Le Retour (Zviaguintsev, 2003)

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1 Analyse du film « Le Retour » d’Andrei Zviaguintsev (2003) DUPIRE ARNAUD 000321919 ARTS-5C ANNEE ACADEMIQUE 2014-2015 08 janvier 2015 Auteurs et cinémas nationaux : Les cinémas d’Europe de l’Est CINE-B-505, Travail à l’adresse de Mme Nasta

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Analyse du film "Le Retour" d'Andreï Zviaguintsev (2003).

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    Analyse du film Le Retour dAndrei Zviaguintsev (2003)

    DUPIRE ARNAUD

    000321919

    ARTS-5C

    ANNEE ACADEMIQUE 2014-2015 08 janvier 2015

    Auteurs et cinmas nationaux :

    Les cinmas dEurope de lEst CINE-B-505,

    Travail ladresse de Mme Nasta

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    Table des matires 1. Introduction ......................................................................................................................... 3

    2. Contexte historique ............................................................................................................. 3

    3. Le Retour : Entre continuit et renouveau ....................................................................... 5

    3.1 Lentreprise mythique dmiurgique .......................................................................... 5

    3.2 Transcendance du mythe par le mysticisme ............................................................. 6

    3.3 Mythe de lEternel Retour .......................................................................................... 9

    3.4 Logique des quatre lments .................................................................................... 10

    3.5 Gestion du temps ....................................................................................................... 13

    3.6 Syntaxe et esthtique ................................................................................................. 15

    Conclusion .................................................................................................................................. 17

    Annexe ........................................................................................................................................ 18

    Dcoupage .............................................................................................................................. 18

    Fiche technique ...................................................................................................................... 19

    Bibliographie ............................................................................................................................. 20

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    1. Introduction

    Cest en 2003 quAndrei Zviaguintsev ralise Le Retour. Ce nest quun premier

    film et le ralisateur russe se voit propuls sur la scne internationale par lobtention

    dune haute reconnaissance: le Lion dOr de la Mostra de Venise. Le film narre

    lhistoire dun pre mystrieux, revenu dans le foyer domestique aprs douze ans

    dabsence. Le pre apparait lcran avec des allures christiques et dcide demmener

    ses deux enfants, Andrei et Ivan, pour une partie de pche sur une le dserte. Le voyage

    apparait comme un parcourt initiatique vers lge adulte.

    A premire vue, la trame narrative ne semble pas innovante. Andrei

    Zviaguintsev nest pas le premier traiter du thme du retour mais cette simplicit nest

    quune apparence trompeuse. En effet, loriginalit du rcit tient son caractre sacr,

    mystique. Le caractre poly-sensoriel de ce film sollicite fortement les sens du

    spectateur et le touche.

    Dans ce travail, nous aborderons luvre dAndrei Zviaguintsev afin de

    connaitre le contexte historique dans lequel est n le film ainsi que les relations quil

    entretient avec lhritage cinmatographique russe. Nous analyserons galement les

    principales caractristiques esthtiques de cette uvre.

    2. Contexte historique

    Cest sous le rgime de Mikhal Gorbatchev que lUnion des Rpubliques

    Socialistes Sovitiques seffondre en 1990 et 1991. Sortis du joug totalitaire, la Russie

    et ses cinastes contemporains doivent dsormais se replacer dans une nouvelle socit

    en pleine mutation. Les cinastes font face un nouveau contexte social, historique et

    politique. Ces nombreux changements affectent les ralisateurs sur le plan de la

    narration et de lesthtique. Quen est-il dun cinaste comme Andrei Zviaguintsev ?

    Nous allons examiner la manire avec laquelle il prend part dans cet hritage culturel et

    en quoi son uvre se rvle tre une dmarche originale dans un contexte post-

    communiste.

    Entre la chute du bloc sovitique et les annes deux-mille, la Russie est passe

    de leffondrement de sa production cinmatographique lpanouissement dune

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    industrie florissante. Actuellement, le public europen peine voir des films rcents

    issus de lindustrie cinmatographique russe car peu de films nous parvienne (en dehors

    des quelques uvres dauteurs comme Le Retour dAndrei Zviaguintsev, Le Soleil

    dAlexandre Sokourov,). Pourtant lindustrie cinmatographique russe actuelle est

    une entreprise florissante.

    Ds la fin des annes 80, ltat intervient de moins en moins dans le secteur

    cinmatographique diminuant ainsi drastiquement les investissements financiers allous

    aux budgets de films, la conservation du patrimoine, au fonctionnement des studios et

    leurs quipements techniques. Les consquences sont dures : des grands studios et des

    milliers de salles de cinma ferment leurs portes. La fermeture de grands studios dans

    les annes 90 donneront naissance des socits prives dont les activits opreront

    entre le blanchiment dargent et les vasions fiscales1.

    Dans les annes 90, les artistes se trouvent dans une situation paradoxale. La censure

    ayant t anantie, les cinastes retrouvent une libert de parole dans leurs crations

    artistiques. Cependant, les grandes difficults pour obtenir des aides et subsides,

    ncessaires la confection de leurs films, font que ces ralisateurs se retrouvent dans

    une impossibilit de raliser. Faute dargent, la libert dexpression, rcemment gagne,

    se voit rgresser.

    Ltat fait son grand retour dans les annes 2000 et intervient nouveau dans le

    paysage cinmatographique russe. Lessor de la tlvision russe et les fortunes quelles

    engendrent permettent de donner un coup de nouveau dans le paysage des productions

    cinmatographiques. Cet essor permettra plusieurs jeunes ralisateurs de concrtiser

    leurs projets2. Cest le cas du Retour, qui fut produit par des subsides provenant de la

    chaine tlvisuelle comme Ren film (une filiale de Ren TV). Ce changement dans le

    systme de production-distribution-exploitation permet enfin de donner la libert de

    parole aux cinastes. Comme le mentionne dAndrei Zviaguintsev : L'argent dcide

    de pas mal de choses, mais tout dpendra des gens qui l'on fournit cet argent3 .

