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Distribution limitée

c*}, ft « ^ ¿ 3 ¿np-.fî. Original français

FEM. 6

2 0 M A ! 1990

ORGANISATION DES NATIONS UNIES

POUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE

LE SECTEUR INFORMEL

QUELLE PLACE POUR LES FEMMES ?

(Cas de la Tunisie) S&L TO

0 L COL-T n

Etude réalisée par \jü 2 0 2 2 *",

L'INSTITUT EL AMOURI

TUNIS - DECEMBRE 1989.

Les vues exprimées dans ce document, le choix des faits présentés

et les .jugements portés- sur les faits n'engagent que l'auteur et ne

reflètent pas nécessairement le point .de vue' de l'Unesco.

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S O M M A I R E

Page

I. SYNTHESE 1

II. VERS UN NOUVEL ESPACE ECONOMIQUE 15

1- L'optique dualiste 19

2- L'optique systémique 26

3- Conclusion . . . 28

III. LE SECTEUR INFORMEL EN TUNISIE 31

1- Secteur refuge ou nouvelle panacée 32

2- Genèse 35

3-.Définition, et typologie 37

4- Importance du secteur non structuré 41

5- Une économie adaptée 47

IV. LA FEMME ET LE SECTEUR INFORMEL 53

1- Vers une nouvelle exclusion 54

2- L'exclusion redoublée : la femme dans l'agriculture 57

3- La femme dans le secteur alimentaire . 71

4- La femme dans le secteur textile 82

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V. QUELLES INITIATIVES POUR AUJOURD'HUI ET DEMAIN 90

1- Pour une nouvelle approche 91

2- Secteur informel et planification 111

3- Valorisation de la participation de la femme 114

4- Rôle des intervenants 117

VI. BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE ET CHRONOLOGIQUE CONCERNANT LA

TUNISIE 121

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I. S Y N T H E S E

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Au lendemain des indépendances des pays souo-développés, l'unanimité

régnait chez les experts comme chez les décideurs, quant au diagnos­

tic à poser à propos de leurs économies, et aux remèdes à prescrire

pour les faire accéder à un niveau supérieur de développement.

Le diagnostic ne tolérait aucune contestation. Ces économies axées

sur la subsistance et l'auto-consommation, et où prédominait la

valeur d'usage, souffraient d'un sous-équipement, d'un sous-emploi

de la main d'oeuvre et d'une faible productivité.

Une forte croissance économique devait impulser la processus d'accu­

mulation générateur d'investissements et créateur d'emploi s.Seul un

secteur moderne structuré pouvait réaliser cet objectif, à condition

de former au préalable la main d'oeuvre et les cadres à leur futur

emploi. Mais bien vite, il a fallu se rendre à 1'évidence et déchan­

ter: le remède miracle n'a pas eu l'effet escompté.

Le secteur moderne qu'on avait créé pour supplanter et réduire les

importations avait eu aussi comme résultat la conquête par les entre­

prises étrangères d'une partie du marché, jusque-là satisfait par les

productions artisanales. Des activités économiques et des emplois fu­

rent alors menacés. De même, la croissance enregistrée révélait un

processus capitalistique, une volonté de substituer le capital au

travail. L'emploi manquait au rendez-vous et, on notait que la pro­

portion des salariés dans la population active stagnait, si elle ne

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baissait pas.

Ce recours intensif au capital était d'autant plus dommageable

qu'il fallait, sans cesse,contracter des prêts internationaux.

En résumé, le secteur moderne se révélait incapable d'absorber

la main d'oeuvre dégagée de 1'agriculture, et encore moins les

emplois rendus nécessaires par da poussée démographique. Le sa­

lariat qui devait s'imposer, restait minoritaire.

La croissance se payait par une dépendance accrue/et îles économies,

rendues fragiles, supportaient de moins en moins le poids écrasant

de la dette. Une part de plus en plus importante? des recettes

d'exportation devait lui être réservée, et elle représentait

une proportion de plus en plus élevée du PNB.

Face à cette déroute s'opérait une régulation en dehors de l'Etat,

de ses réglementations et des sources officielles de financement.

Des activités microscopiques faisaient preuve de dynamisme et

d'adaptation. Leurs capacités de produire, de former et de dis­

tribuer des revenus avaient attiré 1'attention et suscité l'in­

térêt des chercheurs et des organisations internationales, par­

ticulièrement de la Banque Mondiale et du BIT. C'est ainsi que sont

apparusdans la littérature consacrée à ces activités, les termes

de "secteur et emploi informels" qui seront contestés et auxquels

on substituera d'autres appellations: secteur non structuré, cir­

cuit inférieur, économie de bazar, secteur marginal.

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Le débat lexical va se doubler d'une opposition théorique entre

les tenants du dualisme et les défenseurs- d'une vision systémi-

gue. Les dualistes s'intéressent à 1 'anatomie'du réel gui com­

porte, selon eux, deux formes d'activité, l'une organisée ,

structurée, et l'autre informelle, non structurée.

Pour étudier scient ifiguement chagüe réalité, les dualistes po­

sent a priori des critères, et ce, pour regrouper un ensemble

homogène d'activités. Leur préférence pour les études empirigues

et leur attitude évolutive et réformiste font gu'ils jugent les

activités informelles capables de jouer un rôle positif, dans la

mesure où des conditions favorables leur sont offertes.

Par contre, les études systémigues considèrent que la réalité

est un tout complexe gue les chercheurs abordent sous 1'angle

physiologique. L'analyse des relations entre les différentes

formes de production, de leurs interactions et de leur hiérarchi­

sation, doit aboutir à la saisie de Iß globalité. Les activités

informelles non capitalistes sont soumises au capital et per­

mettent de le revaloriser. Elles ne peuvent évoluer que dans le

cadre d'une transformation des relations au niveau global, ce gui

manifeste clairement 1'aspect radical de cette optique.

En fait,derrière leurs oppositions, ces deux points de vue accep­

tent les principes et les catégories de la théorie économique

classique. Mais , ils omettent de se poser la question des limi­

tes de cette théorie.

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Les activités économiques informelles contestent et dépassent

le choix et les modèles établis par les experts et les déci­

deurs. % '

Il's'agit, selon nous, d'une économie alternative, autre et

différente. L'entreprisemicroscopique vise à persévérer dans

son être, à se reproduire et à croître,- toutefois, 1 'accumula­

tion n'est jamais un but, et 1'objectif primordial reste l'adap­

tation pour survivre.

Les sociétés sous-développées, déstructurées, sont des sociétés

à deux vitesses. L'une officielle, se situe dans le jeu::écono-

mique mondial qu'elle subit, l'autre se veut indépendante et

témoigne .d'une voie différente d'être, d'échanger.

Cette altérité, cette rupture, appellent à élargir le champ

de la pensée économique, et à relativiser les théories et

les concepts.

Enfin, il est établi, aujourd'hui, que les appareils statisti­

ques, inspirés et guidés par les catégories économiques clas­

siques, laissent échapper une partie de la production, particu­

lièrement celle du secteur informel, et identifient et discernent

mal les populations actives. Bien des personnes classées comme

sous-employées sont, en fait, sous-rémunérées.

L'étude du secteur informel en Tunisie, menée par 1'Institut

National de la Statistique, avec la collaboration de J. Charmes,

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a, en effet, démontré que la production nationale brute serait

revalorisée de 10% si on intégrait le secteur informel urbain

et localisé. Qu'en serait-il si une étude exhaustive était ré­

alisée pour englober la totalité du secteur non structuré

(urbain non localisé, rural localisé et non localisé)?

De même, la révision de la définition de la population active,

particulièrement féminine, établie par le BIT, permettrait de

mieux rendre compte de 1'apport des femmes au développement.

A ce titre, l'exemple de la Tunisie est assez significatif.

L'étude menée en 1976 par 1' Institut National de la Statistique

a permis de situer le secteur informel•dans l'ensemble des bran-

? ches économiques et de mesurer son impact sur 1'économie tunisien­

ne. Il a été ,ainsi, confirmé que le secteur informel est une

source importante- d'emplois .- en 1980, il représentait 39,3% de

l'emploi non agricole, soit plus que la fonction publique et le

secteur public réunis (329 000 emplois contre 3ÇO. 000).Les appren­

tis et les aides-familiaux constituent plus de 50% de la popula­

tion occupée dans le secteur manufacturier, où la concurrence

est intense. Ces apprentis reçoivent une formation sur le tas,

ce qui constitue pour ces exclus du système éducatif de l'ensei­

gnement primaire, une véritable aubaine.

L'apprentissage présente une forte ressemblance avec 1'initiation.

La motivation et l'intérêt de 1 'apprenti le guident dans son par-

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cours. Il observe, pratique et s'approprie le métier, à son rythme,

sans jamais être menacé d'exclusion. Cet apprentissage, d'un métier

et non de simples gestes techniques, reste la voie royale pour les

meilleurs qui finiront comme indépendants et ouvriront leurs pro- *•

près'établissements.

Un chiffre illustre le rôle des petits établissements (moins de lO

personnes) : 75% des apprentis formés par le secteur privé, le sont

dans le secteur informel.

Enfin, le secteur informel peut soutenir, sans crainte, toute compa­

raison avec le secteur organisé. J. Charmes a établi, que dans la

branche du bois, et par rapport au secteur organisé, le secteur

informel représente :

- 1,9 de l'emploi

- 1,1 du chiffre d'affaires - 1,5 de la valeur ajoutée (et, ce, malgré le taux de 31%

d'apprentis)

- 4,3 des bénéfices.

Le secteur informel est donc, tout .au moins aussi compétitif que

le secteur moderne, organisé. Il tient sa force de 1'utilisation

maximale, par l'artisan, de ses moyens, de son sens de l'adapta­

tion et de son effort d'innovation. Sa part dans la production est

notable : la branche manufacturière verrait sa valeur ajoutée

majorée de 46% si l'on décidait d'inclure celle du secteur informel,

ce qui entraînerait une augmentation de 10% du PIB . De combien

devrait-on majorer le PIB si l'on calculait et y incluait la valeur

ajoutée de la totalité du secteur informel ?

La même tendance à déprécier la richesse nationale se retrouve au niveau du calcul du taux

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d'activité, notammant quand il s'agit des femmes.

En effet, alors que la campagne se vide de ses hommes, partis à la

recherche d'un emploi pour une durée plus où moins longue, qui dans

le bâtiment, qui dans le pays voisin, la femme paysanne s'oblige à

prendre la relève. Elle travaille aux champs, construit la maison,

ou la répare, sans oublier la corvée d' eau, celles du bois -et'des

travaux ménagers, 1'élevage domestique, et tout autre travail ar­

tisanal. Sa journée n'a jamais de fin et pourtant, au moment du

recensement, rares sont celles qui ne seront pas classées parmi

les femmes- au foyer, ou simple aide-ménagères. Tout simplement par­

ce que son travail n'est pas rétribué ou parce que la valeur d'usa­

ge primera dans sa production. Et même si elle vendait son produit,

ce ne serait considéré' par les économistes, que comme un complément

de revenu. L' économie marchande, comme la définition de l'unité

de travail établie par le BIT, ne font qu'amplifier le préjugé

sexiste traditionnel, bien intériorisé par les femmes elles-mêmes.

Le travail d'occultation de la femme de l'activité économique, et

la dévalorisation de su participation au développement économique,

se déroulent sans fin comme un destin.

L' exclusion est encore plus nette dans l'emploi informel. En effet,

dsins les périmètres irrigués de Sidi Bouzid, 1 'essentiel de la pro­

duction est le fruit du travail des femmes, mais l'homme reste le

propriétaire de la terre et tout lui revient, le travail comme le

bénéfice.

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Bien plus, 1'élevage d'ovins, première richesse de la région,

avant la sédentarisation, était une activité économique; aujour­

d'hui que la femme s'occupe de cet élevage, il devient domestique.

D'ailleurs, le barème du BIT ne lui accorde jamais plus de 67%

d'unité de travail, alors que l'homme se voit attribuer une unité

entière, même si son apport se limite à ouvrir les vannes d'eau,

et à surveiller le travail des femmes, et que, en fin de compte,

son travail effectif aux champs ne l'occupe qu'une infime partie

de l'année.

Dépossédée de son activité, de sa plus value par son mari, par

le statisticien et par 1'expert, la femme le sera encore par

1'artisan.

Autrefois, elle tissait les couvertures, mais depuis que le mé­

tier mécanique s'est répandu et que le textile a été pris par

1'usine, la femme se contente de carder et filer la laine.

La valeur ajoutée, par conséquent, émigré chez le tisserand.

Autrefois, elle confectionnait en totalité le burnous, le tail­

leur lui laissera le tissage, accaparera la confection et la

pose de la frange. Cette partie du vêtement le différencie des autres

burnous, le rendant unique, d'une part; d'autre part, elle porte la griffe de l'artisan.

Le marchand ne sera pas en reste .- il fera de la productrice indé­

pendante de tapis, une sous-traitante. L'industriel, enfin,

confisquera à son profil la préparation du couscous, des épices

et des gâteaux traditionnels, dont le marché s'est développé,

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tout en insistant sur la "qualité fait maison" de son produit.

Cette exclusion des femmes est d'autant plus regrettable., que le

secteur informel, de par sa liberté, sa soup'lesse et le faible

capital qu'il exige, constitue une planche de salut pour les plus

démunies d'entre elles.

Que faire?

Pour nos sociétés, dominées par la rareté, et où l'esprit communau­

taire persiste sous le vernis de 1'individualisme, l'échange mar­

chand ne peut primer. Vouloir généraliser 1 'économie classique à

nos sociétés serait, à la fois,une erreur logique et un parti pris

idéologique. De plus, étudier les économies des pays sous-dévelop-

pés sans une référence à leurs structures sociales, ne peut aboutir

à des changements positifs. Et, on ne peut appréhender une société

humaine que par des concepts et des principes qui se situent à son

niveau.

Un renversement de perspectives s'impose. Les statistiques, les re­

censements doivent mesurer la richesse d'une nation et permettre

d'appréhender correctement ses opérateurs économiques et sa popula­

tion active.

Ce but sera atteint si les outils de mesure de l'Etat, de l'économie

et des hommes,émanent d'une connaissance concrète de la réalité et

non de schémas théoriques abstraits. Ainsi, l'observation armée, les

monographies des métiers, des branches et des secteurs économiques

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et des régions, peuvent mener à élaborer des outils de mesure per­

tinents et valides. Par contre, les questionnaires établis en par-

tant de la législation, de la réglementation en vigueur et des. nor­

mes nationales ou internationales, ne peuvent que restreindre le

champ d'observation et occulter une partie de l'économie.

Ce changement dans la méthode sera facilité par le rattachement de

1'Institut National de la Statistique non au Ministère du Plan et

des Finances, mais au Ministère des Affaires Sociales. En effet,

les statistiques ne sont ni l'outil exclusif de l'Etat, ni son

bien, mais l'image qui doit être restituée à la région, aux hom­

mes, aux organisations, bref à la société civile.

Le Ministère du Plan et des Finances, centralisateur, oublie la

diversité et reste très attaché au Budget, aux équilibres généraux,

à la fiscalité et aux entités économiques. Par contre, le Ministère

des Affaires Sociales a pour mission de s'intéresser aux hommes, aux

organisations et aux entreprises. Il pourra plus aisément impliquer

les syndicats, le patronat et les associations, pour étudier chaque

région avec ses spécificités, et faire élaborer des recensements

dans le cadre d'une planification régionale authentique. Il sera

bien plus facile pour lui de lier 1'économie à la société, et ,

d'aboutir à un développement des potentialités régionales, qu'elles

soient du type organisé, structuré, ou du type informel, non struc­

turé.

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En résumé, il est nécessaire â'aborder les.problèmes économiques et

sociaux du développement, de façon moins centralisée, moins directi-

ve, et d'opter pour une régionalisation, afin de respecter la diver­

sité,et,la liberté d'initiative et d'entreprise. Le réseau actuel,

centralisé, doit laisser la place à un réseau ouvert, décentralisé

et multipolaire.

Dans cette perspective, les femmes pourront voir leur participation

à 1'activité économique, reconnue et reconsidérée, par une définition

plus appropriée de leur production et de leur activité économique.

Des actions pourront renforcer leur position. Ainsi, la généralisa­

tion des réservoirs d'eau pluviale résoudra-t-elle, au moins en par­

tie, la corvée d'eau dans certaines régions. De même, l'Office de

1'Artisanat pourra constituer un large réseau de diffusion des pro­

duits de 1 'artisanat féminin, et les libérer de la contrainte des

marchands et des grossistes.

XI devient donc nécessaire de revoir le rôle de l'Etat, de la région

et des ONG dans le cadre d'une perspective de respect et d'intégra­

tion du secteur informel et de la participation économique des fem­

mes.

