Le rôle du graphisme dans l'éducation populaire

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1 l’affiche l’éducation populaire. dans Le rôle de

description

Mémoire de première année aux arts décos de strasbourg.

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l’affiche

l’éducationpopulaire.

dans

Le rôle de

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Alain Le Quernec1980

duction

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intro

Alain Le Quernec1980

Débutons ce mémoire par la présentation de l’éducation populaire. D’où viens ce

concept, quel est son histoire et qu’est-il devenu?

duction

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Inventé dans les années 50, l’éducation populaire fut d’abord une direction au

sein de l’éducation nationnale chargé de mettre en place des structures pour l’éducation politique des jeunes adultes. Elles est composé de professionnels du cinéma, de la radio, du théatre, du livre mais aussi d’économistes et d’ethnologues. À cette époque la culture n’était pas réduite aux beaux arts. Le travail critique de la démocratie devenait une responsabilité d’Etat!

Mais rapidement ce grand projet d’éducation populaire est avorté par

son incorporation dans le ministère de la jeunesse est des sports, qui se préocuppe peu de politique.

Attention, si vous vous

contentez de faire de l’instruction

des enfants, vous allez simplement

reproduire une société dont les

inégalités seront désormais basées

sur les savoirs !

“„Marquis de Condorcet, lors de la présentation

de sont plan d’éducation en 1972.

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En 1954 les instructeurs de l’éducation populaire proposent la création d’un

Ministère de la Culture. C’est une chose osé, jusque là il n’y a eu que trois ministère de la Culture dans le monde: un chez Hitler, un chez Mussolini et un chez Staline. Car Ministère de la Culture signifit contrôle de la pensé par l’état. Mais ici le Ministère de la Culture est vu comme une organisation démocratique: un ministère travaillant en permanance la démocratie.

Albert Camus, militant pour la création collective et contre la création

individuelle, est sollicité pour devenir leur ministre.

Mais les choses ne vont pas ainsi. Camus se tue en voiture. En 1958, Charles

De Gaulle prend la tête de la nation et la première préoccupation de la France est alors sa grandeur. Le ministère de la culture, qui devait être un ministère de l’éducation populaire, devient sous la direction d’André Malraux, un ministère des beaux-arts. Malraux se désintéresse vite de son ministère et Emile Jean Biasni en devient le véritable dirigeant. Il renvoit alors la direction de l’éducation populaire au sein du Ministère de la Jeunesse et des Sports.

Dans les années 60 Duhamel reprend les reines ministère, il critique violemment

ce qu’il est devenu: anti-populaire et élististe, réduisant la culture aux beaux-arts et aux expressions artistiques bourgeoises. Mais Duhamel meurt rapidement. Quelques ministères se succèdent dans une orientation proche des idées de l’éducation populaire.

Mais en 1980, Jack Lang devient ministre de la culture. C’est une catastrophe

pour l’éducation populaire. Il transforme les idéaux de la gauche. Le héros socialiste passe de l’ouvrier s’organisant collectivement dans la lutte à l’artiste seul et créant en regardant sont nombril. Les gens se désintéressent de la politique et se tourne vers la culture, dont Jack Lang a compris l’intéret pour le capital.

Son ministère met en avant la notion d’art contemporain. Cela signifie que l’art doit

sans cesse se renouveller, qu’une oeuvre

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aussitôt créé est dépassé par une nouvelle. Cela valorise un des critères du capitalisme qui est l’innovation permanente, la rotation de la marchandise. Le ministère de la culture finance donc l’innovation et la course vers le futur et non la réflexion et l’analyse du présent.

Une autre notion que le ministère encourage est celle de la liberté

d’expression. Avec la liberté d’expression on peut faire croire facilement à la démocratie. La provocation décadente est encouragé en démocratie, contrairement aux régimes totalitaires où elle est réprimé. Mais elle doit rester dans le cadre de l’expression et ne pas s’approcher de l’action, d’où l’intéret d’avoir séparé clairement la culture (devenu synonyme de beaux arts) et la politique.

Ce que finance également le ministère de la culture c’est le rêve du capitaliste:

la création de valeurs sans fabriquer de richesse. Grâce au marché de l’art on peut créer de très grandes valeurs avec un travail humain réduit au minimum.

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Éducation populaire:Le travail de la culture dans la transformation social, politique et économique.

“ „Définition de l’éducation populaire de Franck Lepage.