    1 FAVAREL-GARRIGUES. Gilles et ROUSSELET Kathy., La Russie contemporaine, Edition Fayard, Paris, 2010, p. 420. 2 EISENREICH Pierre. GARBARZ Franck., Entretien avec Andre Zviaguintsev : Avoir cette dimension relle et vivante , dans Positif, N514, Paris, dcembre 2003, p. 8. 3 Ibid., p. 10.

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    Du ct russe, le film na pas eu un franc succs : Aprs la projection Moscou, il ny

    a seulement eu que 2 ou 3 critiques positives. La plupart des articles taient hostiles4 .

    A linverse, le monde occidental parle dun film apparaissant comme un message

    despoir pour le cinma russe. Loin du blockbuster, le film emprunte des

    caractristiques propre lhritage russe mais le renouvelle tout la fois.

    3. Le Retour : Entre continuit et renouveau

    3.1 Lentreprise mythique dmiurgique

    Selon son clbre crit le Time , Platon voyait lunivers comme le produit

    dun illustre crateur. Ce crateur est Dmiurge, lartisan-forgeron. La qualit de cet

    artisan-forgeron est de pouvoir refaonner un monde chaotique.

    Selon cette pense mythique platonicienne, Dmiurge difie lunivers selon des rgles.

    Quatre lments constituent la matire du cosmos : leau, la terre, lair et, enfin, le feu.

    Ces lments doivent trouver un juste quilibre entre lhumain et le divin 5. Cette

    pense a eu une influence forte sur certains ralisateurs dEurope de lEst tel quAndrei

    Tarkovski en Russie. Use-t-on encore de ce mode de pense dans le cinma russe

    contemporain ? Dcrit-on encore un monde au trait apocalyptique ? Nous rpondrons

    ces questions par la suite.

    Nous trouvons quelques similitudes entre le ralisateur que nous avons choisi

    pour notre travail et Andrei Tarkovski. Andrei Zviaguintsev dclare ce propos tre

    trs proche du cinma de Tarkovski 6. Tout comme Andrei Tarkovski, il veut crer son

    propre langage cinmatographique et refuse en bloc le cinma commercial : Jespre

    que je commence avoir mon propre langage cinmatographique. Le cinma

    commercial peut nous donner des possibilits trs larges, mais dont je nuse pas. []

    Le cinma tombe dans un remue-mnage, quelque chose de trop ordinaire . Le cinma

    quil essaye dlaborer lui permet de rendre visible linvisible, telle est son entreprise

    dmiurgique.

    4 S.N., Fiche technique : Le Retour Dandrei Zviaguintsev , Youscribe, [En ligne]. . (Consult le 30 novembre 2014). 5 NASTA Dominique, Andrei Tarkovski, dmiurge dans Materiali di Estetica, Milano : librerie CUEM, Dcembre 2006, p.1. 6 CIEUTAT Michel et VALENS Grgory, Entretien avec Andre Zviaguintsev : Rendre visible l'invisible dans Positif n564, Paris, fvrier 2008, p. 30.

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    Selon Andrei Zviaguintsev, la mythologie rgit lexistence de lhumain et donc doit tre

    aussi prsente dans lart cinmatographique : Le mythe est une ralit absolue.

    Simplement nous pensons que cest une sorte de jeu intellectuel. Mais nous vivons de

    mythes. Il vit en nous, nous devons seulement le dcouvrir. Nous sommes tous Eve et

    Adam 7.

    Dans cet ordre dide, mentionnons la premire scne o Ivan se trouve en haut

    dun plongeoir et est invit par ses amis prouver sa virilit en sautant dans leau.

    Cependant, Ivan est ptrifi de peur et sa mre le rejoint afin de le consoler et de lui

    conseiller de sauter lorsquil se sentira prt. Cette scne nous fait penser au paradigme

    mythique de la Chute dIcare . Ce paradigme est un outil important dans la dmarche

    dmiurgique. Nous le retrouvons une scne similaire chez Andrei Tarkovski (la scne

    du ballon dair dans Andrei Roublev (1966)). En slevant sur le plongeoir, Ivan lve

    son me. Cest par la chute quil pourra se reconfigurer en tant quindividu. Cette scne

    ouvre la marche dun long rite initiatique vers lge adulte.

    3.2 Transcendance du mythe par le mysticisme

    Le mythe dAndrei Zviaguintsev reprend certaines caractristiques directement

    dans le cinma russe. Son mythe sinscrit dans une histoire a-temporelle ainsi que dans

    lieux indtermins. Le paradigme familial est galement prsent avec la Trinit

    reprsente par lautorit patriarcale et ses deux fils. Les trois personnages voluent

    dans un monde essentiellement masculin o rgne une virilit exacerbe (le pre duque

    la violence, au voyeurisme machiste, lordre quasi militaire,).

    Comme nous le voyons dans le cinma de Tarkovski, lhypothse mythique

    permet de transformer un vnement ordinaire en vnement devenant extraordinaire.

    Andre Zviaguintsev fait de mme en prenant le parcours dun tre humain ordinaire et

    lexemplifie afin de le rendre exceptionnel. Cette entreprise mythique se conjugue sur le

    mode de la transcendance, mtaphysique, mystique. Lide du mythe comme histoire

    relle nest pas suffisante, il faut le transcender, aller encore plus loin pour le dpasser.

    Andre Zviaguintsev, lui-mme dit user de la dimension mtaphysique dans son

    film : Lincarnation mtaphysique du mouvement de lme de la Mre au Pre 8.

    7 OVTCHNNIKOVA. Macha., Le rvlation du temps par les figures sonores dans les films dAndrei Tarkovski et dAndrei Zviaguintsev, Editions LettMotif, Paris, 2014, P.113. 8 -FRAISSE Philippe, Le Christ mort de Mantegna dans un film de Zviaguintsev dans Positif n590, Paris, avril 2010, p. 117.

