Le recours collectif : un parcours complexe

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Le recours collectif : un parcours complexe Nicole DUVAL HESLER RÉSUMÉ Le but du présent texte est de tracer l’évolution du recours collectif au Québec depuis sa conception originale, ainsi que dans le déroulement parfois complexe des conséquences qui découlent de l’autorisation, de l’accueil ou du règlement du recours collectif. L’auteur explore à cet égard des questions moins fréquemment traitées, quoique importantes, telle l’autorisation en vue d’un règlement, les divers types de recouvrement, l’opportunité d’in- demniser la personne qui agit à titre de représentant(e) du groupe et l’aspect des frais extra-judiciaires. Enfin, comme il est toujours utile d’observer ce qui se passe dans les juridictions avoisinantes, l’auteur procède, à l’occasion, à certaines comparaisons. Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 383

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Le recours collectif :un parcours complexe

Nicole DUVAL HESLER

RÉSUMÉ

Le but du présent texte est de tracer l’évolution du recourscollectif au Québec depuis sa conception originale, ainsi que dansle déroulement parfois complexe des conséquences qui découlentde l’autorisation, de l’accueil ou du règlement du recours collectif.L’auteur explore à cet égard des questions moins fréquemmenttraitées, quoique importantes, telle l’autorisation en vue d’unrèglement, les divers types de recouvrement, l’opportunité d’in-demniser la personne qui agit à titre de représentant(e) du groupeet l’aspect des frais extra-judiciaires. Enfin, comme il est toujoursutile d’observer ce qui se passe dans les juridictions avoisinantes,l’auteur procède, à l’occasion, à certaines comparaisons.

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Le recours collectif :un parcours complexe

Nicole DUVAL HESLER*

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389

Le concept d’origine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389

L’évolution du recours collectif au Québec . . . . . . . 391

1. L’autorisation du recours collectif . . . . . . . . . 391

1.1 En général. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391

1.2 L’interprétation des critères d’autorisation . . . . 395

a) Les questions identiques, similaires ouconnexes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 395

b) L’apparente justification des conclusions . . . 395

c) L’inapplicabilité des articles 59 et 67 C.p.c. . . 396

d) La représentation adéquate du groupe . . . . 397

1.3 La comparaison avec la législation ontarienne . . 397

1.4 L’autorisation du recours collectif pour fins derèglement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 399

1.5 Les avis aux membres . . . . . . . . . . . . . . . 400

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* J.c.s. Avec remerciements à Stéphanie Pham-Dang, stagiaire à la Cour supé-rieure, pour sa collaboration à la recherche du sujet présenté.

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2. Jugement ou règlement : la déterminationdes questions communes . . . . . . . . . . . . . . . 402

2.1 Les exigences procédurales préalables à l’auto-risation du règlement. . . . . . . . . . . . . . . . 402

2.2 L’avis « post-approbation » du règlement durecours collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403

3. Le recouvrement en recours collectif . . . . . . . 404

3.1 En général. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 404

3.2 Le recouvrement collectif . . . . . . . . . . . . . . 406

3.3 Le recouvrement hybride . . . . . . . . . . . . . . 406

3.4 Le processus des réclamations individuelles . . . 408

3.4.1 En général . . . . . . . . . . . . . . . . . . 408

3.4.2 Les questions de preuve lors durecouvrement individuel . . . . . . . . . . . 409

3.4.3 L’appel de la détermination individuelle . . 410

4. Les questions incidentes . . . . . . . . . . . . . . . 412

4.1 Les controverses entourant l’objectif d’indemni-sation directe des membres. . . . . . . . . . . . . 412

4.1.1 Le reliquat . . . . . . . . . . . . . . . . . . 412

4.1.2 L’efficacité relative de la publication desavis aux membres . . . . . . . . . . . . . . 415

4.2 L’indemnisation de la personne agissant commereprésentant(e) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 418

4.3 Les dépens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419

4.4 Les honoraires extrajudiciaires . . . . . . . . . . 420

4.4.1 L’approbation judiciaire des honorairesextrajudiciaires. . . . . . . . . . . . . . . . 420

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4.4.2 Les modes de détermination des honorairesextrajudiciaires. . . . . . . . . . . . . . . . 421

A. La méthode du pourcentage du montantalloué aux victimes . . . . . . . . . . . . . 421

B. Le méthode dominante des critères del’article 3.08.02 du Code de déontologiedes avocats . . . . . . . . . . . . . . . . . . 422

C. Les critères jurisprudentiels additionnels. . 423

a) Le risque . . . . . . . . . . . . . . . . . 423

b) Le cas des recours multijuridic-tionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424

c) L’intervention ou non-intervention duFonds d’aide au recours collectif . . . . 426

d) La méthode dérivée des recoursindividuels des membres . . . . . . . . 427

e) La méthode Lodestar . . . . . . . . . . 428

f) La détermination des frais extrajudi-ciaires par arbitrage . . . . . . . . . . . 428

D. Les suggestions doctrinales . . . . . . . . . 429

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 429

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INTRODUCTION

Le concept d’origine

Lorsque les dispositions du Code de procédure civile traitantdu recours collectif sont entrées en vigueur pour la première fois,en 1979, on décrivait le recours collectif comme un outil de justicesociale1 dont la mission était double : 1) augmenter l’accès à lajustice ; 2) minimiser les coûts de la justice.

Outil de justice sociale, parce que le recours collectif devaitpermettre à des citoyen/nes aux prises avec un problème commun,source d’une perte pécuniaire relativement modeste, d’utiliser lesystème judiciaire auquel ils ou elles n’auraient normalement paseu accès :

La Loi sur le recours collectif, introduite dans notre législation en1978, est évidemment une loi à portée sociale : elle favorise l’accès àla justice à des citoyens qui ont des problèmes communs dont lavaleur pécuniaire peut souvent être d’une modicité relative et qui,en raison de circonstances particulières de leur état individuel,n’oseraient pas ou ne pourraient pas, de façon appropriée, mettreen marche le processus judiciaire.2

Pour réprimer de possibles abus, on envisageait que le re-cours doive préalablement être autorisé par le tribunal.

À bien des égards, le recours collectif n’a pas tout à fait suivile cheminement attendu. Par exemple, il n’est pas rare aujour-d’hui que le recours collectif soit utilisé par des groupes dont lesmembres réclament individuellement des sommes importantes.

Que s’est-il passé ?

Beaucoup de choses, dont notamment l’influence américaine.Chez nos voisins du Sud, le « toxic tort liability » et la responsabi-lité pour produits ont de plus en plus emprunté la voie du recourscollectif, au point de donner naissance à l’expression « mass tort ».

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1. Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, (8 juin 1978), B-2064 (M.Pierre Marois).

2. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Charles-Boromée c. Lapointe,[1980] C.A. 568 ; voir aussi Nadon c. Anjou (Ville d’), [1994] R.J.Q. 1823 (C.A.).

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Les enjeux en défense sont énormes, les groupes et les réclama-tions individuelles des membres du groupe peuvent l’être aussi,comme en témoigne l’extrait suivant d’un roman à succès del’auteur Grisham :

He spoke again at one, after a buffet lunch featuring Cajun food andDixie beer. His cheeks were red, his tongue loose and colorful.Without notes he launched into a brief history of the American tortsystem and how crucial it was in protecting the masses from thegreed and corruption of big corporations that make dangerous pro-ducts. And, while he was at it, he didn’t like insurance companiesand banks and multinationals and Republicans, either. Unbridledcapitalism created the need for people like those hardy souls in theCircle of Barristers, those down in the trenches who were unafraidto attack big business on behalf of the working people, the littlepeople.

At $300 million a year in fees, it was hard to picture Patton Frenchas an underdog. But he was playing to the crowd. Clay glancedaround and wondered, not for the first time, if he was the only saneone in there. Were these people so blinded by the money that theyhonestly believed themselves to be defenders of the poor and thesick ?

Most of them owned jets !3

Nous sommes évidemment loin de ce scénario au Canada.

Cependant, à l’ère de la globalisation, les recours collectifsinstitués aux États-Unis font écho au Canada. Poursuivies commefabricant, les corporations multinationales qui ont mis sur le mar-ché nord-américain un produit dommageable sont anxieuses deregagner une certaine sécurité vis-à-vis leur clientèle et le mondede l’investissement, de même que, souvent, leur autonomie finan-cière. Il leur importe de limiter les dégâts en faisant sanctionnerpar les tribunaux un règlement qui, non seulement les liera, maisliera également les personnes susceptibles de faire valoir uneréclamation, au Canada tout comme aux États-Unis, puisque lesdeux pays forment, sous bien des aspects, un même marché. Iln’est pas rare que les procédures en recours collectifs donnentnaissance à un recours en insolvabilité parallèle sous le « Chapter11 » américain. Si le recours collectif fait l’objet d’un règlementaux États-Unis, un règlement du ou des recours collectifs insti-

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3. John GRISHAM, The King of Torts, New York, Bantam Dell, 2003, p. 164.

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tués au Canada, en règle générale, interviendra sous peu, auxmêmes conditions ou à peu près.

Le fait que les frais extrajudiciaires ne soient pas recouvra-bles au Québec, contrairement à ce qui se passe dans les autresprovinces canadiennes, contribue peut-être également à la popu-larité des recours collectifs dans cette province, même lorsque lesenjeux individuels des membres sont substantiels. En effet, c’estalors le groupe qui supporte collectivement les frais d’expert, parexemple, ainsi que les frais légaux, du moins initialement. LeFonds d’aide au recours collectif fournit fréquemment une assis-tance à cet égard.

L’évolution du recours collectif au Québec

Le but de cette analyse est de tracer l’évolution du recourscollectif au Québec depuis sa conception originale, ainsi que dansle déroulement parfois complexe des conséquences qui découlentde l’autorisation, de l’accueil ou du règlement du recours collectif.Il s’agit à cet égard d’explorer des questions moins fréquemmenttraitées, quoique importantes, telle l’autorisation en vue d’unrèglement, les divers types de recouvrement, l’opportunité d’in-demniser la personne qui agit à titre de représentant(e) du groupeet l’aspect des frais extra-judiciaires. Enfin, comme il est toujoursutile d’observer ce qui se passe dans les juridictions avoisinantes,je me permettrai, à l’occasion, de vous faire part de certainescomparaisons.

Dans sa conception, le recours collectif a originalement étéenvisagé comme un processus en trois étapes : l’autorisation, leprocès lui-même, pour faire trancher les questions communes auxmembres du groupe, et enfin le recouvrement4.

1. L’AUTORISATION DU RECOURS COLLECTIF

1.1 En général

Selon l’article 1002 C.p.c., une requête en autorisation derecours collectif doit comporter trois éléments : les faits quidonnent ouverture à la requête, la nature du recours dont on

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4. K. DELANEY-BEAUSOLEIL, « Le recours collectif – Dispositions introducti-ves », dans Denis FERLAND et Benoît EMERY (dir.), Précis de procédure civile,vol. 2, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, par. 2 [en ligne :www.rejb.editionsyvonblais.com – DCL doctrine n o EYB : EYB2003PPC87].

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recherche l’autorisation, et une description du groupe. La règle 57des Règles de pratique de la Cour supérieure du Québec en matièrecivile5 ajoute d’autres éléments, tels une indication du districtjudiciaire approprié et une description des questions communesaux membres du groupe.

Au niveau de l’autorisation, on a assisté à un relâchementprogressif des exigences procédurales : par exemple, point n’estbesoin maintenant d’un affidavit au soutien de la requête pourautorisation. Et bien que la requête doive en théorie être accom-pagnée des documents prévus aux règles de pratique de la Coursupérieure, ces règles peuvent être écartées s’il y a danger qu’ellesnuisent à l’exercice du recours ou, plus simplement, pour assurerl’équité du processus et maintenir un certain équilibre entre lesparties6. La requête en autorisation, de plus, ne se conteste plusqu’oralement. Les interrogatoires préalables sont restreints. Tou-tefois, il est permis maintenant de présenter une preuve au stadede l’autorisation.

Les amendements récents au chapitre du Recours collectifont été contestés sur le plan constitutionnel. La Cour d’appel vienttoutefois d’en reconnaître la légalité7. Les requêtes en autorisa-tion avaient souffert d’un certain ralenti dans l’attente de cettedécision, ralenti qui sera probablement compensé par une recru-descence d’auditions sur autorisations – et possiblement de règle-ments – dans les mois à venir.

Les critères d’autorisation n’ont pas été modifiés législative-ment depuis l’introduction du recours collectif au Québec. Il faut :

a) que les recours des membres soulèvent des questions dedroit ou de faits identiques, similaires ou connexes ;

b) que les faits allégués semblent justifier les conclusionsrecherchées ;

c) que la composition du groupe rende difficile ou imprati-cable l’application des articles 59 et 67 C.p.c. ;

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5. R.R.Q. 1981, c. C-25, r. 8.6. Association des journalistes indépendants du Québec c. CEDROM-SNI, REJB

1999-14761 (C.S.). Voir aussi I.H. JACOB, « The Inherent Jurisdiction of theCourt », (1970) 23 Current Legal Problems 23, 24.

