Le Scepticisme

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    par Franois Picavet

    Parmi les philosophes grecs, les uns disent qu'ils ont trouv la vrit; ce sont les dogmatiques.D'autres nient qu'on puisse la saisir : ce sont les acataleptiques. D'autres enfin, sans affirmer quela vrit ait t trouve, sans nier qu'elle puisse l'tre, continuent la chercher : ce sont lessceptiques. Qu'il y ait eu parfois alliance entre les reprsentants de l'acatalepsie et ceux duscepticisme, qu'il soit mme, en certains cas, difficile de les distinguer les uns des autres par lesdoctrines, c'est ce qu'on ne peut contester. Mais il est tout aussi incontestable qu'il faut, en thorieet en droit, maintenir la distinction tablie par Sextus Empiricus pour ne pas runir en unsystme, trop facile ensuite dtruire, des doctrines spares en fait et logiquementinconciliables. Pyrrhon fut en Grce le fondateur du scepticisme : il spara le domaine del'apparence, de la science positive, du domaine de la ralit laquelle entend s'attaquer la

    philosophie premire ou la mtaphysique; il prit les phnomnes comme guides de la vie pratiqueet morale, mais s'en tint, pour les choses, l'poque on suspension du jugement, d'o il faisaitdcouler l'aphasie, puis l'ataraxie ou absence de trouble. Cependant on a souvent cherch ettrouv des prdcesseurs Pyrrhon; on a appel sceptiques Homre et les Sept Sages, des

    physiciens et des sophistes, les acadmiciens et les mdecins empiriques.Il y a, chez Homre et les potes, chez les premiers penseurs, surtout occups de morale et de

    politique, des allusions la mobilit de la pense humaine et des formules dont useront lespyrrhoniens, mais ce ne sont ni des philosophes, ni plus forte raison des sceptiques. L'un desfondateurs de la philosophie, Thals, est nettement dogmatique. Xnophane voit quelques-unesdes difficults que prsente la recherche de la vrit et combat nergiquement les affirmations

    polythistes de ses contemporains, mais il affirme, le premier, l'unit des choses et nous

    apparat ainsi comme un dogmatique, soucieux de substituer des doctrines philosophiques etvraies aux opinions des potes et du peuple. De mme, Parmnide nie de l'tre un certain nombred'attributs, naissance et mort, mouvement, multiplicit et devenir, qui s'opposent ses propresaffirmations. Pour lui, la raison seule donne la vrit, les sens ne produisent que l'erreur. Znonruine le dogmatisme qui reposait sur le tmoignage des sens et fournit l'instrument avec lequel on

    pourra combattre tous les autres, mme celui de son cole.En somme, les Elates, par leurs ngations et par leur mthode, prparent des armes ceux quisoutiendront l'absolue incomprhensibilit des choses ou la ncessit d'une recherche constante;ce ne sont ni des acataleptiques, ni des sceptiques. Empdocle et Anaxagore servent aussiindirectement la cause de l'acatalepsie et du scepticisme, par la critique pntrante et parfois

    profonde qu'ils font des systmes ou des thories de leurs prdcesseurs; mais ils contribuent

    directement l'laboration du scepticisme : le premier, par ses affirmations sur les plantes, lesanimaux, l'humain et l'intelligence, qui serviront de prmisses aux objections clbres du premier,du second et du quatrime mode de l'poque; le second, par les thories sur le mlange dessubstances, sur l'analogie de l'intelligence animale et de l'intelligence humaine, utilises dans lesixime, le premier et le second des tropes pyrrhoniens. Hraclite attaque les dogmatismes duvulgaire, des potes et des rudits, comme le tmoignage des sens; il indique les obstacles querencontre la connaissance rationnelle; il soutient que les choses sont dans un flux perptuel et queles contraires sont identiques. Ainsi considre, sa philosophie est, comme disait Ensidme, uneintroduction au scepticisme; mais prise dans son ensemble, avec ses affirmations sur l'harmoniedu monde, sur l'existence de la loi divine qui rgit toutes choses, elle est essentiellementdogmatique. Le subtil dfenseur de la thorie des atomes et du matrialisme, l'adversaire des

    sophistes, le partisan convaincu de la connaissance rationnelle, Dmocrite, travaille, en unecertaine mesure, la constitution des systmes acataleptiques ou sceptiques : il trace des limitesau savoir humain, il attaque les rudits et ne mnage pas la connaissance sensible, il a des

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    thories sur les noms, sur l'origine de la croyance aux dieux , sur la prsence de la raison chezles animaux, les vgtaux et mme dans l'air, sur la flicit qui consiste - en partie tout au moins -dans l'ataraxie, dont ses disciples, Mtrodore et Anaxarque, le matre de Pyrrhon, accentuerontencore les parties ngatives et sceptiques.Les sophistes semblent renoncer aux spculations sur la nature. Pour Protagoras, et aussi pourGorgias, il n'y a pas de science, mais des opinions variables selon les individus et mme, dans les

    individus, selon les circonstances. Fondateurs ou rnovateurs de l'ristique, ils professent qu'toute affirmation on peut opposer une affirmation contraire, que sur chaque sujet il est possible desoutenir le pour et le contre. Pour Protagoras, on ne saurait dire des dieux ni qu'ils sont, ni qu'ilsne sont pas; pour Critias, les croyances religieuses sont l'oeuvre des lgislateurs; pour Prodicos,elles s'expliquent par la divinisation des choses utiles l'humain. Tous les sophistes font larhtorique une grande place et excellent rendre plus forte la cause la plus faible. Si donc l'on ne

    peut, avec Eduard Zeller, en faire des sceptiques en spculation et en pratique, puisqu'ils mlent la suspension du jugement - dont ils n'usent pas d'ailleurs en toute chose - des ngations et desaffirmations, il est bien vident qu'ils ont, autant et mme plus que tous les autres philosophes,fourni des matriaux et des cadres pour les thories de Pyrrhon et d'Arcsilas, des sceptiques etdes acataleptiques. De mme, ceux-ci trouveront chez Socrate, qui accouche les esprits de lascience dont ils sont tous sans le savoir possesseurs, des lments importants et nombreux utiliser. Ainsi Socrate nie que les philosophes antrieurs aient trouv la vrit; lui-mme, dit-il, nesait qu'une chose, c'est qu'il ne sait rien; raisonneur aussi subtil que les sophistes dans les deuxsens, il se refuse disserter sur l'ensemble des choses, eu chercher l'origine, tudier les loisdes phnomnes clestes, parce que les secrets de la divinit sont impntrables; il limite lascience aux besoins pratiques et parle, en plus d'un cas, comme Arcsilas, qui se rclamera de lui,comme Pyrrhon, dont Cicron fera un de ses disciples.Les matriaux avec lesquels se construira l'difice acataleptique ou sceptique s'augmententencore avec les socratiques. Les cyniques condamnent ou mprisent la logique, la physique, lagomtrie et les sciences pour s'attacher la morale; ils nient les dieux de l'tat et semblent, en

    prtendant que la dfinition n'atteint pas les choses et ne consiste qu'en des noms, dtruire toutescience et tout jugement. Les mgariques rejettent la connaissance sensible, nient le devenir, lapuissance et le mouvement, contestent la possibilit de la dfinition et transmettent unedialectique dlie, souple, dangereuse pour tous les dogmatismes, leurs disciples Pyrrhon etTimon, Arcsilas et Carnade. Les Cyrnaques rduisent la philosophie la morale : ilsdistinguent l'affection, pathos, qui est, de ce qui la produit en nous et qu'elle ne nous permet pasde juger; ils accordent qu'il peut y avoir des causes, mais nient qu'on puisse les connatre; ilsaccentuent sur les dieux la doctrine de l'incomprhensibilit, et Thodore, Bion, Evhmre seronttraits d'athes. Platon fut souvent pris pour un sceptique ou pour un acataleptique. A coup sur, ilserait inexact de ne considrer qu' un point de vue aussi troit une philosophie d'une telleenvergure, positive, idaliste et mystique, mais en tant que Platon continue les lates et les