Dans cette optique, l'Etat cessera d'être le régent de l'économie, le

dispensateur d'ordres et la -manne de subventions et de crédits ,pour

devenir le vigile qui observe les changements, diffuse les informa­

tions , et le catalyseur qui suscite les rapprochements et les échan­

ges. De même, il veillera à respecter la liberté et l'initiative

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tout en sauvegardant 1'intérêt national. Pour ce faire, il met­

tra à la disposition de tous les agents économiques, les compé­

tences de ses instituts et de ses services techniques, qui se

garderont d'imposer leur point de vue et leurs méthodes et 1 'in-sv

térêt propre à l'appareil d'Etat. Ses aides au secteur structuré

seront plus étudiées. Les crédits, les privilèges fiscaux, seront

liés au rapport entre production et emploi, exportation et impor­

tation. Ainsi, seules les entreprises bénéficiaires, celles qui

réussissent à avoir un solde net positif en devises, mériteront

un traitement spécial; les autres seront à pied d'égalité avec

le secteur informel et devront subir la loi du marché.

Quant à la région, elle cessera d'être le représentant de l'Etat

central, pour être un véritable centre d'initiatives et d'actions

qui doivent mener à un véritable développement spécifique. La

faiblesse de ses moyens lui évitera les ambitions démesurées et

la tentation du pouvoir providentiel, créateur de dépendance et

de l'esprit d'assisté. Elle devra être 1'animateur qui mobilise

les ressources humaines disponibles (instituts universitaires

de formation, associations, cadres en activité et retraités),

pour les mettre en contact avec les opérateurs économiques et

les faire participer à l'établissement d'un plan de dévelop­

pement régional.

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Enfin, la région sera l'interlocuteur et le défenseur des forces éco­

nomiques et sociales, auprès de l'Etat central, et cherchera à coor­

donner les actions avec les régions voisines, 'ou celles gui connais­

sent des problèmes similaires.

Quant aux ONG, elles sont indispensables pour inscrire l'effort de

développement auto-centré dans un cadre international. De plus, par

leur vision objective et par leur effort d'empathie, ces organisations

pourront aider à trouver des solutions, des soutiens ou des aides adap­

tés aux groupes-cibles. Leur apport sera d'autant plus précieux,

qu'elles permettront de connaître les expériences vécues par d'autres

régions et par d'autres pays, et qu'elles s'attacheront à développer

la formation humaine pour mieux intégrer la technique, et réduire la

dépendance à 1'égard des économies dominantes.

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II. VERS UN NOUVEL ESPACE

ECONOMIQUE

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Dans les années 70, les observateurs et les praticiens de la

planification ont pris conscience que les moyens d'investiga­

tion ne peuvent couvrir la totalité de la réalité économique

et de 1'emploi dans les pays pauvres et en voie de développement.

L'appareil statistique et conceptuel a fait problème. Le modèle

de développement lui-même a été remis en question.

Au lendemain des indépendances un diagnostic des économies des

pays en développement prévalait : faible niveau de la.formation

des agents, faible productivité, chômage déguisé,sous-équipement.

Pour combler ce retard la voie royale préconisée était l'industria­

lisation, le développement d'un secteur moderne, l'adéquation entre

formation et emploi. L'industrie et le secteur moderne devaient

absorber le surplus de la main d'oeuvre dégagé du monde rural et

du secteur artisanal traditionnel.

L'accumulation du capital, l'épargne devaient favoriser l'investis­

sement et multiplier l'emploi salarié. La réalité .s'est révélée

différente. L'investissement a été orienté vers les équipements-,

le gain de productivité, plutôt que vers l'emploi. L'impératif de

maximilisation du profit a joué chez les investisseurs, qu'ils

soient privés ou industriels, nationaux ou étrangers.

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L'exode rural continue : comment sont occupés ces migrants,

d'où tirent-ils leurs ressources ?

Un ensemble d'activités non recensées jusque-là a absorbé le

surplus de population active non intégrée au secteur moderne,. "-'

a distribué des revenus et a échappé à l'appareil statistique

classique.

•Il a fallu reconnaître que les dichotomies moderne-traditionnel,

urbain-rural sont inopérantes, que l'emploi ne peut être.défini

à partir de la seule division des tâches mais implique l'analy­

se de la hiérarchie des rôles sociaux; enfin, l'emploi ne.peut

être séparé du revenu dans les sociétés sans sécurité sociale

et où le salariat reste minoritaire.

De ce fait, le secteur informel, qui vise à satisfaire les besoins

essentiels, et qui crée des emplois à un moindre coût, a revêtu

un caractère stratégique de par sa fonction de formation et

de répartition des revenus, de par son.rôle " technologique ",

ainsi que de par ses effets d'entraînement et d'élargissement

du marché intérieur.

En résumé, la réalité du secteur informel a poussé à un renver­

sement de perspectives : une économie auto-centrée plutôt qu'une

économie extravertie qui privilégie l'emploi et les revenus,à

la croissance de la production, et qui adopte une optique de la

demande et non celle de l'offre de l'emploi.

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Parler de secteur implique une réalité organisée régie par ses

propres lois de fonctionnement, mais en ajoutant " non struc­

turé ", " informel " on aboutit à un antagonisme : " non struc­

turé ", " informel " désignent un ensemble inorganisé, chaotique.

Faut-il renoncer au terme secteur et parler de forme de produc­

tion ou garder ce terme et parler de secteur " non officiel " ?

De même les~catégories utilisées tel que " apprenti ", " travail

" activité ", ne recouvrent pas la même réalité en Europe et en

Afrique. L.'apprenti africain n'a ni le même statut ni le même

rôle qu'en Europe. Les termes " travail ", " activité ",

n'impliquent pas nécessairement une rémunération pour une person­

ne qui différencie mal travail productif de travail domestique.

A vouloir uniformiser et normaliser termes et statistiques,

on perd la spécificité des pays ou des continents.

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1. L'optique dualiste

La vision dualiste pose a priori l'existence de deux secteurs

étrangers l'un à 1 ' autre, malgré les échanges qui peuvent se . ••-•

produire entre eux.

Le premier secteur dit " moderne ", doté d'une organisation

efficace, régi par la rationalité économique, respectueux de la

légalité et de la réglementation,atteint un niveau appréciable

de productivité.

Sa transparence, son homogénéité ainsi que sa conformité au

modèle régissant l'appareil statistique des recensements, permet­

tent d'établir une nomenclature claire et en font l'objet d'étude

privilégié , si ce n'est exclusif, de l'appareil d'Etat et des

planificateurs.

Le second secteur dit " informel " serait son négatif : faiblement

organisé, dominé par les relations familiales, enfreignant à la

légalité et peu productif.

Opaque, fluide, instable, il échappe aux circuits officiels et

cadre mal avec les concepts classiques et les outils de mesure.

L'autorité tolère son existence mais le néglige, l'exclut de sa

politique économique; les planificateurs le délaissent et l'igno­

rent.

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Pour approcher., malgré tout, ce secteur, certains chercheurs

partent de cette conception a priori précise (le négatif du

secteur formel ou moderne), pour définir un-champ homogène par

le recours à des critères.

Les travaux ont cherché à affiner les..critères empiriques pour

dégager des sous-ensembles homogènes.

Ces critères peuvent être groupés en quatre types :

I. Critères techniques et économiques

Sept critères ont été retenus :

1. facilité d'accès; 2. emploi des ressources locales; 3. propriété familiale de l'entreprise; 4. échelle restreinte des opérations; 5. techniques adaptées et à forte intensité de main

d'oeuvre; 6. qualifications acquises en dehors du système scolaire; 7. marchés échappant à tout règlement et ouverts à la

concurrence.

Les critères empiriques laissent échapper la spécificité du

secteur informel et s'attachent aux caractéristiques les plus

apparentes qui permettent a priori de dénombrer les activités.

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- 21 - •

Le souci statistique semble l'emporter sur l'économique.

Ainsi sont mis de côté la nature de la production (valeur

d'échange ou valeur d'usage), la division technique et socia­

le" du travail dans l'entreprise, et la piace de ces unités

dans le procès d'accumulation.

II. Critères de l'organisation

, Certains travaux se fixent comme champ d'investigation, l'or­

ganisation.

On retrouve la dichotomie propre aux analyses dualistes. L'orga­

nisation " formelle " se réfère au " management " (division du'

travail , pouvoir de contrôle, échelle des salaires, qualifica­

tions, contrôle de la qualité).

L'organisation " informelle " se réfère plutôt aux relations

sociales .

En fait, dans toute société, une frange de la population vit

dans l'illégalité (contrebande, recel...). Une autre partie

de la population voit sa force de travail socialisée en l'ab­

sence d'assurances sociales. Quant aux activités productrices,

à valeur d'usage, elles impliquent- une relation directe entre

le producteur et l'acheteur et sont organisées hors marchés.

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Enfin, les unités intégrées dans le marché sont soumises à la

concurrence, et l'organisation renvoie soit à la sous-traitence

par rapport au capital, soit à la régulation par le marché,

r

soit à la protection de l'Etat.

III. Critères du travail

D'autres études se sont préoccupées des individus, et ont exami­

né le secteur informel sous l'angle de l'emploi.

Des tentatives pour dénombrer les petits métiers ont abouti à

des inventaires confondant le statut, la branche et la profession.

D'autres .encore, ont cherché à recenser de manière exhaustive les

métiers " informels ". L'enquête menée à Ouagadougou, en Juin

1976, répertorie 91 métiers.

L'établissement de telles nomenclatures ne suffit pas pour défi­

nir un objet d'étude, et ne permet pas de comprendre l'emploi;

d'où le recours à un critère posé a priori pour définir l'emploi;

le travail.

Page 27: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 23 -

IV. Critères du revenu

Les populations concernées par le secteur informel luttent pour

leur survie et occupent une situation marginale. C'est pourquoi,

certaines études ont estimé plus judicieux d'aborder le secteur

informel sous l'angle du revenu et de la marginalité.

Trois études semblent typiques de ce courant.

a) L'étude sur la ville de Mexico a permis de définir cinq

groupes de marginaux à partir du critère de revenu inférieur

au minimum légal, (ces marginaux représentent le tiers des travailleurs).

- marchands ambulants; - travailleurs non qualifiés des services (portiers, garçons de café);

- travailleurs non qualifiés de la construction; - travailleurs non qualifiés de la production (tan­neurs , charbonniers...);

- agriculteurs, éleveurs et travailleurs des champs.

b) L'étude du BIT sur la République Dominicaine (1975) ,

basée sur un questionnaire, a permis de classer les ouvriers

par branche d'activité et de mesurer leur degré de sous-ùtilisa-

tion. Elle a abouti à trois catégories :

(1) Garcia, Oliveira et Stern, Migration et marginalité profes­sionnelle, dans la ville de Mexico, in " Espaces et Sociétés Juillet 1971.

(2) BIT, Generación del empleo y crecimiento, El Caso de la Répu-blica Dominicana, Genève, 1975.

Page 28: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 24 -

- les travailleurs à revenu stable (secteur formel); - les travailleurs à revenu variable (indépendants et secteur informel);

- les travailleurs occasionnels.

r

Les travailleurs du secteur informel ont un revenu inférieur

au minimum légal, subissent les fluctuations.de la demande

et sont menacés s'ils appartiennent aux secteurs de la chaus­

sure, du vêtement et du mobilier, secteurs fortement.concurren­

cés par les grandes entreprises.

Par contre, ceux qui travaillent dans le secteur de la répara­

tion sont plus stables, car ces activités apportent une complé­

mentarité aux services modernes.

c) Cette approche par le revenu, si elle permet de mieux connaî­

tre les conditions de vie, ne peut, par contre, aboutir à un

ensemble homogène puisque les entreprises du secteur formel

recrutent un volant de main d'oeuvre occasionnel et à revenu

identique.

Conclusion

Le dualisme, dans son optique par secteur et/ou par agent,

n'atteint pas la précision requise au niveau des critères et

ne parvient pas à délimiter un domaine homogène.

Page 29: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 25 -

Les connaissances auxquelles on parvient ne peuvent être ap­

préciées dans leur portée, ni généralisées, ni même placées

dans un ensemble.

Leur postulat de base doit être remis en question : ni les:-

petites unités de production, ni le revenu n'ont leur significa­

tion à leur propre niveau.

C'est pourquoi certains chercheurs ont opté pour une approche

:systémique ou totalisante.

Page 30: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 26 -

2. L'optique systémique

Les études relevant de cette optique se placent dans une perspecti­

ve totalisante, globalisante. Les formes de production complexes ne

révèlent pas leur signification à leur niveau. Il importe de passer

à un niveau plus abstrait de l'économie politique.

De ce point de vue, il est nécessaire de différencier :

- les services et travaux créateurs de valeur d'usage - les activités créatrices de .valeur d'échange, mais organisées selon un procès de production non capitaliste

- la sous-traitance, qu'elle soit industrielle, ou qu'elle pren­ne la forme du travail à domicile.

Cette optique a été illustrée par plusieurs études.

a) Gerry examinant le secteur informel à Dakar, a cru nécessaire

de déterminer les rapports entre les petites activités marchandes

et le secteur capitaliste au niveau de la matière première, du

matériel, de la commercialisation, de la formation.

Gerry aboutit à la conclusion que les rapports de dépendance sont

clairs et bien établis, tant au niveau des articles (achat, vente,

transformation), qu'au niveau de l'assistance financière.

Il en conclut que la petite production ne peut subsister et trouver

son salut que dans le cadre du développement.

(1) Gerry, Petty producers and the urban economy : a case study of Dakar, Genève, BIT, Septembre 1974.

Page 31: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 27 -

b) Böse , partant du fait que les secteurs formels et infor­

mels opèrent sur deux marchés distincts, aboutit lui aussi à

la dépendance du secteur informel, une dépendance identique à

celle-de l'économie coloniale par rapport à l'économie métropoli­

taine.

Bose conclut qu'il ne sera possible au secteur informel de

maximiser sa production et de réaliser son potentiel d'emploi,

qu'à la condition d'une radicale restructuration du système

économique.

(2)

c) Lebrun souligne les rapports à la fois de dépendance et

d'ambivalence, entre les deux secteurs informel Et formel.

En effet, le secteur capitaliste maintient le secteur informel

dans une situation de dépendance, de subordination pour faire

face au blocage de son développement.

En même temps il cherche à éliminer le secteur informel dans

des branches (chaussures, transport) où il se révèle un concur­

rent.

(1) Bose, The informel sector in the Calcutta Metropolitan econo­my, Genève, BIT, 1974.'

(2) Lebrun, Mécanisme de dissolution-conservation-développement de l'artisanat et problématique de l'éducation-formation dans les zones urbaines d'Afrique, BREDA, Dakar, 1973.

Page 32: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 28 -

d).Miras étudie une branche : la menuiserie et la formation

du capital productif, il peut ainsi repérer les caractéristiques

des phénomènes d'épargne et d'investissement, dégager des groupes

significatifs sur le plan de l'économie productive, étudier la..,.

progression des entreprises dans la branche et l'articulation en­

tre les unités de production. Il conclut au non fondé des théories

du développement graduel.

3. Conclusion

L'échec des théories du développement est patent. Les Etats,

les organismes internationaux cherchent des remèdes à des situa­

tions devenues explosives ou dramatiques.

Un fait émerge : à côté de l'économie officielle se développe

une autre économie, " informelle ".

L'économiste se demande si ce secteur " informel "peut être un

tremplin pour une croissance économique et un développement de

1'emploi.

Le politique s'interroge si ce secteur " illégal " ne va pas

développer un foyer qui menace à court ou moyen terme la stabilité

Les hommes soucieux du " social" " s'y intéressent en tant que voie

pour atténuer ou résorber une pauvreté dégradante.

(1) Miras, La formation du capital productif privé ivoirien, le secteur de la menuiserie, Abidjan, ORSTOM, 1976.

Page 33: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 29 -

Ces études consacrées à la question peuvent être groupées en

deux tendances :

La première tendance se réfère à une vision-dualiste de la socié­

té et définit le secteur informel comme le négatif du secteur

formel, " moderne ".

Ce secteur peut contribuer positivement à l'économie, il mérite

diêtre stimulé et aidé.

La deuxième considère que les activités s!organisent en un en­

semble hiérarchisé où les activités non capitalistes sont dominées

et soumises.

Elle refuse le dualisme au nom de la globalité et cherche à dépas­

ser la simple description pour se consacrer à l'analyse des rela­

tions entre les formes de production.

Il est donc légitime et fondé de se poser la question : lréconomie

classique s'applique-t-elle aux sociétés non développées, non

industrialisées ?

Autrement dit, quelles sont les limites de cette économie ?

Le secteur informel s'est développé en dehors du secteur moderne,

il est autre. Comment peut-on rendre compte de sa spécificité si

nous lui appliquons les concepts classiques ?

Page 34: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 30 -

Bien plus, les sociétés dites en voie de développement sont-

elles irrémédiablement sur la voie des sociétés industrielles ?

Les structures imposées par la dépendance et/ou la colonisation

n'ont jamais concerné qu'une partie de l'économie et de la socié­

té. Les politiques économiques appliquées après l'indépendance

ont échoué.

Le secteur informel devrait être l'élément de départ d'une inter­

rogation sur l'économie et la société dés pays en voie de dévelop­

pement.