7. Pharmascience inc. c. Option Consommateurs et al., 29 avril 2005, 2005 QCCA437.

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d) et que le ou la représentante puisse assurer une repré-sentation adéquate du groupe.

Une des raisons pour lesquelles l’autorisation du recourss’est avérée relativement facile à obtenir est l’interprétation juris-prudentielle de l’article 1003 C.p.c. En effet, cet article, qui définitles critères devant servir de filtre à l’autorisation du recours col-lectif, est vu comme étant presque mandatoire : la seule discrétionréside maintenant dans l’appréciation des quatre critères qu’ilidentifie, selon le poids des probabilités8.

On pourrait penser à première vue que la situation est lamême en Ontario, où l’on retrouve l’expression « shall certify »dans le Class Proceedings Act9. Il semble toutefois généralementaccepté que le « certification of the class », en Ontario et dansd’autres provinces canadiennes, ait été jusqu’à maintenant plusaléatoire que l’« autorisation du recours collectif » au Québec.

Cela pourrait être dû en partie au fait que la législation enmatière de recours collectif est plus récente dans celles des autresprovinces qui ont jugé bon d’adopter un statut pour régir lerecours collectif. En effet, le recours collectif constituait jusque làun recours de droit commun, disponible dans la mesure où le per-mettaient des juges dans l’exercice de leurs pouvoirs inhérents enmatière de pratiques et procédures, ainsi que l’a confirmé la Coursuprême du Canada dans Western Canadian Shopping CentersInc. c. Dutton10. L’arrêt Dutton avait pour objet un recours collectifinstitué en Alberta avant l’adoption d’une loi sur le recours collec-tif et fait partie de la « trilogie » de la Cour suprême du Canadaen la matière avec deux autres arrêts, soit Hollick c. Ville deToronto11 et Rumley c. British Columbia12.

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8. Thompson c. Masson, [1993] R.J.Q. 69, 72 (C.S.) ; Gelmini c. Québec (Procureurgénéral), [1982] C.A. 560, 564.

9. Class Proceedings Act, S.O. 1992, c. 6.10. [2001] 2 R.C.S. 534. Pour une revue intéressante de la genèse et de l’évolution

des recours collectifs en droit commun anglais, puis américain et canadien, voirun article de Me Shaun FINN, clerc à la Cour d’appel du Québec, intitulé In aClass All its Own : the Advent of the Modern Class Action and its ChangingLegal and Social Mission [en ligne : http://www.tribunaux.qc.ca/c-appel/index-ca.html].

11. [2001] 3 R.C.S. 158.12. [2001] 3 R.C.S. 184.

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Tout en reconnaissant l’existence en soi d’un recours collectifdisponible selon la common law, la Cour suprême, dans Dutton13,réfère avec approbation aux exigences procédurales en vigueur envertu des lois sur le recours collectif d’Ontario et de Colombie-Britannique.

Revenons cependant au Québec. Selon les décisions renduesdans cette juridiction au cours de la dernière année, il n’est pasimpossible qu’il existe un mouvement récent de resserrement desnormes d’autorisation au Québec, mais il est trop tôt pour pouvoiraffirmer quoi que ce soit à ce sujet. Si toutefois ce mouvementcontinuait de se manifester, il s’agirait là d’un véritable retourvers l’arrière, puisqu’au départ, les tribunaux québécois ont envi-sagé le recours collectif comme un recours d’exception14, visiond’origine qui s’est transformée au fil des ans au point où la Courd’appel en est venue à affirmer que le recours collectif est un« véhicule procédural comme il y en a plusieurs autres », dispo-nible dès que les conditions d’exercice se rencontrent15. La citationsuivante témoigne bien de ce revirement graduel :

Reprenant l’enseignement de la Cour suprême dans Le Comitérégional des usagers de transport en commun de Québec c.C.T.C.U.Q., [1981] 1 R.C.S. 424, la jurisprudence a généralementétabli que les conditions de l’article 1003 doivent être interprétéesde façon non restrictive et qu’elles laissent peu de discrétion auTribunal lorsqu’elles sont remplies.16

Cette évolution n’empêche pas le tribunal saisi de l’autorisa-tion du recours collectif de conserver un large pouvoir discrétion-naire, puisqu’il peut, notamment, redéfinir le groupe, redéfinirles questions à trancher collectivement, établir toutes sortes demodalités de publicité du recours et fixer le délai accordé auxmembres individuels pour s’en exclure. Dans l’affaire Guimond,monsieur le juge Gonthier a soulevé, sans trancher la question, lapossibilité que la Cour supérieure puisse, en vertu de sa discrétionrésiduaire générale, refuser d’autoriser un recours collectif mêmesi tous les critères d’autorisation individuels étaient satisfaits17.

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13. Précité, note 10.14. Deslauriers c. Ordre des ingénieurs du Québec, [1986] R.D.J. 181 (C.A.) ; Demers

c. Drolet, [1979] C.S. 1117 ; Proulx c. Pfyzer, [1985] R.D.J. 47 (C.A.).15. Tremaine c. A.H. Robins Canada Inc., [1990] R.D.J. 500.16. Nadon c. Anjou (Ville d’), précité, note 2 (opinion de la juge Rousseau-Houle).17. Guimond c. P.G. Québec, [1996] 3 R.C.S. 347, 361.

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1.2 L’interprétation des critères d’autorisation

Si nous reprenons les critères de l’article 1003 C.p.c. un à un,nous constatons que chacun d’entre eux reçoit depuis de nombreu-ses années une interprétation libérale.

a) Les questions identiques, similaires ou connexes

C’est ainsi que, sur le premier critère, il a été décidé quel’article 1003a)

does not require that all of the questions of law or fact in the claimsof the members be identical or similar or related...nor a majority ofthese questions... It is sufficient if the claims of the members raisesome questions of law or fact that are sufficiently similar or relatedto justify a class action.18

La défense plaidera donc sans succès que les réclamationsindividuelles nécessiteront une évaluation distincte une fois tran-chées les questions communes, ou encore, que les membres dugroupe n’ont pas tous signé un contrat identique19.

b) L’apparente justification des conclusions

Ce deuxième critère a lui aussi été interprété de façon souple.Pour établir que les faits allégués semblent justifier les conclu-sions, la partie requérante n’a pas à prouver ses énoncés de fait àce stade. Le tribunal doit plutôt filtrer ces énoncés et vérifierl’opportunité d’autoriser le recours collectif sur une base primafacie, le but étant uniquement d’éliminer les procédures frivolesou clairement mal fondées. C’est ce qu’on appelle en anglais ladémonstration de « a good colour of right » :

I conclude, therefore, that the phrase “seem to justify” means thatthere must be in the judge’s view a good colour of right in order forhim [her] to authorize the action, though he [she] is not therebyrequired to make any determination as to the merits in law of theconclusions in light of the facts alleged.20

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18. Comité d’environnement de la Baie inc. c. Société d’électrolyse et de chimieAlcan Ltée, [1990] R.J.Q. 655, 659 (C.S.) ; Association provinciale des retraitésd’Hydro-Québec c. Hydro-Québec, J.E. 99-644 (C.S.).

19. Nault c. Canadian Consumer Co., [1981] 1 R.C.S. 553, 557 ; Doyer c. DowCorning Corp., J.E. 95-37 (C.S.).

20. Comité régional des usagers des transports en commun de Québec c. C.T.C.U.Q.,[1981] 1 R.C.S. 424, par. 17 (opinion du juge Chouinard) : [Traduction] « 17. Je

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Il n’est donc pas nécessaire, au stade de l’autorisation, deprocéder à une démonstration complète, claire et sans équivoquedu bien-fondé des droits invoqués, ce qui, selon la Cour d’appel,« irait clairement à l’encontre du but poursuivi par le législateur etde la philosophie même du recours collectif »21. Il suffit, au con-traire, que le tribunal soit convaincu que la requête revêt primafacie une apparence suffisante de droit22.

c) L’inapplicabilité des articles 59 et 67 C.p.c.

Pour ce qui est du troisième critère, il est utile de se rappelerce que les articles 59 et 67 C.p.c. envisagent, puisqu’il s’agit dedécider si leur application est difficile ou impraticable en l’ins-tance. Ce sont des articles qui permettent à une partie dûmentmandatée d’en représenter d’autres dans des procédures, ouencore, à plusieurs parties d’agir conjointement dans la mêmeaction. Là aussi, la jurisprudence permet de constater que l’inter-prétation jurisprudentielle des mots « difficile ou impraticable » a,plus souvent qu’autrement, favorisé l’exercice du recours collectif.Même dans des cas où il serait possible de procéder sous l’article59 ou l’article 67 C.p.c., on ne refusera pas l’autorisation s’il estpréférable ou plus efficace de procéder par le biais d’un recourscollectif23.

Il va de soi que le nombre de membres du groupe demeure unélément important à considérer pour trancher la question del’application possible des articles 59 et 67 C.p.c.24. D’autres fac-teurs concernent la difficulté d’identifier ou de rejoindre les mem-bres du groupe : il arrive assez souvent que la partie défenderessesoit la mieux en mesure d’identifier les membres du groupe – maiselle ne sera pas tenue de le faire à moins d’une ordonnance en ce

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conclus donc que l’expression « paraissent justifier » signifie qu’il doit y avoiraux yeux du juge une apparence sérieuse de droit pour qu’il autorise le recours,sans pour autant qu’il ait à se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclu-sions en regard des faits allégués. » On peut aussi lire à ce sujet les commentai-res de W.A. BOGARD dans « Class Actions, the Court, and Commentators »,(1982) 3 Supreme Court Law Review 425, 435.

21. Rouleau c. Canada (Procureur général), J.E. 98-25 (C.A.).22. Bouchard c. Corporation Stone-Consolidated, J.E. 98-236 (C.S.) ; Joyal c. Elite

Tours Inc., J.E. 88-837 (C.S.) ; Rouleau c. Placements Etteloc, J.E. 96-1613(C.S.).

23. M. BOUCHARD, « L’autorisation d’exercer le recours collectif », (1980) 21 C. deD. 855, 933.

24. Comité d’environnement de la Baie inc. c. Société d’électrolyse et de chimie AlcanLtée, précité, note 18, par. 30.

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sens. De plus, quels que soient les moyens de publicité retenus,la notification des membres risque d’être inefficace vis-à-vis plu-sieurs d’entre eux, sans mentionner ceux et celles qui ne résidentplus dans la juridiction choisie.

Incidemment, il ne suffit pas à la partie requérante, pourfranchir cette étape, d’invoquer la difficulté d’identifier les mem-bres. Les raisons de cette difficulté doivent être explicitées et jus-tifiées25.

d) La représentation adéquate du groupe

Enfin, le quatrième critère, celui d’une représentation adé-quate du groupe par le membre requérant, a lui aussi reçu uneinterprétation généreuse. On n’entend pas par « représentationadéquate » l’obligation pour la représentante d’avoir un recoursindividuel idéal, ni d’être la représentante idéale :

Il se peut que son cas ne soit pas le plus caractéristique du groupe,et qu’une autre personne [...] serait apparue comme un représen-tant plus approprié [...] ces facteurs cependant ne le privent pas desa qualité de membre du groupe visé par la requête et n’interdisentpas à la Cour de lui accorder le statut de représentant.26

On examinera plutôt la détermination de la personne pro-posée comme représentante, son sérieux, sa disponibilité et enfin,sa capacité de gérer le recours collectif.

1.3 La comparaison avec la législation ontarienne

Si l’on compare les critères d’autorisation québécois avec lescritères de certification ontarien, certaines différences assezimportantes ressortent à la simple lecture de l’article 5(1) duClass Proceedings Act, (1992)27 :

5. (1) The Court shall certify a class proceeding on a motion underSection 2, 3 or 4 if,

(a) the pleadings or the Notice of Application discloses a cause ofaction ;

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25. Château c. Placements Germarich, [1990] R.D.J. 625 (C.A.) ; Proulx c. Pfyzer,précité, note 14 ; Ouellet c. Cie Trust Royal, [1990] R.D.J. 86 (C.A.).

26. Guilbert c. Vacances sans Frontière ltée, [1991] R.D.J. 513, 517 (C.A.).27. Précité, note 9.

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(b) there is an identifiable class of two or more persons that wouldbe represented by the representative plaintiff or defendant ;

(c) the claims or defences of the class members raise commonissues ;

(d) a class proceeding would be the preferable procedure for theresolution of the common issues ; and

(e) there is a representative plaintiff or defendant who :

(i) would fairly and adequately represent the interest of theclass,

(ii) has produced a plan for the proceeding that sets out aworkable method of advancing the proceeding on behalfof the class and have notified class members of the procee-ding, and

(iii) does not have, on the common issues for the class, an inte-rest in conflict with the interests of other class members.

