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Le Règne des ombres Sandrine Desse

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Sandrine Desse

9.42 658042

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 106 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 9.42 ----------------------------------------------------------------------------

Le Règne des ombres

Sandrine Desse

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Il faisait un temps exécrable. Une pluie fine et

glacée pénétrait le moindre vêtement. Transporter le matériel jusqu’au presbytère devenait une corvée. Le vieux bâtiment en pierre de taille semblait hors du temps. Noyé dans une végétation dense qui envahissait tout faute de soins, il n’inspirait que tristesse. Henry était plutôt optimiste. Il fallait dire que d’après les témoignages recueillis par les gens du cru, cet endroit avait tout pour susciter sa curiosité. Les lieux de culte ont toujours inspiré des légendes. Et ceux où un drame s’est déroulé encore plus. Laminster et son presbytère étaient devenus célèbres dans le petit monde du paranormal non seulement parce que la maîtresse du curé qui y officiait en 1910 s’y était suicidée, mais aussi parce que l’Eglise, impuissante à endiguer les phénomènes paranormaux qui s’y déroulaient et terrifiaient les prêtres qui y avaient séjourné, avait finalement décidé de le laisser à l’abandon. Lorsque Karl lui avait parlé de ce cas, il avait été immédiatement enthousiaste. Cette émission serait un succès. Il fallait qu’elle le soit. C’était la toute

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première fois qu’une équipe de chasseurs de fantômes prenait le risque de réaliser une émission en direct le soir d’Halloween. Henry n’était ni sceptique ni convaincu. Il était pragmatique. Deux ans plus tôt, lorsque Karl, Denis et lui s’étaient retrouvés au chômage après la fermeture de l’usine automobile qui les employait, ils décidèrent d’essayer de créer leur propre activité. Mais à trente ans et sans qualification, la partie n’était pas gagnée, surtout sans soutien financier. La mère d’Henry, inquiète, avait consulté une voyante pour se rassurer. Il s’était d’abord moqué d’elle, puis s’était intéressé au marché du paranormal. Le potentiel financier de ce secteur l’avait laissé rêveur. Il s’était alors longuement renseigné. Il ne se voyait pas tirer les cartes à de vieilles femmes esseulées en mal d’attention. Pas plus qu’il ne se voyait jouer les ensorceleurs. Mais lorsqu’il était tombé sur un site américain de chasseurs de fantômes, là, il crut avoir trouvé sa voie. Karl et Denis, comme toujours depuis qu’ils s’étaient liés d’amitié au collège, l’avaient suivi. Le matériel n’était pas très onéreux, ils ne prenaient donc pas grand risque. Dans un premier temps, ils avaient posté les vidéos de leurs investigations sur Internet. Sans qu’ils ne sachent réellement pourquoi, le succès fut presque immédiat et les revenus publicitaires conséquents. Bientôt, ils n’eurent plus à solliciter l’autorisation de visiter les lieux réputés hantés, on les y invitât. Et ce fut la consécration, dorénavant une chaîne de télévision

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achetait leurs émissions. Certes, c’était du pragmatisme pur. Ce n’était qu’un spectacle et Henry, Karl et Denis ne l’entendaient pas autrement. Jamais ils n’avaient constaté quoi que ce soit d’effrayant ou d’inexplicable. Mais le public ne demandait qu’à croire. Il suffisait de réinterpréter un bruit sourd, un craquement de bois, un rai de lumière ou un borborygme inintelligible pour qu’on y voie une preuve. Incontestablement, leur succès tenait plus à leurs physiques de boys band, à leur discours parfaitement rodé, à leur aspect dégagé et à leurs talents d’acteurs qu’aux phénomènes constatés. Car pourquoi le nier, jamais ils n’avaient connu la peur, jamais rien n’avait insinué le doute dans leurs esprits. Il était vingt heures. La nuit était à présent tombée. Tous trois avalèrent à la hâte quelques sandwiches. L’émission devait commencer à vingt heures quarante. Henry tenait le rôle de présentateur et Karl celui d’enquêteur. Denis, lui, était préposé à la technique. Henry était un peu plus tendu que d’habitude. Le direct l’excitait et l’inquiétait. Ils vérifièrent une dernière fois leur matériel. Le maire venait d’arriver. C’était un homme jovial qui avait vu dans cette émission une véritable opportunité touristique pour la commune.

