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Le Soufisme, une voie pour l’Esprit Le Soufisme peut être défini comme l’appréhension spirituelle, voire mystique, du texte coranique. Il est avant tout une expérience qui relève d’un monde personnel très particulier. Des soufis ont tenté de décrire ce qu’ils éprouvaient lors de leur approche de Dieu, et il faut admettre que la lecture de ces textes nous fait prendre conscience de la difficulté, voire de l’impossibilité d’exprimer en termes de conscience une expérience qui ne relève pas de la conscience. Cet intérêt pour le Soufisme est aussi déterminé par sa présence dans l’Histoire du monde musulman car il est impossible de passer sous silence le rôle et l’impact de la religion dans le quotidien, dans le politique, et à ce titre, les Soufis, surtout lorsqu’ils sont regroupés en confréries, ont joué un rôle fondamental dans cette Histoire. Il faut rappeler, à titre d’exemple, que l’homme qui a symbolisé l’opposition à la conquête française en Algérie, Abdelqader, était soufi, et que, à l’heure actuelle, la contestation politique dans certains pays musulmans est menée par des Soufis. Qui plus est, le monde arabe tel qu’il est présenté par les médias, compte tenu des événements récents que nous connaissons, n’a pas une image particulièrement positive, et peut être serait-il bon d’en montrer un aspect peu connu du monde occidental. Définitions : Beaucoup d’auteurs utilisent à propos du mot soufisme, le terme de mystique musulmane. Cela est un peu gênant car le mot mystique renvoie à une réalité occidentale très connotée. On pense alors à la vie et aux textes de Saint Jean de la Croix, Sainte Thérèse d’Avila, Maître Eckart etc. On imagine les mystiques dans leur couvent, vivant une vie ascétique, remplie de prières et d’oraisons, dans la chasteté la plus totale, au sein de leur communauté. Telle est la vision classique du mystique que l’homme d’occident a gravé dans son imaginaire. Rien de comparable dans l’ISLAM, et ce pour des raisons historiques, mais aussi religieuses. Le Soufi est un homme comme les autres, qui vit dans la communauté musulmane, avec son travail, sa femme, ses enfants. Aucune marque extérieure ne le distingue des autres… Etant musulman avant tout, il se doit d’assumer la place que Dieu lui a assignée sur terre, et de mettre au service de la communauté musulmane dans laquelle il vit les qualités qui sont les siennes. D’autre part, il ne faut pas confondre l’ascèse morale avec la vie mystique. Si le mystique va vivre selon les exigences de la voie qu’il a choisie, le croyant pieux et zélé, qui pratique une certaine ascèse, peut lui aussi, à propos de certains textes, donner la primauté à l’esprit sur la lettre, mais cela ne fait pas de lui obligatoirement un mystique. Revenons rapidement sur les fondements de l’Islam, contenus dans le CORAN, car la psalmodie du CORAN est un acte que va accomplir le soufi. Le CORAN

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Il fut révélé progressivement au prophète MOHAMMED. Né aux environs de 570, Mohammed fut élevé par son oncle avec son cousin ALI. Ali et Mohammed vont grandir ensemble, et Ali épousera plus tard Fatima, une des filles du prophète. Très jeune, Mohammed fut engagé par une riche veuve de la Mecque, Khadija, pour diriger ses caravanes. Il faut se souvenir que, à cette époque, La Mecque était déjà un haut lieu de pèlerinage, car les caravanes avaient l’habitude de s’y arrêter lors des jours de marché et des foires annuelles qui s’y tenaient. Les caravanes constituaient la principale ressource des gens, mais elles constituaient aussi une proie pour les tribus ennemies. Lors des foires, une trêve était instituée pour permettre à tous de s’y rendre. Trois déesses soumises à un Dieu appelé Allah étaient l’objet d’un culte de la part des Bédouins. Mohammed épousa Khadija à 23 ans, et devint ainsi riche et considéré. C’est à partir de la quarantaine que la révélation lui fut apportée par l’ange Gabriel, qui lui donna l’ordre de prêcher la nouvelle religion. Précisons que pour la tradition musulmane, Mohammed était illettré. En effet il était nécessaire que son esprit fût vierge de toute connaissance pour transmettre le message divin dans sa pureté et son originalité. La prédication de Mohammed se heurta à de nombreux obstacles, et fut même rejetée car son message allait à l’encontre des croyances et des intérêts de la société dans laquelle il vivait. En effet, il mettait l’accent sur une plus grande générosité à l’égard des pauvres. La solidarité entre les tribus devait céder la place à une communauté de croyants tous égaux devant un Dieu Unique. Les idoles devaient donc disparaître, ce qui compromettait les revenus des pèlerinages. Qui plus est, il interdisait tout affrontement entre musulmans, ce qui supprimait les ressources rapportées par les razzias... L’hostilité à son égard devint de plus en plus grande, voire dangereuse, ce d’autant qu’il perdit en 619 sa femme et son plus fidèle allié, son oncle Abu Talib. Il quitta La Mecque en 622, pour s’installer dans l’oasis de Yathrib. Celle-ci devint « La ville du Prophète » , « Madinat en nabi « en arabe, ce qui fait que toutes les villes du monde arabe ont une « médina « , en fait la ville ancienne. Cet exil, en arabe « Hijra « , marque l’an 1 de l’Hégire. Mohammed organisa une nouvelle société centrée sur la notion de « Oumma » ou communauté des croyants, qui coiffe tribus et clans et en abolit toutes les traditions antérieures. Seuls les impératifs de l’Islam devront être appliqués. En 624, il décida que la direction de la prière serait La Mecque et non plus Jérusalem. De même les razzias - aspect du « djihad » (guerre sainte contre les ennemis d’Allah) - auront pour cibles uniquement les tribus non musulmanes, et les infidèles. En 632 il rentre en vainqueur à La Mecque, où il meurt en juin de la même année. C’est donc la parole de DIEU qui s’exprime, dans le CORAN, à travers 114 sourates, totalisant 6211 versets. Elles furent consignées sous le règne du 3e calife, OTHMAN, qui voulut établir un corpus définitif. On peut regretter que ce ne soit pas l’ordre chronologique qui ait été choisi, car on distingue une évolution dans le message, certains versets en annulant d’autres, et l’orientation allant vers un durcissement des préceptes moraux. Le CORAN rétablit dans sa pureté originelle le message de Dieu - toujours le même depuis Abraham - lequel message fut d’abord envoyé aux Juifs, puis aux Chrétiens. Mais Juifs et Chrétiens l’ont faussé et falsifié. Il fallait donc qu’il fût donné aux hommes une dernière fois. MOHAMMED est l’ultime prophète envoyé au monde. Il scelle la prophétie et ne peut avoir de successeur. L’Islam est ainsi la meilleure des religions puisqu’elle parachève et précise d’une façon définitive toutes celles qui l’ont précédée.

