Le spectaculaire à l’œuvre - pantheonsorbonne.fr · une dérive de la démocratie athénienne,...

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PUBLICATIONS DE LA SORBONNE Prix : 25 ISBN 978-2-85944-674-1 ISSN 1262-2966 SOCIÉTÉS & REPRÉSENTATIONS N° 31 Le spectaculaire à l’œuvre À rebours des discours sur les méfaits de la spectacularisation, ce dossier revient sur l’évolution contemporaine du spectaculaire, de la fin du XIX e au XXI e siècle. Il est envisagé ici dans la pluralité de ses formes et de ses effets : quels ressorts sensibles suppose et active le spectaculaire ? quelles sont les modalités d’action de ses producteurs ? quelle place tient le spectateur ? Le spectaculaire apparaît là comme un outil pré- cieux pour penser la fabrique des phénomènes culturels. VIENT DE PARAÎTRE Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris Tél. : 01 43 25 80 15 Fax : 01 43 54 03 24

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Prix : 25 €ISBN 978-2-85944-674-1ISSN 1262-2966

SociétéS & repréSentationS n° 31Le spectaculaire à l’œuvre

À rebours des discours sur les méfaits de la spectacularisation, ce dossier revient sur l’évolution contemporaine du spectaculaire, de la fin du xixe au xxie siècle. Il est envisagé ici dans la pluralité de ses formes et de ses effets : quels ressorts sensibles suppose et active le spectaculaire ? quelles sont les modalités d’action de ses producteurs ? quelle place tient le spectateur ? Le spectaculaire apparaît là comme un outil pré-cieux pour penser la fabrique des phénomènes culturels.

vient de paraître

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SociétéS et repréSentationS n° 31Le spectaculaire à l’œuvre

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À paraître en 2011-2012

No 32 – Quand les minorités s’exposent Dossier coordonné par Pascal Dibie

La revue Sociétés & Représentations fait l’objet d’une souscription :Prix de vente à l’unité : 25 €

Prix de vente pour deux numéros : 40 € Frais d’envoi par ouvrage : 6 € et 1,5 € par ouvrage supplémentaire

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SoCIéTéS & REPRéSEnTATIonS

No 33 – Pour de faux ? Histoire et fiction dans l’art contemporain Dossier coordonné par Bertrand Tillier

Livre 1.indb 277 05/05/2011 14:55:58

N° 1 Art sous dépendance

N° 2 Le corps à l’épreuve

N° 3 michel Foucault Surveiller et Punir : la prison vingt ans après (épuisé)

N° 4 La nuit

N° 5 Le social en questions

N° 6 Violences

N° 7 Football et sociétés

N° 8 Le peuple en tous ses états

N° 9 La croisée des médias

N° 10 Le rire au corps. Grotesque et Caricature

N° 11 Artistes/Politiques

N° 12 Dramaturgie du politique

N° 13 Histoire et archives de soi

N° 14 La vie judiciaire

N° 25 Ce que signer veut dire

N° 26 Gloire et pouvoir

N° 27 Figures animales

N° 28 Le médecin prescripteur d’images

N° 29 Tardi

N° 30 L’architecture et ses images

N° 15 Repenser le réalisme socialiste

N° 16 Figures de gendarmes

N° 17 imaginaires parisiens

N° 18 La justice en images

N° 19 Lieux d’archives

N° 20 Puissances du gothique

N° 21 Le siècle des voyages

N° 22 Rémanences des passés

N° 23 Rêves

N° 24 (en)quêtes de genre

Pour toute commande des numéros 1 à 24, s’adresser à l’université Paris 1. iSoR17, rue de la Sorbonne, 75005 Paris / Tél. : 01 40 46 28 36 – Fax : 01 40 46 31 [email protected] – http://isor-credhess.univ-paris1.fr

Pour toute commande des numéros 25 à 29, s’adresser à Nouveau monde Éditions24, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris / Tél. : 01 43 54 67 43 – Fax : 01 43 54 03 60Relations commerciales : [email protected]

Les numéros 11 à 30 sont aussi disponibles sur Cairn : http://cairn.info/revue-societes-et-representations.htm

Titres disponibles

Livre 1.indb 278 05/05/2011 14:55:59

Le spectaculaire à l’œuvrePrésentation. Le spectaculaire contemporainPascale Goetschel 9

• À la scène et à l’écranQuand le merveilleux saisit nos sens : spectaculaire et féeries en France (xviie-xixe siècle) 19