« – Allez, Monsieur le Maire, on y va ! Lui dit Henry. Bonsoir à toutes et à tous. C’est une émission exceptionnelle que nous vous proposons en ce soir d’Halloween. Dans un premier temps, nous allons

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procéder à un repérage des lieux avec Monsieur le Maire de Laminster. Ensuite, comme toujours, à minuit pile, nous nous ferons enfermer dans le noir total jusqu’au lever du jour pour mener notre enquête. C’est naturellement au Maire que reviendra cette fois-ci la lourde responsabilité de nous enfermer tous les trois dans le fameux presbytère hanté de Laminster. Monsieur le Maire, pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce bâtiment ?

– En 1910, une femme du village a été retrouvée morte dans le salon où nous nous tenons en ce moment même. Elle se serait pendue à la grosse poutre juste au-dessus de vous. On raconte que certaines nuits, la poutre craque comme si elle était soumise au balancement du poids d’un corps. Cette femme, selon ce qu’il s’en dit, aurait été la bonne du curé. Belle et jeune, elle serait ensuite devenue sa maîtresse. Tout allait bien jusqu’au jour où elle tomba enceinte et que son ventre commença à s’arrondir. Les ouailles de la petite paroisse, scandalisées, en référèrent à l’évêché. Le prêtre, très ennuyé et sans doute un peu lâche, dit qu’il avait recueilli la malheureuse qu’un autre avait déshonorée. Il lui demanda de quitter la région. Désespérée, elle se pendit. On raconte que ses derniers mots furent pour maudire les prêtres quels qu’ils soient et leur promettre mille tourments s’ils osaient s’aventurer en ces lieux dont l’un d’entre eux avait essayé de la chasser.

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– C’est une bien triste histoire, mais avons-nous des preuves que cela s’est bien déroulé ainsi ?

– Etonnamment, oui. Un petit journal de l’époque relate cette tragédie.

– Et que s’est-il passé ensuite ? – Le prêtre a été démis de ses fonctions et un

autre est arrivé. Il est resté deux ans puis s’est suicidé dans l’église après la messe. Un autre est resté quelques mois seulement. On raconte qu’il s’est défroqué. Après cela, il n’y a plus eu personne. Ce qui est surprenant, c’est que ce bâtiment n’a jamais été fermé et pourtant, jamais il n’a été occupé illégalement ou dégradé. Le mobilier est d’origine.

– Vous voulez dire que tous deux vivaient maritalement dans ces meubles ? Le maire approuva gravement. Imaginez une minute à quel point ces lieux, cette table, ce tapis, peuvent être encore chargés émotionnellement… C’est fascinant. Mais quelque chose m’interpelle…. Monsieur le Maire, êtes-vous bien certain de nous dire la vérité ? L’interrogea-t-il, soudain soupçonneux.

– Oui, bien évidemment… Bredouilla-t-il, surpris de voir sa parole brusquement mise en doute.

– Alors comment pouvez-vous expliquer qu’il n’y ait pas un grain de poussière ici ?

– J’ai dit qu’il n’y avait pas eu d’occupation illégale des lieux, je n’ai pas dit que personne ne venait jamais. La personne chargée de l’entretien du cimetière vient également prendre soin du presbytère.

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– Et il ne lui est rien arrivé ? – Il sent parfois un parfum de femme, mais à part

cela, rien. Il faut croire que seuls les prêtres sont concernés par cette hantise.

– Bien, venez avec nous et faites-nous découvrir le bâtiment.

– Donc nous sommes dans le salon. Juste à côté nous avons la cuisine. Derrière le rideau se trouve un escalier qui descend à la cave….

– Prends la caméra et viens avec nous, Denis. Venez, Monsieur le Maire. Ils pénétrèrent dans une petite cuisine qui comme le salon était très modestement meublée. Un placard dans lequel se trouvait encore de la vaisselle, une table, quatre chaises de bois, un poêle à bois en fonte, un évier en grès, ce n’était vraiment pas luxueux. Des rideaux blancs masquaient la fenêtre qui faisait face à l’évier. Les murs blancs avaient un peu jauni avec le temps. Henry souleva le rideau marron qui dissimulait les escaliers.

– Attention de ne pas tomber, il est plutôt raide et étroit. Prévint-il. Comme toujours, il passa en premier. Il déboucha dans une pièce sans éclairage. Sur le sol de terre battue, à côté de l’entrée, se trouvait une mauvaise caisse de bois sur laquelle se tenait un bougeoir. Une bougie larmoyante, à demie consumée, y était encore fichée. Les murs de la cave étaient couverts d’étagères métalliques toutes remplies de bouteilles. Henry en prit une au hasard, en essuya la

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poussière du revers de sa manche et la présenta à la caméra.

