entendu ».

9. L’INACCOMPLI GÉNÉRAL sDm.f

A. TERMINOLOGIE

On trouve couramment dans la littérature scientifique les appellations suivantes : inaccompli général, aoriste sDm.f, forme circonstancielle.

B. MORPHOLOGIE

Il s’agit d’une forme de la conjugaison suffixale directe, dont les inf. ont la forme brève et les 2ae gem. font la gémination.

Exemples : (sDm.f) ; (mr.f) ; (mAA.f) ; ,

(ir.f) ; ou (di.f ) [70].

C. ASPECT

L’inaccompli général fait sémantiquement partie de l’IMPERFECTIF GLOBAL. Il crée un intervalle ouvert, dont la borne droite est cognitivement non saillante : <[ >. Les effets de sens les plus connus sont l’HABITUEL (« il vient tous les jours ») et le CONTINUEL (« il écrit », c.-à-d. « il est écrivain ») : cf. supra, p. 40.

En égyptien, l’IMPERFECTIF HABITUEL est souvent accompagné d’un complément de temps indiquant la fréquence de l’habitude : ra nb « tous les jours », hrw aSAw « de nombreux jours », etc. (cf. supra, p. 45). Les arguments ont parfois le quantificateur universel nb [63]. L’IMPERFECTIF CONTINUEL, quant à lui, se situe sur le continuum qui va de l’essentiel au contingent, où s’expriment l’identité et la position sociale : ink sS « je suis écrivain » (par nature), iw.i m sS « je suis un écrivain », iw.i sS.i Ø « j’écris » (c’est ma profession), iw.i Hr sS.f « je suis en train de l’écrire » (situation présente).

Dans le système aspectuel du moyen égyptien, l’inaccompli général sDm.f s’oppose à l’inaccompli progressif : SN + Hr/m + infinitif (voir chapitre suivant). Dès la deuxième moitié de la 12e dyn., l’inaccompli général tend à être remplacé par l’inaccompli progressif dans l’expression de l’IMPERFECTIF GLOBAL. Le processus est complètement achevé en néo-égyptien (présent I).

D. TEMPS

L’inaccompli sDm.f est indifférent au temps. Dans nos langues, il se rend d’ordinaire par un présent simple ou un imparfait. Le choix est fonction de l’instance d’énonciation.

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9. INACCOMPLI GÉNÉRAL 65

Propositions Discours Narration

Autonomes initiales Présent simple Imparfait

Circonstancielles Présent simple Imparfait

Fig. 59. Les valeurs de l’inaccompli sDm.f en fonction de la syntaxe.

E. SYNTAXE

1. Proposition autonome initiale

L’inaccompli général a toujours un sujet pronominal. Si le sujet est nominal, il est projeté en tête de la proposition, et repris de manière pronominale (iw SN sDm.f). Ce qui est était à l’origine un procédé de thématisation s’est grammaticalisé. Cette tournure s’est ensuite étendue au sujet pronominal (iw.f sDm.f). On trouve la construction dans

le discours : avec un auxiliaire d’énonciation : iw (fréquent) [60,61], mk (rare) [62] sans auxiliaire (validité générale du procès) : [63,64]

dans la narration : sans auxiliaire d’énonciation : [65] avec convertisseur wn (transposition dans le passé) : [66,67] avec l’auxiliaire wn.in (rare) : [68]

2. Proposition circonstancielle

Les conditions d’emploi sont proches de celles de la sDm.n.f (cf. supra, p. 52). Le point de repère se fait par rapport à la proposition principale. La liaison est paratactique : [64,69,232]. La fonction circonstancielle peut également prendre appui sur un syntagme nominal : [70, 225]. L’inaccompli général exprime un procès dont la validité générale est concomitante au moment de référence de la proposition principale. Il se distingue ainsi de l’inaccompli progressif qui exprime un procès dont le déroulement est concomitant au moment de référence de la proposition principale. À l’inaccompli général, le procès peut se dérouler simultanément au procès de la principale ; il en a la potentialité ; à l’inaccompli progressif, la simultanéité des procès apparaît comme une nécessité. En français, une phrase comme « je l’ai rencontré alors qu’il fumait » est ambiguë ; elle peut signifier alors qu’il était en train de fumer (progressif et donc simultanéité nécessaire), ou bien alors qu’il était fumeur, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait une cigarette aux lèvres au moment précis de la rencontre. En égyptien classique, les deux emplois sont formellement différenciés.

F. SYSTÈME NÉGATIF

La négation de l’inaccompli général se fait au moyen de n sDm.n.f c’est-à-dire de la négation de l’accompli ponctuel [75,131]. Très souvent se joint une nuance d’impossibilité, notamment avec les verbes atéliques. On trouve la négation n sDm.n.f aussi bien dans le discours [71] que dans la narration [72] ; les nuances temporelles sont les mêmes qu’au positif : présent simple dans le discours, imparfait dans la narration. D’un point de vue syntaxique, la construction n sDm.n.f est employée en proposition autonome [71] et en proposition circonstancielle [72].

