Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est...

20
« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut conquérir de nouveaux mondes ». Léon TROTSKY, « Le caractère de la révolution russe », in L’Année 1917, Paris, François Maspero, 1976, p. 94. C ommençons par mettre en exergue trois figures récentes de l’infamie spor- tive : a) Le 12 avril 2010, 7 335 sinistrés haïtiens étaient expulsés de la pelouse du stade Sylvio Cator afin que le championnat de football – et l’activité des tiroirs caisse – puissent reprendre 1 . C’est avec l’appui du gouvernement et de la FIFA que la fédération haïtienne de football a demandé aux réfugiés de quitter les lieux. Evans Lescouflair, ministre de la Jeunesse et des Sports du pays, étalait son cynisme au journal Métro : « Il faut que le championnat reprenne, il faut remettre les jeunes au sport 2 ». Le directeur général du stade, Rolny Saint-louis, affirmait également que « l’enceinte du stade n’était pas destinée pour abriter les gens 3 ». Ayant débloqué 3,25 millions de dollars pour financer la reconstruction du stade, la FIFA déclarait par l’intermédiaire de Thierry Regenass, directeur de la division des associations nationales : « Les Haïtiens sont fous de foot, c’est même l’une des choses qui fonctionnent le mieux dans le pays [sic]. Le foot apporte de la joie et permet aux Haïtiens de se changer les idées [sic] 4 ». Tel n’était pourtant pas l’avis des 1 300 familles obligées de s’installer dans les parkings du stade. « Je n’ai rien contre le football mais je pense que notre situation est prioritaire 5 », expliquait avec plein de bon sens l’un des réfugiés prêts à manifester pacifiquement contre le déplacement. Le rapport de force a finalement tourné en faveur du football-roi qui a ainsi démontré que son « humanisme » n’était qu’une forme de crapulocra- tie maffieuse. Plutôt le bonheur des bandes de mercenaires en crampons qui se massent les cuisseaux survitaminés dans des hôtels de luxe, que celui de milliers de sinistrés plongés dans une misère noire avec vieillards, femmes et enfants sans domicile fixe ! Voilà en résumé le bel esprit sportif en temps de catastrophe humanitaire : the show business must go on1- Voir le site de l’association des journalistes sportifs haïtiens de l’Amérique (AJOSHA) : http://www.ajoshanews.org. 2- Metro,1 er avril 2010. 3- http://www.ajoshanews.org. 4- Metro,1 er avril 2010 5- L’Express.fr, 8 avril 2010. Le sport, stade suprême de l’enfer estival Les imposteurs de la critique : méfions-nous des contrefaçons ! Cathy Louvoyé et Ingrid Quevot, membres du comité de rédaction QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 5

Transcript of Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est...

Page 1: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peutconquérir de nouveaux mondes ». Léon TROTSKY, « Le caractère de la révolution russe »,in L’Année 1917, Paris, François Maspero, 1976, p. 94.

Commençons par mettre en exergue trois figures récentes de l’infamie spor-tive :

a) Le 12 avril 2010, 7 335 sinistrés haïtiens étaient expulsés de la pelouse dustade Sylvio Cator afin que le championnat de football – et l’activité des tiroirscaisse – puissent reprendre 1. C’est avec l’appui du gouvernement et de la FIFAque la fédération haïtienne de football a demandé aux réfugiés de quitter les lieux.Evans Lescouflair, ministre de la Jeunesse et des Sports du pays, étalait soncynisme au journal Métro : « Il faut que le championnat reprenne, il faut remettreles jeunes au sport 2 ». Le directeur général du stade, Rolny Saint-louis, affirmaitégalement que « l’enceinte du stade n’était pas destinée pour abriter les gens 3 ».Ayant débloqué 3,25 millions de dollars pour financer la reconstruction du stade,la FIFA déclarait par l’intermédiaire de Thierry Regenass, directeur de la divisiondes associations nationales : « Les Haïtiens sont fous de foot, c’est même l’une deschoses qui fonctionnent le mieux dans le pays [sic]. Le foot apporte de la joie etpermet aux Haïtiens de se changer les idées [sic] 4 ». Tel n’était pourtant pas l’avisdes 1 300 familles obligées de s’installer dans les parkings du stade. « Je n’ai riencontre le football mais je pense que notre situation est prioritaire 5 », expliquaitavec plein de bon sens l’un des réfugiés prêts à manifester pacifiquement contrele déplacement. Le rapport de force a finalement tourné en faveur du football-roiqui a ainsi démontré que son « humanisme » n’était qu’une forme de crapulocra-tie maffieuse. Plutôt le bonheur des bandes de mercenaires en crampons qui semassent les cuisseaux survitaminés dans des hôtels de luxe, que celui de milliersde sinistrés plongés dans une misère noire avec vieillards, femmes et enfants sansdomicile fixe ! Voilà en résumé le bel esprit sportif en temps de catastrophehumanitaire : the show business must go on…

1- Voir le site de l’association des journalistes sportifs haïtiens de l’Amérique (AJOSHA) :http://www.ajoshanews.org.

2- Metro, 1er avril 2010.3- http://www.ajoshanews.org.4- Metro, 1er avril 20105- L’Express.fr, 8 avril 2010.

Le sport, stade suprême de l’enfer estivalLes imposteurs de la critique : méfions-nous descontrefaçons !Cathy Louvoyé et Ingrid Quevot, membres du comité de rédaction

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 5

Page 2: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

6

b) Autre manifestation éloquentede l’« éthique sportive » et de saconception très élastique du respectde la personne humaine : « FranckRibéry et Sidney Govou entenduspar la police dans une affaire deproxénétisme. […] Deux autresmembres de l’équipe de France, l’unévoluant en Espagne et l’autre dansle sud de la France [il s’agirait deHatem Ben Arfa et Karim Benzema],devraient être entendus cettesemaine à propos de cette affaire 6 ».Voilà donc les chouchous grasse-ment payés des supporters françaispris en pleine tourmente sexuelle etobligés de répondre de supposées« tournantes » organisées par leurami proxénète Abou Sofiane, aucœur desquelles se trouve une jeune

escort-girl marocaine âgée de 16 ans et demi lors des faits. « Ils se faisaient despasses entre eux » ironise déjà un policier interrogé par Le Point 7… Après la mainbaladeuse de Thierry Henry qui qualifia in extremis les « Bleus » face à l’Irlandepour la Coupe du monde 2010 8, les fines parties de jambes en l’air des troisièmesmi-temps finiront-elles par faire définitivement plonger les « modèles pour lajeunesse » dans l’univers glauque de la voyoucratie de banlieue ? C’est unetendance lourde qui n’a en réalité rien d’étonnant : sexe tarifé, bagnoles de sport,produits de luxe et dérives nocturnes dans les paradis de l’excès attendent les grosbêtas nouveaux millionnaires à peine sortis des cités que sponsorisent les maqui-gnons véreux du football professionnel. Afin de compenser leurs innombrablesheures d’ennuis et de souffrances inutiles cumulées sur les stades, dans les bus, lesavions et les chambres d’hôtels, les esclaves du « mercato » délaissent au plus vitela chaude virilité des vestiaires et les vertus crétinisantes des jeux vidéos pour sejeter compulsivement sur la chair fraîche prostituée. Eros vulgaris et pornogra-phique, certes, à l’image de leur prestation corporelle balle au pied : attouche-ments et écroulements collectifs, danses exhibitionnistes, embrassades et

6- Libération, 19 avril 2010.7- Le Point.fr, 20 avril 2010.8- À cette occasion, tout le monde aura pu constater que le fair-play n’est qu’une vue de l’esprit

dès qu’il s’agit de se remplir les poches, surtout Raymond Domenech qui bénéficia d’une prime de826 222 euros pour avoir conduit son équipe de toquards-tricheurs en Afrique du Sud. Pour lesjoueurs les plus assidus convoqués aux douze matches de qualification, le pactole est de 563 111euros. Et dire que la première mission de la FFF est de soutenir les clubs amateurs ! (Le Monde, 8décembre 2009).