    mgariques, Hraclite et Socrate, qu'il expose, avec la mme ampleur, des thories qui paraissentdifficiles concilier, si elles ne sont pas contradictoires, il n'est nullement exagr de voir en luiun prcurseur de Pyrrhon et surtout d'Arcsilas on de Carnade. La partie dogmatique de sa

    philosophie est abandonne par ses disciples, Speusippe et Xnocrate, cause de son obscurit,mais aussi cause des critiques d'Aristote qui s'attaque la dialectique et tout le systme.Aristote dtruit non seulement le dogmatisme issu de l'cole de Socrate, mais encore lesdogmatismes antrieurs, dj si maltraits par les sophistes, par Socrate et Platon. Puis il montrela ncessit du doute provisoire et les difficults que soulve la dcouverte de la vrit; ilrassemble et met en pleine lumire tous les arguments de ses prdcesseurs. Aprs Platon, ildveloppe la thorie du vraisemblable et contribue ainsi, sans le vouloir, l'closion des doctrinesnouvelles. Enfin, par lui comme par Platon, Hippocrate et d'autres, les progrs des sciences sont

    si considrables qu'elles peuvent dj remplir la vie d'un humain, et l'loigner par cela mme desspculations mtaphysiques. Ainsi se prpare la distinction du subjectif et de l'objectif quicaractrisera le pyrrhonisme. L'originalit de Pyrrhon consistera runir ces lments disperss,

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    en les sparant de ceux auxquels ils taient joints, pour en faire une synthse dont les idesdirectrices et matresses lui appartiendront en propre.Il y eut des philosophes qui subirent l'influence de Pyrrhon. Tels furent Nausiphane de Ties ledemocriten, pyrrhonien en morale, et son disciple, le dogmatique Epicure, chez qui les

    proccupations morales, la recherche de l'ataraxie, la pit envers les dieux sont d'un pyrrhonienvritable; Polmon et Crantor, qui recommandent l'apathie, l'ataraxie et la mtriopathie; les

    stociens, en particulier Ariston, que Cicron confondra, avec Pyrrhon. Tous s'approprientl'essence de la doctrine pyrrhonienne, travaillent bannir le trouble de la vie humaine, mettent lesouverain bien dans la paix de l'me, mais demandent la spculation, sans s'arrter ni aboutir l'poque, de les y conduire. Diogne Larce nous dit que Pyrrhon eut, en outre, beaucoup dedisciples, sceptiques, chercheurs, phectiques, aporrhtiques, pyrrhoniens. On connat Euryloque,Philon d'Athnes, l'historien Hcate et Ascanius d'Abdre, Numnius et Mnasas, Philomle etCassius, surtout Timon de Phliase, qui rpandit Athnes la philosophie de Pyrrhon, l'interprta,l'orna, la dfendit mme contre ceux qui se l'taient plus ou moins approprie. Il eut des disciples,mais il n'eut pas de successeur.Ce fut l'Acadmie qui, sans changer le nom qu'elle tenait de son fondateur, s'empara des doctrinesde Pyrrhon. Arcsilas combattit surtout les stociens et le critrium par lequel ils prtendaientdistinguer les reprsentations vraies des reprsentations fausses. Invoquant le sommeil, l'ivresseet la folie, les ressemblances entre les oeufs et les jumeaux, la rame brise dans l'eau et droitedans l'air, la tour carre de prs et ronde de loin, le navire en mouvement pour les spectateurs eten repos pour les matelots, il soutenait qu'aucune reprsentation sensible n'est telle qu'on ne

    puisse lui en opposer une autre qui n'en diffre en rien et qui ne soit pas perceptible. Il n'admettaitpas plus la connaissance rationnelle et recommandait de suspendre son jugement en toute chose.Contre les stociens et aussi contre les picuriens, il maintient qu'on peut agir sans donner sonassentiment, que la reprsentation, sans l'adhsion, met la volont en mouvement, qu'elle produitla persuasion et nous permet de rendre compte de nos actes, quoique notre choix puisse trediffrent de celui d'un tre qui aurait une connaissance parfaite des choses.

    Au pyrrhonisme, Arcsilas prend la suspension du jugement fonde sur l'opposition des donnesdes sons et de la raison, la force gale des raisons opposes et les contradictions desreprsentations sensibles; il un, lui emprunte ni la distinction du subjectif et de l'objectif, nil'affirmation des reprsentations en tant que reprsentations, ni la mtriopathie et la direction dela vie par les apparences, les coutumes, les lois et les impulsions naturelles, ni les objectionscontre les mtaphysiques fondes sur l'intuitionintellectuelle. Ce qu'il retient de Pyrrhon suffit grouper autour de lui les sceptiques, ce qu'il laisse de ct prpare de nouvelles mutilations, maisaussi des objections qui n'auraient pu tre adresses au scepticisme pyrrhonien. Chrysippes'approprie les lments sceptiques auxquels Arcsilas avait d son succs et relve ledogmatisme stocien, en se posant et en rsolvant les objections de ses adversaires. Carnade

    reprend la lutte contre le stocisme triomphant et contre tous les dogmatismes. Son analyse,pntrante et subtile, montre qu'aucune reprsentation, sensible ou non, n'est adquate la vrit;puis que, parmi les modes indirects de connaissance, la dialectique est impuissante, ladmonstration est incapable de donner l'vidence que ne fournit pas l'intuition. Dans les diverssystmes, il choisit la thologie et la tlologie qu'il examine et critique, comme le feront plustard Voltaire, Kant et Hamilton; il oppose les unes aux autres les thories des dogmatiques sur la

    physique et la morale, dont aucune ne satisfait pleinement l'esprit.A ceux qui l'accusent de supprimer, par son acatalepsie universelle, toute rgle de conduite, ilrpond, comme les pyrrhoniens, qu'il cherche, dans la reprsentation considre au point de vuesubjectif, un guide; pour les diverses circonstances de la vie; la concordance des reprsentationsavec celles qui les accompagnent d'ordinaire, l'examen des lments qui les constituent, lui

    permettent de distinguer celles qui, vraies au point de vue subjectif, approchent le plus de lavrit objective, qu'il ne nous est pas donn d'atteindre. Carnade apporte ainsi au scepticismeune thorie acataleptique de la connaissance, une critique complte du stocisme de Chrysippe et

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    des doctrines positives sur les dieux de tous les philosophes; il reprend et dveloppe l'oppositionsignale par les sophistes entre l'a justice et l'intrt; mais on ne peut l'appeler un sceptique. C'estun acataleptique, dont la thorie de la probabilit loignera l'Acadmie du pyrrhonisme pour laramener au dogmatisme. Si Clitomaque suit fidlement Carnade, pendant que les dogmatiquesse rconcilient, en unissant comme Pantius, Posidonius et tant d'autres, le stocisme au

    platonisme et au pripattisme. Philon de Larisse abandonne la suspension du jugement et

    l'acatalepsie pour ne conserver que la critique de la reprsentation comprhensive, Antiochus faitentrer, comme dit Sextus, le Portique dans l'Acadmie ou plutt la conciliation s'est faite entredes clectiques qui combinent, en des proportions diverses, les doctrines de l'Acadmie, du Lyce

    et du Portique. Cicron fait connatre Rome les doctrines acataleptiques et semble serattacher Carnade.La mdecine empirique, ne sous l'influence des sceptiques, amena la renaissance duscepticisme. Ensidme, le plus marquant des rnovateurs du pyrrhonisme, composa son

