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. ,“ . :i,: . . .- , ..3 : . .. Le riz de ville et le riz des champs La riziculture ivoirienne sacrifiée à la paix sociale à Abidjan i\ Xavier LE Roy Economiste Laboratoire d’Etudes Agraires Orstom B.P. 5 045 34032 Montpellier Cedex 1 Résumé : Alors que la Côte-d’Ivoire peut satisfaire sa consommation de riz, comment expliquer ses importations massives ? Un village au nord du pays, les ventes de paddy explosent en 1975 puis s’effondrent, est resitué dans son contexte national. L’incohérence caractérise la politique rizicole ivoirienne. Après une brève période favorable, elle permet l’approvisionnement à bas prix des villes en pleine expension. Le riz national est autoconsommé, tandis que les citadins consomment du riz importé. Un tel choix, au profit de la paix sociale dans les villes, ne peut se poursuivre durablement. Mots clés : Côte-d’Ivoire, senufo, riz, cotonnier, politique agricole, prix, système de production, système de culture. i ORSTOM Documentation

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Le riz de ville et le riz des champs La riziculture ivoirienne sacrifiée à la paix sociale à Abidjan

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Xavier LE Roy Economiste

Laboratoire d’Etudes Agraires Orstom

B.P. 5 045 34032 Montpellier Cedex 1

Résumé :

Alors que la Côte-d’Ivoire peut satisfaire sa consommation de riz, comment expliquer ses importations massives ? Un village au nord du pays, où les ventes de paddy explosent en 1975 puis s’effondrent, est resitué dans son contexte national. L’incohérence caractérise la politique rizicole ivoirienne. Après une brève période favorable, elle permet l’approvisionnement à bas prix des villes en pleine expension. Le riz national est autoconsommé, tandis que les citadins consomment du riz importé. Un tel choix, au profit de la paix sociale dans les villes, ne peut se poursuivre durablement.

Mots clés : Côte-d’Ivoire, senufo, riz, cotonnier, politique agricole, prix, système de production, système de culture.

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Une riziculture ancienne

Havre de végétation luxuriante, le bosquet qui dissimule l’enclos hitiatique, dénote avec la savane à proximité des habitations. Son parfait entretien atteste de la survivance des traditions. Un initié, vêtu d’une simple bande de tissu, y pénètre de temps à autre. La palissade de rondins, que l’on devine au loin, le cache rapidement des regards indiscrets.

L’attachement au passé n’empêche pas les agriculteurs de faire leurs, des innovations techniques venues de l’extérieur. Depuis 1964, le cotonnier se développe. Situé le long de la piste carrossable ou non loin du village, l’observateur pressé en surestime toutefois l’importance. I1 admire les fomes géométriques de ses parcelles, l’alignement des billons, la pratique de la culture pure. I1 proclame hâtivement l’avènement d’une agriculture nouvelle.

En pays sénoufo, dans le nord de la Côte-d’Ivoire, Karakpo s’étire entre un cours d’eau intermittant et la route, 9 l’écart de tout axe important de circulation. Ses 350 habitants doivent parcourir 25 km vers le nord pour rejoindre le marché le plus proche, accueilli par Boundiali, le chef-lieu de département.

En fait, une véritable lecture du paysage agraire nécessite d’emprunter les sentiers, qui filent discrètement B partir des dernières habitations. En s’éloignant du village, Ia végétation change progressivement, les arbustes grandissent. Puis, les arbres se font plus fréquents, formant par endroits une forêt claire. Des îlots herbeux surgissent parfois, parsemés de quelques grosses souches. Les vestiges d’un abri signalent un champ abandonné. La hache du défricheur a épargné quelques karités et nérés, témoins de la survivance d’une activité de cueillette.

Les herbes abondantes de cette jachère récente attirent le troupeau villageois, surveillé par son berger peul. Une graminée pérenne particulièrement appétante, Andropogon gayanus, remplace dès la cinquième année les graminées annuelles. Sa disparition vingt ans plus tard sert d’indice aux agriculteurs pour exploiter à nouveau un terrain. Mais ils attendent généralement encore plusieurs années, lorsque les arbres dominent.

Enfin, le sentier débouche sur une vaste clairière dont la morphologie contraste avec les parcelles de cotonnier. Les formes adoptent des contours capricieux. Les cultures s’entremêlent dans un désordre minutieux. Des buttes d’igname trônent dans les parcelles les plus vastes. La présence de troncs calcinés indique une culture juste après défriche. De mmière contiguë, des parcelles de deuxième année sont consacrées aux céréales. Puis viennent de l’arachide, de l’igname Ou des céréales, pratiquées en troisième année. Les parcelles de quatrième année sont rares ; celles de PIUS

de cinq exceptionnelles. Dans le prolongement, des parcelles abandonnées les années précédentes témoignent du déplacement progressif du champ. En amont, apparaît le défrichement d’une

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nouvelle parcelle : des buttes généreuses réalisées en saison des pluies attendent le semis d’igname de la saison sèche suivante.