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 6

Page 3: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

7

accolades, tendres tapettes sur les fesses devant les caméras, grivoiseries salaces« entre mecs », insultes à caractère sexuel, etc. En Angleterre, le capitaine del’équipe nationale, John Terry, s’est vu privé de son brassard par le sélectionneuritalien Fabio Capello à cause d’une coucherie extraconjugale révélée dans la pressetabloïd 9. Incontestablement, les footballeurs ne savent pas quoi faire de leurlibido refoulée dès qu’elle n’est plus transformée en agressivité socialementreconnue pour tripoter le ballon et « tirer au but » ! Comme les militaires enpermission – les témoignages ne manquent pas – ils se comportent donc « enliberté » comme des fauves en rut lâchés dans la nature, satisfaisant leur plaisirfrustré en « tirant des coups » en compagnie de sex-machines.

c) Enfin, voici un petit florilège des violences sportives ordinaires, éclipsées par les« violences médiatiques » qui gangrènent les grands clubs : « Poussée de fièvredans les stades le week-end dernier. En différents endroits de la région, des actesde violence ont eu lieu aux abords ou sur les terrains de sport… Arbitre bénévoleagressé, arbitre officiel insulté, bagarre générale impliquant joueurs et specta-teurs… En Charente, le juge de touche bénévole d’un match de football a étéfrappé dimanche à Angoulême et a failli perdre un œil. Un spectateur lui a donnéun coup avec l’extrémité du manche de drapeau. […] En Lot-et-Garonne, sur leterrain de foot de Fumel, l’arbitre a sorti à cinq reprises le carton rouge : “La fautedes joueurs de Fumel”, coupables selon lui de brutalités, d’anti-jeu ou d’insulteslors de la réception de Montflanquin, en Division 2 District. Comme le règlementle stipule, le match fut arrêté à la 83e minute, une fois les Fumélois réduits àsept. […] Enfin, en Dordogne, à Prigonrieux, les rugbymen s’illustrent. Coup depoing, carton rouge, crachat, carton jaune, “crêpage”, envahissement du terrainet tutti quanti… Ou comment un “match d’hommes” (comme le qualifie avecbeaucoup de magnanimité Jean-Paul Grellety, le président du Rugby-clubPrigontin) se termine en bagarre générale entre joueurs, remplaçants et specta-teurs à trois minutes de la fin. Bilan : deux plaintes déposées et un nez cassé ence dimanche après-midi. Déjà, il y a huit jours dans le Gers, un match de rugbyentre Plaisance-du-Gers et Montestruc avait dégénéré impliquant une hospitali-sation 10 ». « Des jeunes rugbymen du Lauragais agressés à Agde. […] Les Agatoissont carrément venus dans la partie de terrain où les joueurs du Lauragaiss’échauffaient. Mots doux, intimidation, toute la panoplie du rugby de grand-papapour tenter d’impressionner l’adversaire. Le climat de la rencontre fut détestable,insultes, crachats, certains jeunes ententistes du Relm sont encore choquésaujourd’hui. Ce qui devait arriver arriva. Lorsque les Audois marquèrent leurdernier essai, synonyme de victoire, une agression caractérisée était commise. Destémoins rapportent qu’un joueur audois était maintenu au sol par un adversairependant qu’un deuxième prenait soin de lui enlever son protège-dents de labouche. La suite a été catastrophique pour la victime : quatre dents en moins. […]

9- Le Parisien.fr, 5 février 2010 ; L’Express.fr, 2 mars 2010.10- Sudouest.com, 23 février 2010.

QS12 005-024.qxd 05/05/2010 10:38 Page 7

Page 4: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

8

Le départ d’Agde s’est effectué toujours sous les injures et le groupe audois amême subi un caillassage en règle 11 ». Les « chauds » week-ends sportifs donnentainsi régulièrement l’occasion aux journalistes de province de noircir quelquespages sensationnelles où l’on compte les blessés par balle ou à l’arme blanche, lesfemmes battues ou violées, les jeunes joueurs qui se tabassent allègrement pourimiter les « grands ».

Du haut en bas de l’échelle sportive, il est impossible de parler du procès de« domestication de la violence » ou du « procès de civilisation » comme le fontcertains sociologues complaisants (Duret, Vigarello, Mignon et leurs affidés) sansfaire preuve d’une mauvaise foi éhontée. Au contraire, le milieu sportif est devenuun appel permanent à l’agressivité et à la brutalité envers l’adversaire d’abord, lespartenaires ensuite. Une étude du Bureau national de recherches économiques(National Bureau of Economic Research) a même récemment prouvé que le sport à latélévision encourageait plutôt la violence domestique : « Fondée sur les rapportsde police sur la violence domestique entre 1995 et 2006, l’étude montre que lors-qu’un match de la National Football League se termine par une défaite, la ville del’équipe perdante connaît une recrudescence subite de violence domestique 12 ».Ou quand, dans une grande confusion des émotions provoquée par la monoma-nie sportive, l’adversaire à abattre devient le « partenaire intime »…

Ainsi, depuis le dernier numéro de Quel Sport ? 13, le sport a continué de révélerson inhumanité foncière à qui veut bien regarder la Bête immonde en face, sansmauvaise foi et sans les lunettes roses de la pensée magique, désirante ou déli-rante. Aujourd’hui, telles sont indéniablement ses caractéristiques les plusévidentes, déjà mises en exergue par Jean-Marie Brohm et la revue Quel Corps ?dès les années 1970, amplifiées et aggravées par des faits qui se répètent sempi-ternellement en changeant simplement de lieux ou d’agents :

1- Le sport est un procès de capitalisation affairiste en croissanceconstante : dire que le sport est une branche particulièrement fructueuse dumarché capitaliste transnational est un doux euphémisme 14. « La crise écono-mique a eu peu d’effets sur les vingt clubs [de football] les plus riches du mondedont les revenus ont progressé, lors de la saison 2008-2009, pour s’élever à 3,9milliards d’euros 15 ». On ne compte plus les patrons de clubs, magnats du pétrole,du bâtiment, des chaînes de télévision, de l’industrie militaire ou de l’industrie

11- La Dépêche.fr, 10 mars 2010.12- Voir le site du magazine Slate : http://www.slate.fr, 20 décembre 2009.13- Quel Sport ?, n° 10/11, « Le sport, une anthropométrie totalitaire », décembre 2009.14- Voir l’article très instructif à ce sujet de Andrew JENNINGS, « Le CIO, la FIFA, le capita-

lisme et leur monde de gangsters », Illusio, n° 6/7, « Mafia et comportements mafieux », Paris,Éditions du Croquant, 2010, pp. 305-325.

15- Le Monde, 5 mars 2010.

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 8

Page 5: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

9

culturelle, qui sont aujourd’huimultimillionnaires 16. La plupart desgrands clubs sont côtés en bourse etenrichissent des actionnaires pourqui « la glorieuse incertitude dusport » ne vaut pas de bonnes opéra-tions spéculatives (d’où les arrange-ments, les matchs truqués, etc.). Lescomptes en banque des plus grandsorganisateurs des foires du muscle,la FIFA et le CIO, dépassent large-ment les budgets de bon nombred’États en comptant sur des tauxd’audience cumulée de plus de 40milliards de téléspectateurs ! Lasanté financière des multinationalespartenaires des grands événements sportifs, qui vendent les produits dérivés et lesobjets fétiches pour des troupeaux de supporters gagas, est incontestable. Lessalaires des « marchandises vivantes » du sport donnent tellement le vertige quel’on se demande toujours s’il n’y a pas quelques zéros en trop (Thierry Henry, quin’est pas le mieux payé des joueurs de football du monde, perçoit 50 000 eurospar jour 17…). Le marché sportif est une jungle où les grands prédateurs échap-pent à la disette et à l’endettement chronique en créant des alliances plus oumoins licites, plus ou moins maffieuses, qui aboutissent toujours au même résul-tat : plumer la volaille, faire payer les contribuables pour les rénovations de stadeou pour les subventions alloués aux clubs en perdition, faire payer toujours pluscher les consommateurs de « passion sportive » !

2- Le sport est un procès de stabilisation/renforcement des régimesautoritaires/totalitaires/dictatoriaux : chaque fois que de grandes compéti-tions sportives se déroulent dans des pays qui bafouent ouvertement les Droitsde l’Homme et qui maintiennent leur population dans un climat de terreur

16- En France, il faut noter que Lyon est le champion du foot-business : il possède le joueur lemieux payé de la Ligue 1 (Lisandro Lopez perçoit 425 000 euros par mois ; il a été acheté 24 millionsd’euros…) et fonctionne avec un budget de 192 millions d’euros dont 68 millions générés par lesdroits TV et 22,4 millions par la billetterie. Il est malgré tout loin derrière le Real Madrid,Manchester United, Barcelone ou Chelsea. (Le Figaro.fr, 30 mars 2010).

