le scriptorium de Tréguier au 11e siècle
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par Andrépar Andrépar Andrépar André----Yves Bourgès*Yves Bourgès*Yves Bourgès*Yves Bourgès*
Plusieurs saints trégorois ont fait l’objet d’un traitement hagiographique au Moyen
Âge : outre les trois vitae (brève, moyenne et longue) qui constituent le dossier de saint
Tugdual — personnage traditionnellement présenté comme le premier évêque de Tréguier
et que l’auteur de la vita longue dit avoir pris la succession du prélat qui occupait le siège
de la cité voisine de Lexovium1 — nous pouvons mentionner les vitae des saints Cunwal2,
Mélar3, Efflam et Maudez4, honorés respectivement à Penvénan, Lanmeur, Plestin et
Lanmodez5.
*CIRDoMoC (Centre international de recherche et de documentation sur le monachisme celtique), *CIRDoMoC (Centre international de recherche et de documentation sur le monachisme celtique), *CIRDoMoC (Centre international de recherche et de documentation sur le monachisme celtique), *CIRDoMoC (Centre international de recherche et de documentation sur le monachisme celtique),
Landevennec.Landevennec.Landevennec.Landevennec.
1 A. de la Borderie, « Saint Tudual. Texte des trois Vies les plus anciennes de ce saint et de son très-ancien
office publié avec notes et commentaire historique », dans Mémoires de la Société archéologique des
Côtes-du-Nord, 2e série, t. 2 (1886-1887), p. 99 (c. 8).
2 A. Oheix, « Vie inédite de saint Cunwal », dans Revue celtique, t. 32 (1911), p. 154-183 (Études
hagiographiques, 7) ; A. Certenais, B. Merdrignac, H. ar Bihan, La vie de saint Cunual. Buhez Konwal,
Ploemeur, 1999.
3 A.-Y. Bourgès, Le dossier hagiographique de saint Melar. Textes, traduction, commentaires, Landévennec-
Lanmeur, 1997 (= Britannia Monastica, vol. 5).
4 A. de la Borderie, « Saint Efflam. Texte inédit de la Vie ancienne de ce saint avec notes et commentaire
historique », dans Annales de Bretagne, t. 7 (1892), n°3, p. 279-312 ; Idem, « Saint Maudez. Texte latin des
deux Vies les plus anciennes de ce saint et de son très-ancien office avec notes et commentaire
historique », dans Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, t. 28 (1890), p. 198-266.
5 Les saints en question ont été honorés en bien d’autres endroits, et hors du Trégor ; mais il s’agit ici de ce
nous pouvons désigner comme leurs hauts lieux de culte.
I
Les vitae de saint Tugdual, largement mises à contribution par A. de la Borderie pour
prouver l’existence de la « grande émigration domnonéenne » de la première partie du VIe
siècle6, ont récemment fait l’objet d’un réexamen minutieux par H. Guillotel ; à cette
occasion, ce chercheur a traité brièvement de la vita de saint Cunwal et de la vita Ia de
saint Maudez7. En ce qui concerne le dossier hagiographique de saint Tugdual, H. Guillotel
a montré que la vita moyenne, jusqu’alors présentée comme la seconde pièce de ce dossier
du point de vue chronologique, était en fait le texte le plus ancien, écrit à l’instigation de
l’évêque Martin, sinon par le prélat lui même, dans le troisième quart du XIe siècle8. La
rédaction longue, dont l’auteur renvoie ses lecteurs à l’ouvrage antérieur d’un certain
Louénan, présenté comme un disciple de saint Tugdual9, ne paraît pas antérieure à la
première moitié du XIIe siècle10. Quant à la vita brève, attribuée à Louénan par A. de la
Borderie, elle a de ce fait été longtemps considérée comme la pièce la plus ancienne ; mais
pour H. Guillotel, elle serait au mieux contemporaine de la rédaction moyenne11, dont elle
a repris une expression caractéristique12. Nous pensons, pour notre part, qu’il convient
6 A. de la Borderie, Histoire de Bretagne, t. 1, Rennes, 1896, p. 355-359, 365-366, 369, 405-406, 407-408, 511,
528. En annexe (p. 557-560), A. de la Borderie défend sa datation des différentes pièces du dossier
hagiographique tugdualien.
7 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », dans Bretagne et pays
celtiques. Langues, histoire, civilisation. Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot (1923-1987),
Saint-Brieuc-Rennes, 1992, p. 213-226.
8 Ibidem, p. 220. Ce Martin, chanoine du chapitre cathédral d’Angers, avait été le chapelain et le secrétaire
du comte Geoffroy Martel (Ibid., p. 215-217).
9 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 98 (c. 6) : ad volumen super hoc negocio a sancto Loenanno ejus
discipulo compositum recurrat.
10 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 215.
11 Ibidem, p. 223.
12 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 88 (c. 4) : super humeros ejus quedam columba sicut nix candida
in typo angeli descendit [rédaction moyenne] ; p. 85 (c. 3) : venit columba de coelo in typo angeli et
descendit in scapula dextra sancti Tutguali [rédaction brève]. L’auteur de la rédaction longue précise que la
colombe s’était posée sur l’épaule droite du saint : c’est un démarquage de l’épisode qui figure déjà dans la
vita Ia de saint Samson (I, c. 13), de même que l’expression in typo « sous la forme de » (I, c. 8).
d’en situer la composition après celle de la vita longue, car il est manifeste qu’elle paie
également un important tribut à cette dernière13 ; d’ailleurs, la parenté stylistique qui
s’observe entre un court passage de la vita brève14 et la citation explicite du texte de
Louénan dans la vita longue15 vient également conforter cette hypothèse. Il est clair en
effet que la rédaction brève ne peut pas être identifiée avec l’ouvrage bien plus
volumineux de Louénan, qui, non content de donner la liste des biens aumônés au profit
des moines, ainsi que les noms des donateurs, faisait également mention des témoins des
donations16 ; cette description ne convient pas à un ouvrage de nature strictement
hagiographique comme le souligne B. Merdrignac, qui suppose qu’il s’agissait plutôt d’un
cartulaire17. A. de la Borderie avait contourné la difficulté en assimilant la vita brève à la
seule préface d’un tel « mémorial »18 et F. Duine est « porté à penser qu’on est en présence
d’une simple notice qui devait précéder un cartulaire, ou quelque terrier »19 ; mais c’est
13 En témoigne le rappel du miracle accompli par saint Tugdual en compagnie de saint Aubin : ce dernier
était déjà présent dans la vita moyenne de saint Tugdual mais seulement pour servir à ce dernier de porte-
parole et d’interprète auprès du roi Childebert. La vita longue allonge le récit en faisant passer saint
Tugdual par Angers : c’est l’occasion pour les deux saints en route pour Paris de ressusciter un mort,
miracle justement rappelé par la vita brève. Voir également, lors de la messe célébrée devant Childebert, la
présence miraculeuse d’un ange qui participe au fractionnement de l’hostie, épisode absent de la rédaction
moyenne, mais qui figure dans la rédaction longue ainsi que la vita de saint Cunwal : A. Oheix, « Vie
inédite de saint Cunwal », p. 164 (c. 10) ; sans doute faut-il reconnaître cette fois l’influence de la vita IIa
de saint Samson (I, c. 14).
14 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 84 (c. 1) : Mater ejus, Pompaia erat nomine, soror Riguali comitis,
qui primus venit de Brittonibus citra mare, et Tutgualus venit post eum.
15 Ibidem, p. 94 (Pr.) : Quod Loenanus ejus discipulus evidentissime denegat : « Mater ejus [Tutguali] »,
inquiens, « Pompaia nomine, soror Riuualli comitis, Britonum primi citra mare venientis, quem sanctus
cum suis discipulis secutus est Tutgualus ».
16 Ibid., p. 98 (c. 6) : Innumera praedia in elemosinam ...(...) quorum largentium ac testium nomina.
17 B. Merdrignac, Recherches sur l'hagiographie armoricaine du VIIe au XVe siècle, t. 1, s.l., 1985 (Dossiers du
Centre régional archéologique d’Alet, H), p. 36-37.
18 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 286.
19 F. Duine, « Mémento des sources hagiographiques de l'histoire de Bretagne », dans Mémoires de la Société
archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. 46 (1918), p. 304.
perdre de vue que l’hagiographe poursuivait en l’occurrence un objectif bien plus
spécifique : disputer à quelque compétiteur la possession de trois « domaines » situés dans
les actuelles communes de Sainte-Sève et de Saint-Martin-des-Champs, dans l’ancien
pagus Daudour, et qui dépendaient à l’époque du siège épiscopal de Léon20. Aussi bien les
trois domaines en question sont-ils les seuls qui sont explicitement nommés parmi tous
ceux que saint Tugdual aurait fondés en Domnonée. Il est très vraisemblable que
l’hagiographe cherchait en l’occurrence à contester les droits des moines de Marmoutier :
l’abbaye tourangelle avait en effet bénéficié en 1128 d’une donation de biens fonciers et de
redevances par le vicomte de Léon, Hervé, pour établir un prieuré et un bourg près du
château vicomtal de Morlaix21. Parmi les redevances en question figurait (dit le vicomte)
« tout ce que j’avais comme dîme à Sainte-Sève »22 ; cette donation est à l’origine de la
paroisse de Saint-Martin de Morlaix dont la partie rurale, outre le territoire de Saint-
Martin-des-Champs, englobait à l’origine celui de Sainte-Sève23. Ainsi la date de 1128
constitue donc le probable terminus a quo de la rédaction de la vita brève. Quant à son
terminus ad quem, il ne doit pas en être très éloigné : en effet, un manuscrit du XIIe siècle
de la vita moyenne24, offrait déjà, à la place du nom attendu du pagus Neustriae pour situer
20 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 84 (c. 2) : Deinde venit ad Doudour, et in eo invenit tria predia,
quorum nomina haec sunt : Trepompac, Santhequo [var. Santsegue] et Tregurdel. — Si *Trepompae,
aujourd’hui Trépompé en Sainte-Sève, peut contenir le nom (Pompaia) que l’auteur de la vita longue
donne à la mère de saint Tugdual, *Santsegno, aujourd’hui Sainte-Sève (en breton Santseo), n’a pas été
formé avec celui de sainte Sève (Seuua), que l’auteur de la vita longue présente comme la sœur du saint ;
de même Tregurdel, aujourd’hui Tréoudal en Saint-Martin-des-Champs, n’a rien à voir avec le nom de
Tugdual.
21 Le texte de cette donation a fait l’objet d’une édition critique par H. Guillotel, « Les vicomtes de Léon aux
XIe et XIIe siècles », dans Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 51 (1971), p. 47-
48.
22 Ibidem, p. 48 : Quicquid decimae tenebam in Sentsegnot. Les formes du nom de Sainte-Sève dans la vita
brève sont absolument réductibles à celle qui figure dans la charte de 1128.
23 Sainte-Sève n’était encore, à la fin de l’Ancien Régime, qu’une simple trève de Saint-Martin
24 Ms. Chartres, Bibliothèque municipale, n° 500 5/A, f. 3 v°- 6 r°. Ce ms. paraît avoir été détruit en 1944 ;
mais son contenu avait été précédemment analysé et à cette occasion le texte de la vita moyenne de saint
la ville de Lisieux25, celui du pagus Civitatis, dont la seule autre mention se trouve
précisément dans la rédaction brève26. La création du nom du pagus Civitatis, véritable
hapax qui n’a pas connu de postérité littéraire27, s’inscrivait évidemment dans le
prolongement de la fable développée par l’auteur de la vita longue sur l’existence
antérieure d’un siège épiscopal localisé au Yaudet, en Ploulec’h, où d’importants vestiges
de l’époque gallo-romaine étaient interprétés comme les ruines d’une ancienne cité qui,
selon l’hagiographe, aurait porté le nom de Lexovium28.