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Deux constatations ressortent de cette visite du champ de cultures vivrières : le fort degré d’association de cultures et l’abondance du riz. Les trois quarts des surfaces vivrières pluviales en contiennent. Il s’associe le plus souvyt’ avec du maïs. I1 occupe aussi l’espace entre les buttes d’igname. Sa culture pure est rare, comme le montre la figure 1. Les anciens affirment avoir toujours connu la culture du riz pluvial et qu’il s’agit d’une culture ancienne’.

En revenant au village, en traversant un bas-fond, on peut rencontrer quelques femmes travaillant . dans leur rizière. Cette culture inondée, c’est-à-dire sans contrôle de l’eau, se caractérise par une submersion variable, au gré des précipitations2. L’acquisition des premières variétés de riz aquatique semble récerite3. Selon nos estimations faites en 1975, basées sur les cycles d’initiation masculine, elle remonte à 1955-1956 à Karakpo.

Seules les femmes âgées se consacrent au début à cette culture. Depuis 1970, des épouses jeunes ont acquis une certaine autonomie et mettent en valeur un lopin dans un bas-fond. Alors que seulement une femme sur dix s’adonne à la riziculture inondée en 1971, huit sur dix le font en 19784. Précisons que le semis reste toujours direct, ce qui n’est pas toujours le cas en pays sénoufo. Ainsi, avant 1980, le repiquage se pratique-t-il à Syonfan près de Kasséré (PELTRE-WURTZ, 1991), à Tounvré près de Gbon (LE ROY, ROBINET, 1973)’ à Mbya à l’ouest de Korhogo (BARRY, SANGARE, NGARNDIGUIN, 1994).

Quatre Cléments caractérisent cette rizicuIture inondée jusqu’en 1 973. Elle se montre strictement féminine. Les surfaces en question sont réduites. Elle concerne essentiellement l’autoconsommation, car les ventes se révèlent exceptionnelles et ne recouvrent que de faibles volumes ; seul le coton, et dans une moindre part l’arachide, procurent des ressources monétaires. Enfin, cette riziculture inondée est manuelle, comme toute l’agriculture de Karakpo jusqu’à cette date.

Dans le cadre du projet de modernisation lancé en 1971, la mécanisation n’y apparaît en effet qu’en 1974, à travers le premier attelage de culture attelée bovine. D’autres exploitations l’imitent les années suivantes.

Le boom rizicole

A plus d’un titre, l’année 1974 représente une année charnière dans l’économie villageoise. Le chef de l’exploitation la plus importante fait labourer deux hectares de bas-fonds par. un tractoriste

Nous n’avons pu le contrôler et cela va même A l’encontre de l’étude Sedes de la région de Korhogo plus à l’est (SEDES, 1965 : 86)’ repris par Sinali COULIBALY (1978 :153), sans que ces auteurs avancent une période pour son introduction.

Nous ne considérons pas que la riziculture inondée est une forme de riziculture pluviale. Nous réservons cette expression pour la riziculture sèche, pratiquée sur les interfluves. Les variétés utilisées et les systèmes de culture diffèrent.

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Cela converge avec les deux auteurs cités ci-dessus pour le département de Korhogo Enquêtes rétrospectives réalisées en I975 pour les quatre années précddentes, relevé de toutes les parcelles en 1975

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et 1978.

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FIG.^ - 1975 FIG.^ - 1989 Assolement de Karakpo

Arnchidc + M a l i Mnïs

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FIG. 3 - 1975 FIG.4 - 1989

Assolement de Syonfan

TABLEAU I Ventes agricoles à Karakpo

(milliers de francsCFA)

2 Yo E 1% 1 % Igname - ? 4 - -

TOTAL 5844 100 Yo 100% 100% 100%

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privé de Boundiali. Par la suite, cette seconde forme de mécanisation connaît un S U C C ~ S plus généralisé à Karakpo que la culture attelée.

Presque toutes les autres exploitations lui emboîtent le pas l’année suivante : le mgme tractoriste laboure et sème ainsi 23 hectares en 1975, Óit lus de la moitié de l’étendue consacrée à ce mode de culture. Parallèlement les ventes de riz explosent et dépassent le million de francs CFA. Elles égalent même les ventes de coton, si l’engrais qu’il reçoit est déduit (tab. I).

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Ce subit engouement pour la riziculture inondée suscite une série de questions. Tout d’abord, est- ce le résultat d’un nouveau programme de développement, le h i t d’un encadrement technique massif? Nullement. Le cotonnier reste en 1974 et 1975 la seule production bénéficiant d’un encadrement technique, avec l’appui rapproché d’un moniteur de la CIDT ’. Cette riziculture aquatique se pratique sans intrants, notamment d’engrais, pourtant presque systématiques pour le cotonnier.

