Le Ravi

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«J le Ravi donne la parole à deux groupes de citoyens sur deux territoires, le premier dans le quartier populaire de Noailles, au cœur de Marseille, et le second à Cavaillon (84), au sein de l’association le Village. Chacun, en partant de ses expériences et de ses envies, s’est interrogé sur ce qu’est l’espace public, sur ce qu’il y manque pour que l’on puisse de nouveau s’y rencontrer et se l’approprier. Et si on repeignait les rues en couleur ? Et si on y plantait des fleurs ? Et si on créait des cuisines mobiles ? Nos ravissants apprentis journalistes sont eux-mêmes allés sur le terrain pour mener l’enquête et voir si leurs « Et si ? » pouvaient se transformer en « Pourquoi pas ! ». crèche Cahier spécial Supplément « Et si ?» n° 126 février 2015 dans la place (publique) réappropriation. « Le citoyen a l’impression d’être écarté des affaires publiques, exclu de la représentation politique avec des élites éloignées de ses préoccupations. D’où cette envie de réappropriation que le mouvement des Indignés ou Occupy Wall street peuvent symboliser », juge Isabelle Aubert (1), maître de conférence en philosophie à Paris I. Elle estime que la sphère privée, empiète de plus en plus sur nos espaces communs, où tout s’achète désormais. Et si on se réappropriait l’espace public ? Elle évoque aussi un espace public à deux vitesses avec une ségrégation géographique importante, des zones de la République délaissées, peu équipées en services publics, et les fractures, exclusions sociales qu’elles entraînent. « Ceux qu’on nomme «contre public», qui possèdent leur propre espace public, qui s’affirment contre l’expression dominante d’une population bien intégrée », continue-t-elle. Et que dire de ces smart citys, vendues à longueur de campagnes électorales, ultra organisées, qui nous observent, nous filent à l’aide de bornes GPS et cartes RFID, et qui, d’après la philosophe, « brisent la spontanéité nécessaire à l’expression politique » ? Récemment, le maire écologiste de Grenoble a décidé de supprimer les 326 panneaux publicitaires de la ville pour les remplacer par des arbres et des panneaux d’expression publique. Mais les politiques étant ce qu’ils sont, c’est au citoyen de passer en force pour se réapproprier ses espaces publics : Zad, collectif antipub, végétalisation des rues, invasion de vélos et création de pistes cyclables à la craie… de Marseille à Toulon en passant par Avignon, les idées ne manquent pas en Paca. Architectes, urbanistes et autres professionnels descendent eux aussi de plus en plus dans la rue pour concevoir des projets avec les citoyens. C’est le cas du collectif Etc qui regroupe une dizaine d’architectes itinérants et qui, avec les habitants du quartier de Belsunce, se sont récemment réappropriés la place Louise Michel à Marseille en créant en quelques jours et sans autorisation préalable un espace à vivre où l’on peut prendre le temps de se rencontrer. « Le collectif est né en réaction à l’enseignement en architecture et au travail d’agence trop déconnectés du terrain. On e n’y allais pas beaucoup mais quand j’étais à ma fenêtre j’avais l’impression d’être à la campagne, je regardais jouer les boulistes, les enfants… Et là on nous enlève nos arbres, les oiseaux qui vont avec, bref la vie. C’est une honte ! », s’énerve Andrée Pietri, retraitée et riveraine depuis d’une vingtaine d’années du square Michel Levy. Un des seuls, voire le seul poumon vert du quartier de Lodi à Marseille que la municipalité a cédé à un groupe privé pour la construction d’une cinquantaine de logements et de 300 parkings souterrains. Le tout sans consultation publique… Deux jours après les travaux, fin janvier, et l’abattage d’arbres centenaires, un collectif de riverains, rejoint par des zadistes et militants écologiques, ont occupé le parc et tenté de le faire revivre pendant plus d’une semaine. Las, une armée de CRS les en a délogés et les arbres ont tous été abattus dans la foulée... Le cas de ce square ne fait malheureusement pas figure d’exception à Marseille. Le « livre noir » publié par le collectif Laisse Béton regroupe plusieurs associations qui luttent contre l’appropriation par des promoteurs privés du peu d’espaces verts dont la ville de Marseille dispose. Un palmarès des « villes vertes » de L’Express, classait déjà, en 2009, Marseille au dernier rang des 20 plus grandes villes françaises concernant la superficie des espaces verts urbains avec 7,6 m2 par habitant (contre 68 m2 pour Strasbourg). Dans la cité phocéenne, on préfère les grands espaces minéralisés, aux squares de quartier. Et même si le Vieux Port a remporté début 2014 le Prix européen du « meilleur espace public de l’année », au vu des critères de sélection (« vocation de civisme », « interventions visant à réduire les fractures sociales », « participation des citoyens dans la conception »…) on est en droit de se demander si le jury est venu en dehors des jours de manif… Il paraît bien loin le temps où les grands- mères s’asseyaient devant les pas-de- porte pour jouer aux cartes ou discuter, loin l’époque où les places publiques permettaient de se rencontrer… Avec l’évolution de la ville (50 % de la population d’aujourd’hui est urbanisée), l’espace public s’est peu à peu transformé en un lieu de passage… Car évoquer la question de l’espace public pose la question de sa nécessaire voulait arrêter de penser à la place des gens et au contraire construire des projets avec eux, explique Florent Chiappero, l’un des architectes. Marseille a 20 ans de retard en matière de politique urbaine et tant mieux car du coup ça ouvre la porte à d’autres manières de faire. La pénurie est toujours porteuse d’innovations », ajoute-t-il. Pour le collectif, la construction n’est pas une fin en soi « mais la possibilité de soulever d’autres questions ». Pendant trois mois, deux groupes de citoyens, un à Noailles (Marseille 1er) et l’autre à Cavaillon (84) ont réfléchi à la manière de se réapproprier les espaces publics dans le cadre des ateliers « Et si ? » que propose le Ravi en partenariat avec la Fondation Abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisés. « Le mensuel irrévérencieux qui ne baisse jamais les bras » a accompagné Charlotte, Lucas, Omar, Josiane, Thierry et beaucoup d’autres dans leur réflexion et les a initiés à l’écriture journalistique. « Et si on repeignait les rues en rose ? » ; « Et si on mettait de la musique dans les abribus ? » ; « Et si on créait une cuisine mobile ? » ; « Et si on pouvait investir un espace « multi fonctions », ouvert à tous, où il serait possible de faire la sieste, d’échanger, de projeter des films… ? » Bref, et si on s’approchait d’une utopie qui ne devrait pas en être une ? De débats en discussions sont nées des envies : « J’irais bien me poser quelques heures place Homère pour raconter comment les habitants du quartier se sont réappropriés ce lieu », lance Charlotte. « J’aimerais bien savoir pourquoi les graffeurs choisissent la rue pour exercer leur art », s’interroge Lucas. Il a fallu se détacher un peu du concret pour explorer l’existant, mettre en lumière des initiatives ou interroger une ville sur son rapport aux espaces et initiatives publiques et la nécessité d’en voir poindre en bas de chez soi. Il a surtout fallu écrire. Pas facile pour certains qui n’en ont pas l’habitude, comme à Cavaillon. Mais comme pour la réappropriation de ce qui nous est commun, rien n’est insurmontable tant qu’on essaie de le faire ensemble ! 1. Elle vient de publier « Habermas, une théorie critique de la société » après avoir consacré sa thèse à Jürgen Habermas, théoricien en philosophie et en sciences sociales qui a introduit la notion d’espace public pour la première fois en 1962. CNRS éditions, 25 euros. Samantha Rouchard et Clément Chassot