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Cela explique que toute apostasie d’un musulman représente une régression, une insulte à Dieu et elle doit être punie de la peine de mort. Pour la même raison, les pays musulmans ont refusé de signer le préambule de la charte des Nations Unies qui fait de la liberté de conscience un droit imprescriptible. Un musulman ne peut pas- officiellement- changer de religion. L’Islam, qui signifie se confier à Dieu, s’abandonner à sa volonté, possède un Credo très simple, résumé dans la profession de foi : la Shahada du verbe Shuhud : témoigner, attester. « La Illaha illa Allah oua Mohammed rassul Allah « « Il n’y a pas d’autre divinité que Dieu, et Mohammed est son prophète « . Pour l’Islam, il n’y a ni incarnation, ni trinité, ni rédemption. La notion de péché originel n’existe pas : le Christ n’est donc pas mort sur la croix pour le rachat des hommes. La création est bonne, et l’homme doit jouir, sans excès, des ressources que Dieu lui octroie. La mort, ressortissant du décret divin doit être acceptée sans révolte car la Résurrection précédera l’entrée des croyants au Paradis. Etre musulman consiste donc à vivre en conformité avec la Loi, que ses prescriptions soient religieuses ou sociales. En effet, l’Islam a cette particularité d’englober autant le spirituel que le temporel. Tout acte, quel qu’il soit, a une double résonance. Vis-à-vis de Dieu certes, mais aussi vis-à-vis des êtres humains. Les Piliers de l’Islam sont au nombre de cinq : 1- la « shahada « ou profession de foi 2- la prière. Il y en a cinq par jour. 3- la « zakat » ou aumône légale. 4- le « ramadan » qui est un jeûne diurne, durant le 9e mois de l’année musulmane. 5- le pèlerinage à la Mecque. Il semble donc que cette religion soit relativement simple si l’on s’en tient à ses aspects formels. Mohammed est un annonciateur, un homme comme les autres. Il veut ramener ses compatriotes au vrai Dieu, dans un contexte polythéiste, et leur apporter la LOI, la « Charia « qui n’est que l’expression de la volonté divine. Cette loi régit tous les actes du musulman, et s’y conformer suffit à assurer le bonheur ici-bas, et dans l’au-delà. L’Islam est présenté comme une religion du juste milieu, sans matérialisme mais sans angélisme. Etre musulman c’est s’en remettre à Dieu, donc obéir à sa loi, et non avoir une vie d’amour avec lui, ce que demanderont certains soufis. Il faut bien comprendre que ce qui caractérise l’Islam, par rapport au Christianisme par exemple c’est l’absolue transcendance de Dieu, l’absence de tout intermédiaire entre le croyant et lui. Aucun intercesseur n’est admis. Dieu ne possède aucun attribut visible, et les mots qui pourraient être perçus comme de l’anthropomorphisme ont très vite été interprétés symboliquement (Dieu est assis sur un trône, il voit, et il a des mains). Il n’y a rien de comparable à la souffrance de la vierge devant le supplice de Jésus Christ. D’ailleurs dans le CORAN il est dit - c’est DIEU qui parle - que le Christ n’a pas été crucifié. Aucune effusion n’est possible dans une mosquée.

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Rien sur les murs, en dehors de phrases tirées du Coran ou la calligraphie des différents noms de Dieu. Il y a une volonté de nudité, qui très vite, va être perçue comme de la sécheresse et provoquer divers mouvements au sein de l’Islam, dont le Soufisme. Il faut aussi se souvenir que l’Islam est une religion sans église organisée, sans hiérarchie, sans Pape pour dire la norme. N’oublions pas aussi les divergences d’école entre Sunnites et Chiites. Le Sunnisme réunit la majorité des musulmans, dont les bases religieuses sont le CORAN, complété par la SUNNA qui regroupe tous les faits et gestes du prophète, considéré comme l’archétype de l’Homme Parfait. L’imiter constitue donc la garantie d’une vie parfaite. Le Chiisme regroupe sont ceux qui ont préféré suivre Ali, gendre du Prophète car il avait épousé sa fille Fatima. Lors de la scission avec les Sunnites à l’occasion d’un arbitrage, les partisans de Ali et leurs successeurs ont prétendu que la « Baraka « du Prophète ne s’était pas éteinte avec sa mort, mais se perpétuait par sa descendance. Le message de Dieu perdure et s’actualise à travers les Imams, dont le premier est Ali. Ce sont des « Ayat Allah « (Ayatollah), des signes de Dieu. Ils sont des médiateurs entre Dieu et les hommes, et il faut reconnaître que leur influence fut grande dans l’exégèse du texte coranique. Contrairement aux Sunnites, les Chiites possèdent un clergé très bien structuré, encadrant la population, ce qui peut explique certains événements qui se sont produits dans des pays comme l’Iran. Ajoutons un dernier aspect du chiisme. Ce fut, lors des débuts de l’Islam, le courant adopté par les musulmans d’origine non arabe (essentiellement les Persans). Pour préparer les gens à la vie future, il faut commencer par organiser la vie ici-bas, et c’est le rôle de la Charia, dont l’application relève du gouvernement, c’est à dire du Sultan, ou du Roi, ou du Président. Il est aidé en cela par des « Oulémas « qui sont des spécialistes de la religion, car en ISLAM, on ne rend pas à César ce qui est à César, car tout est à Dieu. DIN WA DOULA. Régir la cité, ses affaires, organiser ses ressources, c’est prier. Pour peu que l’on s’éloigne de cette doctrine, et si la vie de la cité est perturbée, ce ne peut être que le résultat de la non application de la Charia, dont le respect sera exigé par les fondamentalistes, et autres intégristes. Prétendre interpréter la parole divine est donc une activité à hauts risques, proche du blasphème, car quel est l’homme assez prétentieux pour vouloir interpréter la parole de Dieu ? Dans le contexte d’une communauté en voie de formation, en butte à de nombreux ennemis, toute mise en cause de l’orthodoxie fut énergiquement combattue, car l’Islam était le ciment de cette nouvelle union des croyants. Le soufisme reste donc un « épiphénomène « dans le courant de l’Islam. Ce dernier finira par l’accepter, mais à contre cour, et ne lui donnera jamais la première place. Le SOUFISME : Vient du mot « sof « qui signifie la laine dont été confectionné le vêtement de ces soufis, ce qui était pour eux une façon de réagir contre le luxe ostentatoire des dirigeants. Plus profondément, le soufisme est né d’une réaction contre le formalisme et la dogmatique des tenants de l’orthodoxie, mais aussi contre la conduite répréhensible des chefs. Cela amènera les premiers soufis à être persécutés, emprisonnés et souvent exécutés, dans la mesure où leur comportement risquait de perturber l’ordre public.

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Pour lutter contre l’aspect sclérosé, obtus et desséché d’une religion dont les représentants officiels privilégiaient la lettre sur l’esprit, les soufis vont opposer à l’interprétation littérale et extérieure du texte - le zahir - une interprétation plus intérieure, mettant l’accent sur le sens caché - le batin. Ce sens caché doit être dévoilé - il y a de nombreux voiles- non par l’intelligence pure et le mental, mais par une approche sensible du texte, qui doit parler avant tout au COEUR. Dans le CORAN, il est dit à propos des incrédules (sourate 22, verset 46) : « Ce ne sont pas les regards qui sont aveugles, mais les coeurs qui sont dans les poitrines « et le prophète Mohammed répondra lorsqu’on lui demandera s’il a vu Dieu : « Oui, avec mon coeur « . C’est grâce à ce coeur que les voiles qui cachent la Réalité Ultime, la Haqiqa, seront ôtés, un par un, au cours d’un voyage spirituel, qui devrait amener le soufi, le dernier voile disparu, à contempler Dieu, voire s’anéantir pour se fondre en lui. Toutefois, sans pour autant avoir une vision mystique du texte coranique, les soufis, et d’autres religieux, vont interpréter les textes, dans un sens où l’esprit domine la lettre. Exemple : C’est ainsi que la sourate IX, est une sourate qui a fait couler beaucoup d’encre. D’une part bien qu’elle soit la 9e dans l’ordre coranique, elle est en fait la dernière qui a été révélée au Prophète, à un moment de sa vie où il était chef religieux mais aussi politique. Cette sourate - parole de Dieu - enjoint aux croyants de tuer tous ceux qui refusent de devenir musulmans (exception faite des juifs et des chrétiens) « Combattez les idolâtres totalement « Combattez les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition et que la religion soit toute à Dieu. » Le soufi va interpréter ces phrases comme appelant à lutter contre nos mauvaises tendances jugées inférieures, nos passions, nos instincts et c’est cela qui sera le vrai, le grand Jihad.Ce terme, qui a fait couler beaucoup d’encre, connote l’idée d’un effort. Cet effort peut avoir pour but la lutte contre l’infidèle, pour défendre l’Islam si celui-ci est attaqué, et le Jihad sera synonyme de guerre sainte.Mais, pour les soufis, et de nombreux musulmans, le grand Jihad sera l’effort que le musulman entreprendra contre ses penchants, ses désirs, ses tentations. C’est donc le coeur qui va être le siège de cette perception de la religion, et c’est sur le coeur qu’il faut agir pour y arriver. Cette interprétation mystique de L’Islam a des origines nombreuses et controversées. Certains chercheurs ont mis en avant l’exemple des pères chrétiens du désert, d’autres des éléments hindouistes, car il est vrai que lors de la conquête les troupes musulmanes sont entrées en contact avec cette religion. Certains ont même établi un parallèle entre les techniques du Yoga et celles utilisées par les soufis. Ce qui est beaucoup plus certain, car là les textes existent, c’est la très nette influence des religions persanes sur les soufis musulmans de l’Iran, et le plus célèbre d’entre eux Sohrawardi. Cela n’a rien d’étonnant, car cette nouvelle religion, lorsqu’elle était adoptée par des gens qui n’étaient pas arabes, était perçue à travers leur culture, leurs grilles de lecture, leurs schémas intellectuels et leur langue. Et il ne fait aucun doute que, tant l’Islam que le Soufisme ont été informés (au sens étymologique du terme) par le contexte culturel du pays.