Pourquoi utiliser les bas-fonds, jusqu’ici négligés, alors que la terre est un facteur de production abondant au sud de Boundiali et à Karakpo en particulier ? Tandis que ce village adopte timidement les changements techniques proposés, le succès du coton et de la culture attelée s’avérant mitigé par rapport aux zones pilotes du nord de la Côte-d’Ivoire, il recourt avec une rapidité déconcertante à une innovation radicale, par le labour à façon au tracteur. Cette innovation lui pennet d’accroître rapidement ses superficies, sans remise en cause profonde de son organisation inteme et de son équipement. Les bas-fonds sont propices à une utilisation immédiate du labour motorisé : l’absence d’arbres évite tout défrichement, opération toujours lente et laborieuse sur les interfluves. De plus, les sols profonds de ces bas-fonds, sans blocs ou affleurements de cuirasse, conviennent au labour motorisé.

Enfin, comment expliquer ce brusque changement de statut social et économique de la riziculture inondée ? Alors qu’elle est auparavant l’apanage des femmes, elle intéresse maintenant les hommes, notamment les chefs d’exploitation, et sur des parcelles beaucoup plus vastes. D’une

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fonction d’autosubsistance, elle relève maintenant d’une logique de rapport. La réponse à cette zc- a: e,

question nécessite de replacer cette étude de cas dans son contexte national.

Cette métamorphose constitue en fait la réponse immédiate au brusque changement de cap de la J[

3! politique rizicole ivoirienne. Elle montre la capacité d’adaptation rapide d’une économie agricole l’augmentation significative du prix d’un produit. En mars 1974, le gouvemement ivoirien décide

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a. une brutale élévation du prix du paddy, qui passe de 28 F à 65 F au producteur, soit une progression de 132 %.

Parallèlement, une société d’Etat, créée en 1970 mais opérationnelle deux ans plus tard, la Soderiz6, assure la collecte du paddy. Elle prend en charge son transport, l’usinage et le stockage. Cette sécurité de vente se montre déterminante pour les agriculteurs. Ce prix rémunérateur et la commercialisation constituent les deux volets de l’encadrement économique de la production rizicole. Ils mettent le riz dans des conditions économiques comparables à celles du coton. En 1974, le prix du riz progresse d’ailleurs plus rapidement que celui du coton (+ 56 %), rendant le riz concurrentiel par rapport à cette dernière spéculation. Après une certaine stagnation des prix de ces

Compagnie Ivoirienne pour 16 Développement des Textiles. Société de Développement pour Ia RizicuIture.

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deux produits, le niveau du prix du coton l’emportant toujours sur celui du riz, ce dernier rejoint presque le coton en 1974 (fig. 5).

Un encadrement technique complète ce nouvel environnement économique seulement en 1976. La Soderiz propose des contrats de cqtÚre, par lesquels elle s’engage à assurer le labour, le pulvérisage et le semis, à fournir la semence et les engrais, puis à acheter l’intégralité de la récolte au prix fixé au niveau national. Le montant de ce contrat est de 42 250 F par hectare, dont 6 500 F d’acompte lors de la signature. Son succès s’avère mitigé, la Soderiz7 encadrant 20 hectares.

La réussite de cette riziculture de rapport s’observe dans l’ensemble du nord de la Côte-d’Ivoire. Ainsi, à Syonfan, près de Kasséré, toujours dans le département de Boundiali, les ventes de riz restent insignifiantes en 1975. La pratique du repiquage alourdit considérablement les temps de travaux, et l’absence de tractoriste à proximité l’empêche de réagir aussi rapidement aux nouvelles conditions du marché. Incluse dans une zone pilote de l’encadrement cotonnier, elle joue à fond cette carte : la place du cotonnier se montre plus importante (fig. 3) qu’à Karakpo et le succès de la culture attelée plus manifeste.

Toutefois, la réussite de la riziculture commerciale se retrouve dans de nombreux villages du Nord et dans la plupart des régions du pays. Par son prix élevé, la Soderiz draine ainsi une part importante du paddy acheté auparavant par les collecteurs privés, voire provoque des prélèvements dans les stocks destinés à l’autoconsommation (DOZON, 1979). Ce n’est pas le cas à Karakpo, où les ventes de 1975 résultent d’une nouvelle stratégie : elles proviennent d’un accroissement important des surfaces de bas-fonds, par des acteurs qui y sont auparavant absents, dans un but délibéré de vente. Seulement 3 % du riz commercialisé provient des plateaux en 1975.

I1 est vrai toutefois que cette nouvelle riziculture à Karakpo, surtout dans sa phase 1974- 1975, ne coïncide pas avec le schéma initié par la Soderiz. Cette dernière a pour objectif de placer des contrats de culture, de favoriser la création de groupements de producteurs. Surtout, elle mise essentiellement sur l’irrigation et préconise deux cycles annuels.

