Le sourire de la Joconde -...

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LE SOURIRE DE LA JOCONDE RECUEIL DE TEXTES Nom : _________________________________________ Groupe : ____________

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LE SOURIRE DE LA JOCONDE

RECUEIL DE TEXTES

Nom : _________________________________________

Groupe : ____________

Texte 1

PHOENIX, détective du temps Le sourire de la Joconde

Chapitre 1

En ce petit matin étouffant de juillet, Phoenix, détective du Temps, lança à son ordinateur la commande vocale « Entrée en fonction, Politeia » tout en actionnant d’un geste machinal sa machine à

espresso, une antiquité ramenée d’un voyage dans l’Italie du XIXe

siècle. En quelques secondes, Politeia, son informatrice préférée, apparut sous forme d’hologramme.

— Bonjour, Phœnix. Oh oh! fit-elle en grimaçant, il me semble que le réveil est difficile, ce matin! En effet, Phoenix affichait une mine chiffonnée; ses cheveux brun foncé étaient ébouriffés, faisant clairement ressortir une petite mèche toute blanche qu’il s’évertuait à cacher derrière son oreille droite, mais qui cette fois s’exprimait en point d’exclamation sur le côté de son crâne. Le jeune homme étouffa un profond bâillement d’une main distraite, dévoilant le tatouage d’un chat sur son poignet. D’ailleurs, à propos de félin, Amon, son fidèle chat nu, sauta sur le bureau et se g lissa adroitement derrière une pile de livres en équilibre instable.

— Je suis sorti avec Faustine, hier soir, et nous sommes rentrés très tard, confirma Phoenix, tout en dégustant sa première goutte de café, boisson qui, à son avis, était indispensable à tout bon début de journée.

— Et j’imagine que tu n’as pas encore déclaré ta flamme à mon double? s’amusa Politeia. Phoenix haussa les épaules.

— D’accord, je ne t’embête plus avec ça! convint l’hologramme. L’hologramme que Phoenix avait conçu ressemblait trait pour trait à une jolie jeune femme rousse aux longs cheveux ondulés de ses connaissances. En fait, Politeia était la copie conforme de Faustine, la charmante voisine de palier de Phoenix, dont il était secrètement amoureux. Mais le jeune enquêteur n’osait pas lui déclarer son amour. Alors en attendant qu’il se décide enfin à faire le premier pas, il avait décidé que Politeia ressemblerait à Faustine. Ainsi, il aurait l’impression d’avoir son amie près de lui tous les jours, peu importe l’époque qu’il était appelé à visiter.

— Mettons-nous au travail, continua Politeia. Tu vas adorer ta prochaine enquête. Le SENR (Service des enquêtes non résolues) t’a désigné pour faire un saut à Florence en 1504.

— Hé, ça c’est cool! répliqua-t-il en employant un mot quelque peu dépassé à son époque, mais qu’il appréciait particulièrement, car cela traduisant bien sa pensée, se plaisait-il à dire. Et quel est le problème à Florence? Cette fois, Phoenix était bien éveillé. Rien de tel qu’une bonne énigme pour lui remettre les idées en place. Pour marquer l’anniversaire de la naissance de Léonard de Vinci, et malgré tout le temps passé, plusieurs énigmes demeurées insolubles concernant la vie et l’œuv re de ce grand personnage gagneraient à être élucidées.

— Peux-tu me rafraîchir un peu la mémoire? Si mes souvenirs sont bons, un mystère entourant la Joconde n’a jamais été résolu.

— Il y a plusieurs mystères concernant ce tableau, Phoenix. Par exemple, on ne sait pas vraiment qui est la jeune femme qui a servi de modèle au maître. On a bien quelques hypothèses, mais rien

Texte 1

n’a pu être confirmé. Ensuite, on sait que de Vinci a commencé à peindre la Joconde aux alentours de 1503 -1504, puis, tout à coup, plus rien. Il n’a repris son travail qu’en 1510 pour l’achever en France quelques années plus tard. D’ailleurs, ce tableau ne l’a jamais quitté et n’a pas été livré à celui qui l’a commandé.

— Étonnant! Que s’est-il passé pour qu’il suspende ainsi son travail en pleine conception?

— Voilà quelque chose qui est dans tes cordes, cher Phoenix, une nouvelle énigme à résoudre, lança l’hologramme. Mais attention! Cette fois, il ne s’agit pas de retrouver un objet volé ou de démasquer un assassin. Le service veut simplement valider les informations dont l’humanité dispose sur cet incroyable génie. Le SENR espère que tu pourras étoffer nos connaissances en le côtoyant, en en apprenant plus sur ses motivations, sur ceux qui l’entourent. De Vinci a été influencé par son époque, par le contexte social et religieux de Florence, à toi de nous dire comment. Pour ma part, je me chargerai de tout enregistrer dans ma base de données!