17- Pour informer les salariés qui dépensent leurs maigres revenus dans les stades après 39heures de travail par semaine : Lionel Messi (FC Barcelone) touche 12,5 millions d’euros par an,Samuel Eto’o (Inter Milan) 10 millions, Cristiano Ronaldo (Real Madrid) 9,5 millions, Kaka (RealMadrid) 9 millions, Ronaldinho (Milan AC) 8,2 millions, Franck Lampard (Chelsea) 7,8 millions,Zlatan Ibrahimovic (FC Barcelone) 7,7 millions, Thierry Henry (FC Barcelone) 7,5 millions, JohnTerry (Chelsea) 7,4 millions et Wayne Rooney (Manchester United) 7 millions. Les entraîneurs nesont pas en reste : José Mourihno (Inter Milan) palpe 11,3 millions d’euros par an, Alex Fergusson(Manchester United) 7,6 millions et Carlo Ancelotti (Chelsea) 6 millions. Et dire que l’Europe esten période de grave crise économique… (France-Soir, 16 février 2010).

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 9

Page 6: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

10

permanente ou de persécution sangui-naire, ceux-ci reçoivent de la communautéinternationale un « visa d’honorabilité etde respectabilité ». Ce fut le cas pourl’Italie mussolinienne (Coupe du mondede football de 1934), pour l’Allemagnehitlérienne (Jeux olympiques de Berlin1936), pour l’Argentine de Videla (Coupedu monde de football 1978), pour l’URSSde Brejnev (Jeux olympiques de Moscou1980), pour la Chine de Hu Jintao (Jeuxolympiques de Pékin 2008 18) et ce serabientôt le cas pour la Russie de Poutine-Medvedev (Jeux olympiques de Sotchi2014 19). Notons que depuis les Jeux olym-piques de Pékin, qui auraient dû selon les

belles âmes politiques et intellectuelles « ouvrir la Chine à la démocratie », lessanctions à l’égard des dissidents se sont considérablement durcies. Pourexemple : « Le célèbre intellectuel dissident chinois Liu Xiaobo a été condamné,vendredi 25 décembre, à onze ans de prison, plus d’un an après avoir appelé à ladémocratisation de la Chine 20 ». Loin de rendre plus « tolérant » le gouvernementmassacreur de Hu Jintao, les JO ont avant tout prouvé au dictateur que les démo-craties du monde entier savaient fermer les yeux sur ses horreurs pour mieuxregarder courir les athlètes supersoniques. Ainsi, c’est tout naturellement que « laChine sera restée sourde aux appels à la clémence lui demandant d’épargner la viedu premier condamné à mort européen depuis cinquante-huit ans en Républiquepopulaire. Mardi 29 décembre, l’agence officielle Chine nouvelle a en effetconfirmé l’exécution par injection d’Akmal Shaikh, un ressortissant britanniquede 53 ans accusé de trafic 21 ».

3- Le sport est un secteur du « crime organisé », gangrené par lacorruption, le gangstérisme larvé, les combinazione et les affaireslouches : il serait bien trop long de développer ce sujet ici tant les tribunaux crou-lent littéralement sous le poids de dossiers impliquant le milieu sportif 22. Née dansl’ambiance vénale des paris organisés autour des courses de chevaux ou d’athlètespar les aristocrates et la bourgeoisie du XIXe siècle, l’institution sportive est struc-turellement pestiférée par les trafics en tous genres : trafics entre fédérations,

18- Voir Fabien OLLIER et Marc PERELMAN, Le Livre noir des J. O. de Pékin. Pourquoi il faut boycot-ter les Jeux de la honte, Saint-Victor d’Épine, City éditions, 2008.

19- Un appel de Quel Sport ? à préparer le boycott des JO de Sotchi 2014 a été publié dans QuelSport ?, n° 8/9, « Monstruosités sportives », octobre 2008, pp. 11-16.

20- Le Monde, 25 décembre 2009.21- Le Monde, 29 décembre 2009.22- Pour un aperçu des affaires récentes, voir Patrick VASSORT, « Le sport : un crime institu-

tionnalisé », Illusio, n° 6/7, op. cit., pp. 327-375.

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 10

Page 7: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

11

clubs, joueurs et « bookmakers » pour truquer les matchs 23 ; trafics d’influenceentre milieux politiques, économiques et sportifs pour l’organisation des grandescompétitions sportives 24 ; trafics de joueurs, d’entraîneurs et de méthodes d’en-traînement 25 ; trafics de produits stupéfiants et petits arrangements avec lesagences de lutte anti-dopage 26 ; trafics de prostitué(e)s dans le cadre de matchstruqués ou de caprices d’athlètes 27 ; trafics d’identité (âge, sexe, nationalité) 28 ;trafics périphériques de certains sportifs ou ex-sportifs dans divers secteursouverts au banditisme chronique (milieu immobilier, milieu politicien, monde dela nuit, casinos, etc. 29). Avec l’ouverture des paris sportifs en ligne votée en hâtepar le gouvernement français juste avant la Coupe du monde de football enAfrique du Sud 30, le sport va accéder au Nirvana du blanchiment de l’argent sale !

23- Voir par exemple L’Humanité, 2 décembre 2009 qui révèle qu’un réseau de trafics de parisillégaux aurait arrangé 200 matchs de football outre-Rhin en Turquie, Bosnie, Belgique, Croatie,Hongrie, Slovénie et Autriche, dont sept rencontres de Coupe d’Europe (voir aussi Le Monde, 27novembre 2009). Le montant de la combine est estimé à une dizaine de millions d’euros.

24- Voir Andrew JENNINGS, Main basse sur les Jeux olympiques, Paris, Flammarion, 1992 et La Facecachée des Jeux olympiques, Paris, L’Archipel, 2000.

25- Par exemple, voir Le Monde, 22 décembre 2009, qui consacre un reportage aux trafics demineurs par les écoles de football. Jérôme Champagne, directeur des relations internationales de laFIFA, y explique avec cynisme que le phénomène est planétaire : « Il est indéniable que la globali-sation et l’essor du foot-business ont accéléré le rythme de ces pratiques illégales ». Par ailleurs, onne compte plus les entraîneurs ou sélectionneurs qui, tels des mercenaires, passent de pays en pays,notamment en Afrique, afin de se remplir les poches le plus possible et faire oeuvre de néocolonia-lisme footballistique (éduquer les africains aux joies du foot-business). L’exemple d’Henri Michel,ex-entraîneur de l’équipe de France de 1982 à 1988, est éloquent : il entraîne le Cameroun en 1994,Al Nasr Ryad en 1995, le Maroc de 1995 à 2000, les Émirats Arabes Unis de 2000 à 2001, l’Aris FCen 2001, la Tunisie de 2001 à 2002, Raja de Casablanca de 2003 à 2004, la Côte d’Ivoire de 2004 à2006, Al Arabi Doha en 2006, Zamalek en 2007, le Maroc à nouveau de 2007 à 2008, MamelodiSundowns de 2008 à 2009, et Zamalek en 2009...

26- Voir le dossier que Quel Sport ? a consacré au dopage dans son numéro précédent : « Sportdes dopés, dopés des sports », Quel Sport ?, n° 10/11, op. cit., pp. 30-129.

27- Rappelons-nous la vaste affaire du sifflet doré au Portugal : « En avril 2004, un arbitrerepenti dénonce des pratiques peu propres dans le milieu du football, l’incrédulité saisit le Portugal.Des arbitres auraient bénéficié de cadeaux payés par des clubs, des filles mais aussi des bijoux enor » (Libération, 17 avril 2004). Sur les pratiques sexuelles misérables dans le milieu sportif, voirFabien OLLIER, « Sport, libido des stades et sexe mortifère », in Roger DADOUN [dir.], Sexyvilisation.Figures sexuelles du temps présent, Paris, Punctum, 2007, pp. 35-56.