Dans le nord de la Côte-d’Ivoire (départements de Korhogo, Boundiali, Ferkessedougou et Tengrela), le département de Korhogo, le seul présentant une certaine pression foncière (jusqu’à 100 h/km2) bénéficie surtout de cet ambitieux programme d’irrigation. Trois types d’aménagements sont lancés. Le premier poursuit un principe déjà appliqué sans grand succès avant l’Indépendance, repris par la Satmaci en 1965 et développé par la Soderiz à partir de 1972. Appelé prise au fil de l’eau, il présente l’avantage de ne pas nécessiter de gros aménagements : un petit barrage de dérivation fait de madriers amovibles, un canal central de drainage et deúx canaux latéraux pour amener l’eau aux parcelles délimitées par des diguettes en terre (S. COUIJBALY, 1990 : 319). Le deuxième type d’aménagement correspond aux petits barrages de terre. Douze furent construits entre 1971 et 1975 : neuf dans le département de Korhogo, un dans chacun des trois autres départements. Le troisième type d’aménagement est représenté par les deux grands barrages du département de Korhogo.

Pour le secteur Soderiz de Boundiali, ces contrats de culture couvrent 129 ha en 1974,350 ha en 1975,571 ha en

Société d’Assistance Technique pour la Modernisation Agricole de la Côte-d’Ivoire.

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1976 (source : information orale de la Soderiz Boundiali en mai 1976). 8

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Le reflux rizicole

Septembre 1977 : dissolution de la Soderiz. pictime de son succès, cette société d’Etat accumule les déficits. L’afflux de paddy dépasse largement ses capacités d’usinage et de stockage. Ses ressources financières ne lui permettent pas de faire face aux tonnages considérables. Le prix du riz au producteur s’avère trop proche de celui à la consommation, compte tenu des coûts d’usinage et de stockage. Précisons toutefois que la hausse de 1974 découle avant tout d’une décision politique, la Soderiz préconisant un prix plus modéré, de l’ordre de 45 FCFA ’. Ses problèmes de trésorerie sont accentués par les difficultés à écouler le riz sortant de ses usines. Elle ne maîtrise pas en effet l’aval de la filière et doit fairè‘fiont au lobby des grossistes (CHAUVEAU, DOZON, RICHARD, 1981 : 653). Des importations massives l’année précédente, pour anticiper la hausse des cours mondiaux, accroissent cette situation d’excédent virtuel. Les grossistes préfèrent écouler leurs stocks importants et voient d’un mauvais oeil l’emprise excessive de la Soderiz sur la filière riz. I1 s’ensuit un lamentable gâchis. Des quantités importantes de riz pourrissent. A une phase d’excédents collectés, fait suite une pénurie artificielle sur le marché national et une augmentation des prix à la consommation (DOZON, 1979) !

Après la disparition de la Soderiz, la CIDT récupère l’encadrement technique de la riziculture dans le Nord. De société d’économie mixte focalisée sur le cotonnier, cette dernière se transforme en 1978 en société de développement rural. Mais elle s’intéresse essentiellement à la riziculture pluviale. Elle ignore la riziculture inondée et ne reprend les périmètres irrigués qu’avec prudence. L’OCPA’’ assure désormais la commercialisation et l’usinage.

Et que devient la riziculture de notre village du département de Boundiali ? Le tableau I permet de suivre les ventes agricoles durant quatorze années. La chute des ventes en 1976 s’explique par une mauvaise récolte, consécutive à une période de sécheresse en juillet. Leur niveau remonte en 1977 et en 1978, année où les recettes rizicoles retrouvent un montant proche de celui de 1975. Mais sa part relative dans les recettes agricoles globales régresse, du fait de la nette progression des ventes cotonnières. Alors que la surface cotonnière stagne, ce phénomène s’explique par une hausse du prix de cette fibre ( + 14 % ) et une franche amélioration des rendements ( 40 % ).

Karakpo vend son paddy par l’intermédiaire de son GVC”, constitué pour le regroupement du coton et la gestion des intrants, à l’usine de décorticage de Korhogo, gérée maintenant par I’OCPA. Mais le village doit affkéter un camion pour le transport, la nouvelle société n’assurant plus la collecte **. La période de battement suivant la disparition de la Soderiz et l’attitude moins agressive du nouvel office plongent toutefois les agriculteurs dans un climat d’insécurité. Les circuits privés profitent de la situation et retrouvent progressivement le rôle qu’ils jouaient avant 1974. Ainsi, près d‘un cinquième des ventes de riz à Karakpo en 1978 passent par des collecteurs privés, alors qu’ils étaient exclus trois ans plus tôt . 13

Les années suivantes, le riz retrouve son statut d’avant le boom de 1974 : celui d’assurer l’autoconsommation. Les ventes sont nulles ou négligeables (tableau I). Quatorze ans après la

Entre 41 et 48 FCFAkg (Hirsch, 1993 : 25). Office de Commercialisation des Produits Agricoles, structure dépendante du ministère du commerce. Groupement à Vocation Coopdrative. Le coût du transpon (150 km) est compensé par l’écart de 10 Fkg entre le prix bord champ et le prix rizerie. Les 3 % de ventes de 1975 ne passant pas par la Soderiz correspondent en fait à des ventes mineures à des

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personnes de passage ou au marché de Boundiali.