— Super! Un petit voyage dans la Florence de la Renaissance me fera le plus grand bien…

— Je lance l’impression du dossier, dit Politeia. Aussitôt, plusieurs dizaines de transparents furent crachés par une holo-imprimante dernier cri

déposée sur le bureau, derrière la pile de livres.

[…] Après avoir pris connaissance de ces brèves notes biographiques, Phoenix jugea bon de se plonger le

nez dans ses propres ouvrages de référence, en l’occurrence de vieux livres poussiéreux

qu’il adorait feuilleter tant pour les renseignements qu’il y puisait que pour l’odeur si caractéristique

de l’encre et du papier. À la différence des autres enquêteurs de l’escouade, qui ne juraient que

par l’informatique et le virtuel, Phoenix adorait manipuler d’anciens grimoires, tenter de

déchiffrer des hiéroglyphes, se pencher sur de vieux manuscrits et découvrir des mots et des

noms depuis longtemps oubliés dans des dictionnaires aux renseignements désuets.

Il finit par tomber sur un vieil ouvrage concernant la Renaissance et se mit à l’étudier avec soin

après avoir tiré d’un tiroir encombré de souvenirs une loupe ramenée d’une enquête à

Londres à la période victorienne. Pendant près de deux heures, le jeune détective resta le nez

dans ses cartes et ses feuillets jaunis, puis il s’exclama finalement :

— Allons-y! Que l’aventure commence! Il s’empara de son micro-ordinateur, un appareil si petit qu’il tenait dans un simple

médaillon, et le passa autour de son cou. Puis, par commande vocale, il composa un message

holographique à l’intention de Faustine, sa voisine, pour la prévenir de son absence, afin qu’elle

vienne nourrir Amon.

Ensuite, il ordonna à Politeia de disparaître, mais en s’assurant bien qu’elle pourrait

intervenir au moindre appel, peu importent l’époque et le lieu où il se trouverait. Politeia obéit

aussitôt et son image disparut dans le médaillon, comme un génie qui réintègre sa lampe.

Chapitre 2

Florence, 1504 […]

— Maintenant, dis-moi ce qui a disparu?

— Ce sont des esquisses à la sanguine… expliqua le jeune homme en baissant tellement la voix que Phoenix dut se concentrer pour ne rien perdre de ses propos. Mon maître y travaille depuis trois ans. D’habitude, il se contente de préparer les dessins et les premiers cartons. Ensuite, ce sont les élèves les plus âgés et les plus doués qui sont chargés de reproduire l’œuvre sur les panneaux de bois.

— Et là, c’est différent? s’étonna le jeune enquêteur.

— Ah pour ça, oui! Il travaille depuis des mois à un portrait qu’il entoure de mille soins. C’est le portrait de dame Lisa, une très belle femme, ma foi! commenta Salaï. Une lueur d’appréciation brillait dans ses grands yeux sombres. Il en a fait de nombreuses esquisses sur papier…

— Et ce sont ces dessins qui ont disparu?

Phoenix était catastrophé. Il avait bien compris que Salaï parlait de La Joconde, le fabuleux chef-d’œuvre de Léonard de Vinci.

Mais retrouver ces esquisses n’était pas le but de sa mission. Il ne devait pas perdre de vue qu’il était là pour savoir pourquoi de Vinci avait interrompu son travail pendant de nombreuses années et pour valider les informations détenues par les historiens du troisième millénaire.

« C’est étrange, l’Histoire n’a gardé aucune trace de la disparition des esquisses de La Joconde, songea-t-il. Mais comme le maître a interrompu son travail pendant de nombreuses années, peut-être lui a-t-il fallu tout ce temps pour les récupérer? Après tout, peut-être qu’en suivant la piste de ces esquisses, je parviendrai à mener ma mission à bien. J’espère seulement que ce dossier ne traînera pas pendant des années. Le SENR risque de me retirer l’affaire si je ne la règle pas rapidement! » Salaï se leva en constatant que Phoenix était plongé dans ses pensées. Le jeune homme remonta sur sa mule et déclara :

— Oui, ce sont les esquisses de dame Lisa qui sont perdues! Sa voix trahissait une certaine inquiétude. Alors, je peux compter sur vous?

— Je vais voir ce que je peux faire, mais je ne peux rien te promettre. Salaï fit tourner sa mule, il était déjà prêt à repartir.

— Et où files-tu si vite? Pourquoi ne pas prévenir ton maître?

— Je dois partir, j’ai quelques achats à faire avant que maître de Vinci ne vienne à l’atelier. Je dois me presser. Je ne veux pas qu’il apprenne que je suis venu vous demander de l’aide.

— Bien. Va, le renvoya Phoenix. Je ferai un saut à l’atelier un peu plus tard!