On remarquera tout de suite que le groupe, en Ontario, n’apas à être constitué d’un nombre élevé de requérants, mais sur-tout, la présence d’un « preferable procedure test ». Ce dernier, ilva de soi, restreint la portée du recours collectif puisque le mot« preferable » signifie ici préférable aux autres options disponiblespour faire trancher les questions communes : recours individuels,causes-types, mode alternatif de règlement des conflits, et, auQuébec, recours conjoints selon l’article 67 C.p.c., ou encore,recours par un(e) mandataire selon l’article 59 C.p.c., etc.

Dans l’arrêt Hollick28, incidemment, la Cour suprême amaintenu le refus de certification en vertu du preferable proceduretest, estimant que la solution des questions communes ne feraitpas suffisamment progresser le débat puisque des questions decausalité et de quantum auraient dû être tranchées sur une baseindividuelle. Il peut être utile de préciser que l’affaire Hollick étaitune poursuite environnementale.

Les autres facteurs à analyser pour décider de la préférabi-lité ou du « preferable procedure test » sont l’accès à la justice,l’économie judiciaire et la modification des comportements nocifs.

398 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

28. Précité, note 11.

Page 17: Le recours collectif : un parcours complexe

Les critères ontariens se retrouvent dans la législation enmatière de recours collectifs d’autres provinces canadiennes, dontla Colombie Britannique. Dans cette dernière juridiction s’ajoutetoutefois un sixième critère, celui de la prédominance des ques-tions communes.

1.4 L’autorisation du recours collectif pour fins derèglement

Ici comme ailleurs, peu de recours progressent au-delà del’autorisation. En effet, une fois franchie cette étape, les règle-ments sont nombreux. Il ne faut donc pas s’étonner si l’on trouvepeu de jugements au mérite en matière de recours collectif.

Au Québec, les juges acceptent d’autoriser des recours collec-tifs conditionnellement à un règlement, c’est-à-dire, qui ne vau-dront que si le règlement contemplé intervient. On pourraitpresque parler d’une demande d’autorisation pro forma. Ce typede demande est présenté à l’initiative des deux parties au règle-ment potentiel, et donc, par définition, non contesté. Dansl’éventualité où il n’y aurait pas de règlement, les parties nesont pas liées par le jugement en autorisation conditionnelle durecours collectif et se retrouveront à la case départ. La partierequérante n’aura pas à instituer une nouvelle requête, mais elledevra la plaider et démontrer que sa requête satisfait aux exigen-ces de l’article 1003 C.p.c.

Aux États-Unis, les critères d’autorisation ne seront pasnécessairement uniformes selon qu’il s’agisse d’une autorisationrégulière du recours collectif ou d’une autorisation en vue de faireapprouver un règlement liant le groupe et la partie défenderesse.Deux décisions de la Cour suprême américaine ont limité « theability of federal courts, on due process grounds, to certify classactions for settlement purposes only »29.

Traditionnellement, les cours étatiques seraient moinsexigeantes au niveau du certification for settlement et applique-raient, lorsque l’autorisation est accueillie dans le but de per-mettre un règlement collectif, des critères moins contraignants

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 399

29. Mary S. DIEMER, « Federal Judicial Center Studies Class Action Settle-ments », ABA Litigation News, janvier 2005, vol. 30, no 2. Les deux décisionsconcernées sont Amchem Products, Inc. c. Windsor, 521 U.S. 591 (1997) et Ortizc. Fibreboard Corp., 527 U.S. 815 (1999).

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que les critères usuels. Le Federal Rules Advisory Committee duFederal Judicial Conference aurait même envisagé de relâcherexpressément les normes d’autorisation d’un recours collectifdevant les tribunaux fédéraux américains lorsque le recours estintenté dans le but spécifique de permettre un règlement collectif.La question d’un amendement de la règle 23 dans ce but demeuresous étude. Entre-temps, on confirme « the very strong percep-tions of defense lawyers that plaintiffs file in state courts becausethey see them as more favorable to their client »30.

Il faut aussi souligner l’existence aux États-Unis d’un fortmouvement de ressac face à une perception de recours collectifsabusifs, mouvement manifesté par l’adoption récente du ClassAction Fairness Act (CAFA), un statut fédéral31.

La solution québécoise d’autoriser « pro forma » le recourscollectif aux fins d’un règlement éventuel ne semble pas existerdans d’autres juridictions canadiennes. En Ontario, on ne peutfaire « certifier » un recours collectif pour fins de transaction sansconvaincre le tribunal qu’il y a lieu à la « certification » selon lesnormes usuelles.

1.5 Les avis aux membres

Le jugement qui autorise le recours couvre également lesmodalités de notification des membres potentiels du groupe.L’avis à publier, non seulement identifiera le groupe, la personneagissant comme représentante et les parties (ainsi que toutesadresses pertinentes), mais également les questions à traitercollectivement, les conclusions recherchées, la possibilité d’inter-venir au recours, et surtout, la date limite pour demander d’êtreexclu(e) du groupe et les modalités pour ce faire. Si je dis « sur-tout », c’est que tout membre qui omet de s’exclure sera lié par lejugement à intervenir.

Dans les cas d’autorisation « pro forma » du recours collectif àdes fins de règlement, on combine en général l’avis du recours col-lectif et l’avis de règlement. Si un règlement ou une transactionsurvient après un débat sur l’autorisation, un nouvel avis serapublié avant l’approbation de toute transaction négociée depuisl’autorisation du recours collectif.

400 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

30. Ibid.31. Gary L. SASSO, De Minimis Curat Lex ?, Litigation (ABA), été 2005, vol. 31,

no 4, p. 16 et s.

Page 19: Le recours collectif : un parcours complexe

Cette caractéristique que possède le jugement final, qu’iltranche les questions communes ou qu’il approuve un règlement,de lier tout membre qui ne s’est pas exclu du groupe en vertu desarticles 1007 et 1008 C.p.c. constitue d’ailleurs l’essence du re-cours collectif par rapport aux autres moyens de procédure et laraison de son encadrement parfois exigeant32.

C’est pourquoi l’avis aux membres pourra revêtir une grandecomplexité, identifiant des dizaines de questions de faits et dedroit à traiter collectivement et presque autant de conclusionsrecherchées33. Sans cette rigueur, d’une part, les membres nepourront savoir quels avantages le recours est susceptible de leurconférer et ne pourront prendre la décision de s’exclure de façonéclairée, si tel est leur choix. Il existe cependant un envers à cettemédaille, un avis très complexe étant moins intelligible et plushermétique pour les non-initiés.

Les modes de publication du recours sont très variés. L’avisdans les journaux est le mieux connu, mais il n’est pas rare qu’unavis télévisé et/ou radiodiffusé soit ordonné. En effet, de nos jours,les médias font souvent office de canal informel de communicationet, disent certains, de négociation entre les parties. Les procu-reurs de la demande utilisent de plus en plus les médias pour faireconnaître leurs causes : un communiqué de presse qui relate lesfaits principaux du recours, une entrevue exclusive avec un jour-naliste de la presse écrite, une conférence de presse, etc. D’aucunsconsidèrent que les médias sont devenus un levier important derèglement et que la « pression publique » est devenue un facteurimportant dans le règlement des recours collectifs. En outre, lesrelationnistes joueraient un rôle de plus en plus considérable,conseillant les avocats dans la gestion des demandes d’entrevuedes journalistes ainsi que sur les meilleurs modes de diffusion durecours collectif et sur les façons d’éviter les dérapages34.

Cependant, les données sur l’efficacité de la publicité derecours collectif sont plutôt minces. Il suffit, pour douter de cette

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 401

32. Kathleen DELANEY-BEAUSOLEIL, « L’autorisation d’exercer le recours col-lectif », dans Denis FERLAND et Benoît EMERY (dir.), Précis de procédurecivile du Québec, vol. 2, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, par.70-73 [en ligne : www.rejb.editionsyvonblais.com – DCL doctrine n o EYB :EYB2003PPC88].

33. Voir, à titre d’exemple, Union des consommateurs c. Bell Canada, J.E. 2003-620(C.S.).

34. Guylaine BOUCHER, « Recours collectifs et médias : L’indispensable effet delevier ? », Journal du Barreau, vol. 37, no 5, 15 mars 2005, p. 26.

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efficacité, de prendre connaissance de la jurisprudence qui traitedu reliquat après une ordonnance de recours collectif. Nous traite-rons plus loin dans le texte de l’inefficacité relative des médiascomme moyen d’aviser les individus des droits qui leur appartien-nent35.

Par ailleurs, la partie défenderesse peut se voir mise à contri-bution, comme dans l’exemple vécu de se voir obligée d’inclure unavis à sa clientèle lors de sa facturation mensuelle. Il s’agissait, enl’occurrence, d’un fournisseur de services publics36.

2. JUGEMENT OU RÈGLEMENT : LADÉTERMINATION DES QUESTIONS COMMUNES

Comme déjà mentionné, cette détermination se fait d’une dedeux façons : par jugement ou par règlement. Nous nous attarde-rons ici à l’aspect transactionnel.

2.1 Les exigences procédurales préalables àl’autorisation du règlement

La première est évidemment, tel que déjà mentionné, celled’un avis circonstancié aux membres afin de leur permettrede faire connaître leur assentiment ou leurs objections, le caséchéant. Le tribunal a en effet besoin d’un éclairage de la part despersonnes visées afin de bien cerner toutes les conséquencespouvant résulter du règlement proposé. On s’imagine bien que letribunal ne saurait autoriser un règlement qui lui paraîtrait iné-quitable. Le contenu des avis est dicté par les règles de pratiqueet par le tribunal : où, quand, comment, et quoi. S’il faudra, parexemple, soumettre une réclamation individuelle, l’avis devraitindiquer assez précisément comment s’y prendre.

Partant, le document de transaction doit lui-même, entreautres détails, circonscrire clairement le groupe, prévoir exacte-ment le mode d’exécution ou de paiement, indiquer le montanttotal payable par la partie débitrice, le montant remboursable auFonds d’aide au recours collectif, le cas échéant, et le montant desfrais ou des honoraires payables aux procureur(e)s du groupe.

402 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

35. Infra, sur la jurisprudence qui traite du reliquat, voir les pages 412 à 415 de cetexte. Quant à la question de l’efficacité des médias comme mode de publicationdes avis aux membres, voir les pages 415 à 418.

36. Union des consommateurs c. Bell Canada, précité, note 33.

Page 21: Le recours collectif : un parcours complexe

Les avis doivent, en d’autres termes, expliciter suffisammentla transaction pour permettre aux intéressé(e)s de faire valoir toutargument pertinent et de prendre une décision éclairée.

Pour qu’un règlement soit autorisé, il doit être non seule-ment raisonnable et équitable, mais servir les intérêts des person-nes affectées. A cette étape, la flexibilité est la règle. Par exemple,dans Cope c. Compagnie d’assurance-vie Canada sur la vie37,après « des négociations intenses », « assistées d’experts », aprèsun avis spécifique dûment approuvé et dûment donné, vu l’ab-sence d’opposition au règlement proposé et la fixation d’un nou-veau délai permettant aux membres du groupe de s’exclure, lerèglement proposé fait l’objet d’une autorisation. Nous revien-drons plus loin à ses modalités.

Les critères d’approbation d’un règlement les plus fréquem-ment invoqués sont : les chances de succès, les possibilités d’exé-cution, les modalités de règlement, les dépenses futures et ladurée probable du recours, le nombre des personnes s’objectant aurèglement et la nature de leurs objections, et la bonne foi oul’absence de collusion, un facteur très important lorsque le recoursest justement entrepris dans le but de libérer la partie débitrice deson passif aléatoire (contingent liabilities).

En cas de règlement prévoyant une réclamation individuelle,le ou la juge désigné(e) par la ou le juge en chef gérera, en vertu del’article 1025 C.p.c., le recouvrement individuel des membres dugroupe selon les termes du règlement.

2.2 L’avis « post-approbation » du règlement du recourscollectif

À la lumière des dispositions du Code de procédure, il sem-blerait qu’un second avis du jugement d’approbation du règlementsoit requis. En effet, puisqu’il appartient aux juges de déterminerles modalités d’application des articles 1029 à 1040 C.p.c., lesarticle 1030 et 1038 prévoient la publication d’un avis pour infor-mer les membres de la teneur du jugement final et de la procédureà suivre pour produire une réclamation, le cas échéant. Il importeaussi de souligner les règles prévues aux articles 1045 et 1046C.p.c.38.

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 403

37. [2004] J.Q. (Quicklaw) no 115 (C.S. Québec).38. LEBEAU, François, « Vers l’indemnisation des membres : le processus post-

jugement et les considérations en matière de transaction », dans Service de

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Cependant, il peut arriver que la ou le juge qui approuve unetransaction n’ordonne pas de nouvel avis aux membres. En pareilscas, les avis d’audition sur l’approbation doivent contenir toutesles informations nécessaires pour que les membres soient bieninformés de la teneur de la transaction et, le cas échéant, desmodalités et des délais pour faire valoir leur réclamation. Ces avisdoivent aussi comporter une mention expresse à l’effet qu’aucunautre avis ne sera publié advenant que le règlement soit approuvépar la cour. L’auteur Lebeau fait remarquer que cette approche al’avantage de minimiser les frais incidents39.

