Le Savoir Et Le Rapport Au Savoir de l Enseignant Quelle Difference 2012 Uer Agirs Hep Vaud

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1 / 17 L E SAVOIR ET LE RAPPORT AU SAVOIR DE L ENSEIGNANT : QUELLE DIFFERENCE DANS LES PRATIQUES PEDAGOGIQUES ? Valérie Vincent 1 , Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation [email protected] Résumé Dans le cadre d’une recherche doctorale en cours, sur l’influence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pédagogiques, cette contribution s’attache essentiellement à une première étape d’analyse, consistant en la comparaison des schèmes de pratique de trois enseignants primaires genevois, lorsqu’ils enseignent la préhistoire. Nous analyserons et tenterons de catégoriser les régularités et variations de ces schèmes, dans l’optique d’y dégager, pour la suite du travail doctoral, des signes du rapport au savoir des enseignants observés. Mots-clés : RAPPORT AU SAVOIR DE L’ENSEIGNANT – SCHEMES DE PRATIQUE – HABITUS – SAVOIRS – ENSEIGNEMENT DE LA PREHISTOIRE 1 INTRODUCTION Si notre projet était de montrer en quoi la différence entre le savoir et le rapport au savoir d’un enseignant était significative de ses pratiques, nous ne présenterons ici qu’une première étape pour répondre à cette question. En effet, si le rapport au savoir est susceptible d’influencer les pratiques pédagogiques, comme les connaissances d’ailleurs (Clivaz, 2011), alors il est crucial d’analyser d’abord ces pratiques avant ce qui les gouverne. C’est le projet de cette contribution : comment déceler les signes du rapport au savoir de l’enseignant dans les pratiques ? Plus exactement, qu’est-ce qui se joue dans l’interaction didactique et pédagogique et qui relèverait du rapport au savoir de l’enseignant ? En se basant sur les données d’une thèse de doctorat en cours, portant sur l’influence du rapport au savoir de l’enseignant primaire sur ses pratiques d’enseignement de la préhistoire, notre contribution cherchera à répondre à cette question de manière empirique et théorique. 2 CADRE THEORIQUE POUR LE COLLOQUE Nous envisageons a priori le rapport au savoir comme « l’ensemble (organisé) des relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de “l’apprendre“ et du savoir” » (Charlot, 1997, p.94). Cependant, certaines recherches ont utilisé ce concept sociologique et anthropologique pour analyser le rapport au savoir de l’enseignant dans une discipline de référence donnée, et son impact sur ses pratiques didactiques, en mathématiques ou en physique par exemple (Berdot, Blanchard-Laville & Bronner, 2000 ; Calmettes & Carnus, 2008 ; Venturini & Capiello, 2009). Elles ont ainsi reformulé le concept et l’ont défini comme un rapport à des savoirs mathématiques ou à des savoirs en physique. La plupart de ces recherches ont cherché et analysé le rapport au savoir des enseignants à partir d’entretiens et/ou d’entretiens d’autoconfrontation. L’originalité de notre approche pour cet article sera dans la recherche du rapport au savoir par l’observation et par l’analyse de pratiques d’enseignement de la préhistoire, car l’hypothèse centrale de notre travail de thèse est que le rapport au savoir de l’enseignant est une des

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    LE SAVOIR ET LE RAPPORT AU SAVOIR DE LENSEIGNANT : QUELLE DIFFERENCE DANS LES PRATIQUES PEDAGOGIQUES ?

    Valrie Vincent1, Universit de Genve, Facult de psychologie et des sciences de lducation

    [email protected] Rsum Dans le cadre dune recherche doctorale en cours, sur linfluence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pdagogiques, cette contribution sattache essentiellement une premire tape danalyse, consistant en la comparaison des schmes de pratique de trois enseignants primaires genevois, lorsquils enseignent la prhistoire. Nous analyserons et tenterons de catgoriser les rgularits et variations de ces schmes, dans loptique dy dgager, pour la suite du travail doctoral, des signes du rapport au savoir des enseignants observs.

    Mots-cls : RAPPORT AU SAVOIR DE LENSEIGNANT SCHEMES DE PRATIQUE HABITUS SAVOIRS ENSEIGNEMENT DE LA PREHISTOIRE

    1 INTRODUCTION Si notre projet tait de montrer en quoi la diffrence entre le savoir et le rapport au savoir dun enseignant tait significative de ses pratiques, nous ne prsenterons ici quune premire tape pour rpondre cette question. En effet, si le rapport au savoir est susceptible dinfluencer les pratiques pdagogiques, comme les connaissances dailleurs (Clivaz, 2011), alors il est crucial danalyser dabord ces pratiques avant ce qui les gouverne. Cest le projet de cette contribution : comment dceler les signes du rapport au savoir de lenseignant dans les pratiques ? Plus exactement, quest-ce qui se joue dans linteraction didactique et pdagogique et qui relverait du rapport au savoir de lenseignant ? En se basant sur les donnes dune thse de doctorat en cours, portant sur linfluence du rapport au savoir de lenseignant primaire sur ses pratiques denseignement de la prhistoire, notre contribution cherchera rpondre cette question de manire empirique et thorique. 2 CADRE THEORIQUE POUR LE COLLOQUE Nous envisageons a priori le rapport au savoir comme lensemble (organis) des relations quun sujet entretient avec tout ce qui relve de lapprendre et du savoir (Charlot, 1997, p.94). Cependant, certaines recherches ont utilis ce concept sociologique et anthropologique pour analyser le rapport au savoir de lenseignant dans une discipline de rfrence donne, et son impact sur ses pratiques didactiques, en mathmatiques ou en physique par exemple (Berdot, Blanchard-Laville & Bronner, 2000 ; Calmettes & Carnus, 2008 ; Venturini & Capiello, 2009). Elles ont ainsi reformul le concept et lont dfini comme un rapport des savoirs mathmatiques ou des savoirs en physique. La plupart de ces recherches ont cherch et analys le rapport au savoir des enseignants partir dentretiens et/ou dentretiens dautoconfrontation. Loriginalit de notre approche pour cet article sera dans la recherche du rapport au savoir par lobservation et par lanalyse de pratiques denseignement de la prhistoire, car lhypothse centrale de notre travail de thse est que le rapport au savoir de lenseignant est une des

