Le serpent

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L entin Le Guennec

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Un homme, exilé sur une île déserte, affronte le deuil de sa femme. (nouvelle écrite sur le thème: «Un homme découvre un serpent dans sa cave»)

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    entin LeGuennec

  • Chapitre 1

    Bris

    Le verre se brisa sur le sol. James ny prta aucuneattention particulire et continua dcrire, pendantque ses ides taient encore leur place. Le vinse rpandait sur le sol, la flaque slargissant. Letemps avait exerc son pouvoir vindicatif, entranantJames dans sa chute. Sa fougue, son ardeur et satmrit avaient disparu ; au gr de la longue dca-dence du temps, la srnit et la sagesse staient dess-ins sur ses traits. Cependant, de tous ses caractresjuvniles, sa passion avait fait preuve au temps, et

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    mme veuf, limage dAlice tait encore grave dansson esprit. Ctait la destinataire de la lettre quilrdigeait, selon son rituel hebdomadaire. On ditque laffection lemporte sur la raison et que lamourdilate le temps et transforme lespace. Je contemple parfois les toiles, et imagine

    souvent que tu as trouv refuge dans leur treinte.Jespre que ressens le calme et la plnitude que jeressens les nuits dt sur lle. travers la baie vitre, James admira les toiles,

    dversant leur lumire tels des diamants brillantsdans le ciel, et poussa un soupir. La baie vitre vacillasous leffet de la brise. Jaimerais que tu sois l avec moi, lle en cette sai-

    son est paradisiaque. Je passe souvent mes journes lexplorer. Te rappelles-tu, cest en cette saison quenous nous sommes rencontrs. Je garde toujourscette image de toi cette poque. Cest limage cen-trale du vitrail des souvenirs, des chants et des odeursque je garde de toi, et que tu illumines de la lueursacre de tes yeux. Je pense que tu avais raison : jait rticent emmnager ici, mais cela ma fait le

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    plus grand bien. La ville me manquait auparavant.Je te concde cependant que je ne dplore pas la ca-cophonie urbaine, et dtre soulag de mes cphales.Le son des vagues et de la brise la dfinitivementremplac. Mes seuls voisins ici sont la plage, la meret les toiles.Malgr tout, la solitude me consomme. Elle sest

    installe, insidieuse, et mon dsespoir enfle, alors quejentends encore le son de tes alles dans la maison.La lthargie est un refuge pour moi : elle sembleoffrir la mme tideur que ton treinte. Aussi longle rpit que la vie souhaite maccorder, je tcrirai ;je ne sais si ton il bienveillant mobserve depuis lesgalaxies lointaines, alors jemporterai avec moi ceslettres quand je te rejoindrai. Il dcida de continuersa rdaction plus tard. Il remarqua en se levant levin renvers sur le sol, et alla chercher le matrielpour le nettoyer. Son domaine tait extrmementpropre, immacul. Non pas que James tait parti-culirement ordonn, mais depuis le dpart de sabien-aime, il avait, dans la mesure du possible, laiss leur place les objets qui avaient t tmoin de leur

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    couple lorsquil tait encore tangible. Il ramassa avecprudence les bris de verre et pongea le vin.Il sortit ensuite sarer. Il sallongea sur le sable

    frais, et fut rejoint par son seul compagnon, sonchien Carroll, un magnifique golden retriever. Il seposa ses cts. James contemplait la nuit toile.Dans lequel de ses astres Alice avait trouv havre? Comment, malgr la distance qui les sparaient,Alice exerait encore son attraction sur sa personne? Il sassoupit.

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  • Chapitre 2

    Lle

    Quand James se rveilla, son chien avait disparu.Aprs lavoir appel pour sassurer quil ntait nidans sa maison ni aux alentours, il partit sarecherche sur la plage. La mer tait, comme son habitude, calme, et rien nosait troubler lemerveilleux chant du ressac et de la brise. Jamesconnaissait bien ce chant, il tait pour lui commele souvenir dune berceuse maternelle, et ainsi luiconfrait-il ce mme sentiment de calme et de plni-tude. James ne sinquitait pas pour son chien, il

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    navait pu aller bien loin. Il ne fuyait jamais, etmme sil le faisait, lle tait mince. Il savait quilrentrerait bientt, mais il dcida tout de mme desgarer une ballade matinale.Sa maison ntait qu quelques mtres de la plage.

