Le reportage primé d'Hugo Clément

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Un symbole à l’épreuve de son coût Aux EtatsUnis, le billet d'un dollar pèse bien plus lourd que sa valeur. Omniprésent et éphémère à la fois, il est partout, mais reste rarement plus d’une journée entre les mêmes mains. Et du haut de ses deux siècles de domination incontestée dans les portemonnaie, il est pour beaucoup indissociable du rêve Américain. Pourtant, outreAtlantique, le département du Trésor mène une croisade pour en finir avec l’hégémonie du billet vert frappé du premier chiffre. Caprice de fonctionnaire ? Pénurie de papier ? Non, rationalité étatique. Car en ces temps de crise, le poids du symbole n’arrive plus à écraser la réalité économique. Il faut dire que le billet d’un dollar coûte cher, très cher. D’abord, sa faible durée de vie d’environ neuf mois implique d'énormes coûts de renouvellement. Mais son utilisation dans tous les échanges courants impose aussi que l’ensemble des automates soient équipés en conséquence. Et à quatre cent dollars le récepteur de billets, l’addition est salée. Or, il existe une alternative souvent méconnue ; les pièces d’un dollar. «Cellesci durent en moyenne trente ans. Et si elles étaient utilisées à la place du billet dans toutes les transactions en espèces, notre pays économiserait 522 millions de dollars par an», résume Michael White, chargé de communication auprès du Trésor Américain. Pour les autorités monétaires, l’avenir du un dollar est donc dans les pièces. Ainsi, depuis la fin de l’été 2008, cellesci mènent d'intenses campagnes de communication pour inciter les Américains à les utiliser. Certaines entreprises vont même plus loin, en s’engageant à ne plus rendre la monnaie en billets d’un dollar. C’est le cas par exemple, de la société du métro de Washington, dont les billetteries automatiques ont été programmées pour introduire un maximum de pièces d’un dollar dans les poches des voyageurs. Une initiative, qui à l’image de la campagne du Trésor, doit faire face aux réticences des Américains. «Je ne trouve pas normal qu’on ne me laisse pas choisir quel type de monnaie utiliser !», peste Cathy Boone, une cadre de 46 ans. «Et puis, je ne sais pas pourquoi, mais je préfère avoir des billets» ajoutetelle. «Le billet d’un dollar a un côté sacré» Phil Kuhl, un retraité de la CIA, a lui sa petite idée pour expliquer ce scepticisme à abandonner le billet d’un dollar. «Aux EtatsUnis, celuici a un côté un peu sacré. Il symbolise la valeur de l’argent, acquise au prix d’un dur labeur. Le remplacer par une pièce, qui n’a pas la même force symbolique, ça gêne les gens», expliquet il. Mais rien n’y fait. Le Trésor, en fossoyeur insensible du «one dollar bill», aligne les arguments pour réduire son usage. «Utiliser les pièces d’un dollar, c’est aussi agir pour la planète, car elles sont 100% recyclables. Les billets, eux, ne le sont pas, du fait de la difficulté de séparer l’encre du papier», souligne Michael White. Argument de poids, dans un pays où la prise de conscience écologique est dans l'air du temps. Mais le chemin à parcourir pour changer les habitudes monétaires des Américains semble encore long. «Personne ne paye avec les pièces d'un dollar, et il n'y aucune place prévue pour elles dans les tiroirs caisses», explique Aziz Benassou, un restaurateur de Washington. Qu’à cela ne tienne, le Trésor prépare en ce moment un nouveau plan de communication aux allures de cause nationale. Les affiches déjà en place appellent en effet à utiliser les pièces pour «aider l’économie et rendre le monde un peu plus vert». Rien que ça. Quant à la classe politique Américaine, elle reste silencieuse sur la question. Bien qu'elle ne conteste pas l'initiative du Trésor, elle ressent l’attachement des électeurs à une spécificité monétaire lourde de symbole et d’histoire. Laisser les fonctionnaires s’occuper de ce sujet sensible semble donc être l'option la moins risquée. Il faut dire qu’ils n’ont pas à subir l’épreuve des urnes, eux. Hugo Clément

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Un symbole à l'épreuve de son coût, reportage de Huge Clément

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Un  symbole  à  l’épreuve  de  son  coût  

 

Aux  Etats-­‐Unis,  le  billet  d'un  dollar  pèse  bien  plus  lourd  que  sa  valeur.  Omniprésent  et  éphémère  à  la  fois,  il  

est  partout,  mais  reste  rarement  plus  d’une  journée  entre  les  mêmes  mains.  Et  du  haut  de  ses  deux  siècles  de  domination   incontestée  dans   les  porte-­‐monnaie,   il   est  pour  beaucoup   indissociable  du   rêve  Américain.  Pourtant,  outre-­‐Atlantique,  le  département  du  Trésor  mène  une  croisade  pour  en  finir  avec  l’hégémonie  du  

