Le secret dévoilé: la confidence Catherine Kerbrat-Orecchioni, ICAR, Université Lumière Lyon 2

1. Du secret à la confidence

Importance du secret en littérature comme au cinéma:

Il y a plein de secrets dans la vie, l’écriture tourne autour. (A. Ernaux, Le vrai lieu, Gallimard 2014, p.36)

[…] ce monde où les réseaux sociaux entament la part de secret qui était encore notre bien jusqu’à une époque récente; le secret qui donnait de la profondeur aux personnes et pouvait être un grand thème romanesque. (P. Modiano, discours de remise du prix Nobel, Stockholm,

10 décembre 2014)

MAIS: par définition, le secret ne s’exprime pas, il ne se manifeste qu’indirectement, pas ses effets collatéraux, ses “suintements”.

Le secret ne peut être décrit par des moyens linguistiques qu’à partir du moment où il est “dévoilé”, sous forme de la confidence.

Lien étroit entre le secret et la confidence:

2. La confidence: définition

CONFIDENCE (1647) Communication d’un secret qui concerne soi-même (Petit Robert)

(1) Séquence de discours auto-centré, qui porte sur un état, un fait ou un événement concernant directement ou indirectement le locuteur (vs. potin ou commérage);

(2) Qui dévoile un secret, révèle au grand jour une information qui devait en principe rester cachée. Cf. métaphore de l’ouverture (parler “à cœur ouvert”), du déverrouillage (en anglais : self-disclosure); mouvement de l’intérieur vers l’extérieur:

Toi, reste, brave Omar ; il est temps que mon cœur De ses derniers replis t’ouvre la profondeur. (Voltaire, Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète, III-IV)

Après la lecture de Chénier, son secret avait passé de son cœur sur ses lèvres. (Balzac, Illusions perdues, Folio, p.83)

Confidence: transfert d’information de A à B — il faut que ça “communique”, ex. a contrario:

Aussi affectueux fussent-ils, une impalpable barrière laissait à bonne distance de moi oncles, tantes, grands-parents, interdisant les questions, repoussant toute confidence. (Ph. Grimbert, Un secret, Grasset 2004, p.65)

La confidence comme activité discursive particulière, de durée variable, fortement codifiée (mais plus ou moins selon les cas), et qui peut se rencontrer et se réaliser dans toutes sortes de “genres” ou “systèmes sémiotiques”:

• Interactions authentiques: conversations familières, petits commerces, coiffeurs, entretiens psychologiques…

• Elaborations secondaires: littérature (roman et théâtre), roman-photo, cinéma, chanson, opéra…

Cf. 2007 CKO et V. Traverso : Confidence/Dévoilement de soi dans l’interaction, Tübingen: Max Niemeyer.

Spécificités propres à chaque genre. Exemple : roman-photo • vs. roman: comportement mimo-gestuel montré vs. décrit • vs. cinéma: – image fixe (condensation des signes) vs. mobile – dialogues transcrits + monologue intérieur (bulles discontinues) + commentaires narratifs comme dans le roman mais très rudimentaires (cf. “didascalies” du texte théâtral): “Peu à peu, Loïc se confie”.

Recherche des points communs (approche “trans-genres”): le “scénario confidentiel”.

3. Exemples de départ

3.1. Confidence “authentique” (V. Traverso, La conversation familière, Lyon, PUL, 1996)

Deux amies, L et C, se retrouvent quelque temps après une après-midi passée ensemble en compagnie d’un certain Fred, qui vient de rompre avec sa petite amie “Bibi” et commence à s’intéresser à C. C raconte à L ce qui s’est passé après qu’elles se sont séparées ce jour-là (début de la transcription):

L- ça allait l’aut’fois/ C- le… l’après-midi où…/ L- ouais\ C- ouais… enfin moi je… ouais ça allait… mais Fred il allait pas très bien L- pas très bien non… moi j’ai passé une bonne journée mais Fred franchement je l’ai trouvé bizarre\ C- oui Fred euh… quand on est rentrés… (1”8) à un moment j’me suis dit bof… qu’est-ce qui s’passe… euh… et c’est moi qui é-… t’sais… qui… j’étais vachement… euh… (3”28) ouais… enfin vachement distante hein… tu vois mais en fait j’m’y attendais pas du tout… tu vois… je… j’ai senti un truc bizarre à un moment et puis j’me suis dit… enfin j’me suis dit non quoi… enfin … (2”50) [mais j- L- [comment vous êtes rentrés/ C- ben t’sais on a… après le burger… L- ah ouais

C- on est rentrés et puis euh… on… on a discuté un moment (4”19)… ben là c’tait… c’tait curieux euh… (2”16) il était pas pareil… (2”18) … et même j’sais pas si t’as remarqué mais euh il l’a dit une fois là pendant qu’on était ensemble… au lieu de dire Bibi il a dit Brigitte (2”90)… t’as pas fait gaffe/ […]

3.2. Confidence romanesque: G. Simenon, Une confidence de Maigret (1959)

Dîner des Maigret chez leurs amis les Pardon. Le docteur Pardon évoque un échec professionnel, ce qui déclenche en retour la confidence de Maigret (laquelle va s’étaler sur la totalité du roman), histoire d’un échec similaire (il n’a pas pu empêcher la condamnation à mort d’une personne qu’il soupçonne pourtant d’être innocente).