3. LE RECOUVREMENT EN RECOURS COLLECTIF

3.1 En général

Que le jugement final sur le recours collectif en soit un quitranche les questions communes ou ne serve qu’aux fins d’unrèglement, il doit, selon les articles 1027 et 1028 C.p.c. :

(1) décrire le groupe, la description pouvant différer de celle fixéeen vertu de l’article 1005 C.p.c. ;

(2) ordonner que les réclamations des membres soient recouvréescollectivement ou fassent l’objet de réclamations individuellessi le jugement condamne à des dommages-intérêts ou au rem-boursement d’une somme d’argent40.

Le jugement final d’une action en recours collectif doit doncprévoir le mode de recouvrement. Trois options s’offrent au Tribu-nal :

(1) l’ordonnance de recouvrement collectif,

(2) la réclamation individuelle pour chaque membre ou

(3) une combinaison de ces deux modes de recouvrement.

404 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

formation permanente, Barreau du Québec, vol. 156, Développements récentssur les recours collectifs, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001 [en ligne :www.rejb.editionsyvonblais.com – DCL doctrine n o EYB2001DEV239].

39. Ibid.40. K. DELANEY-BEAUSOLEIL, « Le recours collectif – Déroulement du recours

(art. 1011 à 1026 C.p.c.) », dans Denis FERLAND et Benoît EMERY (dir.), Pré-cis de procédure civile du Québec, vol. 2, 4e éd., Cowansville, Éditions YvonBlais, 2003, par. 118 [en ligne : www.rejb.editionsyvonblais.com – DCL doctrineno EYB2003PPC89].

Page 23: Le recours collectif : un parcours complexe

Le choix de la méthode relève de la discrétion du juge du pro-cès41. Toutefois, la discrétion du Tribunal est limitée par l’article1031 C.p.c. : le recouvrement collectif a lieu seulement si la preuvepermet d’établir « de façon suffisamment exacte » le montant totaldes réclamations des membres. Bien que la personne servant dereprésentante ait, dès le début du litige, défini aux conclusions deson recours les modes de recouvrement recherchés au nom dugroupe, le tribunal n’est pas lié par ces conclusions42. L’auteurLebeau décrit les conséquences de chacune des méthodes derecouvrement comme suit :

Dans le cas d’une ordonnance de recouvrement individuel, ledéfendeur n’aura qu’à indemniser les membres qui auront produitune réclamation individuelle [en vertu du jugement rendu sur lesquestions traitées collectivement. Cette réclamation devra avoirété approuvée]. Il va de soi qu’en cas de réclamation individuelle, ledélai entre la date de l’évènement à la source du litige et la date depublication de l’avis du jugement final de même que la difficulté derejoindre les membres seront autant de facteurs qui viendrontminimiser l’ampleur de la valeur de la condamnation du défendeuret de la somme qu’il devra débourser.

Lorsque le juge ordonne le recouvrement collectif, il ou elle dis-pose ensuite de plusieurs options. (art. 1032 C.p.c.) Le juge peut :

1) ordonner au défendeur de déposer au greffe le montant del’ordonnance de recouvrement collectif, ou

2) ordonner au défendeur d’exécuter une mesure réparatrice ou

3) ordonner au défendeur de déposer une partie du montant derecouvrement collectif et exécuter une mesure réparatrice.

Dans les cas où le défendeur est condamné à déposer au greffe, entout ou en partie, le montant de l’ordonnance de recouvrement col-lectif, le Tribunal doit alors prendre une autre décision. Il peut pré-voir l’ « indemnisation directe » des membres grâce au processus deliquidation individuelle des réclamations individuelles, ou la distri-bution d’un montant à chacun d’eux (art. 1033 C.p.c.). Cependant,si cela s’avère impraticable ou onéreux, le juge ordonnera que lemontant de l’ordonnance de recouvrement collectif, déduction faitedes frais de justice et des honoraires des procureurs, soit distribuéde la façon qu’il déterminera, mais en tenant compte notamment de

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 405

41. Thompson c. Masson, J.E. 2000-2199 (C.A.) ; Hotte c. Servier Canada Inc., J.E.2002-1798 (C.S.).

42. Hotte c. Servier Canada Inc., ibid. ; Recherches internationales Québec c. Cam-bior Inc., J.E. 99-1232 (C.S.).

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l’intérêt des membres. (art. 1034 et 1036 C.p.c.). Dans ce cas, onparlera d’ « indemnisation indirecte des membres ».43

3.2 Le recouvrement collectif

Il est possible d’ordonner le recouvrement collectif si le mon-tant total des réclamations individuelles est connu, même si lesréclamations individuelles n’ont pas encore été déterminées une àune. La preuve du montant total dû par la défense incombe au ou àla représentante. Le jugement autorisant le règlement indiquerales modes de paiement et les modes de détermination des réclama-tions individuelles : soit par la cour, soit par une personne dési-gnée du greffe de la Cour, soit par un administrateur indépendantspécifiquement désigné.

Le recouvrement collectif comporte ordinairement la consti-tution d’un fonds de règlement, l’établissement d’un montantmaximal pour chaque réclamation individuelle, la fixation d’undélai de réclamation, ainsi que l’approbation par le tribunal d’unavis aux membres leur expliquant les modalités de réclamationindividuelle et dévoilant le montant des honoraires payables auxprocureur(e)s du recours collectif.

Selon la nature de l’affaire, l’accès aux dossiers du défendeurpeut être fort utile. Dans les cas qui s’y prêtent, par exemple lors-qu’il s’agit d’un abonnement à un service, les dossiers du défen-deur peuvent contenir la liste des membres et des informationssusceptibles de les dénombrer, sinon de les identifier, et égale-ment de quantifier les dommages. Par exemple, dans l’affaireUnion des consommateurs c. Bell Canada44, le litige concernaitl’abonnement au plan Simplitel de Bell Canada couvrant lesappels interurbains. Il va de soi que Bell était le mieux en mesurede connaître le nombre de ses propres abonné(e)s, qui excédaitamplement le million. Il lui fut intimé d’envoyer à chaque abon-né(e) un avis par la poste, joint à la facturation régulière. Le litigefit l’objet d’un règlement après le stade de l’autorisation.

3.3 Le recouvrement hybride

Par ailleurs, la Cour supérieure a déjà statué que le recouvre-ment individuel et le recouvrement collectif ne sont pas deuxmodes alternatifs d’ordonnance, mais deux systèmes qui

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43. LEBEAU, loc. cit., note 38, p. 137.44. Précité, note 33.

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s’intègrent l’un à l’autre45. Une façon de mettre à profit les deuxsystèmes est de déterminer la compensation accordée à chacundes membres du recours collectif en fonction de formules ouméthodes préétablies permettant, par exemple, une certaine clas-sification des réclamations en sous-catégories de membres46.

Il existe plusieurs exemples de recouvrement hybride dansdes cas de règlement collectif. C’est ainsi que le règlement peut,par exemple, comporter une « grille » d’indemnisation établie entenant compte de la nature des préjudices subis47. On retrace,dans la jurisprudence (comme dans l’affaire Sulzer/Centerpulsefaisant suite à l’implantation de prothèses défectueuses de lahanche), des cas comportant des catégories de paiements détermi-nées en fonction du nombre de chirurgies correctives subies et dela nature ou gravité des complications48. Les montants octroyéspeuvent être élevés49. Il est possible de créer autant de fondsd’indemnisation qu’il existe de catégories de paiements. On déter-mine au départ quel sera le montant total attribué à une catégoriede réclamant(e)s. C’est là que réside le caractère collectif du recou-vrement dans cet exemple. Par ailleurs, il revient à l’arbitre choiside s’occuper de l’aspect individuel du recouvrement en attribuantune classification aux membres du groupe. Cela illustre bien laflexibilité des modes de dédommagement susceptibles d’être pré-vus pour assurer une compensation suffisamment « individua-lisée » tout en demeurant collective.

L’affaire ACEF-Centre c. Bristol-Myers Squibb Co.50 offreune autre illustration du même principe. Le règlement hors courprévoyait une somme importante de 28 M $ en indemnisationtotale pour les porteuses québécoises et ontariennes d’implantsmammaires. Les indemnités individuelles se situaient entre

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45. Jobin c. Giguère, C.S. Québec, no 200-06-000004-807, 4 janvier 1985 (j. Lesage).46. R.A. ROSEN, « Special Problems in Drafting Class Action Settlement Agree-

ments (with Forms) », (1997) 8:1 The Practical Litigator 79, tel que cité dansGérald R. TREMBLAY, « Le recours collectif : point de vue de la défense », dansService de formation permanente, Barreau du Québec, vol. 115, Développe-ments récents sur les recours collectifs, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999,p. 14-15.

47. Ibid.48. L’Association d’aide aux victimes des prothèses de la hanche c. CenterPulse

Orthopedics Inc., C.S. Montréal, no 500-06-000130-019, 25 avril 2003 (j. DuvalHesler).

49. $ 150 000 U.S. ou 218 000 $ CAN pour la classification la plus gravementaffectée dans l’affaire Association d’aide aux victimes des prothèses de la hanchec. CenterPulse Orthopedics Inc., ibid.

50. J.E. 97-621 (C.S.).

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5 000 $ et 30 000 $ selon l’appartenance à diverses sous-catégoriesde réclamations.

3.4 Le processus des réclamations individuelles

3.4.1 En général

Le processus de réclamations individuelles fait suite à unjugement rendu en vertu de l’article 1033 C.p.c. dans lequel le tri-bunal ordonne un redressement individuel51, ou encore à la suited’un jugement approuvant un règlement qui prévoit un processusde réclamations individuelles.

En l’absence de stipulations spécifiques convenues par règle-ment, le membre qui veut produire une réclamation doit le fairedans l’année qui suit la publication de l’avis prévu par l’article1030 C.p.c., au greffe du district dans lequel le recours collectif aété entendu ou au greffe du district déterminé par le tribunal (art.1038 C.p.c.)52. Toutefois, ce délai n’est pas de rigueur53.

Il importe de souligner que la réclamation individuelle n’estpas limitée aux montants accordés aux membres du groupe par lejugement au mérite54. Par exemple, dans Gauthier c. Fortier55, lejugement mentionnait que chaque membre du groupe pourraitavoir recours sans frais aux services de la procureure du représen-tant pour être conseillé sur la façon de remplir le formulaire deréclamation, pour se faire expliquer le jugement et pour achemi-ner le formulaire au gestionnaire du fonds. Un requérant résidantaux Pays-Bas a présenté une réclamation individuelle demandantque les honoraires extra-judiciaires de 15 % soient annulés en cequi le concernait parce que l’avocate concernée ne s’était, nioccupée de lui, ni de sa réclamation, qu’elle s’était montrée négli-gente et qu’elle ne lui avait pas fourni des services adéquats. Letribunal a accueilli la requête et a conclu :

D’une part, il appartient au tribunal de statuer sur toute questionrelative aux réclamations individuelles dans le cadre d’un recourscollectif. D’autre part, le jugement qui prévoit les honoraires extra-

408 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

51. Thompson c. Masson, précité, note 41. Voir aussi LEBEAU, loc. cit., note 38,149.

52. Sur la question de l’avis post-approbation du règlement du recours collectif,voir supra, la p. 400 de ce texte.

53. Pelletier c. Baxter Healthcare Corp., J.E. 99-401 (C.S.).54. DELANEY-BEAUSOLEIL, loc. cit., note 40, par. 145.55. J.E. 2002-178 (C.S.), cité dans DELANEY-BEAUSOLEIL, ibid.

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judiciaires facturés à chaque membre n’empêche pas la présenta-tion d’une demande particulière subséquente d’un membre auregard du respect des conditions imposées dans le jugement. Lejugement en l’espèce rattache les honoraires extrajudiciaires nonseulement à l’introduction des procédures et à l’obtention d’unrèglement, mais également à certains services devant être rendusaux membres, sur demande, après le prononcé du jugement. Lademande de modification de ces honoraires est donc recevable si lesservices n’ont pas été rendus.56

L’article 1039 C.p.c. permet au tribunal de déterminer desmodes spéciaux de preuve et de procédure afin de disposer desréclamations individuelles57. L’article 1045 C.p.c., par ailleurs,accorde au tribunal des pouvoirs de gestion étendus58. Le tribunaldoit alors agir dans l’intérêt de la justice et des parties et il a com-pétence pour statuer sur les honoraires extrajudiciaires59. Il peutdécider de la réclamation du membre lui-même ou ordonner augreffier de prononcer suivant les modalités qu’il détermine. Si lemontant déposé est insuffisant pour satisfaire les réclamationsprésentées, le tribunal a le pouvoir d’ordonner le dépôt d’un mon-tant supplémentaire pour couvrir la totalité des réclamations60.