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    Cette thorie du mouvement de lme rappelle la mtempsycose platonicienne qui

    voyait lme en perptuel migration dun corps vers un autre. Citons la scne o Ivan et

    Andrei rencontrent leur pre pour la premire fois. Celui-ci est allong dans un lit et,

    dormant, apparait dans une position christique. Cette position du corps nest

    videmment pas anodine. Andre Zviaguintsev reprsente la clbre peinture La

    lamentation du Christ mort (1480) de Mantegna. Cette scne a t reconstitue avec une

    minutie folle et est presque identique la peinture : les plis des draps, la position de la

    tte penche du ct droit, les bras lgrement plis, le torse dnud, les doigts

    lgrement replis lintrieur de la main, Par cette citation indirecte, le ralisateur

    essaye-t-il de dmontrer quelque chose ? La prsence du Christ mort signifie-t-elle la

    mort programme du pre ? Le pre nest-il tout simplement pas dj mort ? La

    dimension biblique dgage par cette scne fait-elle allusion une ressuscitation du

    pre, tout comme le Christ la t ? Le pre est-il le Christ ? Le ct transcendantal de la

    scne est accentu par la prsence dune plume (dange ?), qui semble apporte par le

    vent provenant de la fentre.

    Suite cette rencontre, les deux frres vont chercher une photo de famille au

    grenier afin de confirmer lidentit du revenant. Cette photographie est glisse dans un

    livre contenant des gravures bibliques. La photographie est place entre deux pages

    reprsentant limage Abraham et le sacrifice d'Isaac au moment o lange vient sauver

    Isaac du sacrifice en stoppant lacte criminel de son pre. Lapparition, furtive, de cette

    image symbolise et synthtise la trame narrative du film qui se droule plus tard lorsque

    quIvan, excd de lautorit de son pre, menace son pre dun couteau semblable.

    Dans la scne qui suit, les deux enfants, la mre, la grand-mre et le pre dnent

    table. Lhypothse intergnrationnelle est une caractristique propre au cinma de

    lEst et est ici reprsente par les trois gnrations : enfants, mre et grand-mre. Cette

    scne est un cas dintertextualit biblique relatant la Cne du partage du vin et du pain

    par Jsus avec ses aptres dans la Bible.

    Les emprunts bibliques sont nombreux dans le film. Mentionnons dailleurs le

    squenage du film en sept chapitres provenant tout droit des sept jours quil a fallu

    Dieu pour crer le monde dans la Gense. Cette structuration du rcit est une ide on ne

    peut plus dmiurgique. Etrangement, le film commence un dimanche, le jour o le

    Seigneur se repose aprs la cration du monde.

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    Contrairement Tarkovski qui revisite des mondes multiples des priodes bien

    prcises (comme le Moyen-ge dans Andrei Roublev) et quil universalise pour reflter

    la ralit actuelle, Zviaguintsev revisite un monde dans un chronotope indtermin. Le

    film nous plonge une priode inconnue. Seul quelques lments dordre matriel

    (appareil photo sur pellicule, une voiture, architecture,) permettent de situer laction

    entre le 20 et 21ime sicle. Lendroit o le pre dsire aller est une le isole et

    accessible uniquement par bateau. Lle semble dpourvue de prsence humaine. Seul

    une ancienne maison dtruite et un phare nous sont montrs. Les seules prsences

    humaines dans le rcit prcdent larrive des hommes sur lle. Comme le mentionne

    Dominique Nasta dans son analyse des trois S de Tarkovski (Solaris (1972), Stalker

    (1979), Le Sacrifice (1986)) Le monde humain est celui qui est li la Terre, le

    monde de ltrange est reprsent par des lieux indfinissable 9. La notion de

    lHomme et de lEtrange10 se trouve au cur du Retour. Comme chez Tarkovski,

    lHomme svade vers des lieux lointains et rencontre lEtrange. La rencontre entre les

    enfants et lile intervient comme un rite de passage.

    Dans ce chronotope indfinissable, Andre Zviaguintsev laisse planer le doute

    chez le spectateur. Nous trouvons-nous dans une hypothse raliste ou onirique ? Ce qui

    est certain est que nous nous trouvons ni dans lun ni dans lautre mais les deux tout la

    fois. Le ralisateur brouille volontairement la frontire entre ralisme et onirisme

    rendant ainsi la frontire permable. Cette non-dissociation est visible chez Tarkovski

    qui prfre fusionner rve et ralit pour que la rcration du monde soit complte.

    Zviaguintsev sinspire de cette non-dissociation pour ne pas faire apparaitre les choses

    de matire concrte dans le film : Je pense que les significations que je tenais

    exprimer dans le film ne devraient pas adopter une forme trs concrte 11. Le pre est

    un exemple de la forme non concrte du film. Il apparait comme le Christ mort, sa

    prsence sur la photographie reste un mystre tout le restant du film (celui-ci disparait

    mme de la photographie de famille dans les dernires scnes). Sa prsence est voir

    plus comme une apparition fantomatique que comme un personnage. Au final, celui-ci

    est mort depuis bien longtemps. Tout comme chez Tarkovski, Zviaguintsev use dune

    9 NASTA Dominique, Mythes de la Stabilit et de la Mutabilit : L'humain et l'trange dans luvre de Tarkovski dans Les Cahiers du CERLI, n14, Bruxelles, janvier 1987, p. 85. 10 Ibid., p. 72. 11 EISENREICH Pierre. GARBARZ Franck., Op. Cit., p. 8.

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    combinaison bicphale 12 la fois humaine et non-humaine, trange et familier,

    laque et emprunt au mysticisme pour permettre de conjuguer le parcours dun

    personnage en le mettant en relation avec des lments paens ou religieux. Le rsultat

    donne la sensation dosciller entre ralisme et mysticisme.