    principal ouvrage de 80 72 av. J.-C., entre la mort de Philon et celle d'Antiochus. Nous sommesoblig d'omettre, en raison de leur complexit, les motifs qui justifient cette attributionchronologique, - accepte par Fabricius, Brucker, de Grando. Ravaisson, combattue par Ritter,Saisset, Ueberweg, Ed. Zeller, qui placent Ensidme au dbut de l're chrtienne, - comme lacritique des sources, Sextus, Diogne, Aristocls, Photius, auxquelles nous puisons pour retracerdans ses grandes lignes la doctrine d'Ensidme. Pour lui, le scepticisme est un souvenir parlequel, confrontant ensemble et soumettant la critique les reprsentations sensibles etintelligibles de toute espce, nous ne trouvons partout que dsordre et strilit. Puisque nous ne

    pouvons saisir les choses ni par les sens, ni par l'intelligence, il faut nous en tenir l'poque, quesuit l'ataraxie. Mais il faut aussi donner son assentiment aux phnomnes, reconnatre que le miel

    produit en nous une saveur douce, sans affirmer ou nier qu'il soit doux en soi.L'apparence ou le phnomne, voil le critrium du sceptique, qui rgle sa vie d'aprs les

    phnomnes, comme le faisait Pyrrhon, comme le font les pyrrhoniens chez qui l'poque nesupprime nullement l'activit et la moralit. Pour justifier la suspension du jugement, Ensidme

    reprenait les dix modes invents par Pyrrhon, mais alors oublis, puisque Cicron ne parle dePyrrhon que comme d'un moraliste. Il y introduisait les exemples invoqus on imagins par lesacadmiciens, les classait d'une faon plus systmatique, y ajoutait sans doute les passages oudans Sextus il est tabli qu'il n'y a pas de dmonstration pour garantir, les affirmations desdogmatiques, que les genres suprmes et les espces ultimes dont parlent les stociens tombentsous l'objection tire de la relativit, que les signes par lesquels ces mmes stociens - et peut-treaussi les picuriens - entendent connatre les choses obscures, sont eux aussi relatifs, o enfinsont exposes les doctrines stociennes, inconnues Pyrrhon. Il expliquait ensuite les expressionsdont se servent les sceptiques pour formuler leur systme, ou mallon, ouden mallon, ouden oriz,

    panti log logos antikeizai, etc., et les comparat toutes, pour en justifier le sens suspensif, unpurgatif qui sort du corps en mme temps que les matires dont il provoque l'expulsion. Ainsi il

    distinguait l'cole sceptique de l'Acadmie : Platon est dogmatique lorsqu'il parle des ides, de laprovidence, de la prfrence accorder une vie vertueuse sur une vie vicieuse, de certaineschoses plus dignes de foi que certaines autres. Dogmatiques aussi sont les philosophes de lanouvelle Acadmie qui posent comme indubitables certaines choses et en nient d'autres sansrserve, tandis que les pyrrhoniens, sceptiques et entirement dgags de toute prtentiondogmatique, n'admettent ni vrai, ni faux, ni probable, ni tre, ni non-tre, mais tiennent que lamme chose n'est pas plus vraie que fausse, probable qu'improbable, tre que non-tre, pas plustantt ceci que tantt cela, pas plus telle pour celui-ci que telle pour celui-l. Il prcisait d'ailleursles doctrines sceptiques, en les opposant celles des acadmiciens et des stociens la vrit nesaurait tre ni la probabilit sensible, ni la probabilit intelligible, ni une probabilit intelligible etsensible. Elle n'est non plus ni une chose sensible, ni une chose intelligible, ni une chose

    intelligible et sensible.Pour les stociens, l'existence de la vrit se lie troitement la question des signes. Les chosesvidentes, prodla, sont des phnomnes, il fait jour, voil un homme; les choses obscures, adla,

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    comprennent trois classes, celles qui, tout fait obscures, sont incomprhensibles, par exemple lenombre des toiles est-il pair on impair? celles qui sont obscures pour un temps : Athnes o jen'ai pas t m'est obscurment connue jusqu' prsent; enfin, celles qui sont obscuresnaturellement : par exemple, les pores des corps chappent notre vue, mais nous sont rvls

    par la sueur. Il n'y a de signes que pour les deux dernires classes : celles qui sont obscures pourun temps sont connues par les signes commmoratifs, analogues nos associations accidentelles

    rgies par la loi de contigut et la loi de ressemblance. Celles qui sont obscures naturellementsont connues par les signes indicateurs: ainsi les mouvements du corps nous rvlent l'me,l'ordre de l'univers nous rvle la Providence; d'une faon gnrale, l'antcdent phnomnalnous rvle le consquent causal; la dfinition, le dfini; la division et l'induction, les genres, etc.

    Nous connaissons ainsi la cause et la substance, nous constituons l'ontologie avec desphnomnes convenablement choisis et nous savons ce qu'est l'me, le monde et Dieu. De cettethorie, Ensidme faisait une critique qui est demeure classique. Il laissait subsister, ce semble,les signes commmoratifs, utiles dans la pratique de la vie, mais il combattait vivement les signesindicatifs. Dans un passage clbre, conserv par Sextus et dont l'importance n'a pas toujours tcomprise (Adv. Logic., VIII, 216), il soutient que le phnomne avec lequel on identifie le signedoit tre tel qu'il paraisse peu prs semblable tous ceux qui sont dans une mme disposition.Or, les gens qui sont disposs d'une manire analogue ne s'accordent point sur ce qu'ilssoutiennent tre les signes des choses obscures. Il faut donc se berner affirmer les phnomnesen tant que phnomnes et ne pas les considrer comme des signes rvlateurs qui nousconduiraient la connaissance des choses en soi et nous serviraient constituer unemtaphysique dont le point de dpart serait la seule connaissance des phnomnes.De cette critique, Ensidme tirait des consquences relatives au monde, la nature, aux dieux,valables contre la dmonstration, l'induction, la dfinition. Ainsi, en logique, on ne saurait trouverde critrium par lequel on distingue le vrai du faux; on ne saurait saisir directement l'tre dans le

    phnomne ou indirectement par les signes rvlateurs sur lesquels les stociens font reposer ladmonstration, l'induction, la dfinition, la division, avec lesquels ils prtendent atteindre l'me,

    le monde, Dieu, et constituer la mtaphysique. En physique, Ensidme s'attaque surtout lacausalit. Les phnomnes dits rvlateurs, avait-il tabli dj, ne nous font pas connatre lescauses. Si l'on examine le concept de la causalit, on arrive la mme conclusion, la suspensiondu jugement. Et l'argumentation d'Ensidme porte contre toutes les doctrines contemporaines ouantrieures. Le corporel ne peut tre cause du corporel; l'incorporel ne peut tre cause del'incorporel, pas plus que l'incorporel du corporel. Mmes critiques au point de vue dumouvement et du temps : ce qui est en repos ne peut tre cause de ce qui est en repos, ce qui esten mouvement de ce qui est en mouvement, ce qui est en mouvement de ce qui est en repos etrciproquement; ce qui est en mme temps ne peut tre cause de ce qui est en mme temps,l'antrieur ne peut tre cause du postrieur on inversement. En outre, la cause ne peut produireson effet par elle-mme et avec sa puissance propre seule; elle ne peut le produire par son union

    avec une matire passive qui concourrait son oeuvre ; elle ne peut avoir ni une puissanceefficiente unique, ni une puissance efficiente multiple. Dit-on que les effets d'une mme causedoivent varier selon les objets auxquels s'applique l'action et suivant les distances? C'estreconnatre que l'agent, ne diffre pas du patient. Puis la cause ne peut tre spare de la matiresur laquelle elle agit : si l'agent coexiste avec le patient, il ne fait qu'agir sans ptir, ou bien ilagira et ptira tout la fois; dans le second cas, l'agent ne sera pas plus agent que patient, ni le

    patient plutt patient qu'agent, ce qui est absurde. Si l'on dit que l'agent agit sans ptir, ou il agirapar simple contact, c.--d. en touchant la surface, et il ne pourra rien produire, puisque la surfaceest incorporelle, ou il agira par pntration, ce qui supposerait ou qu'il passe travers les corpssolides, ou qu'il passe par les pores, en exerant son action sur les surfaces extrieures de ces

    pores, ce qui est galement impossible. A ces objections spciales, Ensidme en joignait de

    gnrales. Huit tropes ou modes lui paraissaient dmontrer la vanit de toute recherchedogmatique sur les causes :1 Rechercher les causes, c'est s'attacher un de ces objets obscurs, invisibles, dont la