3.4.2 Les questions de preuve lors du recouvrementindividuel

Les preuves à soumettre à cette phase se limiteront auxquestions particulières à la réclamation individuelle de chaquemembre. En effet, à cette étape, les questions collectives ont soitété tranchées par un jugement final qui a force de chose jugée (art.1027 C.p.c.), soit été déterminées par un règlement qui constitueégalement chose jugée une fois approuvé par le tribunal. Les ques-tions qui restent à traiter sont identifiées dans le jugement (art.1030 C.p.c.) ou, le cas échéant, dans les documents de règlement etle jugement qui entérine ce dernier. De plus, les questions qui res-tent à traiter sur une base individuelle feront l’objet d’une notifi-cation aux membres. La partie défenderesse se retrouvera alorsdevant des individus, et non plus devant un groupe. On peut sedemander si sa marge de manoeuvre sera alors élargie61.

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 409

56. Ibid., par. 19-20.57. Jeudi c. Paquette, Rocheleau, Dion, Grenier et associés , J.E. 90-750 (C.S.).58. Voir DELANEY-BEAUSOLEIL, loc. cit., note 40, par. 146-148.59. Gauthier c. Fortier, précité, note 55.60. Caumartin c. Bordet, [1984] C.S. 584.61. DELANEY-BEAUSOLEIL, loc. cit., note 40, par. 148.

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Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’un recours collectif en dom-mage corporels fondé sur la responsabilité du fabricant d’unmédicament ou d’un appareil médical comme les prothèses mam-maires, les stérilets et les prothèses de la hanche, il est quasimentimpossible de faire collectivement une preuve « suffisammentexacte » des dommages. Selon l’auteur Lebeau :

Dans de tels cas, le Tribunal peut simplement, selon la preuveofferte, se prononcer sur la défectuosité du produit, la responsabi-lité du fabricant et, dans certains cas, sur la nature des dommagessusceptibles d’être indemnisés. En effet, la nature et l’ampleur desdommages occasionnés à chacun des membres sont difficilementappréciables à moins de procéder par une enquête individuelle.Cependant, il faut noter qu’il en va autrement lorsque le Tribunalest appelé à accorder des dommages moraux puisqu’ils peuventsouvent être arbitrés.62

C’est en pareils cas que l’on aura recours à l’article 1033.1C.p.c. Ce dernier prévoit que :

Le tribunal peut également désigner un tiers pour effectuer la liqui-dation des réclamations individuelles ou la distribution des mon-tants accordés par jugement à chacun des membres et déterminersa rémunération.

3.4.3 L’appel de la détermination individuelle

Le Code demeure silencieux quant à un appel possible desdécisions du tiers désigné pour liquider les réclamations indivi-duelles des membres. Le tribunal ayant juridiction pour supervi-ser le processus de liquidation et de distribution, il peutévidemment prévoir des modalités d’appel ou de révision de cetype de décisions, qui n’échappent pas à la possibilité d’erreurs.Par contre, il importe également de ne pas inutilement alourdir leprocessus de liquidation et de distribution.

Dans Cope c. La Compagnie d’assurance Canada sur la vie63,l’entente de règlement, dûment approuvée par le tribunal, pré-voyait que les réclamations individuelles devaient être détermi-nées par un tiers, c’est-à-dire un arbitre indépendant. Il s’agissaitd’un dossier où le recours collectif avait été institué pour le comptede plusieurs milliers de titulaires de polices d’assurance-vie detype participation à travers le Québec et le Canada. Les membres

410 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

62. LEBEAU, loc. cit., note 38, 141.63. Précité, note 37. Voir aussi Podmore c. Sun Life Canada, [1998] A.Q. (Quicklaw)

no 80 (C.S. Québec).

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reprochaient à l’assureur d’avoir eu à payer des primes d’assu-rance au-delà de la date où leur police aurait dû être acquittée enentier selon les représentations qu’on leur aurait faites. Pour éta-blir l’indemnité applicable à chaque membre du groupe, l’arbitredevait leur attribuer une classification en fonction de diversesdates convenues de cessation de paiement de primes, toutessubséquentes au règlement. La couverture promise demeuraitinchangée. Une date rapprochée signifiait que les assuré(e)scesseraient plus tôt de verser leurs primes, et par conséquent,débourseraient une prime totale moins élevée. Une date éloignéesignifiait un paiement total plus élevé.

Dans le cadre de leur règlement, les parties avaient jugé bond’adopter une procédure d’appel des décisions de l’arbitre. Lesrèglements collectifs comportent fréquemment une telle procé-dure, qui vise à assurer une plus grande acceptabilité du proces-sus de détermination des réclamations individuelles. Latransaction intervenue dans le dossier Centerpulse64, susmen-tionné, comporte d’ailleurs une disposition semblable.

Selon le règlement intervenu dans Cope65, la juge saisie durecours collectif devait entendre les appels logés à l’encontre desdéterminations du tiers arbitre, la norme applicable étant celle del’erreur manifestement déraisonnable.

Il y eut trois appels, et chacun fut examiné indépendamment.Un seul fut accueilli, le réclamant se voyant octroyer la catégorie« A », soit la plus avantageuse pour les membres. Il faut dire quec’était là la décision suggérée par les parties advenant le cas où letribunal estimerait être en présence d’une erreur manifestementdéraisonnable. Cet exemple illustre bien la souplesse que l’on peutinsuffler aux modes de recouvrement collectif, en allant jusqu’àsuggérer au tribunal l’ordonnance désirée, comme cela peut sefaire dans le cadre d’un litige ordinaire. Cette souplesse jurispru-dentielle rejoint là encore les suggestions de la doctrine66. Exer-çant sa discrétion, dans l’affaire Cope67, le tribunal ordonna mêmele remboursement de primes excédentaires acquittées après ladate d’exonération de prime qu’il venait d’établir à l’endroit dumembre concerné, situation que les parties n’avaient pas envi-sagée dans leur transaction.

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 411

64. Précité, note 48.65. Précité, note 37.66. R.A. ROSEN, loc. cit., note 46, p. 81.67. Précité, note 37.

Page 30: Le recours collectif : un parcours complexe

Il vaut la peine d’ouvrir ici une parenthèse. Dans l’arrêt Dut-ton68, la Cour suprême traite des recours collectifs mettant encause des représentations, comme dans l’affaire Cope69, pour lesfins de son analyse du « preferable procedure test » dont nous avonsparlé précédemment70. En effet, chaque membre du groupe pour-rait bien être appelé(e) à témoigner sur l’influence des représenta-tions qui lui ont été faites dans sa prise de décision (l’aspectreliance).

Dans Dutton, tout en concluant qu’il n’était pas dit que le« reliance » soit un des principaux aspects du recours tel qu’insti-tué, la Cour suprême ajoute :

If it is determined that the investors must show individual reliance,the Court may then consider whether the class action shouldcontinue.71

4. LES QUESTIONS INCIDENTES

4.1 Les controverses entourant l’objectifd’indemnisation directe des membres

4.1.1 Le reliquat

Il importe de ne pas passer sous silence les controverses quientourent le sujet du reliquat. En vertu des articles 1033 et 1034C.p.c., le reliquat est composé :

(1) des sommes qui ne sont ni réclamées par les membres, ni dis-tribuées et

(2) des sommes prévues à l’origine comme indemnisation deréclamations individuelles ou destinées à la distribution àchacun des membres lorsque la liquidation ou la distributions’avère impraticable ou trop onéreuse.

Selon l’article 1036 C.p.c., le tribunal dispose du reliquat72 entenant compte notamment de l’intérêt des membres, après avoir

412 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

68. Précité, note 10.69. Précité, note 37.70. Supra, p. 398.71. Précité, note 10, par. 53.72. Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-

Ferdinand (C.S.N.), [1996] 3 R.C.S. 211.

Page 31: Le recours collectif : un parcours complexe

donné aux parties et à toute autre personne qu’il désigne l’occa-sion de se faire entendre73.

Certains estiment que le recours collectif est peu performantdans les cas où il devrait être le plus utile, c’est-à-dire lorsqueles indemnités individuelles sont minimes. Dans plusieurs casde recours collectif, après qu’ait été versée la rémunération del’avocat(e), aucune somme ne revient en réalité aux victimesmembres du groupe, mais plutôt à des organismes sans but lucra-tif74.

Par exemple, dans ACEF-Centre c. Association québécoisedes pharmaciens propriétaires75, 90 % du montant sera versé à desCentres d’hébergement pour femmes. Cette solution est retenueparce que les membres du groupe sont toutes de sexe féminin. Enoutre, dans Clavel c. Productions musicales Donald K. Donald76,où la grande majorité des membres du groupe est constituée dejeunes personnes, on décide que le solde du reliquat sera distribuéà des organismes qui se consacrent plus particulièrement à la jeu-nesse.

Il est des praticien/nes pour qui cette tendance jurispruden-tielle va à l’encontre d’une notion fondamentale de notre systèmejuridique civil, soit l’indemnisation directe des pertes des mem-bres, dans le but de faciliter l’accès à la justice et de permettreaux victimes d’obtenir une juste compensation77. Toutefois, selonl’auteur Lebeau, on ne pourrait qualifier de « mesure abusive oupunitive le dépôt d’une requête pour autoriser un recours collectifpuis l’action en recours collectif du simple fait que les membres neseront pas directement indemnisés ou qu’ils ne s’y intéresserontpas en ne réclamant pas leur dû ». Il estime qu’il s’agit plutôt d’unemesure « sociale »78. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’il rejoint encela l’intention législative originale, dont nous avons parlé audébut de ce texte. Nos législateur(e)s ont en effet reconnu la vali-dité de « l’indemnisation indirecte » des membres, pourvu que

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 413

73. DELANEY-BEAUSOLEIL, loc. cit., note 40, par. 138-139.74. Gérald R. TREMBLAY, loc. cit., note 46, p. 14-15. Voir aussi Gérald R. TREM-

BLAY, « Le point de vue de la défense en matière de recours collectif au Québec :la procédure d’autorisation est devenue trop facile », Le monde juridique, vol.15, no 3, p. 7-8 ; Louis BARBEAU, « Le recours collectif a 25 ans : Est-il devenutrop accessible ? », Journal du Barreau, vol. 36, no 6, 1er avril 2004, p. 17.

75. Non rapportée, C.S. Montréal, no 500-06-000006-953, 3 février 1997.76. J.E. 96-582 (C.S.).77. TREMBLAY, loc. cit., note 46, 2.78. LEBEAU, loc. cit., note 38, 175.

Page 32: Le recours collectif : un parcours complexe

cette dernière tienne compte de l’intérêt de ces derniers, aux ter-mes de l’article 1036 C.p.c. En ce sens, « le montant du reliquat nerevient pas directement aux membres individuels, mais il estattribué de façon à leur donner un bénéfice indirect, lequel est des-tiné à les indemniser le mieux possible dans les circonstances »79.C’est ainsi que la mission des organismes qui perçoivent des reli-quats doit être intimement liée à l’intérêt des membres.

Les tribunaux s’étant attardés à circonscrire le genre d’or-ganisme ou des mesures susceptibles d’être prononcées pourrejoindre l’intérêt des membres dans la disposition du reliquat, ils’agit là d’un « avantage bien concret », selon l’auteur Lebeau80.

Dans un très grand nombre de recours qui font l’objet de juge-ments favorables ou de règlements, seulement 10 % des membresdu groupe se manifestent pour obtenir compensation. Dans cescirconstances, on aurait pu se demander si les objectifs de la Loisur le recours collectif sont réellement atteints81. L’obligation faiteaux tribunaux de s’assurer que tout a été fait pour quel’indemnisation bénéficie aux membres maintient l’intégrité deces objectifs82.

Dans l’affaire Jeudi c. Paquette, Rocheleau, Dion, Grenier etassociés83, seulement trois des personnes qui avaient payé desfrais excessifs suite à la pose des « sabots de Denver », réclamentéventuellement une indemnité. Bien que le délai d’un an soit alorsexpiré, le tribunal a opté pour la publication d’un deuxième avisplutôt que de remettre le reliquat à un organisme de charité nonrelié à l’intérêt des membres, dans l’espoir que les membres soientmieux informé(e)s de leur droit de présenter une réclamation.Effectivement, ce second avis entraîne le dépôt d’environ soixantenouvelles réclamations. L’auteur Lebeau souligne les démarchesentreprises par les tribunaux, telles la recherche et l’identifica-tion des membres, afin d’atteindre l’objectif premier du recourscollectif, soit l’indemnisation directe des membres84. Il rappelleaussi que les juges désigné(e)s pour entendre un recours collectifdoivent veiller à l’intérêt des membres absents85.