    Nombre de films de lEst fonctionnent comme un miroir dune poque

    communiste, une critique de la politique dantan par la dnonciation du mal stalinien,

    Notre film est-il une allgorie malgr quil ait t tourn treize ans aprs la chute du

    bloc sovitique ? Il nest pas ais de trouver une seule interprtation valable. Le rcit

    donne limpression davoir t cr pour tuer le pre. La perte du pre semble tre

    assimile la mort de lURSS quil a fallu tuer pour retrouver la libert de se mouvoir

    et de penser. Limage du pre est symbole dune lautorit quAndrei accepte (il

    lappelle papa ) et quIvan refuse en bloc ( linverse il refuse de lappeler papa ).

    Pour les deux fils, la mort de figure paternelle est synonyme de repositionnement de

    leur tre et de recherche de nouveaux re(pres) ncessaire pour pouvoir mieux avancer.

    La dmarche de notre ralisateur se place dans un contexte post-apocalyptique. En effet,

    les enfants se situent aprs un drame qui a eu lieu, ils avancent vers une situation

    meilleure.

    3.3 Mythe de lEternel Retour

    Dans ce film, Zviaguintsev refuse lhypothse de la finitude des choses. Selon

    lui, la fin nen nest pas une. Les enfants sont confronts la mort de leur pre et

    entretiennent avec lui un rapport ncrophile. Ce rapport la mort est trs prsent dans

    les cinmas de lEurope de lEst pr-rvolutionnaire et contemporain (Rves veills

    dEvgueny Bauer (1915), Le Chne de Lucian Pintilie (1992)). Lide est que la vie et

    la mort coexistent. Les enfants interagissent avec le cadavre (Andrei lui ferme les yeux,

    ils le transportent jusqu la barque,). Cette hypothse induit une dynamique cyclique

    qui est la rptition dun cycle. Dailleurs notons lisotopie du titre. La logique de

    lEternel Retour est un lment fondateur de la dynamique de la recration du monde.

    Cette cyclicit est appuye par de nombreuses rimes binaires : la malle dans le grenier

    contenant une photo cache et la malle que le pre dterre sur lle dont le contenu nest

    gure rvl au spectateur (est-ce un trsor ?) ; la barque gisant au fond de leau rvle

    par un traveling lors du gnrique et la barque qui est engloutie, avec le corps du pre,

    12 NASTA Dominique, Op. Cit., p.4.

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    dans les abymes marins ; le drap qui recouvre le pre sur son lit et leau jouant comme

    un linceul christique lorsque le corps disparait dans les eaux ; le plongeoir do Ivan

    nose pas sauter et le phare duquel il menacera de se jeter ; Pour le ralisateur : Ces

    correspondances sont tout fait conscientes. [] Je pense que ce sont des choses qui

    font allusion au mythe de lEternel Retour. Il sagit dune rptition, dun cycle 13. La

    rime du bateau prsent dans le gnrique corrobore le fait que le pre est dj prsent

    comme mort ds le dbut du film. Ce dtail nest videmment pas comprhensible la

    premire vision du film.

    Dans lhypothse de lEternel Retour, nous trouvons la thorie du point

    dpiphanie dvelopp par Northrop Frye. Il sagit dun : archtype qui prsente

    simultanment un monde apocalyptique et un ordre cyclique de la nature les

    symboles habituels dune telle piphanie sont les chelles, les phares, les iles et les

    tours 14. Ces propos ne peuvent tre plus clairs. Lle, le phare et la tour sont des

    symboles flagrants dans notre film. Au dbut du film, Ivan est terroris lide de

    sauter dun plongeoir. A la fin du film, le pre prira en tombant dune tour.

    Dominique Nasta identifie ce point dpiphanie au manque15. Dans Andrei Roublev,

    Boriska doit fondre une cloche pour viter la dcapitation. Le problme est que son pre

    est mort sans lui livrer le secret de cette fonte. Boriska accompli donc un miracle in

    absentia. La notion du manque est essentielle dans lentreprise dmiurgique. Dans le

    Retour, le manque est identifi au manque du pre. Comme nous le mentionnons

    prcdemment, le manque abouti au miracle dans Andrei Roublev et est associ des

    images de joies la fin du Retour. Une srie de photographies dfilent montrant Ivan et

    Andrei joyeux et souriants lors du voyage et de leur enfance. La mort du pre semble

    tre accepte par les enfants et signifie un retour lquilibre, une srnit.

    3.4 Logique des quatre lments

    Revenons un instant sur la logique des quatre lments venant rythmer notre

    narration. Nous allons voir comment les lments jouent le rle de cellule autonome de

    sens. Ces lments constituent la nature au sens large. Chez Zviaguintsev, la nature a

    une vritable fonction narrative. Les paysages voquent des catgories de sens. Le

    ralisateur livre : Il fallait donner aux trois personnages et au dcor naturel une

    13 EISENREICH Pierre. GARBARZ Franck., Op. Cit., p. 8. 14 NASTA Dominique, Op. Cit., p. 74. 15 NASTA Dominique, Op. Cit., p.6.

  • 11

    dimension mythologique. Ainsi, pour les reprages, nous avons cherch dans le nord de

    la Russie qui possde une belle facture graphique, des lignes horizontales - leau, les

    bandes de sable et des conifres bien verticaux 16. Cest cette diversit du paysage

    russe permet dexprimer un retour la nature (et ltat de nature) pour nos

    personnages : se nourrir des poisons, des fruits que la Terre offre,...

    Les lments pr-socratiques sont tous prsents dans le film. Leurs usages diffrent

    lgrement par rapport Tarkovski mais ils servent toujours la matrialit dun monde

    poly-sensoriel. Le Retour est un cinma profondment poly-sensoriel, cest--dire

    touchant les diffrents sens du spectateur.