10. L’INACCOMPLI PROGRESSIF SUJET + Hr/m + INFINITIF

A. DÉFINITION

L’inaccompli progressif s’exprime fondamentalement en moyen égyptien par une construction pseudo-verbale dont le prédicat est un infinitif introduit par une préposition. Celle-ci peut être Hr, cas le plus fréquent, ou m.

Sur le plan morphologique, cette construction est complémentaire de la construction Sujet + Parfait ancien, qui véhicule l’accompli résultatif (cf. supra, p. 57). Sur le plan sémantique, elle s’oppose, au sein de l’inaccompli, à la construction SN + sDm.f, étudiée au chapitre précédent.

La morphologie de l’infinitif et l’étude de ses emplois purement substantivaux font l’objet d’un chapitre séparé (cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini. et suiv.).

B. ASPECT

L’inaccompli progressif fait sémantiquement partie de l’IMPERFECTIF PROGRESSIF (cf. supra, p. 40). L’inaccompli progressif crée un intervalle ouvert à l’intérieur du procès : < [ [ >. C’est donc un temps qui implique la durée [+ DUR]. Sur le plan sémantique, l’inaccompli progressif se caractérise encore par le trait de dynamicité [+ DYN], ce qui implique le plus souvent le contrôle du procès par le sujet [+ CTRL].

Au cours du Moyen Empire, la construction SN + Hr + infinitif finit par gagner tout le domaine de l’inaccompli, aux dépens de la forme sDm.f, qui a disparu complètement en néo-égyptien [79]. L’évolution est retracée dans un tableau à la fin du chapitre (cf. p. 69).

SN + m + inf. SN + Hr + inf. SN + sDm.f

A. Eg. --- --- ± PROGRESSIF

M. EG. I + MELLIQUE33 + PROGRESSIF ---

M. Eg. II + MELLIQUE [- DUR] + PROGRESSIF [+ DUR]34 ± PROGRESSIF

N. Eg. + MELLIQUE [- DUR] + PROGRESSIF [+ DUR]

± PROGRESSIF

33 [84]

34 [86]

Fig. 60. Les verbes de mouvement et la construction SN + m + inf.

L’égyptien peut substituer la préposition m à la préposition Hr. Cette construction est attestée presque exclusivement avec des verbes de mouvement. Les conditions régissant les

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10. L’INACCOMPLI PROGRESSIF 67

emplois respectifs de m et de Hr peuvent se résumer de la manière telle que suggérée dans le tableau ci-dessous. Le sens progressif ne s’obtient qu’avec les verbes d’Aktionsart durative. Avec les verbes ponctuels, le sens est mellique (« être sur le point de ») [77]. On notera que les verbes xdi « descendre le courant » et xnti « remonter le courant » font l’objet d’une lexicalisation dès l’Ancien Empire : le sens est toujours progressif m xdi.t/xnti.t « en descendant/remontant le courant ».

C. ASPECT ET ACTIONALITÉ

Les traits [+ DUR] et [+ DYN] influent sur le rôle sémantique des arguments ou sur le sens des verbes dont l’Aktionsart est [- DUR] ou [- DYN]. Avec les verbes [- DUR], le sens est le plus souvent conatif (ou mellique) ou progressif, avec sélection de la pré-phase : pH « atteindre » ⇒ « essayer / être sur le point d’atteindre » ~[~~[~<+>_____ [73]. Avec les verbes [- DYN], il y a renforcement de l’agentivité du sujet (avec contrôle) : sDm « entendre » <------> ⇒ « écouter, prendre note, etc » <~~~~~> [74].

Le tableau ci-dessous reprend les sélections opérées par le progressif en fonction des classes d’actionalité.

CLASSES D’ACTIONALITÉ ASPECT SÉLECTION REMARQUES

activité à sujet agentif <~~~~~~> progressif <~~[~~[~~>

activité à sujet peu agentif <------->-AGT progressif <~~[~~[~~>+AGT renf. agentivité

activité à sujet non agentif <------->[-agt] pas attesté blocage

sémelfactif <-> / <~> itératif [<->[x / [<~>[x factorisation

achèvement ~~~~~<+>______ progressif ~[~~[~<+>_______ sélection pré-phase

achèv. à pré-phase nulle <+>~~~~~ <+>______

mellique / conatif

[ [ <+>~~~~~ [ [ <+>______

sélection phase préliminaire

accompl. gradable ou non gradable

<~~~~~+>______

<++++++>_____progressif <~[~~~[~+>_______

<+[+++[++>_______

Fig. 61. L’inaccompli progressif et l’actionalité.