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    variables explicatives de la mise en scne du savoir et de son organisation en situation de classe (Perrenoud, 1986 ; Vincent, 2010, 2012). Lanalyse des pratiques denseignement suppose un cadre conceptuel particulier. Le ntre part de lide que les pratiques, la suite de Bourdieu (1980, 1994) et de Perrenoud (1986, 1996), sont des ensembles de prises de positions observables dans des situations et sont engendres par lhabitus : Produit de lhistoire, lhabitus produit des pratiques individuelles et collectives () ; il assure la prsence active des expriences passes qui, dposes en chaque organisme sous la forme de schmes de perception, de pense et daction, tendent, plus srement que toutes les rgles formelles et toutes les normes explicites, garantir la conformit des pratiques et de leur constance travers le temps (Bourdieu, 1980, p.91). En tant que systme de dispositions durables et transposables (op.cit., p.88), nous considrons le rapport au savoir justement comme une de ces dispositions, un rapport, une posture envers le savoir. Notre hypothse est que lhabitus et les rapports au monde qui le constituent peuvent peut-tre se dceler par lanalyse des pratiques et plus particulirement, par celle des rgularits et variations des schmes daction et de perception mobiliss en situation dinteraction en classe. Parmi les prises de position observables en classe et susceptibles de rvler le rapport au savoir des enseignants, nous pouvons cibler : (1) les savoirs formuls et valids par lenseignant. Ces savoirs formuls et valids se reprent pour nous selon des propositions syntaxiques thme-prdicat , formules explicitement ou implicitement dans le discours travers linteraction enseignant-lves et qui donnent ( travers le prdicat) un savoir sur un thme, par exemple : La Terre (thme) est ronde (prdicat). Ainsi par rapport lenseignement de la prhistoire, ciblerons-nous plutt dans lanalyse des donnes des savoirs palontologiques, la palontologie tant vue ici comme la discipline scientifique fdrant lensemble des disciplines soccupant de la naissance et de lvolution de la Terre et des tres vivants qui lhabitent. ; (2) les processus de formulation et de validation de ces savoirs, cest--dire les schmes des manires de formuler et de valider les savoirs. A la suite de Maulini (2004), nous considrons par exemple les schmes de questionnement et de formulation et validation des savoirs comme le reflet du rapport au savoir de lenseignant, parce que ces schmes montrent les jeux de pouvoir et de savoirs que jouent lenseignant et les lves au sein dune interaction. Mais nous verrons surtout que cest dans la dialectique rgularit et/ou variations des schmes que se joue peut-tre le rapport au savoir. Pour cette contribution, nous considrerons lunit dinteraction de base pour produire un savoir ainsi : une Initiative (I) dabord (une question) laquelle rplique une Raction (R) (une rponse) et un Feed back (F) (validation de la rponse). Ce modle schmatique structurera lanalyse des donnes (Kebrat-Orecchionni, 1991 ; Maulini, op.cit.). 3 METHODOLOGIE Laxe principal de la mthodologie de thse, qualitative, prend appui sur des observations filmes de trois enseignants primaires genevois, lorsquils enseignent la prhistoire (Blanchet, 1987) et sur des entretiens dautoconfrontation (Mollo & Falzon, 2004).

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    Pour cette contribution, travers une focale socio-pdagogique, nous procderons par thorisation ancre, donc par catgorisation croise et inductive des rgularits et des variations dans les prises de position des enseignants (Bourdieu, 1980 ; Glaser & Strauss, 2010 ; Maulini, 2004, 2012 ; Perrenoud, 1996). A curriculum prescrit gal - par exemple, lenseignement du concept de prhistoire aux lves - nous prsenterons une comparaison des prises de positions des trois enseignants dans les situations observes, en tablissant : (1) les savoirs palontologiques quils enseignent (ou non) dans ces moments-l ; (2) leurs manires de les apprter (manires de poser ou pas des questions, de rpondre ou pas celles des lves, dinstituer et de distribuer le pouvoir de savoir ou dignorer dans la classe, etc.). A ce titre, nous avons choisi danalyser la premire squence denseignement de la prhistoire chez les trois enseignants, moment qui nous a paru opportun pour observer comment le concept de prhistoire a t prsent aux lves.

    1.1 Prsentation des trois enseignants observs et contexte Tableau 1 - Prsentation des enseignants observs et contexte

    Toni Jean Alice ge/annes denseignement en 2009-2010

    55/25 45/7 31/6

    Formation pdagogique Etudes pdagogiques Universit de Genve, Facult de psychologie et des sciences de lducation, Licence mention Enseignement

    Universit de Genve, Facult de psychologie et des sciences de lducation, Licence mention Enseignement

    Contexte socio-conomique du quartier de lcole

    Populaire Moyen-ais Populaire

    Organisation physique de la classe/ Posture gnrale de lenseignant face aux lves

    Pupitres lves en colonnes par duos/ devant la classe une table, dos au tableau noir (TN)

    Pupitres lves par groupes de 4/ devant la classe une table, dos au tableau noir (TN)

    Pupitres lves en grand U/devant la classe une table, dos au tableau noir (TN)

    Degr de la classe/ge des lves

    Anciennement 4me primaire, actuellement, 6P Harmos/9-10 ans

    Anciennement 4me primaire, actuellement, 6P Harmos/9-10 ans

    Anciennement 4me primaire, actuellement, 6P Harmos (CIIP, 2010)/9-10 ans

    Exprience de lenseignement de la prhistoire

    oui non non

    Priode denseignement de la prhistoire dans lanne1

    Milieu danne : novembre 09-janvier 10

    2me partie de lanne : mars-juin 10

    1re partie de lanne : octobre 09-janvier 10

    Organisation effective gnrale de la 1re squence denseignement de la prhistoire observe

    1) Recherche des reprsentations des lves sur la prhistoire.