Roxane Martin

Le paradoxe du « théâtre exotique d’avant-garde » dans les années 1920. Archaïsme et modernité dans la collaboration Baty-Lenormand Jules Siran 35

Le téléfilm historique postmoderne : spectacularisation de l’Histoire et « montage hystérique »Dominique Chateau 55

• Le spectacle à l’œuvreLe rebours du spectaculaire. Émile Gallé et l’exemple du vase PasteurMarie-Laure Gabriel-Loizeau 67

Le groupe Galpão et le spectaculaire. L’exemple de Roméo et Juliette au Shakespeare’s Globe TheatreEvelyn Lima 79

L’articulation entre écrans et performance : autour des spectacles de Superamas, Gob Squad et Big Art Groupémilie Chehilita 87

• Pratiques sociales et politiquesLes lumières du stade. Football et goût du spectaculaire dans l’entre-deux-guerresChristophe Granger 107

Le défilé de mode : spectaculaire décor à corpsMorgan Jan 125

SommAiRe

Livre 1.indb 4 05/05/2011 14:55:40

Spectacle politique et participation. entre médiatisation nécessaire et idéal de la citoyennetéPaula Cossart et Emmanuel Taïeb 137

Célébrer, mobiliser et mettre en scène : le spectaculaire dans les manifestations festives soviétiques des années 1920Emilia Koustova 157

Lieux et ressourcesUn fonds éducatif réinventéDidier nourrisson 179

Regards croisésLe discours sur l’occident chez les intellectuels iraniens de la modernitéLaetitia nanquette 191

TramesLanternes éblouissantes, entretien avec Laurent mannoniThierry Lefebvre 201

Retours sur…Joseph Gusfield, La Culture des problèmes publics…Myriam Tsikounas 211

ActualitésLe spectacle de l’histoireBenoît Marpeau, Chantal Meyer, Geneviève Sellier et Julie verlaine 217

Grand entretienentretien avec Henri Cueco Itzhak Goldberg et Bertrand Tillier 229

Hors cadreDes violences urbaines avant la violence urbaine…Frédérique Pitou 243

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Pascale Goetschel, « Le spectaculaire contemporain », S. & R., no 31, avril 2011, p. 9-15.

Pascale Goetschel

Le spectaculaire contemporain

Présentation

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Pourquoi consacrer un dossier au spectaculaire1 ? Avouons que l’agacement né des injonctions répétées à « résister à l’injonction du spectaculaire2 » y est pour beaucoup. Nos sociétés contemporaines seraient toutes entières prises dans le jeu des apparences, de la vitesse et de la consommation, irrémédiablement soumises à la tyrannie des regards, confrontées à l’affadissement des messages, menacées de délitement par la toute-puissance du virtuel au détriment du réel3. Les citoyens du monde seraient les grands prisonniers de ce jeu sur lequel ils n’exerceraient aucun contrôle. Dans un tel contexte de dénonciation4, on ne sera pas surpris de l’écho considérable que connaissent les écrits de Guy Debord – davantage d’ailleurs ses Commentaires sur La Société du spectacle édi-tés en 1988, que son ouvrage programmatique La Société du spectacle, paru en 19675. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas inintéressant de noter que l’usage récent de l’adjectif spectaculaire – il est signalé comme apparaissant au début du xxe siècle6 – a d’emblée servi à disqualifier l’objet visé, quand bien même il acquérait un sens plus neutre que l’ancien « spectaculeux », qui mettait

1. Je remercie Christophe Granger pour sa lecture attentive et ses précieux conseils.

2. « Résister à l’injonction du spectaculaire », entretien avec Martin Bethenod, directeur de l’édition Nuit blanche parisienne 2010, Libération, 2 octobre 2010.

3. Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation, Paris, Galilée, coll. « Débats », 1981, 235 p.

4. Ces dénonciations émanent d’« iconoclastes », au rang desquels se pressent le sociologue Zygmut Bauman, le philosophe Bernard Stiegler ou le psychanalyste Gérard Wajcman.

5. Parmi ses analyses, on retiendra cinq caractéristiques du spectaculaire contemporain : le renouvellement technologique incessant ; la fusion étatico-économique ; le secret généralisé ; le faux sans réplique ; un présent perpétuel.

6. Voir les dictionnaires Larousse (1907) et Faguet (1908).

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Pascale Goetschel, « Le spectaculaire contemporain », S. & R., no 31, avril 2011, p. 9-15.