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FIG. 7 - Prix du riz au consommateur en francs courants et en francs constants

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éiode d’euphorie, les ventes de riz n’atteignent que 2 %. Le coton règne sans partage dans ‘économie monétaire et aucune alternative sérieuse se présente aux agriculteurs. Les ventes ;’igname et de maïs restent insignifiantes, surtout en les comparant à leur place dans l’assolement .fig. 2). Seule l’arachide, qui a subi en 1975 contrecoup de la hausse du paddy reprend une :ertaine ampleur (1/5 des ventes en 1978). Le réseau privé de collecte de cette légumineuse se montre efficace et un réajustement des cours la rend plus compétitive qu’en 1975.

Dans le même temps, les cours du paddy stagnent ou évoluent en dents de scie (fig. 5). Surtout, ils régressent régulikrement en francs constants (fig. 6). La forte inflation entre 1976 et 1980 (entre 12 et 27 % par an) érode sérieusement le pouvoir d’achat du producteur. L’ajustement à la hausse en 1984 inverse la tendance, m& les cours replongent cinq ans plus tard. Ils sont meme moins favorables au producteur qu’avant le bond historique de 1974 !

Le coton suit une évolution comparable (fig. 5 et 6). La répercussion au producteur en 1989 et 1990 de la deuxième chute des cours mondiaux de cette fibre a un effet psychologique négatif, provoquant un fléchissement de la production cotonnière dans le Nord. Mais le prix du coton au producteur, tout en étant plus favorable que celui du riz depuis 1976, continue de bénéficier de l’encadrement technique et économique que le riz a perdu. Cette érosion du prix relatif du riz, par rapport à l’évolution du coût de la vie d’une part, par rapport au coton d’autre part, explique la régression de la riziculture commerciale Q Karakpo.

On retrouve ce déclin de la riziculture dans l’ensemble des quatre départements du Nord. Si la situation à Karakpo n’est pas dramatique du fait de l’absence d’aménagement, les agriculteurs n’ayant fait qu’optimiser leur système de production en fonction d’un nouveau contexte économique, il en va tout autrement pour les périmètres irrigués dans le département de Korhogo.

Dès le départ, plus du tiers de la surface initialement prévue pour les périmètres en aval des barrages ne peut être utilisé, du fait des prévisions optimistes des études préliminaires ( S . COULIBALY, 1990). La disparition de la Soderiz, qui prend en charge une bonne partie de l’entretien, s’avère catastrophique. Ainsi, en 1985, plus de la moitié de la surface réellement irriguée en 1976 est aband~nnée’~. Nous n’avons pu retrouver le taux d’abandon des prises au fil de 1’eaul5. Beaucoup mieux adaptées aux réalités villageoises, on pourrait croire qu’elles résistent mieux à la disparition brutale de l’encadrement en 1977. Nos observations sur le terrain nous poussent à une conclusion inverse. De nombreuses situations relèvent plus d’une semi-irrigation, du fait d’une mauvaise maîtrise de l’eau : bas-fond complètement submergé en période de crue, manque d’eau en fin de saison sèche.

La paix sociale 8 Abidjan c

En fait, la politique rizicole se caractérise par son incohérence. Une volonté d’indépendance alimentaire, favorable au producteur, alterne avec des périodes où l’emporte l’approvisionnement à bas prix des villes. Nous ne prétendons pas faire ici la synthèse de la politique rizicole ivoirienne,

l4 - 54 % en comparant la surface 1985 (MEUNIER, 1991 : 147) et 1976 ( S . COULIBALY, 1990 : 337).

irriguées, ne tiennent pas compte du type de retenue. Les archives de la Soderiz ont été dispersées et les statistiques de la CIDT, qui n’encadre pas toutes les surfaces 15

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déjà réalisée par plusieurs auteurs 16. Mais d’en extraire les points essentiels, afin de mieux resihe, la riziculture du nord de la Côte-d’Ivoire dans son contexte national.

La cascade de structures d’interventiop se dégage en premier lieu. En débutant notre rétrospective à l’Indépendance, on trouve tout d’abord la Satmaci, déjà évoquée. Cette dernière donne la priorité au tout irrigué et applique à partir de 1965 un premier programme d’aménagements hydro- agricoles d’envergure, dans le cadre des programmes d’urgence (S. COULIBALY, 1990). La Sode-iz prend donc le relai en 1971-1972 et confirme cette préférence pour l’irrigation. Après sa dissolution en 1977, débute une phase plus floue, peu favorable sécuriser la riziculture. Après la disparition de I’OCPA en juin 1982, émerge une pseudo-privatisation, les usines demeurant propriété de 1’Etat. Elles sont confiées à six groupes privés, la rizerie de Korhogo échoumt 5 la Sopagri. Les tonnages décortiqués ne cessent de décliner, tandis que 1’Etat éponge les déficits croissants de cette activité, par le biais de la Caisse de stabilisation.