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Le journal satirique d'investigation Le Ravi édité par l'association la Tchatche.

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«J

le Ravi donne la parole à deux groupes de citoyens sur deux territoires, le premier dans le quartier populaire de Noailles, au cœur de Marseille, et le second à Cavaillon (84), au sein de l’association le Village. Chacun, en partant de ses expériences et de ses envies, s’est interrogé sur ce qu’est l’espace public, sur ce qu’il y manque pour que l’on puisse de nouveau s’y rencontrer et se l’approprier. Et si on repeignait les rues en couleur ? Et si on y plantait des fleurs ? Et si on créait des cuisines mobiles ? Nos ravissants apprentis journalistes sont eux-mêmes allés sur le terrain pour mener l’enquête et voir si leurs « Et si ? » pouvaient se transformer en « Pourquoi pas ! ».

crècheCahier spécial Supplément « Et si ?»

n° 126février 2015

dans la place (publique)

réappropriation. « Le citoyen a l’impression d’être écarté des affaires publiques, exclu de la représentation politique avec des élites éloignées de ses préoccupations. D’où cette envie de réappropriation que le mouvement des Indignés ou Occupy Wall street peuvent symboliser », juge Isabelle Aubert (1), maître de conférence en philosophie à Paris I. Elle estime que la sphère privée, empiète de plus en plus sur nos espaces communs, où tout s’achète désormais.

Et si on se réappropriait l’espace public ? Elle évoque aussi un espace public à deux vitesses avec une ségrégation géographique importante, des zones de la République délaissées, peu équipées en services publics, et les fractures, exclusions sociales qu’elles entraînent. « Ceux qu’on nomme «contre public», qui possèdent leur propre espace public, qui s’affirment contre l’expression dominante d’une population bien intégrée », continue-t-elle. Et que dire de ces smart citys, vendues à longueur de campagnes électorales, ultra organisées, qui nous observent, nous filent à l’aide de bornes GPS et cartes RFID, et qui, d’après la philosophe, « brisent la spontanéité nécessaire à l’expression politique » ?

Récemment, le maire écologiste de Grenoble a décidé de supprimer les 326 panneaux publicitaires de la ville pour les remplacer par des arbres et des panneaux d’expression publique. Mais les politiques étant ce qu’ils sont, c’est au citoyen de passer en force pour se réapproprier ses espaces publics : Zad, collectif antipub, végétalisation des rues, invasion de vélos et création de pistes cyclables à la craie… de Marseille à Toulon en passant par Avignon, les idées ne manquent pas en Paca.