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l’accent sur le sensationnel7. C’est parce que ce terme touchait aux conditions matérielles du spectacle comme à leur influence jugée néfaste sur le public que son caractère dévalorisant jouait à plein. La substantivation contemporaine du mot – Alain Rey date le terme spectaculaire, alors mis entre guillemets, de 19418 ; les deux autres néologismes, spectacularisation et spectacularité, sur-gissent, eux, dans les années 19809 – relève aussi, mais pas exclusivement, de cet usage dépréciatif.

La contrariété devant la forte publicité accordée à des tribuns clamant haut et fort la perte du sens des sociétés actuelles, ou plus exactement à des hérauts médiatiques porteurs de visions alarmistes, ne suffit pourtant pas à expliquer la gestation de ce dossier. Celle-ci trouve surtout son origine par le double intérêt, plus ou moins récent, qui a conduit les universitaires à se pencher sur cette notion : celui suscité par une série de travaux autour du spectaculaire dans les arts de la scène et à l’écran, traquant ses mécanismes, son histoire ou ses mises en œuvre10. Et celui manifesté par d’autres types de recherches : Georges Balandier disséquant en ethnologue les « mises en scène » du pouvoir11 ; ou, plus récem-ment, à rebours des réflexions de Platon sur la théâtrocratie considérée comme une dérive de la démocratie athénienne, Jacques Rancière plaçant le spectacu-laire au cœur de toute expression politique, et particulièrement celle des oppri-més12. C’était sans compter sur la survenue du « printemps arabe » qui illustre in vivo la portée des gestes et des révoltes spectaculaires des peuples, comme leur place essentielle dans les engagements politiques. Ajoutons enfin que les travaux désormais classiques de Vanessa R. Schwartz, faisant de la culture visuelle la clef principale de compréhension de la société urbaine parisienne à

7. Voir Philippe Roger, « Spectaculaire, histoire d’un mot », dans Christine Hamon-Siréjols, André Gardies (dir.), Le Spectaculaire, Lyon, Cahiers du Gritec/Aléas, 1997, p. 10.

8. Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992.

9. Cf. Pierre Parlebas, Contribution à un lexique commenté en science de l’action motrice, Paris, Insep, 1981, 322 p.

10. Citons, à titre d’exemples, Christine Hamon-Siréjols, André Gardies (dir.), op. cit. ; Maurice-David Matisson, L’Injonction spectaculaire, t. 1, Les Mises en scène du théâtre et du psychodrame, Paris, L’Har-mattan, coll. « Études psychanalytiques », 2000, 395 p. ; Isabelle Moindrot (dir.), Le Spectaculaire dans les arts de la scène. Du romantisme à la Belle Époque, Paris, CNRS Éditions, coll. « Arts du spectacle », 2006, 325 p. Une collection « Le spectaculaire » a été créée aux Presses universitaires de Rennes, dédiée au cinéma et au théâtre.

11. Georges Balandier, Le Pouvoir sur scènes, Paris, Balland, coll. « Le commerce des idées », 1980, 188 p.

12. Jacques Rancière, Les Scènes du peuple. Les « révoltes logiques », 1975-1985, Lyon, Horlieu, 2003, 377 p. ; Id., Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, 145 p.

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la fin du xixe siècle13, et plus encore l’actuelle montée en puissance des visual studies dans le champ des recherches francophones constituent une incitation à l’approfondissement14.

Lutter contre les courants dominants de l’anti-spectaculaire, s’inscrire dans le sillage de démarches entreprises de longue date ou discuter telle ou telle perspective constituent donc les motifs de départ. Mais ce dossier veut aller plus loin. Il se propose d’interroger l’évolution des formes de spectacu-laire dans une période, un très large xxe siècle, où s’épanouissent de nouveaux genres médiatiques – du cinéma au web – et où d’autres – les arts de la scène – se transforment. Il questionne les usages sociaux qui en sont faits. Ainsi, ce dossier entend à la fois éclairer les définitions existantes et renouveler l’étude de certains mécanismes sociaux. Pour ce faire, les contributeurs ont été invités à saisir le spectaculaire (on le prend ici sous sa forme substantivée) dans plu-sieurs de ses dimensions : les types de représentation dont il est l’objet, la place qu’il prend au sein du divertissement et au cœur des multiples conduites sociales, son surgissement sous des formes inédites, les stratégies qu’il sert, les attentes qu’il suscite et les réactions qu’il provoque. Les « arts du spectaculaire » sont ici confrontés à d’autres conduites sociales15, les regards disciplinaires, en l’occurrence l’histoire, l’histoire de l’art, l’histoire littéraire, l’esthétique, la sociologie et la science politique se croisent, les jeux d’échelles varient. On le voit : le domaine qui s’ouvre est celui de la multitude. C’est ce que suggérait déjà Béatrice Picon-Vallin :