C'est le signe qu'une société est en train de mettre en place

une économie "non officielle " pour assurer sa survie et con­

tester les choix des états et des experts. Cette économie " non

officielle " est alternative en ce sens qu'elle vise la satis­

faction des besoins réels en empruntant la voie et les moyens

qu'elle maîtrise et qui sont à sa mesure.

Page 35: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- .31 -

III. LE SECTEUR INFORMEL EN TUNISIE

Page 36: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 32. -

1. Secteur refuge ou nouvelle panacée

Dans les années. 60 et 70 la Tunisie a connu une politique d'éta­

tisation et une politique libérale; deux versants'd'une même

stratégie de développement, dont les maîtres-mots étaient : la

modernisation, l'organisation, l'industrialisation.

La stratégie préconisée par l'Etat reposait sur un projet de

société en construction; en fait,.elle a abouti à accélérer

le système de décomposition des rapports sociaux et à faire sur­

gir et se.multiplier les résistances.

Les travailleurs se plaisaient à mettre en défaut la rationalité

productive, les agriculteurs refusaient les innovations cultura­

les, marquant ainsi leur attachement à des formes d'organisation

et à des relations sociales anciennes.

L'état et la société constituaient deux mondes avec des normes

de .rationalité, des types de sensibilité, des échelles de va­

leurs différents voire contradictoires.

Avec l'échec de la tentative d'accumulation nationale, la fin

de la complémentarité entre l'agriculture et l'industrie, le

poids de la dette et le déficit du secteur public, une brèche

est ouverte. Les espaces d'autonomie se font davantage en dehors

de l'organisation et s'expriment dans le petit secteur privé et dans

le secteur informel qui voit son poids grandir dans l'économie.

Page 37: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 33 -

Les travailleurs de ce secteur représentent 40% des actifs non

agricoles:. La production domestique, la petite activité marchande

et la pluri-activité qui lui est souvent attachée, permettent de

comprendre certains dynamismes économiques, et en particulier,

la stratégie de vie et de survie des urbains.

Ce secteur constitue..un mode inédit d'articulation entre l'écono­

mique, et le social, et atteste que, malgré l'importance du capital,

et de la grande industrie dans certains secteurs, l'économique est

loin d'organiser toute la société.

Le secteur informel concerne les citadins de fraîche date, qui

croient en la forte valeur de la solidarité mutuelle, et veulent

reconstituer des liens aussi forts que ceux du sang. La solidité

et le.dynamisme de ces cohésions permettent à l'individu de tis­

ser des liens et lui offrent l'appui permanent d'alliés.

La technique importée est ajustée ponctuellement pour l'adapter

à une opération déterminée . Un "segment du processus de produc­

tion peut être modifié, bien plus, une machine peut être détournée

de sa fonction initiale.

Enfin, les ateliers se transforment en centres d'apprentissage,

forment des jeunes marqués par l'échec scolaire, les dotent

d'une forte qualification..

Page 38: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 34 -

Certains se plaisent à le considérer comme un phénomène

" d'industrialisation rampante " et à y voir un " lieu de

révélation et de foisonnement de dynamiques entreprenariales

intenses " .• D'autres y voient le lieu de " l'accumulation ini­

tiale du capital ... Une soupape de sûreté dans la mesure où

il permet au corps social de procéder aux adaptations qu'impo­

sent les mutations de l'économie durant les périodes de

transition. "

Enfin, il serait faux de cantonner le secteur informel dans

les zones urbaines et d'oublier la participation de la femme

dans cette contestation d'un certain développement qui déra­

cine plus qu'il n'intègre, sépare plus qu'il ne lie.

Cette participation féminine se fait-elle dans le cadre tradi­

tionnel de la répartition des rôles sexuels, ou bien les

trangresse-t-elle pour fonder un nouveau rapport entre les

sexes ?

(1) J. Charmes, Méthodes et résultats d'une meilleure évalua­tion des ressources humaines dans le SNS d'une économie en voie de développement en iEanisie.. Le secteur non structuré, quelles technologies, quel développement 1 Ed. Salambo, Tunis, 1983.

Page 39: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 35 -

2. Genèse

Comme tous les pays dominés, la Tunisie présentait à la fin des

années 50 une économie désarticulée.

L'état et les gouvernements avaient en charge un pays avec des

demandes sociales pressantes : une agriculture écrasée, un arti­

sanat urbain important mais peu " productif " qui représentait

76,8% des branches manufacturières, une aspiration à l'éducation

et à la santé.

L'idéologie moderniste, l'industrialisation à outrance, choix

d'une classe politique obnubilée par le modèle occidental du

développement correspondaient peu aux moyens du pays sur le

plan matériel, humain et financier. Mais l'Etat voulait, contre

toute raison et en dépit des données sociales, imposer la supré­

matie de sa " technophilie " et de son ambition.

Les décennies 60 et 70 ont vu tour à tour s'affirmer la généra­

lisation des coopératives et le libéralisme économique qui

aboutirent à une amère déception : l'agriculture ne cessa de

se disloquer et la dépendance alimentaire s'aggrava, alors que

le secteur industriel " miracle ™ s'avéra incapable d'absorber

les jeunes à la recherche d'un emploi.

Page 40: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 36 -

Devant cette situation, les planificateurs, les économistes

portés par une vague à la mode, découvrirent avec surprise le

secteur " non structuré ", jusque-là méconnu, par ignorance

des dirigeants. Les statistiques descriptives manquaient, la -..•

connaissance des activités et des fonctions des petites entre­

prises de ce secteur faisait défaut. Pourtant, les études

étaient commandées, entreprises avec la ferveur des nouveaux

convertis. Tandis que l'Etat errait et s'essayait à s'imposer,

la société civile développait dans les aires réduites de liber­

té, les jalons d'une économie endogène, centrée sur les besoins

réels des hommes, utilisant les moyens disponibles, adoptant

les techniques assimilables et capables de maintenir les liens

sociaux.

Ainsi, le secteur " non structuré ". représente plus une réaction

des hommes pour assurer leur survie économique, sociale et cul­

turelle, qu'un raté de l'économie.

Page 41: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 37 -

3. Définition et typologie

L'étude de ce secteur a commencé en 1976, dans le cadre de

l'Institut National de la Statistique relevant du Ministère du

Plan et en collaboration avec l'Office de la Recherche Scientifi-.

que et Technique d'Outre Mer, représenté par un économiste Jacques

Charmes.

L'objectif visé est clair : situer le secteur " non structuré "

dans l'ensemble des branches économiques.

Nous citons trois définitions retenues dans les études et publi­

cations de J. Charmes :

" Le secteur non structuré est constitué par l'ensemble

des établissements de moins de 10 emplois dans le sec­

teur secondaire et les services, et de moins de 3 emplois '•

dans le commerce, et par l'ensemble des travailleurs

clandestins à domicile ou itinérants. "

(1) J. Charmes, Le secteur non structuré, son importance, ses caractéristiques et ses possibilités de promotion, INS, Tunis, 1981.

Page 42: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 38 -

" Le secteur non structuré est constitué par l'ensemble

,des activités monétaires non prises en compte par les

statistiques classiques et la comptabilité nationale. "

" Le secteur non structuré est constitué par l'ensemble

des activités non appréhendées par les statistiques

(2) périodiques d'entreprises. "

Ces définitions reconnaissent que la théorie économique classique

se trouve être mal armée pour appréhender ce domaine; les sta­

tistiques ne disposent pas des concepts et des méthodes adéquates

d'où la nécessité de réviser les conceptions pour une collecte

rigoureuse des données.

Les activités sont réparties en deux grandes catégories selon

qu'elles s'exercent dans un local fixe, unique et prévu à cet

effet (secteur localisé), ou dans des locaux divers, dans la

rue ou à domicile (secteur non localisé).

(1) J. Charmes, Le secteur non structuré et l'économie. du dévelop­pement. Nécessité de sa prise en compte et d'une reconsidération subséquente des théories et des politiques de développement, in séminaire sur l'économie du développement; l'analyse en termes réels et monétaires, F.S.E.G., 27-28 Avril 1983.

(2) J. Charmes, A. Sanâa, Promotion de l'artisanat et des petits métiers en Tunisie : une politique comprehensive à l'égard du secteur non structuré, Ministère des Affaires Sociales, Tunis, 1985.

Page 43: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 39 -

Les activités sont réparties en deux grandes catégories selon

qu'elles s'exercent dans un local fixe, unique et prévu à cet

effet (secteur localisé), ou dans des locaux divers, dans la rue

ou.p domicile (secteur non localisé).

L'ensemble des catégories constitue le secteur non structuré

au sens large, alors que seules les catégories 3 a 7 consti­

tuent le secteur non structuré au sens strict.

. 1- catégorie : Ces entreprises sont identiques au secteur ca­

pitaliste moderne quant au comportement économique, elles

s'en différencient par leur taille et leur effectif réduit.

e . 2- catégorie : Ce qui les caractérise c'est l'emploi d'une

plus forte proportion d'apprentis et d'aides_familiaux,

leur structure et leur comportement économique.

e . 3- catégorie : Ces formes d'activité en rupture avec la légis-

lation et les règlements font concurrence à la 2- catégorie.

. 4- catégorie : Ce qui les caractérise c'est la' mobilité des

travailleurs et la précarité de leur situation.

. 5- catégorie : Les marchands proposent des biens et services

et non une force de travail.

Page 44: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 40 -

6 • ^

. 6- catégorie : Ce sont les ateliers sous-terrains, a domicile

et qui aggravent la concurrence.

. 7- catégorie : Ce sont des activités admises (tissage) pour

les femmes surtout-

Le système d'enquête de l'INS,'a été limité aux trois premières

catégories du tableau et a négligé les commerces, services, sous-

métiers, et le milieu rural non agricole. Il comporte un recen­

sement exaustif des établissements pour tous les secteurs de

l'activité économique en milieu urbain mais ne couvre pas le

travail à domicile.

(1) I.N.S., Recensement des établissements en milieu urbain, 1976,. Tunisie entière, Tunis, 1980.

Page 45: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 41 -

4. Importance du secteur non structuré

. • 4.1- L'emploi

r

Le tableau suivant illustre parfaitement l'importance du secteur

non structuré :

\ ^ Formes delcca-

^ \ ^ lisation

> ^

ggcteur d'act;Lvite\^^

Bois-Ameublement Mécanique-Garages. Métal-Forgerons -Textiles-confection Cuir-Chaussures Boulangerie-Patisseri' Autres activités div. (Caout.Céram.Verre Bijouterie...) Bâtiment Transports routiers Conmerce de détail Hôtellerie-Restauratioi Réparations Autres services Secteur secondaire (ss.Bâtiment) Secteur des services (ss. Transport)

Ensemble des 2 secteurs secondaire & tertiaire (ss.Bâtiment Transport) Ensemble des 2 secteurs II et III

Secteur non structuré Localisé

Urbain

11.526 8.750 4.785 11.928 3.317

5 4.810 3.545

1.255

37.505 i 10.359

3.653 7.434

48.161

21.445

107.112

108.367.

Part ô

Rural

2.760

2.379 860

630 1.161

625

17.390 1.554 774

5.763 7.790

6.091

31.271

31.896

a secteur n Sourcf

Secteur non structuré non localisé

Urbain

2.004

4.862

47.676 207

25.445 11.740 7.380

2.547 18.212 54.749

20.759

82.8SS

120.075

an structur 2 : Recenser

Rural

480 1.321

41.619

-

12.675 4.787

516 11537 43.420

2.053

45.473

62.935

édans l'en] nent des et

Total Secteur -non

structuré

16.770 17.312' 5.645

101.223 4.154 5.471

3.545

40.000 16.527 62.275 11.913 7.490 30.945 154.120

50.349

266.744

323.271

alo i non a ablissemen

Dont

Urbain

: 13:550 • 131612

: 4.785 : 59.604 3.524 4.310

%

80,7

78,6 84,8 58,9 84,8 78,8

3.545 100%

26.700 11.740 44.885 10.359 6.200

25.646 102.910

42.205

190.000

228.440

66,8 71,0 72,1 87,0 82,8

82,9 66,8

83,8

71,2

70,7

gricole ts en mil i eu

Dont

Localisé

14.286

11.129 5.645 11.928 3.947 5.471

3.545

" 1.880

54.895 11.913 4.427

11.197 55.951

27.537

138.383

140.263

%

85,2

64,3 100,0 11,8 95,0 100,0

100,0

4,7 0,0 88,2 100,0 59,1

36,2 36,3

54,7

51,9

43,4

Part du SNS dans

T

1'ensemble du secteur

70,2

74,3. 54,8 72,3 54,2 63,7

27,1

28,4 53,3

75,5 38,2 97,8 98,0 68,4

71,5

72,2

53,8

39,3

urbain, INS, 1980.

Page 46: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 42 -

Le secteur non structuré représente 39,3% de l'emploi non agri­

cole soit 323.000 emplois, alors que la fonction publique et le

secteur public ne représentent que 300.000 emplois.

Répartition et croissance de la main d'oeuvre occupée non agricole entre 1966 et 1980 par statut dans .la profession (catégorie et emploi)

^ " \ ^ ^ Année

dans la profes T"--- sion^-v^

Patrons associés

Indépendants

Salariés

Apprentis

Aides-familiaux •

Apprentis +• aides fami­liaux

Total

1966

Effectifs

11.425

. 75.429

443.403

2.971

6.603

9.574

604.595

%

1,9

12,5

73,3

0,5

• 1,1

1,6

100,0

1975

Effectif

20.600

153.190

614.540

32.630

22.240

54.920

857.590

%

2,4

17,9

71,7

3,8

2,6

6,4

100,0

1980

Effectif

19.240

188.020

704.330

48.290

30.370

78.660

999.910

%

1,9

18,8

70,4

.4,8

3,0

7,8

100,0

3,8

6,7

3A 22,0

11,5

16,2

3,7

6,7

8,2

2,4

30,5

14,5

21,4

4,0

- 1,4

4,2

2,8

8,1

6,4

7,4

3,1

Source : .CNRS ,.Apprentissage sur le tas dans le secteur non structuré en Tunisie, Annuaire de l'Afrique du Nord, Paris, 1980.

En 1966, les apprentis né constituent que 0,5% de la population

occupée et un patron sur quatre a un apprenti. Cela corres­

pond au schéma de l'artisanat traditionnel, corporatiste,d'autant •

que les aides-familiaux représentent les 2/3 de l'apprentissage.

En 1975, le paysage change avec la primauté accordée à l'initia­

tive privée. L'emploi -connaît une croissance de 4% et les appren­

tis progressent à un taux de 30,5% alors que les salariés s'ac­

croissent avec un taux de 2,4%.

Page 47: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

_ 43 _

Ainsi entre 1966 et 1975, les apprentis passent de 0,5% de l'em­

ploi agricole à 3,8% du même emploi et.chaque patron emploie

1,5 apprenti, en 1975.

L'enquête population-emploi de 1980 confirme que le phénomène a

changé d'ampleur et de signification. Les apprentis continuent

à progresser (8,1%) ainsi que les aides-familiaux, alors que la

part des salariés régresse.

L'emploi des apprentis se concentre dans les industries manufac­

turières (textile, chaussures, bois, métal et mécanique), dans

les services (ateliers de réparation, garages), et, enfin, dans

le commerce.

On peut même affirmer que, dans toutes les branches où la propor­

tion des apprentis et aides-familiaux par rapport à la main

d'oeuvre occupée est relativement forte, elle a tendance à s'ac­

croître.

L'emploi semble se développer pour tous et particulièrement dans

le secteur non formel qui se trouve soumis à une forte concurrence

(textile, chaussures, bois ameublement, réparation mécanique) et

où la proportion des apprentis et des aides-familiaux dépasse 50%.

Page 48: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 44 -

4.2- La formation

La croissance du nombre des apprentis conduit à se poser la

question de la formation dans le secteur non structuré. Un

chiffre éclaire la situation : 75% des apprentis formés par le

secteur privé de l'économie tunisienne le sont par le secteur

non structuré et par l'ensemble des petits établissements de

moins de 10 personnes.

Le mode d'apprentissage le plus répandu dans le milieu rural

se prolonge : voir faire et ouïdire, transmission du savoir

faire par l'observation et la pratique.

Cet apprentissage s'apparente à l'initiation, l'apprenti doit

faire preuve d'intérêt, se montrer docile, obéissant, et oser.

Rien n'est donné. Il s'agit de conquérir, de " voler par le

regard " les secrets du métier.

L'objectif du patron est de comprimer les coûts salariaux

pour être concurrentiel, il. cherche à rendre l'apprenti aussi

productif qu'un véritable ouvrier.

Expression populaire, sans cesse répétée par les artisans eux-mêmes, et signifiant que le savoir n'est jamais donné, qu'il est saisi au vol, par le regard.

Page 49: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 45 -

Le patron multiplie le nombre des apprentis; un ouvrage confié

à deux apprentis revient moins cher que s'il était confié à un

ouvrier qualifié. • .,

Le patron cherche à éviter le départ des meilleurs, de perdre

le bénéfice de la formation, et craint la divulgation de ses

secrets. Quant à la formation au ,sein d'unités intermédiaires

(8 personnes), elle est plus spécialisée pour utiliser l'appren­

ti de façon plus productive et à bon marché. La rotation du

personnel est grande.