On se levait de table pour prendre le café au salon. […] Les femmes prenaient leur tricot, installées dans leur coin habituel. Pardon et Maigret étaient près d’une des fenêtres […]. Pardon allumait un cigare. Maigret bourrait sa pipe. Ils n’avaient pas particulièrement envie de parler et un assez long temps s’écoula en silence cependant que leur parvenait le murmure des femmes. Le médecin finit par murmurer comme pour lui-même: — Encore un de ces soirs où je souhaiterais avoir choisi un autre métier! […]

[court récit-confidence de Pardon] Il regarda le commissaire comme pour lui demander son indulgence. — Mettez-vous à ma place…

La soirée était douce, avec un certain alanguissement dans l’air. Le murmure des femmes continuait dans un coin du salon, le bruit rythmé des aiguilles. Maigret disait, la voix hésitante:

— Le cas n’est pas tout à fait le même, évidemment... Moi aussi, il m’est arrivé un certain nombre de fois de souhaiter d’avoir choisi un autre métier...

Ce n’était pas une vraie conversation où les répliques s’enchaînent avec logique. Il y avait des trous, des silences, de lentes bouffées de fumée qui montaient de la pipe du commissaire.

— Depuis peu, dans la police, nous n’avons plus les mêmes pouvoirs ni, par conséquent, les mêmes responsabilités… Il pensait tout haut, se sentait très près de Pardon, et c’était réciproque. […]

C’était au tour de Pardon de murmurer :

— Je comprends. […]

Un silence plus long. Il vidait sa pipe et en prenait une autre dans sa poche qu’il bourrait lentement, avec l’air de caresser la bruyère.

Maigret reprenait, à mi-voix:

— Je me souviens d’un cas, il n’y a pas si longtemps... Avez -vous suivi l’affaire Josset ?...

— Le nom me rappelle quelque chose…

[...]

Ils s’étaient toujours compris à demi-mot, Pardon et lui, bien qu’ils se fussent connus très tard, quand chacun avait déjà accompli une grande partie de sa carrière. Dès le premier jour, la confiance avait régné entre eux et ils éprouvaient un respect mutuel. [...]Et, ce soir si Maigret s’était soudain mis à parler, c’était moins pour détourner son ami de ses pensées que parce que le coup de téléphone avait réveillé en lui des sentiments assez pareils à ceux qui agitaient Pardon.

[confiance/confidence: termes apparentés étymologiquement] 3.3. La scène de confidence dans un roman-photo [diapo suivante] La confidence au complet sur une seule page. Corpus utilisés pour l’exposé: • littérature: richesse et variations infinies autour d’un canevas commun; fournit à la fois illustrations et analyses. • roman-photo: stylisation extrême, simplification caricaturale du scénario, miroir grossissant.

Difficile d’oublier

(1) Didascalie: CE MEME SOIR… Monologue intérieur: J’espère qu’elle s’est préparée à affronter le monde extérieur… (2) — Qu’est-ce qui t’arrive, Nicolas? — Rien. Pourquoi cette question? (3) SYLVIANE EST CELLE A QUI LES PENSIONNAIRES SE CONFIENT. — Allons, pas avec moi. Tu es triste parce qu’Elsa nous quitte? — Pas seulement pour ça. (4) Tu sais que j’éprouve pour elle plus que de la tendresse et que je n’ai jamais pu le lui avouer de crainte de la perturber davantage. (5) — Maintenant, je me rends compte combien il sera difficile de lui avouer mon amour. — Mais pourquoi? Parce qu’il s’agira d’une ex-patiente? (6) ELLE LE LAISSE SEUL, EN PROIE AUX QUESTIONS. Monologue: Elle a sûrement raison. Elsa me considère comme son médecin et non comme un homme qu’elle pourrait aimer.

3. Les caractéristiques prototypiques de la confidence

3.1. L’objet confié: une information tenue secrète jusqu’alors. Peut être de nature très variable (dans le roman-photo: affaires de cœur)

3.2. Les participants

3.2.1. Confidence prototypique: interaction duelle, en tête à tête et “en secret” [Cas particulier: thérapies de groupe; les confidences médiatiques, radio/télé/Internet + confidences théâtrales: voir plus loin] Elimination des “intrus” [Cf. Les yeux du silence, diapo suivante]:

Pierre Beugner […] m’a dit, en sortant du théâtre, qu’il fallait laisser Tatiana et Lol V. Stein seules ensemble un moment, avant de les rejoindre. Il était probable, avait-il ajouté, que Lol devait avoir à faire une confidence importante à Tatiana. (M. Duras, Le ravissement de Lol V. Stein, Folio, p.88)

3.2.2. Dissymétrie des rôles interactionnels (vs. bavardage): le confieur (ou la confieuse) et le confident (ou la confidente)

Rôles éventuellement permutables (cf. Maigret), mais seulement si cadre égalitaire (vs. inégalitaire)

Les yeux du silence

(2) — Où sont les verres? — Dans la cuisine. Eléna va s’en occuper. (3) IL COMPREND QU’ELLE A VOULU ELOIGNER SA PETITE FILLE. — Que se passe-t-il? — Le médecin dit que mon diabète s’aggrave mais, je vous en prie, ne dites rien à Eléna. Elle est trop sensible.