Nous avons déjà montré l’importante variation des prix au producteur et la constante dégradation de son pouvoir d’achat. Cette situation est accentuée par la disparition en 1990 du prix officiel, de moins en moins appliqué d’ailleurs.

Cette incohérence de la politique rizicole ivoirienne se retrouve dans les prix à la consommation (fig. 7). Après une certaine stabilité jusqu’en 1972, ce demier s’emballe en 1973 et surtout en 1974. Un ajustement à la baisse se réalise l’année suivante. Suivent des périodes de stabilité, 1975- 1980 et 1984-1993, entrecoupées d’une phase de trois ans d’augmentation. En fait, depuis l’année historique de 1974, peu favorable au consommateur, qui a alors réagi par une contraction de ses achats, le prix du riz ne cesse de décroître en francs constants (fig. 7). Son niveau réel n’est même jamais aussi bas : depuis 1978 il reste toujours inférieur à celui observé avant 1973.

Ce laminement du prix réel du riz depuis 1976 s’accompagne de conditions à Ia consommation qui lui sont très favorables par rapport aux autres vivriers : manioc, igname, banane plantain, maïs- Tandis que le riz n’évolue pas en francs constants depuis 1974, ces autres produits vivriers ne cessent d’augmenter (HIRSCH 1993, CHALEARD 1994). Ce différentiel de prix oriente le consommateur, dans un climat de crise économique, vers le riz. Les volumes concernés, du fait de la progression de la population citadine, croissent rapidement.

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En fait, la politique rizicole de la Côte-d’Ivoire, en matière de consommation, s’appuie SIX les importations, qui lui permettent de répondre de manière efficace à Ia demande urbaine, a* détriment de la balance commerciale (ROCH, 1990). Cette politique d’importation du riz date de l’époque coloniale et se maintient jusqu’en 1974 (figure 8). La forte croissance des Com intemationaux de cette céréale en 1973 justifie celle des prix intérieurs, que ce soit à la productio ou à la consommation. Cette fièvre n’est que de courte durée (MENDEZ DEL VILLARS, 1994).

Les importations de riz cessent en 1975 et 1976. Ainsi que nous l’avons déjà évoqué, l’antjcipati des importations en 1973 et la contraction de la demande suite à la flambée des Prix consommation expliquent en partie cette autosuffisance apparente. I1 reste indéniable toutefois cela constitue le résultat immédiat d’une nouvelle politique du prix la production- agriculteurs montrent aIors leur capacité de réponse immédiate à une incitation par le Prix- si la mise à l’écart des circuits de commercialisation privés et un léger prélèvement dans les

Notamment LOUIS BERGER (1988), HIRSCH (1 984, 1985, 1993), PHELINAS (1 986, 1988). 16

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destinés à l'autoconsommation, gonflent artificiellement les tonnages commercialisés par la Soderiz, on ne peut contester un net accroissement de Ia production nationale.

En 1977, les importations reprennent, à un niveau comparable à celui précédant I'éphémère boom rizicole de 1975-1 976. Elles grimpent ensuite brutalement, jusqu'en 1983. Un certain palier apparaît alors dans les importations, avec d y variations en dents de scie jusqu'en 1994 (fig 8). L'effondrement des cours mondiaux à partir de 1975 incite à suivre une telle politique. I1 permet même à 1'Etat ivoirien de substantiels prélèvements, par la taxation de ses importations (ROCH, 1988).

En opposition avec ses incantations répétées d'indépendance alimentaire, la Côte-d'Ivoire assure donc l'approvisionnement d'Abidjan et des autres villes du pays par des importations massives de riz. Cet avantage donné au ri: importé est accentué par les subventions au transport, remplacées en 1990 par une réduction du prix de gros. Cela pénalise le riz local et lui enlève toute possibilité de rivaliser avec le riz importé dans les villes éloignées d'Abidjan mais proches des lieux de production.

Dans une situation de crise et d'application des plans d'ajustements structurels, cette politique d'importation permet de fournir aux consommateurs citadins, du riz à bas prix et permet d'assurer la paix sociale à Abidjan et dans les principales villes de l'intérieur. A n'en pas douter, une hausse brutale provoquerait en effet des mouvements de protestation, voire des révoltes. Mais que deviendra cette politique à court terme, de satisfaction de la demande citadine, le jour où les cours mondiaux du riz augmenteront ?

La dévaluation du franc CFA en janvier 1994 représente sur ce sujet un bon indicateur. I1 est encore trop tôt pour analyser les effets à long terme de cette dévaluation, mais les premières observations montrent que le riz de grande consommation n'a augmenté que de 9,5 %. La Côte- d'Ivoire a-t-elle répercuté une chute des cours compensant le changement de parité ? Dans une situation politique intérieure délicate, après la disparition du Président Houphouet Boigny et avant les élections de 1995, le gouvernement choisit de subventionner le riz importé.

Dans le même temps, le riz local ne progresse que de 10 % à Abidjan (AKINDES, 1994). Nous n'avons pas d'information sur les prix pratiqués au producteur. Si l'on envisage une augmentation comparable Zi celle observée à Abidjan, cela s'avère bien faible par rapport à la flambée des prix des produits importés, notamment les intrants : + 94 % pour les herbicides, + 75 % pour les engrais.