Certains critiquent ce type de formation, trop long, qui finit

souvent par mettre sur le marché des producteurs peu .qualifiés,

aggravant la concurrence (travailleurs clandestins, " casseurs " ) .

En fait, il prépare mieux au métier que la formation profession­

nelle très théorique, qui dure presqu'autant, mais permet peu de

maîtriser une profession. Tout juste rend-il apte à faire les

.premiers pas dans une usine. Le mérite de la formation sur le tas

est de remettre en question le système de formation professionnel­

le hyper-institutionnalisée, et souvent éloignée de la réalité

économique.

La formation sur le tas a au moins le mérite de ne jamais éliminer

tout en sélectionnant les meilleurs, et en permettant à chacun

d'évoluer selon son rythme.

Page 50: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 46 -

4.3- Contribution à la production

Les deux enquêtes sectorielles (bois et mécanique), ainsi que

l'enquête nationale sur les activités économiques menées en 1981,

ont permis d'établir que la valeur ajoutée pour les branches

manufacturières en Tunisie, était sous-estimée de 46%, et que la

prise en compte du secteur non structuré équivaudrait à une rééva­

luation- de 10% du PIB.

Ainsi, une comparaison a été établie entre le secteur industriel

et le secteur non structuré pour le bois. Elle révèle que le

secteur non structuré représente :

- 1,9 de l'emploi industriel - 1,1 du chiffre d'affaires - 1,5 de la valeur ajoutée (avec 31% d'apprentis) - 4,3 du bénéfice.

Néanmoins, la productivité par tête, le chiffre d'affaires et

le bénéfice par tête restent inférieurs.

Il faut, également, noter le coût de production élevé des indus­

tries; les coûts salariaux et les taxes peuvent atteindre 74,4%

de la valeur ajoutée. A titre indicatif, la charge salariale

s'élève de 648 Dinars Tunisiens dans l'industrie, alors qu'elle

n'est que de 229 Dinars Tunisiens dans le secteur non structuré.

Enfin, soulignons que dans les activités manufacturières non

structurées, les revenus se ventilent ainsi ' :

- 23% pour le travail - 2% pour l'Etat - 75% pour le patron.

(1). INS, Premiers résultats de l'enquête sur le secteur indus-triel non structuré, Tunis, 1984.

Page 51: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 47 -

5. Une économie adaptée

Face à la politique de développement des Etats qui optent pour

l'industrialisation à outrance se dressent des unités microscopi­

ques qui négligent la législation et la réglementation.'

L'Etat adopte l'économie marchande, recourt intensivement au Capital,

cherche à améliorer la productivité par l'introduction de technolo­

gies avancées et sophistiquées et néglige les aspects sociaux et

financiers qui résultent des " aides " et prêts internationaux.

Par contre, les petites unités, soucieuses de leur indépendance et

conscientes de leurs limites 'et de leurs moyens cherchent à mettre

en oeuvre un modèle original pour leur survie et leur développement.

Face à la technique de bulldozer qui caractérise le secteur moderne

soucie.ux de dominer et d'imposer ses exigences à la nature et aux

hommes, le secteur non officiel, "non structuré", adopte la techni­

que d'un David, faite d'accommodement, de mesure, et'vise l'adap­

tation plus que la conquête.

L'objectif n'est pas l'accumulation mais la survie, la reproduc­

tion sur la même base de capital.

En ce sens, il serait erroné de considérer ce secteur comme état

embryonnaire du système moderne, et encore moins comme un négatif.

Il est simplement l'annonce d'une altérité, le signe précurseur

d'autres voies, tout comme la contre-culture révélait 1'état de cri­

se larvée d'une société et la nécessité d'une nouvelle organisation.

Page 52: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

• - 48 -

Ce secteur non officiel, est au moins un symptôme;pourra-t-il

être une panacée ?

Ce secteur a été vanté -pour ses capacités d'emploi, ses besoins

très modérés en capital, ses revenus distribués, ses capacités

de formation à faible coût et d'un-bon niveau, sa potentielle

autonomie technique; reste que sa productivité a souvent été

considérée comme faible, et ses techniques, à mi-chemin entre l'ar­

chaïsme et le sophistiqué moderne.

Il est légitime de se poser la question : sous cette apologie

ne peut-on déceler un mépris profond pour ce secteur qui serait

une économie des démunis, acceptée, respectée comme l'étaient

les " traditions ", les " particularités " au temps de la colo­

nisation ?

Ce secteur mérite plus; il nous incite à nous remettre en ques­

tion, à éviter l'universalisme facile," forme insidieuse de main­

tien et de renforcement des positions dominantes. Il doit être

étudié en lui-même, approché avec des concepts et des outils

pertinents, spécifiques. Il est à l'économie classique appliquée

aux pays en voie de développement ce qu'était l'expérience de

Michelson et Morley pour la physique classique, le point de départ

Page 53: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 49 -

d'une nouvelle théorie. Einstein l'a compris et a développé une

théorie,de la relativité. Qui osera intégrer les renseignements

du secteur non structuré pour élargir le champ de l'économie

classique, qu'elle soit libérale ou marxiste ?••

5.1- Portrait-type de la petite unité de production

Nous nous proposons de brosser un tableau du secteur non structu­

ré , particulièrement dans sa composante " petite unité de produc­

tion ", et ce, à partir de quelques observations personnelles

et d'entretiens informels.

Souvent, les petites unités de production doivent leur naissance

à la volonté d'un homme de s'installer à son compte, parce qu'il

estime avoir acquis un niveau suffisant de connaissances et de

qualification dans le métier.

•Son capital provient d'une épargne personnelle, d-'un prêt fami­

lial, de la vente d'un-lopin de terre, ou de tout autre patrimoi­

ne familial.

A son démarrage, il a acquis le minimum d'outils et de machines,

parce que ses moyens financiers sont limités et qu'il est capa­

ble d'y pallier par sa compétence technique.

Page 54: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 50 -

Il cherche à éviter tout ce qui peut constituer une entrave

à son indépendance et à son autonomie de gestion. Il se fera

aider et formera des apprentis. Peu à peu, il les initiera aux "-

techniques du métier, élargissant à chaque fois leurs tâches,

ce qui leur permettra de se relayer, de se remplacer, de se

regrouper sur une tâche, de maîtriser le processus de production

et les outils. Mais, il gardera pour lui-même ses secrets, le

réglage d'une machine centrale, les opérations liées à son

maniement, les procédés de fabrication, ses sources d'approvi­

sionnement en matière première, et ses débouchés. Il sait que

l'essentiel du travail est assuré par les ouvriers, que lui-

même ne peut être impliqué de manière continue; il prépare,

contrôle, encadre et reçoit les clients.

Mais, pour pouvoir gérer au mieux son personnel, outre son refus

de le différencier par les qualifications, il veillera par son

style de commandement et d'encadrement à signifier et à rappeler

à l'ouvrier comme à l'apprenti son statut de subalterne, non par

rapport à la hiérarchie, mais en référence à son savoir-faire

et à sa connaissance du métier. Ainsi, il pourra maintenir à

un niveau acceptable les salaires, tout en s'assurant un bon

rendement.

Page 55: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 51 -

Pour persévérer dans son existence, l'unité de production doit

avoir une stratégie d'accès à la technologie, et être vigilante

quant au marché, diversifier sa production,'aborder de nouveaux

marché, améliorer la qualité si on opte pour le maintien du même

produit, des techniques et de la clientèle.

Limité, par ses moyens financiers, il achètera ses machines sur

le marché d'occasion, le plus souvent, en Tunisie ou a l'étranger.

Fréquemment, il aura à l'adapter à des fonctions autres que cel­

les pour lesquelles elle avait été prévue.

La.rareté des pièces de rechange de ce matériel obsolète l'obli­

gera à assurer lui-même la maintenance. Il démontera, tôt ou

tard la machine pour accéder à son " coeur " et comprendre son

mécanisme central.

De ce tableau il ressort que la naissance et la logique des

petites unités sont intimement liées à la volonté de survivre,

de réduire les contraintes, plus que d'accumuler.

Le chef d'unité marque une défiance irréductible à l'égard de

l'argent (finance, commerce) au nom de son indépendance et de

son autonomie de gestion, ce qui n'est pas sans rappeler le sens

de sa propriété du petit propriétaire terrien. Son sens aigii de

la réalité, ses réflexions'd'apprenti qui doit fournir tous les

efforts, être attentif.à tout geste, tout acte, pour capter,

Page 56: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 52 -

" voler des yeux " le métier, persistent. La maîtrise, la per­

fection dans son art l'intéresse; la technologie en tant que

dispositifs, procédés techniques de fabrication, modes opéra­

toires, savoir-faire, qui interfèrent dans,l'acte de produire, "'

est essentielles pour lui. Il ambitionne de maîtriser la techno­

logie qui ne menace pas son indépendance mais renforce son auto­

nomie, et, ce processus d'acquisition et de maîtrise lui ouvre

un large champ d'innovations.

Malheureusement, ce rapport à la technologie, ces innovations,

n'ont pas assez été mis en relief, comme si le secteur non

structuré n'était pas une activité de production, et que les

chefs de ces unités étaient incapables, malgré leur savoir-

faire, d'innover.

Serait-ce parce que l'aspect marchand n'est pas seul et toujours

présent ? Serait-ce parce que le niveau d'instruction de ces

chefs d'entreprises est plutôt réduit ?

Il y a intérêt à relire l'histoire des techniques et des scien­

ces.

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- 53 -

IV. LA FEMME ET LE SECTEUR INFORMEL

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- 54 -

1. Vers une'nouvelle exclusion

Que notre regard se porte sur les plaines céréalières du nord,

sur les steppes du Centre ou sur les oasis du Sud, un fait s'im­

pose : la femme d'aujourd'hui, comme celle d'hier continue à

s'échiner aux travaux agricoles.

Cette participation visible est-elle reconnue, estimée à sa

juste valeur au niveau statistique et économique ?

Dans une économie dominée par l'agriculture où persistent la

production non marchande, domestique et le travail familial, le

double privilège accordée à la production marchande et à l'emploi'

salarié aboutit à une dépréciation marquée de la production et

de l'activité agrioole féminine. Cette occultation et cette

dévaluation sont d'autant plus aisées qu'elles s'appuient sur un

préjugé sexiste dominant dans les sociétés traditionnelles.

En effet, dans l'agriculture traditionnelle, l'homme se réserve

la position dominante, l'acte noble, et s'approprie le fruit

du travail.

Une récente enquête menée dans la région de Siliana (Centre de

la Tunisie) auprès de 305 Agriculteurs a montré que l'épouse

est systématiquement exclue des labours, tâche réservée au

chef de ménage.

Debout, l'homme mène l'attelage, laboure et sème. Courbée, la

femme moissonne ou glane.

Dans l'oliveraie, le mari laboure, taille les arbres, perché sur

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- 55 -

l'échelle, il cueille les olives. Sa femme pliée, prépare les

cuvettes, ramasse les branches,. trie les olives.

L'homme est aux deux bouts du processus, il est l'alpha et l'oméga.

La vie sociale, publique, prolonge sa vie d'exploitant; la femme

quitte le.travail des.champs pour les travaux ménagers, la produc­

tion de subsistance, le potager, l'élevage, le tissage.

Pourtant, dans les recensements, dans les statistiques, l'actif

c'est lui, elle est femme au foyer, elle aide, simplement.

La femme urbaine n'est pas mieux lotie. Éloignée des champs, elle

transforme le blé en couscous, la semoule en pain, prépare les

repas et assume ainsi une fonction naturelle.

Mais l'homme qui, au souk prépare des plats cuisinés pour ses

clients,.est restaurateur comme celui qui fabrique et vend du

pain est boulanger.

A la femme, 1 'effort gratuit, le travail domestiquera l'hommej

le revenu et l'activité économique.

Cette femme urbaine participe-t-elle aux travaux d'artisanat ?

Elle carde, file la laine et l'homme se charge . de la tisser

sur son métier mécanique. Elle tricote la laine pour la " chéchia ",

l'homme s'active à lui donner sa forme définitive.

La femme accomplit les travaux de préparation et l'homme se réserve

la plus-value, il est artisan, elle ne fait qu'aider.

Page 60: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 56 -

Le même processus se déroule indéfiniment et partout.

La femme tisse seule son tapis sur son métier; elle s'occupe.

L'homme fait commerce de tapis.

Elle tricote, fait de la couture, brode pour ses clients; alors

la ménagère assure un revenu complémentaire à la famille.

L'expression " travail fantôme " (Illitch) s'applique bien au

résultat de ce processus d'occultation et de dépréciation sys­

tématique de la participation des femmes à l'économie.

On justifie l'escamotage de cette participation par des concepts

tels que : fonction naturelle, activité annexe,' revenu d'appoint.

On élabore des normes à l'allure rationnelle pour quantifier cet­

te activité en part de travail par rapport à l'activité d'un.homme.

L'inégalité se trouverait ainsi fondée scientifiquement.

En conclusion, s'appuyant sur des préjugés sexistes existants,

l'approche " scientifique " inspirée par l'économie classique,

ses concepts et ses outils, continue à masquer le travail infor­

mel féminin, et, le projet de développement moderniste aggrave

la situation des femmes et la perpétue. .

Page 61: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 57 -

2. L'exclusion redoublée : la femme dans l'agriculture

(1) Sophie FERCHIOU a demonte le mécanisme d'occultation et de

dévaluation de la participation féminine au développement écono­

mique, en procédant à l'évaluation du projet de développement

intégré dans les périmètres irrigués à Sidi -Bouzid.

Cette région de haute steppe de la Tunisie Centrale présente

l'avantage de faire ressortir l'évolution du travail féminin dans

une société en mutation qui a connu l'économie agro-pastorale

classique, l'agriculture de subsistance, et développe une écono­

mie, agricole marchande.

2:1- La femme et l'économie agro-pastorale

Au début du siècle, la population de Sidi -Bouzid vivait de l'é­

levage des ovins et de la céréaliculture d'appoint. La terre de

parcours appartenait à la tribu, et le troupeau, seule proprié­

té individuelle, pouvait différencier socialement les familles.

La transhumance rythmait la vie. En été, les familles entières,

avec femmes, enfants, troupeaux se dirigeaient vers les plaines

du Nord pour participer à la moisson et recevoir en contre-par­

tie le dixième de la récolte.

(1) Sophie FERCHIOU, Les femmes dans l'agriculture Tunisienne, Edisud, Cerès Production, 1985.

Page 62: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

_ 58 _

L'automne, la caravane se déplaçait vers les oasis du Sud pour

la récolte des dattes et pour écouler la laine auprès des arti­

sans du textile lainier du Jerid. --•

Enfin, en hiver, elle partait vers Sfax pour participer à la

cueillette des olives.

Ainsi se- trouvaient constituées les réserves de grains, de dat­

tes et d'huile d'olive, nécessaires à la survie, et écoulés les

produits d'élevage (beurre, viande séchée, laine).

Durant les périodes d'activité intensive (moisson, récolte, cueil­

lette) les femmes participaient côte à côte avec les hommes.

De retour, à Sidi -Bouzid, et durant les haltes parfois très pro­

longées, elles se consacraient au tissage. Il ne s'agissait pas

d'un loisir mais d'une production nécessaire à la vie du groupe.

La tente et tous ses équipements étaient le produit du tissage;

les hommes avaient besoin de burnous pour se couvrir. En outre,

couvertures, tapis, mergoums constituaient une épargne et pou­

vaient être commercialisés pour couvrir les dépenses d'un mariage,

par exemple.

2-2. La femme et l'agriculture de subsistance

Sous la pression de la colonisation renforcée, la société tuni­

sienne va se trouver déstructurée et l'échange complémentaire

entre groupes et régions va aller vers sa fin.

Page 63: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 59 -

Les terrains de parcours vers le Nord et vers Sfax vont se ré­

trécir avec l'extension des fermes coloniales au Nord et l'olive­

raie à Sfax. Les offres d'emplois saisonniers vont se raréfier

avec l'introduction des moissonneuses-batteuses.

Enfin, l'introduction des produits, manufacturés a mené à sa ruine

l'artisanat textile lainier des oasis. Les nomades connurent,

alors, le nomadisme de travail et de misère, et se replièrent sur

leurs terres pour devenir agriculteurs en sec, réduisant les ter­

rains de parcours et condamnant à la régression, le cheptel. Minée

1 dans ses assises, la population entra dans un lent processus de

sédentarisation et s'engagea dans une lutte contre l'extrême pau­

vreté. Les femmes continuèrent à s'adonner au tissage, à la mois­

son, et, participèrent à l'élevage, d'autant plus qu'une partie -,

des 'hommes fut obligée de chercher du travail ailleurs.

De plus, l'arrachage de* l'alpha et sa commercialisation, autrefois,

réservés aux familles les plus pauvres, devinrent des activités

indispensables.

Les femmes, par groupe, escaladaient les pentes abruptes à la

recherche de l'alpha; l'arrachage se faisait à la main; le tra­

vail durait de six heures du matin à la fin de l'après-midi,

durant une assez longue période s'étalant de Mars à Août.