28- Après les hommes transformés en femmes et les naturalisations abusives, voici désormais l’usurpa-tion d’identité dans la panoplie du tricheur : « Cemal Nalga, jeune pivot international de 22 ans et 2,11 m, quiévolue dans l’équipe [de basket] de Galatasaray, a disputé plusieurs matches de début de saison en se faisantpasser pour l’un de ses coéquipers afin d’échapper à une suspension » (Le Monde, 27 novembre 2009).

29- Par exemple, on se souvient bien évidemment du sens des affaires de Bernard Laporte :propriétaire de casinos et de brasseries, investisseur dans au moins 9 sociétés, actionnaire dans troiscampings et deux bodegas, gérant d’une société immobilière, l’ex-secrétaire d’État à la Jeunesse etaux sports avait de quoi se reconvertir dans les intrigues policières ! (Voir Libération, 21 juin 2007 ;Le Monde, 20 juillet 2007 et Quel Sport ?, n° 2/3, « Rugby : la Coupe du monde des brutes et desabrutis », janvier 2008, pp. 20-75).

30- Le texte de loi a été adopté par le Sénat le 24 février 2010, par 299 voix contre 223. Lesopérateurs intéressés par les jeux en ligne sont de grands philanthropes « amis du Fouquet’s » :Arnaud Lagardère, Martin Bouygues, Patrick Le Lay, Vincent Bolloré, François Pinault, DominiqueDesseigne, Alexandre Balkany, Stéphane Courbit, tous soutiens indéfectibles de Nicolas Sarkozy.En 2008, le secteur des paris était déjà florissant : les Français y avaient misé 36 milliards d’euros…

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 11

Page 8: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

12

Gageons que dans moins de dix ans plus une seule compétition sportive concer-née par les paris en ligne ne se distinguera des matchs de catch. Y croiront ceuxqui s’agenouilleront…

4- Le sport est un procès de réification et de mortification des corpsvectorisés par la performance à tout prix. La sportivisation du corps vivantpeut se résumer en une seule formule marxienne : il s’agit en fait d’une vampirisa-tion de la force humaine pour créer une valeur marchande spécifique, commerciali-sable par tous et partout : le record ou la performance sous la forme d’unevictoire face au temps, à l’espace, à d’autres individus et toujours face à soi-même.La force vive, généralement dopée de multiples manières pour valoriser la perfor-mance coûte que coûte, par-delà les limites, subit diverses opérations de mortifi-cation, d’abstraction, de réification. Managée, coachée, entraînée, mesurée,boostée, carénée, vitaminée, génétiquement modifiée, cette force devient uneréalité aliénée, séparée de la totalité concrète que forme l’individu vivant.Devenue paramètre, mécanique complexe qui produit des records à battre dansle cadre d’une compétition réglementée universellement, la force vive du corpsdevient le cadavre du temps, le fantôme de l’espace, le mort-vivant plongé dansun jeu de massacre contre tous les autres zombies. Corps disproportionné, corpstuméfié, corps saccagé, corps de douleur permanente, corps-biomachine deguerre, corps évalué en permanence, corps castré spirituellement, corps imper-sonnel, finalement corps sans corps vécu par un sujet sexué, désirant et conscient,le corps sportif est au bout du compte une vie qui ne vit plus : c’est une abstrac-tion sur pattes, sans affect ni pathos, à peine une tranche de vie aussi vite oubliéequ’elle fut portée en triomphe sur les étals bouchers de la foire aux bestiaux. Cemodèle de séduction du champion sportif à moitié crétin, dont le corps-machinen’appartient qu’à des machines à influencer 31 (des entraîneurs, des médecins, descoachs, des appareils de musculation, des systèmes d’optimisation des ressources,des sacoches pharmaceutiques, des répertoires techniques, des programmes nutri-tionnels, etc.), ce modèle complètement liberticide qu’est le corps du record agiten profondeur, notamment sur la jeunesse qu’il contamine par toutes les imagesde réussite musculaire égoïste et de courses suicidaires à l’exploit 32.

31- Exemple parmi tant d’autres (tentes appauvries en oxygènes, travail en soufflerie, etc.) :l’arme secrète du XV de France est un « simulateur de mêlée », un « robot hexapode associé à descapteurs, un simulateur de vol converti en transformateur d’efforts ». Les ingénieurs de ce joug pourbœufs du stade comptent bien reproduire très exactement la mêlée adverse en fonction des joueursprécis qui la composent, « en intégrant au simulateur des données relatives à leur morphologie et àleur posture ». Ainsi réduit à une force de poussée, le corps sportif rentre dans des algorithmesmathématiques comme la feuille de l’arbre devient un triangle pour le géomètre. Au final, c’est lemouvement subjectif de la vie individuelle qui est considéré comme un parasite. Voir Le Monde, 20mars 2010.

32- Voir Fabien OLLIER, « Le corps sportif : une masse de corps pour un corps de masse »,Mortibus, n° 10/11, « Masses & moi », automne 2009, pp. 281-290.

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 12

Page 9: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

13

5- Le sport est un procès dedestructivité sociale et deviolences barbares : il ne sepasse en effet pas une semainesans que proviennent des stadesou de ses alentours l’annonced’une bagarre générale finissant enmassacre ou en lynchage 33, l’an-nonce de déprédations des espacespublics par des supporters 34, l’an-nonce d’actes de banditisme ou deterrorisme 35. Le texte de Jean-Marie Brohm sur la violencecompétitive 36 permet de dépasserles analyses de café du commercesur « les bons supporters et lesmauvais supporters », les « clubspacifiques et les clubs guerriers »,les « bonnes ambiances et lesclimats sordides ». Il faut en effetposer la question franchement : la société doit-elle se livrer à une surenchère sécu-ritaire et militaro-policière afin de permettre au milieu de la compétition sportivede produire des violences quotidiennes mieux « encadrées » ? Non ! Il faut aucontraire endiguer les phénomènes de compétition sportive de plus en plussaturés d’enjeux financiers et identitaires afin de construire une société plus libre :sans l’omniprésence de caméras de surveillance, sans flics à tous les coins de rue,

33- La guerre des tribunes a encore fait une victime lors du match PSG-OM le 28 février 2010.Yann L, 28 ans, est mort le 17 mars après avoir été tabassé par d’autres supporters de son équipe.Le hooliganisme des stades est en pleine augmentation en France. Outre le PSG, fournisseur offi-ciel de néo-nazis des tribunes, les clubs de Nice, Sochaux, Nancy, Lille, Saint-Étienne, Lyon,Grenoble, Marseille, Monaco ou Montpellier ont généré cette année de multiples affrontementsentre supporteurs, entre supporteurs et forces de l’ordre, entre supporteurs et joueurs.

34- Au Maghreb, les matchs de qualification pour la Coupe du monde 2010 ont créé de véri-tables états de siège pendant presque un mois en Algérie, en Égypte, au Maroc et en Tunisie.L’impact diplomatique de ces matchs fut tel que le Caire rappela son ambassadeur à Alger lors dela victoire de l’Algérie face à l’Égypte. Les incidents se sont exportés en France, notamment àMarseille et à Lyon. Bilan : actes de vengeance nationaliste, caillassage de bus, vitrines brisées, super-marchés pillés, affrontements avec la police et autres joyeusetés « amicales » (Voir Le Monde, 20 et21 novembre 2009 ; La Croix.com, 17 novembre 2009 ; Le Figaro.fr, 15 novembre 2009).

35- Lors de la Coupe d’Afrique des nations 2010, les bus de l’équipe du Togo étaient pris pourcible par des rebelles des Forces de libération de l’État de Cabinda avant même l’ouverture duchampionnat. Bilan : un mort (le chauffeur) et deux blessés (joueurs). Pour Bernard Kouchner, « lafraternité du football » était brisée… mais il fallait poursuivre le championnat coûte que coûte ! (LeParisien.fr, 9 janvier 2010).

36- Voir dans ce numéro Jean-Marie BROHM, « La violence de la compétition sportive », pp. 25-36.

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 13

Page 10: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

14

sans fouilles corporelles permanentes, sans abrutis beuglants et embiérés. Unepremière étape serait que les municipalités cessent de dilapider l’argent public ensubventionnant des clubs-voyous. C’est ce que nous demandons au Maire socia-liste de Paris dans un texte proposé aux grands quotidiens français, mais nonpublié, on devine évidemment pourquoi 37.