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A cela il faut ajouter que le CORAN possède des éléments ascétiques et mystiques. L’accent est souvent mis sur la pauvreté, la justice et la charité, et des mots comme ceux de lumière, de feu, et d’oiseau seront des supports de méditation pour les soufis. Il est souvent mentionné que la vie de ce monde n’est que de l’eau qui coule, alors que seul Dieu demeure. Cette permanence de Dieu, face à l’impermanence de l’être humain, est au cour de la tentative du soufi, qui voudra se perdre en Dieu. « En vérité nous sommes à Dieu et en vérité nous retournons à lui « (2-156) « N’est-ce pas à Allah que toute chose retournera ? « (10-56) « Et vous serez ramenés à LUI « (11-123) « O Toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée ! Entre parmi Mes serviteurs ! Entre dans mon paradis ! « (89- 27/30) Le SOUFI, comme tout bon musulman se doit de respecter la CHARIA, même s’il doit ensuite, en dépasser le sens littéral pour donner la priorité à l’esprit. Ce mot signifie le chemin qu’empruntaient les bêtes qui rentraient des pâturages pour se rendre à l’abreuvoir. On voit très bien ici le symbole. La Charia, si on la suit, sans le moinde écart, va mener à l’eau, source de vie dans le désert, c’est-à-dire la parole divine. Mais tout en respectant scrupuleusement les obligations prescrites, pour être tout simplement un musulman qui obéit aux prescriptions divines, le soufi va s’engager sur une Voie, qui porte le nom de Tariqa (tariq : la rue), que les soufis disent être une voie d’amour, et qui doit leur permettre de réaliser l’Unité à laquelle ils aspirent. Cette aspiration part de l’idée, vécue ou non, que l’âme, en s’incarnant, descend du monde de la lumière dans celui des ténèbres. En descendant dans ce corps chargé de désirs, de passions plus ou moins louables, cette âme s’alourdit, elle devient dense et opaque. Il lui est donc difficile de se détacher de sa glaise, et elle souffre car elle aspire à retourner au lieu d’où elle est partie. Et lorsque le croyant prend conscience du côté illusoire de la vie et qu’il aspire à retourner à la lumière de l’unité, c’est à ce moment que se situe l’éveil. Cette prise de conscience peut se produire à différents moments, et dans diverses circonstances (souffrance, maladie, mort, etc..). Il va s’adresser à un maître spirituel, un cheikh dont le but est de l’amener à la purification de son âme, à travers une série de stations, que l’on appelle des « Maqamat », et à chaque station correspond un état psychique, ou « ahwal « . Au bout de ce voyage spirituel, le soufi atteint le moyeu de la roue, qui est fixe, et qui représente DIEU, la Haqiqa (la réalité). A ce stade, le « moi « disparaît « fana « pour rester en Dieu, c’est l’état de « baqa « celui de la pérennité. La contingence s’annihile dans l’Etre qui est la seule réalité. La TARIQA Le disciple est donc rentré dans un ordre de soufis, dirigé par un maître, le morchid, et ce maître va le conduire d’étape en étape au but qu’il désire. Il va passer par trois stades a - novice, c’est le mourid b - progressant, c’est le salik c - parfait, c’est le kamil ou muhaqqiq

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Cette progression peut s’étaler sur une vie entière. Les « maqamats « sont - en général - au nombre de sept : 1 - le repentir ou « tawba « 2 - le scrupule de conscience ou « wara’ « 3 - le renoncement aux biens de ce monde, même légitimes ou « zuhd « (ascèse) 4 - la pauvreté ou « faqr « (conséquence de la précédente. Mais certains ordres refusent la mendicité). 5 - supporter l’adversité ou « sabr « 6 - confiance en Dieu ou « tawakkul « 7 - l’agrément donné à tout ce qui arrive. Ce n’est plus seulement l’acceptation de l’adversité, mais dire que tout ce qui arrive est bien, bénéfique, car voulu par Dieu. Toutes ces étapes peuvent durer un temps plus ou moins long et seul le chef de l’ordre soufi peut décider du moment où va commencer l’étape suivante. C’est tout un travail de perfectionnement sous la direction du maître spirituel. Le novice doit être formé à l’humilité, au remords de ses fautes, à faire silence, à jeûner. C’est ainsi que dans certaines confréries soufies, dont celle des derviches tourneurs, on donnait au novice, afin de le mortifier et de le tester, un travail fatigant ou rebutant : balayer le plancher, nettoyer les latrines, réparer les chaussures etc. et cela durant sa « retraite « . En effet, certaines confréries imposent des moments de retraite à leurs novices, retraites qui peuvent durer quarante jours. Il couche sans matelas, ni couverture, et s’il fait froid il a seulement le droit de ne pas se déshabiller..Les repas sont pris en commun, et sont très frugaux. Certains ordres vont même jusqu’à exiger de leurs adeptes une position inconfortable pour qu’ils n’aient qu’une envie, quitter la table le plus vite possible. Entre le maître et le novice vont se tisser des liens très étroits, car ce maître n’est pas ce que l’on appelait à une époque en France un « directeur de conscience « . Il n’est pas là uniquement pour enseigner une méthode, conformément aux aptitudes d’hommes aspirant à une vie spirituelle. Il est aussi le transmetteur d’une Initiation, au sens fort du terme, d’une influence spirituelle dont il est le dépositaire, car il est un élément d’une chaîne qui remonte au prophète, et il va transmettre cet influx divin, ce don que l’on appelle la « baraka « . Ce rite d’initiation est symbolisé par la remise au novice d’un manteau, et cela n’est pas sans faire penser à la prise de froc d’un moine. ou à d’autres rites initiatiques. Un dicton dit que le novice doit être dans les mains de son maître comme le mort dans les mains du laveur. Cela va induire une notion de fraternité entre tous les novices, fraternité indivisible due à des liens spirituels qui sont peut-être plus puissants que ceux du sang, tous ces hommes étant unis dans le même amour de Dieu, et au sein d’une Tariqa (ordre ou confrérie) ce sont les notions d’humanité, de fraternité, d’humilité et surtout de Tolérance qui vont prédominer.. mais aussi dans la vie quotidienne. Il faut insister sur cette notion de tolérance, car l’intolérance est le reproche le plus souvent entendu à propos de l’Islam. Cela est normal car, pour un musulman orthodoxe qui a été élevé dans l’idée de la supériorité indéniable de sa religion sur les autres - elle EST la parole de Dieu qui annule toutes les religions précédentes - le prosélytisme est une attitude logique et morale. Pour un soufi, la vision est différente. Tous les soufis, de par l’intériorisation de leur foi, ont parfaitement compris que si les religions sont différentes, elles ont toutes le même but, et c’est cela qui compte. Peu importe le sentier suivi si c’est pour se diriger vers le même sommet. Cette