Architectes, urbanistes et autres professionnels descendent eux aussi de plus en plus dans la rue pour concevoir des projets avec les citoyens. C’est le cas du collectif Etc qui regroupe une dizaine d’architectes itinérants et qui, avec les habitants du quartier de Belsunce, se sont récemment réappropriés la place Louise Michel à Marseille en créant en quelques jours et sans autorisation préalable un espace à vivre où l’on peut prendre le temps de se rencontrer. « Le collectif est né en réaction à l’enseignement en architecture et au travail d’agence trop déconnectés du terrain. On

e n’y allais pas beaucoup mais quand j’étais à ma fenêtre j’avais l’impression d’être à la campagne, je regardais jouer les boulistes, les enfants… Et là on nous enlève nos arbres, les oiseaux qui vont avec, bref la vie. C’est une honte ! », s’énerve

Andrée Pietri, retraitée et riveraine depuis d’une vingtaine d’années du square Michel Levy. Un des seuls, voire le seul poumon vert du quartier de Lodi à Marseille que la municipalité a cédé à un groupe privé pour la construction d’une cinquantaine de logements et de 300 parkings souterrains. Le tout sans consultation publique… Deux jours après les travaux, fin janvier, et l’abattage d’arbres centenaires, un collectif de riverains, rejoint par des zadistes et militants écologiques, ont occupé le parc et tenté de le faire revivre pendant plus d’une semaine. Las, une armée de CRS les en a délogés et les arbres ont tous été abattus dans la foulée...

Le cas de ce square ne fait malheureusement pas figure d’exception à Marseille. Le « livre noir » publié par le collectif Laisse Béton regroupe plusieurs associations qui luttent contre l’appropriation par des promoteurs privés du peu d’espaces verts dont la ville de Marseille dispose. Un palmarès des « villes vertes » de L’Express, classait déjà, en 2009, Marseille au dernier rang des 20 plus grandes villes françaises concernant la superficie des espaces verts urbains avec 7,6 m2 par habitant (contre 68 m2 pour Strasbourg).

Dans la cité phocéenne, on préfère les grands espaces minéralisés, aux squares de quartier. Et même si le Vieux Port a remporté début 2014 le Prix européen du « meilleur espace public de l’année », au vu des critères de sélection (« vocation de civisme », « interventions visant à réduire les fractures sociales », « participation des citoyens dans la conception »…) on est en droit de se demander si le jury est venu en dehors des jours de manif…

Il paraît bien loin le temps où les grands-mères s’asseyaient devant les pas-de-porte pour jouer aux cartes ou discuter, loin l’époque où les places publiques permettaient de se rencontrer… Avec l’évolution de la ville (50 % de la population d’aujourd’hui est urbanisée), l’espace public s’est peu à peu transformé en un lieu de passage…

Car évoquer la question de l’espace public pose la question de sa nécessaire

voulait arrêter de penser à la place des gens et au contraire construire des projets avec eux, explique Florent Chiappero, l’un des architectes. Marseille a 20 ans de retard en matière de politique urbaine et tant mieux car du coup ça ouvre la porte à d’autres manières de faire. La pénurie est toujours porteuse d’innovations », ajoute-t-il. Pour le collectif, la construction n’est pas une fin en soi « mais la possibilité de soulever d’autres questions ».

Pendant trois mois, deux groupes de citoyens, un à Noailles (Marseille 1er) et l’autre à Cavaillon (84) ont réfléchi à la manière de se réapproprier les espaces publics dans le cadre des ateliers « Et si ? » que propose le Ravi en partenariat avec la Fondation Abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisés. « Le mensuel irrévérencieux qui ne baisse jamais les bras » a accompagné Charlotte, Lucas, Omar, Josiane, Thierry et beaucoup d’autres dans leur réflexion et les a initiés à l’écriture journalistique. « Et si on repeignait les rues en rose ? » ; « Et si on mettait de la musique dans les abribus ? » ; « Et si on créait une cuisine mobile ? » ; « Et si on pouvait investir un espace « multi fonctions », ouvert à tous, où il serait possible de faire la sieste,

d’échanger, de projeter des films… ? » Bref, et si on s’approchait d’une utopie qui ne devrait pas en être une ?

De débats en discussions sont nées des envies : « J’irais bien me poser quelques heures place Homère pour raconter comment les habitants du quartier se sont réappropriés ce lieu », lance Charlotte. « J’aimerais bien savoir pourquoi les graffeurs choisissent la rue pour exercer leur art », s’interroge Lucas. Il a fallu se détacher un peu du concret pour explorer l’existant, mettre en lumière des initiatives ou interroger une ville sur son rapport aux espaces et initiatives publiques et la nécessité d’en voir poindre en bas de chez soi. Il a surtout fallu écrire. Pas facile pour certains qui n’en ont pas l’habitude, comme à Cavaillon. Mais comme pour la réappropriation de ce qui nous est commun, rien n’est insurmontable tant qu’on essaie de le faire ensemble !

1. Elle vient de publier « Habermas, une théorie critique de la société » après avoir consacré sa thèse à Jürgen Habermas, théoricien en philosophie et en sciences sociales qui a introduit la notion d’espace public pour la première fois en 1962. CNRS éditions, 25 euros.