6- Le sport est un procès de dépolitisation massive des classes domi-nées qui profite bien entendu aux classes dirigeantes. Chaque été donnel’occasion d’une propagande sportive monumentale et totalitaire. Un véritable violdes foules dirait Serge Tchakhotine 38, aux effets socio-politiques fortement opiacés,anesthésiants, aliénants et régressifs. C’est le temps des foules compactes et desmeutes grégaires, des hordes de supporters, des multitudes unies dans la bêtisealcoolisée, l’esprit de corps et d’équipe, l’adulation sectaire des idoles de pacotille.C’est le temps de l’uniformité, du mimétisme, de la répétition monomaniaque, dudéchaînement des pulsions sous contrôle policier et prescription marchande. Lesgrands circus des demi-monstres survitaminés s’installent pendant plusieurs moiset colonisent tous les espaces, publics comme privés, dans un grand élan unani-miste et consensuel, laissant le champ libre aux projets politiques ravageurs et auxagencements économiques maffieux et prédateurs. Après tout, le cuisseau dodude Lance Armstrong, le bras d’acier de Rafaël Nadal ou les dribbles « magiques »de Lionel Messi valent bien la retraite à 67 ans, la casse du service public, l’Étatpolicier, le réchauffement climatique et en guise de réflexion un débat sur l’iden-tité nationale ! Quand les traditionnels méga-show-business du muscle et de l’en-grais pour plantes carnivores viennent exercer leur OPA sur les « temps decerveaux disponibles », va y’avoir du sport, abrutissement garanti ! L’exploitationcapitaliste avec ses processus de réification, d’oppression et d’aliénation a ainsi lavoie libre : l’opium du peuple passe en intraveineuse et tout le monde en rede-mande, surtout en temps de crise où il faut bien s’évader un peu 39 !

7- Le sport est un procès de massification hystérique, mimétique etchauvine des peuples transformés en populace manipulable : les stades sontà cet égard les lieux privilégiés de tels processus 40. Chaque match important ouchaque victoire d’une équipe nationale lors d’un grand championnat donne auxhordes de supporteurs bariolés l’occasion de manifester un patriotisme grotesque,de déferler dans les rues pour scander à l’unisson chansons débiles ou hymnesnationaux, mais aussi de dériver en troupeau de bar en bar, en pissant et en vomis-sant partout, en bousculant les passants, en cherchant des noises sous l’effet de

37- Voir dans ce numéro Jean-Marie BROHM et Fabien OLLIER, « La mairie de Paris doit cesserde subventionner le PSG », pp. 289-290.

38- Voir Serge Tchakhotine, Le Viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952.39- Voir Jean-Marie BROHM, La Tyrannie sportive. Théorie critique d’un opium du peuple, Paris,

Beauchesne, 2006.40- Voir Jean-Marie BROHM, Les Meutes sportives. Critique de la domination, Paris, L’Harmattan,

1993 ; Robert REDEKER, Le Sport contre les peuples, Paris, Berg international, 2002.

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 14

Page 11: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

15

l’alcool et de l’arrogance collective. Ceslégions de « bleus » ou de « verts », de« sang et or » ou de « tricolores » subissentdans les tribunes un drill idéologique puissant(effets d’ambiance, chants collectifs, olas,etc.) qui a toujours donné aux pouvoirs enplace l’opportunité de se faire applaudir etvénérer par l’intermédiaire de l’équipefanion. Par exemple, en Algérie : « Lesjournées précédant la rencontre [Algérie-Égypte, qualificatif pour la Coupe dumonde 2010], des centaines de milliers dejeunes ont paradé en voiture repeinte devert et de rouge, les couleurs de l’Algérie,la sono saturée de chants raï. Ils ont défilédans les ruelles. S’il n’y a plus de tissus, onpeint sur les murs. On s’est arraché de petits drapeaux vendus à la sauvette 150dinars, le prix de deux briques de lait. Les posters de joueurs de l’équipe nationalesont collés sur les murs dans chaque artère de la ville. […] Mais voilà, les Fennecsont perdu samedi 14 novembre, alors que certains rêvaient que ce jour soit “ferié-risé”. À 20h30, Alger est tombé dans le coma. Plus un bruit dans les rues, pas unklaxon, pas un chant. Pendant une heure, le silence. Dans les têtes : l’image du busde l’équipe algérienne caillassé à son arrivé au Caire. Trois joueurs ont été blessés,leurs visages ensanglantés ont fait les “unes” des journaux nationaux. Vers 22heures le défilé patriotique a repris de plus belle et ne s’est pas arrêté depuis.Désormais les supporteurs veulent se rendre au Soudan pour “venger” le paysméprisé par l’Egypte et la FIFA qui n’a pas su, selon eux, protéger les joueurs 41 ».En Égypte où la liesse était encore plus étourdissante en raison de la victoire, unecélèbre blogueuse militante de la démocratie, Shahinaz Abdel Salam, faisaitremarquer que « si les Égyptiens dépensaient autant d’énergie pour aller voter, lerégime Moubarak n’existerait plus depuis longtemps ! » 42.

41- Le Monde, 17 novembre 2009.42- Sur tous les continents, nombre de violences nationalistes démarrent sur les terrains de

football. En 1969, « l’armée du Salvador attaque le Honduras après un match d’appui entre les deuxpays, qualificatif pour la Coupe du monde. L’attaque est une riposte aux exactions de miliceshonduriennes qui s’en étaient pris à des expatriés salvadoriens. Auparavant, deux supporters hondu-riens étaient morts, la frontière entre les deux États avait été fermée et leurs relations diplomatiquesinterrompues. La guerre durera quatre jours. […] En 1990, des émeutes éclatent à Zagreb lors d’unmatch de championnat yougoslave entre supporters croates du Dynamo Zagreb et serbes de l’étoilerouge de Belgrade, des affrontements qui préfigurent la guerre en Yougoslavie. […] En 2004, lafinale de la Coupe d’Asie des nations oppose la Chine au Japon. Des supporteurs chinois portentl’uniforme des soldats japonais des années 1930, en référence à la guerre sino-japonaise. Le Japonl’emporte et les autorités chinoises sont obligées de protéger l’ambassade japonaise à Pékin » (LaCroix.com, 17 novembre 2009).

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 15

Page 12: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

16

8- Le sport est un procès d’abru-tissement, de chloroformisation et decrétinisation de la pensée qui a captéet captivé un nombre incalculabled’intellectuels. Sur ce sujet, nous avonsdéjà montré à de multiples reprisescombien les intellectuels fascinés par lesport étaient les principaux responsablesd’une défaite majeure de la pensée 43. Sil’équipe de France de football dépasse lepremier tour de la Coupe du monde2010, inutile de dire que nous aurons ànouveau l’occasion de vérifier que laferveur sportive anesthésie complète-ment les consciences de nos plumitifsnationaux rendus célèbres par les émis-sions de télévision populaires pour anal-phabètes… Dans ce numéro, une note

de lecture de Jérôme Segal consacrée au dernier livre de Pascal Boniface, Pourquoitant de haines ? 44, donne déjà un avant goût de l’idéologie du néant véhiculée parles chiens de garde du sport 45.

Dans un tel contexte, ce nouveau numéro de Quel Sport ? s’articule autour detrois grands thèmes : la critique de la Coupe du monde de football, l’auto-réflexion sur la critique du sport et ses contrefaçons, l’analyse des avancéesdestructrices du dopage (des dopeurs et des dopés). Il est finalement le fruit deplusieurs constats :

1- La Coupe du monde de football qui se déroulera du 11 juin au 11 juillet2010 en Afrique du Sud n’a fait l’objet d’aucune campagne de protestation poli-tique, ni en France, ni ailleurs. Comme l’article de Fabien Ollier et ChristopheDargère le montre plus loin 46, elle offre pourtant aux mouvements prétendumentcontestataires de gauche et d’extrême gauche (gauche de la gauche, gauche radi-cale, front de gauche, anarcho-libertaires, sectes trotskystes-léninistes-maoïstes,

43- Voir Quel Sport ?, n° 1, septembre 2007, « Les chiens de garde du sport », pp. 30-51 ; QuelSport ?, n° 2/3, op. cit., « Imams et ayatollahs du sport », pp. 76-115 ; Quel Sport ?, n° 4/5, mai 2008,« Les intellectuels et le sport », pp. 168-179 ; Quel Sport ?, n° 6/7, juillet 2008, « Les intellectuels etle sport », pp. 144-196 ; Jean-Marie BROHM, « Philosophie critique du sport », Quel Sport ?, n° 8/9,octobre 2008, pp. 17-39 ; Quel Sport ?, n° 10/11, op. cit., « Short-intellos : les dealers de l’opiumsportif », pp. 162-217.