Salaï lui jeta un regard anxieux.

— N’aie crainte. Je ne mentionnerai pas le but de ma visite à ton maître… Je veux simplement avoir une idée des lieux. Et avant de crier au voleur, il vaut mieux jeter un coup d’œil partout. Peut-être que ces esquisses ne sont pas bien loin!

Salaï salua Phoenix en balayant l’air devant lui avec son couvre-chef et il sortit de la cour du palazzo.

Chapitre 3 À l’atelier […]

— Pas encore! Mais il doit arriver bientôt, confirma Salaï en entrant à son tour dans la première salle, les bras chargés de planches de bois de toutes tailles. Phoenix fut étonné par le visage extrêmement serein du jeune homme qui tranchait beaucoup avec l’air de panique qu’il avait affiché quelques heures plus tôt. Il avait l’air d’un angelot joufflu. C’est ce qui avait plu à Léonard de Vinci, disait-on dans les livres d’histoire. Parce qu’en dehors de son joli minois, Salaï était un piètre artiste. Il était surtout un gamin déluré qui, à dix ans, dès son arrivée dans l’entourage de Léonard de Vinci, avait trouvé le moyen de fouiller dans les poches du maître et les escarcelles des commanditaires pour leur dérober leur argent. Salaï avait aussi la réputation de faire main basse sur les provisions et de s’empiffrer sans complexe. L’apprenti aligna ses planches contre un mur. Phoenix comprit que c’étaient les supports sur lesquels de Vinci peignait ses œuvres. D’un geste de la main, Petit Diable invita Phoenix dans la deuxième salle.

— Donnez-vous la peine d’entrer, capitaine.

Ce dernier y découvrit un véritable capharnaüm. Des toiles inachevées, des blocs de marbre en cours de taille, des statues monumentales, de minuscules pièces d’orfèvrerie, des plats de terre cuite rempli s de couleurs, mais aussi des maquettes de ponts, de barrages, d’engins de guerre… et, au milieu, occupant presque toute la place, la monumentale machine volante que Léonard de Vinci mettrait au point depuis quelques années déjà.

— Ah! le maître a commencé à travailler à la Bataille d’Anghiari, s’exclama Phoenix en découvrant quelques esquisses au fusain qui traînaient sur une grossière table de bois montée sur tréteaux.

— Hein? s’étouffa Salaï, en recrachant le noyau de la prune qu’il dégustait.

« Aïe! J’ai fait une gaffe! songea Phoenix en voyant les yeux démesurément grands de Salaï. Comment expliquer que je connaisse cette œuvre alors que je n’ai jamais mis les pieds ici ni connu le maître et que, selon toute vraisemblance, le travail ne fait que commencer! » Il réfléchit très vite et lança :

— Euh, j’ai rencontré un confrère de ton maître…Michel-Ange, il y a quelque temps, et c’est lui qui m’a dit que c’était maître de Vinci qui avait eu la commande. Puis, pour éviter cette pente très glissante, il changea rapidement de sujet : As-tu retrouvé les dessins disparus? Peut-être sont-ils simplement tombés derrière des panneaux ou dissimulés sous des plans? Phoenix désigna un bahut où s’entassaient des dizaines de plans sur papier, dans un indescriptible fouillis.

— Non. J’ai regardé partout. Les dessins sont introuvables. J’ai peur que le maître ne me chasse, pleurnicha le blondinet qui, malgré ses vingt ans, avait gardé une âme de petit enfant.

— Maître de Vinci les a peut-être lui-même mis ailleurs! le rassura Phoenix en continuant d’inspecter la grande salle.

Sur une étagère empoussiérée, il remarqua des cadavres d’animaux, des chauves -souris, des serpents, des rats, des oiseaux et même un chaton conservé dans des bocaux transparents. Léonard de Vinci aimait étudier la morphologie des animaux et des hommes, et ses cahiers de notes étaient remplis de nombreux croquis. Un travail qui allait le passionner encore plus à la fin de sa vie et auquel il consacrerait la plus grande partie de son temps.

C’est alors qu’une porte dérobée que Phoenix n’avait pas remarquée s’ouvrit (elle était intégrée à une immense fresque murale). Phoenix en eut le souffle coupé. Il se trouvait devant Léonard de Vinci en personne.

« Maître de Vinci. Quelle joie! Quel bonheur! Un si grand personnage, là devant mes yeux, et en

plus je peux lui parler! Merci, SERN, mille mercis! On dit "Voir Rome et mourir", eh bien, moi, je

dis "Voir de Vinci et ne plus jamais enquêter de ma vie" … Oui bon… quand même pas! Je ne vais pas renoncer à mon travail comme ça, mais c’est tellement incroyable que jamais je n’oublierai ce moment magique! »

Le maître avait le front légèrement dégarni, mais de longs cheveux gris tombaient sur ses épaules, contrairement aux usages de l’époque, puisque les hommes avaient l’habitude de porter les cheveux courts. Il affichait également une longue barbe poivre et sel et de grandes moustaches qui s’y perdaient.