(1) Cadre inégalitaire:

• Cabinet médical ou “psy”, commerces et services;

• Relation de domesticité, maître(sse)/suivante ou valet:

Lambert le laisse dire. Il est la bonne oreille de son maître. Magdeleine est la bonne oreille de Mlle Berthe. Voilà ce qu’est servir. (F. Vallejo, Ouest, Viviane Hamy, 2006, p.95).

Elle avait fini par comprendre la vie en se voyant à la merci de tout le monde; et voulant plaire à tout le monde, elle riait avec les jeunes gens à qui elle était sympathique par une espèce de patelinage qui les séduit toujours, elle devinait et épousait leurs désirs, elle se rendait leur interprète, elle leur paraissait être une bonne confidente, car elle n’avait pas le droit de les gronder. Sa discrétion absolue lui méritait la confiance des gens d’un âge mûr, car elle possédait, comme Ninon, les qualités d’homme. En général, les confidences vont plutôt en bas qu’en haut. On emploie beaucoup plus ses inférieurs que ses supérieurs dans les affaires secrètes; ils deviennent donc les complices de nos pensées réservées, ils assistent aux délibérations [...]. On croyait cette pauvre fille dans une telle dépendance de tout le monde qu’elle semblait condamnée à un mutisme absolu. La cousine se surnommait elle-même le confessionnal de la famille. (Balzac, La cousine Bette, Le Livre de Poche, p.63)

Cf. théâtre classique: confidence à sens unique, privilège exclusif du maître/de la maîtresse; vs. Diderot, Jacques le Fataliste, “Le Maître” à Jacques :

Laissons cela. Tu te portes bien, tu sais mes amours; en conscience tu ne peux te dispenser de reprendre l’histoire des tiennes. (Le Livre de Poche, p.274)

(2) Cadre égalitaire: une certaine attente de réciprocité (“confidence pour confidence”):

C’est vrai, Adam. Les confidences doivent être réciproques. […] Comme Albert m’avait fait des confidences, je devais lui en faire à mon tour. (Amin Maalouf, Les désorientés, Grasset 2012, p.435)

Que je me sois confié à Bénédicte Ombredane à l’issue de mon premier rendez-vous est certainement ce qui l’a encouragée à se confier à moi au début du second. (E.Rinhardt, L’amour et les forêts, Gallimard 2014, p.33)

Mais ce n’est pas systématique:

Raconter son histoire l’avait un peu fatiguée. Toutefois elle reprit: — Je vous ai raconté tout cela bien volontiers mais ne vous sentez pas obligé de vous livrer à votre tour. Nous ne sommes pas tenus à l’équilibre. (Marc Dugain, Une exécution ordinaire, Gallimard 2007, p.185.

Ne vous croyez pas obligé, à Dieu ne plaise, de nous livrer vos secrets en contrepartie des nôtres. Il ne s’agit pas de business mais seulement de parler à cœur ouvert, comme on dit [...] Ne vous sentez pas tenu d’échanger histoire pour histoire. (Amos Oz, Connaître une femme, Le Livre de poche, p.136-7)

La confidence comme don (de soi): on se “livre” à l’autre. Confidence réciproque: système du “donnant-donnant”.

3.2.3. Bons et mauvais confidents

• Confidents professionnels: psychologue, psychiatre, confesseur…

• Confidents semi-professionnels:

“Confident(e)” du théâtre classique.

Collègue de travail, personne de l’entourage qui “a le profil”:

“Il vous arrive souvent d’être pris pour confident? demanda-t-elle. – Non, pourquoi ?… Si, peut-être”. Il sourit : “Oui, au fond, ça m’arrive assez souvent.” (R. Martin du Gard, Les Thibault I, Poche, p.453)

Jacques avait une façon d’écouter, patiente, sérieuse, discrète, qui lui attirait les confidences. (Les Thibault II, p.246).

Le confident idéal: discrétion, capacité d’écoute et d’empathie [Cf. Difficile d’oublier, diapo 8],

bonne intuition + don d’arriver au bon moment… [Cf. Contre vents et marées, diapo 14]

NB: dans le roman, le narrateur a parfois ce profil de “confident idéal”, ce qui va lui permettre de recueillir les confidences des personnages qui vont venir alimenter le récit [voir le début de Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald]

• Le cas particulier du confident anonyme (“de fortune”) — train, taxi: [Voir Diapo 15: R. Multier et G. Tévessin, Un taxi nommé Nadir, Actes Sud BD, 2006.

Bande dessinée faite à partir d’enregistrements effectués dans un taxi parisien (confidences authentiques)]

Contre vents et marées (2) L’INQUIETUDE DE CLAUDIO AUGMENTE JOUR APRES JOUR. Monologue: Je sens qu’il va se passer quelque chose…

(3) — Est-ce qu’un café fera l’affaire ? — Merci, Letizia. Vous arrivez toujours au bon moment. (4) — Si mon intuition est bonne, je crois que vous avez des soucis. (5) LETIZIA EST L’UNIQUE PERSONNE A QUI IL PEUT OUVRIR SON CŒUR. (7) AVEC LE TEMPS, LETIZIA EST DEVENUE LA CONFIDENTE DE CLAUDIO. (8) CEPENDANT, CE ROLE COMMENCE A LUI PESER, CAR ELLE EST TOMBEE AMOUREUSE DE LUI.