13. Cf. Vanessa R. Schwartz, Spectacular Realities : Early Mass-Culture in Fin-de-Siècle Paris, Berkeley, University of California Press, 1999, 230 p. ; Vanessa R. Schwartz, Jeannene M. Przyblyski, The Nine-teenth Century Visual Culture Reader, New York, Routledge, coll. « In sight », 2004, 405 p. On retrouve cette même importance accordée au visuel chez Gregory Shaya, avec ses travaux sur le flâneur et les foules, Gregory Shaya, « The Flâneur, the Badaud and the Making of a Mass Public in France circa 1860-1910 », The American Historical Review, vol. 109, no 1, février 2004, p. 41-77. Voir également Vanessa R. Schwartz, « Culture visuelle et études visuelles aux États-Unis », conférence-débat, École doctorale d’histoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/École nationale des Chartes, 16 mars 2011.

14. Un colloque international s’est tenu sur ce thème, les 6 et 7 janvier 2011, au musée du quai Branly à Paris. La prise en compte très récente des études visuelles dans les études francophones y était jaugée en termes institutionnels : en octobre 2009, une unité de recherche « Image et culture visuelle » était créée à l’université libre de Bruxelles ; au printemps 2010 était mis en place, au sein de l’institut des sciences humaines et sociales du CNRS, un réseau thématique pluridisciplinaire intitulé « Visual studies, les nouveaux paradigmes du visuel » ; en juin 2010, à l’EHESS, une plate-forme intitulée « Culture visuelle, média social d’enseignement et de recherche » prenait naissance au sein du laboratoire d’Histoire visuelle contemporaine ; toujours en 2010, la première chaire française « Culture visuelle-Visual studies » était inaugurée à l’université Lille 3.

15. Il a fallu faire des choix et toutes sortes de situations spectaculaires sont absentes du dossier, qu’il s’agisse de représentations (jeux, cérémonies, triomphes, processions, fêtes), d’actes (leçons d’anatomie, crimes, exécutions publiques…) ou d’expositions des corps (tatouages, travestissements, etc.).

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Le champ du spectaculaire comprend encore le monumental, le grandiose, le colossal, ainsi que le surnaturel, le féerique, le merveilleux, le miraculeux, le monstrueux : tout ce qui semble irreprésentable en raison de son excès et qu’on représente malgré tout16.

Afin de mettre en musique un tel projet, les dix textes choisis ont été répartis en trois temps distincts : le spectaculaire « à la scène et à l’écran » ; le spectaculaire « à l’œuvre » ; et les « pratiques sociales et politiques ». On ne niera pas les différences entre les uns et les autres. Cependant, les contribu-tions ont en partage une approche commune. La première d’entre elles est de se retrouver dans toute une série de définitions préalablement formulées. Parmi celles-ci, il y a celles privilégiant la vue (le spectaculum désigne ce que l’on voit ; la racine slave zreliśće est construite autour du verbe « regarder atten-tivement ») mais, plus avant, l’excitation générale des sens. Le lecteur est alors convié à se pencher sur plusieurs d’entre eux, l’ouïe et le toucher plus, sans doute, que l’odorat et le goût, et à réfléchir aux sensations provoquées. Cer-taines définitions, a contrario, insistent sur leur confusion, voire leur anes-thésie, sans qu’il n’y ait là rien de contradictoire. Si les sens y sont toujours convoqués, le rapport à la question esthétique pose davantage problème et sépare le spectaculaire du sublime :

L’objet saisi comme spectaculaire, en fait de douleur médiatrice, ne procure sans doute que l’éclair de son apparition (on songe ici aux cris que l’on pousse devant les effets successifs d’un feu d’artifice – cris d’émerveillement qui miment l’écar-quillement de l’œil, sans traduire quelque douleur profonde – en fait, la douleur est réservée à l’oreille). Il semble, en tout cas, que, considéré en lui-même, le spectaculaire anesthésie, qu’il soit par-delà toute émotion esthétique. Cela n’est-il pas paradoxal : l’esthétique du spectaculaire aboutirait à l’idée qu’il se caractérise par l’absence ou l’extinction de toute dimension esthétique17.