II
Son premier éditeur, A. Oheix, a proposé de placer l’époque de la composition de la vita
de saint Cunwal vers la fin du XIe siècle29 ; H. Guillotel pour sa part préfère la première
moitié ou le milieu de ce siècle30. A. Certenais, qui a consacré son mémoire de maîtrise
sous la direction de B. Merdrignac à l’étude de cet ouvrage, est parvenue, en s’appuyant
sur des arguments fournis par Gw. Le Duc, à la conclusion que le texte pourrait avoir été
composé vers la fin du VIIIe ou le début du IXe siècle ; tandis que B. Merdrignac, qui se
montre sensible aux arguments proposés par H. Guillotel, fait également la part belle à la
Tugdual avait fait l’objet d’une collation avec celui de l’édition La Borderie, travail qui a paru dans les
Analecta Bollandiana, t. 8 (1889), p. 158-163 : voir H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection
du siège de Tréguier », p. 214-215, n. 7.
25 Le pagus Neustriae figurait notamment dans la version de la vita moyenne d’un ancien bréviaire de Saint-
Brieuc, copiée dans le ms. Paris, fr. 22321, p. 777-778 : Lexoviensem urbem in pago Neustriae sitam revisit
ac postea ad prefatam ecclesiam venire festinavit in qua Domino fideliter ministravit ; ce nom, employé
par de nombreux auteurs des XIe-XIIe siècles pour désigner la Normandie, était naturellement venu sous la
plume du premier hagiographe de saint Tugdual, car il ne faisait aucun doute pour lui que l’urbs ou la
civitas Lexoviensis n’était autre que le siège épiscopal de Lisieux.
26 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 85 (c. 2).
27 E. Vallerie, « Menulfus de retour… », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 127 (1998),
p. 247-248.
28 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 99 (c. 6).
29 A. Oheix, « Vie inédite de saint Cunwal », p. 170.
30 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 225.
datation avancée naguère par l’abbé F. Duine, à savoir la fin du Xe siècle31, et propose en
conséquence une fourchette chronologique « d’un demi siècle aux alentours de l’An Mil.
Ainsi le document serait contemporain, à quelques décennies près de l’érection du siège de
Tréguier en diocèse territorial »32. Cette hypothèse est d’autant plus séduisante que
Cunwal est présenté comme le successeur de saint Tugdual sur le siège épiscopal.
Le débat cependant ne paraît pas clos, d’autant plus que la linéarité du récit, soulignée
par B. Merdrignac33, dissimule, au delà de ses articulations apparentes (formation et vie
monastiques, prêtrise, épiscopat, mort terrestre), une construction beaucoup plus
complexe, qui pourrait avoir gardé la trace d’une mise en forme tardive du texte : en effet,
sept chapitres de la vita traitent apparemment de miracles posthumes34 ; or, tous figurent
avant le chapitre sur la mort du saint par quoi se termine l’ouvrage, et, pour cinq d’entre
eux, après le chapitre consacré à son élection épiscopale. L’auteur de la vita, dans son
souhait de donner une véritable biographie de Cunwal, n’aurait-il pas « dépecé » l’habituel
éloge du saint placé en tête d’un recueil de miracula pour former la matière de trois temps
forts de son propre ouvrage : d’abord le prologue qui brosse le portrait de son héros ;
ensuite la partie qui traite de l’élévation de Cunwal à l’épiscopat ; enfin la relation
circonstanciée de la mort du prélat35. Soulignons avec A. Oheix que cet éloge tel que nous
proposons de le reconstituer a largement subi l’influence des vitae anciennes de saint
Samson36, qui s’est également exercée sur les pièces du dossier hagiographique tugdualien.
A l’occasion de la refonte supposée de l’ouvrage, aurait été introduit le récit de plusieurs
miracles opérés par le saint in vita sua : en effet, à une exception près37, ces prodiges se
rapportent tous à son enfance ou à sa carrière monastique38 ; intercalés entre le prologue et
31 F. Duine, « Mémento des sources hagiographiques de l'histoire de Bretagne », p. 325.
32 A. Certenais, B. Merdrignac, H. ar Bihan, La vie de saint Cunual…, p. 18.
33 Ibidem, p. 10-11.
34 A. Oheix, « Vie inédite de saint Cunwal », p. 163-164 (c. 8-9), p. 165-167 (c. 12-16).
35 Ibidem, p. 157-158 (prologue), p. 164-165 (c. 10), p. 167-168 (c. 17).
36 Ibid., p. 171-172.
37 Ibid., p. 165 (c. 11).
38 Ibid., p. 158-160 (c. 1-3), p. 161-163 (c. 5-7).
le chapitre sur l’élection épiscopale, ils viennent encadrer l’épisode de l’ordination
sacerdotale de Cunwal39 et renforcent l’impression que nous avons affaire à une
interpolation.
L’hagiographe insiste sur le fait que le saint avait été ordonné prêtre à l’instigation du
comte Judaël, identifié par H. Guillotel avec Juhel Bérenger, comte de Rennes, « qui
intervient dans les affaires bretonnes aux années 958/60-979 »40 : la fille de Judaël,
nommée Penvenan, souhaitant consacrer son existence à Dieu, fut confiée par son père à
la garde de Cunwal, qui reçut à cette occasion, le « presbytérat » de la paroisse de
Penvénan et la propriété d’un très bon domaine. Comme le souligne B. Merdrignac, la vita
a certainement été composée pour rendre compte du démembrement de la paroisse
« primitive » de Plougrescant, démembrement qui a donné naissance à Penvénan41 ; mais
le but de l’ouvrage était peut-être de justifier que l’église du lieu demeurât propriété
monastique à l’époque où travaillait l’hagiographe. Un tel objectif se comprendrait fort
bien dans le contexte un peu houleux de la restauration de l’autorité épiscopale sur les
églises paroissiales détenues par les abbayes dans les différents diocèses bretons42 : en effet,
si d’après une confirmation donnée par le pape Alexandre III, l’église de Penvénan faisait
partie des biens trégorois de l’abbaye Saint-Jacut dès 116343, il semble bien que la
régularité de cette possession fut par la suite contestée. En 1188, une nouvelle bulle papale
fait explicitement mention d’un accord passé au sujet de l’église de Penvénan entre l’abbé
de Saint-Jacut et l’évêque de Tréguier44 : le prélat l’aurait alors donnée aux moines45 ; mais
39 Ibid., p. 160-161 (c. 4).
40 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 225.
41 A. Certenais, B. Merdrignac, H. ar Bihan, La vie de saint Cunual…, p. 24.
42 G. Devailly, Histoire religieuse de la Bretagne, Chambray, 1980, p. 61-62 ; A. Chédeville et N.-Y.
Tonnerre, La Bretagne féodale (XIe-XIIIe siècle), s.l. [Rennes], 1987, p. 251-253.
43 J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, [6 vol.], Saint-Brieuc, 1855-
1879, t. 4, p. 277-278.
44 Ibidem, p. 280-281.
45 Ibid., p. 257, n. 3.
finalement, l’église de Penvénan et les dîmes de Plougrescant devaient être réunies à la
mense épiscopale, peut-être en 1222, au plus tard en 122846.
H. Guillotel a souligné « le côté bon enfant » de la vita de saint Cunwal47 ; mais ce
jugement ne peut guère s’appliquer qu’aux seuls miracles opérés par le saint de son vivant :
sont plus particulièrement concernés, outre la guérison des louveteaux aveugles48 (cliché
emprunté à une vita éthiopienne de saint Macaire49), le savoureux portrait de Cunwal
d’abord occupé à bêcher le jardin de l’abbaye puis faisant fonctionner miraculeusement la
meule pour broyer le grain50, ainsi que l’anecdote qui nous montre le saint ramenant à la
vie une poule battue à mort par le panetier du monastère51. A l’inverse, les miracles de
châtiment dominent largement au sein des prodiges posthumes : B. Merdrignac rapproche
cet aspect caractéristique des clauses comminatoires que l’on trouve souvent dans les
chartes au tournant des Xe-XIe siècles52. Enfin, quatre miracles posthumes sont obtenus par
le biais d’un rituel que P.J. Geary a appelé « la coercition des saints »53 et qui consiste
à vitupérer le thaumaturge, à se plaindre de lui, pour qu’enfin il exerce son pouvoir
miraculeux54, comme il se voit encore à l’occasion d’un miracle posthume de saint
Tugdual, rapporté dans la vita longue de ce dernier55 ; or ce rituel, s’il a perduré jusqu’à
46 R. Couffon, « Un catalogue des évêques de Tréguier rédigé au XVe siècle », dans Mémoires de la société
d’émulation des Côtes du Nord, t. 61 (1929), p. 48, n. 25.
47 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 226.
48 A. Oheix, « Vie inédite de saint Cunwal », p. 159 (c.2).
49 A. Certenais, B. Merdrignac, H. ar Bihan, La vie de saint Cunual…, p. 20, n. 29.
50 A. Oheix, « Vie inédite de saint Cunwal », p. 161 (c.5).
51 Ibidem, p. 161-162 (c. 6).
52 A. Certenais, B. Merdrignac, H. ar Bihan, La vie de saint Cunual…, p. 21.
53 P. J. Geary, « La coercition des saints dans la pratique religieuse médiévale », dans P. Boglioni [éd.], La
Culture populaire au moyen âge, Montréal, 1979, p. 146-161 ; du même auteur, « L´humiliation des
saints », dans Annales ESC, t. 34 (1979), p. 27-42 ; version révisée dans Living With the Dead in the
Middle Ages, Londres, 1994, p. 95-115.
54 A. Oheix, « Vie inédite de saint Cunwal », p. 165-166 (c. 12-14), p. 167 (c. 16).
55 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 115 (c. 32).
l’époque moderne, comme l’atteste le biographe de dom Michel Le Nobletz56, a surtout été
en faveur aux Xe-XIe siècles.
Notre hypothèse pourrait être confortée par une étude approfondie du style : les
hispérismes rencontrés dans le texte57 appartiennent, croyons nous, à l’auteur du recueil
de miracula ; soulignons également le rôle que cet écrivain fait jouer dans l’élection
épiscopale de Cunwal à un « roi » anonyme58, qui se retrouve également dans la vita de
saint Efflam59 : il s’agit d’un personnage bien distinct du comte Judaël et qui fait l’objet
deux autres mentions indirectes60. Le second hagiographe n’a pas usé d’un vocabulaire
aussi apprêté que celui de son prédécesseur ; il a même jugé plus prudent de préciser le
sens de certains mots employés dans le recueil de miracula : au risque de la redondance,
voire du pléonasme, soma est ainsi glosé par corpus et surtout, comme l’a relevé L.
Lemoine, anfitrix par mare61. En revanche, l’auteur de la vita a eu recours à des mots
techniques et bien appropriés, autant pour décrire la vie du monastère et ses menus
incidents que pour évoquer la donation de la paroisse de Penvénan.
Dans le seul manuscrit qui contient la vita de saint Cunwal62 figurent également
plusieurs pièces relatives à saint Lunaire63, notamment sa vita, dont la parenté avec celles
de saint Tugdual est patente64, comme l’avait déjà souligné F. Duine65, même s’il reste à
56 Ch. Prigent, Pouvoir ducal, religion et production artistique en Basse-Bretagne 1350-1575, Paris, 1992, p.
482.
57 F. Duine, « Mémento des sources hagiographiques de l'histoire de Bretagne », p. 325, n. 4.
58 A. Oheix, « Vie inédite de saint Cunwal », p. 164 (c.10).
59 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 296 (c. 23).