Historiquement, l’éducation populaire s’enracine dans le projet de démocratie

politique (le pouvoir n’appartient qu’aux citoyens) et dans la démocratie économique (juste répartition des richesses et du pouvoir dans l’entreprise).

En 1945, les résistants et les organisations sociales affirment de diverses manières

que, pour éviter les dérives des États démocratiques de la première moitié du XXe siècle (plus jamais « ça »), il faut “Rendre la culture au peuple et le peuple à la culture.”

Cette phrase contient déjà en germe le futur débat opposant les orientations des

politiques de démocratisation de La Culture (« La Culture pour tous ») à celles qui se revendiquent plus de la démocratie culturelle (« les cultures de tous et par tous »).

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Le sens de l’éducation populaire consiste à chercher sans cesse des voies

originales de lutte contre les oppressions politiques, les exploitations économiques et les assujettissements identitaires qu’une culture dominante marchandisée voudrait nous faire prendre pour un progrès ou pour une évolution inéluctable. En ce sens, l’éducation populaire n’est le monopole d’aucune organisation et on peut parier qu’elle continuera à inventer son histoire et ses chemins hors des sentiers battus. Car la citoyenneté n’est pas suivisme, mais coopération et révolte, intégration et rupture.

C’est ça, l’éducation

populaire ! C’est de travailler des représentations

de l’intérêt général pour en

faire ressortir les contradictions.

“„

Franck Lepage

On est dans l’éducation populaire quand il est moins question d’amener les gens à

la culture que de favoriser l’expression de la leur ou tout au moins de leur identité.

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Est démocratique,

une société qui se reconnaît

divisée, c’est-à-dire traversée

par des contradictions

d’intérêts, et qui se fixe comme

modalité d’associer à parts égales

chaque citoyen dans l’expression,

l’analyse, la délibération

et l’arbitrage de ces

contradictions.

„Paul Ricoeur

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La démocratie de représentation est sous exploitée. Certaines de ses dispositions

ne sont même pas connues. Les délégués de classe, les parents d’élèves dans l’école, les lois Auroux dans le travail, le conseil municipal dans la commune offrent de sérieuses possibilités pour rendre notre démocratie plus exigeante à condition d’entretenir une tension constante avec entre représentés et représentants.

L’éducation populaire s’est toujours donnée pour projet de permettre à chacun

« d’habiter la démocratie ». Que chacun puisse questionner la pratique sociale, en dehors des lieux d’experts, et en partant de son expérience personnelle, est un véritable enjeu de démocratie : abolir la distance qui pourrait exister entre société civile et société politique, faire que la société civile soit irrémédiablement politique.

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Voyons maintenant quel rôle peut jouer le graphisme, et notamment l’affiche, dans

l’éducation populaire. Sont-il compatibles? Quel sont leurs affinités? Comment rendre le graphisme accessible à tous, dans la compréhension comme dans la création?

Comment le graphisme peut-il maintenir une tension entre représentés et représentants, entre société civile et société politique?

Comment le graphiste et le graphisme peuvent ils initier une action? Comment le graphiste peut-il se mettre au service d’un mouvement?

Comment le graphisme peut-il susciter le doute, le questionnement, et donc la réflexion?

En résumé: Quel sont les moyens offert par le graphisme pour mettre en place une éducation populaire?

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quelques graphistesqui font parlerles murs

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Les graphistes dont je vais parler par la suite ne se disent pas nécessairement de l’éducation populaire, mais il m’a semblé que leurs travaux allaient dans le sens d’une transformation de la société et en cela étaient en concordance avec les principes de l’éducation populaire.

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Comment faire participer le (futur) citoyen dès le moment de la création?

Le moment de la création et un moment intense de réflexion sur le sens de ce que

l’on fait et de ce que l’on dit. C’est pourquoi il est intéressant d’y faire participer un groupe de personnes. Les discussions et les débats autours de la création de l’image animerons la réflexion. Faire une affiche oblige à la prise de parole, d’abord au sein du groupe de création, puis par le fait même que l’affiche sera lu par des centaines de personnes. Cette incitation à la prise de parole est un ressort de la démocratie où chaque citoyen doit être capable d’exprimer ses idées.

Alain Le Quernec a donc mis en place un atelier d’art plastique ouvert aux

jeunes du collège où il enseigne. Les projets durent généralement un trimestre, parfois une année entière et abordent différents sujets économiques, sociaux ou politiques en essayant de sortir des idées préétablies.