billet  vert  frappé  du  premier  chiffre.  Caprice  de  fonctionnaire  ?  Pénurie  de  papier  ?  Non,  rationalité  étatique.  Car  en  ces  temps  de  crise,  le  poids  du  symbole  n’arrive  plus  à  écraser  la  réalité  économique.  Il  faut  dire  que  le   billet   d’un   dollar   coûte   cher,   très   cher.   D’abord,   sa   faible   durée   de   vie   d’environ   neuf   mois   implique  

d'énormes  coûts  de  renouvellement.  Mais  son  utilisation  dans  tous  les  échanges  courants  impose  aussi  que  l’ensemble  des  automates  soient  équipés  en  conséquence.  Et  à  quatre  cent  dollars   le   récepteur  de  billets,  l’addition  est  salée.  Or,  il  existe  une  alternative  souvent  méconnue  ;  les  pièces  d’un  dollar.  «Celles-­‐ci  durent  

en   moyenne   trente   ans.   Et   si   elles   étaient   utilisées   à   la   place   du   billet   dans   toutes   les   transactions   en  espèces,   notre   pays   économiserait   522   millions   de   dollars   par   an»,   résume   Michael   White,   chargé   de  communication   auprès   du   Trésor  Américain.   Pour   les   autorités  monétaires,   l’avenir   du   un  dollar   est   donc  

dans  les  pièces.  Ainsi,  depuis  la  fin  de  l’été  2008,  celles-­‐ci  mènent  d'intenses  campagnes  de  communication  pour  inciter  les  Américains  à  les  utiliser.  Certaines  entreprises  vont  même  plus  loin,  en  s’engageant  à  ne  plus  rendre   la  monnaie  en  billets  d’un  dollar.  C’est   le  cas  par  exemple,  de   la   société  du  métro  de  Washington,  

dont  les  billetteries  automatiques  ont  été  programmées  pour  introduire  un  maximum  de  pièces  d’un  dollar  dans   les  poches  des  voyageurs.  Une   initiative,  qui  à   l’image  de   la   campagne  du  Trésor,  doit   faire   face  aux  réticences  des  Américains.  «Je  ne   trouve  pas  normal  qu’on  ne  me   laisse  pas  choisir  quel   type  de  monnaie  

utiliser  !»,  peste  Cathy  Boone,  une  cadre  de  46  ans.  «Et  puis,  je  ne  sais  pas  pourquoi,  mais  je  préfère  avoir  des  billets»  ajoute-­‐t-­‐elle.    

«Le  billet  d’un  dollar  a  un  côté  sacré»  

Phil  Kuhl,  un  retraité  de  la  CIA,  a  lui  sa  petite  idée  pour  expliquer  ce  scepticisme  à  abandonner  le  billet  d’un  dollar.  «Aux  Etats-­‐Unis,  celui-­‐ci  a  un  côté  un  peu  sacré.  Il  symbolise  la  valeur  de  l’argent,  acquise  au  prix  d’un  

dur  labeur.  Le  remplacer  par  une  pièce,  qui  n’a  pas  la  même  force  symbolique,  ça  gêne  les  gens»,  explique-­‐t-­‐il.  Mais  rien  n’y  fait.  Le  Trésor,  en  fossoyeur  insensible  du  «one  dollar  bill»,  aligne  les  arguments  pour  réduire  son  usage.  «Utiliser  les  pièces  d’un  dollar,  c’est  aussi  agir  pour  la  planète,  car  elles  sont  100%  recyclables.  Les  

billets,   eux,   ne   le   sont   pas,   du   fait   de   la   difficulté   de   séparer   l’encre   du   papier»,   souligne  Michael  White.  Argument   de   poids,   dans   un   pays   où   la   prise   de   conscience   écologique   est   dans   l'air   du   temps.   Mais   le  chemin  à  parcourir  pour  changer   les  habitudes  monétaires  des  Américains  semble  encore   long.  «Personne  

ne  paye  avec  les  pièces  d'un  dollar,  et  il  n'y  aucune  place  prévue  pour  elles  dans  les  tiroirs  caisses»,  explique  Aziz   Benassou,   un   restaurateur   de  Washington.  Qu’à   cela   ne   tienne,   le   Trésor   prépare   en   ce  moment   un  

nouveau  plan  de  communication  aux  allures  de  cause  nationale.  Les  affiches  déjà  en  place  appellent  en  effet  à  utiliser   les  pièces  pour  «aider   l’économie  et  rendre   le  monde  un  peu  plus  vert».  Rien  que  ça.  Quant  à   la  classe  politique  Américaine,  elle  reste  silencieuse  sur  la  question.  Bien  qu'elle  ne  conteste  pas  l'initiative  du  

Trésor,  elle  ressent  l’attachement  des  électeurs  à  une  spécificité  monétaire  lourde  de  symbole  et  d’histoire.  Laisser   les   fonctionnaires  s’occuper  de  ce  sujet  sensible  semble  donc  être   l'option   la  moins  risquée.   Il   faut  dire  qu’ils  n’ont  pas  à  subir  l’épreuve  des  urnes,  eux.    

Hugo  Clément