    2) Partage des rponses 3) Lecture dun passage du

    roman historique La

    1) Recherche de reprsentations des lves sur la prhistoire

    2) Partage des rponses

    1) Recherche de reprsentations des lves sur la prhistoire

    2) Partage des

    1 Le programme dhistoire de lpoque (Dpartement de linstruction Publique, 2007) imposait pour ce degr denseigner la prhistoire et lAntiquit : charge lenseignant den dcider le moment et le temps denseignement.

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    Temps total

    Guerre du Feu (Rosny, 1911)

    4) Chaque lve reoit un petit texte de la mthodologie dont il faut prparer la lecture haute voix. (activit arrte)

    5) Lecture de La Guerre du Feu 62

    3) Collage des 1res vignettes fournies par la mthodologie2, lecture et discussion.

    82

    rponses

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    4 ANALYSE DES DOUZE PREMIERES MINUTES DE LA SEQUENCE :

    REGULARITES ET VARIATIONS DE SCHEMES Nous nous focaliserons sur les deux premires tapes de la squence de chacun des enseignants, et plus exactement sur les douze premires minutes. Nous le ferons non seulement pour respecter les limites de cet article, mais galement pour cerner de manire fine certaines variations de pratiques entre les trois enseignants encore non analyses ce jour.3

    1.2 Rgularit : lentre par les reprsentations des lves Au regard du tableau 1 et de lorganisation effective de la 1re squence denseignement, nous constatons que les trois enseignants procdent dabord tous par une recherche des reprsentations des lves sur la prhistoire et ensuite par un partage des rponses. Nous observons ainsi une pratique commune, quAlice ou Jean, par exemple, disent utiliser dans dautres disciplines, dont ils ont lhabitude et quils tirent de la formation quils ont suivie lUniversit (1998-2002). Un des cours y proposait justement dentrer dans les thmatiques scientifiques par les reprsentations des lves, selon le schma pdagogique suivant : question de dpart de lenseignant ; formulation dhypothses par les lves, lenseignant restant neutre face ces premires rponses ; confrontation des premires hypothses avec le rel par des exprimentations ; constats (Giordan, 1978)4. Lentre commune et rgulire par les reprsentations des lves sur une thmatique semble suffisamment significative pour que lon puisse dire quelle relve dun habitus commun aux 2 Dossier divis en plusieurs chapitres contenant des fiches dexercices pour les lves et leurs corrigs pour les enseignants. Les vignettes que les enseignants utilisent ds cette premire squence sont des petits textes illustrs et vulgariss concernant chacun une grande tape de lvolution. (Secteur de lenvironnement, Enseignement primaire, chapitre I : De la naissance de lUnivers lHomme 1998/2001, pp. 1-2). 3 Par exemple, la lecture de La Guerre du feu (Rosny, 1911) par Toni et sa pratique particulire ont dj fait lobjet dune analyse dans un autre article publi (Vincent, juin 2012). 4La problmatique de lenseignement de la prhistoire notamment par la dmarche exprimentale proposes par Giordan, sera amplement analyse dans la thse de doctorat.

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    trois sujets-enseignants, soit dun systme de schmes probablement construits durant leur formation et/ou travers dautres expriences dvelopps dans les entretiens. Cependant, lobservation et lanalyse de la manire dont ces schmes rguliers se manifestent dans la pratique chez chacun des enseignants, nous avons constat des variations notoires.

    1.3 Variation 1 : la sollicitation des ressources de conceptualisation des lves

    Dans un souci de catgorisation de ce que nous observions la camra, nous avons nomm la recherche de reprsentations des lves sur la prhistoire sous lintitul de schme de sollicitation des lves de leurs ressources de conceptualisation de la prhistoire et/ou de lvolution. Lide de sollicitation rejoint celle de la question, de linitiative de lenseignant (Maulini, 2004) inscrite dans le schme. Nous nommons ressources de conceptualisation lensemble des reprsentations, des images, des concepts que possderaient (ou pas) les lves propos de la prhistoire, leur rapport cette thmatique en somme, et que les enseignants sollicitent. Enfin, nous parlons de conceptualisation de la prhistoire et/ou de lvolution, car la question de dpart de Jean par exemple, ne semble pas tre consacre la prhistoire humaine, mais plutt lvolution de la Terre et des tres vivants quelle regroupe.

    Tableau 2 Comparaison des pratiques relles ltape 1 Toni Jean Alice Etape 1 Schme de sollicitation des lves de leurs ressources de conceptualisation de la prhistoire et/ou de lvolution

    Question : Quelles sont les choses lies la prhistoire ou qui en font partie ? Rponse (implicitement) attendue : La prhistoire est lie

    Question : Que reprsente et quoi vous fait penser ce schma ? Rponse (implicitement) attendue : Le schma reprsente

    Question : Cest quoi la prhistoire pour moi ? Rponse (implicitement) attendue : La prhistoire cest

    Support Dessin dun schma elliptique au tableau noir avec ramifications copier dans son cahier et complter

    Chaque lve reoit un schma sur feuille A4 nomm la Spirale des temps gologiques 5.

    Chaque lve reoit un document contenant 2 sollicitations complter par crit et/ou par le dessin : 1. Pour moi, la

    prhistoire cest 2. Ce que jaimerais

    savoir/mes questions sur la prhistoire :

    Type de conceptualisation attendu

    Concept en extension Concept en extension, puis en comprhension la 6me minute

    Concept en comprhension

    Si le schme de sollicitation est rgulier et commun, il en va autrement de la question pose dans la pratique, du support utilis pour la lancer et donc, de la rponse implicitement attendue et ainsi, des savoirs qui seront finalement formuls et valids. 5 Schma reprsentant une ligne du temps allant de la formation de la Terre aujourdhui, issu de la mthodologie (Secteur de lenvironnement, Enseignement primaire, 1998/2001, p.14).