44- Voir Pascal BONIFACE, Pourquoi tant de haines ?, Paris, Éditions du Moment, 2010.45- Voir dans ce numéro Jérôme SEGAL, « Boniface : un géopolitologue derrière la baballe »,

pp. 293-298.46- Voir dans ce numéro Fabien OLLIER et Christophe DARGÈRE, « Afrique du Sud 2010 : la

Coupe immonde des townships », pp. 277-288.

Les joies très singulières du marathon de Paris...

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 16

Page 13: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

17

etc.) bien des motifs de lutte contre l’affairisme capitaliste, le néo-colonialisme/esclavagisme, les désastres écologiques, la restriction des libertéssociales et individuelles, les violences barbares, la compétition obsessionnelle et lesdiverses idéologies fascisantes qui collent au sport comme la puanteur au putois.Mais aucun parti politique, aucun syndicat, aucun groupe associatif n’a voulu selancer dans la bataille contre le « monument populaire » qu’est devenu, à force depropagande massive, le cirque sado-maso du cuir et du cuisseau de la FIFA multi-milliardaire.

Quel Sport ?, en tant que revue théorico-politique mais aussi en tant que groupemilitant, n’a pas trouvé les ressources nécessaires pour mener cette lutte commeil l’avait fait, seul, au moment des Jeux olympiques de Pékin. Et pour cause ! Ayanteu à subir les désertions patentées 47, les trahisons à pas de loups 48, les siestesdépressives prolongées ou les indifférences coupables 49 de certains de ses ex-membres, Quel Sport ? s’est pourtant efforcé de tenir le cap du combat idéologiqueen offrant aux lecteurs un dossier critique complet sur les Coupes du monde defootball de 1930 à nos jours. La transmission aux générations futures des acquisde la critique radicale du sport n’est pas une tâche mineure pour qui se refuse àl’auto-proclamation et à l’auto-engendrement, pour qui surtout inscrit le combatdans la durée sans l’arrêter aux bornes de son ego en mal de reconnaissancemondaine. Transmettre et assurer la continuité de la Théorie critique du sport entemps de dispersion et de fractionnement en micro-sectes de poseurs universi-taires, de jeunes débris anarchistes ou de néo-branchés de l’internet est mêmedevenu aujourd’hui une activité essentielle, contrairement à ce que pensent bonnombre de néo-révisionnistes qui se croient très malins en réinventant, selon la

47- Marc Perelman a lâchement démissionné de Quel Sport ? juste après les J. O. de Pékin 2008,au nom d’un prétexte dérisoire. Il contestait la formulation d’un fait historique irrécusable : l’idéede boycott des Jeux de Pékin et l’idée d’instituer une revue – Quel Sport ? – dans le prolongement deQuel Corps ? n’avaient pas été énoncées par lui, mais par Fabien Ollier et Jean-Marie Brohm lorsd’une réunion en septembre 2006 au bar Le Sorbon en face de la Sorbonne. N’étant pas l’initiateurde la revue et du boycott, Perelman a donc préféré la phraséologie maximaliste à l’action militanterégulière et s’est prestement défilé, comme il s’était déjà défilé auparavant – signe annonciateur ? –au moment de l’ouverture des Jeux de Pékin. Cet « art de la disparition » est, semble-t-il, un habitusbien ancré chez lui puisqu’il disparaît tout de suite après le boycott des Jeux de Moscou 1980 ducomité de rédaction de Quel Corps ? à partir du n° 17/18, février 1981, jusqu’à l’autodissolution dela revue en 1997, laissant bien évidemment la revue Quel Corps ? affronter seule la meute des amisdu sport pendant toute la période de la « gauche » au pouvoir. Seize ans d’absence du front critique,cela se remarque tout de même ! Mais peut-être conçoit-il la critique du sport comme un spectacleintermittent ?

48- Lors d’un colloque pitoyable organisé à Lyon au sujet de la « pensée critique » du 18 au 20mars 2010 par le sociologue Dietrich Hoss et une clique d’étudiants anarcho-autonomes, l’anthro-pologue François Laplantine et Dietrich Hoss, tous deux membres du comité scientifique de QuelSport ?, n’ont pas manqué de nous surprendre en dénigrant publiquement le travail théorique et mili-tant de Quel Sport ?

49- Thierry Riffis, qui avait illustré quelques pages de Quel Sport ? dès le premier numéro, apréféré lui aussi prendre le large pour se consacrer pleinement à son nombril d’artiste solitaire.

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 17

Page 14: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

18

logique des jours ordinaires, l’extraordinaire scalpel à couper le sport 50. Commele montre ci-après le dossier consacré à l’histoire politique de toutes les Coupesdu monde, le cadre théorique de la critique du sport, plus particulièrement de lacritique du football comme totem nécrophile de l’institution sportive, était déjàposé durant les années de boycott du Mundial 1978. C’est dans le mouvement delutte, dans sa temporalité politique et ses exigences éthiques de résistance, que laconceptualisation de l’horreur footballistique a pris forme et vie. Aucune sépara-tion bureaucratique entre théorie et praxis militante n’y est décelable, ce quidonne incontestablement un souffle d’authenticité aux nombreux textes écritsnon pour être simplement « publiés » et flagorner leur auteur, mais pour anéantirl’objet critiqué en passant, entre autres moyens, par la publication. Nuance…

2- Depuis – cela fait déjà plus de trente ans – le cadre théorique a été maintesfois récupéré, vampirisé et vidé de son sens politique interventionnel et situationnel parnombre d’imitateurs, de suiveurs ou de suceurs de roue trop pressés de s’en servircomme marche pied universitaire ou comme hochet sonore dans leur jeu de rôlepseudo-révolutionnaire qui conduit généralement à la niche de l’embourgeoise-ment. Tous les imposteurs sont ceux qui sont actuellement incapables – parparesse, mauvaise volonté, ambition personnelle, capitulation préméditée, etc. –de réinvestir les acquis de la théorie critique dans l’effectivité du faire permanent(mouvements de boycott, comités de lutte, débats publics dans tous les milieux,publications militantes déterminées dans leurs buts comme dans leurs moyens) etqui étalent, dans des productions d’une rare prétention « scientifique », les atoursde la critique pour mieux se faire remarquer des cénacles « oppositionnels »comme le paon bleu déploie ses plumes en éventail dans la parade nuptiale. Passéela période de reproduction, le paon bleu retourne sagement au dortoir. Mais,comme le soulignait Trotsky qui partageait avec Lénine un sentiment puissant« de l’hérédité dans la tâche entreprise » et de la « tradition historique » : « D’autresviendront et, profitant de ce que nous avons indiqué et commencé, feront unnouveau pas en avant 51 ».

3- Lors des nombreux débats auxquels nous avons participé (toujours trèshouleux), nous avons souvent été interpellés au sujet des liens qui unissaient QuelSport ? à la revue Illusio ou encore à Marc Perelman et Michel Caillat. La frag-mentation de la critique du sport due à l’autodissolution de Quel Corps ? en 1997 52

50- Voir les revues Illusio – service délocalisé de sous-traitance de la critique dirigé par PatrickVassort –, Quasimodo – clique postmoderne de bureaucrates mutants conduite toutes voiles dehorsà donner des vapeurs par les beach-volleyeurs essoufflés Frédéric Baillette et Philippe Lyotard – etOffensive libertaire – qui sort épisodiquement quelques dossiers contre le sport en feignant de décou-vrir que la lune n’est pas faite de fromage de Roquefort –, sans oublier le cyber-centre d’analyse etde critique du sport (le CACS) qui s’écroule de lui-même sur les frêles épaules du virtuel MichelCaillat ainsi que quelques blogs d’anarcho-décérébrés – zinedine z ; grouchos – qui se spécialisent dansle sous-journalisme de propagande pour microcéphales.