Alain Le Quernec

Mois du graphisme

d’Échirolles

1991

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« Un beau jour à Quimper, on a vu apparaître ces images, des images

imprimées en sérigraphies en format 120 x 176. Une série à propos du tabac, à première vue.

Ce travail de l’atelier d’arts plastiques se pratique avec des groupes réduits

d’élèves, cinq, six élèves, de classes de 4ème et surtout 3ème. Mais comme j’enseigne aussi en classe de 3ème, je donnais l’exercice comme le premier travail au premier trimestre. Si bien que c’est une base de réflexion sur une centaine de projets, parmi lesquels on peut choisir le thème traité par l’atelier d’arts plastiques.

Quand j’ai lancé ce travail sur le tabac, je voulais tout, sauf être moralisateur.

Le message “le tabac tue”, tout le monde le connaît. Tout le monde en est averti, tous les élèves le savent, et on ne va pas faire de la morale là-dessus. Par contre, j’ai voulu faire de la morale sur la notion de publicité.

A l’époque, on prenait n’importe quelle revue, que ce soit “Elle”, “Paris-Match”,

sur la quatrième de couverture était toujours, ou à 99% des cas, une réclame de tabac. C’est-à-dire que l’emplacement le plus cher était pris par le tabac.

J’ai essayé de faire comprendre aux élèves le pouvoir des fabricants de cigarettes, de leur

faire imaginer les milliards que représentait la publicité pour le tabac. Ces milliards dépensés, ce n’était pas pour permettre à la presse d’exister ! Donc, il y avait une amoralité profonde dans la publicité. Et l’amoralité ou l’immoralité profonde de la publicité était particulièrement sensible, quand on réfléchissait aux problèmes du tabac.

J’avais donc lancé l’exercice en disant à ces élèves, - qui ne savent pas très

bien dessiner ou ont des moyens assez inégaux -, nous allons nous orienter vers le détournement de publicités existantes, d’images existantes, des images fortes.

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On a donc fait une mise à plat de tout de qu’on pouvait trouver comme marques

de cigarettes et on a sélectionné : Gauloises, Gitanes, Camel, Malboro. On avait un problème pour trouver la cinquième marque de tabac.

Sur ces entrefaites, (nous avions commencé notre travail depuis un mois ou deux),

la Seita a lancé la marque Chevignon : la parfaite illustration de ce que je voulais dire. Parce qu’il ne faut pas dire que Chevignon c’était pas à l’adresse des jeunes, le public fumeur. C’était, si besoin en était, l’illustration de la parfaite immoralité du système.

Ça a été le travail d’une année. Il y avait, sous mon encadrement, tout une

période de recherches, de mises au point, de surveillance et de suivi du processus de création, photogravure, photocomposition, impression, impression offset, impression sérigraphique, déplacements dans les imprimeries. Ensuite, observation du travail mis en place, et observation des réactions. Alors, là, on n’a pas été déçu...Toutes les télés étaient venues, donc procès, etc., etc. Mais on n’est pas là pour parler de ça ! »

La pub tuePar les élèves du

collège Brizieux de

Quimper.1991

Boycott TotalAlain Le Quernec

affiche offset 74*561999

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Boycott TotalAlain Le Quernec

affiche offset 74*561999

Les affiches d’Alain LeQuernec sont caractérisés par leur simplicité leur

donnant un impact immédiat. Celle-ci n’échappe pas à la rêgle.

Sur un fond noir pétrole se découpe un gant bleu clair, tel que ceux que l’on utilise

pour nettoyer les plages pollués de Bretagne. Le poing serré en signe de résistance tiens un baton symbolique composé du slogan « Boycott Total », près à s’abattre sur la firme. L’arme est ici économique, le boycott sera la sanction pour avoir négligé la sécurité et l’entretien des pétroliers au profit de bénéfices accrues.

Chaque élément a sa signification, rien n’est de trop, aucun élément décoratif ne

viens perturber la lecture.

Boycott Total:Une affiche pour penser et agir.

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Les couleurs vives sur fond sombre, la composition en diagonales, le

minimalisme, tout cela participe à l’impact fort et immédiat de l’affiche.