414 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

79. DELANEY-BEAUSOLEIL, loc. cit., note 40, par. 140.80. LEBEAU, loc. cit., note 38, 76.81. TREMBLAY, loc. cit., note 74, 8 (Le monde juridique).82. DELANEY-BEAUSOLEIL, loc. cit., note 40, par. 140.83. Précité, note 57.84. LEBEAU, loc. cit., note 38, 152.85. Ibid., 176. Voir aussi Doyon c. Fédération des producteurs acéricoles du Québec,

[1997] A.Q. (Quicklaw) no 3162 (C.S. Québec).

Page 33: Le recours collectif : un parcours complexe

Les questions entourant le principe d’indemnisation directedes membres peuvent aussi se poser à l’étape de la réclamationauprès des gestionnaires des réclamations, lesquels n’ont pas àêtre nécessairement greffier ou greffière de la Cour supérieure86,surtout lorsqu’il s’agit de dossiers complexes ou encore, si la tran-saction prévoit la désignation d’un tiers.

4.1.2 L’efficacité relative de la publication des avis auxmembres

Il importe d’abord de rappeler, même si nous avons déjàtraité de ce sujet, quels sont les avis aux membres exigés par la loi.L’auteur Lebeau les décrit ainsi87 :

• Avis d’autorisation : En vertu des articles 1005c) et 1006C.p.c., un avis doit être publié pour informer les membres dugroupe qu’un jugement a autorisé l’exercice d’un recours collec-tif. Cet avis a notamment pour but : 1) d’informer les membres del’existence d’un recours qui les concerne et du fait que ce recoursse déroulera au moyen de la procédure en recours collectif ; 2) depermettre à chaque membre qui le désire de s’exclure du groupeet de procéder au moyen d’une action individuelle, s’il le désire.Contrairement aux autres types d’avis, les Règles de pratiquede la Cour supérieure prévoient le contenu de l’avis-type requisau stade de l’autorisation. Il s’agit de la Formule III [art. 55d)R.P.C.S.].

• Avis de jugement final : Une fois l’action accueillie, le tribunaldoit ordonner la publication d’un nouvel avis aux membres [art.1030 C.p.c.]. Cet avis est obligatoire qu’importe si l’action enrecours collectif a été accueillie ou rejetée. Si l’action a étéaccueillie, l’avis devra notamment indiquer les modalités et lesdélais pour déposer une réclamation.

• Avis de règlement : Tout règlement qui pourrait intervenirentre les parties doit être approuvé par le tribunal, ce qui ne peutêtre fait qu’après la publication d’un avis aux membres [art.1025 C.p.c. et articles 60 et 61 R.P.C.S.].

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 415

86. Voir art. 1032(3) C.p.c.87. François LEBEAU, « Certaines difficultés en matière de recours collectif et pis-

tes de sollution », dans Service de formation permanente, Barreau du Québec,vol. 115, Développements récents sur les recours collectifs, Cowansville, ÉditionsYvon Blais, 1999 [en ligne : www.rejb.editionsyvonblais.com – DCL doctrineno EYB : EYB1999DEV121].

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• Autres avis : Finalement le tribunal peut, en tout temps, ordon-ner la publication d’un avis aux membres lorsqu’il l’estimenécessaire pour la préservation de leurs droits [art. 1045 C.p.c.].

Malgré la publicité du recours, dans les recours collectifs quifont l’objet de jugements ou de règlements favorables aux mem-bres du groupe, il arrive qu’un faible pourcentage des membres dugroupe se manifeste pour obtenir compensation. L’affaire Jeudi c.Paquette, Rocheleau, Dion, Grenier et associés88 en est un exemple.

Dans le cas d’une transaction, si celle-ci prévoit l’indemnisa-tion des membres par voie de réclamations individuelles dans lecadre d’un recouvrement collectif ou la liquidation individuelle deleurs réclamations, il y a lieu d’évaluer l’efficacité des avis en ana-lysant le rapport du greffier ou du gestionnaire des réclamations.Advenant que le nombre de réclamants soit trop peu élevé, commedans l’affaire Jeudi89, il est possible d’ordonner la publication d’unnouvel avis et, le cas échéant, de prolonger le délai de réclamation,sous réserve évidemment des dispositions particulières contenuesdans la transaction.

Lorsqu’il s’agit de déterminer les modalités de publication etdu contenu des avis aux membres, le contact direct avec tous etchacun des membres du groupe n’est pas obligatoire. Cependant,le mode d’avis retenu devrait idéalement être celui qui optimiseles chances que le plus grand nombre soit informé90. Bien que cer-tains considèrent les médias comme étant devenus un effet delevier important en matière de recours collectifs91, le dossier desimplants mammaires de marque Bristol Myers illustre la relativeinefficacité d’avis dans les journaux :

Dans cette affaire, l’avis d’audition de la requête pour approbationdu règlement a fait l’objet d’une publication au moyen d’un avis éla-boré et fort visible publié dans au moins 10 quotidiens distribués àtravers la province de Québec, sans compter les publications faitesen Ontario. Une fois le règlement approuvé, une nouvelle publica-tion a été faite dans dix quotidiens et dans deux magazines à grandtirage. De plus, chaque étape a fait l’objet de conférences de pressequi ont été fortement médiatisées tant à la radio qu’à la télé. Pour-tant, en dépit de l’ampleur des moyens pris pour informer les

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88. Précité, note 57. Sur les faits de cette affaire, supra, p. 414 de ce texte.89. Ibid.90. LEBEAU, loc. cit., note 87.91. Supra, p. 401 de ce texte.

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membres des modalités et des délais de réclamation, environ 25réclamantes se sont adressées au tribunal pour obtenir la permis-sion de produire une inscription tardive, après que les délais soientexpirés et ce, au motif qu’elles ne connaissaient pas l’existence durèglement92. Encore [en 1999], plus de trois ans après que le règle-ment ait été approuvé93, plus d’une quarantaine de réclamantess’apprêtent à formuler une demande d’inscription tardive au motifqu’elles aussi ignoraient l’existence du recours collectif. Le nombred’inscriptions tardives (environ 65 [jusqu’en 1999]) est certesminime eu égard au nombre de personnes concernées par lerecours, mais il est toujours surprenant de constater que certainespersonnes semblent à l’abri des médias et des nouvelles.94

Dans ce contexte, il importe de mentionner l’arrêt Currie c.McDonald’s Restaurants of Canada Ltd.95, de la Cour d’appeld’Ontario où cette dernière traite d’ailleurs du caractère inadé-quat des avis publiés dans les journaux, ajoutant que l’insuffi-sance des avis équivaut à un déni de justice.

C’est pourquoi les informations relatives à un recours collec-tif véhiculées par les médias n’affranchissent pas le défendeurdans un recours collectif de son obligation de renseignement lors-qu’il communique directement avec les membres du groupe dansle but de transiger des règlements individuels. Cette obligation derenseignement a été analysée dans le contexte de requêtes enannulation de transactions, dans l’affaire Sulzer/Centerpulse96

sur les prothèses de la hanche.

Sans reprendre en détails l’affaire Sulzer/Centerpulse, il estintéressant de noter qu’elle avait donné lieu à une demanded’injonction visant à limiter le droit de la partie défenderessede communiquer directement avec les membres individuels durecours collectif, une question qui s’est posée en Ontario dansles affaires Lewis c. Shell Canada97, Vitelli c. Villa Giardino

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 417

92. Les réclamations tardives ont été accueillies sur requête.93. Jugement d’approbation prononcé le 8 août 1995 par l’honorable André Denis,

j.c.s. (no 500-06-000004-917).94. Voir LEBEAU, loc. cit., note 87, référant au dossier ACEF-Centre c. Bris-

tol-Myers Squibb Co., précité, note 50.95. 2004 CanLII 19279 (ON. S.C.).96. Voir le jugement sur requête en annulation de transactions : L’Association

d’aide aux victimes des prothèses de la hanche et Judith Ferlatte c. CenterpulseOrthopedics inc. et al. (autrefois Sulzer Orthopedics), et Centerpulse Ltd., J.E.2005-1201 (C.S.). Voir aussi le jugement d’approbation du règlement du recourscollectif, précité, note 48.

97. [2000] O.J. (Quicklaw) no 1825 (O.S.C.J.).

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Homes Ltd.98 et Pearson c. Inco Limited et al.99. La préoccupationdes tribunaux est d’éviter que des négociations directes entre lapartie défenderesse et un(e) membre du groupe ne résultent enune injustice.

Revenant à l’aspect des exigences de notification du recourscollectif, l’auteur Lebeau suggère que les tribunaux évaluent lesmodes de publication d’un avis aux membres par une analysecoût/bénéfice. Ainsi :

[L]a publication d’un avis dans les journaux, avec toutes les lacunesque ce type d’avis comporte, devrait malgré tout être privilégiéelorsque les membres sont très nombreux, que la plupart sont incon-nus ou lorsque la modicité de la réclamation individuelle de chacunest susceptible d’amener le tribunal à refuser la liquidation desréclamations individuelles des membres et/ou à procéder par unemesure réparatrice.100

[À l’opposé], s’il s’agit d’un groupe restreint et que les membres sontquasiment tous connus et identifiés, l’envoi d’un avis par la posteseulement, qui est la forme la plus efficace pour informer les mem-bres, peut être considéré d’autant plus qu’il s’avère souvent moinsonéreux que la publication d’un avis dans les journaux. [...] Enfin,lorsque l’avis doit être transmis par la poste, le courrier ordinairedevrait être préféré à l’envoi par courrier recommandé, le tout demanière à réduire les coûts. Ce mode d’envoi est d’ailleurs celuireconnu aux États-Unis.101

Dans Gauthier c. Fortier102, le Tribunal a requis du gestion-naire des réclamations qu’il envoie un avis postal à chacun desmembres du groupe qui n’aurait pas produit de réclamation troismois après la publication de l’avis du règlement.

4.2 L’indemnisation de la personne agissant commereprésentant(e)

Un autre point se doit d’être soulevé. Il s’agit de la questionplus controversée de la rémunération du ou de la représentant(e)

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98. [2001] O.J. (Quicklaw) no 2119 (O.S.C.J.).99. [2001] O.J. (Quicklaw) no 4877 (O.S.C.J.).100. LEBEAU, loc. cit., note 87.101. Ibid. Pour la situation aux États-Unis, voir Thomas A. DICKERSON, « Class

Actions : The Law of 50 States », (1995) Release 5, Law Journal Seminar-Press,New York, p. 7-19, tel que cité dans LEBEAU, ibid.

102. REJB 2001-29634 (C.S.).

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du groupe pour le temps consacré à la préparation du recours, auxcommunications avec les membres, à l’assistance aux audiencesde la cour, ainsi que pour ses autres déboursés et pertes. L’auteurLebeau décrit cette compensation en ces termes :

Cette forme de bonus a non seulement pour but de compenser lesresponsabilités et les démarches additionnelles que le requéranta eues mais aussi d’encourager l’exercice d’un recours collectif,notamment en matière de consommation.103

Les tribunaux américains acceptent d’emblée l’idée d’unbonus payable à la personne qui représente le groupe, mais laquestion n’est toujours pas résolue au Québec. Le Code de procé-dure civile ne contient aucune disposition à ce sujet et les solutionsdemeurent à élaborer, bien qu’on ait suggéré que le Fonds d’aideserve de conduit pour la rémunération des représentant(e)s. LeCode de procédure civile ne prévoit pas non plus spécifiquement lepouvoir discrétionnaire des tribunaux d’octroyer une telle com-pensation additionnelle104. Il ne s’agit pas là d’un oubli. La ques-tion a été étudiée par le Comité de révision de la procédure civile.Le rapport de ce Comité au ministre de la Justice recommande « demaintenir la situation actuelle selon laquelle le représentant n’estpas rémunéré »105. Reste à savoir si la Cour supérieure conserveune discrétion résiduaire en la matière.

4.3 Les dépens

Les membres ne sont pas responsables des dépens, quoiquela représentante ou un intervenant puissent l’être. Le tarif estcodifié à l’article 1050.1 C.p.c. dans le cas des réclamations indivi-duelles se situant entre 1 000 $ et 3 000 $. Il n’y a pas d’honoraireadditionnel, mais un honoraire spécial peut être accordé. Si unhonoraire spécial est octroyé, il ne relève pas du tarif et n’est pasnécessairement proportionnel au montant de la réclamation ou del’indemnité. Il relève au contraire de la discrétion judiciaire, bienque la suffisance du tarif, en plus de la complexité et de la duréedes procédures, puisse entrer en ligne de compte dans la détermi-nation de cet honoraire.

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 419

103. LEBEAU, loc. cit., note 87.104. Nicole DUVAL HESLER j.c.s., Class Action in Quebec : Criteria for Certifica-

tion, Approval of Settlement, and Costs Awarded, Séminaire sur les recours col-lectifs, Cour fédérale du Canada, Ottawa, 18 octobre 2002, p. 27-28, 30.

105. Rapport du Comité de révision de la procédure civile au Ministre de la Justice,29 juin 2001, p. 202 et 203.

Page 38: Le recours collectif : un parcours complexe

Le cas échéant, le Fonds d’aide peut participer au débat surles dépens. Il doit recevoir pré-avis de ce débat s’il a fourni del’aide.