    Llment aquatique est llment le plus important et le plus rcurrent dans

    notre film. Il marque lide du passage (de lHomme lEtrange), de la traverse (le

    pre doit pouvoir traverser leau pour atteindre une malle secrte), de la transformation,

    de la transition dans une dynamique biblique. Lesthtique de la nature et du climat

    annonce au spectateur lorientation du drame17. Mentionnons la scne o les trois

    hommes naviguent sur les eaux pour rejoindre lle. Le moteur de la barque tombe en

    panne et les enfants sont forcs utiliser des pagaies pour avancer. Le temps change et

    une pluie vient sabattre sur eux. A ce moment prcis, la donne climatique vient ajouter

    une tension psychologique aux personnages tremps jusquaux os. Dans une scne, Ivan

    se dispute avec son pre dans la voiture et celui-ci labandonne avec sa canne pche le

    long de la route. Aprs une ellipse, une trombe deau sabat sur Ivan qui attend. Le

    spectateur ressent les mmes sensations que les grelottements du personnage. Il sagit

    dun cas flagrant de synesthsie. Le pre vient rechercher Ivan, qui est tremp. Ivan

    entre dans la voiture et livre sa colre contre son pre: Pourquoi tu es revenu ?

    Pourquoi tu nous as pris avec toi ? [...] On tait mieux sans toi, avec maman et mamie

    . Cette vivacit desprit est permise grce la donne mtorologique qui joue comme

    reflet du caractre psychologique. Autrement dit, le dluge lextrieur prpare le

    dluge psychologique du personnage. Notons aussi que lespace confin est garant de

    lexpression de lhyper-sensibilit du jeu dIvan.

    16 S.N., Fiche technique : Le Retour Dandrei Zviaguintsev , Youscribe, [En ligne]. . (Consult le 30 novembre 2014). 17 BONVOISIN. Daniel., Les fonctions narratives de la nature au cinma dans Mdias plus vert que nature : Lexploitation du thme de lenvironnement dans les mdias, Dossier de lducation aux Mdias, N. 8, Bruxelles, 2013, p.1.

  • 12

    Leau est omniprsente et donne limpression dencercler littralement les trois hommes

    (la mer, la pluie, la brume,...). Elle encercle nos trois personnages comme pour figurer

    un univers fminin qui, sil a t provisoirement oubli, continue de guetter 18.

    Lunivers fminin est associ limage de la mre, prsente uniquement au dbut du

    film et qui continue veiller sur les trois personnages.

    Outre leau associe un personnage fminin, llment aquatique joue parfois comme

    antagonisme. Lors du priple, les trois hommes sont stopps sur une route boueuse. La

    pluie se dchainant sur eux ne fait quaccentuer leur embourbement.

    Leau joue aussi comme un retour la Mre-Nature, un retour au liquide amniotique. La

    nature engloutit littralement le cercueil-barque et purifie lme en enveloppant le

    corps dun linceul lorsque le pre coule.

    Le deuxime lment le plus prsent est llment tellurique. Comme nous

    lavons vu, il sagit de lEternel Retour, de la rgnration. Cette lment symbolise le

    gniteur, lendroit do n ltre et do il repart (le pre se faisant engloutir dans les

    eaux, tout comme les cendres du pre de Nela sont englouties dans la terre dans Le

    Chne de Lucian Pintilie (1992)). Les paysages terrestres fonctionnent comme une

    grammaire visuelle influant normment sur le caractre des personnages. Nombreux

    sont les plans usant de la profondeur de champ infini pour rvler ltendue (la vue

    panoramique en haut du phare). Le paysage est parfois vid de sa substance humaine et

    donne limpression que le voyage a emmen nos personnages dans un monde

    dshumanis. Ces dcors vids de leurs substances humaines proviennent dinfluence

    antonioniennes quAndrei Zviaguintsev ne cache pas. L'Avventura (1960) la beaucoup

    marqu et lui a donn un gout particulier pour les fictions insulaires. La narration

    paramtrique est utilise dans notre film. Cest--dire que la narration va se faire par les

    paramtres de temps et despace. Lespace influence beaucoup ltat psychologique des

    personnages.

    Notons aussi la prsence darbres dans les paysages voquant llment terre dans le

    rapport la nature (tout comme dans Bois de Bouleaux dAndrzej Wajda (1970), Les

    Amours dune blonde de Milos Forman (1965),).

    18 FERRARI Jean-Christophe, Le Retour, l'le au trsor , dans Positif, N514, Paris, dcembre 2003, pp. 6-7.

  • 13

    Llment feu est, quant lui, moins prsent et na pas la mme symbolique que

    dans les films de Tarkovski o le feu est synonyme de destruction (la maison en feu

    dans Le Miroir (1974)). Dans Le Retour, on trouve le feu en dbut de film et sur lle

    lorsque que la mre cuit du poisson. La feu sert rchauffer les personnages, dans des

    instants de grande proximit, les nourrir auprs du feu. La poly-sensorialit est

    accentue par des gros plans de braises rougeoyantes.

    Enfin llment arien symbolise llvation de lindividu vers un espace autre.

    Lair permet de faire lien entre la donne tellurique et lespace cleste, lau-del. La

    ncessit de slever est prendre au sens propre comme au sens figur. Ds la premire

    scne, Ivan monte sur le plongeoir comme pour se grandir physiquement mais aussi

    quitter le stade de lenfance trouillarde. Cette scne reprsente le paradigme biblique de

    la Chute dIcare . Lindividu doit slever dans les airs et devra chuter pour se

    refonder en tant quindividu. Le dernier plan du film fait le lien entre lment arien et

    lment tellurique : la voiture entre dans le plan en laissant des traces au sol derrire

    elle. Un plan de grue part dune vision arienne pour descendre la verticale vers la

    terre. La verticalit cre par le plan de grue permet de lier le monde den haut et le

    monde den bas . Dans cet ordre dide, Victoria Lyssenki parle de lhypothse de

    verticalit et dhorizontalit. Le film impose aux hommes dtablir un lien de

    communication avec les puissances den haut tandis que les femmes (en vertus de leur

    rapport la maternit) sentendent mieux tablir des relations horizontales, tisser des

    fils de relations interpersonnelles autours des verticales pointant de partout dans leur

    lan dauto-affirmation19.