Samantha Rouchard et Clément Chassot

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le Ravi n°126 - supplément « Et si ? » - le Ravi crèche dans la place (publique)

« Un projet qui fasse sens II

Making-off Cavaillon, morne plaine

Un espace public « multi fonctions », ouvert à tous où il serait possible de faire la sieste comme d’organiser des projections en plein-air, jouer de la musique grâce à des instruments en libre-service, partager des savoirs ou des compétences… Un petit coin d’utopie auquel le projet de réhabilitation du tri postal à Avignon se raccroche. La cour de cette friche industrielle, inoccupée depuis une vingtaine d’années, propriété de Réseau ferré de France, est occupée depuis 2003 par l’association Casa (Collectif action sans abris), puis par HAS (Habitat alternatif social) qui a pris le relais en 2013. Centre d’hébergement d’urgence et accueil de nuit, l’association a maintenant une plus grande ambition : piloter la réhabilitation de cet immense espace de 3 000 m2 sur 3 niveaux, faire un lieu mixte proposant logements, restauration, expositions, bains publics… Le tout géré par une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC)… Rencontre avec Renaud Dramais, directeur d’HAS Vaucluse.

nous imaginons un jardin public dans la cour du tri postal.

A qui cet espace est destiné ? Et en quoi peut-on dire qu’il vise à se réapproprier l’espace public ?Ce sera un lieu de production et d’échange, donc destiné à un large public. Il y aura quelque chose de la Maison commune de Cavaillon dans cette histoire car ce sera un lieu où on pourra disposer d’espaces communs à vivre et à gérer ensemble. Et puis ce sont avant tout des associations, par définition un rassemblement de citoyens, qui sont appelées à investir l’endroit. Et donc à se l’approprier.

Une date d’ouverture est-elle prévue ? Cela fait déjà un an que nous travaillons sur le projet. Selon les architectes (HAS travaille avec deux cabinets d’architectes, le Nac et le Perou, NDLR), il faut compter 3 à 5 ans avant la fin des travaux. On peut donc espérer une ouverture pour 2017, 2018. Mais il existe une condition, que la mairie se porte propriétaire des lieux. Nous ne possédons rien ici, seulement d’une convention d’occupation pour le premier étage. Nous avons fait tout ce qui était en nos moyens pour lancer cette idée. Maintenant il faut des passages à l’acte.

Combien tout cela coûte-t-il ? Qui va financer le projet ? La réhabilitation du tri postal est estimée à 3,5 millions d’euros par les architectes. Cela peut sembler beaucoup mais pour la superficie, 3 000 m2, ce n’est pas grand-chose. Concernant le financement, nous comptons sur un modèle composite reposant sur du public, du privé et de l’autofinancement. Pour la partie habitat, c’est une aide directe de l’Etat. Les bains publics pourraient relever de la mairie. Le lieu d’exposition culturelle et de résidence pourrait être lui financé par le ministère de la Culture avec la possibilité de le louer ponctuellement… On s’appuiera aussi sur d’autres ressources propres, grâce au restaurant par exemple. En ce qui concerne le fonctionnement, on compte sur des mécènes, des entrées payantes…

Quelle est votre démarche autour de ce lieu qu’est le tri postal ?Notre projet, c’est d’investir à plusieurs une friche industrielle disponible depuis plus de 20 ans. La surface de ce lieu dépasse largement les besoins d’HAS. Il va donc falloir trouver d’autres partenaires et donner du sens à ce partage de l’espace.

Qu’est-ce qu’on va y trouver, quelles seront les activités proposées ? A l’origine, l’activité de Casa/HAS est de gérer des dispositifs d’action sociale : hébergement, accueil de nuit, médiation de rue… Mais maintenant, le projet prend une autre envergure car nous souhaitons insérer ces actions dans un programme plus général, celui du tri postal. Concrètement, il y aura un accueil de nuit mixé avec d’autres formes d’habitats (chambres étudiantes, pourquoi pas des chambres d’hôtes…), un espace de restauration ouvert aux habitants du lieu mais aussi au reste de la ville. On compte aussi aménager des bains publics. L’étage sera dédié à une salle d’exposition et de spectacles, qui pourra aussi être une résidence d’artistes. Il y aura également un espace de travail partagé, associatif, administratif et institutionnel. Enfin,

Qui y travaillera ? Salariés ou bénévoles ? Les deux ! Pour le fonctionnement, les « accueillis » seront sollicités. Mais de leur place de citoyens. Pour le restaurant, j’aimerais m’appuyer sur le GEM (1) et l’expérience du Village qui gère déjà une cantine autonome. La ressource autour de nous doit être rassemblée par un projet commun. Je n’ai par exemple pas envie d’aller chercher un chef d’entreprise en lui disant : « venez ici et prenez les choses en main. » Concernant la réhabilitation des locaux, nous disposons déjà des architectes. Après, il faudra sûrement faire appel à un office HLM ou à une société immobilière pour la maîtrise d’ouvrage. Puis pour les travaux, il y aura aussi un chantier d’insertion, aidé par des entreprises spécialisées.