    La prhistoire

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    En effet, en posant cette question : Quelles sont les choses lies la prhistoire ou qui en font partie , sous la forme dun schma elliptique complter, Toni cherche ce que les lves conceptualisent la prhistoire de manire extensive, ou en extension la suite de Lalande (1927/2006). Cest--dire que les rponses quil validera en rponse cette question seront du type : La prhistoire est lie telle ou telle chose, ide, concept. On peut faire lhypothse que, pour Toni, le savoir sur la prhistoire se construit par lide du lien . A la manire dun chercheur construisant son schma conceptuel, le concept-clef est situ au milieu et les autres concepts lui sont relis par des ramifications. Il en va tout autrement dAlice par exemple, qui cherche plutt ce que les lves conceptualisent la prhistoire de manire comprhensive ou en comprhension (op.cit.), cest--dire quils construisent une dfinition plutt synthtique de la prhistoire, en tchant de rpondre la question : Cest quoi pour moi la prhistoire ? . En crivant ou en dessinant ce quest la prhistoire pour eux, ils construiront communment, surtout dans ltape 2, une dfinition commune de la prhistoire, du type : la prhistoire cest telle(s) ou telle(s) ide(s), concept(s).

    Enfin, la pratique de Jean est plus complexe, car comme nous le verrons, il cherche dabord (et probablement inconsciemment) ce que les lves se construisent une ide en extension de lvolution de la Terre et de ses tres vivants, partir du schma de la spirale des temps gologiques . En effet, avec sa question : Que reprsente et quoi vous fait penser ce schma ? , le lien avec la prhistoire est pour lui implicite : il crira dailleurs le mot au tableau au dbut de ltape 2, sans jamais le prononcer. Il passera ensuite une sollicitation des ressources de conceptualisation en comprhension (comme Alice, dans ltape 2) et posera des questions de dfinition sur dautres sujets scientifiques. Ces variations nous ont sembles importantes cerner, car elles nous renseignent peut-tre sur les diffrentes manires de solliciter des ressources de conceptualisation de la prhistoire chez les lves. Leurs suggestions dpendent du contenu de la question pose, de la conceptualisation quelle invite faire et des rponses quelle attend implicitement.

    1.4 Variation 2 : les schmes de formulation et de validation des savoirs Dans les douze premires minutes, Toni et Jean ont entam ltape 2 qui consistait partager les rponses donnes par les lves la question de base. Alice, qui demandait plus dcrit, est passe ltape 2 la 17e minute. Pour mieux comparer cette pratique commune aux trois enseignants, nous avons toutefois aussi mentionn dans le tableau 3 (ci-dessous) ce quAlice y a fait. Le fait quelle passe beaucoup plus de temps que les autres sur ltape 1 pourrait tre plus profondment analys. Cependant, notre propos sera davantage focalis sur les manires quont eues chacun des enseignants de formuler et de valider les savoirs rpondant leur question initiale, mme si ces pratiques ne se sont pas droules dans les douze premires minutes pour les trois personnes.

    Ainsi, le tableau 3 nous prsente dabord une comparaison des savoirs produits entre les trois enseignants. Une dernire partie analytique sera ensuite consacre la variation des schmes de formulation et de validation de certains savoirs surligns en orange dans le tableau.

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    Tableau 3 Comparaison des pratiques ltape 2

    Toni Jean Alice Systme de partage des rponses

    Par oral par tour de classe Par oral et par appel alatoire dlve, note de termes au TN

    Par oral par tour de classe, note de toutes les rponses sur une grande feuille au TN.

    Savoirs formuls et valids rpondant la question de sollicitation En orange, savoirs choisis pour la focale sur leur processus de production (voir chapitre 4.5)

    La prhistoire est lie :

    - des choses vues la tlvision ou sur internet

    - au livre La Guerre du Feu (Rosny, 1911)

    - au silex - aux lames en pierre - aux flches, aux

    armes - aux outils - des rcipients - aux mammouths - aux hommes

    prhistoriques - au papier de verre

    en pierre utilis comme lime pour enlever les poils [des peaux de btes]

    - ladjectif prhistorique

    - aux soldats - aux dinosaures - la pierre pointue

    pour couper la viande

    - la dent de sabre - lhomo sapiens

    qui est le nom des hommes prhistoriques

    - aux libellules gantes

    Le schma reprsente :

    - la remonte du temps

    - la plante en premier qui ntait rien du tout, une volution lente

    - lvolution - la prsence

    possible dtoiles de mer au tout dbut

    - la prsence dalgues dabord

    - les dinosaures ensuite

    - lHomme la fin [en haut]

    - le dpart de la plante Terre [tout en bas]

    - une spirale - la spirale des

    temps gologiques

    - une volution du plus petit au plus grand

    - les algues, les premiers tres vivants

    - la formation de la terre [en bas]

    La prhistoire cest : Rien pendant les 12 premires minutes Lors des 15 premires minutes, les lves se sont employs rpondre aux questions du document par crit ou par le dessin. Pendant ce temps, Alice a rpt plusieurs fois la consigne individuellement certains lves. ------------------------------ Le partage des rponses a dbut la 17me minute. Savoirs formuls et valids rpondant la question de sollicitation : La prhistoire cest :

    - lpoque des dinosaures - lhomme des cavernes - le pass - le pass lointain - les mammouths - les carnivores et les

    vgtariens - une poque - une histoire qui sest dj

    passe - les volcans - raconter des histoires quil

    faut lire - comme un conte - une ancienne poque - lhistoire antique - des histoires danimaux, de

    fleurs et de fruits. Synthse collective avec discussion (inaudible cause de problmes techniques) sur ce qui reprsenterait le plus la prhistoire dans la liste ci-dessus :

    - lpoque des dinosaures - les hommes des cavernes - les mammouths - les carnivores et vgtariens - les volcans - une histoire dj passe - une ancienne poque (lie

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    Si lon compare strictement les savoirs formuls et valids en rponse la question initiale de chacun des enseignants, nous constatons a priori que les trois praticiens gardent leur intention de sollicitation des ressources de conceptualisation des lves propos de prhistoire et/ou de lvolution au moins durant les douze premires minutes.

