le sourire gingival

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Piral T. Le sourire gingival. Actualités Odonto-Stomatologiques 2008;242:167-178 167 le sourire gingival Thierry PIRAL Chirurgien maxillo-facial, Ex chef de clinique assistant des hôpitaux de Paris, Ex praticien hospitalier, Attaché au service de chirurgie maxillo-faciale et plastique de la face, Groupe Hospitalier Paris Saint-Joseph. La découverte trop importante des gencives lors du sourire définit le sourire gingival. Il existe une inadéquation entre les parties molles et les bases osseuses. Cet article propose, à partir d’une série de cas cliniques, une approche théra- peutique adaptée aux différentes anomalies dento-maxil- laires rencontrées lors du sourire gingival. RÉSUMÉ chirurgie orthognatique ostéotomie de Lefort 1 ostéotomie segmentaire antérieure sourire gingival MOTS CLÉS SPÉCIAL SOURIRE

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Piral T. Le sourire gingival. Actualités Odonto-Stomatologiques 2008;242:167-178

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le sourire gingival

Thierry PIRALChirurgien maxillo-facial,Ex chef de clinique assistantdes hôpitaux de Paris,Ex praticien hospitalier,Attaché au service de chirurgiemaxillo-faciale et plastique de la face,Groupe Hospitalier Paris Saint-Joseph.

La découverte trop importante des gencives lors du souriredéfinit le sourire gingival. Il existe une inadéquation entreles parties molles et les bases osseuses. Cet article propose,à partir d’une série de cas cliniques, une approche théra-peutique adaptée aux différentes anomalies dento-maxil-laires rencontrées lors du sourire gingival.

RÉSUMÉ

chirurgie orthognatique

ostéotomie de Lefort 1

ostéotomie segmentaire antérieure

sourire gingival

MOTS CLÉS

SPÉCIAL SOURIRE

fig. 1 L’angle α formé entrele trait d’ostéotomieLefort 1 et l’orienta-tion des apophysesptérygoîdes rend déli-cates les impactionspostérieures.

e sourire se fait grâce à l’ac-tion des muscles dilatateursde l’orbiculaire des lèvres. Lamobilisation crescendo de cesmuscles permet de définir les

différents stades du sourire, du pré-sourire au pré-rire en passant par lesourire dento-labial[1].Dans le cas du sourire gingival, ladécouverte des muqueuses gingivalesest excessive lors du pré-rire voir dusourire dento-labial. Plusieurs anoma-

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lies dento-maxillaires en sont la cause : – l’excès vertical maxillaire global (ou

excès de développement des procèsalvéolaires) ;

– la promaxillie ;– la proalvéolie ;– l’excès vertical antérieur.Pour chacune de ces causes, l’auteurpropose une prise en charge thérapeu-tique adaptée, illustrée par un cas cli-nique correspondant.

Lintroduction

excès vertical maxillaire(excès de développement des procès alvéolaires)

L’anomalie prédomine au maxillairesupérieur, la correction nécessite uneimpaction globale du maxillaire. Latechnique est délicate. En effet, l’incli-naison des apophyses ptérygoïdes estdéfavorable (fig. 1), il faut réséquer les

2 apophyses en préservant les pédiculespalatins. Le risque est surtout unehémorragie secondaire si le contrôle desdeux pédicules n’a pas été fait en peropératoire. Si l’impaction est impor-tante la réduction des orifices du nez

a

peut perturber la perméabilité nasaleet nécessiter, dans les cas extrêmes,une turbinectomie inférieure bilaté-

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est en classe I d’Angle, l’analyse cli-nique et radiologique retrouve un excèsvertical du maxillaire, une fermeture de

cas clinique 1

Patiente âgée de 36 ans sans antécé-dent particulier, vient pour une amélio-ration de son sourire gingival. L’articulé

rale. Enfin, le retentissement esthéti-que sur le nez n’est pas toujours favo-rable[2].

b

fig. 2 a et b Cas clinique 1. Sourire gingival par développementexcessif des procès alvéolaires, la lèvre supérieure estcourte, l’angle nasolabial est fermé.

a b

fig. 3 a et b Cas clinique 1. Résultat post-opératoire après une ostéo-tomie Lefort 1 avec impaction globale de 7 mm et génio-plastie. L’aspect esthétique du nez est aggravé, élargis-sement des ailes narinaires et fermeture de l’anglenasolabial.

l’angle nasolabial, une brièveté de lalèvre supérieure avec une incontinencelabiale au repos (fig. 2 a et b).La solution proposée est une impactionglobale du maxillaire de 7 mm, complé-tée d’une génioplastie de réduction etd’avancée pour harmoniser le profil. Lapatiente est prévenue du retentissement

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défavorable de l’esthétique du nez, avecaggravation de la fermeture de l’anglenasolabial, et élargissement des ailesdu nez (fig. 3 a et b).Une rhinoplastie secondaire est envisa-gée dès les premières consultations ;elle sera réalisée un an après (fig. 4 a àc).