– Il semblerait que les prêtres avaient bon goût. Remarqua-t-il. Mais pas une bouteille ne semble manquer. Tout laisse à croire qu’ils n’avaient pas le cœur à boire. Remontons et voyons ce qui se trouve à l’étage. Installé au fond du salon, un escalier menait au niveau supérieur. Il donnait sur un étroit couloir aux murs de pierre. Les marches de bois craquaient sous le poids des hommes qui l’empruntaient. Il desservait deux chambres, un bureau et une salle de bains. Dans chaque pièce, c’était le même dénuement. Le seul ornement des chambres et du bureau était un crucifix de bois. Les lits étaient faits, prêts à accueillir un hôte éventuel. Du linge de maison était soigneusement plié dans les armoires. Sur le bureau, du papier vierge attendait, ainsi qu’une plume et un encrier, que quelqu’un s’y installe pour travailler.

– Pourquoi y a-t-il deux chambres. Demanda Henry au maire.

– Tout simplement pour offrir le gîte à tous ceux qui en auraient eu besoin.

– La jeune femme ne vivait donc pas ici ? – Disons qu’elle n’était pas sensée le faire… A

l’époque, il n’y avait quasiment pas d’étrangers qui venaient à Laminster.

– Et bien, je vous remercie de nous avoir fait part des informations dont vous disposiez. Il est à présent minuit moins cinq, je pense qu’il est temps de nous

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enfermer pour la nuit. Monsieur le Maire, acceptez-vous cette responsabilité ?

– Avec joie, mon ami. – N’oubliez pas de venir nous libérer demain

matin… Lui rappela Karl. – N’ayez crainte, je serai là dès le lever du

soleil. Le maire sortit. Ils étaient à présent tous les trois.

– Comme vous pouvez le remarquer, pour l’instant tout semble extrêmement calme. Reprit Henry à l’adresse de la caméra. Nous allons en profiter pour faire une petite séance de PVE ici même, au salon. Pour tous ceux qui découvrent notre émission, je précise que PVE signifie phénomène de voix électroniques. En fait, c’est tout simple, nous interrogeons les esprits qui se trouvent ici et nous enregistrons leurs réponses sur ces magnétophones. Tu es prêt, Karl ?

– Tout à fait. Dit-il en opinant du chef. – Y a-t-il quelqu’un avec nous ici ce soir ?

Commença Henry. Il attendit quelques minutes dans un silence pesant.

– Y a-t-il une femme qui a beaucoup souffert en ces murs ? Si vous êtes là, c’est l’occasion ou jamais de vous exprimer… A nouveau, rien ne se produisit. Henry décida de tenter de poser une dernière question avant de passer à autre chose de peur que le public ne se lasse.

– Vous avez l’occasion d’expliquer ce qui vous est

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arrivé. Etiez-vous enceinte ? Reprit Karl. – Vous avez entendu ça ? S’exclama Denis. Un

bruit de verre provenait de la cave. Aussitôt, tous les trois, éclairés du seul rai de lumière émis par la caméra, s’y précipitèrent. Denis balaya la pièce de son objectif. Au centre de celle-ci, se trouvaient regroupées trois bouteilles. Henry en prit une et la présenta à Denis.

– Elle a été débouchée… C’est hallucinant, les amis ! Jamais jusque là nous n’avions assisté à un tel phénomène. Il semblerait que l’on nous invite à prendre un verre…

– C’est un geste plutôt amical… Releva Karl qui jetait un regard lourd d’incompréhension à Henry qui poursuivait comme s’il était dans son élément. Denis vit la lèvre de celui-ci trembler imperceptiblement. Il avait peur. Il reposa la bouteille avec les autres et tendit son enregistreur à bout de bras au-dessus d’elles.

– Vous voulez boire un verre avec nous, c’est bien cela ? La lumière de l’enregistreur s’alluma. Karl n’en croyait pas ses yeux. Brusquement, Denis sursauta.

– Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Lui demanda Karl. – Je ne sais pas, j’ai eu l’impression de recevoir

une claque dans le dos. – Bien, voyons ce qu’on nous a dit… Henry lut

l’enregistrement. Une voix masculine presque métallique s’échappa du micro. « C’est un grand jour… »