    3.5 Gestion du temps

    Contrairement au cinma dAndrei Tarkovski, qui est trs disruptif, notre

    ralisateur use dun montage de la continuit, plus classique. Comme nous le

    mentionnons prcdemment, Andrei Zviaguintsev est proche de la notion du temps

    employ par Michelangelo Antonioni qui la fortement influenc et fascin.

    La prsence de photographies et la rfrence des uvres de lhistoire de lart

    est un retour limage fixe au cur du processus narratif (ontogense). Ce que font les

    enfants en cherchant une photographie dans une malle du grenier est dinterroger leur

    19 LYSSENKO Victoria., Jeux mortels avec la verticalit sur Le Retour sur Andre Zviaguintsev , dans Jeune Cinma, N 291, France, Octobre 2004, p. 68.

  • 14

    prsent ( savoir qui est cet inconnu) en mobilisant le pass et ainsi pouvoir anticiper le

    futur. Cette coexistence du pass-prsent-futur renvoie limage cristal du thoricien

    Gilles Deleuze. Cette coexistence de diffrentes temporalits se retrouve dans la

    prsence des photos mais aussi dans les changes dialogiques. Lors de lclatement en

    sanglot dans la voiture, aprs que son pre lait abandonn, Ivan fait rfrence au pass,

    au prsent et lavenir : On tait bien avec grand-mre avant que tu narrives sous-

    entend que le pass tait heureux, le prsent cruel et lavenir peut-tre meilleur sans la

    prsence du pre.

    La notion de rythme est trs importante dans notre film. Selon Tarkovski, le

    rythme est le fondement de limage cinmatographique. La scne o le pre abandonne

    Ivan en chemin est filme en rythme lent. Lattente dIvan nous parait trs longue, le

    temps semble suspendu.

    La parole et le silence sont des lments essentiels au rythme. Lors de la scne

    douverture, Andrei et deux amis ont saut du plongeoir alors quIvan est ptrifi de

    peur. La tentative du saut dIvan se droule sous silence. La dynamique du rite

    initiatique de cette scne se droule par la relation entre la parole, lacte, le silence. La

    parole du frre peut guider lacte dIvan ( allez, saute !) et le silence permet

    dagissement de lacte de sauter (ce quIvan ne fait pas).

    Le rythme correspond la rptition priodique dun phnomne de nature physique,

    auditive ou visuelle. Le rythme suppose une harmonie qui rsulte de lagencement de

    ses lments formels 20. Dans Andrei Roublev, les villageois et les autorits regardent

    Boriska son uvre pendant un long moment de silence pesant. La cloche finit par

    retentir fortement. Il sagit dune figure sonore donnant un rythme la scne et une

    intensit au temps qui scoule. Dans Le Retour, la scne de labandon dIvan montre

    que le rythme rgule la pression du temps. Lorsque le pre freine brusquement sa

    voiture, le rythme qui tait install se voit bris. Une fois lattente dIvan le long de la

    route, le temps nous semble ralenti. Les gouttes de pluie tombant sur le pont crent un

    rythme lent. Ivan, tremp et grelottant, sassied terre ne sachant pas o sabriter.

    Lattente est dpourvue de tout dialogue et est bas sur le temps-mort (rflexion

    intrieure du temps bas sur lattente). Cette scne rvle que le rythme dun film ne

    rside donc pas dans la succession mtrique de morceaux colls bout bout mais dans

    20 OVTCHNNIKOVA. Macha., Le rvlation du temps par les figures sonores dans les films dAndrei Tarkovski et dAndrei Zviaguintsev, Editions LettMotif, Paris, 2014, p.56.

  • 15

    la pression du temps qui scoule lintrieur des plans. Selon le ralisateur : Ma

    conviction profonde est que llment fondateur du cinma est le rythme, et non le

    montage comme on a tendance le dire 21 ce qui rejoint les propos de Tarkovski ce

    sujet.

    Notons aussi que la reprsentation de lespace dpendra du rythme donn aux scnes.

    Lors de larrive sur lle, Ivan menace son pre avec un couteau et sensuit une course

    dans les bois. La dure du parcours semble courte car nous sommes dans une scne de

    tension dramatique. Par la suite, le pre meurt et les enfants trainent difficilement le

    corps. Le retour vers la barque se fait dans une temporalit plus fidle au temps de la

    traverse. A ce moment-l, le spectateur entre dans le temps peru par les deux frres.

    La reprsentation du temps est bien diffrente qu lalle. Le temps semble beaucoup

    plus long. Le paysage sonore des gmissements, des fortes respirations et cris des frres

    contribuent rvler la temporalit subjective des personnages 22. Les dplacements

    semblent tre films dans leur entiret et sans ellipse. Quelques notes de piano se font

    entendre et le regard des enfants vers le cadavre instaure un dialogue intrieur des

    personnages.

    Au niveau de la bande musicale, Andrei Zviaguintsev na pas choisi dinsrer de

    musiques prexistantes. Il a fait appel au talent dun artiste armnien, Andrei

    Dergatchev, pour accompagner le film de mlodies au duduk. Les mlodies extra-

    digtiques confrent au film une relle dimension mystique, onirique et favorise la

    sensation dun temps suspendu. La duduk est un instrument qui transcende limage et

    linscrit dans un dcor intemporel.

    Le film souvre sur un plan de remous deau bleute. Le plan daprs, un traveling nous

    fait explorer les fonds marins. A cet instant, une partition musicale de sonorits au

    synthtiseur lectronique est en parfaite symbiose avec latmosphre marine. Les notes

    graves connotent le silence des abysses sous-marins.