Page 64: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

_ 6Q _

Les hommes n'y participaient;pas, se contentant de surveiller les

femmes au travail, et.chargeant les bottes sur un âne ou sur une

charëtte, à la fin de la journée, pour les faire enregistrer au

Centre de collecte, et encaisser l'argent. Parfois, ils se conten­

taient d'attendre au Centre, une jeune fille se chargeant de leur

livrer le produit du travail.

2.3- La femme et les cultures irriguées

Dès les années cinquante, la population creusa des puits de surface.

L'Etat développa les périmètres publics irrigués dans la décennie

soixante, mais les unités agro-industrielles ne produisirent que

10 à 20% de.leurs capacités.

Faisant suite aux projets internationaux de développement (P.A.M.,

A.I.D., F.A.O. ), un projet de développement intégré impliquant les

périmètres irrigués et les exploitations privées se fixa pour objec­

tifs:

- d'accroître la production - d'augmenter la productivité et les revenus des plus pauvres - de favoriser le passage de l'agriculture de subsistance à l'agriculture commerciale.

L'assistance technique et l'aide financière de la F.A.O., du -, .

S.I.D.A. (Office suédois pour l'aide internationale, au développe­

ment) devaient permettre d'atteindre ces objectifs et d'engager le

processus de développement rural.

Page 65: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 61 .• -

Le découpage des périmètres irrigués devait marquer le passage à

la propriété privée du sol, à la recherche du profit et de l'accu­

mulation. En fait,- le modèle social dominant, restait la parente. -

La-famille élargie composée du père, de ses enfants,de ses frères,

et parfois de neveux et de cousins (jusqu'à 150 personnes) consti­

tuait l'unité de vie et de production. C'est pourquoi, la distinc­

tion entre propriété (catégorie juridique) et exploitation (notion

économique) restait plus formelle que réelle, et les échanges moné­

taires qui pouvaient apparaître au sein de la famille élargie ne se

substituaient pas aux rapports de parenté, mais les confirmaient et

les renforçaient.

Avec ces mutations, ' les femmes virent s'élargir et s'intensifier

leurs activités. Sous l'autorité et sous la responsabilité du pa­

triarche, secondé par quelques fils et frères, elles se mirent

à assurer les travaux agricoles. Ensemble, et sans aucune distinc­

tion, elles exécutèrent les mêmes travaux, jouèrent le même rôle,

dans la productions et eurent le même statut par rapport aux hom­

mes. Près de 80% de la population active féminine constituaient

l'essentiel de la main d'oeuvre, alors que les hommes se consa­

craient à des tâches précises et ponctuelles.

De plus, le travail féminin, autrefois saisonnier, devint continu

avec à chaque jour son programme et ses obligations.

Page 66: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 62 -

Aujourd'hui les travaux des femmes peuvent être classés en trois

catégories :

a) les travaux agricoles qui entrent dans la production mar­

chande ;

b) les travaux " domestiques " d'auto-subsistance et qui

assurent un " supplément " de revenu;

c) les travaux agricoles salariés exécutés chez les agricul­

teurs privés et/ou sur les terres domaniales.

* a- Les travaux agricoles

Pour estimer à leur juste valeur les travaux féminins et les com­

parer à ceux des hommes, S. Ferchiou a établi un calendrier agri­

cole pour les périmètres irrigués par puits de surface (vocation

céréalière), un second pour les périmètres publics irrigués (voca­

tion mixte, maraîchère, fourragère et arboricole), un troisième

pour les périmètres à vocation arboricole.

Page 67: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

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* b - Les travaux domestiques

La journée de travail des femmes se poursuit par le lavage des

fruits et légumes avant leur commercialisation, le désherbage, ' l"ê'

ramassage des herbes pour les bêtes et des plantes sauvages pour

la préparation de certains plats.

Ces tâches ne rentrent pas dans le calcul de la rentabilité de la

production familiale. Il s'agit d'un nettoyage, un simple "travail

domestique agricole".

L'élevage, autrefois ressource importante pour cette population,

devient "activité domestique" parce que pris en charge par les

femmes, malgré les revenus qu'il assure.

Le tissage, source importante de revenus, et dont les produits

sont destinés pour moitié à l'usage familial fait partie des pro­

ductions d'appoint, alors qu'il permet à la famille de disposer

d'une épargne souvent investie dans l'agriculture.

La prise en compte de ces productions donnerait une plus juste

idée de la part du travail féminin dans l'agriculture et le re­

venu familial réel.

* c - Le travail salarié

Les travaux saisonniers (moisson, cuei3-Iette des olives) offrent

une opportunité aux familles.

Le travail des femmes est payé collectivement au groupe familial

Page 72: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 67 -

et à la tâche.

Le chef de famille, vis-à-vis de l'employeur perçoit le salaire

global. L'unité familiale devient ainsi vendeuse de force de tra­

vail et de marchandises.

Page 73: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

_ 68 _

2.4- Conclusion

L'évaluation de la productivité des unités de production par les

responsables du projet de développement pour attribuer ¿dés aides'finan-r

cières- et en nature aux familles,va aboutir à occulter et à dépré­

cier la participation féminine.

En effet, cette évaluation admet implicitement la différenciation

entre valeur d'usage et valeur d'échange, alors que dans le cas du

travail des femmes de Sidi Bouzid, les deux types de production

sont intimement interdépendants, tant pour l'élevage que pour le

tissage..

De même, la référence au salariat n'a aucune raison d'être dans le

cadre d'un emploi familial où la rémunération n'est pas individuel­

le, mais collective.

Enfin, l'application de l'échelle internationale d'évaluation des

forces du travail (B.I.T.) est abusive. Dans cette échelle, l'unité

de travail est représentée par un homme dont l'âge se situe entre

20 et 59 ans, et qui travaille 8 heures par jour, pendant 300 jours.

La femme de même âge, quel.que soit le travail fourni, ne peut dé­

passer 67% d'unité. Cela ne peut être réel puique les femmes des

périmètres irrigués de Sidi Bouzid, constituent l'essentiel de la

main d'roeuvre, sont plus présentes que l'homme dans l'exploitation,

et ne s'arrêtent pas de travailler pour raison de grossesse ou d'al­

laitement. Bien au contraire, la scolarité avancée, le service mi­

litaire et l'émigration temporaire constituent pour les hommes, des

occasions de quitter l'exploitation.

Page 74: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

_ 69 . _

Une même erreur d'optique attribue 50% d'unité aux jeunes filles

de 15-19 ans, et 67% aux jeunes hommes de la même classe d'âge.

En réalité, les jeunes filles sont très peu scolarisées et s'in-

vestissent pleinement dans la production et devraient atteindre

logiquement l'unité de travail.

Enfin, l'emploi d'une'telle échelle pousse les chefs de famille

désireux d'accroître leur productivité, à mobiliser au maximum

la force de travail féminine, d'autant que l'échelle d'évalua­

tion ne lui reconnaît qu'une : faible rentabilité.

La politique productionniste aboutit ainsi à une sur-exploitation

des femmes, et à une dévaluation accentuée de leur travail. Se "

trompant de cible, les responsables n'ont de vis-à-vis que le pa­

triarche et les hommes; ils ont ainsi équipé de pompes électriques

les puits, sauf, ceux à usage domestique. Bien plus tard, on intégre­

ra au projet, deux coopératives exclusivement féminines, l'une pour

le tissage, l'autre pour l'élevage domestique.

Il ne serait pas exagéré d'affirmer que la gratuité du travail

des femmes est à l'origine de la constitution du capital familial;

il est le prix payé pour l'intégration de l'agriculture à l'écono­

mie du marché.

Jusqu'à quand les femmes accepteront-elles cette situation? Les

Page 75: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 70 -

générations futures ne seront-elles pas rebutées; par ce travail ?

La famille patriarcale parviendra-t-elle à résister aux rapports

marchands?

Sans un effort pour une juste reconnaissance du travail féminin

et une implication plus poussée des femmes, l'agriculture de ces

périmètres irrigués risque de connaître de grands bouleversements

sociaux et domestiques.

Page 76: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- Jl -

3. La femme dans le secteur alimentaire

Il n'est pas loin le. temps où,préparer ses propres réserves alimen­

taires .était une habitude ancrée et sacrée poar toute famille ur­

baine et rurale. L'activité concernait les produits de base les plus

variés (céréales, graines, légumes , olives, fruits, viande, poissons)

et couvrait les besoins essentiels de la famille.

Le couscous, plat de base de la cuisine nationale, était préparé et

stocké pour l'année, ainsi que d'autres dérivés des céréales (blé,

orge concassé ou en poudre et relevé par des épices), plus typiques

de certaines, régions, et consommés à des périodes spécifiques de

1'année.

Les épices, ingrédients de base de toute préparation culinaire,étaient

préparées et misesen réserve pour la consommation de l'année, ainsi que

l'huile d'olive.

L 'objectif dominant consistait à assurer et à renforcer l'autonomie

de la famille dans une optique d'économie de subsistance qui privi­

légiait la valeur d'usage et marginalisait le recours au marché.

Si un produit ne pouvait pas être conservé, ses ingrédients., de base

le.seront (miel, semoule, farine, beurre salé, fruits secs pour les

gâteaux traditionnels, par exemple).

Cette, activité était confiée.aux femmes et rythmait leur vie durant

la période estivale. Elles s'y adonnaient collectivement, au sein

de la famille élargie, dans la demeure familiale, sans distinction

d'âge ou de statut. La division sexuelle du travail semblait réser-

Page 77: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 72 -

ver aux femmes le rôle d'assurer le passage du brut à l'éla­

boré, comme du cru au cuit. Par cette valeur ajoutée, comme par

la gestion de ses stocks, elles assuraient un rôle économique au

sens éthymologique d'administration du foyer.

Mais les mutations économiques et sociales vont mener au déclin

et à la transformation des activités féminines. La production

domestique va être relayée par le travail informel et le secteur

moderne. Les principales mutations concernant le passage de la

famille élargie à la famille nucléaire, l'exode du travail, l'ur­

banisation accélérée, l'architecture occidentalisée (en hauteur),

l'introduction des modèles de consommation nouveaux et la volon­

té de l'Etat.

Cas ñrbia

Depuis quelques années un nouveau " petit métier " a fait son

apparition sur les routes de Tunisie : à la sortie des villes-

et des villages des enfants de 10 à 15 ans proposent aux auto­

mobilistes du pain " tabouna ". Il s'agit de galettes très

appréciées par les citadins.

Dans les campagnes Tunisiennes chaque foyer dispose d'une tabou­

na, four domestique en terre cuite, de forme cylindrique, dans

lequel on brûle du bois. Les galettes de pâte sont collés sur

la paroi intérieure de la tabouna. C'est une technique très

ancienne qui permet d'obtenir du pain doré et croustillant.

Page 78: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 73 -

ñrbia fait partie de ces mères qui ont trouvé dans cette activité

un moyen de faire vivre sa famille. C'est une femme de 54 ans,

analphabète. Elle a 5 enfants, âgés de 6 à 16 ans et habite à Rades

(banlieue de Tunis) à deux pas du marché, dans une maison vaste,

récemment agrandie, meublée à l'ancienne. Elle possède une vidéo.

Son mari est ouvrier à la Société des Chemins de Fer, son salai­

re est insuffisant pour faire vivre la famille; ñrbia a décidé de

l'aider à supporter les charges du ménage, et comme elle ne songe

nullement à travailler à 1'extérieur de son foyer elle a eu l'idée

de confectionner ces galettes. Mais elle ne considère pas cela com­

me un vrai travail:" c'est, dit-elle, juste quelques tabounas pour

aider ! " Elle considère son travail comme une activité domesti­

que, et non pas comme quelque -chose de commercial.

Pourtant elle produit et son mari et sa fille de 12 ans vendent

ses galettes au marché. Il est hors de question que son mari

lui permette- de vendre elle-même'sa production ; ce n'est pas

un travail de femme, son mari est intransigeant sur ce point.

Ceci ne l'a pas empêché de se rendre parfois elle même au mar­

ché pour vendre ses galettes.

Il y a une demande pour le pain tabouna surtout en été, et pen­

dant le jour de marché.

L'argent est encaissé par le mari et ñrbia trouve que " c'est

normal, car 1'homme représente 1'honneur de la famille ".

Page 79: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 74 -

Quand elle a besoin de faire quelque achat, elle lui envoie quel­

qu'un, car il n'est pas bien loin.

Arbia s'arrange toujours pour cacher quelques économies, à l'insu

de son mari. Celui-ci est d'ailleurs bien content quand sa femme _,t

lui propose de l'argent en cas de besoin imprévu.

Elle compte continuer ce travail en attendant que ses enfants

grandissent, à ce moment là elle arrêtera car c'est une activité

fatigante. Pour sa fille elle souhaite un travail plus valorisant.

3.1- Un produit de base : le couscous

Sa préparation mobilisait toute la famille; c'était un événement.

Il fallait trier le blé, le moudre, le tamiser, confectionner le

couscous, le faire sécher au soleil, pour enfin, l'engranger dans

des jarres. Les parentes, alliées, voisines et amies étaient invi-.

tées à participer aux travaux et aucune ne s'y dérobait. L'entr'aide

était un devoir, renforçait les liens et confirmait 1'.appartenance

à une même entité, à un même groupe. Il était d'autant plus impor-'

tant d'y participer, que ces travaux avaient une valeur à la fois

économique - assurer la sécurité alimentaire de la famille -, et

sociale - le blé étant considéré comme un don et une bénédiction de Dieu -.

Mais, sous l'effet conjugué de l'habitat moderne et urbain, de la

prédominance de la famille nucléaire et de l'extension du salariat,

le paysage va changer.

Page 80: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 75 -

Le travail familial et l'entr'aide vont devoir être de plus en plus

renforcés par le recours à des aides rémunérées, jusqu'à ce que ces

dernières asssurent l'essentiel, du travail, la maîtresse de maison

se contentant de superviser. Certaines aides préfèrent exécuter le

travail chez elles et deviendront des indépendantes, exécutant les

commandes de personnes" privées ou de commerçants. Le réseau de con­

naissances et de parents se charge de les faire connaître.

Seulement, l'extension du marché va inciter les entreprises alimen­

taires à occuper ce créneau. Elles s'équipent, alors, peu à peu,

pour devenir leaders dans le marché. Le secteur moderne supplante

ainsi le secteur informel; et, les. femmes qui doivent survivre sont

amenées, soit à devenir des ouvrières salariées de ces entreprises,

soit à rester autonomes en s'efforçant de répondre aux besoins du

marché par la fabrication de produits dérivés de céréales, exigeant

plus de travail, mais consommés de façon", discontinue, et en moindre

quantité. Condamnées à entreprendre, elles remettent au goût du jour

des plats traditionnels un peu oubliés et se créent leur marché;

parfois, elles se mettent à concurrencer le secteur industrialisé

(pain de boulangerie contre pain cuit au feu de bois, la "tabouna").

Le secteur informel semble être voué à jouer un rôle d'éclaireur et

à faire preuve de créativité pour survivre, quand le, marché qu'il

aura contribué à faire développer sera occupé par le secteur struc­

turé.

Page 81: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- .76 -

3.2- Un produit saisonnier: la ."malsouka"

Cette feuille de pâte qui sert à préparer les "briks" si appréciés

durant le mois de Ramadan a constitué une source de revenus appré­

ciable pour les femmes des familles urbaines défavorisées. L'écou^

lement se faisait par les enfants ou le mari aux abords des marchés.

L'investissement était faible, ainsi que le fond de roulement.

Mais la demande s'accroît du fait du succès de ce plat auprès des

touristes,amenant des commandes importantes des restaurants et des

hôtels, et aussi des changements des habitudes alimentaires des fa­

milles qui consomment de plus en plus ce plat, tout au long de l'an­

née.

Cette extension du marché incite des entrepreneurs à créer des uni­

tés industrielles. Le secteur informel subit, alors, sa concurrence

et, au lieu de s'étendre et d'organiser sa production pour l'année,

se trouve obligé de se cantonner sur la période de consommation in­

tense du mois de Ramadan.

Encore une fois, le travail "domestique" monétarisé débouche sur le

secteur industriel, mais échappe aux femmes. Il aurait ,peut-être,

été plus sain d'aider ces femmes à s'organiser et à s'étendre,

assurant ainsi un revenu aux plus démunies d'entre elles, sans

recourir à des investissements financiers sur l'épargne nationa­

le, et surtout, à l'importation des machines.

Page 82: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

_ 77 _

3.3- Un produit d'exception: les gâteaux traditionnels

II.-est de tradition que chaque famille prépare pour l'aïd, ses pro­

pres gâteaux pour les offrir aux familles parentes, amies et aux '.

voisins.Cette offrande a une connotation religieuse et sociale, la

fête de l'aïd succédant au mois sacré de Ramadan. Ces mêmes gâteaux

sont préparés pour les grandes occasions (mariage, circoncision) et

offrent l'occasion,pour les femmes, de se distinguer en s'ingéniant

à respecter les traditions., tout eh innovant par des recettes

qu'elles inventent.