Alain Le Quernec, avec le parti des Verts incite la population à boycotter les

produits Total et à réfléchir aux causes et aux conséquences d’une marée noire tel que celle provoqué par l’Erika. En cela il s’inscrit dans une démarche d’éducation populaire: ammener les personnes à réfléchir sur des faits de société et proposer une action pour aller vers la transformation.

Alain Le Quernec n’hésite pas a travailler avec un parti politique, alors que

beaucoup d’autres sont repoussé par l’idée d’être politisé. Grâce à cela ses affiches se placent dans la continuité d’une action politique concrète.

Marée noire, le gouvernement

a les mains salesAlain Le Quernec

affiche offset 74*561978

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J’aime l’idée de l’art

comme art de vivre. Il nous

faut parler d’une esthétique qui ne serait privée ni de

conséquence, ni de corps

“„Gérard Paris-Clavel

Gérard Paris-Clavel qui se définit lui-même comme un “artiste artisan graphiste”

est né en 1943. Diplômé des Métiers d’arts et grand prix national des arts graphiques, il fonde en 1970 Grapus et milite activement dans l’association “Ne pas plier” créée en 1991 pour “qu’aux signes de la misère ne puisse pas s’ajouter la misère des signes”. Il exerce depuis 1992 son activité de graphiste indépendant et d’artiste dans son atelier d’Ivry-sur-Seine.

Gérard Paris-Clavel nous invite à sortir de la léthargie imposée par une saturation

d’images bâillonnant la parole.

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Epicerie d’art frais :Atelier ne Pas Plier

Comment sortir du système de la commande? Comment sortir du système

vendeur-consommateur? Comment offrir des images qui servirons à la lutte citoyenne?

Ne Pas Plier est une réponse à ces questions. Ne Pas Plier est un collectif

d’artistes, graphistes, chercheurs, sociologues, tous réunis autour des questions de la ville, du lien qui s’y crée ou pas avec ses habitants et d’un désir politique commun qui est à la base de leur engagement.

Association politique, utopique et esthétique d’éducation populaire, Ne

Pas Plier met en œuvre des mots et des images, des paroles et des pensées pour agir et donner forme aux luttes sociales d’aujourd’hui.

Ne Pas Plier accorde une grande importance à la « qualité des expressions

au sein des luttes », qui impliquent à la fois un engagement total et une grande exigence plastique dans les images produites. Cela pourrait se résumer dans cette phrase-manifeste :

Pour qu’aux signes de la

misère ne s’ajoute pas la misère des

signes.“ „

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Ne Pas Plier est aussi une réponse aux questionnements que l’on peut se

poser sur la production et la diffusion des formes visuelles, circulant de mains en mains, dans les espaces publiques et dans les interprétations de vives voix.

L’atelier cherche à produire des formes visuelles pouvant servir de liens, capable

de traverser les barrières de classes et de castes professionnelles. L’images y est à la fois objet médiateur, objet reliant et objet de controverse.

L’éducation populaire doit être une pratique de débat informé qui se développe à partir

de situations concrètes. Ce qui amène la question : comment les formes artistiques peuvent-elles contribuer au développement d’un réseau socialement utile, moteur de changements sociaux ?

Le plus simple, c’est de produire avec ses propres ressources pour éviter tout

compromis mais cela limite très vite la diffusion, faute de moyens et faute de partenaires pour diffuser les productions. Or l’intérêt, c’est d’élargir la diffusion pour que cela puisse toucher, de proche en proche, un nombre toujours plus grand de personnes. Alors une relation triangulaire, entre créateurs, gens en situation de lutte sociale et institutions publiques s’installe. L’image est alors un objet médiateur entre eux trois, et le reste des citoyens.

Atelier

Ne Pas PlierIvry-sur-Seine

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Parce que dans cette société qui

se désagrège sous la pression

des rapports marchands, l’art

reste une manière d’exprimer

une solidarité proprement

sociale. Celle-ci s’oppose à l’atomisation des rapports

qu’instaure la marchandise, la

professionalisation de la vie et la

consommation.

„ Brian HolmesCritique d’art et militant

Débat “Formes d’engagement”, avec Marc Pataut et Gérard Paris-Clavel.

Ce qui pose à nouveaux des questions tournant autour de la diffusion et de la

circulation de la création. À quel distance de la lutte social doit se trouver le graphiste? Peut-il investir le site de la création artistique? Il me semble que oui, l’important est d’y créer un environnement favorable au débat et à la confrontation.