60 A. Oheix, « Vie inédite de saint Cunwal », p. 165 (c. 13) et p. 166 (c. 14).
61 L. Lemoine, « Maniérisme et Hispérisme en Bretagne. Notes sur quelques colophons », dans Annales de
Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 102 (1995), n° 4, p. 8.
62 Ms Paris, bibliothèque Saint-Geneviève, 1289 ; la vita de saint Cunwal occupe les f. 56 r°-71 v°. Comme l’a
fait remarquer A. Certenais, il y a une lacune entre les f. 56 et 57.
63 A. Carrée et B. Merdrignac, La Vie latine de saint Lunaire. Textes,traduction, commentaires, Landévennec,
1991 (= Britannia Monastica, vol. 2), p. 12.
64 Ibidem, p. 37-39.
65 F. Duine, « Mémento des sources hagiographiques de l'histoire de Bretagne », p. 338-339, n. 1.
déterminer le sens dans lequel ces influences se sont exercées66 ; or, saint Lunaire avait son
principal lieu de culte non loin de l’abbaye Saint-Jacut, dont les possessions s’étendaient
jusqu’à Lancieux, et les moines du lieu fêtaient son dies natalis et même une translatio de
ses reliques67. Le même manuscrit contient également une messe pour saint Truetal : ce
dernier nom paraît d’origine bretonne, comme le confirme Gw. Le Duc68 ; mais son
identification n’est pas assurée.
Le recueil de miracula de saint Cunwal a sans doute été composé autour de l’An Mil à
l’abbaye de Tréguier, peu après l’érection du siège épiscopal. Le scriptorium de Tréguier
doit ainsi faire l’objet d’un intérêt particulier : l’auteur de la vita longue de saint Tugdual,
comme on l’a vu, allègue parmi ses sources une compilation d’actes en faveur du
monastère, ouvrage attribué à Louenan ; la rédaction moyenne confirme la conservation
de chartes anciennes à Tréguier vers le milieu du XIe siècle69. La compilation effectuée par
Louénan était agrémentée d’une biographie de saint Tugdual ; peut-être s’agissait-il de
celle dont parle l’auteur de la vita moyenne70 : en effet, plutôt qu’un ouvrage en gaélique
que l’hagiographe, surtout s’il s’agit de l’angevin Martin, aurait été bien en peine de lire71,
tout comme la majorité des lettrés trégorois de l’époque d’ailleurs, il pourrait s’agir d’un
texte encombré, là encore, de nombreux hispérismes.
66 L’existence d’une version carolingienne de la vita de saint Lunaire et la chronologie adoptée pour les
différentes pièces du dossier littéraire de saint Tugdual paraissent indiquer que ce sont les hagiographes de
ce dernier qui avaient à leur disposition la vita de saint Lunaire, plutôt que l’inverse.
67 A. Carrée et B. Merdrignac, La Vie latine de saint Lunaire..., p. 22-23.
68 Gw. Le Duc, « La conception et la naissance de Conan Mériadec », dans Saint-Jean-du-Doigt des origines à
Tanguy Prigent. Actes du colloque (23-25 septembre 1999) réunis par Jean-Christophe Cassard, Brest,
2001 (Études sur la Bretagne et les pays celtiques, Kreiz 14), p. 107, n. 9.
69 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 92 (c. 14) : Tali conditione quod.. prefatus archidiaconus haberet
tres parrochias de episcopatu, quarum nomina reperiuntur in veteri quarta.
70 Ibidem, p. 86 (c.1) : In vita ipsius barbarica Scotigenarum lingua descripta legendo reperitur.
71 J.-C. Poulin, « Recherche et identification des sources de la littérature hagiographique du haut moyen âge.
L’exemple breton », dans la Revue d’histoire de l’Église de France, t. 71 (1985), p. 123-124.
III
A l’occasion de notre édition du corpus hagiographique mélarien, nous nous sommes
efforcé de montrer que l’ouvrage le plus ancien sur saint Mélar était un texte de
circonstance, composé dans le dernier tiers du XIe siècle, au moment où fut édifié le
martyrium de Lanmeur qui devait favoriser le culte du saint au travers de la vénération de
ses reliques. En outre, l’hagiographe souhaitait conforter les prétentions territoriales de la
nouvelle dynastie ducale, issue des comtes de Cornouaille, sur le nord de la péninsule et
en particulier sur le Trégor, alors dominé par le comte Éon [de Penthièvre] et ses barons.
Dans cette perspective, l’hagiographe s’est attaché à montrer que Commor, qui, sur place,
exerçait le pouvoir en qualité de « comte » et donc en vertu d’une délégation « royale »,
avait choisi pour lui succéder le neveu de sa femme, Mélar, qui était précisément l’héritier
de la dynastie « royale » de Cornouaille. Il faut peut-être voir dans cette relation
privilégiée l’affirmation de l’alliance passée dans la seconde moitié du XIe siècle entre les
comtes de Cornouaille et les vicomtes de Léon, dont les possessions territoriales
s’étendaient à l’époque assez largement à l’est de Morlaix72. En conséquence, nous avons
proposé d’identifier l’hagiographe avec un certain Omnes, qui avait appartenu à la cour
d’Alain Caignart, avant de monter sur le siège épiscopal de Léon : son intérêt pour le
nouveau sanctuaire mélarien élevé à Lanmeur pourrait s’expliquer par la compétition
territoriale qui existait à l’époque entre les évêques de Léon et ceux de Tréguier à propos
du pagus castelli73. Nous ne retiendrons donc pas la vita ancienne de saint Mélar au
nombre des productions du scriptorium de Tréguier.
Une seconde rédaction, du début du XIIIe siècle, n’est plus connue que par un résumé
assez sec qui permet cependant de reconnaître dans l’ouvrage primitif un « tombeau »
poétique en l’honneur du petit prince martyr et une allégorie de la situation politique en
Bretagne après l’élimination physique du jeune duc Arthur par son oncle Jean sans Terre74.
Là encore, l’hagiographe ne paraît pas avoir eu de rapports avec le scriptorium de
72 A.-Y. Bourgès, Le dossier hagiographique de saint Melar, p. 99-121.
73 Ibidem, p. 222-224.
74 Ibid., p. 121-131.
Tréguier75.
IV
Demeurent les deux vitae de saint Maudez et la vita de saint Efflam qui appartiennent
incontestablement à la tradition trégoroise. P. Riché, en soulignant les accointances
irlandaises, bretonnes et parisiennes, réelles ou supposées, de saint Maudez a donné une
synthèse du dossier hagiographique du personnage76 ; H. Guillotel, comme nous l’avons
dit, a évoqué brièvement le plus ancien de ces textes77. Pour notre part, nous nous sommes
efforcé de faire sortir la vita Ia de saint Maudez et la vita de saint Efflam de l’ombre78 où les
tenaient des éditions anciennes et plus encore les commentaires souvent tendancieux de
leur éditeur79 ; nous avons également replacé la composition de la vita IIa de saint Maudez
dans le contexte politico-religieux de la fin du règne du duc Jean le Roux80. En revanche,
R. Largillière81 et, bien après lui, L. Kervoas ont renoncé, du moins provisoirement en ce
qui concerne ce dernier, à donner la nouvelle édition commentée de la vita de saint Efflam
75 Ibid., p. 225-231.
76 P. Riché, « Saint Maudez, irlandais, breton et parisien », dans Mélanges François Kerlouégan, Besançon-
Paris, 1994, p. 539-544.
77 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 223-225.
78 A.-Y. Bourgès, « De la vita de saint Cunwal à celles des saints Tugdual, Maudez et Efflam », dans Trégor
vivant. Mémoires offerts à la mémoire de Nicole Chouteau, s.l., 1997, p. 141-151.
79 A. de la Borderie décrit « la physionomie originale des monastères scoto-bretons du Ve au VIIe siècle »
d’après la vita de saint Efflam, dont l’hagiographe avait trouvé ces précisions « dans les vieux écrits, les
vieilles traditions… » (Histoire de Bretagne, t. 1, p. 362) ; il en va de même en ce qui concerne la vita de
saint Maudez, dont A. de la Borderie trouve la confirmation archéologique sur l’Île-Modez : la
construction qui porte le nom de Forn Maudez, « four de saint Maudez », serait la cellule de l’abbé du
monastère (Ibidem, p. 363-365). En fait, l’époque et l’usage de cette construction demeurent encore
largement discutées.
80 A.-Y. Bourgès, « Yves de Kermartin hagiographe et la seconde vita de saint Maudez », dans Armorik.
Lettres, arts, traditions, n°1 (mai 2003), p. 75-89.
81 R. Largillière, Six saints de la région de Plestin. Saint Haran, saint Carré, saint Tuder, saint Nerin, saint
Kémo, saint Kirio. Essai d’hagiographie bretonne, Rennes, 1922, p. 8, n. 1 ; Les saints et l'organisation
chrétienne primitive dans l'Armorique bretonne, 2e édition, Crozon, 1995, p. 6 et 74 (n. 23).
que réclament les historiens de la Bretagne et que ne peut remplacer l’opuscule paru sous
la signature de D. Lucas82.
Le questionnement auquel ont été soumises la vita Ia de saint Maudez et la vita de saint
Efflam est destiné à procurer des informations sur les sources auxquelles l’hagiographe a
puisées, sur les circonstances de la composition de ces ouvrages et sur l’objectif qui leur est
assigné. En fonction de la précision et de la sûreté des réponses apportées, il devrait être
possible de déterminer l’époque approximative de rédaction de chacune des deux vitae et
d’esquisser le portrait de l’auteur.
La critique interne du texte doit permettre de reconnaître, au delà d’interpolations
éventuelles83, les sources utilisées par l’hagiographe : sources de nature documentaire,
sources de nature littéraire, sources orales et sources écrites. De plus, au sein des sources
littéraires, il faut distinguer d’un côté les Écritures (qu’elles appartiennent ou non au
Canon de l’Église), leurs différents commentaires, les textes liturgiques et hagiographiques,
de l’autre les ouvrages profanes, ceux des écrivains de l’Antiquité païenne et ceux des
auteurs chrétiens. Ce travail de reconnaissance des sources livresques, grandement facilité
de nos jours en ce qui concerne les sources littéraires par les programmes informatiques de
concordance textuelle, n’en demeure pas moins fort aléatoire84 ; car, au delà de la citation
sinon explicite du moins littérale, ou encore de l’emprunt, comment être sûr que la
réminiscence et l’allusion ne résultent pas d’une simple rencontre fortuite de vocabulaire
et de style ? En quelques occasions, il faut constater qu’une certaine dose de subjectivité a
82 D. Lucas, Saint Efflam, sant Plistin, s.l. s.d. [Plestin-les-Grèves, 1997].
83 En ce qui concerne la vita de saint Efflam, voir plus bas la n. 140.
84 Il faut rendre hommage ici au travail de précurseur de l’abbé F. Duine, qui demeure à l’état de notes
dispersées dans ses ouvrages publiés aussi bien que dans ses manuscrits inédits. F. Kerlouégan a donné un
important corpus de citations d’auteurs latins profanes et chrétiens dans les vitae bretonnes de l’époque
carolingienne dans la revue Études Celtiques, t. 18 (1981), p. 181-195 et t. 19 (1982), p. 215-257, travail
critiqué et prolongé au travers de la publication (en cours) des différents dossiers des Sources
hagiographiques narratives composées en Gaule avant l’an mil : voir J.-C. Poulin, « Recherche et
identification des sources… », p. 119, n. 3. Enfin, B. Merdrignac a consacré une partie importante du
premier tome de ses Recherches sur l’hagiographie armoricaine…, à la culture biblique et à la culture
profane des hagiographes, respectivement p. 117-146 et 147-198.
pu être introduite ici ou là par les chercheurs eux mêmes ; en outre, il s’agit de travaux qui
ne seront jamais terminés, « car nul ne peut avoir tout lu et tout reconnu »85. D’ailleurs,
« la reconnaissance des emprunts verbatim ne constitue qu’une petite partie du travail de
recherche sur les sources d’inspiration ou les modèles littéraires de l’hagiographie, la plus
aisée peut-être »86 : les hagiographes en effet ont emprunté à leurs sources « non seulement
des tournures de phrase commodes ou des historiettes merveilleuses, mais aussi des idées,
des noms propres et des situations historiques »87. Enfin, malgré la commodité que l’on
peut trouver à ranger sous cette dénomination les éléments du récit dont la provenance
n’est pas connue, les sources orales, même explicites, sont d’un abord plus
complexe encore : on verra que la vita de saint Efflam, dans laquelle le personnage
d’Arthur joue le rôle de faire-valoir du saint, pose le difficile problème de leur
identification, de leurs rapports avec les sources écrites.