Si 1'Abidjanais y trouve son compte, même si une hausse se profile après les élections de 1995, de telles mesures ne peuvent que dissuader encore plus les producteurs de se tourner vers une riziculture commerciale. L'agriculteur continue à se nourrir du riz de ses champs, tpd is que le citadin privilégie encore plus ses achats de riz importé.

Un potentiel rizicole

Pourtant les conditions agro-climatiques de la Côte-d'Ivoire sont favorables à la riziculture. Certes, le choix du tout irrigué a démontré son incapacité à assurer l'approvisionnement des villes. Dans un contexte économique difficile, tout au plus peut-on envisager une réhabilitation des ouvrages

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400 -

300 -

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100%

50%

0%

55 60 65 70 75 80 85 90 95

Source : Ministère Agriculture Abidjan et Statistiques douanières Unit6 : Millier de tonnes

FIG. 8 - Fluctuations des importations de riz par la Cóte-d'Ivoire

Cotonnier O Maïs + riz El Maïs H Riz pluvial

Arachide O Riz inondé

Engrais Herbicide Mécanisation

FIG. 9 - Niveau de modernisation à Syonfan

100%

50%

0% Engrais Herbicide Mécanisation

FIG. 1 O - Niveau de modernisation à Karakpo

H Cotonnier O Maïs + riz II Maïs H Riz pluvial

Arachide o Riz inondé H Igname

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- .*

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existants. Une politique de barrages, du genre de celle menée de 1971 à 1976 n'est guère envisageable. Dans le contexte ivoirien oh la terre ne constitue pas un facteur de production si rare, le soucis d'intensification par un deuxième cycle annuel de culture est-il économiquement fondé ?

Le riz fournit quatre cinquièmes de la production ivoirienne (Hirsch, 1993). Cette forme de riziculture n'est jusqu'ici que très peu favorike. Un nouveau contexte de prix peut parfaitement stimuler cette riziculture pluviale, dont les surplus alimenteraient les villes ivoiriennes. Mais une telle riziculture ne peut s'envisager de manière sectorielle. Le riz pluvial s'intègre en effet dans des systèmes de culture, que ce soit dans l'espace par les associations, ou dans le temps par des successions alternant riz et autres cultures.

En guise d'illustration, revenQns à Karakpo, notre village du Nord, ainsi qu'à Syonfan l'autre localité du département de B~undiali '~. Ces deux communautés privilégient le coton dans leurs recettes agricoles et voient la part relative du riz régresser, surtout pour le riz inondé. Le contraste entre ces deux villages nécessite de les analyser séparément.

A Karakpo, le cotonnier, quoiqu'en progression entre 1975 (fig. 1) et 1989 (fig. 2), n'occupe que le quart de la surface cultivée. En 1989, le riz est toujours associé, avec de l'igname ou du maïs, cette dernière association régressant au profit du maïs pur. La diminution du riz inondé provient de l'abandon des ventes de cette céréale. La culture attelée ne rencontre qu'un succès modéré et stagne depuis quatorze ans. La mécanisation ne progresse que grâce aux Iabours par entreprise.

Syonfan affiche un dynamisme plus marqué. L'accroissement important des surfaces cultivées (+ 64 %) provient de la poursuite de la colonisation de son terroir par la sous-préfecture toute proche. Mais la progression est la même chez les autochtones, grâce à la généralisation de la mécanisation, en culture attelée, au tracteur ou par le labour à façon. Seulement 2 % des surfaces sont strictement manuelles. Cet accroissement profite surtout au cotonnier, qui occupe maintenant presque la moitié des surfaces cultivées (fig. 4). Le taux d'association du riz est plus faible, mais le riz pur occupe une place plus importante. Le riz inondé, ignoré par l'encadrement agricole comme nous l'avons vu, décline.

Dans les deux villages, riz et cotonnier entretiennent des relations de complémentarité et de concurrence. La complémentarité est tout d'abord -agronomique. Nous ne reprenons pas ici le mythe de l'arrière-effet engrais, propagé par le lobby cotonnier", mais insistons sur le bénéfice mutuel de l'incorporation du riz dans les successions à base de cotonnier.

Cette intégration est élevée à Syonfm, où le cotonnier succède ou précède le plus souvent une culture de rizlg. A Karakpo, l'alternance moins fréquente du riz et du cotonnier dans la même succession s'explique par la part plus faible du cotonnier dans les assolements et par la disjonction spatiale souvent observée entre ces deux cultures. Le riz fait souvent partie du système de culture à base d'igname2'.

PELTRE-WURTZ, STECK (1991), LE ROY (1983), LEROY (1992). L'arrière-effet de l'engrais épandu sur une parcelle de riz avant une parcelle de cotonnier sans fumure existe aussi. Parmi les parcelles cultivées depuis cinq ans, 82 % de la surface intègre coton et riz dans la succession.