    Plus prcisment, pendant les douze premires minutes, il est vrai quAlice ne formulera ni ne validera aucun savoir rpondant sa question initiale : mais il ne sagit que dune question de temps, car elle gardera son intention de sollicitation jusqu la fin de sa squence, en terminant son enseignement par une synthse collective institutionnalisant dune certaine manire ce quest la prhistoire pour la classe. Jean par contre, ds la 6e minute, a opr une lgre dviation de son questionnement initial, en posant des questions appelant plutt des savoirs de type gologique, astronomique et palontologique. Mme dans le reste de sa squence, Jean ne validera plus expressment ce que reprsente le schma de la spirale ; le lien restera implicite. Pendant les douze premires minutes, Toni formule plus des savoirs de type instrumentaux propos de son schma et insiste de manire rpte sur limportance de lcoute de la parole de lautre. Alice nenseigne quant elle pas de savoirs palontologiques, mais transmet des savoirs que nous avons qualifis de mta- qui expliquent ce quelle dit ou fait. Dans les consignes quelle rptera dailleurs un grand nombre de fois, elle insiste sur le pour moi

    aux ides de pass, pass lointain, poque ).

    Savoirs dautres natures

    Savoirs instrumentaux, par exemple : - le schma

    [elliptique] est un moyen de jeter rapidement sur le papier tout ce que lon sait sur un certain domaine

    - le schma est personnel

    Savoirs sociaux : - couter lautre est respectueux

    Savoirs astronomiques et gologiques, par exemple :

    - La Terre sest forme lors du Big Bang

    - Le Big Bang a form lunivers

    - Lunivers est fait de lespace, des plantes et du soleil

    - Le soleil nest pas une plante, mais une toile

    - Les plantes et les toiles envoient de la lumire, elles brillent

    - Les plantes Saturne, Mars, Neptune, Venus, Pluton et le soleil forment notre systme solaire

    -

    Savoirs mta-pdagogiques, par exemple : - les questions du document

    sont des questions de rflexion

    Savoirs linguistiques la demande de certains lves : - orthographe de certains mots

    (pass ; hommes des cavernes ; lointain)

    Savoirs mta-scolaires : - les lves sont lcole pour

    apprendre - si les lves savaient tout, les

    enseignants nauraient rien faire

    Savoirs sur le savoir : - Il est difficile de savoir ce quon ne sait pas

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    de sa question initiale, tentant ainsi de montrer aux lves quils doivent oprer une certaine introspection pour exprimer leurs reprsentations. Dans les limites de cet article, nous devons renvoyer la thse en cours lanalyse plus fine de ces variations. Elles mriteraient une attention particulire, parce quelles montrent une originalit et une insistance, donc limportance et lintrt que chacun des enseignants donne certains savoirs : voici peut-tre des signes de leur rapport au savoir.

    En effet, si les variations de contenus sont importantes, la variation des processus de production de ces contenus des systmes de schmes de production, bref du comment est formul et valid le quoi , nous parat elle aussi cruciale pour saisir le rapport au savoir qui sexprime dans les pratiques. Cest la raison pour laquelle nous avons choisi de cibler en orange, dans la liste du tableau 3, les savoirs dont nous allons analyser les processus de production dans la partie suivante.

    1.5 Focalisation sur certains savoirs Comment se joue la formulation et la validation dun savoir ? Nous avons vu que lenseignement dun savoir suppose explicitement ou implicitement une question. Nous avons vu aussi que cette question, que nous avons appele initiale, variait selon les enseignants et ne produisait pas les mmes savoirs larrive. Si les trois enseignants fonctionnent communment selon lunit danalyse IRF (Initiative, question Raction, rponse Feed back, formulation et validation de la rponse) que nous avons tablie au chapitre 2, comment cette squence se droule-t-elle plus exactement en pratique ? Voici des exemples dinteractions observes en classe, o chaque enseignant sest engag sa manire formuler et valider un savoir. Nous communiquons les premires analyses de rsultats. Cette dernire partie est encore particulirement en travail et nous proposons quelle soit justement discute lors de notre atelier au colloque, ce qui nous amnera laffiner par la suite.

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    Toni La prhistoire est lie aux outils El 86 : des outils(R) T : oui tu as aussi un outil particulier ? FE + IE /Schme de validation explicite, direct. Schme de demande de prcision de la rponse El 8 : [en parlant doucement] Heuh, je ne sais pas vraiment comment il sappelle (R) T : pardon ? FE questionneur - IE /Schme dinvalidation implicite, direct, schme de demande de rptition et de clart El 8 : jai oubli comment il sappelle (R) T : Hein hein, tu as une certaine culture l-dessus, mais tu as oubli. Si tu savais le nombre de choses que joublie ! [sourire] Vas-y ! [] FE/ Schme de formulation et validation explicite, direct, de signification de lignorance et de sn autorisation. Lappelation : schme de formulation et de validation explicite signifie que lenseignant formule et valide ou invalide explicitement une rponse dans son discours. Lorsquil le fait implicitement, cela veut dire que son interlocuteur comprend implicitement que sa rponse est valide ou non. Si le schme est direct, cela signifie que lenseignant formule et valide directement la rponse, sil est indirect, cest quil sappuie sur la validation dun tier. Toni valide dabord le fait que les outils font partie de la prhistoire. Mais sa nouvelle question, appelant un outil particulier , llve (ne sachant pas rpondre ds ce moment-l) rpond dabord trs doucement quil ne sait pas. Toni ne comprenant pas la rponse, il demande sa reformulation en disant pardon ? . Il est intressant de noter que llve ne rpte pas exactement la mme chose passant du je ne sais pas au jai oubli , moins risqu du point de vue de lestime de soi que le fait de ne pas savoir rpondre la question de Toni. Celui-ci a-t-il senti sa peur, sa gne, sa honte de ne pas savoir lorsquil dit : Hein hein, tu as une certaine culture l-dessus, mais tu as oubli. Si tu savais le nombre de choses que joublie ! [sourire] Vas-y ! [] ? Cest une des questions que nous nous sommes pose pour 6 El 1, 2, 3 = un lve en particulier ; T = Toni ; J = Jean ; A = Alice ; Els = plusieurs lves en mme temps ; [] = lments du contexte et/ou gestes, expressions corporels