Malgré la chaleur de ce mois de juillet, le maître portait une chamarre, longue robe noire avec des fentes pour passer les mains et encadrées de fausses manches, et, sur la tête, un béret de velours noir. Il sentait la sueur, car contrairement aux hommes de son temps, Léonard de Vinci répugnait à s’imbiber de parfum.

— Salaï! explosa de Vinci d’une voix de stentor, sans même porter attention à Phœnix.

Petit Diable blêmit aussitôt. Léonard se serait-il aperçu de la disparition des esquisses? Mais le maître était à la recherche d’autre chose.

— Où as-tu encore mis mon carnet de géométrie? C’est agaçant à la fin, tu ne laisses jamais rien au même endroit!

— Maître, tous vos carnets sont déposés ici, fit Salaï en désignant un long établi longeant un mur.

— Une autre commande? s’exclama de Vinci en apercevant enfin Phœnix. Je n’ai pas le temps… pas le temps! Ses mains balayaient l’espace à grands coups de manches, soulevant de la poussière chaque fois.

Phœnix éternua.

— Non, maître! Je suis ici pour une petite enquête, balbutia Phoenix, impressionné de s’adresser directement au grand génie de la Renaissance. Le plus grand, aux yeux du jeune enquêteur. De son côté, Salaï lui jetait des regards apeurés, craignant que le capitaine ne trahisse son secret.

Léonard se détourna de Phœnix et ramassa un carnet sur l’établi que Salaï lui avait indiqué.

— Ah, le voici! Salaï, je t’interdis de toucher à mes carnets! Puis se désintéressant de l’apprenti et s’adressant directement à Phœnix : Savez-vous que la géométrie est l’art le plus important, capitaine? Mais non, vous ne savez rien de tout cela.

— La géométrie, il n’y a que cela de vrai! La peinture n’est qu’un art mineur à côté d’elle!

— Vous ne peignez plus? interrogea Phœnix, presque scandalisé.

— Parfois! reconnut le maître. Tenez, cette femme… (De Vinci désigna deux dessins sur un chevalet). J’ai fait quelques dizaines d’esquisses d’elle. Elle a souvent un petit sourire énigmatique qu’il me plaît bien de rendre sur la toile. Malheureusement, son époux est un vrai rabat-joie; il rejette mes croquis les uns après les autres… J’ai d’ailleurs décidé qu’il ne verrait plus rien jusqu’au tracé final. Phoenix allait demander ce qui ne plaisait pas à l’époux de son modèle lorsqu’il constata que Salaï reculait à pas comptés pour se réfugier dans un coin de la pièce, le plus loin possible du

maître. Le détective avait l’impression que le garçon rapetissait à vue d’œil, tellement il était inquiet que le maître découvre la disparition des dessins. Giovanni et Cosmo s’étaient mis à l’écart. Les colères du maître étaient fulgurantes et les deux je unes enfants avaient appris à s’en méfier. Mais depuis quelque temps, le courroux du maître semblait s’être porté sur Salaï.

— Salaï va encore prendre des coups de bâton, murmura Giovanni à l’intention de son petit frère.

Ces propos n’échappèrent pas à Phœnix, « Oui, songea-t-il, à cette époque, les volées de coups de bâton sont monnaie courante pour corriger les apprentis. Heureusement que cette coutume s’est perdue au fil des siècles, je n’aurais vraiment pas supporté que mes professeurs me traitent si durement. Mais pourquoi donc Léonard de Vinci bat-il son élève préféré? Ce dernier a-t-il commis d’autres larcins ou fait une quelconque erreur? Voici une autre question qu’il me faudra élucider. Il se trame des choses étranges dans l’entourage du maître. Salaï aurait-il voulu se venger de ces mauvais traitements? Et Médicis, pourquoi vient-il précisément se réfugier près de l’atelier du maître? Quant au frère de Vinci, que fait-il ici, celui-là, et justement au moment où les dessins se sont volatilisés? Voilà déjà quelques pistes à explorer. » Un remue-ménage de l’autre côté de la porte vint faire diversion et attira l’attention de chacun vers le battant qui s’entrouvrait. Une femme de grande distinction pénétra dans la pièce. Phœnix ne pouvait détacher ses yeux de son regard clair. Elle était sublime.

[…] Source : Phœnix détective du temps – Le sourire de la Joconde, Corinne De Vailly, Éditions du Trécarré, 2006, 179 p., ISBN :

9782895683124

LEONARDO

Chapitre 1

Un oiseau de mauvais augure?