Au delà des aspects de biographie spirituelle, dont nous ne traiterons pas ici, la vita d’un
saint est en général composée pour donner du relief à un sanctuaire, en insistant sur les
miracles intervenus sur place et qui, le plus souvent, sont mis en relation avec la présence
de reliques corporelles ou d’objets ayant appartenu au saint ; à cette occasion,
l’hagiographe peut être amené à raconter l’inventio, la translatio ou la reversio des reliques
corporelles, en même temps que les anecdotes qui se rapportent aux autres vestiges de
l’existence terrestre du saint. Bien souvent ce travail de nomenclature suscite chez
l’hagiographe des remarques, parfois peu amènes, sur les autres sanctuaires qui
revendiquent la possession des reliques du même saint, ou du moins qui prétendent
bénéficier également de ses miracles ; indications précieuses, car elles permettent
d’élaborer une carte du culte ancien du saint concerné.
La rédaction d’une vita s’inscrit fréquemment dans un contexte politico-économique
précis : le saint, aux dires de l’hagiographe, reconnaît la prééminence du roi et légitime
son action ; en contrepartie, le souverain concède au sanctuaire concerné l’immunité, ainsi
85 J.-C. Poulin, « Recherche et identification des sources … », p. 120.
86 Ibidem, p. 121-122.
87 Ibid., p. 122.
que tel ou tel avantage de nature économique. Aux XIe-XIIe siècle, à l’époque des
principautés féodales, le duc ou bien le comte bénéficient à leur tour d’une telle
légitimation hagiographique quand ils accordent des bienfaits au saint ; mal leur en prend
d’ailleurs s’ils n’agissent pas de la sorte : ainsi Commor, à qui la plupart des auteurs de
l’époque, ont fait une réputation de « sale type », sans doute usurpée mais, à quelques
exceptions près comme c’est le cas dans la vita ancienne de saint Mélar, devenue un
véritable lieu commun de l’hagiographie bretonne, dont témoigne notamment l’évolution
négative du personnage entre la vita moyenne et la vita longue de saint Tugdual. Cette
dimension politico-économique peut également caractériser les rapports qui unissent le
saint et les autres membres du clergé, en particulier l’ordinaire du diocèse dans lequel est
situé son sanctuaire : c’est qu’à l’époque où écrit l’hagiographe la tentation est grande pour
l’évêque qui, évidemment, contrôle ce qui se passe sur place, d’aller au delà de son devoir
de surveillance et de procéder à une sorte d’annexion d’un culte florissant au profit du
rayonnement de l’église dont il a la charge. Pour éviter une main-mise de ce genre, on voit
par exemple que les moines de Saint-Jacut ont systématiquement porté à l’évêque de Dol
l’obédience des prieurés qui dépendaient de leur abbaye : ainsi Lanmeur, haut lieu du
culte de saint Mélar, est-il demeuré à l’écart de la compétition que se livraient les évêques
de Léon et de Tréguier pour le contrôle de la partie occidentale du Trégor ; au demeurant
cette situation particulière a valu au sanctuaire de Lanmeur de connaître à partir de la fin
du XIIe siècle, la concurrence assez vive de celui de Locmélar, dont les évêques de Léon
aussi bien que la dynastie vicomtale, privée de ses possessions trégoroises sous le règne de
Geoffroy Plantagenêt, ont encouragé le développement88.
88 L’origine de Locmélar, qui dépendait à l’époque de la paroisse léonaise de Sizun, est peut-être à chercher
dans la captation des traditions attachées à un sanctuaire proche, mais situé en Cornouaille, au delà de
l’Elorn : en effet, Sizun paraît avoir connu une extension territoriale en annexant, vers 1162-1163, aux
dépens de la vaste paroisse cornouaillaise de *Ploemenez, qui a fait depuis l’objet d’un démembrement
complet ; or le territoire annexé correspondait à celui de *Tremelar, où saint Mélar recevait déjà un culte à
l’époque de la rédaction de sa vita (A.-Y. Bourgès, « L’expansion territoriale des vicomtes de Léon à
l’époque féodale », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 126 (1997), p. 372-373).
1
Le biographe de saint Maudez a largement eu recours à la vita moyenne de saint
Tugdual dont il a démarqué plusieurs expressions caractéristiques89. Comme l’a suggéré H.
Guillotel, l’hagiographe a peut-être emprunté au récit de l’accession de saint Cunwal à
l’épiscopat le terme « technique » de cathedra90 qui, dans le cas de saint Maudez, doit
plutôt désigner la chaire du maître.
Cette chaire était l’enjeu d’une véritable compétition entre le saint et un démon appelé
tuthe, nom employé par les Bretons (nous dit l’hagiographe) pour désigner ce genre de
créature diabolique ; Maudez avait fini par triompher de son adversaire et l’enseignement
qu’il prodiguait à ses disciples, Bothmaël et Tudi, cessa d’être perturbé par son étrange
concurrent. Tout le récit est construit pour aboutir à la justification de la présence d’une
relique non corporelle, à savoir la pierre que le saint avait lancée sur le démon91. En tout
état de cause, l’arrière-plan de l’anecdote s’ouvre sur de larges perspectives folkloriques ;
cependant, malgré les avancées dont témoignent les travaux de J. Le Goff ou J.-C. Schmitt,
sans oublier, pour la Bretagne, ceux de B. Merdrignac, il n’est pas toujours évident de
pouvoir extraire de ce riche matériau les éléments tangibles dont se nourrit l’analyse
historique92. Le mot tuthe était encore utilisé à l’époque où travaillait le second
hagiographe, pour qui il s’agissait d’une appellation populaire93 ; en revanche la mention
de la cathedra ne figure pas dans le texte de cette vita et tout l’épisode s’en trouve
largement modifié : on nous présente le tuthe occupé « à démolir, durant la nuit, les
édifices monastiques qu’on élevait pendant le jour » 94. Quant à l’oblitération du rôle
89 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 202 (c. 1 et 2) et p. 204 (c. 7 et 8).
90 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 225-226.
91 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 207 (c. 12).
92 J.-C. Poulin, « Recherche et identification des sources … », p. 125-126.
93 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 216 (c. 16) : sed generis humani hostis antiquus quemdam
reprobum angelum misit, qui vulgo cuche appelatur…(…). La forme cuche est une cacographie qui,
compte tenu de l’habituelle confusion entre les lettres t et c dans les manuscrits de l’époque, représente
bien le mot tuthe.
94 Ibidem, p. 256.
pédagogique joué par Maudez, elle est postérieure à l’extension du culte du saint, qui s’est
effectuée sous l’influence de sa première vita : ainsi, en 1540, visitant son sanctuaire de
Cornouaille insulaire, à Saint-Just-in-Roseland, J. Leland remarqua une peinture qui
représentait Maudez sous les traits d’un maître d’école ; à proximité de la chapelle, se
trouvaient son puits et sa chaire (une roche désignée sous ce nom)95.
Faut-il, comme le proposait A. de la Borderie, reconnaître un avatar de tuthe dans le
mot transcrit phonétiquement teuss par J. Cambry en 1794 et qui, selon ce dernier,
désignait à l’époque des êtres surnaturels assez débonnaires et cependant fort craints dans
les environs de Morlaix96 ? La croyance dans la présence de teuz est attestée à Morlaix, au
début du XVIe siècle, par Eguiner Baron97, cité par D. Miorcec de Kerdanet ; mais le
célèbre jurisconsulte breton, dont les controverses avec son compatriote François Le
Douaren sont restées célèbres, déclare n’avoir jamais vu de teuz pendant le séjour de
quatre années qu’il effectua dans cette ville, pas plus que de « lutins » à Paris98. Quant à
une possible filiation proposée par A. de la Borderie avec les démons que les Gaulois, aux
dires de saint Augustin, appelaient dusii99, cette hypothèse était déjà chez Miorcec de
95 Nicholas Roscarrock’s Lives of the Saints : Cornwall an Devon, edited by N. Orme, Exeter, 1992 (Devon
and Cornwall Record Society, New Series, vol. 35), p. 152.
96 J. Cambry, Voyage dans le Finistère, édité avec notes historiques, archéologiques, physiques, par le
chevalier de Fréminville, 1836 ; réédition avec une préface d’A. Boulaire, Paris, 2000, p. 41 : « Dans les
cantons environnant Morlaix, on craint des génies nommés Teuss. Le Teusarpouliet se présente sous la
forme d’un chien, d’une vache, ou d’un d’autre animal domestique. Tout l’ouvrage de la maison est exécuté
par eux comme par nos follets ». (Le Pouliet est un toponyme de Morlaix).
97 Originaire du diocèse de Léon, né vers 1495, Eguiner Baron, après avoir passé ses années de jeunesse et de
formation à Morlaix, puis à Paris, enseigna le droit à Angers, à Poitiers et enfin à Bourges, où il mourut en
1550.
98 A. Le Grand, Vies des saints de la Bretagne armorique, 4e édition par D.-L. Miorcec de Kerdanet, Brest-
Paris, 1837, p. 545, n. 1 : in celebri oppido cui Mons Relaxus nomen, teuz appellant daemones, quod verbi
liquens, vel evanescens significat ; nimirum quod daemonium repente evanescat. Sed mihi, licet
quadriennum in eo oppido vitam egerim, his oculis prospectare numquam contigit quod meticulosis
apparere duntaxat et nihil esse daemonii tum opinarer. Idem de lutinis Parisiorum censui, quod ipse neque
vidi, neque audivi unquam.
99 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 236.
Kerdanet. Elle a été repoussée par la suite, avec des arguments philologiques, par J. Loth,
pour qui la forme du mot teuz n’est pas réductible à « duse »100 ; mais le débat s’est
récemment enrichi de la contribution du spécialiste C. Le Couteux, dont l’analyse vient
rejoindre l’hypothèse ancienne101.
Le biographe de saint Maudez a eu recours à d’autres sources hagiographiques que les
vitae de saint Cunwal et de saint Tugdual. Les deux anecdotes qui alimentent le récit du
double miracle dont saint Bothmaël fut le bénéficiaire102 ne faisaient sans doute pas partie
à l’origine de l’histoire de saint Maudez : elles figurent notamment dans la vita de saint
Malo103 ; mais il est possible qu’elles aient appartenu à quelque tradition locale propre à
saint Bothmaël, car ce dernier, dont la notoriété était ancienne en Bretagne et le
rayonnement important104, faisait l’objet à l’Île-Modez d’un culte distinct comme en
témoigne la mention de son oratoire par l’hagiographe105. Le prodige rapporté par la
première historiette était déjà chez Grégoire de Tours au sujet de saint Brice, sous la forme
100 J. Loth, « Les Dusii gaulois ; le cornique dus, diz », dans Revue celtique, t. 36 (1915), p. 62-63. A. Le Braz
écrit tussed (au pluriel) et F. Le Lay teusk.