a b c

fig. 4 a à c Cas clinique 1. Résultat après rhinoplastie pour ouvrir l’angle nasolabial et réduire l’élargisse-ment des ailes du nez.

promaxillie

Cliniquement le patient se présente deprofil avec une fermeture de l’anglenasolabial, son articulé le plus souventest en classe II. L’analyse céphalomé-trique confirme le diagnostic de pro-maxillie avec une ouverture de l’anglec1/cf1 dans l’analyse de Delaire, et uneaugmentation de la longueur de la basemaxillaire de Château (distance entre lepoint T tubérosité qui représente l’inter-section entre le plan bispinal et le plan

de la fente ptérygomaxillaire et le pointA) chez l’adulte ; elle est relativementconstante, de l’ordre de 52 mm.Au plan thérapeutique, la solutionorthodontique seule avec avulsion des1res prémolaires supérieures et ferme-ture des espaces ne permet souvent pasd’obtenir une harmonisation du profil.La solution chirurgicale plus lourderepose soit sur une ostéotomie Lefort 1de recul[3, 4, 5], soit encore sur une

fig. 6 Cas clinique 2. Aligne-ment orthodontique desarcades en classe II, divi-sion 1 (Dr Michel Lana-castet).

ostéotomie segmentaire antérieure derecul[7, 8, 9]. Pour maintenir l’équili-bre facial, des gestes complémentairessont souvent nécessaires : ostéotomiesagittale d’avancée mandibulaire pour

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rétablir un articulé en classe I, génio-plastie, voire rhinoplastie. Cette solu-tion chirurgicale est illustrée par lesdeux cas cliniques suivants.

cas clinique 2

Patiente âgée de 42 ans, sans antécédentnotable, présente une prochéilie due à lapromaxillie avec un articulé en classe II.Il existe une incontinence labiale avec unexcès vertical et une rétrogénie. L’anglenasolabial est fermé de l’ordre de 90degrés (la norme chez la femme se situeentre 95 et 110 degrés) (fig. 5 a et b).

Après l’alignement des arcades den-taires par traitement orthodontique (DrMichel Lanacastet) (fig. 6), une ostéoto-mie Lefort 1 d’impaction et de recul estproposée. Elle est complétée d’uneostéotomie sagittale d’avancée mandi-bulaire et d’une génioplastie (fig. 7 a etb et fig. 8).

a b

fig. 5 a et b Cas clinique 2. La patiente présente une incontinencelabiale, une prochéilie avec une fermeture de l’anglenasolabial inférieure à 90° et une rétrogénie.

Patiente âgée de 36 ans, adressée pourcorrection chirurgicale de l’articulé detype classe II. Elle présente une pro-maxillie avec proalvéolie (partiellementcorrigée par le traitement orthodon-tique), un sourire gingival avec prochéi-lie et une fermeture de l’angle nasola-bial (fig. 9 a à c). Au plan dentaire, lapatiente présente une édentation impor-tante avec, en particulier, absence desprémolaires supérieures (fig. 10 a et b).Au plan thérapeutique, après simula-tion de l’intervention à partir des

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modèles en plâtre (fig. 11), on proposeune ostéotomie segmentaire antérieurede recul du prémaxillaire. Cette tech-nique a l’avantage, dans ce cas, d’êtrefacilitée par l’absence des 2es prémo-laires supérieures.On complète, chez la patiente, l’ostéoto-mie segmentaire de recul (ostéotomie deWassmund) par une génioplastied’avancée et de réduction. Au plan den-taire, quelque temps après l’interven-tion, un bridge complet maxillaire estréalisé (Dr Alain Desaubaux). Il redonne

fig. 8 Cas clinique 2.Articulé post-opé-ratoire en classe I.

a b

fig. 7 a et b Cas clinique 2. Résultat après ostéotomie Lefort 1 derecul (3 mm) et d’impaction complétée d’une ostéoto-mie sagittale d’avancée mandibulaire et d’une génio-plastie.

cas clinique 3

ba

un aspect esthétique à la denture de lapatiente et permet d’offrir une conten-tion définitive au recul du prémaxillaire(fig. 12 a à c). En effet, dans les cas decorrection de promaxillie et proalvéolieethnique, le risque est la récidive due à

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la poussée linguale ; une plastie lingualecomplète quelquefois ces protocoles.Dans le cas présenté cela n’a pas éténécessaire ; néanmoins, en tout débutde prise en charge, la patiente avait étéprévenue de cette éventualité.

a b c

fig. 9 a à c Cas clinique 3. Prochéilie avec fermeture de l’angle nasolabial de l’ordre de 30 degrés (ortho-dontiste Dr Ho Vo Tuan Giao).

fig. 10 a et b Cas clinique 3. Téléradiographie de profil et panoramique dentaire, édenta-tion importante et surplomb du prémaxillaire.

a b

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fig. 11 a et b Cas clinique 3. Simulation sur les modèles en plâtre d’une ostéotomie seg-mentaire antérieure de recul. Ces modèles permettront la réalisation d’unegouttière occlusale qui servira de guide chirurgical tout en corrigeantl’édentation postérieure.

a b c

fig. 12 a à c Cas clinique 3. Correction partielle du sourire gingival après ostéotomie de Wassmund,ouverture de l’angle nasolabial avec correction de la prochéilie et meilleure projection dumenton.