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Gérard Paris-Clavel et le collectif Ne Pas Plier interviennent essentiellement

au sein de manifestations, d’actions ou de rassemblements. Ils portent un grand intéret à la diffusion de leurs images là où beaucoup de graphistes s’arrêtent à leur conception.

Trop souvent, l’image est

abandonnée à la fin de sa

production alors que sa dimension

politique intervient dans

sa diffusion

“„

Gérard Paris-Clavel

Le travail du collectif Ne Pas Plier se place dans une démarche d’éducation populaire

dans le sens où l’artiste occupe le rôle de catalyseur et de relais d’expressions diverses. L’enseignement n’est donc plus dispensé d’en haut, ni une animation visant à plaire et à distraire, mais une incitation à la parole, ca-pable de produire à la fois une connaissance de la situation et une activation des forces intellectuelles, affectives, imaginaires, qui peuvent la transformer.

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Qui a peur

d’une femme?1996

Qui a peur d’une femme?Questionner le passant.

Cette question nous est posée par Taslima Nasreen, écrivaine Bangladesh, condamné

à mort par les intégristes de son pays. Cette femme revendique d’être athée et affirme son indépendance, son droit au travail dans une société dominée par les hommes.

En haut de l’affiche un regard de femme, à la fois digne dans sa position surplombant

l’affiche et soumi dans son enfermement à l’intérieur un rectangle étroit aux allure de tchador. Cette ambiguité est le symbole des femmes qui luttent contre des hommes qui les opprimes. Sous ce regard, un grand applat rouge et vide, dont le froid glace le sang, est simplement percé de l’interrogation: “Qui a peur d’une femme?”. Et ces mots proviennent de la bouche de la femme, et c’est justement parce qu’elle ose enfin parler que la peur commence à atteindre les hommes.

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Le lecteur est alors forcé de s’interroger car l’affiche est composé de tel sorte que

l’on ressente cette peur dans le vide rouge vif et cette détermination dans le regard. Il se fait alors indispensable de comprendre la cause et les conséquences de ces sentiments. L’intéret est alors suscité chez le lecteur qui se met a réfléchir sur la question et à élaborer des hypothèses. C’est un choix d’offrir au lecteur non pas une simple information ou une vérité qui s’impose, mais plutôt une représentation qui va conduire à la pensée, qui va susciter l’échange de vive-voix, confrontant ainsi les interprétations multiples.

Les conflits permettent

l’émergence des différences et par

la même de mieux comprendre

l’autre. [...] La colère, la

violence sont les effets de

l’indifférence. Ce qui importe c’est

de comprendre le sujet de la

différence.

„Gérard Paris-Clavel

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Les images que j’aime sont

celles qui me réflechissent, celles que je

combats sont celles qui pensent

pour moi.

“„

Vincent Perrotet

Àpartir d’une interview réalisé en 1998, je vais essayer de comprendre et

d’approfondir les idées évoqués par Vincent Perrotet, alors au sein du collectif “les Graphistes Associés”.

Quel est le rôle du graphiste dans la société?V.P.: • Par sa pratique, améliorer les

rapports et les relations entre les êtres humains,• Améliorer la qualité du regard,• Rendre les choses lisibles lorsque c’est nécessaire,• Sans cesse ré-inventer son vocabulaire formel et sa grammaire.

À propos du dernier point, je pense que sa justification diffère de l’idée d’innovation

permanante véhiculé par le capitalisme. Je pense que l’on peut la comprendre grâce à une reflexion de Roland Barthes à propos de la langue: « Nous ne voyons pas le pouvoir

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qui est dans la langue, parce que nous oublions que toute langue est un classement, et que tout classement est oppressif: ordo veut dire à la fois répartition et commination. […] La langue, comme performance de tout langage n’est ni réactionnaire ni progressiste; elle est tout simplement fasciste; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. […] il ne nous reste, si je puis dire, qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du language, je l’appelle pour ma part : littérature. ». Cette réflexion me semble pouvoir s’appliquer parfaitement à l’image, qui n’est autre qu’un language visuel. Le vocabulaire des signes graphiques doit être sans cesse renouvellé, repensé afin d’offrir toujours un éclairage nouveau. Ainsi est évité l’écueuil d’une représentation figée du monde, et se renouvellement permanant conduit à la saine remise en question de notre environnement.

Le graphisme politique et social existe-t-il ? Comment le définir ?