    En bleu : IE, RE, FE : Initiative enseignant- Raction enseignant- Feed-back enseignant / focale sur les schmes de formulation et validation de lenseignant et essai de caractrisation hypothtique de ces schmes Entre parenthses (I, R, F) : Iniatives lve(s)- Raction lve(s) Feed-back lve(s) I Chercheuse (initiatives de la chercheuse)

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    nommer le dernier schme de formulation et validation explicite, direct, de signification de lignorance et de son autorisation. Toni ne valide pas un outil particulier, mais explicitement et directement la dernire rponse de llve qui portait sur le fait quil a oubli. Sur la face analogique de la communication (Watzlawick, Helmick Beavin & Jackson, 1972), lenseignant montre peut-tre llve que lui aussi peut oublier quelque chose et que son oubli et son ignorance nont donc pas dimportance capitale pour lui. La prhistoire est lie aux libellules gantes El 13 : libellules (R) T : pardon ? [na pas entendu] FE - IE El 13 : libellules (R) T : libellules ? Je Jevo.. [fait des gestes interrogateurs avec les mains] FE questionneur/schme dinvalidation implicite, direct. El 14 : les grandes libelllules (R) Els : les libellules gantes [ Toni accueille la rponse avec une expression validante de la tte] (R) El 13 : jai lu dans un livre quelles avaient vcu au temps des dinosaures. (R - schme dargumentation) T : Formidable, alors allons-y pour les libellules gantes ! [] FE /Schme de validation explicite, direct, emphatique, souscripteur (vs instructeur) Face la rponse de lEl 13 libellule , Toni est dubitatif. Il questionne le mot libellules ? et invalide ainsi implicitement la rponse, invitant tout aussi implicitement llve lui montrer en quoi il trouve ces animaux plus lis la prhistoire qu notre poque, puisquils existent encore. En ralit, lEl 14 enrichira la rponse de son camarade, en la prcisant et en donnant le critre grande - Puis un groupe dlves enchanera avec celui de gantes , donnant ainsi encore plus de poids au fait que, puisque les libellules gantes nexistent plus du tout maintenant, elles faisaient forcment partie de la prhistoire. On peut noter, mme si les libellules gantes ont rellement exist, le rapport quelque peu fantastique que peuvent entretenir les enfants et/ou les adultes avec la prhistoire. On sait que les archologues ont particulirement retrouv des restes danimaux plus grands que leurs descendant de la mme espce (mammouths-lphants ; aurochs-taureaux ; dinosaures, etc.) : ces dcouvertes peuvent effectivement amener imaginer qu la prhistoire, les anctres de nos espces animales contemporaines taient forcment plus grandes, gantes , puisquon nen voit plus maintenant (Coquid & Tirard, 2008, Semonsut, n.d.). Dailleurs Toni, validera cette rponse avec un schme que nous avons qualifi dexplicite, direct, emphatique, souscripteur (vs instructeur). Enrichi de la dernire argumentation de lEl 13 : jai lu dans un livre quelles avaient vcu au temps des dinosaures , Toni souscrit finalement explicitement, directement et emphatiquement ( Formidable ! ) la proposition argumente dune grande partie de la classe. Le terme souscripteur (vs instructeur) veut ici montrer que Toni sest ralli la proposition de ses lves ( libellules gantes ), alors quil tait perplexe au dpart. Pour nous, le caractre emphatique et souscripteur montre comme une confiance vis--vis de ce que propose llve, au contraire dune posture plus instructrice qui imposerait ce quil faut penser. Dailleurs, Toni ninstitutionnalisera pas cette proposition, laissant le bnfice du doute aux lves, le temps de vrifier ventuellement.

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    Jean Le schma reprsente une prsence dalgues dabord [ les premiers dessins en bas] El 7 : mais jai une question, mais au tout dbut la premire chose... (I) J : cest--dire la premire chose ?[en fronant les sourcils] RE questionnante - IE El 7 : la premire chose, ces deux petits points, qui sont l, cest quoi ? [parle des deux premiers petits dessins au bas du schma, voir image] (I)

    J : ben je sais pas. [les yeux fixs sur ses documents. Puis, relevant la tte, regard serein]. Quest-ce que a pourrait tre ? RE - IE El 8 : des toiles de mer. (R) J : des toiles de mer, oui pourquoi pas...[appel tout de suite du regard

    un lve] FE /schme de validation explicite, direct, par litote El 8 : une araigne (R) J : une araigne ? Vous pensez vraiment... a tu sais... Cest vrai que a pourrait tre... Mais en gnral les araignes, elles ont combien de pattes ?[prenant une expression soudaine plus svre] FE +IE / schme dinvalidation implicite, directe, questionnant puis schme de validation explicite, direct, souscripteur. Els : 8, 30 ! (R) J : 30, les araignes ? FE/ schme dinvalidation implicite, directe, questionnant Els : 6, 8 ! (R) () J : [sourire de lenseignant] une araigne na pas 30 pattes, El 10, non. FE/schme dinvalidation explicite, direct, humoristique () El 10 : cest des algues [sr de lui] (R) J : a peut tre des algues, quest-ce qui te fait penser que cest des algues ? FE +IE /schme de validation explicite, direct, souscripteur El 10 : ben moi jai vu dans un livre [Jean exprime une validation avec le regard et la tte au mot livre ], que les premiers apparus sur la Terre, cest des algues. (R) J : effectivement [regarde dautres lves, lgrement dstabilis], cest juste. FE /schme de validation explicite, directe, dstabilis. El 10 : parce quil y en a qui ont trouv des fossiles dalgues. (R) J : ... qui ont trouv des fossiles dalgues. Effectivement : la premire chose qui est apparue dur la Terre, aprs quelle se soient formes et bien les premiers tres vivants, entre guillemets, eh bien ctait des algues. FE /schme de validation explicite, direct, instructeur et synthtisant Nous avons ici faire une intrication complexe et plus rare, dans le sens o la question vient dun lve et pas de lenseignant, et o finalement la rponse viendra aussi dun autre lve.