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    connaissance ne peut avoir pour garantie l'vidence des choses apparentes;2 on s'arrte l'une plutt qu'aux autres raisons valables qu'on peut galement assigner un

    phnomne;3 on avance, pour expliquer des choses qui se font avec un certain ordre, des raisons qui nemontrent nullement l'ordre dans lequel elles s'accomplissent;4 on croit comprendre la gnration des choses obscures en voyant s'accomplir celle des choses

    apparentes;5 les philosophes expliquent les causes par leurs hypothses particulires sur les lments et nonen suivant les voies communes et les ides reues;6 on s'empare des donnes qui s'accordent avec l'hypothse choisie, on rejette les donnescontraires qui mritent autant de confiance;7 les causes invoques par les philosophes sont souvent en contradiction, non seulement avec les

    phnomnes, mais encore avec les hypothses qu'ils ont eux-mmes proposes;8 les choses qu'on aperoit tant aussi incertaines que celles qu'on recherche, on emploiel'incertain pour dogmatiser sur l'incertain. Et les philosophes, dans la recherche des causes,

    peuvent donner lieu des objections mixtes ou formes par la combinaison de celles quiprcdent.En somme, avec Ensidme, le scepticisme est mis en honneur, enrichi de tout ce qui avait serviaux acadmiciens pour combattre les dogmatiques, mais nettement distingu des doctrinesacataleptiques. De nouvelles raisons sont donnes pour conclure la suspension du jugement; parla critique de la thorie des signes et de la causalit, de nouveaux points d'appui lui sont fournis,des armes sont prpares dont useront les adversaires modernes les plus redoutables de lamtaphysique, Hume et Kant. Le scepticisme, fond par Pyrrhon, devient ainsi, avec Ensidme,un systme complet dans l'ensemble et dans les parties, examinant toutes les questions quersolvent les coles rivales et s'imposant, par cela mme, l'attention des philosophes qui lessoulveront ensuite.L'influence du scepticisme serait signaler chez Snque, chez Philon le Juif, auquel on pourrait

    peut-tre faire remonter l'origine de la thologie ngative, si florissante au Moyen ge , chezEpictte, qui le rfute d'une faon fort superficielle, chez Plutarque de Chrone , chezPhavorinus d'Arles, l'auteur de dix livres sur les tropes pyrrhoniens, qui se dclarait acadmicien,mais rapprochait l'acatalepsie du scepticisme, en choisissant, au point de vue pratique, lesdoctrines des dogmatiques qui lui paraissaient le plus vraisemblables, chez Lucien, dont lescritiques sont aussi superficielles et inexactes que spirituelles, chez Galien, qui est un adversaire

    beaucoup plus srieux, chez Aristocls de Messine, le matre d'Alexandre d'Aphrodise, dont lesattaques violentes visent surtout Ensidme. Quant aux philosophes donns par Diogne commeles successeurs d'Ensidme, il semble que ce furent surtout des mdecins empiriques. On ne saitrien de Zeuxippe. Zeuxis est peut-tre identique au Zeuxis de Tarente, que cite Galien. Antiochosde Laodice n'est connu que par Diogne. Mnodote de Nicomdie, mdecin empirique,

    contemporain peut-tre de Phavorinus, essaya de rtablir le scepticisme dans toute sa puret.Thodas de Laodice est aussi un mdecin empirique; Hrodote de Tarse, entre 150 et 180, a poursuccesseur Sextus Empiricus. A ct de ces sceptiques, prsents comme chefs de l'cole, s'en

    placent d'autres, antrieurs Sextus : Thodose qui aurait comment Thodas, Denys d'Ege,Agrippa qui Diogne attribue les cinq modes rapports par Sextus aux nouveaux sceptiques.1) Le premier de ces tropes est tir de la contradiction qui existe entre les opinions proposes surchaque question.2) Le second est le progrs l'infini, o ce qu'on apporte pour appuyer une proposition a besoind'tre prouv lui-mme, cette preuve a besoin d'une autre preuve, etc.3) Le troisime porte sur la relativit : un objet parat tel par rapport celui qu'on juge et auxchoses considres en mme temps; on ne peut juger quel il est de sa nature.

    4) Le quatrime est le trope hypothtique ; les dogmatiques, rduits au progrs l'infini,supposent ua principe qu'ils ne prouvent point, mais qu'ils veulent qu'on leur accorde sansdmonstration.

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    4) Enfin, dans le diallle ou cercle vicieux, on se sert, pour dmontrer une chose qui est enquestion, d'une preuve qui a besoin, pour tre vidente, d'tre prouve par la chose en questionelle-mme.Sous l'une ou l'autre de ces objections tombe tout ce qui est objet de recherche. Le premier, letroisime et le quatrime de ces modes avaient t formuls, les deux autres indiqus par les

    prdcesseurs d'Agrippa. Mais Agrippa a systmatis, sous une forme plus concise, plus

    maniable pour l'attaque, les rsultats obtenus avant lui. Deux autres tropes, de la mme poque,sinon du mme auteur, prcisent davantage encore, sous forme de dilemme, la doctrine sceptique.Une chose ne peut tre comprise que par elle-mme ou par quelque autre chose. Elle ne sauraittre comprise par elle-mme, puisque les philosophes ne s'accordent ni sur les donnes des sens,ni sur les donnes de la raison et que nous ne pouvons nous servir, pour trancher le diffrend, nides sens, ni de la raison dont la valeur est galement conteste. Elle ne saurait l'tre par une autrechose, car nous tomberions dans le diallle ou dans le progrs l'infini, puisque aucune chose ne

    peut tre saisie par elle-mme.De tous les nouveaux sceptiques, Sextus Empiricus est celui chez lequel il est le plus ais deconstater la fidlit aux anciennes doctrines comme de recueillir les essais de simplification quiembarrassaient les adversaires, en mettant la porte de tous les arguments dirigs contre lesdogmatiques. C'est par lui que nous connaissons, grce aux Hypotyposes pyrrhoniennes, auxonze livres contre les Mathmaticiens, le scepticisme ancien d'une manire aussi prcise et aussicomplte que possible. Il l'a organis, rsum et dvelopp en lui donnant une forme peu prsdfinitive. Il eut pour successeur Saturnius. Diogne Larce, en divisant les philosophes endogmatiques et en sceptiques, souligne l'importance qu'avaient prise l'cole et la doctrine, surlesquelles il rapporte d'ailleurs plus d'une fois des histoires ridicules. Mais alors commence, avecAmmonius Saccas, l'cole d'Alexandrie qui, sous Plotin, conciliant Platon, Aristote et lesstociens sur les points essentiels, rpond l'argument capital des sceptiques, tir de lacontradiction des dogmatiques en toute matire. Aussi Porphyre prtend-il que les sceptiques ontdisparu, quoiqu'un document nous rvle l'existence d'une communaut pyrrhonienne analogue

    aux associations religieuses appeles thiases et ranes. En fait, il n'y a plus gure alors que desdogmatiques, chrtiens ou noplatoniciens, galement soucieux de thologie, galementsoucieux de fuir le doute et de se reposer dans la certitude. Mais des chrtiens croient que lescepticisme, entranant les philosophies dogmatiques, peut devenir un auxiliaire puissant pour lareligion ; que les esprits dsesprant de trouver la vrit par la raison, auront recours la foi.Minucius Flix insiste sur l'ignorance de l'humain, Lactance sur l'inutilit et la fausset de la