S’y ajoutent les définitions estimant crucial le rôle des producteurs du spectaculaire : ceux-ci prévoient et calculent leurs effets, aménagent, agencent et construisent des dispositifs, parfois non sans risque. L’entretien accordé à Thierry Lefebvre par Laurent Manonni, consacré aux lanternes magiques, situé en marge du dossier, en constitue une parfaite illustration. Le spectaculaire, enfin, ne peut être appréhendé sans considérer le rôle déterminant du lien avec le spectateur :

16. Béatrice Picon-Vallin, dans Christine Hamon-Siréjols, André Gardies (dir.), op. cit., p. 64.

17. Dominique Chateau, dans Christine Hamon-Siréjols, André Gardies (dir.), op. cit., p. 116.

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La théâtralité renvoie toujours à la spécificité de l’art qui la produit ; elle dit, en les montrant, les codes et au besoin les conventions sur lesquels joue l’art qu’elle désigne. Le spectaculaire, lui, dans son excès, renvoie moins à l’art qui le produit qu’à la fonction même du spectacle quel que soit son mode de manifestation. Il dit cette évidence qui s’oublie : c’est au spectateur que le spectacle s’adresse. En jouant sur la démesure, sur le débordement ou sur l’emphase, le spectaculaire exploite et parfois affiche la force d’agissement du spectacle sur le spectateur18.

Si l’ensemble des contributions s’inscrit bel et bien dans ce faisceau de définitions, s’articule parfois autour d’autres, l’autre dénominateur commun consiste à faire jouer trois variables : le ressort sensible que suppose et active le spectaculaire ; l’existence et la connaissance du travail que mènent les produc-teurs de spectaculaire ; enfin la place du spectateur. Chacune des trois parties du dossier, à sa façon, en rend compte.

Le premier ensemble se consacre au théâtre et au cinéma. Il renvoie, tout en les affinant, à ces définitions communément partagées. Roxane Martin, spécialiste de l’histoire du théâtre, analyse comment la notion de spectaculaire, récente alors, est intervenue pour marginaliser la féerie à la charnière des xixe et xxe siècles. Jules Siran, de son côté, étudie en historien comment, dans l’entre-deux-guerres, s’est constitué un « théâtre exotique d’avant-garde », marqué par la recherche des effets spectaculaires qu’autorisent les imaginaires orientalistes et, sur un plan plus technique, les jeux de lumière et de couleurs. Dominique Chateau enfin, dans une minutieuse analyse esthétique, montre comment la construction des films et téléfilms historiques mobilise une technique de spec-tacularisation, où se mêlent le diégétique et l’historique, l’extraordinaire, le vraisemblable et le vrai. Chacune des études, dans ses nuances, permet ainsi de cerner à la fois la constitution d’un répertoire d’effets spectaculaires et la place qu’il prend dans la fabrique des genres et des hiérarchies culturels.

La deuxième partie diffère moins par ses objets, puisqu’il s’agit presque toujours de scène et d’écran, que par la manière de les traiter. Un objet, une pièce, une performance : les études réunies ici proposent une analyse au scalpel. Marie-Laure Gabriel-Loizeau, historienne de l’art, part à la recherche du spec-taculaire dans l’infiniment petit. Elle montre comment, dans les plus infimes détails du vase Pasteur de Gallé, par l’usage qu’il fait notamment de la micro-biologie, l’artiste déploie un spectaculaire qui mobilise non seulement les sens mais aussi l’intellect du spectateur. Historienne de l’art brésilienne, Evelyn Lima analyse, quant à elle, la mise en scène récente de Roméo et Juliette de

18. Christine Hamon-Siréjols, André Gardies, « Avant-propos », dans ibid., p. 7.

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Shakespeare par la compagnie brésilienne Galpão, donnée au théâtre du Globe à Londres. La question du spectaculaire, et celle de la place qu’il convient de lui faire, éclairent à cette occasion non seulement la transposition contempo-raine de textes du répertoire, la logique des transferts culturels, mais aussi les manières de valoriser des éléments « nationaux » et « populaires ». Dans son étude de trois collectifs de performers contemporains, Émilie Chehilita s’inter-roge sur la manière que ces groupes ont de faire spectacle contre le « specta-culaire dominant », de mettre à distance les codes dont ce dernier est fait tout en reprenant à leur compte, dans les procédés qu’ils mettent en œuvre, « l’in-ventivité visuelle et sonore liée aux expressions médiatiques contemporaines ». Toutes trois, attentives aux procédés dans lesquels le spectaculaire s’incarne, mettent l’accent sur ses ressorts sensibles et symboliques, qu’il s’agisse de la recherche de l’inédit, du rapport à la tradition ou de l’attention particulière aux effets produits sur le(s) public(s).