51- Léon TROTSKY, Ma Vie, Paris, Gallimard, « Folio », 1978, p. 406.52- Voir QUEL CORPS ?, Auto-dissolution, 1997.

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 18

Page 15: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

19

ne passe pas inaperçue et suscite une forme tantôt sincère tantôt perverse d’in-compréhension. Pourquoi ne pas fusionner les rares forces présentes puisqu’ellespensent la même chose ? Vus d’un fauteuil confortable, il faut bien l’avouer, lespages des ouvrages consacrés à la critique du sport semblent en effet produire lemême bruit de fond et partager un même « regard » sur l’institution sportive. Aupoint que le candide lecteur en mal d’unification des « poches de résistance »(« tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ! ») finit par suspecter que les « grou-puscules » sont lamentablement incapables de s’entendre parce qu’ils ont « salecaractère » (au mieux) ou parce qu’ils se complaisent dans une posture ultra-mino-ritaire confinant au sectarisme (au pire). En la matière, les « bonnes volontés »politiques qui rêvent de l’harmonie spontanée des contradictions réelles sont debien mauvais dialecticiens ! Car, que ces ouvrages soient soudainement vus de larue et des combats menés « dans la mêlée », et déjà, la perspective change. Eneffet, lors de la manifestation contre les Jeux olympiques du totalitarisme chinoisqui s’est déroulée le 8 août 2008 devant l’ambassade de Chine en France et qui futle point d’orgue d’une série de manifestations particulièrement tendues, quels« critiques du sport » de toute cette « belle famille » éclatée étaient présents pourdiffuser tracts et revues, pour défendre un Tibétain dressant au péril de sa vie ledrapeau noir des menottes olympiques 53 au sommet d’un immeuble, face à l’am-bassade chinoise, ou pour scander aux nervis du pouvoir criminel de Hu Jintao« Jeux de Pékin, Jeux de la honte » ? Ni les illusionnistes d’Illusio (pourtant fortnombreux à astiquer les bancs de l’université de Caen), ni les poor lonesome thinkers

53- Drapeau de Reporters sans frontières représentant les anneaux olympiques avec desmenottes.

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:10 Page 19

Page 16: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

20

Caillat et Perelman 54 ! Contre quels tigres de papier se battaient ces guérilleros duvide ? Mystère…

Or, cet événement révélateur et analyseur rappelle on ne peut mieux que lacritique radicale du sport n’est pas une activité de ronds de cuir ou de tapoteursde clavier, encore moins le simple commentaire a posteriori des « mafias spor-tives 55 », des « stades barbares 56 » ou des « idées reçues 57 » au sujet du sport.Contempler les batailles concrètes menées par d’autres et n’en engager aucunepour privilégier la course aux publications des egos n’offre aux écrits aucune légiti-mité critique. L’affaire est plus grave qu’elle n’en a l’air aux yeux des étourdis : il y amanifestement un gouffre entre la lutte permanente, organisée, ciblée et projetéesur le long terme contre tous les fronts de la totalité sportive que Quel Corps ? aengagé en 1975 et que Quel Sport ? continue depuis son premier numéro enseptembre 2007, et le spectacle intermittent de la critique critique qui couvre de son

54- Marc Perelman préféra porter selon ses dires « la bonne parole sur l’architecture au“Banquet” des Éditions Verdier » du 4 au 7 août 2008, dans le sud de la France tandis que QuelSport ? publiait des articles dans les quotidiens nationaux et préparait la manifestation du 8 aoûtdevant l’ambassade chinoise. En politique, il faut faire des choix. Celui de Perelman était de privi-légier son confort estival et ses intérêts d’édition. Il est sans doute plus agréable de disserter sur lesstades que d’affronter les CRS et les nervis chinois. Perelman avait appelé au boycott des Jeux, maisil a préféré s’absenter au moment crucial. On appelle cela une défection ou une désertion.

55- Voir le dernier numéro d’Illusio, « Mafia et comportements mafieux », op. cit., où l’on s’aper-çoit de deux choses : 1- Dans la forme, Illusio, comme la grenouille qui veut se faire plus grosse quele bœuf, veut ressembler à deux revues à la fois : la revue Prétentaine et feu la revue Quel Corps ?,toutes deux dirigées par Jean-Marie Brohm ; au final, elle les singe tellement en y ajoutant une bonnelouche de prétention à la singularité qu’on se demande bien si les 8 membres du comité de rédac-tion savent encore penser par eux-mêmes. 2- Dans le fond, Illusio consacre de moins en moins depages à la critique du sport afin de courtiser tous les milieux intellectuels possibles et faire ainsipartie – enfin ! – de « l’honorable société universitaire ». Rappelons donc à son directeur PatrickVassort qu’il n’est que Maître de conférences en sociologie chez les sportifs, à l’UFRSTAPS de Caen,et que ce n’est pas en étalant ses médailles universitaires comme un champion départemental (oui,Môssieur possède une Habilitation à diriger les recherches…) qu’il luttera contre le sport, ce « crimeinstitutionnalisé » à ses dires. Nous lui conseillons de commencer par une tâche plus modeste et plusà sa portée que celle du grand justicier pourfendant les mafieux : agir concrètement dans son insti-tution de rattachement et faire cesser de japper les chiens de garde du sport avec qui il aime tantfaire des promenades amicales. Ce serait un bon début ! (Est-ce un hasard si, dans Illusio, n° 3,« Idéologies contemporaines », automne 2006, Patrick Vassort consacre un mini-dossier à l’idéolo-gie sportive et les « STAPS’n co » où il prend soin de ne rien écrire à ce sujet ? Est-ce un hasard sila « critique de l’institution sportive » devient au fil des numéros un appendice de plus en plusminuscule : 250 pages sur 250 pour le premier numéro, soit 100 % du volume, 164 pages sur 452pour le dernier, soit 36 % du volume ? Manifestement, le Maître de conférences est un critiqueprudent, courageux mais pas téméraire).

56- Pendant que ses ex-amis militent concrètement contre la « barbarie sportive » qu’il dénonceà tout va, Marc Perelman publie la soi-disant « première étude systématique » consacrée au stadecomme « fait social total » (quelle invention !). Ce livre d’une rare prétention hautaine illustre trèsexactement ce que la critique radicale du sport n’a jamais été et ne sera jamais. Voir Marc PERELMAN,L’ère des stades. Genèse et structure d’un espace historique, Paris, Infolio, 2010. À quand Mon premier stade etmoi le premier ou l’unique ?

57- Voir Michel CAILLAT, Le Sport, Paris, Éditions du cavalier bleu, « collection idées reçues »,2002. Le niveau de ce livre qui creuse des sillons déjà largement labourés, se situe entre une trèsbonne rédaction de sixième et une mauvaise de terminale. Heureusement qu’il n’y a que 126 pages !

QS12 005-024.qxd 30/04/2010 14:16 Page 20

Page 17: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

21

long lamento d’impuissance et deson style boursouflé les multiplesdésengagements des partisans dumoindre effort. C’est pour cetteraison que Jean-Marie Brohm metles points sur les i en expliquant auxpseudo critiques et à ceux qui nel’ont jamais été ce qui distingue unepraxis-processus d’une simple pose auto-satisfaite 58. Vladimir Jankélévitch, enintellectuel résistant de la premièreheure, avait déjà mis le doigt sur l’es-sentiel d’un qui pro quo qui a la viedure : « L’homme de lettres, préoc-cupé surtout de sculpter sa proprestatue, se compose des attitudes oùle souci du style et de l’éléganceesthétique joue un plus grand rôleque la conviction sérieuse etpassionnée : c’est ce qu’on appelle de nos jours, “prendre position” ; positions, ilfaut bien le dire, où la part de la posture et même de la pose l’emporte sur la posi-tion elle-même. Car poser et prendre position font deux 59 ! ». Tout est dit ! Tantque les épigones qui prétendent être dans la mouvance critique, voire « refonder »la critique ou la « prolonger », se contenteront de parasiter, piller ou singer QuelSport ? sans comprendre que la critique radicale du sport est active dans l’histoireréelle en tant que force organisée, ils écriront inconsciemment les lettres mortes de leurarrivisme institutionnel ou de leur servitude volontaire. Est-il déjà trop tard pourne pas les considérer comme de nouveaux fossoyeurs prenant part à la grande furiebourgeoise de la disparition ? De fait, les uns, tels le magiciens Oudini, ont l’art dedisparaître, les autres, souvent les mêmes, ont l’art de faire disparaître dans la bonnetradition de la censure soviétique. Il est symptomatique à cet égard de constater quel’équipe d’Illusio, qui entend dénoncer les mafias, se comporte en véritable soft-mafia révisionniste. Oubliant les principes déontologiques de l’éthos universitaire,Vassort, HDR de son état et supposé former des étudiants, mais aussi son ombreportée Oblin, organisent sciemment l’omerta sur la seule revue entièrement consa-crée à la critique militante du sport. Ce faisant, ils renforcent objectivement le camp deschiens de garde du sport qu’ils n’affrontent jamais qu’à fleuret moucheté, esquivantsoigneusement la forteresse STAPS dont ils proviennent et cherchant ainsi à sedonner un air de critiques académiques, on dira d’honorables publiants. Or, pour

58- Voir dans ce numéro, Jean-Marie BROHM, « La critique radicale du sport. Expliquée auxpseudocritiques ou à ceux qui n’ont jamais été critiques », pp. 39-50.