101 C. Lecouteux, Les nains et les elfes au Moyen Âge, Paris, 1988, p. 170.
102 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 208-209 (c. 15-17).
103 BHL 5116 BHL 5116 BHL 5116 BHL 5116 (éd. Plaine, BSAIV, t. 16, 1883 ) : une île s’élève au dessus du niveau de la mer pour préserver le
saint de la noyade (= île), p. 175. ———— BHL 5117BHL 5117BHL 5117BHL 5117 [éd. Jean-Philippe Gury, Vie de saint Malo, évêque et
confesseur (édition, traduction commentaires de la version du ms lat 12404 de la BN), mémoire de maîtrise
sous la direction de Mme J. Amat, UBO, Brest, 1994, dactylographié] : c. 3 (= île), p. 64-65 ; c. 6 [DE
CANDELA MYRE ILLUSTRATA, titre en maj. rouges et brunes dans le ms], p. 68. — BHL 5118BHL 5118BHL 5118BHL 5118 (éd. F.
Lot) : c. 3 [" une île surgit de la mer pour le sauver "], p. 297-298 ; c. 6 [" miracle des charbons ardents et de
la chandelle allumée "], p. 301-302. — BHL 5119BHL 5119BHL 5119BHL 5119 (éd. Migne, Patrologia latina, t. 160) : c. 3 (= île), col.
732 ; c. 4 (= charbons ardents), col. 733. — BHL 5120BHL 5120BHL 5120BHL 5120 (édition Mabillon, ASSOSB, t. 1) : c. 3 (= île), p.
217 ; c. 5 (= charbons ardents), p. 218. Ces différentes références nous ont été communiquées par B.
Merdrignac, que nous remercions bien vivement de son aide.
104 B. Tanguy, « De Budoc à Budogan ou de l’île Lavret à l’île des Ébihens et des origines de l’abbaye de Saint-
Jacut », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 124 (1995), p. 281-286.
105 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 206 (c. 12). A proximité de cet oratoire s’élevait une « pierre »
particulièrement remarquable, car elle est également signalée par l’hagiographe.
d’une ordalie106. Ce miracle a d’ailleurs connu un grand succès dans l’hagiographie
celtique : la vita de saint Guénolé en attribue le mérite à saint Tugdual, tandis que, pour
les biographes de saint Cybi, de saint Findchua et de saint Mel, le bénéficiaire en est à
chaque fois un disciple ou un familier du saint107 ; saint Ciaran de Saigir lui aussi
transporte des tisons dans sa chasuble108, anecdote qui se retrouve dans les plagiats de sa
vita que constituent celle de saint Piran et la composition d’Albert Le Grand sur saint
Sezni109.
Pour le reste, c’est la tradition orale qui a nourri l’inspiration de l’hagiographe : outre ce
qui se rapporte au tuthe, il est en effet question de deux autres miracles de châtiment. Le
premier, localisé à la fontaine Saint-Maudez110, s’inscrit dans le contexte de la révolte des
barons à laquelle avait dû faire face le duc Hoël en 1076-1077111 ; le récit est introduit par
l’adverbe nuper, « récemment », ce qui semble indiquer que l’auteur écrivait à une époque
éloignée de quelques lustres seulement de cet événement112. Comme le second miracle113 a
également pour cadre la fontaine Saint-Maudez114, il faut peut-être en conclure que
106 Grégoire de Tours, Histoire des Francs, II, 1 ; trad. Latouche, t. 1, p. 75.
107 F. Duine, « Mémento des sources hagiographiques de l'histoire de Bretagne », p. 298.
108 C. Plummer [éd.], Vitae Sanctorum Hiberniae, t. 1, Oxford, 1910, p. 231.
109 A. Le Grand, Vies des saints de la Bretagne armorique, 4e édition, p. 530.
110 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 204-205 (c. 8-9).
111 Ibidem, p. 240.
112 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 224, en déduit
curieusement que « le texte a été mis en forme assez longtemps après le décès d’Hoël en 1084 » et rapporte
conséquemment la composition de la vita aux années 1140. De manière plus convaincante, cet auteur
souligne que « l’utilisation du terme barones, dont l’emploi ne se généralise en Bretagne que dans le
premier quart du XIIe siècle, pour caractériser les révoltés suggère lui aussi une période de rédaction
tardive » ; mais un acte du duc Conan II mentionne déjà ses barons : dom G.A. Lobineau, Histoire de
Bretagne, t. 2 [Preuves], Paris, 1707, col. 117.
113 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 207-208 (c. 13-14).
114 Cette fontaine présentait, suivant la description qu’en a donnée l’hagiographe, un échauffement
caractéristique de son eau, au point même de se transformer en véritable geyser ; elle était située à
proximité l’« immunité » (munitio) de Trevechnou [*Trevethnou], probablement le village actuel de
l’hagiographe a eu recours au même informateur, familier des lieux et contemporain des
faits.
On peut être également tenté de mettre en avant les sources orales à propos de la vita
de saint Efflam : l’intrigue romanesque, dénoncée en leur temps par les sévères
Mauristes115, et qui brosse un portrait sensible de l’épouse du saint, Enora, fait ainsi
intervenir le thème de la navigation sans rames et sans voile, particulièrement prégnant
dans la tradition des pays celtiques116. Quant à la façon dont est présenté l’échouage de
l’embarcation, retenue par le mur cyclopéen qui ferme l’anse de la Vierge, au pied du
promontoire du Yaudet117, cette anecdote renvoie peut-être à la capture fortuite, au delà
de l’habituel fretin, de gros poissons, voire de cétacés : soulignons qu’il n’est pas question,
à proprement parler, de pêcherie118.
Mais ce qui caractérise la vita de saint Efflam, c’est l’étalage assez complaisant du
commerce que l’hagiographe entretenait avec les auteurs de l’Antiquité, en particulier
avec les poètes. Si le rôle joué par ces (bons) auteurs dans la formation de l’écrivain est
connu depuis longtemps, on s’est le plus souvent contenté d’en chercher la marque dans le
style de ce dernier119. Or, compte tenu que l’hagiographe déclare lui même que le souvenir
du saint s’était perdu à Plestin120, jusqu’à ce qu’il soit ravivé par l’inventio de ses reliques121,
cette influence pourrait s’être exercée beaucoup plus en profondeur, avec des
Trévenou (autrefois Treveznou), dans la commune de Langoat (C.-d’A.) : peut-être son souvenir est-il
conservé par le toponyme Claire-Fontaine, dans la même commune, à 200 m environ de Trévenou.
115 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 297-298.
116 G. Milin, « La traversée prodigieuse dans le folklore et l’hagiographie celtique : essai de typologie », dans
Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 118 (1989), p. 125-140.
117 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 289-290 (c. 12).
118 J.-P. Pinot, « Histoire d’un estuaire : la rivière de Lannion », dans Charpiana. Mélanges offerts par ses amis
à Jacques Charpy, s.l. [Rennes], 1991, p. 299-300.
119 B. Merdrignac, Recherches sur l’hagiographie armoricaine…, t. 1, p. 156.
120 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 294 (c. 20).
121 Ibidem, p. 295 (c. 22).
conséquences très importantes, notamment en ce qui concerne la formation du mythe
arthurien.
L’hagiographe présente Arthur comme incapable de venir à bout d’un dragon, habitué
dans les parages du grand rocher nommé en breton Hyrglas, qui a connu depuis une assez
grande célébrité littéraire122 et non loin duquel le monstre avait son antre123 ; c’est au saint,
qui a fait jaillir une fontaine pour désaltérer le malheureux combattant124, qu’il reviendra
finalement de triompher de cette créature en le précipitant dans la mer, à l’endroit où l’on
voyait encore à l’époque de l’hagiographe la roche être rougie du sang du monstre125. Sans
doute, la grotte où le dragon avait son repaire et dont l’hagiographe va jusqu’à donner les
dimensions, la fontaine et le rocher rouge appartiennent-ils à la tradition populaire, dont
ils constituent les empreintes dans le paysage local ; mais la partie du récit qui fait
intervenir Arthur et qui est avant tout destinée à mettre en valeur saint Efflam, présente
les caractéristiques d’un « placage » littéraire.
A l’exception de celles de saint Iltut et de saint Goëznou, les vitae de saints bretons,
continentales ou insulaires, qui mettent en scène Arthur126 ont présenté ce dernier sous
des dehors qui ne sont pas aussi brillants que les fourrures de l’Historia regum Britanniae :
c’est plus particulièrement le cas des vitae de saint Patern127, de saint Carantoc128 et de
saint Cadoc129 ; la vita de saint Gildas130, composée par Caradoc de Llancarfan, amorce une
inflexion de la tendance, peut-être pour avoir subi l’influence de l’œuvre de Geoffroy de
122 E. Rébillé, « Le Grand Rocher de Plestin dans la littérature », dans Trégor, mémoire vivante, n°2 (2e
semestre 1992), p. 55-69.
123 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 285-286 (c. 6-7).
124 Ibidem, p. 286-287 (c. 8).
125 Ibid., p. 287-288 (c. 9).
126 J.B. Coe et S. Young, The Celtic Sources for the Arthurian Legend, Felinfach, 1995, p. 16-43, donnent un
accès commode à ces différents ouvrages (texte latin sur la page de gauche, avec traduction anglaise en
regard).
127 Ibidem, p. 16 et 18.
128 Ibid., p. 18 et 20.
129 Ibid., p. 26, 28, 30, 32, 34 et 36.
130 Ibid., p. 22, 24 et 26.
Monmouth. Dans la vita sancti Paterni, pour avoir voulu voler une magnifique tunique
que le saint avait ramenée de son pèlerinage à Jérusalem, Arthur subit un châtiment
grotesque inspiré de la punition infligée à Dathan et Abiron ; il lui faut faire amende
honorable et se placer dans la protection du saint pour sortir de cette humiliante situation.
On le voit, à propos de l’autel portatif de Carantoc dont il envisage de faire sa table de
repas, finasser avec le saint, dont il obtient malgré tout d’être débarrassé d’un dragon qui
ravage la contrée, épisode qui n’est pas sans rappeler celui de la vita de saint Efflam.
Cependant, c’est la vita sancti Cadoci qui consacre cette figure d’anti-héros, fruste et
brutal, toujours prêt à laisser parler ses instincts, plein de convoitise et de rapacité : on y
voit Arthur, brutalement poussé par le désir, prêt à s’emparer par la force de la jeune
épouse de saint Gwynllyw, Gladys, la future mère de Cadoc ; à quoi il convient d’opposer
la figure de saint Efflam qui — à l’instar de saint Alexis dont la légende a connu un vif
succès, relayé par une version romane du XIe siècle de sa vita131 — préfère abandonner sa
femme le jour même de ses noces132.
Ces différentes vitae sont plus anciennes que l’œuvre de Geoffroy de Monmouth : on
sait que la vita de saint Cadoc a fait l’objet d’une réfection par Caradoc de Llancarfan [BHL
1493 d] ; mais l’œuvre originelle [BHL 1491-1492], dont B. Tanguy a daté la composition
des années 1089-1104133, est sortie de la plume de Lifris. Ce dernier est probablement
l’auteur, vers la même époque, de la vita de saint Carantoc [BHL 1562-1563], dont le
doublon connu en Bretagne continentale sous le nom de vita de saint Caradoc [BHL 1560]
a peut-être lui aussi conservé la trace d’une intervention ultérieure de Caradoc de
Llancarfan. Enfin, on peut supposer qu’il a existé une vita de saint Patern continentale ;
mais l’essentiel de cet ouvrage a passé dans la biographie d’un saint gallois homonyme
131 M. van Uytfanghe, « Modèles bibliques dans l’hagiographie », dans P. Riché et G. Lobrichon [dir.], Le
Moyen Âge et la Bible, Paris, 1984 (Bible de tous les temps, 4), p. 483.