Quelles principales difficultés rencontrez-vous ?Elles relèvent plus de l’ « acceptation sociale ». Un des fondements de notre société, c’est la propriété privée. Quand on n’est pas propriétaire et qu’on n’a ni argent ni lieu, eh

bien… on est bien emmerdé ! Le plus dur c’est de faire face à l’hostilité des riverains vers les gens qu’on accueille, souvent perçus comme dangereux. Le combat administratif, politique... tout cela fait partie du jeu finalement.

Quels conseils donneriez-vous à des gens qui voudraient créer ce type de lieu, à Cavaillon par exemple ?Le principe de base, c’est que tout seul on ne fait pas grand chose mais quand on arrive à s’associer, on devient plus fort. C’est toute l’histoire de Casa. L’enjeu de cette SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif), c’est de concevoir ensemble un projet qui fasse sens pour tout le monde, que ça réponde à des besoins et à des désirs d’Avignonnais. Il faut donc arriver à déterminer cet intérêt commun, et c’est possible à Avignon comme à Cavaillon.

1 GEM : le groupe d’entraide mutuelle d’Avignon est un espace associatif où les adultes en situation d’isolement et de souffrance psychique peuvent se retrouver, s’entraider, organiser des activités…

violette, qui prend sa pause de midi.

Un peu plus loin, devant la brasserie qu’elle tient depuis 25 ans, Huguette (2) fume une cigarette : « C’est mort, regardez, je n’ai personne à manger ce midi. Et après 20h, il n’y a plus rien. Rien à voir avec ce que cela pouvait être avant. » Quand on lui parle de moyens de dynamiser l’espace public grâce à une cuisine-mobile ou un espace « multi fonctions », elle estime que ce serait une bonne chose mais que cela se heurterait à une interdiction municipale : « Faire une grillade dehors entre amis, collègues, voisins… on ne peut pas. A l’Isle-sur-la-Sorgue, à quelques kilomètres d’ici, si… »

« A la population de s’organiser ! »

Redynamiser la ville et le lien social à travers ces deux types d’initiatives, a priori personne n’est contre. « Une cuisine-mobile à Cavaillon ? Une très bonne idée ! Cela pourrait constituer un point de rencontre, permettre à des personnes

En 2013, le Ravi décernait la palme régionale de la ville à fuir à Cavaillon (1). Notamment à cause d’un taux de chômage, en hausse constante,

approchant les 20 % (Insee 2011). Selon les associations traitant l’urgence sociale, plus de 1 000 foyers y vivent du RSA, sur une population d’environ 25 000 habitants. A en croire les quelques habitants croisés en centre-ville, Cavaillon, ses rues et donc son espace public, se meurent peu à peu. « Il n’y a plus d’ambiance. Cela fait 30 ans que j’habite ici, ce n’est pas une impression, c’est triste », peste Catherine, lunettes de soleil et permanente

Réinvestir l’espace public, très bonne initiative pour les apprentis-journalistes cavaillonnais. Mais qu’en pensent les habitants d’une ville de 25 000 habitants, lauréate, en 2013, du célèbre palmarès des villes à fuir en Paca, du Ravi ? Reportage.

D’abord, défricher la notion d’espaces publics. Est-ce seulement la rue, les lieux publics, ou également nos lieux communs : bars, cinémas, théâtres, services publics ? Internet, les médias, ne sont-ils pas, eux-aussi, des lieux d’expression publique ? Faut-il se les réapproprier et dans ce cas pourquoi ? Puis gamberger sur des idées à explorer grâce à un gros remue-méninges en plein-air foisonnant (voir la dernière page du cahier).

Une fois nos deux idées choisies, il a fallu se demander ce qui existait déjà et définir un plan éditorial. L’occasion de débats, d’anecdotes personnelles, d’accords et de désaccords. Rappeler aussi plusieurs fois que malgré les envies, nous n’étions pas là pour mettre sur pied un projet de cuisine-mobile ou d’espace public « multi fonctions », mais pour explorer ces possibilités dans le cadre d’un travail journalistique.

Puis mettre les mains dans le cambouis, aller à la rencontre d’acteurs ou de simples citoyens et dépasser sa timidité. Enfin passer à l’écriture, en groupe. Exercice plus ou moins difficile, selon les participants, mais toujours fait dans la bonne humeur. Et oublier qui nous étions pour nous concentrer sur où et comment nous vivions, ensemble.

C. C.

pour tout le monde »

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le Ravi n°126 - supplément « Et si ? » - le Ravi crèche dans la place (publique)

Cavaillon, morne plaine

« Un besoin pressantde se regrouper »

isolées de passer un moment agréable autour d’un repas, pense Catherine Reisch, bénévole aux Restos du cœur à Cavaillon. Après, il faut sûrement respecter des normes et une certaine législation (voir interview ci-contre, Ndlr). Et il faut également penser à la manière de l’échange : est-ce qu’on instaure une gratuité grâce à des associations, du bénévolat, la bonne volonté de certains ou faut-il faire payer un tout petit peu ? »