    philosophie. Les doctrines acataleptiques sur les dieux servent ruiner la religion populaire; lescepticisme, souvent sous une forme incomplte, sert combattre les dogmatismes

    philosophiques. Cependant on s'aperoit que l'auxiliaire est parfois dangereux. Saint Grgoire deNazianze se plaint, au IVe sicle, que les disciples de Pyrrhon et de Sextus aient introduit dansl'glise le dsir de la contradiction et l'amour d'une rudition malsaine. Saint Augustin inclinait

    vers la nouvelle Acadmie, quand la lecture des no-platoniciens le rapprocha du catholicismeet du dogmatisme philosophique des alexandrins. Il rfuta les acataleptiques dans le contraAcademicos d'une faon assez superficielle, mais de manire contenter pendant des sicles ceuxque ces questions intressaient encore. Dans le doute, il trouva le point de dpart d'un nouveaudogmatisme : douter, dit-il, c'est penser; tre tromp, dit-il encore, c'est tre. L'historien Agathias,au Ve sicle, mentionne un Thranius sceptique, partisan de l'poque, de l'ataraxie et del'incomprhensibilit. Il ne semble pas que le scepticisme survivait encore dans le monde paen,quand l'dit de Justinien, en 529, mit fin l'cole d'Athnes.Le Moyen ge nous a laiss une traduction latine des Hypotyposes de Sextus Empiricus; elle estdu XIIIe sicle et fut probablement faite sur un manuscrit apport de Constantinople; elle paratn'avoir gure t connue que de son auteur, et Pyrrhon, Timon, Ensidme et Sextus demeurrent

    ignors. Il y eut alors, chez les musulmans comme chez les chrtiens, des penseurs qui, par leurstendances gnrales, rappellent les sceptiques et les acataleptiques, tout en s'en distinguant

    profondment pour le but atteindre et la direction donner la vie. Seule, la raison, l'encontre

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    des sens, dlaisss ou mpriss comme tout ce qui tient au corps, pouvait tre considre commeune source valable de connaissance, quand les questions essentielles rsoudre taient relatives l'immortalit de l'me et l'existence de Dieu. Or, personne alors n'tait dispos s'appuyerexclusivement sur elle - pas mme Jean Scot Erigne - pour chercher la vrit et rgler laconduite des individus et des socits. Personne n'tait mme prpar chercher si elle pouvaitsuffire, cette double tche. Tantt, l'incomprhensibilit est attribue aux mystres, parfois

    toutes les matires religieuses: les textes sacrs, l'autorit ecclsiastique qui est charge de lesinterprter, l'inspiration, sous des formes trs diverses et multiples, indiquent les dcisions

    prendre et ne laissent aucune place la raison. Parfois la raison est prise pour auxiliaire; on luilaisse certains problmes examiner, celui des universaux, par exemple; on l'appelle constituerune thologie on les dogmes sont justifis et lis par des textes religieux ou des affirmationsrationnellement tablies. Et, chose curieuse, dans cette construction o la raison tient une sigrande place, la doctrine de l'incomprhensibilit intervient encore par la thologie ngative, quirefuse Dieu - comme chez les alexandrins - tous les attributs dont on constate l'existence dansles cratures. En ce cas, la raison sert instruire les orthodoxes, combattre les hrtiques, ramener les incrdules, convertir les infidles ; elle rgne sur un territoire commun tous, etchacun en use pour attirer le voisin sur son terrain propre. Mais, en opposition, des mystiquesinvoquent la foi, recourent la prire et, attendant l'inspiration ou l'extase, proclament que laraison est incapable de donner ou de trouver la vrit, que les systmes, philosophiques outhologiques, qu'elle contribue difier n'ont aucune valeur : Algazel et ses disciples, saintBernard et certains victorins sont acataleptiques ou sceptiques, pour croire et pratiquer plusfidlement les prceptes religieux. Par contre, les dogmes des diverses religions ne seront pas

    plus pargns que ceux des philosophes : incrdules, hrtiques, infidles useront de la raisoncontre les croyances adverses. Mme un moment viendra o, pour certains, la suspension du

    jugement s'imposera en matire religieuse autant et mme plus qu'en matire philosophique.En rsum, le scepticisme, aprs l'Antiquit et le Moyen ge, se prsente comme un systmeoriginal qui, distinguant le phnomne et le noumne, l'objectif et le subjectif, oppose en

    mtaphysique, et pour ce qui concerne les choses en soi, les dogmatiques qui affirment que lavrit est en leur possession, aux acataleptiques qui nient qu'on la puisse trouver. Tout en serapprochant beaucoup plus de ces derniers avec lesquels il leur est souvent arriv de s'alliercontre les dogmatiques; les sceptiques s'en distinguent profondment en ce qu'au lien de nier, ilssuspendent leur jugement. De l'poque rsulte l'ataraxie ou absence de trouble. Quant aux

    phnomnes, ils y donnent lotir adhsion, en tudient la liaison comme le faisaient les stociens etsurtout Carnade et en usent pour rgler leur conduite et leur vie. Le scepticisme est devenu uninstrument : on en a fait le fondement d'un nouveau dogmatisme; on s'en est servi pour fairetriompher le christianisme du polythisme grco-latin, les religions chrtienne, musulmane ou

    juive des systmes philosophiques, le mysticisme des thologies qui font appel la raison.Tous les systmes anciens ont d, en raison du progrs des sciences physiques, naturelles et

    morales, disparatre ou se modifier profondment dans les temps modernes. Le scepticisme amontr, par sa persistance et ses transformations depuis la Renaissance, qu'il n'tait pas infrieur,en ce sens, aux doctrines antiques dont le succs fut le plus grand. Laissons de ct unscepticisme de fantaisie, construit par des adversaires peu scrupuleux qui mlent les doctrinesacataleptiques et sceptiques pour dclarer plus aisment absurde le compos qui en rsulte, qui ensuppriment toute la partie positive et phnomnale pour prononcer en toute assurance qu'ilsupprime toute activit et toute moralit. Qu'on lise Berkeley et Kant, surtout le Dictionnaire dessciences philosophiques de Franck, et l'on verra combien imprcises, contradictoires et irrellessont devenues avec eux les notions de sceptique et de scepticisme. Pour rester dans la ralithistorique, nous aurons nous occuper successivement de ceux qui ont fait connatre ou rnovle scepticisme, de ceux qui ont repris en les modifiant ses conclusions mtaphysiques et

    positives.Par saint Augustin et par Cicron, on avait eu au Moyen ge - cela se voit surtout chez Jean deSalisbury - une connaissance parfois assez tendue, sinon bien exacte, des doctrines