Florence, Italie, 1468

Une seule question venait à l’esprit du jeune Leonardo en cet instant déterminant : combien de personnes assisteraient à ses funérailles? Chose certaine, elles seraient nombreuses. Si, pour sa part, il n’avait pas beaucoup d’amis, son père, lui n’en manquait pas. En effet, Leonardo était le fils illégitime du chancelier et ambassadeur de la République florentine. Un homme tel que Piero Antonio da Vinci était fort entouré. Le jeune homme de quinze ans en venait donc à la conclusion que, dans l’éventualité de sa mort, tout Florence pleurerait sa perte ou, du moins, ferait semblant. Toutefois, lorsqu’on

désirait vivre selon ses convictions, il fallait savoir prendre des risques. C’était pour cela que Leonardo da Vinci se trouvait au sommet de la basilique Santa Croce, en ce samedi matin pour le moins frisquet. Au loin, le soleil commençait paresseusement à se lever. Aujourd’hui, Leonardo comptait effectuer une expérience particulièrement dangereuse. L’inventeur aurait sans hésitation laissé sa place à un volontaire, mais la présente opération devait rester secrète. La raison en était bien simple : si elle venait à être découverte, personne ne le laisserait se lancer du toit de la

basilique à bord de son engin de fortune. Celui-ci avait été baptisé Aves 2, ce qui signifiait Oiseau 2 en italien. L’appareil avait été conçu dans le but ultime de voler, et Leonardo espérait ne pas avoir à construire un Aves 3 avant d’atteindre son objectif. Malheureusement, par le passé, la majeure partie de ses inventions avait connu un triste destin. Le jeune Italien n’était pas du genre à se laisser décourager et s’était donc rapidement remis à l’œuvre après la destruction du premier appareil. Après quatre mois de travail, Leonardo était sur le point de faire une nouvelle tentative.

Réussir à quitter la maison sans se faire voir puis emporter l’appareil en pièces détachées jusqu’au sommet du toit de la basilique n’avait pas été chose facile pour l’inventeur. Malgré tout, la pire étape restait à venir. Leonardo devait encore abaisser le levier qui enclencherait la descente infernale. Dès l’abaissement de ce levier, l’appareil suivrait le rail de la structure en bois que Leonardo avait érigée à même la toiture de la basilique. Cette structure était conçue pour guider l’Aves 2 dans une descente parfaitement droite. L’inclinaison abrupte du toit et le poids de l’appareil devaient permettre à celui-ci d’atteindre une vitesse adéquate avant la chute libre. Si tout se déroulait comme prévu, lorsque l’engin quitterait le toit, il entamerait un vol inoubliable au-dessus de la ville de Florence. Dans le cas contraire, la mort attendait inévitablement le passager des dizaines de mètres plus bas.

Le garçon avait choisi la basilique pour deux bonnes raisons. La première concernait bien entendu la hauteur impressionnante du bâtiment; la deuxième, mais non la moindre, avait trait à la proximité du fleuve Arno. Dans l’éventualité probable d’une quelconque anomalie durant le vol, Leonardo pouvait espérer finir sa course dans l’eau du fleuve. Cette option n’était possible que si l’appareil réussissait à franchir les deux cents mètres qui séparaient la basilique de la rive du fleuve Arno.

Texte 2

Mais avant toute chose, une dernière inspection des commandes s’imposait. Leonardo ne laissait jamais rien au hasard. C’est la raison pour laquelle l’engin volant avait été fabriqué en bois de pin parasol. L’inventeur avait choisi ce matériau pour diverses raisons, parmi lesquelles sa légèreté et sa flexibilité. L’invention ne pesait guère plus que l’adolescent lui-même.

Leonardo sortit de son havresac en daim – offert par sa grand-mère quelques années plus tôt – l’un de ses carnets de réflexion, dans lequel il avait noté les procédures à suivre avant le décollage. […]

— Aujourd’hui, Leo, tu deviendras célèbre! dit l’inventeur à voix haute.

Leonardo n’avait pas tout à fait tort quant à son affirmation. Le jeune casse-cou abaissa le levier et l’engin entama sa descente. Leonardo se mit aussitôt à pédaler. L’opération fut considérablement plus difficile que prévu. L’air imposait, au niveau des ailes, une résistance beaucoup plus forte qu’escompté. Les pédales refusèrent rapidement de fonctionner lorsque l’appareil prit de la vitesse sur le rail. L’inventeur dirigea donc toute son attention sur la manivelle de contrôle de l’aileron arrière, l’unique moyen directionnel de l’engin. L’Aves 2 se détacha du rail comme prévu. Étonnamment, l’appareil semblait voler. Leonardo poussa un cri de joie à réveiller les morts. L’engin parcourut en quelques secondes les deux cents mètres qui le séparaient de la rive. Le pilote tourna la manivelle vers la droite, forçant l’appareil à suivre la rive.