59- Vladimir JANKÉLÉVITCH, « Le diurne et le nocturne chez Jean Cassou », in Premières etdernières pages, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 238.

QS12 005-024.qxd 05/05/2010 10:40 Page 21

Page 18: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

22

nous, les STAPS constituent le paran-gon mafieux du système universitaireet « l’appareil stratégique capitaliste(ASC) » (dixit Vassort) de la légitima-tion idéologique du sport. Il est vraiqu’il est plus facile de s’indigner,comme dans un fauteuil de cinéma,contre les turpitudes de la mafiamondiale que de contester institu-tionnellement les petits arrange-ments mafieux ordinaires desSTAPS and co. On ne peut pas scier,n’est-ce pas, la branche sur laquelleon a délicatement posé son nid.D’ailleurs les coucous aiment lesrefuges douillets...

4- Enfin, les ravages causés par ledopage, pur produit de la compéti-tion sportive généralisée et desénormes enjeux financiers, poli-tiques, sociaux, technoscientifiqueset pharmaceutiques qui se greffentsur la performance des bœufs dustade, nous imposent égalementd’aller au plus profond de la « chosemême » : découvrir son langage tota-litaire, révéler les affaires obscures

qui touchent les « stars » et les « héros » du sport, mettre à jour son économiesouterraine et ses ressorts scientistes, dévoiler les multiples stratagèmes rhéto-riques de l’hypocrisie, de la mauvaise foi et du mensonge institutionnalisé dans le« milieu » sportif où règnent les pharmacies de la « performance extraordinaire ».On nous répliquera sûrement que les fanas des cornues pédalantes et autresstéroïdes sur pattes ne sont pas abrutis au point de croire que le dopage ne touchepas leurs idoles. « Tout le monde le sait, mon bon monsieur… mais mourir enaccomplissant de grandes choses mérite bien quelques considérations passion-nées ! ». On nous dira donc que l’essentiel est ailleurs : non dans la triche ou lestriturations de l’organisme dignes des Dr Frankenstein ou Mengele, mais dans lechoc des titans, la compétition des gladiateurs, l’affrontement des énormités, le combatdes démesures, et autres cynismes paramilitaires de ce genre. Sauf que la fabriquedu champion est aussi celle d’un « nouvel homme » dont le caractère myophile,plastique et cuirassé, sert de modèle d’aliénation sociale et de soubassement organique auxrégimes de fer. Là devrait s’arrêter le primat des passions tristes individuelles (vibra-tions, transes, explosions de joie, satisfactions névrotiques, etc.) sur les considéra-

QS12 005-024.qxd 30/04/2010 14:16 Page 22

Page 19: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

23

tions d’ordre psycho-socio-politiques (prise de conscience libératrice, volontépolitique d’émancipation). Car si les molosses de la baballe ou les mammouths del’âge de l’ace veulent sacrifier leur vie monotone d’entraînement sur l’autel durecord et de la nanoseconde, la vie des hommes concrets qui veulent s’extirperdes dominations et aliénations quotidiennes se défend d’une telle folie. Passeroutre ce type de considération, c’est bel et bien le propre des totalitarismes detous ordres ; c’est effectivement le propre du fascisme ordinaire. Voilà pourquoi lestextes de Jean-Pierre de Mondenard, qui est depuis presque 40 ans l’un des seulsparmi les médecins et scientifiques à savoir de quoi il parle en matière de dopage,apportent des éléments substantiels et précis de compréhension et de dénoncia-tion des méthodes de valorisation chimique des prétendus « exploits physiques »de tous les brontosaures broutant l’avoine magique de la performance. Comme ilest évident que le dopage s’invitera aux trois grandes parades du muscle « chargé »que sont la Coupe du monde de football, le Tour de France cycliste et le tournoide tennis de Roland-Garros, il était important de briser le préjugé selon lequel lesmachines à frapper les balles et les ballons, contrairement au cinglés du pédalier,n’auraient pas besoin de se doper pour vaincre. C’est désormais chose faite.

Nombreux sont ceux qui, ayant lamentablement capitulé contre toute formed’oppression et d’abrutissement planétaire, attendent de nous que nous prenionsle même chemin et que nous cédions en « radicalisme », en « activisme » et en« rigorisme » ce que nous pourrions gagner en « noblesse culturelle » et en « publi-cité » dans la société du spectacle sportif. À ces impuissants professionnels pourqui la destruction du sport est une tâche définitivement impensable/impossibleet qui aiment de temps à autre reposer leur intelligence suprême devant un bonmatch de foot ou de rugby, nous répondons ceci : « L’inexpugnable citadelle dulibre arbitre dont parle Epictète, elle a été le refuge suprême et la dernière forte-resse de ces résistants héroïques qui, dans les tortures, refusaient de livrer auxbourreaux les secrets de leur combat, et qui sont morts sans avoir parlé. Qu’onnous entende bien : la distinction du possible et de l’impossible garde son sensobjectif ou matériel pour le tiers, c’est-à-dire dans l’optique transcendante dutémoin philosophe qui juge du dehors l’agent moral ; mais dans la croyance dusujet et dans l’immanence de la lutte, le mythe de l’impossible n’est qu’une démis-sion préalable de la volonté, un refus de vouloir, une malveillance défaitiste : caren ces matières, l’asthénie du vouloir n’est pas seulement une demi-volonté et unepetite volonté de quatre sous, c’est-à-dire une velléité, elle est vraiment une mauvaisevolonté et même une nolonté. C’est ainsi que chez les capitulards de 1940, le mythede l’invincibilité allemande était déjà une subvolonté de défaite. Il y a en fait destâches impossibles et par conséquent non exigibles, quoi que l’agent n’ait pas ledroit de le savoir ; ce n’est pas à lui d’en juger, ni à s’arrêter arbitrairement dansson travail, ni à dire : En voilà assez ! Il est temps de se reposer ! C’est là un soinet un rôle qu’il doit laisser aux tiers… Mais pour le militant lui-même, pour lemilitant intérieur à son propre combat, le combat est bien à l’échelle de ce devoir

QS12 005-024.qxd 30/04/2010 14:16 Page 23

Page 20: Le sport, stade suprême de l’enfer estivaljerome-segal.de/Le_sport_enfer_estival.pdf« Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut

24

infini d’un pouvoir tout-puissant et d’une volonté toute voulante : il est le livred’heures jour et nuit ouvert d’un agent qui n’est jamais au chômage, ne prendjamais sa retraite, ne sent jamais l’ennui. Abstraction faite de toute confusionentre l’action de l’agent et l’optique du spectateur, l’homme de devoir ne saitqu’une chose : lutter jusqu’à son dernier souffle et jusqu’à la dernière goutte deson sang et jusqu’au dernier globule de cette dernière goutte. Sa part à lui est doncla vigilance et l’insomnie 60 ».

Cathy Louvoyé et Ingrid Quevot

60- Vladimir JANKÉLÉVITCH, Le sérieux de l’intention (Traité des vertus I), Paris, Flammarion« Champs », 2004, p. 131.

SERRE

QS12 005-024.qxd 29/04/2010 22:11 Page 24