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    Ces deux aspects ne sont pas sans importance du point de vue des jeux de pouvoirs trs subtiles qui se jouent entre les lves et lenseignant pour montrer qui dtient ou pas le savoir. En effet, la squence dinteraction commence par une question dun lve propos des premiers dessins de formes en bas de la spirale. La question de linterprtation de ce que a pourrait bien reprsenter ne porte ici pas que sur la forme, mais plus profondment sur un contenu palontologique : sil sagit des premires formes dessines en bas de la spirale, et que le bas de celle-ci reprsente la formation de la Terre, alors quelles sont les premires choses tre apparues ? A cette question la fois graphique et palontologique, Jean rpondra dabord quil ne sait pas, mais renverra tout de suite la question la classe, la trouvant srement valide et intressante (Maulini, 2004) et entrant ainsi dans le jeu de linteraction. Il reste dabord sur des changes propos des formes dessines qui ne peuvent pas reprsenter des araignes, puisquelles ne possdent pas huit pattes. Cette partie sur les araignes met en vidence le schme dinvalidation implicite, direct, questionnant, puis celui de validation explicite, direct, souscripteur comme nous lavions vu pour Toni : une araigne ? Vous pensez vraiment... a tu sais... Cest vrai que a pourrait tre... A lissue de cette partie de linteraction, Jean valide le fait que ces dessins ne peuvent pas reprsenter des araignes, mais largumentation est reste sur un plan plutt zoologique (nombre de pattes des araignes) que sur le plan palontologique (taient-ce les premiers tre vivants ?). Cest en ralit lEl 10 avec sa proposition dalgues qui va cristalliser la rponse valide la fois dans sa forme et dans son contenu : les premiers petits dessins ont non seulement une forme dalgues, mais sont aussi les premiers tres vivants, selon le livre lu par llve. Aprs lavoir questionn, comme pour reprendre un peu le pouvoir des questions, Jean validera dailleurs ce savoir et, la diffrence notoire de Toni, mobilisera un schme de validation plutt instructeur en reprenant son compte le savoir mis par lEl 10 et en linstitutionnalisant tout de suite, ne laissant pour ainsi dire pas de place une ambigut potentielle, alors que scientifiquement (et graphiquement dailleurs) il pourrait effectivement se discuter Alice La prhistoire cest le pass, le pass lointain El 14 : Le pass(R) A : le pass et tu avais mis quoi encore ? FE schme de formulation et de validation +/- implicite, direct, insatisfait () El 16 : le pass lointain (R) A : le pass lointain, daccord. [lcrit dans la liste, mme sil y a dj le mot pass ]. Lointain, a veut dire quoi lointain ? Intressant. FE + IE schme de formulation et de validation explicite, direct, intrigu. El 16 : cest le pass avant, pas par exemple, hier. (R) A : par rapport El 14 [ sadressant lEl 14 qui a dit le pass], pour toi le pass ctait quand ? Tu parlais du pass quand ? IE El 14 : Ben Hier. (R) A : parce que hier ctait le pass Hier pour toi cest la prhistoire ? IE/ Schme dinvalidation implicite, direct, provocateur. El 14 : (R)

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    A : non cest une question, je pose une question, hein moiCest a que tu voulais dire ? FE /Schme de formulation et de validation mtalinguistique IE El 14 : (R) A : El 14 tu as le droit de dire ouide dire oui ben ctait a que je voulais dire. FE/Schme de formulation et de validation sur ce que llve peut dire ou non El 14 : [son acuqiscement ne se voit pas lcran] A : Daccord ? Toi [sadresant El 16] par contre, cest pas hier, mais cest encore plus avant. Cest a ? IE El 16 : [acquisce en silence] (R) A : Daccord. FE/schme de formulation et de validation explicite indirecte La rponse le pass ne semble pas suffire Alice. Elle est dailleurs intrigue par la rponse de lEl 16 mobilisant ici un schme de formulation et de validation que nous avons caractris dexplicite, direct et intrigu dans le sens o lenseignante valide, tout en questionnant le mot lointain et ladjectivant comme intressant . La question porte ensuite sur la diffrence entre le pass et le pass lointain . A la rponse hier de lEl 14, Alice invalide implicitement, comme lont fait aussi Toni et Jean, en questionnant de manire un peu provocatrice la rponse, avec : Hier pour toi cest la prhistoire ? mobilisant un schme de formulation et dinvalidation implicite, direct, provocateur. La provocation est ici bien sr lgre et pourrait se caractriser par une ruse pdagogique assez typique pour faire ragir les lves sur le caractre bizarre ou faux dune rponse. Dailleurs, face au silence de lEl 14, Alice rvisera un peu sa question : non cest une question, je pose une question, hein moi en mobilisant un schme de formulation et de validation indit, non plus sur ce quest la prhistoire, mais sur sa manire dinterroger que nous avons appel : mtalinguistique. Il sagit peut-tre de rassurer llve en lui expliquant son action tout de suite aprs lavoir provoqu un peu.