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attitude leur a souvent valu la colère et les critiques des tenants de l’orthodoxie, comme Ibn Tammiya, au 14è siècle. Le novice, avec l’aide de son maître spirituel va donc tenter, à travers toutes les étapes mentionnées, qui constituent une ascèse, de parvenir à la Haqiqa. Une image très fréquente dans la pensée soufie est celle du miroir, opaque et terni au début et que ces étapes vont peu à peu nettoyer jusqu’à ce qu’il soit net, exempt de toute souillure. Le coeur - car c’est lui le miroir, et non le mental - pourra alors refléter l’image de Dieu. Il est évident que cette netteté représente l’intégrité morale. Le travail principal auquel les soufis doivent s’astreindre a lieu lors de séances de méditation durant lesquelles le murid ou novice va apprendre les techniques nécessaires pour atteindre l’état d’union à Dieu auquel il aspire. La plus importante, et qui existe dans tous les ordres soufis, est le DHIKR, c’est à dire la répétition incessante de la moitié de la chahada, ou du mot Allah. Le DHIKR C’est la reprise de la même phrase, véritable mantra des musulmans, qui se termine par celle du nom d’Allah, puis de Huwa (LUI), pour s’anéantir dans la simple émission du souffle. Il ne faut pas oublier que le monde fut créé par le souffle de Dieu, c’est à dire par un acte unique. Kun. fa Yakun. Sois... et il fut Le Dhikr, « re-citation « réactualise la Révélation telle que Dieu la révéla au prophète Mohammed par l’intermédiaire de l’ange Gabriel. Il n’est pas sans rappeler les pratiques du japa-yoga, de la prière de l’hésychiasme dans l’église orthodoxe, ou le membustu japonais. Le nombre de « re-citations « varie selon l’état du novice, et un chapelet de 99 grains (les 99 noms du prophète) peut l’aider. Il est évident que prononcer la même formule, voire le même mot, durant des heures, et souvent en accélérant la prononciation, nécessite une technique du souffle très particulière, ce d’autant que cette récitation n’a de sens que si elle est accompagnée de l’intention « droite « , c’est à dire qu’elle ne doit absolument pas devenir un automatisme. Il faut une attention constante du coeur sur l’Objet mentionné dans la formule. Toute sensation ou imagination doit être exclue Cette discipline du souffle s’accompagne d’une gestuelle appropriée, ainsi que d’une manière particulière de prononcer le Dhikr. C’est ainsi qu’il faut être assis sur le sol, jambes croisées, les genoux levés, bras autour des jambes, la tête baissée entre le genoux et les yeux fermés. L’assise est aussi celle de l’âme qui doit faire face aux perturbations des sentiments, des instincts, des désirs. Les deux genoux sont le Coran et la Sunna que le croyant serre entre ses bras pour s’en pénétrer et s’assurer de leur présence, la tête est baissée en direction du coeur, et les yeux sont fermés pour que aucune distraction extérieure ne vienne s’interposer. La illaha : « Il n’y a pas d’autre divinité « on relève la tête vers la droite et à ce moment on prononce illa « si ce n’est « très fortement car il faut que cette négation se grave dans tout le

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corps puis on baisse la tête et l’on prononce le nom Allah, « DIEU « énergiquement, en face du coeur.. Le DHIKR est donc une intériorisation, une réalisation intime du dogme de l’absolue transcendance de Dieu. Aucune autre divinité ne peut lui être associée, mais lorsque le soufi affirme cette transcendance, il ne fait pas uniquement allusion aux divinités païennes du monde arabe avant l’Islam, mais aussi à toutes les « divinités « dont l’homme risque d’être l’esclave : le pouvoir, la puissance, la gloire, l’argent, le sexe etc. Lorsque cette récitation a pénétré le coeur de celui qui prie, il passe au seul nom d’Allah, et la gestuelle va changer. Puis à Huwa (LUI), et les deux syllabes qui constituent ce mot vont petit à petit ne plus être audibles pour laisser place au seul bruit du souffle. Car dans ce souffle qui est celui de Dieu créateur du monde, le soufi va abolir son identité. Il s’annihile et atteint le « fana’« . Il faut préciser que, au fur et à mesure que se poursuit cette récitation, tous les soufis font état de phénomènes visuels qu’ils interprètent comme étant une lumière divine. Ce dont il faut se souvenir est que l’être humain, dans cette vision musulmane, comme dans la perception orientale de l’être humain, est composé d’une âme et d’un corps, mais aussi d’un souffle. L’âme, en arabe « nafs « , est la psyché, l’âme charnelle, pleine de désirs Jism, le corps et le souffle, ruh, l’esprit divin. Un problème se pose avec le Dhikr collectif. En effet, technique du souffle, rythme respiratoire et gestuelle, pratiqués par un groupe de personnes risquent de provoquer une transe qui n’a plus rien de comparable avec l’absorption en Dieu qui est le but final de la séance, et qui peut s’apparenter à une hypnose collective. La pensée fondamentale du soufi est que le monde contingent n’est que le reflet manifesté de la seule essence divine, et l’esprit humain une émanation directe de l’essence incréée. L’existence n’a donc aucune profondeur d’être et doit s’abolir (fana’) en Dieu qui seul perdure. Il est évident qu’une telle interprétation du texte coranique était beaucoup trop éloignée des milieux populaires qui ressentaient eux aussi ce besoin d’une religion moins formelle et plus vivante, plus charnelle. Toutes ces spéculations étaient beaucoup trop difficiles à comprendre, et l’on a assisté dans le monde musulman à la naissance des « confréries « . L’émergence de ces ordres soufis et de ces confréries est liée à l’éclatement du monde musulman au 13e siècle, lorsqu’il s’est morcelé en pays différents. L’unité de la OUMMA a disparu, et l’on a assisté dans les régions nouvellement converties, à un retour des survivances, des modes de pensée, des traditions que l’islam orthodoxe avait occultés mais non effacés. A ce retour d’une identité marginalisée, viennent s’ajouter des problèmes religieux ou politiques, car, et il ne faut jamais l’oublier - le monde contemporain en est un excellent exemple - toutes les contestations, toutes les révolutions, toutes les oppositions, ont pour origine une interprétation du texte religieux, la religion étant le seul terrain se prêtant à la contestation politique, dans la mesure où il n’y en a pas d’autre. Fondamentalisme, intégrisme, islamisme etc., tous ces mouvements qui font parler d’eux en ces temps troublés ont une base essentiellement religieuse,

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mais orientée vers un but politique. C’est ainsi que certaines confréries se sont disqualifiées, notamment au début du XXème siècle par leur compromission avec la colonisation, et d’autres par le fait que pour atteindre l’extase, tous les moyens risquent d’être utilisés, y compris les excitants ou même les stupéfiants. On aboutit alors à des confréries qui n’ont de mystique que le nom, et qui s’adonnent à des excès très spectaculaires, car leurs adeptes arrivent à une insensibilisation telle qu’ils sont capables de se brûler, de se meurtrir, sans manifester la moindre douleur. Aïssaouas, Hamadchas, etc. Cela dit, on ne peut oublier l’une des manifestations les plus célèbres du DHIKR collectif : la danse cosmique des derviches tourneurs. Bien entendu le mot danse ne doit pas faire sourire, car en fait il s’agit d’un office liturgique, dont chaque geste est symbolique et a une signification. C’est Jalal ed Din Roumi qui l’a rendu célèbre, avec son maître, Shams de Tabriz. La danse est cosmique, car elle symbolise la ronde des sphères, et la musique est celle précisément de ces sphères. Le corps du danseur est l’axe du monde, qui relie le ciel et la terre. il reçoit le flux divin, la grâce, par la main droite dont la paume est tournée vers le ciel, et il restitue cette énergie divine par la main gauche dont la paume est tournée vers le sol. Il est donc le réceptacle de cette énergie divine et il en est transformé. Il tourne jusqu’à l’extase. Avant de commencer à danser les derviches font trois fois le tour de la piste, ce chiffre 3 représentant les 3 étapes qui rapprochent de Dieu : la science (charia), la Tariqa, et enfin la Haqiqa, l’Union. Après les danseurs abandonnent leur manteau noir, comme s’ils se dépouillaient d’une peau, s’avancent vêtus de blanc, signe d’une renaissance, et se mettent à tourner au son de la flûte. A Konya, lorsque l’on entre dans le mausolée de Rumi, on peut lire la phrase suivante : « Viens, qui que tu sois, croyant ou incroyant, viens ; c’est icila demeure de l’espoir « Nous sommes loin, très loin de soufisme d’un Ibn Arabi, soufisme métaphysique et gnostique. D’une culture immense, cet andalou mort à Damas, fut influencé par le stoïcisme, le néoplatonisme, l’ismaélisme, la gnose, le christianisme.. et il aboutit à un amour naturel et universel, privilégiant l’esprit sur la lettre, pour déboucher sur un panthéisme qui lui valut l’ostracisme de certains puristes. Dans une strophe de « L’interprète des désirs « il écrit : Mon coeur est capable de devenir toutes les formes distinctes Il est une prairie pour les gazelles Il est le cloître du moine chrétien Il est un temple pour les idoles Il est la « kaaba « du pèlerin Il est la table de la loi de Moïse Il est le Saint Coran Ma religion est l’amour De quelque côté que se tournent mes montures L’AMOUR est ma religion et ma foi..