    LorsquIvan monte dans la tour pour se jeter, une musique, latmosphre inquitante,

    vient renforcer le ct mystique la scne et annonce la suite des vnements tragiques.

    3.6 Syntaxe et esthtique

    21 Ibid., p.60. 22 Ibid., p.44.

  • 16

    A linverse de Tarkovski qui se livre un montage disruptif, notre ralisateur

    use dun montage de la continuit, assez classique. Comme nous lavons expliqu

    prcdemment, le ralisateur utilise la notion du temps proche de celle dAntonioni. Ce

    qui a pour effet de crer une temporalit suspendue. Ceci est accentu par le fait que les

    temporalits soient incessamment mlanges (image cristal de Gilles Deleuze). Ce

    temps indfini nen reste pas moins structur par la division en sept jours de la gense.

    Au niveau de la composition, nous sommes dans une esthtique de la frontalit.

    Le spectateur se trouve confront aux motions, aux regards des acteurs. Lindividu est

    mis au centre du cadre, les sentiments priment sur laction. Nous trouvons beaucoup de

    temps mort, beaucoup de silences et les dialogues ont un ct laconiques.

    Lutilisation de grandes profondeurs de champ permet une lecture des paysages sur une

    distance infinie (comme les plans docan). Cette nettet de limage offre au spectateur

    une reprsentation horizontale des plans et une lecture plusieurs niveaux (jusqu 4

    niveaux).

    Certain cadrages rappellent les plans emblmatiques de la nuque de personnages

    fminins que lon trouve chez Andrei Tarkovski (la nuque de Margarita Terekhova dans

    Le Miroir (1975)) ou chez Joseph Heifitz (la nuque dIya Savvina dans La Dame au

    petit chien (1960)). Ces plans rappellent que le rapport au corps ne passe pas seulement

    par des vues frontales mais aussi par des vues dorsales.

    Le travail du directeur de la photographie est un vritable travail de peintre. Chaque

    composition se voit vtue dun caractre pictural. Le ralisateur et le directeur de la

    photographie travaillent en parfaite osmose. Andrei Zviaguintsev dclare avoir trouv

    ses propres yeux travers lui : Il voit les choses telles que je les souhaite [] Il suffit

    de le regarder, de lui faire un geste et il comprend ce que je veux dire 23.

    Lesthtique de limage parait terne et froide. Ce chromatisme de la pellicule est

    permis par un traitement chimiquement faisant en sorte dteindre certaines couleurs. La

    plupart des couleurs sont dsatures et les teintes vertes/bleues sont majoritaires. Le

    contraste de limage et limportance des bases lumires donnent un rsultat

    colorimtrique sombre (comme dans Andrei Roublev). Lambiance froide du film joue

    sur nos sens et a pour fonction de donner une orientation esthtique en troite relation

    23 CIEUTAT Michel et VALENS Grgory, Op. Cit., p. 30.

  • 17

    avec la donne mtorologique et gographique. Elle souligne le caractre inhospitalier

    de lle. Lorsque que les deux frres et leurs amis nagent dans leau de la mer, dans

    louverture du film, lambiance de limage joue tel point sur nos sens que nous avons

    limpression que leau est glace.

    Contrairement Tarkovski qui, dans Andrei Roublev, utilise principalement la

    monochromie (hormis lpilogue montrant des icnes en couleur), notre ralisateur

    privilgie la couleur pour lentiret du film (hormis les photographies de la fin du film

    qui sont en noir et blanc). Dans la gestion temporelle, cela signifie que la couleur est

    associe au prsent tandis que la monochromie lest au pass.

    Conclusion

    Le Retour peut tre analys selon une tripartite mimtique (prfiguration,

    configuration, refiguration)24. La prfiguration correspond lpoque sur laquelle vient

    se greffer une ralit immdiate. Il sagit, dans notre film, dune poque indtermine,

    dun monde post-apocalyptique.

    La configuration consiste en lusage du mythe et en lintroduction de diffrents

    jeux temporels brisant les codes de la narration traditionnelle25. La configuration

    temporelle suspendue accorde au rcit une dimension mythique, qui sera elle-mme

    transcende par les lments mythiques.

    La refiguration, tant le travail du ralisateur trouvant cho auprs du spectateur (la

    morale de lhistoire), est ici identifie au fait que lindividu doit vivre avec son temps en

    acceptant son pass pour mieux construire son identit future.

    Cette analyse nous a permis de mettre en vidence combien Andrei Zviaguintsev

    bnficie de lhritage des cinmas dEurope de lEst mais quen mme temps il sen

    dtache tout en adoptant une dmarche originale et un langage cinmatographique

    propre.

    24 NASTA Dominique, Mythopotique et cinma contemporain , format PDF en ligne, consult le 8 dcembre 2013, p.7. 25 Ibid., p.8.

  • 18

    Annexe

    Dcoupage

    Dans ce dcoupage, nous allons respecter la structuration en chapitre du ralisateur.

    Dimanche : Andrei et quatre amis sautent dun plongeoir. Ivan nose pas sauter car il

    est ptrifi de peur. Sa mre vient lui porter secours.

    Lundi : Dans un immeuble abandonn, Andrei et son frre se battent. Une course

    poursuite sen suit entre les deux. La course poursuite se termine leur maison. La mre

    annonce la prsence de leur pre, disparu depuis douze ans. Aprs la dcouverte du pre

    dormant sur le lit, les deux frres dcident de vrifier son identit en allant chercher une

    photographie au grenier. Pendant le souper, le pre annonce aux enfants quils partent

    faire du camping prs dun lac.

    Mardi : Les trois hommes se prparent pour partir en camping. Aprs un arrt dans un

    restaurant, Andrei se fait voler le portefeuille que son pre lui avait confi. Aprs avoir

    attrap les voyous, le pre demande quAndrei se venge. Lors dun arrt dans un port,

    Ivan observe son pre avec ses jumelles.