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    acataleptiques. La Renaissance alla plus avant dans l'exploration de cette partie du domaineantique. Non seulement on eut Cicron presque en entier, mais ds 1533, on ditait DiogneLarce; en 1562, Henri Estienne donnait la traduction latine des Hypotyposes pyrrhoniennes deSextus; sept ans plus tard, Gentianus Hervetus publiait celle des traits contre les mathmaticiens.En 1580 paraissaient les Essais de Montaigne, qui dnotent une connaissance exacte etapprofondie des thories sceptiques et acataleptiques ; en 1581, le trait de Sanchez... Quod nihil

    scitur; en 1588, les Essais en taient leur cinquime dition. Pierre Valence ddie, en 1596, auchambellan de l'infant Philippe, ses Acadmiques, qui sont d'un rudit vers dans les doctrines

    pyrrhoniennes comme dans celles d'Arcsilas et de Carnade. Au dbut du XVIIe sicle, Charrondonne son Trait de la Sagesse, o il systmatise les ides de Montaigne, l'anne mme, 1684, otait publie la seconde dition de la version des traits contre les mathmaticiens. Les Essaisseront sans cesse rdits pendant un sicle, que l'on prsente d'ordinaire comme essentiellementcatholique et cartsien : les oeuvres de Nicole, d'Arnauld, de Descartes, de Gassendi, deMalebranche, de Sorbire et de bien d'autres encore tmoignent que le scepticisme, tel que l'avait

    prsent Montaigne, ne manqua pas de partisans. En 1621, le libraire Paccard publiait le textegrec de Sextus avec les traductions de Henri Etienne et de Gentianus Hervetus. Glanville se

    prsentait comme un rnovateur du scepticisme, attaquait les systmes d'Aristote, de Descartes,de Hobbes, dans des ouvrages postrieurs la mort de Descartes. La Mothe Le Vayer, dont les 15vol. in-8 rvlent un pyrrhonien, expose assez exactement le scepticisme ancien dans les Cinqdialogues faits l'imitation des anciens par Oratius Tubron. Huet, dans la Dmonstrationvanglique (1679), dans la Censure de la philosophie cartsienne (1689), dans le Trait

    posthume de la Faiblesse de l'esprit humain (1722), se rattache des thories de plus en pluspyrrhoniennes. L'abb Foucher, l'adversaire de Descartes et de Malebranche, le correspondant deLeibniz, renouvelait la doctrine de la nouvelle Acadmie, surtout dans l'Apologie et l'Histoire desAcadmiciens, runies en 1690. Bayle publiait (1695-97) le Dictionnaire historique et critique,qui rsumait le scepticisme ancien, et exposait un systme tout moderne dont l'influence devaittre considrable sur Voltaire et tous les philosophes du XVIIIe sicle. Fabricius, en 1718, ditait,

    en latin et en grec, Sextus Empiricus; le mathmaticien Huart faisait paratre, en 1725, unetraduction franaise des Hypotyposes pyrrhoniennes. L'Examen du pyrrhonisme ancien etmoderne de Crouzaz, en 1733, employ surtout combattre Bayle, est aussi inexact commeexposition que superficiel comme critique.Des auteurs qui se donnent tomme des rnovateurs du pyrrhonisme, de ceux qu'on qualifie de

    pyrrhoniens, on ne saurait faire ni des sceptiques, ni des acataleptiques, au sens antique du mot.Le christianisme, qui domine les esprits depuis des sicles, les sciences physiques et naturelles,dont le dveloppement est alors si rapide et si prodigieux, modifient les problmes et leurssolutions.D'abord il y a ceux pour qui ngation et surtout suspension du jugement sur les chosesmtaphysiques sont tout fait de nature fortifier les croyances religieuses. Henri Etienne

    espre, grce l'poque pyrrhonienne, gurir de l'impit ceux qui l'ont contracte en s'attachantaux philosophes dogmatiques. Les traits contre les mathmaticiens amnent ou ramnent, selonGentianus Hervetus, les humains au christianisme, leur enseignent le dfendre contre les

    philosophes et contre les hrtiques. Pour La Mothe Le Voyer, la sceptique est la sectephilosophique qui prpare le mieux la religion, c'est une parfaite introduction au christianisme,une heureuse prparation vanglique. Mme point de vue chez Pascal ; le christianisme a seul lavrit sur l'humain; au stocisme, Epictte qui voit bien sa grandeur, il faut joindre lescepticisme et Montaigne, qui montrent si bien sa faiblesse; en ce sens, le pyrrhonisme est le vrai,car sans savoir ce qu'il enseigna, l'humain ne peut tre chrtien. Ces ides sont familires

    Nicole, Arnauld, d'autres solitaires de Port-Royal. De mme Glanville invoque le dogme dupch originel pour prouver la faiblesse irrmdiable de nus facults. Huet lve le pyrrhonisme

    au rang d'une mthode destine faire natre ou fortifier la foi. Selon Foucher, la manire dephilosopher qu'il prconise est la plus utile pour viter les hrsies, pour entretenir la paix dansles tats chrtiens, c'est la plus conforme aux sentiments des Pres de l'glise, en particulier de

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    Lactance et de saint Augustin. Et au XIXe sicle, Lamennais et les partisans du scepticismethologique feront du scepticisme ou plutt de l'acatalepsie une arme pour combattre la

    philosophie et dfendre la religion.D'autres attaquent la foi et les dogmes comme les acataleptiques attaquent la raison et lessystmes : tels les esprits forts et les libertins dont parlent au XVIIe sicle Mersenne, Bourdaloue,Bossuet, La Bruyre ; tels Voltaire et les philosophes du XVIIIe sicle, d'Argens, Diderot,

    d'Alembert, d'Holbach, qui accumulent contre les croyants au moins autant d'objections que lesAcadmiciens et les Pyrrhoniens en avaient fait aux systmes philosophiques.Il en est qui pratiquent la suspension du jugement en matire religieuse comme en matire

    philosophique. C'est ce qu'on souponne chez Rabelais avec, son abbaye de Thlme, chezMontaigne, avec sa copie originale du scepticisme ancien. C'est ce qui apparat pleinementchez Bayle. Presque tous les articles du Dictionnaire historique et critique ont pour objet et pourrsultat de montrer aux fanatiques , aux perscuteurs de toute catgorie qu'ils ne possdent

    point seuls la vrit; il est difficile d'tablir, pour les catholiques, en quoi consiste l'orthodoxie;les sectes, les hrsies prsentent des doctrines opposes peu prs d'gale force. Bayle fortifielui-mme celles dont les auteurs ne lui semblent pas avoir employ des arguments suffisants ; - laraison est impuissante faire un choix et il n'est pas possible de, choisir celles dont les partisansse conduisent le mieux, car des esprits qui se sont rattachs aux systmes philosophiques ou auxdogmes religieux les plus opposs ont t remarquables par la dignit et mme par la saintet deleur vie. Ds lors, il faut faire rgner, sinon introduire dans le monde une conception nouvelle, latolrance pour toutes les sectes chrtiennes, pour les Musulmans, pour les Juifs, pour les

    philosophes, mme pour ceux qui n'ont admis aucune des croyances qu'on retrouve dans lesreligions positives. Ainsi les sceptiques, qui sont en accord avec les bons physiciens, quin'empchent nullement de recueillir des expriences, ne sont pas dangereux par rapport la viecivile, puisqu'ils se conforment la coutume et pratiquant les devoirs de la morale ils font plus,

    puisqu'ils tirent de la suspension du jugement une consquence non plus individuelle, commel'ataraxie, mais sociale, l'indulgence pour les humains, la tolrance pour les doctrines.

    A ct des sceptiques qui reprennent et mme enrichissent les doctrines anciennes, se placentd'autres penseurs ou chercheurs qui s'en servent pour revendiquer le libre examen et poursuivre lavrit, pour dtruire les systmes qu'on leur oppose et ruiner l'autorit qu'on leur impose. Telssont presque tous les rudits de la Renaissance qui, au culte de la forme antique, joignent souventle mpris de la scolastique mdivale et le dsir de penser sans entraves, Agrippa qui unit lemysticisme , la magie et la scepticisme, Erasme qui rappelle Lucien, Ramus, le redoutableadversaire du pripattisme, Rabelais, diteur de Galien et d'Hippocrate, mdecin et

    jurisconsulte, philologue et rudit, qui attaque le pape et Calvin, les catholiques et les protestants,la Sorbonne et la chevalerie, les parlements et les moines, pour affranchir l'esprit humain de touteautorit, pour laisser ouvertes la raison que formera une ducation nouvelle, les voies qui laconduiront la vrit. Un peu plus tard, Giordano Bruno attaque la scolastique et Aristote,

    l'glise et les dogmes catholiques ; Campanella, que ne satisfont ni la scolastique ni lessystmes antiques, allie le mysticisme l'tude des phnomnes par l'observation et l'induction;Vanini est brl Toulouse pour des doctrines sur l'me galement opposes la philosophie et la thologie scolastiques; Bacon dtruit la physique d'Aristote et rappelle les sciences l'observation; Hobbes retranche de la philosophie Dieu , les esprits et les mes ; Gassendi;qu'on a appel le pre de l philosophie exprimentale, est-un adversaire de la scolastique

    pripatticienne, un astronome, un physicien et un naturaliste; Locke est surtout proccupd'examiner notre facult de connatre, de voir quels objets sont notre porte, quels sont ceux au-dessus de notre comprhension, de dterminer pour nos connaissances les bornes de la certitude;avec lui la psychologie et la logique, la morale, la science de l'ducation et la politique entrent de

    plus en plus dans une voie pratique et positive. Avec moins de largeur, avec autant d'nergie que