La vue aérienne de Florence était époustouflante. Au loin, environ à un kilomètre, se dressait au-dessus du fleuve l’impressionnante structure du pont Vecchio. Son reflet miroitant à la surface de l’eau était de toute beauté. La construction de pierre datant de plus de cent- vingt ans ne servait pas uniquement à la traversée du fleuve. Le pont comportait plusieurs étages dans lesquels on trouvait toutes sortes de boutiques : il y avait des tanneurs, des bouchers ainsi que de nombreux tripiers. L’odeur qui régnait sur les lieux n’était pas très invitante. L’Aves 2 se tenait à une hauteur d’environ cinquante mètres; toutefois, cette altitude se réduisait chaque seconde. Malgré les apparences, l’appareil ne volait pas : il se contentait de planer. La différence était bien distincte. S’il avait volé, il n’aurait pas été condamné à l’écrasement quelques minutes à peine après son décollage. L’appareil fit un survol rapproché du pont Vecchio. Selon les estimations du pilote, l’appareil avait maintenant parcouru environ un kilomètre. En jetant un œil rapide au sol, Leonardo se rendit compte que sa présence dans les airs n’était pas passée inaperçue. Les regards se tournaient vers le bolide avec surprise et incompréhension. À ce moment glorieux, un bruit inquiétant détourna l’attention de Leonardo. La toile de l’aile gauche venait de se déchirer et l’air qui la traversait agrandissait la faille à vue d’œil. Les choses n’auraient pas été si critiques si l’engin avait maintenu sa position au-dessus du fleuve. Toutefois, la déficience de l’aile causait une inclinaison vers la gauche. De ce fait, l’Aves 2 se dirigeait à toute vitesse en plein centre du quartier de l’Oltrarno. Le seul choix qui s’offrait au pilote était sans nul doute un atterrissage forcé dans la cour de la basilique Santo Spirito. C’était l’endroit le plus dégagé des environs. Malgré sa prévoyance habituelle, Leonardo n’avait guère songé à l’atterrissage, car son but avait toujours été de finir sa course dans le fleuve Arno. Il n’avait jamais imaginé devoir se poser au beau milieu d’un quartier de Florence. Il tourna donc la manivelle dans la position qu’il jugea adéquate. Quand l’engin piqua du nez, le pilote fit une dernière prière… […] Leonardo fonçait toujours droit vers la basilique à bord de sa dangereuse invention. Une fraction de seconde avant de heurter un obstacle, Leonardo entrevit plusieurs prêtres qui l’observaient avec frayeur. L’engin volant explosa littéralement en heurtant la sculpture de marbre qui se

dressait sur son chemin. Par chance, Leonardo fut projeté hors de l’appareil et termina se course en roulant dans la pelouse. Un cri d’horreur se fit aussitôt entendre, provenant de la bouche du père de Médicis, suivi de près par des déclarations peu catholiques. L’inventeur se leva et jeta un œil en direction du lieu de l’écrasement. Il ne restait plus grand-chose de son bolide ainsi que de la sculpture qui avait trôné là quelques secondes plus tôt. Leonardo n’y était pour rien; après tout, cette œuvre n’était pas là auparavant. Le garçon ramassa son béret de velours vert olive qui gisait sur le sol. Après une inspection rapide, il constata qu’il avait déchiré ses chausses – une sorte de paire de collants commune au style vestimentaire florentin. L’atterrissage s’était donc plutôt bien déroulé, car Leonardo s’en sortait sans aucune blessure sérieuse.

Un vieil homme chauve vêtu d’une longue tunique noire approchait, armé d’un regard fulminant.

— Pardonnez-moi pour toute cette agitation, père de Médicis, lança Leonardo.

Puis il tourna les talons avec la ferme intention de fuir l’endroit au plus vite, car l’ecclésiastique était une vieille et déplaisante

connaissance. Mais la tentative de fuite du jeune homme fut vaine, car les ouvriers qui avaient installé la sculpture s’emparèrent de lui.

— Pas si vite, p’tit morveux! éclata l’un d’eux, dont Leonardo trouva l’haleine affreusement forte. Les ouvriers qui étaient tous pour le moins crasseux agrippèrent fermement le vandale tombé du ciel. Le père de Médicis, dans une rage exponentielle, rejoignit le groupe.

— Leonardo, aboya-t-il férocement, une fois encore vous avez démoli une œuvre inestimable d’un maître florentin!

— Toujours les grands mots, mon père, déclara Leonardo avec un léger sourire. De qui était cette sculpture?

— Donatello! rugit le père de Médicis.