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Introduction

En Islam, le Livre de Vérité est le Qor’an, la parole de Dieurelayée par l’Ange Jibril et exprimée par la bouche de l’Envoyé,Mohammad, missionné pour rappeler les hommes à Dieu, à la rectitude du chemin de la Lumière révélée aux hommes depuis lecommencement des temps. Et Dieu dit ainsi dans la sourate 41,verset 53 : « Nous leur ferons voir Nos signes dans les horizons etdans leurs âmes jusqu’à ce qu’ils discernent que Là est le Vrai ».

L’ensemble des écoles du mysticisme islamique a trouvé danscette ouverture le chemin conduisant à la reconnaissance del’Œuvre divine dans le manifesté, Création dont l’éclat et la beautédoivent conduire le croyant jusque dans le sein de Dieu. À cettesource tous ont convergé et se sont désaltérés de la saveur de laquête, cheminant vers le stade de la « proximité ».

Un mystique islamique de notre temps, Bahrâm Elâhi, tente decadrer la perspective de la voie mystique en Islam : « Cette voie estuniverselle ; elle est ici, dans notre univers de la matérialité, maiselle est également là-bas, dans l’univers de la spiritualité. [...] Cetteécole est universelle, [...] n’a pas de couleur, n’a pas de territoire,n’est pas fermée. C’est une école pour ceux qui ont soif de l’Esprit,qui désirent Dieu pour Dieu ».

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par Albert Coudsy

LA VOIE

SOUFIE,

MYSTIQUE

DE L’ISLAM

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Définitions de la voie mystique en Islam

Le mysticisme est à la fois une voie, une doctrine et un état: doctrine, il prête un sens caché aux révélations des Écritures etaux choses ; voie, il prétend conduire à la connaissance de chosesdivines sans intermédiaire, à pénétrer les mystères, et par undévoilement atteindre aux réalités transcendantes face à face ;état, c’est un comportement spirituel issu de l’étude de la théologieet de la théogonie, et qui demeure attaché à la signification spiri-tuelle des êtres, de leurs rôles et de leurs actes.

Nietzche disait que la grandeur d’un homme, c’est d’être unpont. Et la réalisation d’un mystique, c’est de devenir un pont parlequel les frères humains retrouvent la voie de Dieu et s’y enga-gent. Et le pont est construit avec l’amour de Dieu ; il ne tient quepar le mortier de l’amour des hommes. Ceci est le secret de la mys-tique islamique, et en est aussi l’aboutissement.

La voie mystique en Islam, notamment après avoir été désignéepar le mot tasawwuf (soufisme), est devenue l’attribut des connais-sants, âlimûn, les gens de la connaissance, et maarifa, cette connais-sance : cette voie et méthode d’accès est une gnose, à conditiond’entendre par ce terme non pas un savoir transmis et acquis, maisune connaissance révélée, dévoilée et expérimentée, vécue jaillie aucœur du cherchant en éclairs fulgurants, puis parfois en torrents delumière, pour rejaillir sur les champs de la tradition et de la reli-gion et les imprégner des traces de vérité qu’elles reflètent dans lescœurs des autres croyants, à la mesure de leur propre ouverture.

Le Livre saint, le Qor’an, ne dit-il pas dans la Sourate 2, dite de« La Vache », verset 269 : « Il dote de la sagesse qui Il veut ; et celuiqui a été doté de la sagesse a déjà reçu un bien immense ». Cetteapproche qor’anique recèle une notion d’élection. Mais elle esttempérée par cet autre verset qui rappelle aux croyants qu’ils sontégaux au regard de Dieu, que ne les différencie que leur degré depiété. Il en découle que c’est par la piété que s’opère l’œuvre de« proximité » : là est le point originel des commentateurs et exégètes qui ont placé la voie mystique dans l’Islam des premierstemps et de leurs continuateurs immédiats.

Ainsi, l’un des grands Chaykhs du soufisme, al-Quchayri(Abul-Qâçem, Abdul-Karim ibn Hawâzen al-Quchayri, né en

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376 Hg., mort en 465 Hg.à Nishâpûr), commentépar le Chaykh-ul-islamZakariya al-Ansâri, re -porte la formation de lasoufiya à la perpétuationdu savoir mohammadienpar ses compagnons ditssahâbah. Ensuite vint laseconde génération, ceuxqui ont été les compa-gnons de ces premiers etqui furent appelés tâbi’în,puis ceux qui leur succé -dèrent, appelés atbâaat-tâbt în (les suivantsdes suivants). Plus tardsurgirent des dissensionset des différences d’ap -préciation ; on en vint àappeler ceux qui étaienttrès attachés à la religionles zuhhâd (ascètes) et

les oubbâd (orants). Finalement apparurent des sectes qui préten-daient à ces qualités : alors les vrais tenants de l’ascèse, ceux quien étaient les privilégiés prirent le nom de tasawwuf pour leur pratique et furent connus comme tels, ce qui n’arriva qu’environ200 ans après l’Hégire (donc vers les années 820/825 de l’ère chrétienne, en pleine période abbasside).

Si l’on interroge le Littré qui orthographie Sofi ou Sophi (pourSoufi), il attribue ce terme à des philosophes musulmans qui ontétabli une école panthéiste et dont les principes essentiels sont queDieu seul existe, qu’Il est dans tout et que tout est Lui-même ; quetous les êtres visibles et invisibles en sont une émanation ; que leparadis, l’enfer et tous les dogmes des religions positives ne sontque des allégories dont le sofi a la clef ; qu’il n’existe pas réellementde différence entre le bien et le mal, puisque tout se réduit à l’uni -té, et qu’ainsi Dieu est en réalité l’auteur des actions de l’homme ;que l’âme est préexistante au corps et s’y trouve enfermée commedans une cage ; que la mort, qui doit être souhaitée, est l’anéantis -sement en Dieu ; que c’est par la métempsychose que les âmes sont

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purifiées et obtiennent d’être réunies à Dieu, et que la principaleoccupation du sofi doit être de méditer sur l’unité et de s’avancerpar les divers degrés de la perfection spirituelle. On voit, au travers de cette référence combien notre Occident, il y a à peine150 ans, connaissait l’Islam avec de bien larges approximations.Avec le XXe siècle, nombreux furent les érudits occidentaux etorientalistes à se pénétrer de la pensée islamique et à l’approcheravec dignité et intégrité, notamment en France ; citons, parmi lesplus grands noms, Blachère, Massignon, Guénor Berque, De Vitray-Meyerovitch, Corbin, Dermenghem, Laoust et bien d’autres.

Le Soufisme intéresse aujourd’hui en Occident bien des per-sonnes attirées par la spiritualité, des gens qui ont effectivementmis de côté les contraintes des obligations religieuses qui leur sem-blent réduire leur liberté de comportement et de croyance. Cesgens recherchent assidûment le moyen de vivre une expérienceintérieure de communion spirituelle profonde répondant à leursaspirations, à travers une nouvelle naissance, qui évolue en leurconscience d’une manière parfois perceptible, parfois souterraine,afin de vivre une relation avec le Divin. Or, en définitive, à quoi serésout la voie soufie ? « À voir Dieu en chaque chose », ce qui estbien la doctrine de l’Unité (tawhîd) et unicité de l’Être ou del’existence (tawhîd ul-wujûd) ; ceci est-il panthéiste ? D’une cer-taine façon, oui, car dans sa transformation continuelle et progres-sive, dans son ravissement intérieur et sa lucidité extérieure,l’homme de Dieu, le Soufi, entre « ivresse du divin » et « sobriété »vit les mystères d’une spiritualité profonde, tire une jouissanceintense de la vie et de ses actions extérieures, imprégnée d’altérité,avec cette saveur inexprimable qui naît dans le « cœur » de celuiqui se rapproche du « secret » de LUI.