Le fait de ne pas revoir les clients c’est extra, ça permet de se confier. Le jour où on a les boules, on peut se lâcher, vider son sac avec les gens et réciproquement. Bon c’est plus eux que moi, je vous l’avoue. Attends! C’est pas le premier venu qui va me tirer les vers du nez, à qui je vais tout déballer!

[…]

Hier, par exemple, en début d’après-midi, j’ai pris une dame de 82 ans hyperintéressante... ça a commencé, bonjour, il fait beau, il fait chaud... Les questions bidon habituelles... Et nous en sommes arrivés à parler d’elle, de sa vie, et tout... Elle m’expliquait qu’elle était mariée depuis 56 ans à un homme merveilleux tatata, qui la comblait, tout ça... — Dites donc, 56 ans c’est pas des pois chiches! Et pendant tout ce temps, vous l’avez jamais trompé?... — Est-ce que je peux vous parler franchement? — Bah oui, on est là pour ça, on peut tout dire... — Alors je vous le dis, je l’ai fait, je l’ai trompé, plusieurs fois même. — Ah bon, mais?... — Je l’ai fait, voilà, j’ai voulu le faire, je l’ai fait!

J’étais sur le cul! Je crois que c’est la première fois qu’une personne âgée me parlait comme ça... [...] En posant une question comme ça, on est à la limite du manque de respect. D’ailleurs c’était un peu le cas. Mais bon je me suis dit: “Allez, pose-lui la question, elle a l’air cool”. Et puis à la fin, elle m’a même dit: “De toute façon, je peux bien vous le dire, on se reverra plus.”

Mais cas relativement exceptionnel: en principe, on ne doit pas “raconter sa vie à un inconnu”.

•

La confidence prototypique advient entre deux personnes proches, qui ont de forte affinités [cf. Maigret, diapos 6-7]:

Le plus souvent, nous nous confessons à ceux qui nous ressemblent et qui partagent nos faiblesses. (Camus, La Chute, Folio, p.88)

Le confident “par excellence”: le/la meilleur(e) ami(e) ou le/la copain/copine:

Et puis, au fond, on n’était pas des vrais copains, on ne se confiait pas de secret. (M. Duras, Le Vice-consul, Gallimard, 1966, p.208)

Mais gare! Relation d’amitié mais non d’amour (frontière parfois incertaine, cf. Conte d’été de Rohmer).

• Mauvais candidats si la confidence porte sur une affaire de cœur avec un tiers (vs. les “confidences sur l’oreiller”):

– Un(e) rival(e): Quoi ! je suis malgré moi confident de sa flamme, Quoi ! sa naïveté, confondant ma fureur, Enfonce innocemment le poignard dans mon cœur? (Voltaire, Mahomet le prophète, III-IV) – Une personne amoureuse (la jalousie va s’en mêler!)

[Cf. Contre vents et marées, diapo 14: “ce rôle commence à lui peser…”]

3.2.4. La relation confieur/confident La confidence repose sur la confiance et le pacte de confidentialité: elle met “dans le secret” le confident, qui n’est pas censé colporter l’information confiée (elle l’a été “sous le sceau du secret”). Sinon: trahison du pacte (“secret de Polichinelle”, et la confidence peut se transformer en “rumeur”).

3.3. Le cadre, le lieu et le moment propices à l’échange confidentiel Certains jours plus propices à la confidence, Louise racontait l’enfance d’une petite fille boîteuse […] (Ph. Grimbert, Un secret, Grasset 2004, p.34)

• Moment: de préférence temps mort, moment de “vacance”:

Dans le désœuvrement des longues après-midi, le hasard des tablées entraînait des rapprochements d’imaginaires, qui souvent déclenchaient des conversations flottantes où chacun racontait aux autres ce qui s’tait passé dans sa vie […] (E. Reinhardt, L’amour et les forêts, Gallimard 2014, 216)

• Lieu et décor: espace privé, à l’écart, loin de la foule et du bruit, et de tout ce qui peut “distraire”. Dans le roman-photo: la table (salon, terrasse de café, restaurant, bar); mais aussi le couloir ou le vestiaire (confidences “furtives”). Ils allèrent se promener ensemble dans les Prés et, comme d’habitude, s’assirent sur le banc qu’ils avaient occupé la toute première fois, lorsque Du Maurier lui avait raconté sa vie. Ce banc n’était pas placé sur une hauteur offrant une vue spectaculaire qui aurait distrait l’attention, mais niché au creux d’une allée bordée de pins sylvestres, face au sud et abrité du vent, une situation qui invitait à se confier. De fait, Henry l’avait baptisé “le banc des confidences”. (D. Lodge, L’auteur! L’auteur! Rivages: p.72)

Silence, ambiance calme, lumière tamisée:

Ne voulez-vous pas que nous bavardions un peu? dit-elle.Ce qui la gênait le plus était ce roulement et ce grondement du train, si peu favorables aux confidences. (Philippe Hériat, Famille Boussardel, Gallimard, p.360).