D. TEMPS

L’inaccompli progressif est indifférent au temps. Dans nos langues, il se rend d’ordinaire par un présent simple ou un imparfait. Le choix est fonction de l’instance d’énonciation. En français, la tournure « être en train de » peut servir à rendre le progressif, mais il s’agit d’une tournure énonciativement marquée dont l’emploi ne doit pas être systématisé.

On notera que dans le discours, en position autonome, le progressif peut englober la sphère du futur proche (« je vais faire ») ou du passé récent (« je viens de faire »).

10. L’INACCOMPLI PROGRESSIF 68

Propositions Discours Narration

Autonomes initiales Présent simple Imparfait

Circonstancielles Présent simple Imparfait

Fig. 62. Les valeurs de la construction progressive en fonction de la syntaxe.

E. SYNTAXE

1. Prédicat dans une construction pseudo-verbale

a) Emploi autonome initial

La construction progressive est généralement accompagnée d’un auxiliaire d’énonciation ou d’un convertisseur temporel.

dans le discours, les principaux auxiliaires sont iw [76] et mk [74,75,77],

dans la narration, pas attesté, en dehors de quelques rares emplois avec le convertisseur du passé wn : [78].

On la trouve aussi sans auxiliaire d’énonciation : cela demeure rarissime avant que la construction n’ait investi le domaine de l’inaccompli général : [79].

b) Emploi autonome non initial

Cet emploi est limité à la narration. La construction SN + Hr + inf. est alors accompagnée d’un auxiliaire d’énonciation : elle a la valeur d’un accompli ponctuel (cf. supra, p. 61). Les auxiliaires concernés sont aHa.n (assez rare) [80], wn.in [81], et iw (trait de langue récent : préfiguration du séquentiel néo-égyptien) [82].

c) Emploi incident ou circonstanciel

En emploi circonstanciel, la construction progressive est le plus souvent accompagnée d’un auxiliaire d’énonciation : isk, sT, ti [83,84], iw (trait de langue récent) : [85,86]. Mais on la trouve aussi en emploi paratactique [87]. Elle s’oppose dans le même emploi à l’inaccompli général sDm.f (cf. supra, p. 65 pour une description de l’opposition aspectuelle).

d) La construction pseudo-verbale peut également se combiner avec des relateurs syntaxiques :

derrière le relatif nty/ntt [88],

derrière les prép.-conj., le convertisseur wn(n) est nécessaire : [89,90].

e) Emploi substantival

Pour conférer à la construction le statut d’un substantif [91] ou pour mettre l’emphase sur l’élément adverbial [92], la construction pseudo-verbale doit être rendue compatible avec la catégorie substantivale, ce qui se fait au moyen du convertisseur de substantivation wnn. La tournure est cependant assez rare. Le plus souvent, c’est la forme mrr.f qui prend en charge tout le domaine de l’inaccompli (cf. infra, p. Erreur ! Signet non défini.).

f) Emploi adjectival

Une technique indentique est appliquée pour les emplois adjectivaux : la conversion se fait au moyen du convertisseur wnn conjugué au participe : [93,94].

10. L’INACCOMPLI PROGRESSIF 69

2. Prédication seconde

On retrouve le schéma déjà présenté pour le parfait ancien (cf. supra, p. 58). La prédication seconde sert ici à exprimer une activité dans laquelle se trouve engagé un des arguments du verbe (ou plus rarement un des satellites) [73,83]. Ce type d’expansion concerne fréquemment le sujet de verbes ou locutions verbales comme wrS « passer le jour », sDr « passer la nuit », iri x hrw « passer x jours à (faire quelque chose) », etc. [95,96], ou l’objet de verbes de perception tels mAA « voir », gm(i) « trouver », xA(i) « examiner » [97].

La prédication seconde est également attestée avec m + infinitif : [98].

F. NÉGATION

La négation de la construction SN + Hr + infinitif se fait au moyen de nn SN + Hr + infinitif ; si le sujet est pronominal, c’est le pronom dépendant qui est utilisé : nn sw Hr sDm. [99]. Quand la construction SN + Hr + infinitif aura gagné tout le domaine de l’inaccompli (global et progressif), la différence restera marquée dans le schème négatif. C’est ce que résume le tableau suivant :

Inaccompli général Inaccompli progressif

M. Eg. I + —

iw.f sDm.f

n sDm.n.f

iw.f Hr sDm

nn sw Hr sDm

+ iw.f sDm.f iw.f Hr sDm iw.f Hr sDm M. Eg. II

— n sDm.n.f nn sw Hr sDm

N.Eg. + —

sw Hr sDm

bw sDm.f > bw ir.f sDm

sw Hr sDm

bn sw Hr sDm

Fig. 63. Évolution des formes de l’inaccompli.

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