La proalvéolie, avec excès vertical anté-rieur est la cause la plus fréquente de sou-rire gingival. La réponse orthodontiqueavec avulsion des prémolaires ne corrigepas le sourire gingival voire l’aggrave.

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Seule la chirurgie orthognatique avecimpaction antérieure du maxillaire per-met de résoudre ces cas.

proalvéolie et excès vertical antérieur

cas clinique 4

Patiente âgée de 25 ans présentant unsourire gingival, avec excès vertical anté-rieur. Elle a une classe II avec biproalvéo-lie ethnique initiale. Une prise en chargeorthodontique (Dr Laurence Leloup) per-

met une correction de la biproalvéolieaprès avulsion des 1res prémolaires. Ilpersiste, après alignement des deuxarcades, la classe II avec une supraclusieet le sourire gingival (fig.13 a à c, fig. 14).

fig. 14 Cas clinique 4. Articuléen classe II avec supra-clusie, après avulsiondes quatre premièresprémolaire et aligne-ment des arcades den-taires en préparationpré-chirurgicale (DrLaurence Leloup).

a b c

fig. 13 a à c Cas clinique 4. Sourire gingival par excès vertical antérieur qui persiste après correction ortho-dontique de la biproalvéolie. Les orifices narinaires sont bas et très visibles de face.

L’analyse esthétique montre, outre lesourire gingival disgracieux, un anglenasolabial de 95 degrés (norme chez lafemme 95 à 110 degrés), une implanta-tion basse des seuils narinaires qui faitapparaître de manière un peu tropimportante les orifices du nez de face.Au plan thérapeutique, une ostéotomiede Lefort 1, avec impaction antérieure

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de 8 mm complétée d’une ostéotomiesagittale d’avancée mandibulaire, per-met de corriger la classe II et le souriregingival. Le retentissement au niveaudu nez est favorable ; en effet lesseuils narinaires sont remontés etapparaissent moins de face (fig. 15 aà c, fig. 16).

a b c

fig. 15 a à c Cas clinique 4. Résultat après ostéotomie Lefort 1 d’impaction antérieure de 8 mm complé-tée d’une ostéotomie sagittale d’avancée mandibulaire qui permet la correction du souriregingival. L’orientation des orifices narinaires se corrige, l’angle nasolabial reste satisfai-sant.

fig. 16 Cas clinique 4.L’articulé est rétablien classe 1 aveccorrection de lasupraclusie.

La prise en charge du sourire gingivalnécessite, comme le montrent les cascliniques présentés, une approche glo-bale des patients. L’analyse céphalomé-trique et dentaire est indispensable. Elleest complétée d’une analyse esthétiquequi doit tenir compte des caractéris-tiques ethniques. Le résultat obtenu estun compromis entre ces différentesanalyses et les outils thérapeutiques ànotre disposition : orthodontie, chirur-gie maxillo-faciale et esthétique, enfinprothèse dentaire.Néanmoins, parmi les règles à retenir :– le traitement orthodontique seul est

rarement suffisant sauf dans les casminimes ;

– une plastie d’allongement de la lèvreest toujours proposée. Elle peut dansdes cas peu importants, en associationéventuelle avec un traitement ortho-dontique, être suffisante ;

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– lorsque la chirurgie orthognatique estnécessaire, elle touche obligatoire-ment le maxillaire supérieur, pour réa-liser les mouvements suivant impac-tion et/ou recul du prémaxillaire. Lestechniques sont variées : Lefort 1,ostéotomie segmentaire antérieure ;

– pour obtenir le résultat esthétique etfonctionnel définitif, plusieurs ges-tes complémentaires peuvent êtreindispensables : ostéotomie sagittaled’avancée mandibulaire, génioplastieet enfin rhinoplastie.

L’écoute du patient lors des premièresconsultations aidera le praticien à fixerles limites de sa prise en charge théra-peutique. En effet, la demande du patientn’est souvent que dentaire : «docteur,pouvez-vous corriger mes dents troplongues ?», sans qu’il puisse deviner lesimplications thérapeutiques souventlourdes que l’on peut lui proposer.

conclusion

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9. Levignac J.Chirurgie des Lèvres.Masson Paris 1991;239-50.

SUMMARY

The gummy smileT. PIRAL

The definition of gummy smile is when the gumsare too prominently appearing while smiling.There is an inadequacy between the soft and thebone parts.

This article proposes, through different clinicalcases, a therapeutic approach suited to thevarious dentofacial deformities linked to thegummy smile.

keywords: gummy smile, surgical orthodontic correction, Lefort 1 osteotomy, anterior maxillary osteotomy.