V.P.: Tout le monde peut et doit s’intéresser à la vie de la cité, c’est la signification de l’engagement politique et social. Il existe un grand nombre d’associations et de groupes auxquels le graphiste peut participer en mettant en forme les idées s’il en partage les valeurs. Un graphiste, quand il a une idée originale ne doit pas hésiter à la traduire dans son art et à la diffuser par ses propresmoyens.Il y a aussi des graphistes qui font de la politique sans le reconnaître : ceux de la publicité, qui par leurs images diffusent une idéologie consumériste, capitaliste et libérale.

L’artiste, et notamment le graphiste, loin de se greffer simplement sur les mouvements

sociaux, peut inventer une culture de la prise de parole dans l’espace urbain. Convoquant la mémoire sociale tout en instaurant de nouveaux signes, ils repositionnent les éléments du débat public dans et sur la ville. Les pratiques artistiques qui s’exposent dans l’espace public, introduisent des éléments spécifiques dans les formes de mobilisation

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politique et de débat public : la conscience de l’ici et maintenant, l’émotionnel, le relationnel direct, le subjectif, des effets dedistanciation. Les interventions artistiques peuvent jouer le rôle d’événement fondateur et donner naissance à une association ou à une forme d’organisation.

Considérez-vous que l’affiche est un moyen de communication efficace ?

Lorsqu’une image graphique est bonne, elle est aussi efficace et utile pour l’intelligence humaine qu’un bon livre, un bon film, une bonne mise en scène... Une image graphique, pour toucher l’autre, ne doit pas chercher à communiquer (terme devoyé par le marketing) mais à subvertir avec bonheur le regard.

Gilles Deleuze disait à des étudiants en art cinématographique : « L’oeuvre d’art

n’est pas un moyen de communication - l’oeuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information ! En revanche, il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance. Alors là oui, il y a quelque chose à faire avec l’information et la communication. Oui : à titre d’acte de résistance. » L’art de communiquer existe dès que l’on s’adresse à chacun en particulier, sans chercher à le convaincre, mais en lui proposant les moyens de réflechir, de projeter.

Ne plus en

pouvoir d’achat

Vincent Perrottet2009

Tout le monde doit essayer

d’être un artiste. C’est à cet endroit que l’on perçoit le

mieux le sensde la vie et des

choses.

“„

Vincent Perrotet

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Ne plus en

pouvoir d’achat

Vincent Perrottet2009

Le pari des affiches de Vincent Perrottet est d’être simple et efficace au premier

abord, puis riche et complexe lorsque on s’en rapproche. Dans une manifestation, lieu de monstration privilégié de ses affiches, les personnes sont en marche, pour les arréter, et qu’ils prennent le temps de la réflexion, l’affiche doit accrocher le regard en se démarquant du lots de signes visuels habituels. Perrottet a choisi des moyens simples mais efficaces d’accroche: couleurs vives, typographie claire et couvrant l’affiche intégralement.

Cette série joue avec les mots, soit mettant en avant certaines partie:

• par les césures au sein des mots: “La -CON-currence c’est dégueu-LASSE-”, “compéTITI-VITE poil au licenciés” ces phrases, certe simplificatrices, ont le mérite de dénoncer de façon joyeuse et d’inviter à y regarder de plus prés.• par la couleur: “traVAille D’ABORD, tu T’AMUSERas ensuite!”, le double sens de la phrase, chacun opposé rédicalement à l’autre, étonne et subverti, toujours joyeusement.

Soit en utilisant de manière inhabituelle une locution figée, tel que le pouvoir

d’achat, où pouvoir redeviens verbe, donnant un autre sens au pouvoir d’achat: “Ne plus

Dire plus avec moins.

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Espace créé par les affiches au sein

d’une manifestation.

en pouvoir d’achat”. Cette manière de questionner le language rappel les travaux de David Poullard, et son Précis de conjugaisons complètes où il conjugue un grand nombre d’expressions figées, poussant le lecteur à réfléchir aux sens des mots qu’il emploi.

Le travail du slogan, qui fait sourire, qui “subverti avec bonheur le regard”, qui

attire le passant, est rarement suffisant pour avoir une analyse réfléchit de la situation, par sa compréhension immédiate, il ne cherche pas à faire réfléchir plus longtemps mais simplement à offrir une idée simple, simplifié, à fort impact visuel mais à faible impact sur la réflexion et le passage à l’action.