Un adepte soufi, notre contemporainFaouzi Sqâli tente de décrire l’approcheet le contenu de la quête mystique enIslam : « Selon le Qor’an, Dieu se mani-feste aux hommes à la fois comme leTout-Autre, l’Infini, l’Illimité, et commeCelui qui nous est plus proche que notreveine jugulaire. L’expérience de l’Amour(divin) en Islam est celle de la per-plexité qui naît de cette proximité-éloignement de ce qui ne nous a jamais« Gloire à la majesté de Dieu »

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quittés, mais que l’on cherche sans cesse à retrouver. La lumière quijaillit de cette perplexité est la « Connaissance », la perception sub-tile de la manifestation de l’Être divin dans notre cœur. Ainsi, lasainteté en Islam est l’état de celui dont « la fine pointe de l’être »s’est plongée dans sa source divine. Ses vertus, son amour et sasagesse ne sont que les manifestations spontanées d’une réalité inté-rieure, de cette pauvreté essentielle ». Sqâli dit par ailleurs que cet-te pauvreté n’est que la « pauvreté dans l’esprit » dont parlaitJésus, la réalisation de ce détachement intérieur, obtenu dans ledévoilement divin, créant cette ivresse perpétuelle au travers delaquelle et dans la clarté du cœur, tout l’univers, les choses crééessont ressenties comme une émanation de Dieu, où il n’y a plus ladistinction réductrice entre profane et sacré, cette distinction quiprovient de la limitation de notre conscience concrète, mais où laréalité, dans son unité essentielle, est tout intégralement sacrée.Car, dit le Qor’an, « la fin ultime se trouve en ton Seigneur », « Il estle Premier et le Dernier », « Il est l’Apparent et le Caché ».

La voie soufie, voie de la gnose, est aussi une voie du désir, carelle est une voie d’amour, en cela une voie de la douleur passion-nelle, chantée par Hallaj au Xe siècle, mort crucifié pour avoir clamé sa “découverte”, pour avoir crié sa certitude de fusion enDieu : « Ana l-Haqq ! » (Je suis le Vrai, le Vrai, LUI). Au XIIe

siècle, Fariduddin al-Attâr (mort vers 1220), poète et mystique persan, incarnait, selon ses propres termes, « la voie de la douleur »ainsi qu’il l’a évoqué à la fin de son Langage des Oiseaux, et sondésir ardent et sa nostalgie ont fait dire de lui par Shustâri (vers1600) qu’il était « la chandelle de la chambre nocturne de sontemps, baignant dans la mer de la connaissance, perdu dans l’océande la plénitude ». Et Attâr dit dans son Livre de l’Épreuve : « Qu’est-ce que l’amour ? L’océan à partir d’une goutte ! » Ce symbole de lagoutte qui se perd dans l’océan, cet océan se retrouve dans toutesles traditions mystiques. Le voyage, chez Attâr, trouve l’océan enlui-même et arrive au point où la voie vers Dieu s’arrête, où com-mence le voyage en Dieu, selon la belle formule de AnnemarieSchimmel (préface au Livre de l’Épreuve, traduit par Isabelle deGastines).

Ibn ‘Arabi, le Chaykh ul-akbar (le plus grand des Chaykhs)(né à Murcie en 1165 - mort à Damas en 1241), celui qui a définila doctrine de l’Unité (tawhîd) et de la solitude (ahadiyya), au sommet de tout l’édifice soufi, a écrit dans son Diwân un poème où

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sa profession de foi en l’Amour réunit en son cœur toutes les données du monde et des religions : « Jusqu’à ce jour, je récusais mon compagnonCar mon cœur ne professait pas la même foi ;Mais il est aujourd’hui devenu capable de toutes choses,Il est aussi bien tendre prairies pour les gazellesQu’un havre pour les moines chrétiens,Qu’un temple pour l’idolâtre, et Kaaba du pèlerin,Les Tables de la Thora et le Livre du Qor’an ;Car je professe la religion d’amour,Et quelqu’Orient où va sa montureL’amour restera ma religion et ma foi ! »

Vers la même époque, Ibn al-Fâridh(né en 1181 au Caire, mort au Caireen 1235), considéré comme le plusgrand poète arabe soufi, rédigeait saKhamriyya (Ode du Vin mystique) oùil décrit l’ivresse dans l’amour divin.Toujours au XIIIe siècle, Jalal-ud-DinRûmî, poète persan et fondateur del’école soufie des Derviches tourneurs(né à Balkh en 1210, mort à Konieh en1273) illustre par son Methnévi, poèmede 56000 vers, décrit les Soufis :

« Les Soufis : ils sont sans livres, sans études, sans éruditionMais ils ont poli leurs cœurs Les ont purifiés du désir, de la cupidité, de l’avarice et de la haine.Cette pureté du miroir est certes le cœur reflétant toutes images,L’entendement ici devient silence pour n’induire erreur Car le cœur est Avec Dieu, ou plutôt le cœur est LUI.Ceux au cœur poli ont échappé aux parfums et aux couleurs,Ils contemplent la beauté de chaque instant,Ils ont abandonné la forme et l’écorce du savoir,Ils ont tenu l’essence dans l’océan de la connaissance mystique. »

En effet, nous trouvons sous la plume d’Eva de Vitray-Meyerovitch : « Le rôle des Soufis n’est pas de guérir les cœurs etd’éliminer tout ce qui voile l’œil intérieur. Ils s’efforcent d’établir leurdemeure en l’Esprit, devant la face de Celui qui est la Très Haute Véri -té, jusqu’à ce qu’ils soient, par Lui, retirés de tout ce qui est autre,

Rûmî

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leurs essences s’étant éteintes en Son Essence et leurs qualités en SesQualités. » Elle ajoute plus loin : « Cœur vivant de l’Islam, [...] intério-risation vécue d’un donné révélé, [...], certes, le tasawwuf c’est cela. »

Abul Hassan Ali al-Hajwîrî, un illustre Soufi afghan disciple deHallaj, écrit au XIe siècle à Lahore, dans son ouvrage Kashf-ul-mahjoub li-arbâb ul-qulûb : « Soufi est un terme dont on désigne etqui a désigné, jadis, les saints et adeptes spirituels. L’un desMaîtres a dit : « Celui qui est purifié par l’amour est pur, et celuiqui est absorbé dans le Bien-Aimé et a renoncé à tout le reste est unSoufi. » Il ajoute : « Ce nom n’a pas de racine répondant aux normesde l’étymologie, car le soufisme est trop sublime pour être dérivé. »

Jalal-ud-Din Rûmî joue sur les métaphores :« 0 toi qui t’es endormi dans le bateau du corps,Tu as vu l’eau : contemple l’Eau de l’eau ;L’eau a une Eau qui la pousse,L’esprit un Esprit qui l’appelle. »

Zhu n-nûn al-Masriet Abu-Bakr Shibli cla-ment au IXe siècle quel’ascète soufi est un hom-me qui s’est détaché dumonde. Mais, en définiti-ve, la piété islamique quiest pratique d’obliga -tions et de prière, ascèseen elle-même, conduitpar la “crainte” de Dieuà le préférer à touteschoses de ce bas-monde.Cette ascèse religieuseest une expression dumysticisme islamique,elle s’accompagne d’undétachement puis d’un

renoncement, mais elle demeure piétisme et quiétisme. La voiesoufie conduit ses adeptes au-delà de ce portail, vers les réalitésdivines, la transcendance spirituelle où Dieu est amour et où laperspective, par le dévoilement, est fusion et demeure, par ces troisdegrés, dans la « proximité » divine (kachf, fan baqa’).

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Apparition et développement de la voie soufie

Beaucoup d’arguments ont été discutés et présentés pour déter-miner l’origine de la mystique en Islam. En définitive les uns et lesautres en arrivent à la conclusion invitant le chercheur à ne pluschercher le contenu dans les termes mais à se cantonner à la sub-stance : c’est ce à quoi aboutit al-Hajwîrî déjà cité disant : « ce nomn’a pas de racine répondant aux normes de l’étymologie… » et ceaprès avoir passé en revue diverses acceptions et rattachements duterme. Revoyons un peu la chose.