En centre-ville, Mégane et Marion, deux jeunes étudiantes en stage, cherchent justement un endroit pour manger : « On s’est vite rendues compte qu’il n’y avait pas beaucoup d’endroits pour se poser tranquillement. Une cuisine mobile, oui nous irions, c’est l’occasion de partager sa cuisine, de faire des rencontres… », assurent-elles, en faisant part du même engouement pour un espace multi fonctions où il serait possible de faire de la musique comme regarder un film ou organiser des « discussions citoyennes ». « Les loisirs sont très importants pour les personnes démunies, qui ne peuvent parfois même pas se payer une séance de

cinéma, souligne Catherine, la bénévole aux « Restos ». Même si justement, l’intérêt serait que tous les profils puissent s’y retrouver. Ce n’est sûrement pas facile à mettre en place, mais comme pour tout il faut de la volonté. Et c’est à la population, première concernée, de s’organiser. »

« Aller au clash, sans violence »

Liant la problématique de l’espace public au « vivre ensemble », certains, comme Ataf, sont désespérés. D’origine algérienne, il est arrivé à Cavaillon il y a une dizaine d’années dans la cité du docteur Ayme. « Toutes ces idées c’est bien, reconnaît-il. Mais il manque un travail de fond qui aurait dû être fait depuis des années. Cela ne concerne pas uniquement Cavaillon mais il y a une telle distance, une hypocrisie entre les gens des quartiers, ceux du centre-ville, les riches et les pauvres. Pas un bonjour, un sourire, rien. J’avais monté une association il y a plusieurs années en interpellant le maire, en lui

disant qu’il y avait des comportements bizarres au sein de la communauté maghrébine, un gros repli communautaire… » Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, il se sent horrifié mais ne se dit pas étonné : « Les deux Kouachi, ils auraient pu être mes voisins, il faut se demander comment on peut en arriver là. Je me sens Français. Ils étaient Français. » Il estime que c’est trop tard même s’il faut garder espoir : « Maintenant, il faut aller au clash, sans violence, mais se mettre autour d’une table et se demander comment on peut vivre ensemble. » Quand la notion d’espaces publics et leur réappropriation touche aux maux les plus profonds de notre société.

1. Malgré plusieurs sollicitations, la mairie n’a pas souhaité donner suite.

2. Le prénom a été changé, l’interviewée souhaitant rester anonyme.

Les participants de la Maison commune avec Clément Chassot

activité de traiteur nous permet de tenir et payer les charges. Et la vente de ce que nous produirons sur le vélo peut nous donner aussi un peu d’autofinancement. La seule subvention dont nous avons bénéficié vient de la politique de la ville, 1 700 euros : bien maigre pour une association comme la nôtre. Mais plus que l’argent, c’est le temps qui est important. D’où l’importance du bénévolat et de l’envie de chacun.

Est-ce que ce vélo est destiné à rester dans le quartier de la Belle de Mai ? Dans un premier temps oui, mais nous avons une ambition plus grande : un tour européen pour faire partager la démarche grâce à d’autres personnes qui prendraient notre relais, toujours en travaillant avec des producteurs locaux à chaque fois et récupérer les recettes, les histoires ou les idées de chacun. On a tous des choses à raconter, c’est une richesse très importante à enregistrer, c’est la culture vivante de tous.

Comment comptez-vous vous faire connaître ?On communique mieux par le bouche à oreille que par des affiches ou des flyers. D’ailleurs, je parle beaucoup ! (Rires) On va aussi travailler avec une radio de quartier : Radio galère. Puis nous disposons déjà d’un réseau local solide.

En quoi votre idée peut être un moyen de réappropriation de l’espace public ? Notre cantine, je la considère déjà comme un espace commun. On la prête aux habitants du quartier pour faire partager leurs plats. Mais là,

Quelle est votre démarche autour de ce lieu qu’est le tri postal ?Concrètement, à quoi ressemblera ce vélo-cuisine ?Un vélo-cargo, c’est un vélo classique avec une carriole à l’avant. Une grande planche permettra de cuisiner à six environ. Techniquement, pour la cuisson, nous souhaitons éviter de nous déplacer avec de lourdes bouteilles de gaz et nous développons avec une entreprise un système de panneaux solaires et des batteries qui se rechargent en pédalant. Le vélo sera aussi équipé d’un four solaire.

Quelle est votre démarche autour de ce projet ? Est-ce une simple cuisine ambulante ou y a-t-il un autre concept derrière ?Si on vendra la cuisine préparée par les participants aux ateliers, je ne compte pas sur un système économique classique mais sur la volonté de chacun et l’échange mutuel. Ce seront bien des ateliers de cuisine, ouverts à tous, que nous proposerons. Nous voyons cela comme un partage culturel : un livre de recettes ou d’histoires liées à la nourriture sera rempli au fur et à mesure. Une recette, c’est une histoire qui se raccroche à vos souvenirs. Finalement la cuisine, c’est un prétexte pour échanger, apprendre à se connaître.