Au cours de l’ultime face à face de l’émission avec le journaliste Alain Duhamel, dans une atmosphère de confidence avec lumière tamisée, pour la deuxième fois de la soirée est posée à Sarkozy la question sur ses ambitions présidentielles. (M. Darmon, Sarko star, Seuil 2004, p.34).

C’était bientôt l’heure de la nuit où les maquillages se craquèlent et où on se laisse aller au bord des confidences. (P. Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Gallimard 2014, p.55) [se confier = se “démasquer”]

Constitution d’une “bulle”. Impression d’isolement accentuée par le comportement des participants: posture, voix (murmurée ou chuchotée: le “ton de la confidence”):

Le président du Centre Gabriel-Roux se pencha vers Gabriel, les coudes plantés sur le bureau, adoptant le ton de la confidence. (Didier Daeninckx, Éthique en toc, Seuil 2000, p.73)

Honorine se pencha vers moi et parla sur le ton de la confidence. (J.-C. Izzo, Chourmo, Folio 1996, p.39)

Ce fut seulement vers sept heures, comme nous descendions tous deux le boulevard Saint-Germain, que, sentant le bras de mon compagnon s’appuyer plus lourdement sur le mien, je compris que l’instant était venu de sa confidence. (P. Benoît, Le roi lépreux, Kailash 2004, p.29)

• La disposition d’esprit

– Confieur: “en mal de confidence”:

Je ne suis jamais monté dans un train sans y apprendre quelque chose, soit de la bouche d’un voyageur en mal de confidence, soit par mes observations personnelles. (Nothomb, Attentat, Albin Michel 1997, p.73).

Du reste, à cette même époque, j’éprouvai un certain besoin de raconter à quelqu’un ce qui se passait entre Capitou et moi. (J.M. Machado de Assis, Dom Casmurro, Métailié 1983, p.189)

– Confident: il doit éprouver un certain intérêt pour le sort de A, faire preuve de disponibilité, et manifester lui aussi un désir d’“ouverture” (A “s’épanche” et B “recueille” la confidence): Laura surprend sur le visage de sa belle-sœur une expression de repos, de naturel qu’elle lui voit pour la première fois [...]. Il semble qu’une porte se soit ouverte et laisse pénétrer la clarté et l’air frais. Immédiatement s’éveille en Laura un désir de parler avec franchise, de s’abandonner. (Miquel Llor, Laura, Cambon-Poche 1996, p.81)

• L’alcool comme facteur favorable [Bacchus appelé aussi “Liber”: in vino confidentia]

Mais l’heure était à tout avouer, tout me dire, elle se resservait à boire et l’alcool la délivrait d’un secret trop longtemps retenu.

Mon hôte vidait avec régularité sa coupe de vin, qu’un esclave remplissait aussitôt. Voilà qui favorisait les confidences. (C. Godineau, L’enquête de Lucius Valerius Priscus, Babel 2005, p.68)

Lol se lève et offre un verre de cherry à Tatiana. Elle, ne boit pas encore. Tatiana doit être sur le bord de faire une confidence à Lol. (M. Duras, Le ravissement de Lol V. Stein, Gallimard, 1993, p.90)

Nous eûmes l’honneur de dîner avec nos deux voyageurs dont la politesse méritait bien l’offre de l’inévitable bouteille de champagne, aussi leur cœur s’ouvrit-il complètement aux nôtres, et ils versèrent dedans leurs confidences les plus intimes. (G. Flaubert, Par les champs et par les grèves, in Histoires de Bretagne, Paris, Les Belles Lettres 1996, p.120-121)

Bénédicte Ombredane a avalé une nouvelle gorgée de vin […]. Elle était sans doute un peu pompette et je suppose que cette ivresse avait été propice au mouvement qu’elle avait suivi, intense et sans interruption, en ligne droite de son cœur vers le mien, en me racontant sans faillir cet atroce printemps 2006. (E. Reinhardt, L’amour et les forêts, Gallimard 2014, p.239). Soudain, il s’effondre sur son verre, et penche dangereusement vers Aden. – J’ai rendu ma carte au Parti, souffle-t-il, tragique. (A.-M. Garat, Aden, Seuil 1992, p.204)

3.4. Le déroulement de la scène de confidence (le “script”) 4 étapes successives: entrée en confidence, exposition, partage, clôture

(1) L’entrée en confidence

Deux cas: confidence spontanée (cas général dans les interactions authentiques) vs sollicitée par le confident (cas général dans les confidences [photo-]romanesques).

• Confidence spontanée Souvent événement déclencheur, déclic (Dominique de Fromentin, Un secret de Grimbert…) Peut survenir de façon plus ou moins abrupte:

Chez tante Rési! on allait chez tante Rési! [...]Le docteur Max Demant, médecin du régiment, fit une timide tentative pour s’esquiver. — Êtes-vous obligé d’y aller? demanda-t-il tout bas au lieutenant Trotta. — Il va bien falloir! chuchota Charles-Joseph.Alors il l’accompagna sans mot dire. […] Ils ne se parlaient pas. Ils se sentaient liés tous deux par la question discrète et la réponse murmurée. C’était chose faite. Et ils se connaissaient à peine depuis une demi-heure. Soudain, sans savoir pourquoi, Charles-Joseph déclara :— J’ai aimé une femme. Elle s’appelait Cathy. Elle est morte. Le major s’arrêta et se tourna vers le lieutenant.