4.4 Les honoraires extrajudiciaires

4.4.1 L’approbation judiciaire des honorairesextrajudiciaires

Comme en matière de recours individuels, les honorairesextrajudiciaires encourus à l’occasion d’un recours collectif sontrégis par la Loi sur le Barreau106 et le Code de déontologie des avo-cats107. Il va de soi que nous parlons ici des honoraires extrajudi-ciaires défrayés par les membres du groupe, comme si chacun(e)d’eux avait institué un recours individuel, par opposition auxdépens payables par la partie adverse sur condamnation.

Après un règlement hors Cour, le tribunal fixe sur requêteles honoraires d’avocats d’une des parties, au besoin108. Du reste,lorsque les tribunaux approuvent des transactions aux termes del’article 1025 du Code de procédure civile, ils doivent s’assurer queles honoraires sont raisonnables. À ce sujet, le Journal du Bar-reau relate ceci :

Le film The Insider rappelait l’histoire d’un recours collectif intentécontre les sociétés productrices de tabac aux États-Unis. Les avo-cats de la demande, dans ce dossier, auraient reçu entre un et deuxmilliards de dollars en honoraires extrajudicaires. Un pendant pos-sible ? Dans les jugements déjà rendus au pays relativement à desrecours collectifs, jamais les juges n’ont accordé pareille rémunéra-tion. Et il semblerait improbable que ce cas américain se produiseau Canada.109

420 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

106. L.R.Q., c. B-1, art. 126(3) : « En l’absence de tels tarifs ou de convention expresseentre l’avocat et son client, l’avocat a droit à ses frais extrajudiciaires sur unebase de quantum meruit. » Toutefois, en matière de recours collectif, cela n’estpas susceptible de se produire.

107. R.R.Q., c. B-1, r. 1.108. Honhon c. Canada (Procureur général), J.E. 2000-2039 (C.S.) ; Brunelle c.

Cohen, J.E. 99-1895 (C.S.) ; ACEF-Centre c. Bristol-Myers Squibb Co., précité,note 50, cités dans DELANEY-BEAUSOLEIL, loc. cit., note 40.

109. The Insider, de Michael Mann (Touchstone Pictures, 1999) cité par MélanieBEAUDOUIN dans « Honoraires extrajudiciaires d’un recours collectif auQuébec – Un code en guise de rempart contre la cupidité », Journal du Barreau,vol. 37, no 5, 15 mars 2005, p. 25.

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Ainsi, dans l’affaire du sang contaminé110, le tribunal faitétat des particularités du recours collectif tout en accordant, enpartie seulement, la requête pour fixation d’honoraires :

Force est de reconnaître que si l’on a confié aux tribunaux la respon-sabilité de surveiller le cheminement des recours collectifs dès lestade de l’autorisation, c’est parce que les demandeurs, difficile-ment identifiables au départ, doivent être protégés d’une façon par-ticulière. Le tribunal ne peut éluder les responsabilités qu’on lui aainsi imposées. Cela vaut même lorsqu’il s’agit d’approuver leshonoraires des avocats. [...]

Dans le contexte des recours collectifs, il ne saurait être question deprendre à la légère la responsabilité particulière dont est investi letribunal. Le montant du règlement appartient aux membres dugroupe, non à leurs procureurs ou au tribunal.

La sympathie, si l’on peut en avoir, pour des avocats qui ont prispour acquis qu’ils avaient carte blanche pour « travailler » dans undossier et se faire payer leurs heures par la suite, sans contrôle de lapart de qui que ce soit, n’a pas sa raison d’être en matière de recourscollectifs.

Si les jugements ou les règlements sont importants, c’est parce queles membres du groupe ont été frustrés de droits financiers, physi-ques ou même psychologiques aussi importants.

Les avocats des recours collectifs peuvent avoir fait un travailextraordinaire et obtenu les meilleurs résultats. Ils sont avant toutdes professionnels qui ont bien travaillé et qui peuvent en être fiersen autant qu’ils ont été utiles à leurs clients. Ils ont le droit d’êtrerémunérés pour les services professionnels qu’ils ont rendus auxvictimes, pas pour ceux qu’ils leur ont imposés inutilement.

4.4.2 Les modes de détermination des honorairesextrajudiciaires

A. La méthode du pourcentage des montants alloués auxvictimes

Les tribunaux ont à plusieurs reprises approuvé les pourcen-tages prévus dans les conventions d’honoraires extrajudiciairesparce que, à leur face même, l’application du pourcentage auxmontants alloués aux victimes, faisant l’objet des ordonnances de

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110. Pagé c. Canada (Procureur général), J.E. 2000-1898 (C.S.).

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recouvrement collectif, se traduisait par des honoraires jugésjustes et raisonnables111. Ces pourcentages variaient générale-ment de 15 à 25 %112.

B. La méthode dominante des critères de l’article 3.08.02du Code de déontologie des avocats

Même si la rétribution à pourcentage est légale au Québec,une autre tendance jurisprudentielle est à l’effet que les honorai-res extrajudiciaires ne peuvent pas se chiffrer par un simple cal-cul arithmétique, mais doivent plutôt être évalués par la courselon un critère d’équité113. Ainsi, selon cette tendance prédomi-nante114, les honoraires extrajudiciaires doivent être octroyés enfonction des critères énumérés à l’article 3.08.02 du Code de déon-tologie des avocats :

Les honoraires sont justes et raisonnables s’ils sont justifiés par lescirconstances et proportionnés aux services professionnels rendus.L’avocat doit notamment tenir compte des facteurs suivants pour lafixation de ses honoraires :

a) l’expérience ;

b) le temps consacré à l’affaire ;

c) la difficulté du problème soumis ;

d) l’importance de l’affaire ;

e) la responsabilité assumée ;

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111. DUCHARME, Louise, « Les honoraires judiciaires et les honoraires extrajudi-ciaires en matière de recours collectifs », dans Service de formation permanente,Barreau du Québec, vol. 115, Développements récents sur les recours collectifs,Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, à la p.72.

112. Voir Nault c. Jarmark, [1985] R.D.J. 180 (C.S.) (15 %) ; Joyal c. Élite Tours Inc.,[1993] R.J.Q. 1143 (C.S.) (20 %) ; Gauthier c. Cubacan Tours inc., C.S. Montréal,no 150-06-000004-842, 30 janvier 1985 (20 %) ; Fortier c. Entreprise DoretteVal/Go Inc., [1998] A.Q. (Quicklaw) no 1267 (C.S. Québec) (20 %) ; Comitéd’environnement de la Baie inc. c. Société d’électrolyse et de chimie Alcan Ltée,précité, note 18 (33 %).

113. Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’HôpitalSt-Ferdinand (C.S.N.), précité, note 72.

114. Exemple : Association pour la protection automobile c. Canada Honda MotorLtd., [1980] R.P. 331 (C.S.) ; ACEF-Centre c. Bristol-Myers Squibb Co., précité,note 50 (tels que cités dans TREMBLAY, loc. cit., note 46, 4).

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f) la prestation de services professionnels inhabituels ou exigeantune compétence ou une célérité exceptionnelles ;

g) le résultat obtenu ;

h) les honoraires judiciaires et extrajudiciaires prévus aux tarifs.

Compte tenu de l’envergure des recours collectifs, de l’intérêtque suscite ce sujet dans la population et de la grande quantité depersonnes que le recours collectif est susceptible de toucher, cetarticle trouve toute son importance115. Les éléments mentionnés àl’article 3.08.03 sont tous d’une grande pertinence, mais n’ont pasété jusqu’à maintenant retenus en bloc par les tribunaux. Cer-tains aspects pourront recevoir une plus grande attention selonles particularités de chaque dossier. Le/La juge qui a entendul’ensemble des procédures dans un recours collectif est certesmieux placée pour apprécier lequel ou lesquels des éléments doi-vent être considérés pour déterminer des honoraires justes etraisonnables116.

C. Les critères jurisprudentiels additionnels

a) Le risque

Outre les critères prévus à l’article 3.08.03, les tribunaux ontélaboré d’autres critères dont tenir compte dans leur évaluationdes honoraires extrajudiciaires. Tout récemment, dans Bouchardc. Abitibi Consolidated117, le tribunal a conclu que la conventiond’honoraire fixé à 20 % était raisonnable, pour les raisons suivan-tes :

Les procureurs ont investi un nombre important d’heures et de-vront consacrer plusieurs heures supplémentaires pour compléterleur mandat. Cet investissement de temps a représenté un risquefinancier considérable. En plus des risques encourus, le Tribunal sedoit de souligner les résultats obtenus et la complexité du dossierqui sont autant de facteurs militant en faveur des sommes récla-mées.

Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 423

115. BEAUDOUIN, loc. cit., note 109.116. DUCHARME, loc. cit., note 111, 72-73.117. [2004] J.Q. (Quicklaw) no 7122 (C.S. Québec) (par. 55). Autre exemple : Caumar-

tin c. Bordet, précité, note 60 : les honoraires des avocats se justifient en fonctiondu temps, de l’effort et du travail consacrés au dossier. Le pourcentage de 20 %prévu à la convention d’honoraires extrajudiciaires est jugé raisonnable.

Page 42: Le recours collectif : un parcours complexe

On remarquera la notion de risque financier comme élémentà évaluer dans la détermination des honoraires justes et raisonna-bles.

b) Le cas des recours multijuridictionnels

Le juge Tingley, de la Cour supérieure du Québec, a soulignél’importance d’établir des critères uniformes pour fixer les hono-raires extrajudiciaires en cas de recours collectif multijuridiction-nels. Ces critères doivent s’accorder aux facteurs énoncés àl’article 3.08.02 du Code de déontologie des avocats.

Dans le dossier Surprenant c. Société canadienne de la Croix-Rouge118, concernant les transfusions de sang contaminé par levirus de l’hépatite C, le tribunal doit déterminer les honorairesextrajudiciaires dans le cadre du règlement national visant lesrecours collectifs institués au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique119. Les procureurs des groupes conviennent, àl’échelle nationale, de limiter le total de leurs honoraires à 10 % duFonds commun par groupe provincial, soit le tiers du règlementpartiel de 63 M $ approuvé. Cette entente est approuvée par lejuge Winkler en Ontario120 et par le juge Tingley au Québec. Cedernier estime le pourcentage de 10 % raisonnable et se dit d’avisque le critère du pourcentage de recouvrement constitue probable-ment le contrôle le plus juste pour les recours collectifs ayant unFonds commun. De plus, ce critère permet de respecter la normedu « check on reasonableness » appliquée aux recours collectifs enColombie-Britannique121.

L’Association d’aide aux victimes des prothèses de la hanchec. CenterPulse Orthopedics Inc.122 fournit un autre exemple derecours collectif multijuridictionnel. Dans le cadre du recours col-lectif américain institué contre les intimées, un règlement est

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118. [2001] J.Q. (Quicklaw) no 5394 (C.S. Québec) (par. 6-9).119. Pour connaître l’éventail des critères de la jurisprudence canadienne concer-

nant les « contengent fees » et la législation des autres provinces sur ce sujet, voirMcCARTHY TÉTRAULT, Defending Class Actions in Canada, CCH CanadianLimited, Toronto, 2002, p. 178-186.

120. Soit 2,1 M $ (21 M $ x 10 %). Voir son jugement dans l’affaire apparentée àMcCarthy c. The Canadian Red Cross Society, 98.CV-143334 (08-28-2001) (par.38-40).

121. Voir en Colombie-Britannique : Endean c. The Canadian Red Cross Society etal., 2000 B.C.S.C. (Quicklaw) 971 (S.C.B.C.) (par. 17, 38, 74, 101).

122. Précité, note 47, par. 11-13.

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approuvé dans l’état de l’Ohio par le juge O’Malley123. Conformé-ment à l’entente américaine, l’entente québécoise prévoit que lesprocureurs du recours collectif recevront un pourcentage d’hono-raires de 25 % de tous les montants payés aux réclamants124. Cepourcentage est approuvé, pour les raisons suivantes :

1) il est identique au pourcentage convenu dans l’entente améri-caine ;

2) le résultat des négociations, par ailleurs très ardues, est desplus favorables aux membres du groupe, lesquels/les rece-vront une indemnité généreuse, tout en évitant les ennuis etaléas d’un procès ;

3) aucune aide n’a été reçue du Fonds d’aide au recours collectif ;

4) les procureurs du recours collectif ont investi énormément detemps et d’argent dans l’intérêt du groupe, ayant consulté desexperts, fait de nombreux voyages à l’étranger et négociéquantité de questions périphériques, tels que la solvabilité desintimées, en plus d’étudier les questions de fait et de droit sou-levées par le présent recours ;

5) le pourcentage de 25 % constituera un incitatif pour continuerla recherche active des individus faisant partie du groupe,dont le nombre estimatif se situe aux environs d’une centaine,ainsi que pour recouvrer rapidement le montant dû à chaquemembre, les honoraires devenant exigibles lors du paiementaux membres ;

6) l’âge moyen des réclamants(e)s étant relativement élevé –chaque membre du groupe étant récipiendaire d’au moins uneprothèse de la hanche – il est opportun de favoriser une solu-tion hâtive125.