132 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 284-285 (c. 4 et 5).
133 B. Tanguy, « De la Vie de saint Cadoc à celle de saint Gurtiern », dans Études celtiques, t. 26 (1990), p.
160-161.
[BHL 6480]134 : ainsi s’agit-il d’un nouveau témoignage, très intéressant mais toujours
controversé135, sur les échanges littéraires entre la Bretagne continentale et la Bretagne
insulaire, au travers notamment des contacts entretenus par l’abbaye de Llancarfan avec
celle de Quimperlé, comme l’a montré B. Tanguy136, et probablement avec celle de
Rhuys137. La vita de saint Patern, dont le succédané gallois a conservé le caractère de
manifeste en faveur de l’autonomie de l’église de Vannes à l’encontre des ambitions
métropolitaines de Dol, avait sans doute été composée à l’époque où l’évêque de Vannes
s’était rallié à la cause tourangelle : ralliement acquis dès 1096 , comme en témoigne cette
année-là la présence de l’évêque du lieu, Morvan, au concile provincial de Tours, en
compagnie de l’évêque de Rennes, Marbode138.
La vita de saint Efflam, comme en témoigne le portrait qu’elle propose d’Arthur, doit
être incontestablement rangée dans la catégorie des ouvrages antérieurs à la publication de
l’Historia regum Britanniae. En outre, le combat d’Arthur contre le dragon apparaît
comme un épisode superfétatoire, largement tributaire du récit similaire relatif à Cadmus
dans les Métamorphoses d’Ovide, ainsi que de l’affrontement entre Hercule et Cacus dans
les Fastes du même poète139.
134 Tous ces ouvrages ont également en commun d’insister sur le rôle de l’Irlande comme étape obligatoire
dans la démarche spirituelle des saints concernés.
135 La controverse porte sur le sens de l’échange : en résumant grossièrement les positions, on peut dire que
pour A. de La Borderie et G. Paris le texte BHL 6480 a été composé au XIe siècle au pays de Galles, à partir
de traditions anciennes apportées dans la première moitié du siècle précédent par les Bretons
continentaux ; tandis que pour F. Lot, F. Duine et R.S. Loomis, cette vita a été composée par un
Armoricain qui a utilisé la matière d’un texte gallois antérieur.
136 B. Tanguy, « De la Vie de saint Cadoc à celle de saint Gurtiern », p. 179-180.
137 La tradition du séjour armoricain de Taliesin, localisé à l’abbaye Saint-Gildas de Rhuys dans la vita de
saint Judicaël, était également connue de Geoffroy de Monmouth qui en fait mention dans sa vita Merlini,
est évidemment d’origine insulaire : son acclimatation à Rhuys est un témoignage des relations entre cette
abbaye et quelque monastère du pays de Galles, probablement le grand centre de Llancarfan.
138 J.-D. Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, Venise, 1775 (fac-simile, Paris, 1902), t.
20 (1070-1109), col. 931.
139 Ovide, Métamorphoses, III, v. 1-94 ; Fastes, I, v. 543-586.
Le même type d’emprunt se voit également avec l’anecdote relative à la forêt dans
laquelle l’hagiographe situe la retraite de saint Gestin, l’éponyme de la paroisse de Plestin
et le prédécesseur de saint Efflam dans cette contrée140 : Efflam se serait en effet installé,
au lieu-dit Donguel, dans la « cellule »141 que Gestin avait autrefois désertée pour
entreprendre un pèlerinage à Rome142. La forêt où, à son retour, s’était retiré le saint était
devenue, aux dires de l’hagiographe, un lieu magique, où s’accomplissaient des prodiges
qui décourageaient quiconque de venir ramasser le bois tombé à terre, ou de se livrer à
une coupe réglée ; mais l’influence de la description par Lucain du bois sacré des
Massaliotes143 est trop manifeste pour ne pas voir là encore un effet littéraire.
Pour conclure sur les sources dont a disposé le biographe de saint Efflam, il faut dire un
mot des litterae trouvées en même temps que les reliques du saint, en creusant le sol de sa
« cellule »144 : peut-être s’agissait-il de l’authentique de ces reliques ; mais ce type de
document offre en général des informations trop concises pour nourrir la biographie d’un
saint. En tout état de cause, l’hagiographe n’a pas allégué cette source pour son propre
travail.
140 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 294 (c. 19). L’indication sic itaque a nomine Jestini Plestina
vocatur pagus est une interpolation manifeste qui rompt la dynamique du texte : après Hec autem
provincia nomen suum a tuo contrahet, sancte Gestine, et ita communis erit vobis honor, et memoriam
utriusque geret hic locus, qui constitue la fin du discours que l’ange adresse à Gestin et à Efflam, il faut
directement enchaîner avec le c. 20 qui débute par Jestinus a quandam silvam eidem loco vicinam
conversationem habuit sanctissimam…(…).
141 Ibidem, p. 288 (c. 10) : cellulam non multum a littore remotam, quae lingua Britannorum Donguel
nuncupatur et ab antiquis aedificata, ut operis materies et qualitas etiam nunc declarat. Cette « cellule »
n’est pas localisée avec certitude ; située (au bord d’une rivière) non loin du rivage, il s’agissait sans doute,
au vue de la description qu’en donne l’hagiographe, d’un édifice gallo-romain. Bien que situé de l’autre
côté de la presqu’île et donc fort éloigné de l’actuelle chapelle Saint-Efflam, nous proposons dans cet
édifice le petit établissement thermal du Hogolo qui a servi d’habitation presque jusqu’à nos jours.
142 Ibid., p. 293 (c. 18).
143 Lucain, La Pharsale, III, v. 399-425.
2
Le biographe de saint Maudez nous apprend que des malades souffrant d’infirmités
diverses, et plus particulièrement d’infestations de vers, venaient sur l’île où avait été
enseveli le saint et, prélevant dans les fondations de son sépulcre de la terre qu’ils
mélangeaient avec de l’eau, buvaient cette mixture qui les guérissait et qui faisait mourir
les vers145. Des pratiques similaires se retrouvaient dans d’autres sanctuaires, notamment à
Poitiers, où les mères de famille avaient l’habitude de gratter le tombeau d’un saint réputé
guérir des vers et d’administrer la poussière ainsi recueillie à leurs enfants ; une barrière
en bois ayant été érigée par le clergé pour empêcher cette pratique, ce fut la poussière
grattée sur les barreaux qui servit désormais à la préparation du remède146.
Les reliques de saint Maudez étaient conservées, nous dit le texte de la vita, dans une
sorte de « monstrance » (custodia), en même temps que la pierre lancée par Maudez contre
un démon venu, comme on l’a vu, perturber la petite communauté monastique insulaire :
ces précisions confortent l’idée que le tombeau du saint était vide et constituent un
intéressant témoignage sur la façon dont les populations bretonnes, longtemps frustrées de
la présence de reliques corporelles, avaient reporté leur dévotion sur des reliques
représentatives et adapté leurs pratiques en conséquence ; d’ailleurs l’hagiographe glisse
rapidement sur la nature des autres reliques.
Saint Maudez avait donc fait précocement l’objet d’une spécialisation thérapeutique,
dont on peut suivre l’évolution au bas Moyen Âge au travers de qu’en a écrit son second
144 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 295 (c. 22) : sanctum corpus invenerunt, et litteris secum invenit,
crebris quoque miraculis dignoscitur.
145 Idem, « Saint Maudez… », p. 204 (c. 7).
146 F. Cowan, Curious Facts in the History of Insects, Including Spiders and Scorpions, Philadelphie, 1865, p.
363 (renseignement procuré par la BDD de l’Université de Californie) : il doit s’agir du tombeau de saint
Thaumaste, à propos duquel Grégoire de Tours rapporte l’existence de pratiques analogues. La mise en
place d’une barrière pour limiter les exactions des pèlerins se retrouve également en Bretagne, à Saint-
Malo, autour de la sépulture de saint Jean de Châtillon ; du coup, le saint fut honoré sous le nom de saint
Jean de la Grille (celle qui entourait son tombeau).
hagiographe147 et de deux témoignages qui figurent dans l’enquête préalable à la
canonisation de Charles de Blois148. Au début du XVIIe siècle perdurait l’usage de diluer
dans l’eau un peu de terre prélevée auprès du sanctuaire de l’Île-Modez ; mais, aux dires
d’Albert Le Grand en 1636, cette opération avait désormais pour objet de constituer un
« antidote et remède très souverain contre les morsures ou piqûres des serpents et toutes
sortes de bêtes venimeuses »149. Dom Lobineau, qui a travaillé plusieurs décennies après
Albert Le Grand, s’en tient quant à lui à l’action vermifuge de cette mixture, laquelle était
donnée en traitement aux enfants150. Cependant l’Île-Modez n’avait déjà plus à cette
époque le monopole d’une telle pratique : à Trans-sur-Erdre, en 1686, dans la chapelle qui
lui est consacrée, le mauvais état du cul-de-lampe de la statue du saint, honoré sur place
sous le nom de Mandé151, ayant attiré l’attention de l’archidiacre de Nantes, ce dernier
apprit alors du clergé local que « les femmes qui venaient faire voyage en ladite chapelle
pour obtenir la guérison du mal de ventre de leurs enfants (…) emportaient avec elles la
raclure de ladite pierre pour leur faire prendre avec leur bouillie »152.
On assiste par la suite à un élargissement du domaine d’intervention de saint Maudez
« à la plupart des plaies, à l’enflure du genou et aux rhumatismes moyennant un rite
complexe, l’un des rares qui soient réellement propres à la Bretagne : l’application sur le
mal d’un ver et d’un cataplasme de terre prélevée sous l’autel ou la statue du saint, ou
147 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 216 (c. 16).
148 A. de Sérent, Monuments du procès de canonisation du Bienheureux Charles de Blois, Saint-Brieuc, 1921,
p. 365-366 et 420.
149 A. Le Grand, Vies des saints de la Bretagne armorique, 4e édit., p. 724. Sur Maudez, saint protecteur à
l’encontre des serpents, voir D. Giraudon, « Le serpent en Trégor, croyances et superstitions », dans
Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-d’Armor, t. 119 (1990), p. 65-71.
150 Dom G. A. Lobineau, Les Vies des saints de Bretagne, Rennes, 1725, p. 84.
151 A l’instar de ce qui s’est passé à Paris, la réduction romane de la diphtongue accompagnée d'une
nasalisation (remarque communiquée par J.-Y. Le Moing) s’est également opérée à Trans-sur-Erdre.
152 G. Provost, La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1998,
p. 80.
encore aux abords de sa fontaine »153 ; pratique qui était attestée au XIXe siècle dans de
nombreux lieux où saint Maudez recevait un culte, en Goëllo, en Trégor, en Léon et en
Cornouaille154. En revanche, le recours à un certain « saint Psalmodé » pour obtenir la
guérison des enfants infestés de vers intestinaux155 prolonge incontestablement une
activité vermifuge très anciennement reconnue à saint Maudez.