Cette activité familiale connaît la même évolution: les aides rému­

nérées , les indépendantes, les petites unités familiales puis l'uni­

té industrielle.

En effet, dans le milieu urbain dominé de plus en plus par l'habitat

collectif exigu , l'emploi féminin et la famille restreinte, la pré­

paration des gâteaux traditionnels va se transformer.

Aux indépendantes qui travaillent à la commande, vont 'succéder

des petites unités familiales détenues par des femmes de la clas­

se moyenne. Elles emploient des jeunes filles apprenties ou ouvriè­

res et occupent des appartements ou des parties de villa, dans les

zones habitées par les classes aisées. Elles s'ingénient à faire

des gâteaux faits selon les. recettes régionales anciennes.

Les familles aisées achètent ces produits non seulement pour les

fêtes, mais aussi pour les scirées ou les réceptions d'amis.

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_ 78 -

Ces unités commercialisent leur produit directement, pour des

petites quantités,mais reçoivent les commandes pour les quantités

importantes et, élargissent leur marché en vendant leur produit'

aux grands magasins les mieux côtés.

Cette stratégie ne peut être adoptée par les femmes pauvres qui se ra­

battent sur les gâteaux les m'oins raffinés.

Mais, très vite, ont surgi des entreprises industrielles de taille

moyenne* qui visent à répondre aux besoins d'une clientèle norma­

le, surtout pour les périodes de grande consommation( l'aïd, l'été

^saison ;.des'mariages-et des touristes). Enfin, des unités indus^'l

trielles plus importantes ont été créées par des pâtisseries à

succursales multiples ; .• qui possèdent une large gamme de produits

(glaces, gâteaux, européens.,, croissants, etc.) et peuvent s'adap­

ter le mieux aux variations du marché.

Ainsi, on assiste au -même scénario. Le secteur informel détecte le

marché, suscite son développement, pour, en fin de compte le voir

pris en charge par le secteur formel, industrialisé. Les femmes les

plus pauvres sont obligées de se cantonner dans les produits les

moins rémunérateurs, dans une lpériode précise de consommation et

doivent sans cesse varier leurs produits.

Mais ce qui est à noter surtout, c'est que le travail féminin dit

"domestique" était ignoré, dévalué; le développement du marché est

alors, seul capable de le mettre en valeur, d'autant plus facilement

qu'il échappe le plus souvent aux femmes, et que le secteur indus­

triel se l'approprie.

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L - 79 - • .

Cas Cherifa

Madame Cherifa, âgée de 66 ans est issue d'une famille bour­

geoise, alliée à 1'ancienne famille beylicale gui. régnait en

Tunisie, avant l'Indépendance. Elle habite une vieille et vaste

maison arabe dans une banlieue bourgeoise de Tunis. Elle a trois

filles et un garçon àdoptif.

Les jeunes filles de bonne famille apprenaient jadis la cuisine

et la patisserie tunisiennes; Cherifa a bénéficié de cet appren­

tissage, y a pris goût et acquis un certain talent . Elle s'est

mariée à 1'âge de 15 ans à un homme frivole gui a tôt fait de

dilapider la fortune héritée. A force de sacrifices le couple

a tout de même réussi à conserver la demeure familiale. Cherifa

a décidé de contribuer au redressement de la situation économique

désastreuse en proposant à ses parents, ses voisins et ses amis

de leur confectionneur des pâtisseries traditionnelles, à l'oc­

casion des fêtes religieuses, des. fiançailles, mariages et cir­

concisions. La préparation de ces gâteaux demande beaucoup de

savoir-faire, de préparation et de travail, mais Cherifa était

très douée et l'on appréciait les patisseries qu'elle offrait

autour d'elle, pour faire plaisir . Puis on a commencé à sol­

liciter son assistance pour préparer des quantités de gateaux à

diverses occasions/ elle recevait pour sa peine ce qu'on voulait

bien lui donner. Progressivement elle s'est mise à confectionner

des gâteaux à l'avance et à se constituer un petit stock de

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- 80 -

baklawas, de kaaks et de makrouds.

Pendant ce temps le mari s'occupait tant bien que mal des terres

gui restaient à la famille, et gui ne suffisaient plus pour les

faire vivre. En fait c'était la mère gui subvenait aux besoins,

en prenant 'bien garde de ne pas trop le montrer, par égard à

son mari. A la mort de ce dernier, Cher ifa s'est retrouvée, seule

responsable de ses guatre enfants.

Pour éviter les va-et-vient dans sa maison, et garder,son inti­

mité, Cherifa préférait livrer, elle-même sa production à ses

" clients ". Son fils s'en chargeait, cela 1'intéressait plus

gue de poursuivre des études. Il a commencé par ouvrir une

première pâtisserie, où il écoulait la production familiale/ il

en possède maintenant deux gui fonctionnent tout à fait indépen-

demment. Il a pignon sur rue et paie les taxes et les impôts.

Cherifa continue, elle,, à fabriquer et à vendre directement sa

production, en dehors du circuit commercial formel. Travaillant

chez elle dans son espace intime, Cherifa estime ne pas être

assujetie aux réglementations fiscales.

Pendant longtemps elle s'est contentée de 3 fours installés à

domicile. Aujourd'hui elle fait cuire deux fois par semaine une

partie de ses gâteaux chez le boulanger voisin, pour faire face

à une demande accrue.

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- 81 -

ñu moment des fêtes, tout le monde se met à la fabrication des

gâteaux, femmes, hommes, domestiques. Elle encaisse ses recettes r

mais " n'a jamais aimé, compter " professant une sorte de mépris

envers l'argent, elle se contente de ce qu'on lui donne, ce qui

lui suffit largement,^

Elle s'estime heureuse, à l'abri du~besoin et a redressé la si­

tuation économique de la famille.

Vivant " entre ses plateaux et ses fours " elle n'a rien à voir

avec la Municipalité. L'une de ses filles, mariée et ayant de

grands enfants, habite avec elle et se destine à continuer

l'activité de sa mère.

Page 87: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

4. La femme áans le :.;ecteur__\.extile

Les femmes nomades comme les villageoises et les citadines, s'adon­

nent depuis toujours au travail de la laine. Elles cardent, elJ.es

filent' et elles tissent tout au long des jours et des nuits.

Cette activité déborde le cadre de l'auto-suffisance pour s'ins­

crire dans un système d'échanges et pour procurer aux familles

d'importantes ressources financières. Bien plus, elle constitue

un élément vital de l'économie régionale, comme c'est le cas

jpour les oasis du Sud.

Les femmes, à 1'origine productrices indépendantes, disposent

de là matière première, de leurs outils, du métier à tisser et de

leur ouvrage, qu'elles écoulent directement auprès des familles, ou

sur le marché, par mari interposé. Mais, cette indépendance va être

de plus en plus rognée par les artisans et les commerçants. Et, c'est

ainsi que les femmes, peu à peu, sont amenées à préparer le travail

de l'artisan. Elles cardent, filent la laine pour la livrer au tis­

serand qui produira à leur place, les couvertures de laine sur son

métier à tisser mécanique. Elles tricotent la laine et livrent le

"kabous", forme première que l'artisan transformera en chéchia.

Elles tissent le "burnous" (capes de laine pour homme) et l'artisan

se chargera de coudre la frange.

Ainsi, la part la plus importante de la valeur ajoutée se trouve

appropriée par les artisans, et l'apport des femmes tend à être

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- 83 -

déconsidéré et leur rémunération, à se réduire.

L'ordre sexuel règne et la femme est le sujet de l'homme.

Les femmes qui ont pu préserver leur indépendance par rapport à r

l'artisan et persistent.à vouloir produire, exercer leurs dons

et leurs capacités, finissent, le plus souvent,, par tomber sous

l'empire du commerçant grossiste. Le manque de capital, la rareté

des commandes individuelles et l'organisation des circuits commer­

ciaux les amènent à produire pour le compte du grossiste qui leur

fournit la matière première, et à être de simples sous-traitantes

à domicile, d'autant plus que la production industrielle occupe et

envahit le marché. Plus que toutes, les femmes productrices de tapis

subissent la loi implacable des grossistes, maîtres de vastes ré­

seaux de travailleuses à domicile, rémunérées en fonction de la

qualité (1er ou 2ème choix) attribuée à l'ouvrage par l'expert.

Dans un marché en expansion, grâce à l'exportation et au tourisme,

les femmes, source de valeur ajoutée, sont dépossédées de la plus

value encaissée par les grossistes, en plus de leur marge bénéfi­

ciaire, Tout pousse à croire que la compétitivité du tapis s'acquiert

aux dépens du travail des femmes.

Les femmes citadines préfèrent la broderie à la main, au -issage.

Beaucoup rêvent d'inclure draps, nappes et napperons brodés main

dans le trousseau de mariage de leurs filles. Mais, la concurrence

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- 84 -

industrielle est vive et rétrécit le marché de la broderie main

devenue artisanat d'art. L'écoulement des ouvrages se fait par

placement et par commande des boutiques de'luxe implantées dans

les zones fréquentées par les couches aisées, et où apprécient

de. se fournir les futures mariées. •

Le costume de la mariée, brodé d'or, d'argent, de paillettes et

de perles se préparait dès le jeune âge de la jeune fille. Actuel­

lement, celles qui le portent encore, lors de leur mariage, se

contentent de le louer dans des boutiques rarement tenues par des

brodeuses. Bref, l'artisanat féminin passe des mains des femmes

à celles de l'artisan ou du commerçant, et se marginalise. Ce

déclassement se retrouve dans la confection.

Avant, les femmes les plus démunies louaient leurs services aux

familles. Payées à la journée, elles faisaient les travaux de

couture. Celles, qui possédaient leur propre machine à coudre,

travaillaient à domicile et sur commande pour une clientèle qui

fournissait le tissu : les robes, jupes et tabliers d'écolier

constituaient le principal de leurs travaux.

Les plus douées, celles qui avaient reçu une formation profession­

nelle, se spécialisaient dans les robes de soirée, de cérémonie,

les manteaux, en s'inspirant des revues spécialisées et des

patrons acquis à l'étranger.

Mais, le plus souvent, la concurrence de l'industrie nationale et

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- 85 -

les circuits parallèles d'importation poussent ces femmes à

accepter les travaux de sous-traitance pour les entreprises :

repassage, confection de boutonnières, etc". Bien souvent, elles

constituent le réservoir où puisent les entreprises de confec­

tion qui leur octroient les salaires les plus bas et les embauchent

oomme occasionnelles.ou apprenties, renvoyées au bout de quelques

mois, pour être recrutées avec le même statut, et par la même

entreprise.

Page 91: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

-•86 -

Cas Nabila

Agée de 38 ans, Nabila est toujours célibataire et tient à son

indépendance, tout en gardant un contact étroit avecs sa famille.

Elle Vit dans son appartement et possède une voiture. Elle a

beaucoup d'amis. Au lycée,Nabila a suivi la filière professionnel­

le, sans beaucoup de succès. Elle a eu l'idée de rejoindre son

frère, émigré en France. C'est là qu'elle s'est inscrite à un

cours de couture payant. Elle a été obligée d'écourter sa forma­

tion pour rentrer en Tunisie,auprès de sa mère. La couture lui

plaisait,et,aussitôt rentrée, elle s'est mise à confectionner

des vêtements pour la famille et les amis. Elle ne pensait pas

en faire vraiment .une activité professionnelle. Petit à petit

elle a acquis une certaine réputation dans son entourage. La

demande n'était pas considérable et elle pouvait, toute seule,

la satisfaire. Avec ses gains elle aidait certes sa mère, mais

l'essentiel couvrait ses dépenses personnelles. Nabila n'a

jamais déclaré officiellement son activité, pensant que c'était

quelque chose de provisoire, elle ne produisait pas beaucoup

et ne gagnait pas des sommes importantes.

Mais, par la suite, elle a décidé d'en faire une activité per­

manente, de " s'agrandir et de réussir ".

Page 92: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 87 -

Elle fut encouragée par une amie qui lui procurait du tissu

importé. Sa production était écoulée le jour même de son expo­

sition ! C'était pour elle une source de satisfaction parce

qu'elle écoulait ses- vêtements à des clientes qui venaient choi­

sir chez elle, et qu'elle évitait ainsi les tracasseries du

travail sur commande. En outre ses revenus devenaient plus impor­

tants.

Il y a quelques mois Nabila a transformé son appartement en

atelier et a recruté deux ouvrières qui travaillaient dans une

fabrique de jeans. Elle pense maintenant, à ouvrir . une boutique

pour commercialiser sa propre production et même celle d1autres

couturières.

Avec l'argent gagné Nabila non seulement subvient à ses propres

besoins mais aide sa mère et surtout se constitue un capital

en vue de 1'ouverture de sa boutique. Une fois son projet réa­

lisé, elle compte déclarer son activité et cela ne la gêne pas

.de payer le fisc, car elle se considère comme " une bonne citoyenne

Page 93: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 88 -

Cas Nejiba

Nejiba est âgée de 48 ans, elle habite la Marsa, dans la banlieue

Nord de-Tunis. Elle est mère de 2 filles étudiantes et d'un garçon,

fonctionnaire à la Société Tunisienne d'Electricité et du Gaz.

Elle est originaire du village de Ksibet Mediouni.

A l'époque on apprenait aux filles la tapisserie et le tissage

avant même de les initier à la cuisine. Elle considère qu'elle a

toujours fait ce travail. Initialement elle avait l'habitude de

tisser des couvertures et des tapis pour les membres de sa famil­

le et pour ses amis souvent dans les périodes de préparation au

mariage. La rétribution était laissée à l'appréciation des

acquéreurs.

Depuis quelques années Najiba s'est mise à produire régulière­

ment des tapis de sol et des tapis de décoration ainsi que des

couvertures en laine. Elle a aménagé son garage en atelier et

c'est là qu'elle reçoit ses clients. Elle se fait aider par

ses filles, pour les commandes, les calculs, etc. Elle songe

à engager une jeune fille sachant lire, écrire et répondre

au téléphone. Elle même n'est pas allée à l'école, à son épo­

que et dans son village cela ne se faisait pas . Cependant

elle ne donne pas 1'impression d'être analphabète. C'est une

musulmane convaincue, elle porte le foulard islamique, ce

qui ne l'empêche pas d'être tolérante et ouverte.

Page 94: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 89 -

Nejiba a participé à la dernière exposition du Salon de l'Arti­

sanat, gui est une importante manifestation, organisée chaque

année au Palais des Congrès de Tunis. Elle a également exposé

ses produits à 1'occasion d'une exposition organisée par l'Union

Nationale des Femmes de Tunisie.

Ce sont ses deux filles étudiantes gui l'ont poussée à faire

connaître sa production dans ces foires. Elle n'a pas hésité,

car elle avait conscience de la gualité de son travail et cela

lui donnait confiance.

Le mari de Nejiba est mort il y a guatré ans lui laissant guel-

gues biens- son activité de tissage constitue à ses yeux une

garantie complémentaire face aux imprévus de la vie. Elle vit

assez bien de son travail et en remercie Dieu. Elle donne

1'impression d'être une bonne commerçante, efficace et gui

sait ce gu'elle veut.

4 >

Page 95: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

V. QUELLES INITIATIVES POUR AUJOURD'HUI

ET DEMAIN ?

Page 96: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 91 -

1. Pour une nouvelle approche

'L'économie des pays en voie de développement dépendait d'une métro­

pole qui réglait son fonctionnement dans le cadre global d'un

empire..

Les jeunes états, soucieux, d'une part, de satisfaire la demande

sociale pressante en matière d'éducation, de santé et de formation,

et, d'autre part, d'instaurer une économie génératrice d'emplois,

de revenus et de richesses, ont .fait table rase du passé et ont

engagé la société dans une marche forcée vers le modernisme,

l'industrialisation, la mécanisation de l'agriculture et l'urbani­

sation produiront assez de richesses pour instaurer un échange

équilibré avec le monde développé.

Unanimement, ils ont adopté et généralisé l'économie marchande avec

ses credo : croissance et productivité. Ils oubliaient que la con­

frontation constitue le nerf de l'échange, et que leur lutte est

celle du pot de terre contre le pot de fer.

L'issue fatale s'imposa bien vite : échange inégal, endettement

croissant, désarticulation de l'économie, rapports sociaux conflic­

tuels et déséquilibre régional. L'oubli se paie cher, l'économie

marchande est historique, particulière, et non, un absolu universel.

Page 97: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

_ 92 _

Elle opère dans une société dont les producteurs sont assurés d'un

surplus capable de satisfaire le nécessaire, l'utile et même le

superflu, condition nécessaire pour que l'auto-consommation, la .._,

valeur d'usage soient dépassées. Elle exige une société où l'indi­

vidu, assuré du. minimum, ose rompre les liens organiques du groupe,

où la norme de compétition surclasse celle de solidarité et où la

valeur d'accomplissement et d'affirmation de soi, constitué un

idéal prioritaire.

En réalité, les sociétés en voie de développement sont en deçà de

ces limites : la rareté domine, l'individu a encore besoin du

groupe pour le couvrir contre certains risques que l'Etat encore

embryonnaire ne peut prendre en charge.