Leonardo blanchit d’un seul coup. Cette fois, il n’avait pas fait les choses à moitié. […]

— J’ai toujours affirmé que je ne serais reconnu pour mon talent qu’après ma mort, souffla Leonardo en détournant les yeux de façon méprisante.

— Continuez de la même manière et cela pourrait bien arriver plus tôt que prévu! énonça froidement le dirigeant de la basilique.

— Voulez-vous dire que je pourrais être reconnu de mon vivant? demanda Leonardo en simulant la surprise. Je suis vraiment flatté par la considération que vous m’accordez.

[…] Source : Leonardo: l'atelier du grand Verrocchio - Tome 1, Matthieu Legault, Les éditeurs réunis, 2011, 251 p., ISBN : 2895850895.

Texte 3

EXTRAIT DE LA BIOGRAPHIE DE LÉONARD DE VINCI

Peintre, inventeur, ingénieur, scientifique, humaniste, philosophe, il est pour beaucoup un esprit universel, qui fascine encore cinq cents ans plus tard. Au passage du quinzième siècle au seizième, il illustre, et parfois incarne, la Renaissance, avec ses avancées dans le domaine artistique mais aussi dans les sciences et, avant tout, dans l'approche scientifique.

Leonardo di ser Piero, dit Leonardo da Vinci (Léonard de Vinci pour les francophones), naît le 15 avril 1452 à Vinci, petite ville de Toscane proche de Florence, des amours illégitimes d'un notaire, ser Piero, et d'une paysanne. Après une éducation scolaire diversifiée, il commence sa vie d'adulte comme peintre dans un atelier florentin de grande renommée, celui de Verrochio.

Le sourire de La Joconde, cinq siècles plus tard, émerveille toujours l'amateur et interroge l'expert. (Domaine public)

Après être passé par Milan et Venise, dans les années 1500, il est de retour à Florence et participe à des travaux d'hydraulique. Mais la peinture est toujours au centre de son œuvre et c'est en 1503 qu'il entame le Portrait de Mona Lisa, qui deviendra La Joconde, un tableau qui ne le quittera jamais. Au même moment, il se lance dans la réalisation d'une gigantesque fresque murale,

La bataille d'Anghiari, au Palazzo Vecchio, en face de celle commandée à Michel-Ange. L'œuvre restera inachevée, peut-être à cause d'un procédé de séchage un peu trop innovant, qui a dégradé la peinture. La fresque sera recouverte par une autre et se trouve peut-être encore aujourd'hui derrière un mur, actuellement recouvert par une autre fresque, de Giorgio Vasari.

À cette époque, Léonard est féru de sciences. Il étudie les mathématiques, l'anatomie animale et humaine, ainsi que le vol des oiseaux.

Dans toutes ces études, Léonard de Vinci suit une méthode rationnelle, rigoureuse, fondée sur l'observation. Infatigable et éclectique, il dessine, comme en témoignent les documents parvenus jusqu'à nous, à peu près tout ce qu'il rencontre, humains, animaux, plantes, mécanismes... Il a le rare privilège d'avoir accès à des cadavres humains, dont il étudie minutieusement l'anatomie interne. En géométrie, il explore des formes nouvelles. Son dessin du rhombicuboctaèdre est devenu célèbre.

Source: http://www.futura-sciences.com/magazines/high-tech/infos/personnalites/d/high-tech-leonard-vinci-210

Texte 3

LA JOCONDE ET SES MYSTÈRES

Le Point.fr - Publié le 20/08/2011 à 16:53 - Modifié le 20/08/2011 à 19:49

Le tableau de Léonard de Vinci continue d'aiguiser les curiosités de tous. Florilège.

La Joconde a été volée le 21 août 1911 par un ouvrier italien, Vincenzo Perugia. © Pascal Cotte / Sipa PAR MARION COCQUET

Combien de vols ?

Celui-là seul pouvait prétendre au titre de vol du siècle. Le 21 août 1911, un ouvrier italien, Vincenzo Perugia, pénètre dans le musée, soulève la vitrine qui protège depuis peu l'œuvre (et qu'il a contribué lui-même à poser), la décroche, se débarrasse du cadre et rentre chez lui le panneau sous le bras. Le vol est constaté plusieurs heures plus tard. "La police suit deux mille pistes différentes, certaines pendant quelques heures, d'autres pendant quelques jours", raconte Jérôme Coignard, auteur d' Une femme disparaît, en vain. Ce n'est qu'en 1913, lorsque le voleur essaiera de vendre l'oeuvre à Florence, qu'on en retrouvera la trace. Jugé en Italie, Perugia avance, pour sa défense, l'argument du geste patriotique : il voulait "rendre" la Joconde à son pays d'origine.

Combien de gardes du corps ?