    Le sable fin et tide lui procurait chaque pas unevague sensation de plaisir. lhorizon un gigan-tesque univers de poussire dore, et la mer, paisible, la gauche de James. Un seul lment osait romprecette trinit parfaite : une branche denviron cinqmtres de long, lhorizon. James sen approcha.Le bois tait mort et la branche se divisait ses ex-trmits, se recroquevillant en formant de nouvellesramures. Sa structure tait trange, comme si, danscet univers parfait, il tait inconcevable que la na-ture ait pu lui donner naissance. James, anim demlancolie, dcida den parler Alice. Ce matin, sur la plage, jai remarqu une branche

    morte sur le sable, et cela ma rendu triste. Quel plusgrande maldiction que dtre perdu au beau milieudun monde inconnu, dans lincapacit de sexiler,emprisonn dans une lthargie urticante ? Cette

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    branche est si loigne de son milieu natal quelledoit tre convaincue que rien au monde ne lui ressem-ble, dtre un paria, une anomalie pour lternit.Balaye de ses repres par le vent, et bannie de toutce quil lui tait familier. Au fil de son parcours, le paysage changeait, le

    relief samplifiait. Le sable se transforma bientt enrochers roses magnifiques. James, familier de cesexcursions sur la cte de granite, les gravit sans dif-ficult. Il avait russi prserver ladresse de sesmuscles, parfois au dtriment de leur puissance. Sonascension tait prilleuse, mais il tait prudent etavait tout son temps. Le vent, faible, navait pas en-core eu loccasion de faonner les vagues qui rodentla fracheur du granite, dformant leur charme, etJames prenait plaisir caresser la roche douce. Sabatitude gagna son apoge quand il et atteint lepoint culminant, denviron sept mtres au-dessus dusol. Dans un clair de lucidit crative, il commena crire la suite de sa lettre. Quelle douceur inestimable que celle de la je-

    unesse. La cte de granite mvoque ton souvenir,8 12

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    ternellement sculpt dans la roche juvnile. Levent se leva et branla sa rverie. Les nuages serassemblrent, menaants. Au loin, au point de d-part de son voyage, James entendu son chien aboyer.

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  • Chapitre 3

    Cave

    James accouru vers sa maison afin de se mettre labri. Laugure des cieux tait inquitante ; la pluiecommena tomber. Lle ne connaissait pas la tem-pte : labsolution est rserve au pcheurs. Le ventfait rage ; les damns sont heureux car tous les diablessont dehors. James passa la baie vitre et la referma,touffant le crpitement incessant de la pluie frap-pant le sol. Le crpuscule liqufiait les pastels du cielet assombrissait le jour. James se fia son oreille. Ilpercevait encore les aboiements de Carroll, mais ne

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    pouvait pas identifier leur source. Le vent se lve. Alice, maintenant que nous

    approchons de la fin de cette lettre, je me souviens.Comment ai-je pu oublier les maux qui tont taigs ? Sache que je nai jamais dsir cela, jamais,et je ne le pardonnerai pas. Je prie pour que ceux quitont offens subissent le courroux des hommes. Jesuppose que les toiles nont pu taccueillir, causede ce fardeau que tu portes, mais saches que tu serastoujours la bienvenue ici. Je vais bientt partir, maisje reviendrai pour honorer ta mmoire.Repose en paix. James. Il prit la lettre et se dirigea lentement l o il

    les archivait, sa cave. Il se sentit observ quand ildescendit lescalier qui y menait. Devant lantiqueporte, un serpent guettait, lui voquant lancien pro-pritaire de la cave. Derrire lui, deux silhouettesconversaient. - Selon tout le respect que je vous dois, Mme

    Floyd, je pense que votre thrapie ne fait pas sespreuves. Ralisez vous quel point James est tour-ment par ses souvenirs ?

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    - Ses souvenirs sont heureux. Ils sont la seulesource de bonheur quil lui reste, et vous linhibezpar la mdication anti-rections. Vous ne pouvezenlever un homme sa seule source de plaisir.- James est malade, Mme Floyd. Sa sexualit d-

    viante est la consquence dune anomalie psychia-trique.- Est-ce rellement la raison pour laquelle on la

    amen ici ? Ou est-ce la dpression quil a dvelopp cause de son deuil et sa misanthropie ?- Vous dfendez un criminel.- Non. James nest coupable que damour. Laissez-

    lui ce rituel hebdomadaire. Les seuls criminels sontles hommes et le meurtrier qui est encore dans lanature.James ouvrit la porte de la cave. Les aboiements

    avaient cess. Il entra dans la cave, suivi par le ser-pent. Le sang recouvrait le sol. Il dposa sa lettre.

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