Bien plus, ¿e type de société privilégie l'harmonie et la complé­

mentarité entre ses membres; les liens du sang: ethniques

résistent à l'individualisme.

La différenciation par la fortune n'est pas souhaitée et n'est pas

toujours appréciée, l'esprit communautaire reste bien ancré et

l'échange marchand n'est ni le seul type, ni ne domine toujours.

Les rapports entre les membres d'une ethnie, d'un groupe et les

règles qui les régissent désubstancialisent les concepts et les

pratiques de l'économie classique.

Page 98: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 93 -

Ainsi, dans un monde rural dominé par la grande famille, la dis­

tinction entre propriété (aspect juridique) et exploitation

(aspect économique) n'existe pas. La terre' appartient juridiquement

à un individu, mais les travailleurs, membres d'une même famille

se partagent les ressources.

En fait, la structure sociale, l'économie d'une société en voie

de développement sont spécifiques et diffèrent de celle d'une

société développée. Cette différence est de nature et non de

degré.

Omettre cette spécificité, la mettre entre parenthèses et appli­

quer à ces sociétés la théorie économique classique, les plans

comptables nationaux, les outils statistiques, sous couvert de

la rationalité, du souci scientifique, et de la standardisation,

mène nécessairement vers' la confusion et l'échec. En effet, si,

se contenter de prendre en compte la seule production marchande

aboutit à négliger 20 à 40% du PNB (valeur de la production des

ménages) dans les sociétés industrielles, on peut extrapoler

l'imprécision quand il s'agit d'économies où la production non

marchande et domestique demeure à un seuil élevé.

Limiter le travail à l'emploi salarié dans les sociétés où 1'en-

tr'aide, le travail familial font partie intégrante du mode de

production mène à des méprises lourdes de conséquence.

Page 99: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 94. -

Le simple bon sens, le souci de rigueur nous rappellent que les

théories, concepts, modèles sont élaborés à partir d'une réalité,

n'ont de valeur que par leur validité et permettent de rendre

compte de cette réalité. Certaines divisions sont logiques, elles'

doivent nous faciliter l'accès au réel et son appréhension, mais

elles ne sont pas réelles.

Il en est ainsi de la séparation et de la frontière entre pro­

duction et consommation,, tracée par les comptabilités nationales.

La généralisation de l'économie classique aux sociétés en voie

de développement est à la fois une erreur logique et un parti pris

idéologique.

Pour appréhender ces sociétés et leur économie, le premier geste

à entreprendre est l'observation, l'écoute attentive. L'observa­

tion outillée, armée (grilles), l'entretien avec des groupes, la

mesure des échanges internes et externes, la recherche du sens

par un effort personnel et par une investigation auprès des person­

nes et des populations étudiées, doivent permettre d'émettre des

hypothèses, de dégager des concepts et d'élaborer des questionnai­

res spécifiques pour une branche d'activité et/ou une région,

dont les résultats seront confrontés à la réalité. Cette procédure

qui respecte la démarche scientifique (observation, hypothèse,

expérimentation, évaluation) peut paraître lourde, mais comment

faire autrement ? Les cultures irriguées conditionnent bien dif­

féremment le travail, le rythme et la vie des paysans, que la

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- 95 _

culture céréalière ou l'exploitation forestière dans une zone

montagneuse. -,

Idem,-l'es groupes sociaux diffèrent d'une région a une autre,

ie paysan du Sud tunisien diffère de celui du Nord, bien plus

que de son voisin de L'ybie.

L'histoire et la culture ont leur poids que ne réussit à effacer,

ni le découpage administratif, ni 1'établissement des frontières.

Etudier ces économies sans -se référer à leurs structures socia­

les, à leurs normes et valeurs ne peut déboucher sur des program­

mes pertinents, sources d'un changement positif, accepté et assimilé

par les hommes auxquels ils sont destinés, pour les faire profiter

de plus d'aisance, sans porter atteinte à leur identité. Connai-

tre ces sociétés, identifier leurs difficultés, les blocages

internes à leur auto-développemen-t spécifique, et débusquer les

tendances futures qui se dessinent et peuvent déboucher sur un

horizon d'un meilleur équilibre, exige le recours aux méthodes

qualitatives dans une première phase, et l'élaboration d'un ap­

pareil de collectes de données quantitatives, bases pour propo­

ser des programmes d'action aux populations concernées,qui soient

à la mesure de leurs moyens, pour éviter la dépendance vis-à-vis

du système international comme de l'Etat interventionniste.

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- 96 _

Au fond, l'économie, au sens éthymologique, signifie la gestion

de la vie domestique, des affaires propres d'un groupe, qui par

ses activités se donne les moyens pour vivre. La production

n'est pas et ne doit pas être une fin en soi. Chaque société ac­

cepte ou rejette un niveau de production en fonction de ses

répercussions sur ses équilibres et son idéal de vie, ses prio­

rités. Il y a des seuils de production tolérés, car le rapport

qualité de vie et changements reste positif.

D'un autre côté, il faudrait cesser de faire des statistiques un

bien de l'Etat, pour leur accorder comme fonction la mesure objec­

tive des faits pour les communautés. Elles constituent l'image et

le reflet des activités d'un groupe, d'une branche ou d'une région,

qui leur sont communiqués dans le cadre d'une auto-évaluation

pour une meilleure prise de conscience, l'élaboration des choix et

la décision consensuelle des voies de l'avenir. L'Etat, retrouve­

rait son rôle d'incitateur et de catalyseur du développement, en

commençant par impliquer de plus en plus les instituts universitai­

res, les groupes multidisciplinaires de recherche dans les études

sectorielles, régionales, en rattachant l'Institut de la Statisti­

que au Ministère des Affaires Sociales, plutôt qu'au Ministère du

Plan et des Finances.

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- 97 -

Les chercheurs, par leur appartenance à l'Université gardent leur

indépendance, leur souci reste la connaissance et no"h le service

de l'appareil de l'Etat; a priori, ils peuvent être plus disponi­

bles pour être à l'écoute du discours de la population et seront

d'autant plus intéressés à rendre service à la communauté, que

l'institution universitaire a besoin d'être intégrée, reconnue par

la région où elle se trouve.

La suggestion de séparer l'Institut de la Statistique, du Minis­

tère du Plan et des Finances, s'appuie sur l'expérience et la

pratique. Le Ministère représente l'intérêt de l'Etat, organe

vivant avec ses besoins propres. Il se manifeste dans la recher­

che des rentrées d'argent (taxes, impôts), et, de ce fait, se

trouve être l'objet de suspicion plus ou moins légitime de la

part des personnes et de la société civile. La vocation du Minis­

tère du Plan et des Finances, ou sa tendance centralisatrice

n'est plus à démontrer.'Il est perçu, à tort ou à raison, comme

celui qui régente; sa tâche est d'autant plus facile qu'il ne

gère pas et ne paie jamais pour les erreurs d'appréciation.

En conclusion, la société et son économie seront d'autant mieux

connues et respectées que l'étude partira de l'observation sur

le terrain dans un cadre pluri-disciplinaire, pour tenir compte

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- 98 _

de la multiplicité et de la complexité de la société, et que cette

étude allant du qualitatif au qualitatif,' en passant par la quan­

tification, sera menée par des chercheurs exerçant dans la région

ou s'occupant de formation devant mener à l'activité dans le sec­

teur ou la branche économique, objet de l'étude. Lé premier des­

tinataire sera la région ou la branche, qui, avec le soutien

disponible, mais non imposé des chercheurs, pourra fixer ses

choix, les assumer, clarifier ses objectifs, tracer sa stratégie

et défendre ses intérêts, ses propositions auprès des instances

concernées : services techniques de l'administration, autorités

régionales et nationales, députés.

Plus les études seront ciblées, restreintes, plus grandes seront

les chances de succès des programmes à mettre en place. Cette

multitude d'actions, d'expériences, dt'iinitiatives, finiront par

dessiner les contours d'une politique de développement que l'Etat

pourra prendre en considération pour la soutenir, l'encourager

ou l'infléchir. Son rôle n'est-il pas d'être au service de la

Cité, de l'intérêt public qui n'est pas une entité abstraite,

même s'il est plus que la somme des intérêts individuels.

L'Institut de la Statistique pourra élaborer des études globales,

mais qui n'ont de sens que confrontées au terrain. La relation

antinomique terrain/théorie est un faux problème.

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- 99 -

Dans la vie, on se repère d'autant mieux que l'on est sur le ter­

rain, avec une carte. Une telle démarche ne.risque pas de sous-

évaluer ni surtout'd'ignorer le secteur informel; elle"permet de

le 'soutenir en lui éclairant la voie, de prévoir lés blocages

pour les dépasser, les impasses pour les éviter, et aussi de pren­

dre conscience des changements à opérer du fait même de son succès,

car l'évolution se fait par accumulation, et finit par des ruptu­

res qui sont des changements qualitatifs.

Dans cette perspective, le. secteur informel prend sa dimension

réelle; il est contestation et dépassement. Contestation du cadre

de référence, des choix de l'Etat qui reste à côté de la société,

de ses besoins réels, et aggrave la désarticulation de l'économie

et des rapports sociaux,, menaçant ainsi cette première dans ses

fondements et dans son existence. Dépassement des obstacles qui

se dressent : financiers, rareté et inaccessibilité de l'équipe­

ment, manque ou inadéquation de la formation, de la réglementation et des

procédures administratives.

Le secteur informel est l'affirmation d'une liberté d'initiative,

d'une volonté de vivre d'autant plus forte que le système de l'Etat

le place, en fait, dans une situation d'exclusion.

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- 100 -

Cas Hadda

Mellassine est un quartier populaire de la banlieue de Tunis

situé sur les berges d'une sebkha insalubre. C'était un

ancien ghetto juif, où l'on s'adonnait notamment à la fabrica­

tion de la poterie, d'où le nom de mellassine, gui signifie

les potiers.

Hadda habite Melassine depuis 40 ans et s'y livre depuis son

installation à la fabrication des braseros en terre cuite

(1) (canounes).

C'est une robuste sexagénaire, habillée d'une melia bédouine

et qui a conservé son accent campagnard . Son mari l'a quittée

un soir, il y a 30 ans, sans rien lui dire, lui laissant à sa

charge 5 filles et 3 garçons, h'aine est'" un vrai bandit",

vivant lui même avec deux femmes, mais très à cheval dès

qu'il s'agit de la moralité de ses soeurs ! " Il serait capa­

ble, dit la mère, de les tuer s'il apprenait qu'elles traî­

nent en ville ". Le fils cadet, à la suite d'un accident du

travail, vit renfermé sur lui-même. Le plus jeune est un

handicapé mental. Hadda semble accepter tous ses malheurs

sans trop se plaindre. " C'est le destin " dit elle.

Hadda est originaire d'un petit village de la Tunisie Centrale,

qu'elle a quitté avec une dizaine de familles fuyant la misère,

à la fin de la guerre. La communauté s'est installée sur la

(1) Le canoune est un braseo en terre cuite dans lequel on brûle du charbon de bois, pour la cuisson des repas, du thé, du café etc.

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Sebkha de Mellassine, de manière illégale et a toujours eu des

problèmes avec les autorités gui cherchent en vain à les déloger.

Hadda faisait de la tapisserie dans son village, mais ne savait

pas commercialiser sa production, et n'imaginait pas de travail­

ler à l'extérieur, à cause de 1'opposition indignée des hommes

de la famille. Elle a appris à fabriquer des canounes qu'elle

vendait sur place. Elle n'avait pas le choix : " Dès notre

jeune âge, dit elle, nous avons été confrontés à la pauvreté.

Ici, nos hommes n'ont rien pu faire. Un jour sur dix ils sont

vendeurs ambulants, poursuivis par les agents de la munici­

palité, certains vivent en marge de la loi, d'autres sont

malades. Avec tout cela, nous avons des enfants à nourrir, et

ils sont nombreux. Dieu merci ! Nous avons trouvé un métier

qu'on peut exercer ici avec dignité et honneur. "

Curieusement, c'est un européen qui lui a enseigné à fabri­

quer des canounes. Très vite les soeurs et les cousines s'y

sont mises, mais pas les hommes. C'est une activité exclusi­

vement féminine.

Les différentes familles qui mènent cette activité, se sont

construit des abris rudimentaires avec des déchets de fer,

de bois, de plastique, etc.

Page 107: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 102 -

Ces huttes les protègent du soleil, des intempéries et du

regard des hommes, car elles ont conservé, cette pudeur ànces-

trale vis-à-vis de l'autre sexe. La promiscuité des abris cons­

titue un espace strictement féminin où elles passent leur journée,

après avoir confié à l'une de leurs filles les tâches -.domestiques

courantes. Les hommes ne se montrent dans ces lieux, comme par ha­

sard, qu'au moment de la vente. Selon Haddar " 1 es hommes ne par­

ticipent pas à la fabrication, c'est un métier de femmes. L'homme

ne connaît le canoune que pour faire bouillir le thé !. " D'ail­

leurs les hommes ne sont pas les bienvenus dans ces abris, les

femmes préfèrent s'y retrouver entre elles. Il y a dans chaque

" atelier " de 4 à 5 femmes, la mère, ses filles et ses belles

filles, la fabrication du canoune est une affaire familiale ;

même après le mariage, les filles continuent à participer à

la production.

Le travail commence à 5h ou 6h du matin en été,et vers 7 heures

en hiver. Hadda commence -par préparer le pain tabouna (galettes

traditionnelles cuites dans un four domestique en terre, de

forme cylindrique). Après avoir déjeûné,elle se rend à l'atelier,

à quelques mètres de sa maison. Ses filles la rejoignent et

elles travaillent, en se faisant du thé.

Page 108: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 103 -

A midi,la jeune fille restée à la maison,leur apporte le repas.

Le travail continue ensuite jusqu'à ce qu'il fasse sombre.

La matière première pour fabriquer les canounes est constituée

principalement de terre glaise que 1'on va chercher à Djebel

Lahmar, une autre cité populaire, au pied du Hilton. Cette

extraction est interdite par les autorités qui pourchassent

les contrevenants. Hadda ne comprend pas qu'on interdise de

prendre de la terre, qui appartient à tout le monde. Elle se

demande si " on les considère comme des Tunisiens, si on les

reconnaît ou s'ils sont des étrangers dans leur propre pays ".

Chercher de la glaise est devenu un acte clandestin, que 1'on

accomplit, de préférence,la nuit. -Généralement les femmes font

appel à des chauffeurs appartenant, comme elles, à la tribu

des Ouled Ayyarfet les accompagnent dans ces expéditions

hasardeuses. On utilise une Peugeot 404 bâchée et on se rend

ainsi, une fois par semaine ou par quinzaine, faire le plein

de matière première. Le voyage revient à 50 Dinars. D'habitude,

les hommes de la famille ne participent pas à cette opération;

selon Hadda " si on devait compter sur eux, on ne mangerait

qu'un jour sur dix ".

La glaise est triée, tamisée et mélangée à une autre terre

avant d'être malaxée. La pâte ainsi obtenue servira à réaliser

les canounes qui seront mis à sécher avant de les mettre à

la cuisson.

Page 109: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 104 -

Les femmes attendent d'avoir rassemblé 100 à 150 canounes puis

les disposent encore autour d'un foyer constitué de pneumatiques,

de chaussures et d'autres déchets susceptibles de brûler, ramas­

sés dans les rues et les terrains vagues. La cuisson dure un

jour et une nuit. L'opération est assez polluante comme on peut

1'imaginer.

Les revendeurs se déplacent avec leurs camions pour prendre

livraison des canounes. Le prix fixé par Hadda, était , en 1989

de O, 120 l'un (soit environ 8 canounes pour un dollar).

Le prix est tacitement homologué, certaines femmes peuvent

négocier à la hausse et gardent la différence.

L'argent est utilisé par les femmes directement, qui chargent

les enfants mâles de faire les courses. Quand il s'agit d'autres

achats pour le ménage, on confie cet argent aux hommes.

Certaines jeunes filles tiennent à toucher elles-mêmes leurs

gains, en comptant le nombre de canounes produits pour s'acheter

des effets personnels.

En général,l'argent gagné suffit pour la subsistance quotidienne

et même pour les situations imprévues et pour la préparation du

trousseau des jeunes filles. En principe,les hommes n'ont pas

accès directement à cet argent, car " si on les laissait faire

on mourrait de faim " déclare Hadda.

Page 110: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 105 -

La fabrication des canounes est un travail salissant : .on est

dans un abri de fortune, on patauge dans la boue et on est

envahi par la fumée dégagée par le caoutchouc et le aplastic.

Malgré tout cela, Hadda et ses campagnes ne peuvent qu'aimer

ce travail gui leur garantit leur pain et, dans une certaine .

mesure, leur indépendance.

" J'aime ce travail, dit Hadda, bien qu'il soit salissant.