Certains des éléments considérés en cette espèce sont énu-mérés à l’article 3.08.02 du Code de déontologie. Quant aux motifs5) et 6), ils rejoignent un critère suggéré par la doctrine. En effet,

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123. In re : Inter-Op Hip Prosthesis Liability Litigation, no 1:01-CV-9000, 2002-08-05(Hon. O’Malley) [en ligne : www.sulzerimplantsettlement.com/tca.htm et www.ohnd.uscourts.gov/Clerk_s_Office/Notable_Cases/index.html].

124. Approbation du règlement du recours collectif aux États-Unis [en ligne :www.sulzerimplantsettlement.com/pdfs/cap90order.pdf].

125. L’Association d’aide aux victimes des prothèses de la hanche c. CenterPulseOrthopedics Inc., précité, note 48, par. 11-14.

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outre les éléments énumérés à l’article 3.08.02, la doctrine sug-gère que le critère d’efficacité puisse être considéré dans certainscas. En ce sens, une ou un procureur qui réussit à obtenir desrésultats rapides et concrets pour les membres du groupe, méritedes honoraires à la mesure de l’efficacité dont il a fait preuve entermes de bénéfices pour les membres du groupe et au regardd’une saine administration de la justice126.

Pour fins de comparaison dans les approches, il peut êtreutile de prendre connaissance d’une décision ontarienne où mon-sieur le juge Cumming s’est longuement penché sur le caractèreraisonnable et approprié des honoraires réclamés par les procu-reurs du groupe, qui recherchaient l’approbation d’un montant de13 millions de dollars, tout en annonçant une éventuelle demanded’approbation d’un montant additionnel de 5 millions de dollars,selon les fonds disponibles après la fin de la période de réclama-tions par les membres du groupe. Monsieur le juge Cumming aapprouvé un montant de 10 millions en honoraires jusqu’alorsencourus, tout en demeurant saisi de la requête « for approval ofclass counsel fees » pour adjudication jusqu’après le rapport finalde l’administrateur du règlement127.

c) L’intervention ou non-intervention du Fonds d’aideau recours collectif

Il importe de se rappeler qu’au Québec, les législateur(e)sont assorti le recours collectif d’un mécanisme de financement.Les personnes qui désirent exercer un recours collectif peuventdemander l’aide financière du Fonds. Cette aide est facultative : lejusticiable n’est pas tenu de la recevoir, ni de la demander, pourintenter son recours collectif. De son côté, le Fonds dispose d’unelarge discrétion dans l’attribution de son aide128.

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126. DUCHARME, loc. cit., note 111, 73.127. Wilson c. Servier Canada inc. et al., Ontario Superior Court of Justice, 2005

CanLII 7128 (Ont. S.C.) (2005-03-21).128. Pierre SYLVESTRE, « Le recours collectif : une procédure essentielle dans une

société moderne », dans Service de formation permanente, Barreau du Québec,vol. 115, Développements récents sur les recours collectifs, Cowansville, ÉditionsYvon Blais, 1999, p. 38-39 : L’aide octroyée par le Fonds couvre une partie deshonoraires extrajudiciaires des procureurs et des déboursés judicaires et extra-judiciaires. Quant aux montants accordés pour les honoraires extrajudiciaires,ils couvrent, suivant le cas, de 20 à 70 % des honoraires encourus pour mener unrecours collectif à son terme. Le reste est à la charge des demandeurs, mais leplus souvent aux risques des procureurs.

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Lorsque le Fonds finance un recours collectif, l’article 32 de laLoi sur le recours collectif129 oblige le tribunal à entendre sesreprésentations et à contrôler les dépens et honoraires extrajudi-ciaires des procureur(e)s du groupe130. Ce contrôle vise encore unefois à assurer la protection des membres du groupe131. Dans lescauses où il accorde un soutien financier, le Fonds paie les fraislégaux et les honoraires des avocats à un taux horaire qui varieselon la nature du cas. Ces honoraires sont garantis, que l’avocatgagne ou perde. Si le recours collectif est débouté, c’est le Fondsqui absorbe une grande partie de la perte et non l’avocat132. End’autres termes, c’est alors le Fonds qui assume les risques du pro-cès.

Dans Clavel c. Productions musicales Donald K. Donaldinc.133, l’avocat de la requérante négocie une convention d’hono-raires qui lui accorde 15 % des sommes perçues pour le bénéficedes membres du recours collectif, en cas de victoire, et les avancesconsenties par le Fonds, advenant une défaite. Lors de la distribu-tion du reliquat, l’avocat oublie de tenir compte des avancesreçues du Fonds, soit 22 800 $. La cour intervient pour ajuster ladistribution du reliquat.

d) La méthode dérivée des recours individuels desmembres

Dans Fortier c. Procureur général du Québec134, le tribunalétablit le montant des honoraires extrajudiciaires en addition-nant les montants d’honoraires que chaque membre du groupeaurait eu à débourser dans le cadre d’un recours individuel. Cetteapproche présuppose que le nombre exact de membres du groupesoit connu et qu’un montant identique leur sera octroyé135. Pourcertains, il s’agit d’un critère d’évaluation erroné136.

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129. L.R.Q., c. R-2.1, art. 32(2) : « Le tribunal doit entendre le Fonds avant de déciderdu paiement des dépens, déterminer les honoraires du procureur du représen-tant ou approuver une transaction sur les frais, les dépens ou les honoraires. »

130. DUCHARME, loc. cit., note 111, 70.131. Curateur public c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand

(CSN),précité, note 72.132. TREMBLAY, loc. cit., note 46, 10.133. Précité, note 75.134. J.E. 91-575 (C.S.).135. DUCHARME, loc. cit., note 111, 73.136. TREMBLAY, loc. cit., note 46, 6.

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e) La méthode Lodestar

La méthode Lodestar ou Lodestar approach consiste à établird’abord le nombre d’heures consacrées au dossier et à le multiplierpar le tarif horaire de l’avocat. Le résultat est ensuite ajusté enappliquant un multiplicateur qui varie selon le risque, la qualitédu travail légal et/ou la complexité de la cause137. Une seule déci-sion au Québec a suivi cette approche138. Il s’agit de ACEF-Centrec. Bristol-Myers Squibb Co.139, où le montant total des indemnisa-tions était de 28 M $. Le tribunal y applique la méthode pour tenircompte du temps consacré au dossier. Un multiplicateur estensuite appliqué pour déterminer les honoraires extrajudiciairesdes procureurs de la représentante dans le cadre du règlementhors cour pour les porteuses québécoises et ontariennes d’im-plants mammaires. Le résultat : 450 000 $ pour honoraires futurset 1 546 650 $ pour honoraires déjà encourus, ce qui représente letaux horaire multiplié par deux140 pour compenser une « presta-tion de services inhabituels exigeant une compétence exception-nelle et menant à un résultat hors du commun ». À l’étapedes réclamations individuelles de cette affaire, le pourcentageconvenu dans les mandats individuels, de 5 % de l’indemnité reçuepar client(e), est approuvé, le juge ajoutant que : « La très vastemajorité des sommes disponibles doit être consacrée aux femmeset non aux frais incidents. La cour entend faire respecter ce prin-cipe. »

f) La détermination des frais extrajudiciaires pararbitrage

Dans Podmore c. Sun Life du Canada141, la cour approuve unrèglement en vertu duquel le montant des honoraires des avocatsdu requérant doit être déterminé par arbitrage, à l’intérieur d’unefourchette prévue dans le règlement. Le recours à un arbitre pourdéterminer les honoraires peut, dans certains cas, représenter

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137. DUCHARME, loc. cit., note 111, 75. Voir aussi pour la législation ontarienneet la jurisprudence américaine sur la méthode lodestar dans McCARTHYTÉTRAULT, op. cit., note 119, p. 179-180.

138. Pelletier c. Baxter Healthcare Corp., précité, note 53.139. Précité, note 50.140. L’homologue ontarien du juge Denis, l’honorable juge Winkler, avait accordé le

taux horaire x 3. Voir Lindy Brothers Builders c. American Radiator & Stan-dard Sanitary Corp., 487 F.2d 161 (3d Cir. 1973) (Lindy I) et 540 F.2d 102 (3dCir.1976) (séance tenante) (Lindy II).

141. Précité, note 63.

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une solution juste et équitable tant pour les deux parties impli-quées au litige que pour l’avocat agissant en demande. De plus,lorsque les montants des indemnités sont déjà établis, le pouvoirde marchandage des avocats s’en trouve grandement diminué. Ilimporte de trouver une formule qui permet de se concentrer sur lavaleur réelle des services juridiques142.

D. Les suggestions doctrinales

Il est opportun de mentionner plusieurs suggestions doctri-nales quant au contrôle du caractère raisonnable des honorairesextrajudiciaires en matière de recours collectif. D’aucuns croientqu’un contrôle législatif devrait être instauré pour limiter leshonoraires des avocats en demande à un pourcentage raisonnablede l’indemnisation totale reçue par les membres du recours collec-tif143. La détermination d’un tel pourcentage n’est toutefois passimple et soulève de plus l’existence d’un conflit d’intérêts poten-tiel entre l’avocat en demande et les membres du recours collectif.La fixation par avance d’un pourcentage des indemnitésallouées aux membres du recours collectif pourrait inciter les pro-cureur(e)s agissant en demande à régler rapidement le recourscollectif pour maximiser le ratio honoraires/travail, au détrimentdes intérêts des client(e)s144. Un auteur suggère que le pourcen-tage soit établi selon une « échelle mobile » graduée en fonction del’étape judiciaire à laquelle se termine le litige145. Une autre sug-gestion est de « plafonner » le montant des honoraires lorsqu’il estétabli en fonction d’un pourcentage du montant global des indem-nités146.

CONCLUSION

Malgré la souplesse observée au niveau des critères d’auto-risation du recours collectif et des modes d’indemnisation desmembres d’un recours collectif, qu’ils soient déterminés par juge-ment ou par règlement, il subsiste plusieurs interrogations sur la

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142. TREMBLAY, loc. cit., note 46, 6.143. Ce qui est d’ailleurs le cas aux États-Unis : la loi intitulée Private Securities

Litigation Reform Act of 1995, 15 USCA s. 77 z-1. Toutefois, ce pourcentageraisonnable n’est pas fixé par la loi (voir TREMBLAY, loc. cit., note 46, 10).

144. TREMBLAY, ibid.145. W.K. BRANCH, Class Actions in Canada, Vancouver, Western Legal Publica-

tions, 1998, p. 73 (cité dans TREMBLAY, ibid., 12).146. ROSEN, loc. cit., note 46, 80.

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distribution du reliquat, l’indemnisation « indirecte » des mem-bres, les honoraires extrajudiciaires et le dédommagement du oude la représentant(e) du groupe pour le temps et les efforts consa-crés. L’auteur Lebeau note que :

Au cours de la première décennie suivant l’adoption de la Loi surle recours collectif, on s’interrogeait surtout sur les conditionsd’exercice du recours collectif. Depuis les dernières années, lesquestions qui intéressent davantage la communauté juridique enmatière de recours collectif consistent surtout à approfondir lespossibilités qui sont offertes aux tribunaux et aux membres dugroupe lorsque vient le temps de mettre un terme au recours, parjugement ou par transaction. [...] Il faut souhaiter que nos tribu-naux et les parties n’hésitent pas à être « créatifs » ni à « inventer »des solutions qui mèneront à ce que justice soit rendue.147

Quant aux honoraires extrajudiciaires, dans tous les cas,qu’il y ait eu financement ou non par le Fonds d’aide au recourscollectif, les procureur(e)s en demande doivent faire approuverleur convention d’honoraires extrajudiciaires par le ou la jugedésignée pour entendre le recours collectif148. En cas de transac-tion, le tribunal sera appelé à approuver les honoraires au stadede la requête en approbation de la transaction conformément àl’article 1025 C.p.c., complété par les règles 60 et suivantes desRègles de pratiques de la Cour supérieure en matière civile.

Les formules employées pour déterminer les honorairesextrajudiciaires empruntent majoritairement l’une des deuxméthodes suivantes : soit selon la rémunération sur la base d’unpourcentage de la somme perçue à la suite d’une transaction oud’un jugement, soit selon la rémunération sur la base des heurestravaillées multipliées par le taux horaire de chaque avocat(e)appelé(e) à oeuvrer en demande. Les tribunaux ont généralementapprouvé les pourcentages prévus aux conventions d’honorairesextrajudiciaires, estimant que les montants proposés dans chaqueespèce étaient raisonnables149.

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147. LEBEAU, loc. cit., note 38, 174.148. DUCHARME, loc. cit., note 111, 70.149. Ibid., 65-66.