    Les hommes font une tape prs dun lac, ils allument un feu afin de cuire le poisson

    fraichement pch.

    Mercredi : Le lendemain matin, Ivan est en colre parce que son pre interrompt sa

    partie de pche pour continuer le voyage. Son pre labandonne le long dune route et

    finit par revenir. Ivan, mouill par les trombes deau qui tombent, explose de colre.

    Jeudi : Les trois hommes se rendent sur une le en barque.

    Vendredi : Les hommes senfoncent dans les bois de lle et arrivent aux pieds dune

    tour. Andrei et son pre monte par lchelle. Par la suite, le pre dterre une malle

    secrte enfuit dans une veille maison abandonne. Ivan et Andrei vont la pche et

    reviennent au-del de lheure impose par le pre. Une dispute clate et Ivan menace

    son pre avec un couteau. Il senfuit et monte en haut de la tour et menace de se jeter.

    En voulant sauver son fils, le pre glisse du haut de la tour et meurt. Ivan et Andrei

    tranent le corps de leur pre jusqu la barque.

  • 19

    Samedi : Les hommes quittent lle et arrivent au vhicule. La barque se dtache du

    rivage et coule avec le corps du pre. Dans la voiture, les frres dcouvrent la photo de

    famille quils avaient vue dans le grenier de leur maison. Cependant, le pre ne fait plus

    partie de cette photographie.

    Epilogue : Une srie de photographies alternent des moments heureux de lenfance des

    frres et le voyage avec le pre.

    Fiche technique

    Titre : Le Retour

    Titre original : , Vozvrashcheniye

    Ralisation : Andre Zviaguintsev

    Scnario : Vladimir Moiseenko, Alexandre Novototski

    Musique : Andre Dergatchev

    Photographie : Mikhal Kritchman

    Son : Andre Khoudiakov

    Production : Dmitriy Lesnevskiy

    Socit de production : Ren Film

    Pays d'origine : Drapeau de la Russie Russie

    Langue originale : russe

    Format : Couleurs - 35mm - 1,85:1 - Dolby Digital

    Dure : 1h46

    Dates de sortie : France (2003), tats-Unis (2004)

  • 20

    Bibliographie

    Source primaire

    -ZVIAGUINTEV. Andrei., Le Retour, produit par Ren Film, Russie, 2003.

    Source secondaire

    Ouvrage

    - DELCOMMNETTE. Sylvain., Les grands courants de la philosophie, ULB,

    Belgique, 2009.

    - FAVAREL-GARRIGUES Gilles et ROUSSELET Kathy, La Russie

    contemporaine, Ed. Fayard, Paris, 2010.

    - OVTCHNNIKOVA. Macha., Le rvlation du temps par les figures sonores

    dans les films dAndrei Tarkovski et dAndrei Zviaguintsev, Editions LettMotif,

    France, 2014.

    Articles

    - BALINT Andras Kovacs, Akos szilagyi Andrei Roublev, structure narrative et

    tradition dans Les mondes d'Andrei Tarkovski, Lausanne, Ed L'ge d'homme,

    1987.

    - BONVOISIN. Daniel., Les fonctions narratives de la nature au cinma, Point

    Culture Namur, Confrence du 15.10.2014.

    - BONVOISIN. Daniel., Les fonctions narratives de la nature au cinma dans

    Mdias plus vert que nature : Lexploitation du thme de lenvironnement dans

    les mdias, Dossier de lducation aux Mdias, N. 8, Bruxelles, 2013.

    - CIEUTAT Michel et VALENS Grgory, Entretien avec Andre Zviaguintsev :

    Rendre visible l'invisible dans Positif n564, Paris, fvrier 2008, pp. 27-31.

    - EISENREICH Pierre. GARBARZ Franck., Entretien avec Andre

    Zviaguintsev : Avoir cette dimension relle et vivante dans Positif n514,

    Paris, dcembre 2003, pp. 8-10.

    - FERRARI Jean-Christophe, Le Retour, l'le au trsor , dans Positif, N514,

    Paris, dcembre 2003, pp. 6-7.

    - FRAISSE Philippe, Le Christ mort de Mantegna dans un film de

    Zviaguintsev dans Positif n590, Paris, avril 2010, pp. 115-117.

  • 21

    - FRODON. Jean-Michel., Retour(s) de Cannes dans Les Cahiers du Cinma,

    N624, JUIN 2007, p. 76.

    - LYSSENKO Victoria., Jeux mortels avec la verticalit sur Le Retour sur

    Andre Zviaguintsev , dans Jeune Cinma, N 291, France, Octobre 2004, p.

    68.

    - MARTINEZ Louis, Orthodoxie et littrature en Russie dans Gopolitique,

    n47, Automnes 1994. SYLLABUS

    - NASTA Dominique, Andrei Tarkovski, dmiurge dans la revue Materiali di

    Estetica, Milano : librerie CUEM, Dcembre 2006. SYLLABUS

    - NASTA Dominique, Mythes de la Stabilit et de la Mutabilit : L'humain et

    l'trange dans luvre de Tarkovski dans Les Cahiers du CERLI, N14,

    Bruxelles, janvier 1987, p.67-86. SYLLABUS

    - NASTA Dominique, Mythopotique et cinma contemporain , format PDF

    en ligne, consult le 8 dcembre 2013.

    - S.N., Venise 2003 : La comptition , dans Jeune Cinma, N 284, France,

    Septembre 2003, p. 29.

    - THABOUREY. Vincent., Le bannissement : Etat dme russes dans Positif

    n564, Paris, fvrier 2008, pp. 25.

    Sitographie

    - S.N., Fiche technique : Le Retour Dandrei Zviaguintsev , Youscribe, [En

    ligne]. .

    (Consult le 30 novembre 2014).