— Vous aimerez encore d’autres femmes, fit-il.Et ils reprirent leur marche. (Joseph Roth, La marche de Radetzki, Points, 1982, p.85)

ou au contraire progressive (plus fréquent): on procède à petits pas, avec précautions (“Es-tu capable de garder un secret?”) et hésitations:

Elle hésitait comme quelqu’un qui est prêt à faire une confidence. (P. Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Gallimard 2014, p.29)

Parfois réticences du confident: stratégies d’évitement:

“Je voudrais vous demander un conseil. Entre nous, n’est-ce pas?” Madame Amarat baissa les yeux, fourragea sa chevelure blanche frisée, essaya d’écarter la confidence. (Colette, La Chatte, Poche, p.125)

Lol se lève et offre un verre de cherry à Tatiana. Elle, ne boit pas encore. Tatiana doit être sur le bord de faire une confidence à Lol. Elle parle, prend des pauses, baisse les yeux, dit quelque chose, ce n’est pas encore ça. Lol bouge, essaye de parer le coup. Elle ne veut pas des confidences de Tatiana, n’en a rien à faire. (M. Duras, Le ravissement de Lol V. Stein, Gallimard 1993, p.90)

• Confidence sollicitée: Souvent déclenchée par l’attitude de l’autre (expression préoccupée, tourmentée…) Formulation: question directe (“Qu’est-ce qui t’arrive?”) ou indirecte (“Ça n’a pas l’air d’aller…”) Parfois le sollicité se fait tirer l’oreille (mêmes stratégies d’évitement): Tatiana murmure : — Après tant d’années je voulais te demander si... Je n’entends pas le reste de la phrase de Tatiana [...]. La voix de Lol est toujours claire, sonnante. Elle veut échapper à la confidence, la rendre publique. (M. Duras, ibid., 97-8)

Cas particulier, sollicitation d’une sollicitation:

ANGÉLIQUE, la regardant d’un œil languissant, lui dit confidemment. — Toinette!

TOINETTE. — Quoi?

ANGÉLIQUE. — Regarde-moi un peu.TOINETTE. — Hé bien! je vous regarde.

ANGÉLIQUE. – Toinette!TOINETTE. —Hé bien, quoi, “Toinette”?

ANGÉLIQUE. — Ne devines-tu pas de quoi je veux parler?TOINETTE. — Je m’en doutais assez: de notre jeune amant [...]ANGÉLIQUE. — Puisque tu connais cela, que n’es-tu pas donc la première à m’en entretenir, et que ne m’épargnes-tu la peine de te jeter sur ce discours?

TOINETTE. — Vous ne m’en donnez pas le temps [...]ANGÉLIQUE. — Je t’avoue que je ne saurais me lasser de te parler de lui, et que mon cœur profite avec chaleur de tous les moments de s’ouvrir à toi [...] (Molière, Le malade imaginaire, I-IV)

(2) Exposition: par le confieur/la confieuse Roman-Photo: du plan éloigné au gros plan (on pénètre dans l’intimité du confieur). Regards: en général évitement du regard par le confieur (alors que le confident regarde le confieur avec insistance):

“Alors, dit-elle à Kitty. Qu’y a-t-il ? Tu as un problème?”

Kitty reste assise sans rien dire pendant un moment, ne regarde ni Laura ni dans une autre direction. Elle se replie sur elle-même. (M. Cunningham, Les heures, Belfond 1999, p.111)

(3) Partage des émotions

Tâches du/de la confident(e): écouter et compatir + conseiller (éventuellement).

Différents degrés de participation, mais un minimum d’empathie est nécessaire au bon fonctionnement de la confidence. Mais pas trop de pathos non plus:

Plus Louise avançait dans son aveu, plus mes certitudes se défaisaient. Une trop forte émotion de ma part l’aurait freinée dans son élan. (Ph. Grimbert, Un secret, Grasset 2004, p.65)

(4) Clôture: généralement bâclée dans les confidences littéraires et surtout roman photo, vs. confidences authentiques où la clôture peut durer.

Parfois, formulation d’excuses (“bon excuse-moi je t’embête avec mes histoires”) et de remerciements de la part du confieur, ou (plus rarement) du confident:

Dominique avait achevé son récit. Il s’arrêta sur ces dernières paroles dites avec la voix précipitée d’un homme qui se hâte et cette expression de pudeur atterrée qui suit ordinairement des épanchements trop intimes. Ce que de pareilles confidences avaient dû coûter à une conscience ombrageuse et si longtemps fermée, je le devinais, et je le remerciai d’un geste attendri auquel il ne répondit que par un mouvement de tête. (E. de Fromentin, Dominique, 1972 [1863], p.276)

Illustrations du “script de la confidence”:

deux exemples empruntés à des romans-photos:

• Difficile d’oublier: voir diapo 8

Expression tourmentée du confieur; sollicitation de la confidence; le confieur se fait tirer l’oreille; le jeu des regards; la fin abrupte…

• Le feu sous la glace: voir diapo suivante

“Lors d’une promenade avec sa meilleure amie”: annonce la scène de confidence; confidence sollicitée mais provoquée par l’air “préoccupé” de la confieuse; entrée en confidence et exposition; jeu des regards; partage des émotions; confidence interrompue, clôture abrupte (en général: rendez-vous urgent ou survenue d’un intrus).