Comment comptes-tu financer ce projet ? Vas-tu bénéficier de subventions publiques ?Cette cuisine mobile s’inscrit dans le projet, plus large, qu’est celui de la Cantine du midi. Notre

on veut sortir. On va jouer autour de quelque chose de déjà connu, la cuisine, mais dans la rue. Avec l’envie de rassembler des gens différents. Le vélo en lui-même, ce n’est pas urgent. Par contre, l’idée qu’il y a derrière oui. Il y a un besoin pressant de se regrouper, de faire des choses ensemble. Après, le vélo-cuisine, c’est une partie du projet. Il devrait y avoir un châssis amovible pour organiser des séances de cinéma de plein air. Nous voulons vraiment essayer de voir ce qui est le plus adapté pour animer la place Cadenat, la principale du quartier. Notre idéal c’est de dire que l’espace public, et bien c’est public, c’est à nous. Vrai ou pas ? Pas tout le temps. Quand

on cherche, on s’aperçoit qu’une partie de cet espace peut être privé : la place Cadenat par exemple est pratiquement recouverte de places de parkings… ce qui rend cet espace parfois inutilisable.

En quoi cette idée peut-elle devenir un pont entre différentes générations, différentes cultures ?J’ai une image forte dans la tête : un peu avant l’été, à la cantine, j’entre et là je vois un gamin de cinq ans en train de nettoyer la salade, un autre de huit ans en train d’aider à faire les lasagnes… Ça allait jusqu’à 70 ans, des gens d’origines diverses qui ne se connaissaient pas mais qui travaillaient à la même finalité. Là j’ai vu pour la première fois ce pont imaginaire qu’il est possible de construire ensemble.

Quelles sont les règles d’hygiène et de sécurité à respecter ? Y a-t-il besoin d’autorisations ?Quelques règles de base : avoir un point d’eau à disposition, être équipés de vêtements adéquats et de barrières de sécurité pour ne pas exposer les passants au feu. Il y a aussi certains produits qui ont besoin d’être conditionnés, froids ou chauds. Pour les autorisations, notamment le droit d’occupation du sol, c’est encore un peu flou, cela dépend de la municipalité. Mais il y a des initiatives du même type qui se sont faites, à Paris, par exemple, sans autorisation spécifique.

Pensez-vous qu’un tel projet est réalisable à Cavaillon ?Je ne connais pas bien la ville mais pourquoi pas, s’il y a des envies et un besoin. Cela est réalisable partout où il y a des gens qui mangent… comme à Cavaillon !

La Cantine du midi de la Belle de Mai, 36 rue Bernard, 13003 Marseille. Ouverte le midi du mardi au vendredi. Tél : 07 60 78 04 52. https://cantinedumidi.wordpress.com

Cosimo Alterio, Italien d’origine napolitaine, gère avec Sonia Retamero, « La cantine du midi » à la Belle de Mai. Ils ont pour ambition de faire vivre ce quartier marseillais, l’un des plus pauvres de France, grâce à la cuisine en laissant les fourneaux à ses habitants qui partagent ainsi leur savoir-faire. Le tout avec des produits locaux et à des prix très bon marché. En parallèle, Cosimo développe un projet de cuisine mobile, thème sur lequel nous avons phosphoré à Cavaillon, sous forme de vélo-cargo pour animer des ateliers de cuisine. Explications.

III

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le Ravi n°126 - supplément « Et si ? » - le Ravi crèche dans la place (publique) IV

L’album PaniniLors du premier supplément « Et si ? », réalisé dans le quartier de la Viste à Marseille, nous avions réuni une équipe de foot. Cette fois, ils ne sont pas onze mais plus d’une quinzaine à avoir travaillé sur la notion d’espaces publics. Répartis en deux groupes, l’un en Vaucluse, l’autre dans les Bouches-du-Rhône.

Des espaces publics à notre image

Charlotte est originaire de Clermont-Ferrand, elle vit à Marseille depuis deux années. Après de bons et loyaux services en tant que chargée de projet chez un célèbre fabricant de bonbons, elle a choisi de se reconvertir et de passer de l’économie de marché à l’économie participative. Charlotte a pour produit de créer un journal gratuit auquel les habitants des différents quartiers de Marseille contribueraient. La jeune femme est curieuse de tout et a 1000 idées à la minute, notamment concernant notre sujet : « Pourquoi on ne ferait pas comme sur Facebook et ne mettrait-on pas des «like» ou des «smileys» mais appliqués à la rue pour dire qu’on aime ou qu’on n’aime pas des tags ou des inscriptions ? » Dans son emploi du temps de ministre, elle a trouvé l’énergie d’écrire deux articles, dont un reportage sur la place Homère réinvestie par ses habitants. Et de conclure : « Durant l’atelier, on s’est posé beaucoup de questions sur ce qu’était l’espace public pour nous, et en quoi et jusqu’où il nous appartenait encore. Il faut continuer à s’interroger pour faire en sorte que cet espace qui est le nôtre soit toujours plus à notre image. »

Charlotte Delrieu

Partager ensemble

A 62 ans, la native de Salon-de-Provence (13), cavaillonnaise depuis 1973, arbore en toutes circonstances un large sourire et des yeux bleus d’adolescente. Elle n’a pourtant pas toujours eu la vie facile : « La pauvreté, j’ai vécu avec mais j’ai toujours pris soin de mes trois enfants ! » Malgré sa maigre retraite, elle est aujourd’hui une « grand-mère heureuse » de 9 petits enfants. La question de l’espace public, elle connaît bien, pour habiter depuis 1988 le quartier « sensible » du Docteur Ayme, qu’elle a vu se délabrer. Pour elle, espace public rime avec « vivre et partager ensemble. C’est un lieu d’échange ». Travailler sur un journal lui a bien plu et lui a permis, lors des interviews, de cultiver son côté « un peu pipelette ». A la maison commune, celle qui est aussi la maman de Marie-José, a trouvé « une famille, de l’humour et de la chaleur. Ce que j’ai connu en 86 avec les Restos du cœur, je le retrouve ici. » Et de se rappeler avec nostalgie de « ce Coluche, grâce à qui on nous a aidés ».