    Au silence rpt de lEl 14, il est intressant de voir lvolution des feedback de lenseignante, passant dun souci de bien comprendre la pense de llve : Cest a que tu voulais dire ? un deuxime plus ax sur le droit (et/ou la capacit) dassumer cette pense : El 14 tu as le droit de dire ouide dire oui ben ctait a que je voulais dire. Le feedback dAlice ne porte nouveau plus sur ce quest la prhistoire, mais sur les droits de llve et mme des lves en gnral dans sa classe. Lenseignante transmet ici un savoir plutt social propre ses valeurs, dans les interstices de linteraction, exprimant non seulement quassumer ce que lon dit est un droit, mais aussi une capacit transversale quelle cherche dvelopper implicitement. La prhistoire a raconte des histoires quil faut lire, cest comme un conte El 28 : cest pour apprendre lire et parler franais. (R) A : cest pour apprendre lire et parler franais. Pourquoi tu as mis cela ? FE + IE /Schme de validation implicite, direct, rptiteur. Puis schme questionneur dinvalidation implicite, direct. El 28 : parce que dans le mot prhistoire, il y a le mot histoire. (R)

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    A : tu pensais Ah daccord Tu penses raconter des histoires ! daccord, ok ! FE/ Schme de formulation et de validation explicite, direct, de reformulation de la pense de llve Chercheuse : [afin de noter] a raconte des histoires, a va ? (I chercheuse pour reformulation) A : oui oui, de toute faon, on a dit quon allait tout noter. El 29 ? FE /Schme de formulation et de validation, explicite, indirect, souscripteur. El 29 : (inaudible) A : toi pour toi cest comme un conte ! Alors donc a ira avec a aussi [en parlant des histoires] ! FE/Schme de formulation et de validation explicite, direct, soucripteur A la rponse la prhistoire cest pour apprendre lire et parler franais , Alice cherche nouveau une prcision de la pense de llve en questionnant son affirmation : pourquoi tu as mis cela ? . Lorsquelle dit : tu pensais Ah daccordTu penses raconter des histoires ! Daccord ok , elle valide le lien entre lide du mot histoire contenu dans prhistoire et le fait dapprendre lire et parler franais. Elle le valide plus exactement en reformulant ce que pourrait bien penser llve. Cette manire de faire se retrouvant dj dans lexemple prcdent, on peut faire lhypothse dune posture plutt attentive propos de la pense de llve, posture qui se caractriserait travers un schme de formulation et de validation que nous avons nomm explicite, direct, de reformulation de la pense de llve. Il est aussi intressant de voir que linitiative de la chercheuse (qui note les rponses des lves)7 propose encore une autre reformulation : [La prhistoire] a raconte des histoires pour le meilleur ou pour le pire pourrait-on dire, car finalement, a-t-on suffisamment interrog lEl 28 sur ce quil pense du mot histoire dans la prhistoire ? Nous pouvons voir ici la tension de lenseignant entre un souci dconomie de temps et celui de permettre chaque lve de bien formuler sa pense. A cette initiative dailleurs, Alice rpondra : oui, oui, de toute faon on a dit quon allait tout noter , rponse qui montre une autre tension plutt due au fait qu linstar de la dmarche exprimentale dveloppe par Giordan (op.cit.), elle cherche rcolter toutes les propositions, mme celles qui lui paraissent suspectes a priori, bien quelle ait questionn les plus surprenantes tout de mme. Cest la raison pour laquelle, nous avons nomm le schme mobilis, dans le droit fil de ce que nous observions chez Toni : schme de formulation et de validation explicite, indirecte (car il valide la reformulation de la chercheuse et non de llve), souscripteur, dans le sens o Alice accepte aprs reformulation de lEl 28, delle-mme et de la chercheuse, le savoir propos par llve, sans linstruire comme Jean. De mme, elle acceptera dailleurs que la prhistoire cest comme un conte () , mobilisant le mme schme. 5 CONCLUSION : DES SCHEMES OBSERVABLES AU RAPPORT AU

    SAVOIR Pour chaque enseignant, la somme des schmes de sollicitation des lves de leurs ressources de conceptualisation de la prhistoire et/ou de lvolution et de formulation/validation des savoirs esquisse une figure de lenseignement, une posture sans doute significative du rapport au savoir de chacun. Malheureusement nous navons pas pu traiter cette relation dans cet article. Cependant, nous pouvons proposer quelques pistes dinterprtation, en guise de conclusion. 7 posture dobservation-participation.

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    Bien que lentre par les reprsentations des lves soit certainement un hritage de la formation pdagogique pour lenseignement des sciences, elle est sans doute aussi (et de ce fait mme ?) le reflet de notre manires contemporaine de considrer le savoir et le pouvoir de celui qui dtient ce savoir. Entrer par les reprsentations des lves suppose en effet que lenseignant accepte, du moins en apparence, que les lves aient dj et comme lui des ressources de conceptualisation, des savoirs sur la prhistoire. Cependant, les subtiles variations, dans les schmes de formulation et de validation des savoirs, entre des postures plutt souscriptrices ou instructrices observs chez Toni, Jean et Alice tmoignent peut-tre du fait que dans linteraction IRF, le savoir nest pas valid par nimporte qui ni nimporte comment : comment le rapport au savoir influe-t-il cet aspect ? Aux regards de ces premiers rsultats, il nous a sembl important de diffrencier quelques concepts en guise douverture pour continuer la recherche. Le concept gnrique de rapport au savoir peut senvisager selon deux dimensions : lune telle que la dfinit Charlot (1997) : le rapport au savoir en gnral et lapprendre ; lautre telle que la dfinissent les approches didactiques (Blanchard- Laville & Bronner, 2000 ; Chevallard, 2003, Calmettes & Carnus, 2008 ; Venturini & Capiello, 2009) : le rapport des savoirs relevant de disciplines scientifiques et/ou le rapport ces disciplines-l. Par exemple, nos trois enseignants ont certainement un rapport au savoir et lapprendre en gnral, et un rapport plus spcifique aux savoirs palontologiques. Dun point de vue mthodologique, le rapport au savoir et lapprendre en gnral semble davantage se rvler lobservation des pratiques pdagogiques, par comparaison de schmes tel que nous lavons vu dans ce texte. Le rapport aux savoirs palontologiques, leur intrt pour eux, se dcrypte plutt lors des entretiens dautoconfrontation, o les enseignants voquent leurs valeurs, leur intrt et leur rapport la thmatique de la prhistoire et aux savoirs palontologiques. Ce qui nous amnera certainement encore mieux questionner la diffrence entre les savoirs, les connaissances palontologiques que peut possder une personne et son rapport au savoir 6 REFERENCES Beillerot, J., Blanchard-Laville C. & Mosconi, N. (Ed.) (2000). Formes et formations du rapport au savoir.

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