Les Chaykhs ayant traité de cette étymologie cherchent à resterdans les limites de la religion islamique, fille de la révélationmohammadienne. Et ils ont leurs raisons, historiquement parlant,car les Soufis qui ont adopté cette désignation ont trop rapidementglissé vers des “dérives” néo-platoniciennes et panthéistes, et dèsle milieu du IXe siècle, ils ont été accusés d’hérésie et combattus :al-Hallaj a été torturé et crucifié en 922 à Baghdad, après avoir étérenié par le grand Junayd et ses disciples. La fin du Xe siècle avaitvu fleurir la confrérie secrète des Frères de la Pureté et a vu leuroccultation et leur dispersion. Entre le XIe et le XIIe siècles, al-Ghazzâli (né à Tûs, Khorassan en 1058 - mort à Tûs en 1111) prendle nécessaire flambeau du redressement orthodoxe de la soufiyya,qui est arabisée en tasawwuf ; il réconcilie les pratiques du mysti-cisme en les rendant inséparables des pratiques religieuses et enles y fondant, édifiant une synthèse entre la spéculation tradition-naliste des théologiens et l’intuition transcendantale des Soufis :en ce sens, al-Ghazzali représente le nouveau fondement de lascience du tasawwuf. Toute déviation subséquente a été réprimée,telle la mise en accusation et la liquidation de Sohrawardi (à Alep)en 1191 ; sous le règne de Saladin ; telle aussi la mise en accusa-tion du grand Ibn ‘Arabi (1165-1241), ce moniste intégral de la doc-trine de l’Unité et de l’Unicité de l’Être, parce que, malgré le faitqu’il ait réfuté la révolte d’un Hallaj, il avait repris certaines vuesœcuméniques des Frères de la Pureté et les vues panthéistes desnéo-platoniciens et du prophétisme de la Présence.

Dans cette revue doctrinale rapide réside tout le soufisme historique, depuis ses origines controversées, jusqu’à ce qu’ilretrempe ses antennes dans sa double source vitale. En effet, il aété dit que soufi venait de souf (laine), vêtement adopté par humi-lité et macération par les adeptes de la mystique islamique, mais

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pourquoi la couleur blan-che et pourquoi seule-ment deux siècles aprèsles débuts de l’Islam ?

Le Soufi a aussi étéramené à la notion derang, par allusion aupremier rang parmi lesfidèles en mosquée, rangoù voulaient se regrou-per les plus proches dis-ciples de Mohammad,immédiatement derrièreleur imâm, conduisantla prière collective ; cefut l’allusion au saff-el-awwal : explicationimprobable, puisqu’ellen’apparaît que plus dedeux cents plus tard.

L’origine des Soufisa également été pré-sentée comme uneperpétuation de ceuxdes fidèles et proches deMohammad qui avaient pratiquement élu domicile sur la saffa,banquette construite le long du mur du fond de la première mosquée et sur laquelle l’on s’asseyait ; c’est ce que l’on appelle encore de nos jours une saffa ou une mastaba. Ces ashâb us-saffaétaient exemplaires par leur piété et leur attachement à Mohammadet à ses enseignements. Il a de plus été également avancé, assez tardivement il est vrai, comme pour y camoufler l’appellation de cette Confrérie des Frères de la Pureté, que soufi se rattachait àsafa, la pureté, cette qualité spécifique qui doit inspirer les actes etpensées de tout mystique.

Pour désigner un adepte de la sofiyya, on n’a pas manqué nonplus de rapprocher le terme soufi, devenu un qualificatif et un substantif arabe, tout simplement du terme sophia (sagesse), dugrec des néo-platoniciens arabisé par la conquête islamique, comme

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cela est inévitable dans l’ensemble des pays de ce Proche-Orienthellénisé depuis de nombreux siècles, et qui prenait une revanchede reconquête intellectuelle et spirituelle sur son conquérant, luipermettant ainsi de faire un bond en avant et de se hisser sur lessommets de la pensée humaine. On s’adonnait à la sophia, étude dela sagesse et voie de transcendance ; on devenait sophia (comme lelaisse entendre le Littré) et l’on revêtait la robe blanche, commec’en était l’usage dans les traditions égyptienne, mazdéenne,pythagoricienne, essénienne, alexandrine, et manichéenne, qu’ellesoit en laine (le proverbe populaire bédouin ne dit-il pas « ce quiprotège du froid, protège du chaud » ?) ou en lin, selon les pays et lesmatières textiles. Aujourd’hui, c’est surtout le coton qui prévaut enOrient... D’ailleurs, l’arabisation des termes ayant caractère de néo-logisme est courante dans le monde arabe : dès le VIIIe siècle, ceuxde faylasouf pour philosophe, et falasifa (pluriel) et falsafa pourphilosophie ont été adoptés. Pourquoi pas soufiyya pour sophia ?De même, masoniah et far-masniah (pour Franc-maçonnerie) ontété adoptés, ainsi que radio, telviziôn ou telefôn.

Ceci n’ôte rien à la gloire et à la lumière que la voie soufie amanifesté pour les siècles de la civilisation islamique et à l’avance -ment que les grands adeptes soufis ont permis en leur domaine spirituel spécifique, ainsi qu’à l’avancement que leurs écrits ontoffert à la théologie médiévale chrétienne autant que juive. Eneffet, si les plus éclairés parmi les moines et hommes de savoir despays d’Occident ont puisé à foison dans les œuvres des savants etmystiques musulmans d’Espagne et d’Orient, l’ensemble de la Qab-bale juive ne s’est édifiée qu’au travers des écrits de Maîmonide(abu Umrân Mûsa ibn-May mûn, 1135 Cordoue - 1204 Le Caire),de Avicebron (Salmon ibn Gabirol, Malaga 1020 - Valence 1058)pour ne citer que ceux-là, et dont les œuvres furent pour la plupartrédigées en arabe.

Un auteur de la dimension d’Émile Dermenghem n’hésite pas àsouligner, dans son ouvrage Mahomet et la Tradition Islamique,que « le soufisme représente une protestation contre le formalismejuridique en même temps que contre la mondanité résultant desconquêtes. Il donne la primauté à la religion du cœur, à l’amour deDieu, aux valeurs de contemplation et d’ascèse, [...] une méthode deréalisation spirituelle, très originale malgré son caractère tradi-tionnel et les influences adventistes chrétiennes, néo-platonicienneset hindouistes ».

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La voie mystique en Islam est notamment témoignée et illus-trée par le Soufisme. L’Orient islamique, où cette voie gnostiqueconnaît un renouveau certain, s’y intéresse toujours, en dépit del’occidentalisation croissante de la vie quotidienne et de certainesvaleurs qu’elle introduit. Mais en Occident ? Cet Occident chrétienoù les valeurs de la foi s’essoufflent, cet univers du matérialisme etdu progrès technique ? Comment expliquer l’intérêt que suscite ledésir de savoir ce qu’est le Soufisme, sinon une curiosité teintéed’exotisme ? Martin Lings affirme que cet intérêt présuppose aumoins un pressentiment de la possibilité d’une perception inté-rieure directe, pressentiment qui pourrait devenir germe d’aspira -tion, ou, à tout le moins, dit-il encore, « il demande que l’âme ne soitpas fermée à cette possibilité ».

Le contenu du Soufisme

Une prière en forme de poème que réci-tait souvent le Chaykh ul-akbar Ibn ‘Arabidisait : « Fais-moi entrer, Seigneur, dansles profondeurs de l’océan infini de TonUnité ! » Tout le contenu du Soufisme est

en ces quelques mots. C’est à la fois la voieet la manière de l’entreprendre, de la

suivre, de la parcourir et d’aboutir à cettefusion dans l’infinitude inexprimable du Divin,

l’Un, l’Unique, le Seul, l’Un et le Tout, pour autant queUn et Tout puissent être perçus et exprimés par nos termeshumains, sortis de notre imagerie physique.