2. Le feu sous la glace

(1) DE SON COTE, CLAIRE SE SENT EN PROIE A UN TROUBLE INDEFINISSABLE — Qu’est-ce qui m’arrive? Il y a longtemps que je n’ai pas ressenti une telle émotion. (2) UNE SEMAINE PLUS TARD, LORS D’UNE PROMENADE AVEC SA MEILEURE AMIE. — Je te sens préoccupée. Que se passe-t-il? — Je ne sais pas… je ne sais plus… J’ai l’impression que tout va trop vite. Je ne suis plus sûre de rien. (3) — Je crois que je commets une erreur en épousant Simon. J’éprouve pour lui beaucoup d’affection, mais ça ne suffit pas. — Il n’est jamais trop tard pour faire machine arrière. (4) — Oui, mais qu’en penserait Julie? Il a pris tellement de place dans sa vie. — Tu ne vas quand même pas épouser Simon pour faire plaisir à ta fille. (5) A propos, tu ne m’as pas dit qu’il avait fait appel à un entraîneur extérieur pour s’occuper d’elle? […] (6) — Il est très sympathique, et plutôt beau garçon. — Hum… On dirait qu’il t’a tapé dans l’œil! (7) Bon, je file sinon je vais être en retard chez mon dentiste. On se téléphone en fin de semaine — Embrasse Julie pour moi.

3.5. Effets et fonctions de la confidence: interactions authentiques vs. fictionnelles

(1) Interactions authentiques: fonction part rapport aux seuls participants “actifs” (confieur et confident):

• Pour le confieur: fonction “cathartique”, libération (d’un secret “étouffant”), apaisement:

À raconter ses maux souvent on les soulage. (Corneille, Polyeucte, I-III, Stratonice à Pauline)

Bénédicte Ombredanne me remercie de lui avoir accordé autant de temps, elle sent déjà que me parler lui fait le plus grand bien. (E. Reinhardt, L’amour et les forêts, Gallimard 2014, p.216)

La confidence permet en même temps de “voir clair dans son cœur” [Marivaux] .

• Effets sur la relation confieur/confident :

– Relation horizontale (axe de la “‘distance”): rapprochement: Mais les confidences commencèrent. Madame de Bargeton appela son poète cher Lucien […]. Le poète enhardi nomma cette dame Naïs. […] (Balzac, Illusions perdues, Folio, p.75)

Parfois c’est plus facile de se confier à un étranger. — Mais une fois qu’on s’est confié ce n’est plus un étranger n’est-ce pas? (Todd Haynes, Loin du paradis)

– Relation verticale (axe de la “domination”): plus ambigu. Confident plutôt en position “basse”, mais en même temps en se confiant le confieur se met à la merci du confieur: Minnie était ma confidente alors et tenait tant à ce rôle (ce pouvoir sur moi) qu’elle se gardait bien de me trahir auprès du Juge. (Gille Leroy, Alabama Song, Mercure de France 2007, p.29)

La confidence comme activité “difficile” et “risquée”:

Il y avait un plus grand danger à s’inventer une tardive intimité fraternelle qu’à se contenter de cette ignorance réciproque. Parce qu’une fois ouvertes les vannes de la confidence, on ne sait plus à quoi l’on consent, à quoi l’on se risque. (A.-M. Garat, Dans la main du diable, Actes Sud 2006, p.402)

• Risque pour le confieur: dévoilement, mise à nu (il “s’expose” et se “livre”): Il parut regretter d’avoir fait ces confidences. Il redressa le buste et tourna la tête vers la porte vitrée de la terrasse. (P. Modiano, Pour que tu ne te perdes pas…, Gallimard 2014, p.82)

• Risque pour le confident:

S’il sollicite la confidence: passer pour indiscret (Nadir: on est à la limite du manque de respect)

S’il est réquisitionné par le confieur: embarras, connivence forcée… + épreuve physique:

La voix était de plus en plus rauque, et il craignait que ces confidences ne durent jusqu’au matin. Pourrait-il soutenir son attention et les écouter jusqu’au bout? (P. Modiano, Ibid, p.57)

Parmi les risques : que cela débouche sur (dégénère en) relation amoureuse:

Dès que nous avions été installés dans le petit bar au coin de la rue, nous nous sommes mis à parler sans pouvoir nous arrêter. Deux heures de confidences non-stop, comme si notre destin était de depuis toujours de nous épancher l’un dans l’autre. Le courant circulait jusqu’à la fusion. Quand il a entrelacé ses doigts aux miens […] (D. Kennedy, La poursuite du bonheur, Pockett 2001, p.75)

[Tragédie classique: confident(e) et confieur/confieuse nécessairement de même sexe]

[Voir extrait de Conte d’été de Rohmer, dernière diapo]

(2) Interactions fictionnelles: les confidences ont une double fonctionnalité

Niveau des personnages: cf. confidences authentiques;

Mais existence d’une autre strate de récepteurs, à l’insu des personnages: lecteurs et spectateurs, par rapport auxquels la confidence reçoit des fonctions supplémentaires.