Saint Efflam, quant à lui, n’a fait que tardivement l’objet d’un recours particulier ;
encore ne s’agit-il pas d’une spécialité thérapeutique à proprement parler. Le saint était
invoqué par les maris jaloux pour connaître leur éventuelle infortune, au travers d’un
rituel particulier qui consistait à jeter dans la fontaine Saint-Efflam, à Plestin, trois
morceaux de pain, représentant respectivement la femme, le mari et le saint : si le dernier
morceau s’éloignait des deux autres, les soupçons du mari étaient confirmés. Attestée par
A. Le Braz à la fin du XIXe siècle156, cette pratique pourrait bien être le succédané tardif de
celle qui, au témoignage de l’abbé Déric, en 1777, permettait à la victime d’un vol
d’identifier son voleur : les morceaux de pain représentant cette fois les personnes sur
lesquelles se portaient les soupçons, le morceau qui restait au fond de la fontaine désignait
le coupable157 ; le même rituel se retrouvait au pays de Galles, à Llanbedrog in Lleyn158.
153 Ibidem, p. 64. Cependant, nous ne sommes pas d’accord avec G. Provost quand il écrit : « du coup, le
même saint s’est trouvé invoqué contre les serpents et les vers intestinaux » ; comme nous venons de le
montrer, c’est le contraire qui s’est passé.
154 Ibid., p. 76, n. 1 ; G. Provost souligne que « l’absence d’attestation vannetaise paraît curieuse… ».
155 J. D. Rolleston, « The Folklore of Children’s Diseases », dans Folk-Lore, t. 54 (1943), p. 307
(renseignement procuré par la BDD de l’Université de Californie) ; l’auteur attribue les mêmes vertus
thérapeutiques à un certain saint Hildevert : dans les deux cas, le nom du saint résulte d’un jeu de mots,
Psalmodé et “psalmodier” d’une part, Hildevert et « vers » d’autre part.
156 A. Le Braz, « Les saints bretons d’après la tradition populaire », dans Annales de Bretagne, t. 13 (1897), n°1
, p. 84.
157 Jobbé-Duval, « Les idées primitives dans la Bretagne contemporaine », dans Nouvelle revue historique de
droit européen et français, 37e année (1913), p. 442-443.
158 J. Rhys, Celtic Folk-Lore, Welsh and Manx, Oxford, 1901, vol. 2, p. 364.
Encore vivace en 1832159, cette étrange ordalie avait disparu à Plestin en 1859160,
progressivement remplacée par celle que rapporte Le Braz ; la substitution pourrait
découler au moins partiellement de l’influence de pratiques augurales sur la pureté des
jeunes filles comme il se voyait ailleurs en Trégor, notamment à la fontaine des Cinq-
Plaies, en Servel161. Pour sa part, le biographe d’Efflam fait allusion aux nombreux maux
dont protégeait le saint162 ; c’est peut-être cette universalité qui valu à ce dernier d’être
choisi pour être le patron de l’hôpital de Morlaix163.
Aussi bien la vita de saint Maudez que celle de saint Efflam sont muettes sur l’extension
de leur culte respectif. Malgré le développement des recherches hagiographiques en
Bretagne, celui de saint Efflam demeure assez largement méconnu en dehors de Plestin164.
En additionnant les renseignements sur les chapelles qui lui étaient consacrées aux
données fournies par la toponymie, on peut conjecturer, à partir de l’épicentre plestinais,
une première zone d’influence, trégoroise, qui couvre essentiellement le secteur de
Lannion (toponymes Toul-Efflam à Perros-Guirec et Pleumeur-Bodou), s’étend à l’est
jusqu’à Pleumeur-Gautier, où l’on trouve Loguel Toul-Efflam, et descend jusqu’à Pédernec
au sud : sous le règne de Conan IV, les moines de Bégard s’étaient vu confirmer la
possession dans cette paroisse d’une « grange » qui portait le nom du saint165. Le culte s’est
également étendu en Cornouaille et en Vannetais : Saint-Gildas et Carnoët, d’une part,
159 F.M.G. Habasque, Notions historiques, géographiques, statistiques et économiques sur le littoral du
département des Côtes-du-Nord, t. 1, Saint-Brieuc, 1832, p. 7, n. 1
160 B. Jollivet, Les Côtes-du-Nord. Histoire et géographie de toutes les villes et communes du département, t.
4, Guingamp, 1859, p. 124.
161 Ibidem, p. 63. L. Harbonville, « A propos de la fontaine des Cinq-Plaies de Servel », dans Trégor, mémoire
vivante, n° 6 (1er semestre 1994), p. 29-32, a démontré que le culte des Cinq-Plaies avait été introduit à
Servel par Maurice Le Gall de Kerdu, qui fut recteur de la paroisse de 1664 à 1694.
162 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 296 (c. 23) : Multa morborum genera, interveniente B[eato]
Euflamo, laudabiliter curantur.
163 A. Le Grand, Vies des saints de la Bretagne armorique, 4e édit., p. 707.
164 D. Lucas, Saint Efflam, sant Plistin, p. 148-150.
165 J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, t. 6, Saint-Brieuc, 1870, p. 133.
Langoëlan et Kervignac d’autre part, où l’on trouvait des chapelles placées sous
l’invocation du saint. Cette rapide énumération, que nous devons à l’amabilité de B.
Tanguy166, comprend également — outre les toponymes curieusement parallèles Lannec-
St-Efflamm, en Plounévez-Quintin, et le Pré-de-St-Efflan, en Merlévénez, qui
appartiennent là encore respectivement à la Cornouaille et au Vannetais — le nom du
village de Moustoir-Flamme à Quéven, dont la forme présente autant d’intérêt que de
difficulté, eu égard aux différentes interprétations proposées pour le terme moustoir167 ;
mais au total cela ne représente qu’assez peu de chose, surtout quand on le compare au
rayonnement de saint Maudez.
En effet, le culte de ce dernier, étudié autrefois par l’abbé Y.M. Lucas168, a connu une
extension considérable, soulignée depuis par B. Tanguy169, et que confirme le répertoire
exhaustif que lui a consacré M. Carbonnell170. De très nombreuses églises et chapelles (une
cinquantaine au moins) constituaient le réseau de ce culte à travers toute la Bretagne : en
plus de ses sanctuaires trégorois (celui de l’Île-Modez et l’établissement continental de
Lanmodez, mais aussi, à partir du bas Moyen Âge, l’église paroissiale de Hengoat), le saint
était notamment honoré à Henvic, dans le diocèse de Léon ; en Cornouaille, outre Duault,
il était le second patron de l’église du Juch et, dans le diocèse de Vannes, il avait remplacé
à Lanvaudan en qualité de patron de l’église l’éponyme de la paroisse, saint Maudan. Saint
Maudez était également le patron, dans le diocèse de Saint-Malo, de l’église de l’ancien
prieuré-cure qui portait son nom, près de Corseul ; mais c’est à la Croix-Helléan qu’il
166 Communication personnelle du 17 octobre 2002, dont nous le remercions bien vivement.
167 E. Vallerie, « Touellou an deveradurezh : ar stummou ‘mouster’ ha ‘moustoir’ en anviou-lec’h », dans
Bretagne et pays celtiques. Langues, histoire, civilisation. Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot
(1923-1987), Saint-Brieuc-Rennes, 1992, p. 249-260.
168 Y.-M. Lucas, « Le culte de saint Maudet et de saint Rion », dans Revue historique de l’Ouest, année 1892,
p. 559-566, 702-723 et année 1893, p. 211-225.
169 B. Tanguy, « Hagionomastique et histoire : Pabu Tugdual alias Tudi et les origines du diocèse de
Cornouaille », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 115 (1986), p. 129-131.
170 M. Carbonnell, Répertoire topographique et historique des lieux de culte et de mémoire de saint Mandé
alias saint Maudez en Bretagne [dactylographié], s.l., 1997 [révision en 1999]. Ce document a été mis à
notre disposition par B. Merdrignac que nous remercions bien vivement.
faisait l’objet d’un culte assidu, marqué à l’époque moderne par l’existence d’un
pèlerinage171. Même le diocèse de Nantes, pourtant éloigné pour ne pas dire préservé de
l’influence des saints bretons, avait, comme on l’a vu, sa chapelle Saint-Mandé à Trans-
sur-Erdre. Enfin l’abbaye de Beauport, au diocèse de Saint-Brieuc, conservait au bas
Moyen Âge la relique insigne du crâne de saint Maudez, laquelle a passé depuis dans le
trésor de l’église paroissiale de Plouézec.
On peut s’étonner dans ces conditions que l’hagiographe ne connaisse pour sa part que
Gueldenes (aujourd’hui l’Île-Modez, commune de Lanmodez)172, où le saint et ses
disciples, après la construction de leurs cellules, avaient édifié un oratoire173 ; il donne
aussi le nom de Lanmodez174, mais sans aucun détail sur un éventuel établissement
érémitique ou monastique, que donne pourtant à supposer la forme du toponyme175.
Comme nous l’avons déjà indiqué, tout laisse à penser que le culte de saint Maudez a
essentiellement diffusé à partir du sanctuaire de l’Île-Modez, après la rédaction de la
première vita, qui a d’ailleurs constitué le principal vecteur de cette diffusion. D’autres
paramètres ont pu influencer la popularité de saint Maudez : on observe ainsi à plusieurs
reprises une association avec saint Rien, parfois abusivement identifié à saint Adrien.
Comme celle qu’on perçoit entre Corentin et Conogan, ou bien encore entre Brieuc et
Tugdual, cette association est sans doute très ancienne, car elle s’observe à proximité
même de Lanmodez, dans la toponymie de Pleumeur-Gautier ; elle se retrouve également
à Plouézec, à Saint-Adrien, à Persquen.
Le biographe de saint Maudez ne nous a pas donné pas le détail des biens aumônés à ce
dernier, ni les circonstances de leur donation. Cependant, nous apprenons, à la lecture de
171 G. Provost, La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne…, p. 65, 413-414.
172 A. de la Borderie, « Saint Maudez », p. 205-206 (c. 10).
173 Ibidem, p. 203-204 (c. 6). La dédicace de cet oratoire avait été faite par les évêques de Bretagne, conviés à
cet effet par saint Maudez (per litteras deprecatorio modo transmissas ecclesiarum hujus Britanniae
praesules convocavit, atque supra memoratum oratorium dedicare fecit).
174 Ibid., p. 208 (c. 15) .
175 B. Tanguy, Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses des Côtes d’Armor, s.l. [Douarnenez],
1992, p. 116.
la vita, qu’ils étaient essentiellement constitués de munitiones et de cimiteria176, termes qui
ressortissent autant au vocabulaire juridique qu’au vocabulaire religieux et qui désignent
des biens bénéficiant d’une immunité au titre de leur appartenance ecclésiastique : c’était
notamment le cas de la munitio de Trévenou, décrit par A. de la Borderie comme étant un
minihi, lieu d’asile placé sous la protection d’un saint177 ; mais nous n’avons pas d’autre
témoignage de cette acception et nous pensons qu’il s’agissait en fait d’une simple
exploitation agricole.
La vita de saint Efflam contient deux allusions à des donations faites par des laïcs : en
compensation de son attitude à l’égard d’Enora, dont il voulait abuser, le « tyran de la cité
» du Yaudet, libéré par le saint du châtiment qui l’avait miraculeusement frappé, fait don à
Efflam « de toutes ses redevances dans cette province »178 ; beaucoup plus tard, lors de
l’inventio des reliques du saint, le « roi » qui était présent à la cérémonie lui concède des
« domaines étendus en long comme en large »179. Le « roi » dont il est ici question est
anonyme, comme celui qui figure dans les miracula de saint Cunwal ; A. de la Borderie a
suivi Albert Le Grand et proposé de reconnaître dans ce monarque le duc Geoffroy Ier, qui
régna de 992 à 1008, « dernier souverain de Bretagne salué du titre de roi, comme l’atteste
un acte du cartulaire de Redon daté de l’an 1027 »180 : l’hypothèse demeure recevable, car
elle s’accorde bien avec ce que l’on sait du « contexte de relance de la vie religieuse qui
constitue le point le plus positif de ce règne et qui se poursuit durant le demi-siècle
suivant » 181.