    Bayle, Locke dfend les ides de tolrance et, sous une forme restreinte, en prpare le triompheen Amrique. Voltaireet Montesquieu, Condillac et Rousseau le continueront au XVIIIesiclecomme ils continueront Rabelais, Montaigne, Gassendi, Bayle et Descartes. Descartes commence

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    par le doute, comme les sceptiques, et nglige mme d'y soustraire, leur exemple, lesphnomnes; il justifie ce point de dpart par des raisons empruntes aux acataleptiques; il prendaux sceptiques, spcialement Montaigne, la plupart des rgles de sa morale provisoire. Sansdoute il construit, ds qu'il a trouv, comme autrefois saint Augustin, un fondement solide dans laconscience de sa pense, un dogmatisme aussi hardi qu'aucun des systmes antrieurs, mais ilconserve la morale des sceptiques, adapte au catholicisme, et il fait valoir leurs arguments et

    ceux des acataleptiques avec une telle force, qu'il a paru parfois n'y fournir qu'une rponseinsuffisante. Fnelon et d'autres Cartsiens partent du doute provisoire ou mthodique, pourconstruire un systme ou la religion et la philosophie sont troitement unies.La suspension du jugement en matire philosophique et religieuse conduit les sceptiquesmodernes la tolrance; l'adhsion aux phnomnes, l'tude de plus en plus attentive qui en estfaite amnent des rsultats non moins importants. D'abord des instruments qui augmentent la

    porte et la prcision des sens, tlescope, microscope, horloge pendule, baromtre, thermomtresont invents, en attendant ceux qui supprimeront l'observateur et enregistreront eux-mmes les

    phnomnes. Puis Galile fait un usage si judicieux de l'observation et de l'exprimentation qu'onest persuad aprs lui que ce sont les matres auxquels il faut demander la solution de questionsauxquelles on rpondait jusque-l par la raison et l'autorit, auxquels il faut s'adresser encore

    pour choisir entre les hypothses qui satisfont galement l'esprit. Dans cette voie, les dcouvertesse multiplient. Harvey, Kpler, Descartes, Huygens, Newton, Swammerdam, Roemer prouvent,

    par leur exemple, que l'induction, mle heureusement la dduction et au calcul, permetd'arriver la connaissance actuelle des phnomnes naturels et de leur liaison, la prvision des

    phnomnes futurs, parfois mme la prparation de liaisons plus favorables aux individus etaux socits. De l deux conceptions nouvelles : l'humain peut, comme disent Descartes etBacon, se rendre matre et possesseur de la nature ; il peut, comme il dcouvre avec destlescopes et des microscopes plus puissants des astres inconnus et des tres ignors, ajouterchaque jour des connaissances celles qu'il possde dj; il est amen ainsi croire au progrsscientifique, souhaiter tout au moins le progrs esthtique, moral et social. Ces deux rsultats,

    marquants dans l'histoire de la civilisation, ne sont certes pas l'oeuvre des seuls sceptiques, maisils ont t obtenus en suivant l'une des voies qu'ils avaient recommandes. Ds lors il y a troisgrandes directions entre lesquelles se partagent les chercheurs. Les uns sont de purs savants quise limitent l'exploration d'un domaine aussi peu tendu que possible et dont ils poursuivent laconnaissance intgrale; ainsi Lyonnet tudiera vingt ans la chenille du saule. D'autresgnralisent comme Newton et font la philosophie de la science comme la science elle-mme.Enfin, les mtaphysiciens tiennent compte du travail des uns et des autres, pour rsoudre lesanciennes questions, pour les transformer et mme pour les poser de faon nouvelle. Dans cesconditions, des relations diffrentes s'tablissent entre les deux parties de l'ancien scepticisme,l'une suspensive et portant sur les choses en soi, l'autre positive et portant sur les phnomnes.C'est ce qu'on voit chez Hume, chez Kant, chez Auguste Comte et les positivistes.

    Hume a t trs diversement jug : pour les uns, le scepticisme de la nouvelle Acadmie revit enlui; pour d'autres, il a dgrad les doctrines des sceptiques d'autrefois, revtu le pyrrhonismed'une forme usuelle et vulgaire, tandis que pour Joseph de Maistre, c'est le plus dangereux et le

    plus coupable des crivains, celui qui a employ le plus de talent avec le plus de sang-froid pourfaire le plus de mal. En fait, il y a exagration et inexactitude dans ces jugements. Hume veutexpliquer les facults de l'humain et fixer les limites de notre connaissance.Les matriaux viennent de l'exprience : ce sont les impressions, perceptions externes ouinternes, sensations et sentiments, et les ides ou penses, qui sont toutes, mme celle de Dieu,des copies de perceptions et que la volont et l'entendement combinent par des liaisons relatives la ressemblance, l'espace et au temps, la cause et l'effet. Les objets de la pense humaineforment deux classes, les rapports des ides et les faits. Les premiers sont les propositions de la

    gomtrie, de l'algbre, de l'arithmtique ou celles dont l'vidence repose sur l'intuition et ladmonstration; elles relvent de la facult pure de penser et sont indpendantes de touteexistence. Les propositions qui portent sur les faits n'ont ni le mme degr, m la mme espce

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    d'vidence; leur vrit ne repose pas sur de purs concepts.Voici comment Hume rsout la question sceptique, dont il mle partout la partie suspensive oumtaphysique la partie positive ou phnomnale. Il faut donner son, adhsion aux phnomnes;il faut en rechercher la liaison que l'exprience apprend connatre comme elle apprend connatre l'espce d'effet qui suit ce que nous appelons sa cause; il faut rassembler les causes des

    phnomnes naturels trouves par l'exprience; il faut subordonner la multiplicit des effets

    particuliers un petit nombre de causes gnrales, lasticit, pesanteur, cohsion des parties,communication du mouvement par le choc, etc. On obtient ainsi une certitude inductive, une

    probabilit; on explique l'attente des mmes effets aprs les mmes causes, l'appel au passcomme rgle de l'avenir, par la croyance que dtermine l'habitude dans l'entendement. Ainsi onvoit mieux chez Hume que chez les anciens sceptiques, comment il est possible de constituer unescience positive, en classant d'une manire systmatique les apparences subjectives.Mais Hume estime qu'il est inutile et vain de travailler remonter plus haut que ces causesgnrales auxquelles on a ramen les phnomnes naturels. A plus forte raison, n'admet-il pas le

    passage du subjectif l'objectif. Son argumentation, plus acataleptique que sceptique, rappelleEnsidme, mais aussi ses prdcesseurs modernes. Descartes avait ramen deux lesinnombrables substances de certains scolastiques, la matire et l'esprit, l'tendue et la pense.Berkeley, soutenant qu'il n'y avait rien de fond dans la distinction des qualits secondes, son,couleur, saveur, etc., et d'une qualit premire, tendue ou solidit, supprimait la substancematrielle. Hume agit de mme avec la substance spirituelle : l'me n'est qu'un assemblage de