Il ne peut donc rester seul sur une affiche citoyenne, au risque de la transformer en

affiche de propagande. Vincent Perrottet choisi de superposer au slogan, soit un texte, soit une photo.

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La photo donne un exemple physique, une illustration de l’idée évoqué dans

la phrase. Elle nous met face à la réalité, lie cause et conséquence, comme dans cette affiche où, superposé au slogan “actionnaire tortionnaires”, on peut voir une barre HLM, illustration du défaut de répartition des richesses: ceux qui travaillent sont les moins bien logés.

Les textes: citations, ou extraits de livres, recouvrent parfois l’intégralité de l’affiche,

à ce titre elle devient un journal-affiche, qui permet d’approfondir sa connaissance du sujet et apporte des élément de réflexions. La trés grande différence de taille entre la typographie du slogan et celle des textes longs permet de ne pas géner la lecture de l’une par l’autre.

Vincent Perrotet attache également une grande importance à la place de l’affiche

dans la ville. Lors de manifestations, il créé de nouveaux espaces grâce à de simples bandes de scotch tendues entre deux éléments de mobilier urbain, fixant les affiches à auteur du regard. Ces lieux marquent une pause dans la manifestation où l’on peut lire, réfléchir et débattre autour des affiches et des idées évoqués dans celle-ci.

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Parce que nous pensons que les

mouvements sociaux et politiques ne peuvent plus user des logiques néfastes

du marketing pour communiquer,

Nous recherchons les supports et les

formes pour rompre avec les images

du commerce et encourager les

résistances et les rêves.

„Collectif Chantier

Le collectif Chantier est incarné par Nicolas Filloque et Adrien Zammit, étudiants en dernière année des Art Décoratifs de Paris. Il cherchent à concilier pratique artistique et sensibilité politique par l’édition de journaux, de tracts et d’affiches. Il me semble qu’il se placent dans l’héritage des graphistes vu précedemment, tout en inventant toujours de nouvelles formes et de nouveaux moyens de diffusion.

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Travailler depuis l’interieur.

Chantier ne travaille depuis l’extérieur des luttes. Il en faire partie prenante. Créer

un visuel pour une organisation signifie la rencontrer, passer du temps avec, pour mieux la connaitre, pour que l’affiche soit réellement un reflet de celle-ci. L’affiche est une parole qui doit porter un maximum de sens, il faut pour cela qu’elle vienne de l’intérieur du groupe qui l’émet, pour qu’elle en porte toute la personnalité. L’aspect collectif est trés important. L’éducation populaire n’est pas la diffusion d’une idée dominante mais la confrontation et l’échange d’idées subversive, et cela ne peut se faire que dans la rencontre physique des personnes et des groupes.

Le sens de la forme.

Le journal Chantier, cherche a donner du sens à la forme, du choix des mots à

celui de la mise en page, de la poésie, des images. Leurs créations sont la concrétisation pratique de ce qu’ils défendent, des mondes qu’ils veulent faire éclore et faire vivre. Leur façon d’agir est une réalisation concrète de leurs intentions.

Ils élaborent leurs textes autours de discussions et de comptes rendus de

ces discussions corrigés jusqu’à faire consensus. Leur but n’est pas de précher la bonne parole mais de montrer en actes que d’autres mondes sont réalisés, accessibles et désirables. Pour eux les moyens et le cheminement pour créer sont plus importants que l’objectif d’efficacité, de visibilité et de rentabilité. Car la forme – dans son élaboration comme dans son résultat – porte autant de sens que le fond.

Faire bien avec peu.

Il est possible de communiquer efficacement avec peu de moyens, pour leur journal ils

on opté pour un tirage limité, du simple papier A3 blanc ou A4 couleur, impression noir et blanc, reliure agrafé. Mais le travail est soignée: mise en page claire, format et couleurs des pages varié, illustrations simples et pleines de sens. L’important pour eux est moins la diffusion en masse que le choix méticuleux des espaces de diffusions. Ils privilégient une présence

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discrète dans les interstices publics que la publicité n’a pas envahit. Ils privilégient les lieux où s’expriment les militants: quartiers, entreprises, rues. La difficulté étant d’être présent sans annihiler les expressions personnelles; les militants contiennent les réponses les plus justes à leurs révoltes.