La dernière partie élargit le propos. Elle s’intéresse aux usages sociaux et poli-tiques du spectaculaire, à la façon dont les univers du sport, de la mode ou de la politique s’en sont emparés. Christophe Granger étudie ainsi en historien com-ment, dans l’entre-deux-guerres, le football a pris en charge une part du « moderne appétit de spectaculaire », comment les joueurs, les « critiques » et les spectateurs ont concouru à « l’avènement du spectaculaire comme catégorie d’organisation et d’appréciation du jeu ». Historienne elle aussi, Morgan Jan envisage le long processus de spectacularisation de la mode au cours du xxe siècle. Attentive aux emprunts faits aux mondes du théâtre, de la danse puis de la revue, elle décrit la scénarisation du défilé de mode, la mise en spectacle de ses objets, de ses acteurs (les mannequins) et de ses lieux (les podiums). Scrutant la part du spectaculaire en politique, Paula Cossart et Emmanuel Taïeb, tous deux poli-tistes, se placent à rebours des déplorations habituelles. Dans une démarche davantage théorique, ils montrent l’existence d’un dialogue démocratique au sein même du spectacle politique. Ils soulignent que les meetings politiques, les manifestations bruyantes, les grandes messes médiatiques ou les shows audiovisuels assurent, chacun à leur façon, l’essor des engagements19. Pour finir, l’historienne Emilia Koustova ausculte les manifestations festives sovié-tiques des années 1920. Elle décrit les stratégies de leurs producteurs et leur incertitude quant à la place à accorder au spectaculaire. Ces questionnements se révèlent précieux : de quoi faut-il faire spectacle ? De l’élan révolutionnaire, de l’enthousiasme populaire, de l’Union soviétique ? Tous ces textes déplacent

19. Cf. Luc Boltanski, La Souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, Métaillé, 1993, 287 p.

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les certitudes. À rebours des discours rebattus sur les méfaits de la spectaculari-sation, ils dévoilent son importance dans les modes d’organisation du monde et spécialement dans la formalisation des expériences collectives.

Au moment de clore cette présentation, il faut bien nous rendre à l’évi-dence : prétendre, à grands coups de plume, marquer ici un « tournant specta-culaire » des sciences humaines n’a pas grand sens. La révolution épistémolo-gique attendra. Pourtant, les apports ne sont pas négligeables. Le spectaculaire constitue un outil précieux pour penser, comprendre, étudier autrement les mondes contemporains et les agencements que les hommes leur donnent sans cesse. Il nourrit la réflexion sur la fabrique des phénomènes culturels, il impose d’en traquer le surgissement au confluent de la production d’objets matériels et de mises en scène imaginatives. Il renseigne ainsi sur la modification des régimes de sensibilité, l’ascension du goût pour le spectacle de la virtuosité, l’extrême attention portée aux gestes, y compris ceux en apparence les plus dérisoires. Il suggère moins le caractère novateur du saisissement collectif au xxe siècle que son élargissement médiatique. Il permet à sa façon de parler du partage accru des « émotions collectives », dont il est le véhicule et le produit, de saisir les modalités contemporaines de l’admiration et de l’exécration, de la fièvre et de l’effroi. On reprend là les leçons de Lucien Febvre. Plus avant, il renvoie aux temps collectifs des hommes : ceux de la préparation et de l’attente, du déroulement des choses, convenu et parfois incertain, du dénouement pré-visible ou non. Il rend compte des tensions humaines : quête de moments et de lieux de rassemblements, recherche des excès et des débordements, fuites et jugements. Bref, le spectaculaire, envisagé ici dans la pluralité de ses formes et de ses effets, constitue un point d’observation des sociétés contemporaines et des systèmes culturels dont elles sont faites. « Le monde entier est une scène », s’exclamait Jacques dans Comme il vous plaira de Shakespeare. Acceptons-en l’augure.

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