Il nous faut souligner ici qu’en dépit de certains apports desautres voies de sagesse et d’ascèse, des emprunts conceptuels quecertains grands chaykhs ont pu faire à d’autres traditions, le sou-fisme a été et demeure une voie mystique enracinée dans l’Islam,tirant son origine dans la révélation mohammadienne, imprégnéede l’Islam, esprit et théologie, religion et pratique, donc une voieparticulière dont les moyens ne sont qu’en Islam, ne sont émanésque de l’Islam. Mais le Soufisme est également une voie universel-le, simultanément particulière à l’Islam et universelle dans sonorientation dans la sacralité, la recherche de la sainteté, l’approchede la pureté et de la transcendance, de la perfection, le ihsân ouprécellence, pour parvenir au Divin.

Sept Noms d’invocation

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Pour résumer, rejoignons encore Martin Lings qui trouve uneimage du particularisme et de l’universalisme du Soufisme en lecomparant au rayon d’une roue : « particulier en ce qu’il est distinctde chacun des autres rayons représentant d’autres mysticismes, etuniversel parce que, comme eux, il conduit au Centre unique ». Ilajoute, et c’est important : « Notre image [du rayon de la roue] dansson ensemble révèle clairement cette vérité : lorsqu’ un chemin mystique approche de son But, il est plus proche des autres mysti-cismes qu’à son départ. » Mais il souligne aussi cette autre vérité,disant : « Cette image révèle aussi,incidemment, l’inefficacité dudilettantisme qui correspond àune ligne sinueuse, qui parfois sedirige vers le centre et, parfois,s’en éloigne, croisant et recroisant différents rayons mais n’en suivantaucun avec constance, tout en prétendant embrasser la synthèsede tous. »

Les caractéristiquesde la voie soufie

Elles sont multiples et, sans les commenter, car cela demande-rait de réécrire des volumes que l’on est susceptible de nos jours detrouver dans des éditions occidentales, notamment en français,nous nous contenterons de les évoquer :

– Le Soufisme se rattache au Livre saint de l’Islam : le Qor’an,récapitulation de la Parole incréée de Dieu. Les Soufis pratiquentcette lecture comme une remémoration continuelle de Dieu, cher-chant à s’y noyer (istighrâq), afin que s’en imprégnant ils puissentaccéder à devenir cette parole, en s’y « anéantissant » (fana). LesSoufis ont trouvé certains versets plus particulièrement orientésvers leur quête intérieure : « Répondez à l’appel de votre Seigneur »,« Toutes choses ne retournent-elles pas à Dieu ? », « Octroie-nous lechemin de rectitude », « Nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons ».

– Le Soufisme est une voie, un chemin, et le tasawwuf est le faitd’avoir pris ce chemin de « rectitude » ; cette voie est aussi uneméthode, une tarîqah. Elle est conduite par un Chaykh, un notable

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du mysticisme. Louis Massignon, dans l’Encyclopédie de l’Islam,article « Tariqah », lui donne deux acceptions : « Dans sa premièreacception, le mot tariqah désigne une méthode de psychologie mora-le pour guider chaque vocation individuelle, en traçant un itinera-rium mentis ad Deum, menant à travers diverses étapes de lapratique littérale de la Loi révélée (shari’a) jusqu’à la Réalité divine(haqîqa). Il en est ainsi aux IXe et Xe siècles de notre ère et les nomsdes grands Soufis, Junayd, Hallaj, Sarraj, Quchayri, Hujwîri, sontceux de Maîtres en mystique. Dans sa seconde acception, le terme detarîqa (pluriel turuq) désigne, à partir du XIe siècle, l’ensemble desrites d’entraînement spirituel préconisés pour la vie commune dansles diverses congrégations musulmanes qui commencent dès lors àse fonder. Par extension, il est devenu synonyme de confrérie, et ildésigne une vie commune, fondée sur des prescriptions spéciales,sous l’autorité d’un Maître commun. »

– Le Chaykh, c’est le Maître commun, on se le choisit en allantfrapper à sa zawiyah, à l’origine un « coin » de mosquée où des disciples se rassemblent autour de l’enseignement d’un Chaykh,ayant fondé école ; mais le Chaykh vous choisit, car seuls trouventagrément chez lui ceux chez qui il pressent le désir réel et l’espritd’abnégation, assez de bonne volonté, de vraie humilité, celle dontdoit faire preuve tout « demandeur » (taleb) qui, une fois agréédevient murîd,: « volontaire, disciple acceptant discipline ». C’est

pourquoi il est soumis àl’épreuve du silence, de laségrégation (il est tenu loin)et du service (il doit s’acquit -ter des tâches ménagères etde l’entretien de la commu-nauté) pendant quelquefoisplusieurs années.

– Tout Chaykh doit avoirreçu une autorisation sacrée(izhn) de transmission de lavoie initiatique, autorisationqui assure la chaîne (silsila)de transmission ininterrom-pue, laquelle doit remonterde Chaykh en Chaykh recon-nus transmetteurs jusqu’aux

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premiers chaînons quidébouchent sur Ali, lecousin et successeur deMohammad et donc auProphète lui-même. Ainsi,le Chaykh est autoriséet véridique, et son ensei -gnement comporte uneinitiation.

– La pratique initiati -que consiste en commen -taires explicatifs et enséances communes derécitation de louange àDieu, de poèmes chantésà la louange de sonEnvoyé et de la Lumièremohammadienne, de mu -sique et de danse sacrée

à l’école mevlevi des Derviches tourneurs, le samaa. Ces séancessont zhikr, ou recollection de Dieu. Mais le Chaykh choisit et donneà chacun de ses murîd un mot à méditer, à répéter pour en faireson zhikr personnel, une manducation ou mot de puissance, et enrevoit les effets lors d’entretiens personnels ; il le changera d’étapeen étape selon l’évolution de son disciple.

– Lorsque le murîd est devenu adepte, son Chaykh lui donne lakhirqah, (dépouille vestimentaire), symbole du manteau, de l’habitqui habille et habilite. Souvent, le Chaykh envoie aussi ses dis-ciples voyager vers d’autres Maîtres. Le sentier ainsi ouvert neconnaît plus que des étapes. Et le disciple les parcourt enfin seul :la Lumière est toujours au bout du chemin, mais d’horizon en hori-zon, le chemin est celui d’une vie entière, la fin demeure en Dieucar c’est Lui qui ouvre la voie et en qui est la fin, et c’est Lui quioctroie la Sagesse à qui sont Ses élus.

Conclusion

Sur un sujet aussi varié et variable où tant d’ouvrages véridi -ques ont amoncelé leurs lumières, est-il convenant de conclure ? La

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réponse est dans le cœur de chacun, car c’est une voie cardiaque.L’intellection n’est que pour lever les obstacles des mots ; ensuite,il n’y a que des effets d’ombre et de lumière. Les dévoilements sontpersonnels ; les mots ne servent qu’à en estomper les couleurs, endéformer la clarté.

Avec Henri Brune, homme de désir, enseignant catholique, jedirai ceci : « Rien ne paraît plus difficile et périlleux que de parler,simplement et clairement, de mystique. Difficile parce qu’il fautappréhender une réalité qui transcende nos modes de pensée ordi-naires, que les mots que l’on utilise risquent d’être ambigus, piégés,détournés de leur sens. Périlleux parce que le mystique est souventun objet de scandale pour les tenants de sa propre religion : c’est unesource qui jaillit en dehors des normes et des règles. On retrouve làl’opposition dialectique, bien connue des scientifiques, entre larationalisation et la transgression. Sans transgression, la scienceou la religion piétinent et se sclérosent ; et inversement, sans règleset sans ordre, la transgression se perd dans les nuages et l’incom -municable. »

Il n’y a de mystique que le mystère, le cherchant s’aventuredans l’invisibilité, le ghayb ; mais il tâtonne avec cette certitude,le yaqîn,, de trouver, du moins de pressentir le secret, le sirr, enson moi profond où, progressivement, mais par à-coups successifset involontaires, s’offrentdes dévoilements, le kachf,introduisant en sa conscienceintérieure la con nais sanceintime, la maarifa, dans ceque l’un des grands mys-tiques ismaéliens, MollaSadra Shirâzi, a appelé nouralnour, « une lumière sur lalumière ». Mais s’agit-il fina-lement de lumière dans lesecret de la « ténèbre » divine ?Je vous laisse le soin deconclure, car chacun ne le faitque pour lui et à sa manière.La conscience est un puitsnoir où ne vous éclairent quevos propres étoiles. P

hoto

A.M

.O.R

.C.

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