Chantier refuse les moyens de communications de masse tel que la

télévision. Ils refusent ce système car il ne génère que des événements médiatiques, aussitôt oubliés par une nouvelle encore plus fraiche. Face à cela ils préfèrent créer des images personnelles et sensibles, ne cherchant pas à s’imposer ou a faire un buzz médiatique comme certaines organisations politiques le font. C’est, pour le collectif Chantier, les actions répétées et sensibles, même infimes, qui donnent une force symbolique à des mouvements.

Pour une émancipation de chacun par tous.

Ils voudraient offrir à chacun les moyens de comprendre mais aussi de se construire

une sensibilité. L’apprentissage technique et théorique permet une mise en abîme du discours des médias de masse, des gros partis : les idées dominantes.

À propos de l’image.

Par leurs images le Collectif Chantier veut “exprimer la générosité, transpirer le

chaleureux, l’humain, le sympathique, faire plaisir, se montrer joyeux, souriant, confiant (et travailleur!)”

Chantier #2

Collectif Chantier

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La propagande et la publicité

qui s’offrent à la consommation sans écart sont des machines à

produire de la violence même

lorsqu’elles vendent du

bonheur et de la vertu.

“„Marie-José Mondzain

in L’image peut-elle tuer?

Les images sont faites pour durer, pour être conservées, pour être offertes,

collectionnées, réutilisées… Toute fois, faire des images qui emballent ne veut pas dire faire des images impressionnantes, violentes ou censées mettre d’accord la masse!

D’autre part il faut savoir accepter de ne pas pouvoir contrôler totalement le

sens d’une image. C’est son essence même d’être lisible de manières différentes et par là même d’être appropriable individuellement par ses lecteurs. Une lecture (texte ou image) est un exercice à la fois de découverte et de référence personnelles. C’est cette interaction, dans un contexte donné, qui «fait sens», qui crée du sens.

Chantier #2

Collectif Chantier

Décembre 2008

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Chantier #3

Collectif Chantier

janvier2009

Dans le troisième numéro de Chantier, le Collectif concrétise plusieurs de ses idées. C’est un journal modeste, fait sans trop de moyens (réalisé en 3 jours, avec des materiaux simples), composé principalement d’images. Son contenu est non autoritaire, entre l’opinion politique et la création artistique. Il a été distribué lors de la grève générale du 29 janvier.Imprimé sur A3 recyclé, materiau primaire mais utilisé à son maximum: les chutes servent au bandeau et aux bandelettes volantes. Le contenu alterne texte, illustration et photo.

Chantier #2

Collectif Chantier

Décembre 2008

Le second numéro de Chantier est une critique du marketing et de la propagande. Ils y expriment leurs idées sur ce que devrait être la communication graphique dans le champ politique et social. La plupart de ces idées sont celles décrites précédemment. Ils les exprimes grâce à des schemas, des illustrations et des textes, dans un livret modeste mais de format original.

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Le graphisme, et à plus forte raison l’affiche, et un art profondément populaire. Sont

lieu d’expression est l’espace publique, les murs de la ville, son support.

L’affiche tisse des liens entre les gens. Dans un groupe, une association, un

mouvement, elle est le lien vers l’exterieur. Elle brise les clivages sociaux, professionnels, économiques, pour parler à tous sans distinction.

Qu’il soit au service d’un mouvement ou qu’il soit l’initiateur d’un projet, le

graphiste pour une éducation populaire ne peut travailler seul, ses propos sont liés à la fois à la politique, à l’économie, à la société. Il se doit donc de travailler avec des acteurs de ces domaines pour mieux les comprendre et mieux les exprimer.

Comme l’ont fait Alain Le Quernec avec ses élèves, Gérard Paris-Clavel avec l’atelier

Ne Pas Plier ou le collectif Chantier dans ses rencontres avec les associations, le graphiste a aussi un devoir d’éducation à l’image auprés des jeunes et des adultes. Apprendre le décryptage et la manipulation de signes graphiques ne doit pas rester le privilège de quelques personnes.

Le graphisme a donc un rôle à jouer dans la mise en place d’une éducation

populaire. En offrant une personnalité à un mouvement il permet aux personnes de s’en sentir proche. Grâce à la poésie et au plaisir qu’il dégage il offre de l’énergie aux luttes. Et car le graphisme est une forme d’art, et car le propos de l’art est de nous faire douter, le graphisme doit dévelloper de l’incertitude. Développer l’incertitude c’est développer la curiosité.

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Pierre Tandille ÉSAD | 2009