J'ai toujours rêvé de ce travail, c'est un signe de bénédic­

tion, notre marabout est satisfait de notre travail. Mon

métier m'a permis de vivre pendant 40 ans, il m'a permis de

nourrir et d'élever mes enfants. Sans cette activité je serais

morte de faim. " ,

Les jeunes sont tout de même rebutés par ce travail pénible,

ils voudraient exercer un métier plus propre. Il n'est pas

évident qu'ils continuent cette activité à la suite de leurs

parents.

L'idée d'aménager des bâtiments plus fonctionnels et de travail­

ler dans de meilleures conditions est certes bien accueillie,

mais reste du domaine de 1'utopie. De même, un effort d'organisa­

tion, un regroupement associatif n'est pas rejeté mais semble

se heurter à plusieurs obstacles : 1'analphabétisme, les habi­

tudes, la précarité de la situation, les menaces de fermeture.

Page 111: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 106 -

En 1986, à la suite de plaintes contre la pollution provoquée

par la cuisson des canounes,les autorités ont décidé d'interdire

brutalement cette activité. Des bulldozers ont été dépêchés pour

détruire les abris. Les femmes se sont opposées en menaçant de

se jeter devant les engins. Les hommes assistaient en spectateurs.

Sur une intervention..de la Ligue des Droits de l'Homme, Hadda

a été reçue par le Gouverneur, à titre de représentante de son

groupe. C'était la première fois qu'elle allait au Centre ville,

et 1'expérience lui parût éprouvante. Pourtant devant le Gou­

verneur, elle a retrouvé son énergie et lui a déclaré : " De

même que vous n'accepteriez pas qu'on vous prive de votre tra­

vail, parce qu'alors vous ne seriez plus rien, nous aussi nous

tenons à notre travail. C'est notre vie, et nous 1'enlever,ce

serait nous tuer ! ". •

Page 112: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 107 -

Le cas de Hadda reflète assez fidèlement la situation des femmes

des couches défavorisées de la population qui, pour la survie de

leur famille et pour leur dignité, s'adonnent aux activités

informelles. Ces femmes aux ressources financières dérisoires se

trouvent en lutte au système économique qui les exclut et aux

rôles sociaux qui les marginalisent. Pourtant, elles révèlent

dans leurs activités un esprit d'entreprise remarquable, ainsi

qu'un sens inné du marché et une remarquable capacité d'adapta­

tion. En effet, elles tirent de leur environnement immédiat

leur matière première et leur maigre-outillage. Jalouses de leur

indépendance, elles écartent les hommes de leur travail mais ne

peuvent que leur confier la vente du produit, car le contact

avec autrui leur est socialement interdit. Ainsi Hadda, comme

les autres membres de son groupe, confie-t-elle l'écoulement

des canounes (braseros) aux hommes, tout comme le fils de

Chérifa vend de la pâtisserie, ouvre boutique et a pignon sur

rue.

Pour pouvoir jouir pleinement de leur produit les femmes

doivent à la fois prendre conscience de leur statut de pro­

ductrice et cesser de percevoir leur activité comme secondaire.

Or la marginalisation du secteur informel par les forces domi­

nantes, ne les aide pas,' bien au contraire.

Page 113: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

.- 108 -

Le développement du secteur informel et l'intégration des fem­

mes de ce secteur passe par leur reconnaissance en tant que

force productrice. Un tel changement de perspective aurait

permis de dépasser les difficultés rencontrées par Hadda et

les autres. Elles sont en lutte à des problèmes au niveau de

l'approvisionnement en glaise et au niveau du combustible

pour la cuisson des canounes. Les autorités pourchassent et

interdisent l'extraction de la glaise car le site de Jebel

Lahmar, objet d'implantation d'un habitat anarchique fait

l'objet d'une réhabilitation. En effet, pour stabiliser sa

population et éviter toute extension,- l'Etat a décidé d'équi­

per- cette zone (routes, électricité, eau courante, tout à

l'égoût) et de planter des arbres sur la partie inoccupée.

L'extraction de la glaise menace les plantations et ne cadre

pas avec les activités reconnues, d'où 1'exclusion'et l'in­

terdit.

Si l'activité de ces femmes était reconnue comme une source

de production, l'appareil administratif de l'Etat aurait

cherché à organiser l'extraction de la glaise en-préservant

l'environnement, ou encore, aurait orienté ces femmes vers

des zones avoisinantes récelant cette glaise, ou à défaut,

aurait conseillé l'utilisation d'un substitut naturel et

initié ces femmes à son utilisation.L'Etat au lieu de régen­

ter aveuglement les capacités de production aurait alors joué

un rôle de soutien et de renforcement des capacités productrices,

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- 109 -

source de revenus pour des familles auxquelles le développement

économique actuel n'offre pas assez d'emplois. De même au niveau

de la cuisson, l'appareil étatique n'a utilisé avec ces femmes

que la force pour réprimer, arguant de la pollution de l'air

dans une zone où la pollution de l'eau et la qualité de vie ne

peuvent qu'être dénoncées. Par contre, si l'Etat était animé

d'une volonté d'intégration de ces femmes, s'il les avait

reconnues pour ce qu'elles sont, des productrices, il aurait

cherché à sauvegarder leur activité en même temps que 1'environ-

\ nement.

En effet, le problème réel qui se pose s'énonce comme suit :

quelle technique de cuisson adopter pour maintenir la compéti­

tivité de cette production en fonction des moyens financiers

de ces femmes, et eu égard à la sauvegarde de l'environnement ?

Des solutions existent :, un four à énergie solaire ou au gaz

butane, par exemple. Les techniciens de l'Agence de l'Energie

pourraient se pencher sur un tel problème, sur le plan tech­

nique, comme -sur le plan économique. L'utilisation des compé­

tences disponibles pour l'amélioration de la-production est

aussi une tâche qui se doit d'assumer un Etat qui se veut

aiguillon et incitateur du développement. Bien plus, ces fem­

mes peuvent prétendre à bénéficier d'aides, de subventions

puisque le secteur structuré bénéficie de tels avantages pour

la création d'emplois ou dans le cadre de restructuration, .

sans parler des prêts bonifiés.

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- 110 -

Mais il faudrait que ce soutien de l'Etat soit limité dans son

volume et dans le temps pour éviter de créer un esprit d'as­

sisté.

En conclusion, la promotion du travail informel des femmes est

possible et ne sera pas.une lourde charge pour l'Etat à condi­

tion qu'il accepte de revoir son rôle et opte pour une révolu­

tion copernicienne dans sa conception de l'économique.

Page 116: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- Ill -

2. Secteur informel et planification

Ce secteur peut-il être pris en considération par la planification?

L'Etat omniscient, omnipotent, omniprésent,, peut chercrier à récu­

pérer ce secteur parce qu'il représente une forme de réussite. Il

voudra l'encourager en lui ouvrant les crédits, en le dispensant

de certaines taxes ou impôts, bref, en légalisant une situation de

fait, mais il finira par l'intégrer dans son système et voudra le

régenter. Privé de sa liberté, de sa souplesse et du sens du ris-

',que sous l'aiguillon de la concurrence, le secteur informel sera

étouffé et se verra obligé d'accéder au statut du secteur " moder­

ne " ou de disparaître.

En réalité, l'Etat devrait s'inspirer du secteur informel pour

revoir le secteur organisé surtout public, et les aides et le

soutien qu'il accorde à ce secteur devenu assisté et protégé, à

outrance.

Le crédit facile et à faible coût a engendré des entreprises çapi-

talistiques avec un équipement surdimensionné et grandes consom-,

matrices de devises. Les exportations qu'elles assurent recouvrent

plus ou moins leurs importations en matières premières et pièces

de rechange. Pour rembourser les prêts internationaux contractés

pour l'investissement, il faudra puiser dans les recettes du

tourisme, de l'agriculture, dans les années de bonnes récoltes,

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_ 112 _

des revenus miniers (pétrole, phosphate, etc.) quand le marché

est conjoncturellement favorable, ou dans les recettes de l'immi­

gration quand la crise épargne l'Europe et ne condamne pas les

immigrés au retour. Bref, ce secteur conçu et développé pour être

un moteur de la croissance devient un parasite et un fardeau pour

la balance des paiements, et pour l'économie du pays. .

Il serait plus judicieux de varier le montant des crédits par

branche, et, en fonction des investissements nécessaires pour

l'entreprise, assurant le meilleur rapport productivité/emploi,

et de moduler les taux d'intérêt en conséquence. Le rapport an­

nuel exportations/importations rentrera en ligne de compte pour

des bonifications d'intérêts et le calcul du taux de l'impôt.

-Ainsi, l'initiative, la réussite et le respect des intérêts de

la collectivité seront récompensés.

Par contre, l'Etat n'apportera ni aide, ni soutien aux créateurs

de nouvelles entreprises qui viendraient supplanter le réseau du

secteur informel, alors que celui-ci satisfait aux besoins dans

le cadre de la concurrence. Par ailleurs, seront encouragées les

entreprises nouvelles qui viendraient à se créer pour s'occuper

d'exportation exclusivement, car les entreprises du secteur infor­

mel se révèlent inaptes à couvrir le marché international.

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- 113 -

Dans ce cas, l'état jouerait un rôle de régulateur, de catalyseur

respectant à la fois l'initiative et l'intérêt public, à la fois

les grands équilibres et les consommateurs.-

La planification épouse, dans ce cas, le mouvement des entreprises

au lieu de diriger, d'.imposer ses choix. Il en résultera plus de

chances que l'Etat et la société civile soient en symbiose et non

en conflit.

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- 114 -

3. Valorisation de la participation de la femme

Cette nouvelle vision du rôle de l'Etat pourra lui permettre d'in­

citer à l'utilisation maximale du potentiel d'activité des femmes.

En reconnaissant la production des ménages et la production domes-

.tique, et en les étudiant comme activités économiques, avec leurs

motivations, leurs objectifs, l'Etat pourra les placer dans le ca­

dre de la production nationale ou régionale, définir leurs fonctions

et entreprendre de faciliter leur développement.

Les deux maux du monde rural étant le transport de l'eau et le ra­

massage du bois, une recherche de solutions, adaptées permettra à

la femme de consacrer plus de temps à la production : élevage, tis­

sage, poterie, etc., assurant ainsi un meilleur-revenu à la famille.

Ces solutions doivent tirer le meilleur profit des ressources dis­

ponibles, peu coûteuses et faciles à exploiter. Une citerne destinée

à la collecte des eaux pluviales, construite avec les pierres dis­

ponibles sur place et les liants traditionnels, résoudra le problème

de l'eau potable et initiera à la construction de logements en dur,

selon le plan qui convient au mode de vie du groupe social, avec

respect des règles d'hygiène (lumière et ensoleillement).

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- 115 -

Produire ne suffit pas, il reste à valoriser cette production et

à la promouvoir au lieu d'éliminer les femmes du secteur ou de la

branche la plus prometteuse.

Il est aisé de constater que les créneaux les plus prometteurs de

la transformation alimentaire tels que les épices, les gâteaux

traditionnels occupés par le secteur informel féminin ont été ap­

propriés par des entreprises " modernes " pour faire de ces indé­

pendantes, des ouvrières payées au salaire minimum, si ce n'est

'employées à titre d'occasionnelles pour les remplacer par des

machines.

Bien entendu, ces entreprises ont bénéficié de l'aide de l'Etat,

et elles présentent leurs produits avec la qualité du " tradition­

nel ". •

Une politique plus efficiente instaurerait un contrôle de qualité

pour la production féminine, lui réserverait un label, assurerait

sa promotion par des spots publicitaires (radio, télévision), et

organiserait des foires réservées à ces indépendantes pour permet­

tre un écoulement rapide à l'époque où les ménages s'approvision­

nent en ces produits, éviter le stockage coûteux, et, encourager

les rencontres entre productrices, pour les inciter à s'organiser

et à mieux résister aux entreprises.

Page 121: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

_ 116 _

Cette politique de contrôle de qualité et de labelisation. pourrait

s'étendre aux produits fermiers (poulets, oeufs, beurre, fromage),

au tissage (tapis, klims, mergoums).

Les institutions étatiques (Office de l'Artisanat, essentiellement),

au lieu d'être des concurrents, se transformeraient en circuit de

commercialisation et de soutien, en formant les jeunes aux métiers

menacés par l'artisanat touristique ou l'oubli, et en faisant con­

naître les nouvelles techniques susceptibles d'améliorer la qualité,

tout en respectant la créativité et la liberté de l'artisane.

Les foires villageoises, réunissant plusieurs produits, devraient

jouer un rôle important, car elles permettraient aux femmes d'en

faire "un tremplin pour s'affirmer au niveau de la commercialisation,

activité jusque-là, réservée aux hommes.

Page 122: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 117 -

4. Rôle des intervenants

Le secteur informel a servi et sert toujours'de révélateur des

failles ou des brèches du système officiel, comme il annonce les

tendances futures, parce qu'obligé de s'adapter et de coller au

marché.

Toute la question est de savoir quel soutien, qui le procure, sous

quelle forme, et quand ?

' La taille réduite des " entreprises " et du marché du secteur in­

formel, leur hétérogénéité, nécessitent presqu'un traitement du

cas par cas. C'est pourquoi, le niveau d'action et de soutien

devrait être régional et local. C'est à ce niveau que les études

devraient être initiées et entreprises pour permettre aux autori­

tés (services techniques, administratifs) d'identifier les obsta­

cles, de créer les conditions nécessaires au développement du

secteur informel et de mobiliser les énergies locales, régionales

et internationales (dans le cadre du jumelage entre villes et

régions).

La région a, ou devrait avoir, une connaissance précise des compé­

tences disponibles (cadres en activité ou retraités, associations

diverses). Elle pourrait mettre en contact les groupes-cibles avec

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_ 118 -

leur(s) futur(s) partenaire(s) : hommes-ressources, conseils,

services divers. Contrairement à l'Etat, la région a des préten­

tions modérées, et se trouve en concurrence avec d'autres ré­

gions. Elle cherchera à multiplier les cibles, à préférer les

mesures appropriées, peu coûteuses, directement profitables au

plus grand nombre, et susceptibles d'être maintenues par les per­

sonnes concernées.

L'action et le soutien ne pourront êbre efficients que si la ré­

gion est à l'écoute des hommes, ouverte aux innovations, peu cha­

touilleuse sur la réglementation administrative et fiscale, et se

maintient en état de disponibilité pour informer et guider vers

l'institution , la personne, capable de conseiller, de résoudre

un problème technique ponctuel, ou d'assister bénévolement un

groupe ou une personne dans le lancement d'un projet, sa pré­

paration, ou son évaluation. Bref, la région doit être disponible,

à l'écoute, informée et prête à intervenir au moment requis.

Toute lourdeur dans les démarches ou dans les procédures, la

disqualifieront, tôt ou tard, surtout si elle développe un côté

"providence", source de dépendance et d'esprit d'assisté.

Ces tares ont souvent caractérisé l'Etat, dispensateur d'ordres,

de subventions, d'aides et de prêts, souvent bien au-delà de ses

moyens, et au prix d'un endettement excessif. Son rôle devrait

être révisé. Il est ,non le maître absolu, mais l'oreille qui

écoute, non le moteur, la locomotive, mais l'aiguillon. Il est

le vigile, le guetteur : il observe le mouvement, communique

les informations, met ses divers appareils et son personnel à

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-119 -

à la disposition des éclaireurs. le but de sa présence est de

déclencher les rapports entre les parties intéressées, plutôt

que d'agir à leur place, ou de leur imposer des méthodes de

travail ou d'action.

Pour conclure, l'Etat catalyseur (au sens chimique) succède à

l'Etat providence; l'autoritaire laisse la place au facilitateur.

Il ne cherche pas à convaincre mais à comprendre. Son objectif

est de restreindre son champ d'intervention au lieu de l'étendre.

Il facilite, enfin, le recours à toutes les compétences nationa­

les ou internationales, publiques ou privées, gouvernementales

ou non gouvernementales.

Les organisations non gouvernemantales constituent une ressource

importante. Elles sont mues par une volonté d'entr'aide, et ne

se soucient pas de défendre les intérêts d'un Etat, ou d'un groupe

économique. Leur apport se révèle d'autant plus précieux, qu'elles

allient l'objectivité du regard extérieur à l'attitude empathique,

et se soucient de respecter l'autonomie de l'autre et sa spécifici­

té.

De plus, leurs ressources limitées et leur attitude naturelle

les incitent à chercher les solutions les moins coûteuses, les

plus adaptées au groupe-cible, de sorte que les résultats se

fassent sentir à court terme, que le projet atteigne le stade de

l'autonomie assez rapidement, et qu'il soit pris en charge par

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- 120 -

ses propres bénéficiaires. C'est pourquoi, l'accent est mis sur

le développement des ressources humaines, par la formation et

l'échange d'expériences concrètes, vécues.

Enfin, l'idéal serait que le besoin soit exprimé par les i-nter-

ressés d'abord, pour être ensuite cerné et évalué par la région,

par l'Etat, avant que ne soit fait appel à des organisations non

gouvernementales; car, le vrai changement est celui pressenti

par ceux qui auront à le vivre.

Page 126: Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la ...

- 121 -

VI. BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE ET CHRONO-

LOGIQUE CONCERNANT LA TUNISIE

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