176 A. de la Borderie, « Saint Maudez », p. 208 (c. 14).
177 Ibidem, p. 241-242.
178 Idem, « Saint Efflam… », p. 292 (c. 15).
179 Ibidem, p. 296 (c. 23)
180 Ibid., p. 310. L’acte en question figure aux f. 178 v°-180 r°, éd. Courson n° 373 : il s’agit de la charte-notice
du 16 avril 1027 relative à la donation de l’île de Locoal dont le texte a été entièrement réécrit, selon H.
Guillotel.
181 B. Merdrignac, « Saint Ronan et sa Vie latine », dans Saint Ronan et la Troménie. Actes du colloque
international 28-30 avril 1989, s.l. [Locronan], 1995, p. 156.
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Quelles conclusions peuvent être proposées à l’issue de cette analyse discursive de la
vita Ia de saint Maudez et de la vita de saint Efflam ?
Ces deux ouvrage ont été composés sensiblement à la même époque, dans la seconde
moitié du XIe siècle, à l’époque où l’hagiographie trégoroise était marquée par une certaine
« mode » irlandaise qui sera dénoncée plus tard par l’auteur de la vita longue de saint
Tugdual182. La vita de saint Maudez contient d’ailleurs un élément de datation
incontestable au travers de sa référence à la révolte récente des barons, entraînés par Éon
de Penthièvre, contre le duc Hoël ; la vita de saint Efflam, quant à elle, reflète l’ambiance
culturelle de l’époque marquée, en Bretagne, en Cornouaille insulaire et au pays de Galles,
par la montée en puissance du mythe arthurien, auquel Geoffroy de Monmouth donnera
ses ultimes développements vers 1135-1139.
Sans chercher à relancer le débat sur les origines de ce mythe, il nous paraît intéressant
de rappeler que, parmi les traditions mises en œuvre par Geoffroy de Monmouth, quelques
unes paraissent avoir appartenu à la Bretagne continentale183 ; d’ailleurs, selon l’auteur des
Miracles de Notre-Dame de Laon, les Bretons au début du XIIe siècle révéraient Arthur,
qui constituait pour eux un sujet de débat avec les Francs184. La vita de saint Efflam
constitue une strate ancienne dans la « construction » du personnage, dont le prototype
pourrait bien être le « tyran » que l’hagiographe nous décrit frappé miraculeusement de
paralysie alors qu’il tentait de s’emparer de la femme de saint Efflam, Enora : dans la vita
de saint Patern, Arthur, décoré de ce même titre de « tyran », se retrouve lui aussi
immobilisé en punition de sa convoitise et la vita de saint Cadoc nous le décrit bien près
d’enlever la femme de saint Gwynllyw, Gladys. En outre, pour donner plus de consistance
au personnage, le biographe de saint Efflam, qui, tant sur la forme que sur le fond,
emprunte l’essentiel de son récit à Ovide, a décrit Arthur comme un chasseur
182 A. de la Borderie, « Saint Tudual… », p. 157-158 (prologue).
183 A.-Y. Bourgès, « Les origines de La Roche-Jagu et l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de
Monmouth », dans Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 127 (1998), p. 263-264.
184 J.B. Coe et S. Young, The Celtic Sources for the Arthurian Legend, p. 46.
(malheureux) de dragon185, caractéristique qui constitue le point de contact avec la vita de
saint Carantoc.
En comparaison, les ambitions littéraires du biographe de saint Maudez peuvent
paraître bien plus limitées ; mais c’est simplement que cet auteur se situait dans une toute
autre perspective. Son ouvrage traite sur le mode utilitaire plusieurs questions qui étaient
alors d’actualité : procurer aux pèlerins le guide des bonnes pratiques du sanctuaire de
l’Île-Modez ; affirmer la légitimité de la dynastie ducale issue du duc Hoël face aux
prétentions de la branche cadette de la maison de Rennes incarnées par Éon de
Penthièvre ; rappeler le caractère sacré des biens ecclésiastiques et leur intangibilité face
aux empiètements et aux exactions des laïcs. Le tout est empreint d’un certain
« juridisme », qui ne tient pas seulement aux formules que l’hagiographe a reprises de la
vita moyenne de saint Tugdual186 : le soin avec lequel est rapporté comment l’oratoire de
saint Maudez avait été régulièrement consacré187 s’inscrit dans le courant de la pré-
réforme grégorienne, initiée par le légat Hildebrand lors du synode tenu à Tours en
1054188. A peine si l’épisode du tuthe vient introduire un peu de fantaisie dans le récit ;
mais là encore l’anecdote n’est pas gratuite et vise essentiellement à « recadrer » quelque
tradition populaire, relative peut-être à la vénération d’une « pierre de foudre », aérolithe
ou bien pierre taillée de l’époque préhistorique. Enfin, considérant que son ouvrage était
un peu court, l’hagiographe l’a complété avec les traditions locales relatives à saint
Bothmaël et présenté ce dernier comme un des disciples de saint Maudez.
185 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 285, (c. 6) : Arturi quoque fortissimi, qui eo tempore monstra in
illis Britanniae partibus persequebatur.
186 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 225.
187 A. de la Borderie, « Saint Maudez… », p. 204, (c. 6) : qualiter domus illa in Dei omnipotentis nomine
aedificata, per authenticos hujus terrae praelatos dedicari et sanctificari posset consilium requisivit.
Denique, accepto consilio secum commorantium, ac per litteras deprecatorio modo transmissas
ecclesiarum hujus Britanniae praesules convocavit, atque supra memoratum oratorium dedicare fecit. La
mention de prélats considérés comme « authentiques » sous-entend-elle qu’il existait à l’époque un débat
sur l’authenticité de certains autres ? Faut-il y voir une allusion à la querelle métropolitaine ?
Eu égard aux importantes différences stylistiques entre les deux textes, il paraît peu
probable que la première vita de saint Maudez, malgré ses nombreux emprunts à la vita
moyenne de saint Tugdual, soit sortie de la plume du même auteur189, l’évêque Martin ;
compte tenu de la chronologie, c’est vers le successeur de ce dernier, Hugo de Sancto Pabu
Tual, qu’il convient dès lors d’orienter nos recherches. Dans le cartulaire de l’abbaye du
Mont-Saint-Michel, compilé aux premières années de l’abbatiat de Robert de Torigni
(1154-1186), la transcription de la charte donnée en 1086 en faveur du monastère
montois, par Hugo, Hugues ou plutôt Huon, le désigne Trigaricensis episcopus190 ; or, au
sein des chancelleries extérieures à la Bretagne, Trigaricensis, concurremment avec
Trigarensis, désignait à l’époque le siège épiscopal de Tricarico, en Italie191 : compte tenu
de la présence normande dans ces parages, Trigaricensis était peut-être plus familier au
moine du Mont qui a transcrit l’acte de 1086. Quant au siège de Tréguier, on trouve la
forme Trecorensis dans les actes passés en Bretagne ; mais les scribes angevins ont
privilégié Trigarensis192, forme qui figurait sans doute dans la charte de 1086 et qui avait
été vraisemblablement transplantée sur place par Martin. En outre, l’ancien chapelain du
comte d’Anjou paraît avoir transmis à Huon son goût des synchronismes dans les actes de
la pratique193.
La charte de 1086 contient une indication très importante sur les origines familiales de
Huon : en effet, on y découvre que le prélat donna à l’abbaye normande le mont Hyrglas
qui faisait partie de sa propriété et de son patrimoine, ainsi que la dîme qu’il possédait à
188 O. Guillot, Le comte d’Anjou et son entourage au XIe siècle, t. 1, Paris, 1972, p. 181 et n. 219, 220 et 221.
189 B. Merdrignac, Recherches sur l’hagiographie armoricaine…, t. 1, p.59.
190 Dom G.A. Lobineau, Histoire de Bretagne, t. 2 [Preuves], col. 118.
191 L’évêque de Tricarico, Robert, mentionné en 1083, fut l’un des suffragants de l’éphémère métropolitain
d’Acerenza.
192 H. Guillotel, « Le dossier hagiographique de l'érection du siège de Tréguier », p. 216-217.
193 Comparer les synchronismes de l’acte de donation de 1086 notamment avec ceux qui figurent dans la
charte du comte Geoffroy Martel délivrée en mars 1047 pour l’affranchissement de son collibert Robert et
rédigée par Martin : O. Guillot, « A propos de la qualité littéraire de certaines chartes angevines au XIe
siècle », dans La littérature angevine médiévale. Actes du colloque du samedi 22 mars 1980, Paris, 1981, p.
28-29 (texte de la charte p. 32-33).
Plestin194 ; notons au passage qu’il n’est pas explicitement question ici de « paroisse », mais
d’une « certaine terre », pas plus que dans la vita de saint Efflam, dont l’auteur privilégie le
terme « province » 195.
Nous voilà donc ramené à ce dernier ouvrage, dans laquelle le grand rocher de Plestin
constitue, comme on l’a vu, un repère topographique essentiel ; mais encore faut-il, pour
prétendre identifier le biographe de saint Efflam avec l’évêque Huon et celui-ci avec
l’auteur de la vita de saint Maudez, que les deux ouvrages concernés, à bien des égards très
différents, offrent suffisamment de caractéristiques communes. Un vocabulaire qui
témoigne d’une certaine recherche peut constituer l’indice d’une telle parenté : c’est le cas
notamment de termes comme baro, bellua, consors, documentum, plaga, saxum et tellus196.
Baro surtout est remarquable, car il s’agit d’attestations précoces de ce mot en Bretagne, où
il devait connaître par la suite beaucoup de succès ; quant à documentum, au pluriel et au
sens d’ « exemple », il pourrait bien s’agir d’un nouvel emprunt à Ovide197. Peut-être en va-
t-il de même pour ce qui est de saxum : ce dernier terme s’applique chez le poète latin à la
roche sacrée sur l’Aventin198, de même qu’au grand rocher de Plestin chez le biographe de
saint Efflam ; mais saxum sert également à désigner l’écueil d’où Efflam fit se précipiter le
dragon dans la mer tandis que le biographe de saint Maudez l’emploie à propos du rocher
d’où le tuthe chuta dans les flots après avoir été touché par la pierre que le saint avait
lancée contre lui.
194 Dom G.A. Lobineau, Histoire de Bretagne, t. 2 [Preuves], col. 118 : Montem quemdam mei juris et
patrimonii qui dicitur Hyrglas cum omnibus appenditiis suis et decimam meam de quadam terra quae
vocatur Plegestin.
195 A. de la Borderie, « Saint Efflam… », p. 285, (c. 5), 292 (c.15), 293 (c. 18) et 294 (c. 19).
196 Idem, « Saint Maudez… » et « Saint Efflam… », respectivement p. 205 (c. 8) et p. 283 (c. 3) pour baro ; p.
206 (c. 11) et p. 285 (c. 6) pour bellua ; p. 205 (c. 10) et p. 289 (c. 12) pour consors ; p. 203 (c. 3) et p. 283
(c. 3) pour documentum ; p. 206 (c. 12) et p. 286 (c. 7) et 289 (c. 11) pour plaga ; p. 206-207 (c. 12) et p. 285
(c. 5 et 6) et 287 (c. 9) pour saxum ; p. 205 (c. 8) et 208 (c. 15) et p. 295 (c. 21) pour tellus.
197 Ovide, Métamorphoses, III, v. 579.
198 Idem, Fastes, V, 150.