• Fonction informative (au théâtre et au cinéma plus que dans le roman: existence du narrateur). cf. Petit Robert, définition de la confidence au théâtre: Théât. Personnage secondaire qui reçoit les confidences des principaux personnages pour que le public soit instruit des dessins et des événements.

Remarques sur la confidence au théâtre:

– Que la convention du “confident” (pure “utilité”, surtout dans les “scènes d’exposition”) a parfois été dénoncée comme excessivement factice: “la querelle du confident”, cf. l’Abbé d’Aubignac contre Corneille (La pratique du théâtre, 1663): C’est le temps que les Spectateurs prennent pour s’entretenir, pour reposer leur attention ou pour manger leurs confitures.

– Dispositif intrinsèquement voyeuriste (les spectateurs “épieurs”). Cf. la fréquence du motif du “secret surpris” dans la comédie classique (obsession du témoin indiscret dissimulé dans le “petit cabinet”, et infinies précautions prises pour s’en prémunir — précautions qui en tout état de cause ne peuvent être qu’inutiles car il y a toujours, au théâtre, un témoin indiscret…) Hypothèse: que la fréquence de ce motif s’explique comme une sorte de redoublement spéculaire, sur scène, de ce qui constitutivement caractérise la relation scène/salle.

• Fonctions narratives: débloquer la situation, faire progresser l’intrigue…

3.5. Variations affectant le fonctionnement de la confidence

(1) Selon le genre discursif: rareté dans les débats politiques (mais confidences — plus ou moins extorquées — bien attestées dans d’autres types d’émissions où sont invitées des personnalités politiques)

(2) Selon le gender:

De plus elle se montra si prête à l’odieuse promiscuité des filles, aux confidences précises, que je la plantai là sur le trottoir avec allégresse. (F. Sagan, Un certain sourire, Julliard 1956, p.45)

Les hommes sont peu enclins à se livrer sur le mode impudique de la confidence. (A.-M. Garat, Dans la main du diable, Actes Sud 2006, p.324)

[mais dans Nous deux du 20 janvier 2015, roman-photo intitulé “Entre hommes”]

(3) Selon les cultures:

Je l’écoute fasciné: depuis mon enfance j’entends dire que l’ami est celui avec qui tu partages tes secrets et qui a même le droit, au nom de l’amitié, d’insister pour les connaître. Pour mon Islandais, l’amitié c’est autre chose: c’est être un gardien devant la porte où l’ami cache sa vie privée; c’est être celui qui n’ouvrira jamais cette porte; qui à personne ne permettra de l’ouvrir. (M. Kundera, Les testaments trahis, Folio 1995 : 313-4)

Bref retour sur le secret et sa définition: Le secret comme “ensemble d’informations que le détenteur ne doit pas révéler”, mais aussi qui mériteraient de l’être car elles sont relativement importantes et intéressantes. La grande majorité des choses “non dites” ne sont pas pour autant des “secrets”: parler, c’est d’abord sélectionner — on ne peut et ne doit jamais “tout dire” (mythe de la “transparence” totale).

L’activité de parole engage une norme concernant: • ce qui ne mérite pas d’être dit (l’insignifiant) vs. • ce qui mérite de l’être et peut l’être (le “dicible”), vs. • ce qui mérite de l’être mais doit rester caché pour telle ou telle raison (le secret). Cette norme varie selon les cultures (voir citation précédente de Kundera sur la culture islandaise), mais aussi pour une même culture selon les types d’informations, et pour une même information selon les types de destinataires (intimes ou proches vs. anonymes ou “grand public”) — problème des confidences sur les réseaux sociaux, où les messages sont adressés à un ensemble de destinataires nombreux et hétérogènes. Le travail littéraire et cinématographique autour du secret consiste à faire sentir au lecteur/spectateur qu’on lui cache quelque chose, et à créer une attente de la “révélation” du secret, sinon frustration du lecteur — Cf. J. Conrad, La Rescousse (récit entièrement organisé autour d’une confidence dont on ignore jusqu’au bout la teneur); et pour une exploitation comique: Jean Tardieu, Eux seuls le savent (in Théâtre de chambre, Paris, Gallimard, 1966) — eux, c’est-à-dire les personnages; car pour ce qui est des spectateurs, ils sont laissés tout au long de la pièce dans la plus totale ignorance des tenants et aboutissants des événements apparemment fort dramatiques qui se déroulent sous leurs yeux, jusqu’à cette provocation finale :

JUSTIN, entraînant Janine vers la droite. C’est notre secret!… Venez Janine! ils ne peuvent pas comprendre! HECTOR, entraînant Simone vers la gauche. Viens! Il ne faut pas leur dire!… Ils comprendront peut-être un jour! Rideau.