Paradoxalement cette proportion descend à 64% pour les parcelles plus anciennes. Elle diminue par contre pour les f2rcelles plus récentes : 59 % pour celles de quatre ans et 66 % pour celles de trois ans.

La proportion de la surface intégrant riz et coton dans la même succession n'est que de 22 % pour les parcelles de plus de 5 ans, de 26 % pour celles de 5 ans. Elle chute à 3 % pour celles de 4 ans et 10 % pour celles de 3 ans de culture

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La seconde forme de complémentarité du riz et du cotonnier réside dans l'utilisation des moyens de production. Les innovations techniques sont introduites pour et grâce au coton.&-. Le coton en bénéficie en premier, mais c'est lui qui en assure le financement. Le paiement des moyens de production se fait sur les recettes cotonnières et le système de crédit ne fonctionne de manière efficace que pour les producteurs $e coton. En retenant, comme critère de modernisation de l'agriculture, l'utilisation d'engrais, d'herbicide et la mécanisation, la figure 9 illustre bien l'avantage que tire le riz du système de culture cotonnier à Syonfan. Presque la moitié du riz reloit des engrais. Cette céréale profite en premier des herbicides, principale innovation de ces demières années. La mécanisation (culture attelée ou tracteur) touche la presque totalité du riz. p a conbe, l'impact de ces trois indicateurs de modernisation demeure faible à Karakpo, puisque le riz pluvial en est exclu (fig. 1 O). Le riz inondé se montre rarement concerné.

Cependant, cotonnier et riz entrent aussi en Concurrence. Tout d'abord dans les calendriers culturaux, où nous avons montré que les pointes de travail du cotonnier correspondent à celles du riz (LE ROY, 1983). La rivalité se manifeste également dans les surfaces consacrées à chacune de ces cultures, non par manque de terre, ce qui n'est pas encore le cas dans le département de Boundiali, mais par saturation des calendriers de travail. La mécanisation ne lève pas tous les goulots d'étranglement, notamment pour la récolte encore strictement manuelle. Sans changer fondamentalement le système de culture, par l'introduction de la motorisation par exemple, l'extension d'une des deux cultures se fait au détriment de l'autre. L'évolution relative des prix de ces deux produits se montre alors déterminante dans le choix de l'agriculteur. Nous avons vu que, depuis la fin du bref boom rizicole, elle est plus favorable au coton. L'accroissement du prix du coton de 43 % entre 1993 et 1994, c'est-à-dire avant et après dévaluation, et de 67 % entre 1992 et 1994, ne fait qu'accentuer le déséquilibre en défaveur du riz. Les 1 O % d'augmentation pour le riz ne fait pas le poids.

Conclusion

Alors que le nord de la Côte-d'Ivoire présente un potentiel rizicole important, les ventes de riz sont faibles, surtout dans le département de Boundiali. Cette situation provient d'une dégradation constante depuis vingt ans des conditions de prix au producteur. Celui-ci se désintéresse progressivement de cette culture comme source de revenus et privilégie le cotonnier qui, malgré des performances économiques en régression depuis les deux chutes des cours mondiaux, accentuée par le renchérissement des intrants après dévaluation, rémunère mieux l'agriculteur. Ce dernier continue à pratiquer la riziculture, dans le but presque exclusif de l'autoconsommation.

Pendant que l'agriculteur mange le riz récolté dans son champ, le citadin conSomme du riz impofié- Le rôle de l'Etat, par sa politique de prix bas, est déterminant dans l'aggravation de la dépendance alimentaire de la Côte-d'Ivoire. Le riz importé concurrence non seulement le riz national, mais aussi les autres vivriers. La dévaluation du franc CFA constitue une opportunité devant stimuler la production nationale de riz par un renchérissement du riz importé. Prêt à tous les sacrifices Pour préserver la paix sociale à Abidjan, le gouvernement ivoirien préfère subventionner ses importations de riz. Pour combien de temps ?

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Pourtant les agriculteurs ivoiriens ont montré leur rapidité de réponse à une politique des prix favorable. Le boom agricole de 1975 et 1976, quelles que soient les réserves que l'on peut émettre, le prouve. Une nouvelle politique rizicole, répondant à un véritable soucis d'indépendance alimentaire, ne doit pas toutefois reconduire les erreurs du passé en ne privilégiant que les coûteux aménagements hydro-agricoles, hors de propos dans un contexte de crise et de mesures d'ajustement structurel. Elle doit s'appuyer sur la riziculture sans maîtrise de l'eau, pluviale ou inondée. Cette nouvelle politique ne do# pas se concevoir de manière sectorielle mais tenir compte des systèmes de culture auxquels le riz participe. Par exemple, dans le nord du pays, les innovations techniques introduites pour et grâce au cotonnier, bénéficient à la culture du riz. Un rapport de prix plus favorable à cette dernière peut inciter à dégager des surplus commercialisés, ,

nécessaires à l'alimentation des villes.

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