    perceptions (a bundle of perceptions), et il n'y a dans le monde que des phnomnes. De mme lacatgorie de cause prenait dans la philosophie cartsienne une importance considrable; dans ledouble dualisme du macrocosme avec son Dieu spirituel et son monde matriel, et dumicrocosme, me et corps, il tait facile d'expliquer la distinction, difficile d'expliquer l'union etl'action rciproques.Descartes, Malebranche, Leibniz n'avaient pas mnag les hypothses; Hume soutient que l'effet,diffrent de la cause, ne peut tre trouv en elle, que la raison ne peut faire connatre a priori la

    liaison ncessaire, immuable de la cause et de l'effet. Nous voyons la succession, la conjonction,mais non la connexit des oprations corporelles ; nous observons en nous le mouvement aprs lavolition, mais nous ne pouvons ni observer ni comprendre le lien qui les unit, ou l'nergie quel'me dploie dans la production de l'effet. Ni en dehors de nous, ni en nous nous ne saisissons ce

    pouvoir producteur qui nous autoriserait affirmer l'existence des causes, passer du domainephnomnal au domaine noumnal. Enfin, comme nous. ne saisissons nulle part cette ncessit etcette universalit, qui caractrisent la connaissance mathmatique et devraient appartenir, selonDescartes, Spinoza, Leibniz, la science de l'tre vritable, pour qu'elle repost sur un rocinbranlable , il en rsulte que les nouveaux dogmatismes, construits par la raison avec lesecours de l'exprience scientifique, ne sauraient inspirer plus de confiance, selon Hume, queceux o la raison s'tait aide de la foi et de l'observation vulgaire ou philosophique.

    Hume rveilla Kant du sommeil dogmatique, l'amena chercher son tour quelle est la portede l'esprit humain et la valeur des conceptions mtaphysiques. Kant accepte la dfinition duscepticisme, telle que la donnaient les adversaires de Hume et parfois Hume lui-mme. Il opposeaux dogmatiques les sceptiques, par lesquels il n'entend gure que les acataleptiques. Ilcondamne le dogmatisme, parce qu'il est une confiance aveugle en la facult qu'aurait la raison des'tendre priori sans critique, par pures notions et uniquement pour obtenir un succs apparent.Il condamne le scepticisme, parce qu'il renonce toute connaissance affirmative et paralyse tousnos efforts pour acqurir la connaissance du certain. Au scepticisme, il prtend substituer lamthode critique, en distinguant les phnomnes des choses en soi, en montrant les paralogismesde la raison pure, les antinomies des ides cosmologiques, en tablissant que. la raisonspculative est impuissante dmontrer l'existence d'un tre suprme. Mais suspendre son

    jugement sur l'me, le monde et Dieu, affirmer les phnomnes sans croire qu'on puisse par euxatteindre les noumnes, n'est reproduire, sans s'en douter peut-tre, les doctrines de Pyrrhon,d'Ensidme et de Sextus, c'est tre sceptique air sens antique du mot. Toutefois, Kant se

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    distingue des sceptiques. D'abord, il est dj, dans la Critique de la raison pure, soucieux deprparer une mtaphysique fonde sur la morale. Sans doute, Kant y prsente les argumentsacataleptiques dans toute leur ampleur, mais il a grand soin de donner une force gale ceux desdogmatiques, et il apparat surfont proccup d'tablir l'impuissance de la raison dans la ngationmtaphysique, certain d'avance que tous ceux dont on dit qu'ils renversent par leurs arguments la libert,

    l'immortalit et l'existence de Dieu n'ont rien dtruit de tout cela .C'est que Kant, donnant comme les sceptiques une grande importance la pratique, et soucieux,comme Descartes, surtout comme Voltaire et Rousseau, de conserver les affirmations essentiellesdu christianisme, distingue la science et la croyance : l'enchanement des phnomnes, dontrendent compte les formes a priori de la sensibilit et les catgories de l'entendement, se trouvenettement expliqu par l'tude du sujet, comme il est trouv et justifi par l'observation etl'induction appliques la nature. Du mme coup, il est impossible de confondre la science

    positive et la mtaphysique, d'admettre que la certitude laquelle arrive la premire puisse treatteinte par la seconde. Mais si la mtaphysique doit renoncer au langage do la science, elle peutemployer celui d'une foi solide, qu'autorise la raison la plus svre ; elle peut, sinon parler detous les noumnes ou choses en soi, au moins croire, en partant de la loi morale, dont la raison

    pratique tablit l'existence et le contenu, la libert de la volont humaine, une vie future, unDieu.Il y a de nombreuses analogies entre le positivisme d'Auguste Comte, le scepticisme ancien, lesdoctrines de Hume et de Kant. Comte tudie les phnomnes pour en dterminer les liaisonsnaturelles, pour rsumer en lois plus gnrales celles auxquelles arrivent les sciences

    particulires; il tire de ces lois toutes les consquences qui peuvent servir la vie pratique etmorale. Sur la partie suspensive ou mtaphysique, les positivistes ont vari d'opinion. Ainsi A.Comte a construit lui-mme une mtaphysique et une religion, Littr a dit de ce qui est au del dusavoir positif, qu'il est inaccessible l'esprit humain, ce qui ne signifie ni nul ni non existant : C'est un ocan qui vient battre notre rive et pour lequel nous n'avons ni barque ni voile, mais

    dont la claire vision est aussi salutaire que formidable .D'autres prtendent supprimer les questions que la science ne peut rsoudre et, fidles ce que lematre appelait la loi des trois tats, considrent comme galement vaines, dans une priode

    positive, les spculations thologiques ou mtaphysiques. Il en est enfin qui ont essay dersoudre les problmes mtaphysiques et qui se sont rattachs des systmes matrialistes ou

    panthistes.En somme, nulle doctrine n'a, plus que le scepticisme, contribu amener et faire accepter ladistinction du subjectif et de l'objectif, de la science et de la mtaphysique; nulle n'a insist plusfortement sur la ncessit de donner son adhsion aux phnomnes, de les tudier en eux-mmeset dans leur enchanement, pour rgler d'une faon plus pratique et plus sure la vie individuelle etsociale. En ce sens, les savants, physiciens et naturalistes, psychologues et historiens, sont les

    continuateurs et les hritiers des sceptiques, qu'ils ont heureusement et dfinitivement remplacs.A cette partie positive, qui est devenue le patrimoine commun des philosophes aussi bien que dessavants, se sont jointes, d'une faon essentielle, l'poque et l'aphasie, l'ataraxie et la mtriopathie,qui n'ont plus de place que dans l'histoire de la philosophie. La partie suspensive oumtaphysique du scepticisme s'est complte par une exposition fort exacte et par une critiqueincisive et pntrante des systmes; elle a du s'appuyer sur une connaissance aussi prcise que

    possible des philosophies dogmatiques et acataleptiques. La lecture et l'tude des sceptiquesanciens et modernes, en particulier de Sextus Empiricus et de Bayle, demeurent indispensables

    pour l'historien des ides. Le scepticisme a t l'auxiliaire, L'adversaire des dogmes religieux; il aabouti, en y introduisant la suspension du jugement, la tolrance, dont la notion, comme celledu progrs scientifique, rendant possibles le progrs matriel par la domination de l'humain sur la

    nature, le progrs moral et social, par la diminution de la misre et de l'ignorance, restent des plusimportantes pour le monde moderne. Enfin le scepticisme fut uni avec des mtaphysiques, totalesou partielles, fondes sur la probabilit et la croyance. De ces tentatives comme de la constitution

  • 7/29/2019 Le Scepticisme

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    des sciences positives, il reste des indications prcieuses pour celui qui pense explorer ledomaine du savoir, enjoignant la philosophie des sciences et la mtaphysique l'tude desmathmatiques,des sciences physiques, naturelles et morales, en rassemblant et en classant, pourtoutes les parties de ce domaine, les certitudes, les vraisemblances et les probabilits, leshypothses et les conjectures. (Franois Picavet).