L'épaisse vitrine qui abrite la Joconde est la zone la plus surveillée du musée, et le tableau, le mieux protégé de tous : il vit sous le regard permanent d'une demi-douzaine de personnes, qui se relaient dans la salle et devant les terminaux des caméras de surveillance. S'y ajoutent les conservateurs et le personnel du service scientifique qui, une fois par an, le décrochent pour l'examiner et vérifient que son caisson l'isole des vibrations, des variations d'humidité et des changements de température.

Combien de coups de pinceau ?

Le mystère de la Joconde n'est pas tout entier dans son sourire et dans la technique picturale de Léonard qui aiguise les curiosités. En 2005, une étude canadienne montrait l'extrême uniformité de la couche de pigments, indiquant qu'aucun coup de pinceau n'y était perceptible. Trois ans plus tard, l'énigme "sfumato", par laquelle Léonard estompait les contours, est percée : une équipe de

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scientifiques réussit, en recourant à une caméra multispectrale, à montrer l'existence d'un glacis, inventé à l'époque par les peintres flamands, et fait d'une superposition de couches de terre d'ombre, une ocre contenant un peu de manganèse. Selon cette même étude, la seconde couche serait faite d'un mélange de vermillon et de blanc de plomb.

Combien d'interventions ?

Rendre au ciel sa couleur bleue, redonner de l'éclat aux manches de la robe, à la carnation du visage et des mains : l'idée d'une restauration du tableau a parfois été avancée, mais la subtilité des superpositions de couches qui en font la beauté rend l'opération périlleuse. Le tableau porte cependant, sur son revers, deux marques importantes d'intervention : en 1951, le panneau a été doté d'un châssis en chêne, et une fente de 11 centimètres a été stabilisée, par le passé, au moyen de deux papillons à queue d'aronde, dont l'un a ensuite disparu.

Combien d'identités ?

Sur la foi du peintre renaissant Giorgio Vasari, qui a décrit l'oeuvre, on a longtemps identifié dans le modèle de Léonard de Vinci Lisa Del Giocondo (Gherardini), femme d'un riche marchand de Florence. Mais de nombreuses autres hypothèses ont été (et continuent d'être) formulées : Isabelle d'Este, Catherine Sforza, une maîtresse de Julien de Médicis, la mère du peintre... Il a même été avancé que le portrait pouvait être celui d'un homme : un autoportrait, ou une représentation de Salai, le jeune apprenti de Léonard dont il aurait été l'amant. La jeune femme pourrait aussi b ien être une femme idéale, "heureuse", comme le mot de "gioconda" le laisse également entendre. Du moins le modèle a-t-il toutes chances d'être florentin.

Combien de travestissements ?

Le premier détournement célèbre du tableau de Léonard est dû à Marcel Duchamp, qui l'affuble de moustaches et lui donne l'allographe de L.H.O.O.Q. Les artistes qui l'ont reprise, fêtée ou travestie sont légion, de Basquiat à Botero, en passant par Dali ou encore Fernand Léger. Warhol la comparait à la bouteille de Coca, non sans raison : dans l'univers marketing, Mona Lisa explose tous les records. Elle se décline en tout, partout et tout le temps, sur des mugs, des tee-shirts, des timbres, des coussins et des chocolats. Signe universel, et universellement opérant.

Autoportrait de Dali en Joconde, 1954

La Joconde aux clés, Fernand Léger, 1930

La Joconde, par Lego Mona Lisa à l’âge de 12 ans, Fernando Botero, 1954

J’M’ENNUIE TOUTE SEULE DANS MON TABLEAU

C hanson d’AMÉLI E MOR I N , 1984

J'm'ennuie toute seule, dans mon tableau Sous les spotlights je crève de chaud J'me sens comme une plante verte en pot : Y'a cinq cent ans que j'fais mon show Pourtant depuis y'a la photo Le cinéma, la vidéo…

Refrain:

Je m'demande pourquoi

On fantasme sur moi À quoi ça tient, un coup de pinceau Je me demande pourquoi…

J'm'ennuie toute seule, dans mon tableau, Le Maître était un beau salaud : Il aurait pû me faire cadeau D'un Méphisto, d'un angelot La nuit je pleure dans les couloirs Ma peinture craque dans le noir

Refrain : Je m'demande pourquoi On fantasme sur moi À quoi ça tient, un coup de pinceau Je me demande pourquoi…

J'm'ennuie toute seule, dans mon tableau On prend mon sourire en photo On me copie chez les escrocs On me revend sous le manteau Je voyage de Londres à Tokyo, On distingue plus le vrai du faux Pourtant depuis y'a la photo Le cinéma, la vidéo…

Refrain : Je m'demande pourquoi On fantasme sur moi À quoi ça tient, un coup de pinceau Je me demande pourquoi…

J’m'ennuie toute seule, dans mon tableau J'm'ennuie toute seule, dans mon tableau J'm'ennuie toute seule, dans mon tableau…

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