Annick Faucon

Au « Village » à CavaillonD’emblée, l’équipe de l’association Le Village à Cavaillon (84) a été emballée lorsqu’on leur a proposé de participer à nos ateliers de journalisme participatif. C’était lors d’une belle journée de printemps passée autour d’un plat préparé dans leur cantine. Le Village, c’est un lieu de vie situé aux alentours de Cavaillon qui accueille un public mixte pour de longues durées. C’est aussi un chantier d’insertion, grâce auquel la maison commune a pu être retapée. C’est là-bas, à proximité du centre-ville de Cavaillon, que se sont déroulés les ateliers, dans une ancienne grange où sont maintenant réunis les Restos du cœur, le Secours populaire et l’accueil de jour organisé par Le Village. Très investie dans le problème de l’urgence sociale et de l’isolement, l’association gère également en ville un centre d’accueil immédiat.

Au coeur de NoaillesPas de centre social pour relayer l’info, l’association le Mille Pattes qui a mis la clef sous la porte… trouver des participants à Noailles s’est révélé très compliqué. le Ravi a tout tenté jusqu’à se poser avec ses belles affiches « Et Si ? », un thermos de café et des biscuits place des Capucins par une matinée de grand vent, mais cela n’a pas suffi à motiver les troupes. Dommage… Mais très formateur pour Charlotte et Lucas qui à eux deux ont bossé comme dix pour réaliser ce supplément. Et d’ailleurs un grand merci à la maison relais Claire Lacombe, rue de l’Arc, pour son hospitalité !

Le graff s’approprie

la rue

A 22 ans, Lucas, originaire du Var, est étudiant à l’Institut régional des travailleurs sociaux (IRTS) de Marseille en première année d’éducateur spécialisé. Il n’a pas pu être présent régulièrement car très pris par ses études et ses stages sur Toulon. Par manque de temps, il a transformé ce qui devait être un reportage sur les graffs du Cours Julien (Marseille 6ème) en entretien. Mais Lucas s’en est très bien sorti. Il a su poser les questions en lien avec notre sujet sans se perdre dans de grands discours. Les graffeurs évitent l’exposition médiatique et le travail de terrain de Lucas a payé. Il a su gagner la confiance de l’artiste en transformant son interview en vraie rencontre. « La rue appartient à tout le monde, donc à personne réellement. Le graffeur, lui, réussit à se l’approprier », explique-t-il pour justifier le choix de son sujet. Lucas est prêt à rempiler pour un autre atelier. le Ravi a visiblement fait naître une vocation.

Lucas Blech

Affirmer sa liberté d’expression

J’ai 38 ans et je suis journaliste au Ravi depuis trois ans. A chacun de mes voyages, je prends en photo ce que les artistes, poètes, citoyens ou révolutionnaires laissent sur les murs de leur pays. Dessins, citations, haïkus, cris de douleur souvent éphémères auxquels j’offre un peu d’éternité en les consignant depuis un an sur un compte instagram (@wallwordworld). D’un « Weapons music » sur une palissade d’Achrafieh à Beyrouth à un « Love revolution » sur un mur de Jaffa, ou « Fight ghost » sur une pierre à Hébron… Si les murs font partie de l’espace public, ils nous sont imposés pour délimiter des sphères privées ici ; pour séparer des populations là-bas. Se les réapproprier, c’est affirmer sa liberté d’expression. Et pour certains, c’est le seul support à disposition. Si je ne pose pas (encore) mes mots dessus, je suis prête à recevoir ceux des autres, je les espère même. Je veux qu’ils me fassent sourire, pleurer ou qu’ils m’interpellent. Comme lorsqu’un énième matin à courir après le tramway, sur le mur de gauche, je vois d’écrit au feutre rose : « Et vos rêves ? »

Samantha Rouchard

Que cela devienne une réalité

A 47 ans, dont 40 passés à Cavaillon, Thierry a toujours le mot pour rire. Après avoir enchaîné plusieurs boulots manuels, il est aujourd’hui inactif pour des raisons de santé. Célibataire et sans enfants, il passe beaucoup de temps à calculer son budget « car on a vite fait de vivre au-dessus de ses moyens ». Ce qui ne l’empêche pas de se tenir informé de l’actualité, sur laquelle il aime à rebondir, et ce même s’il ne capte que RFM... Une (saine) lubie, la responsabilité des hommes politiques dans l’aggravation de la misère sociale : « On les voit en campagne, après y a plus personne, fulmine-t-il. Ils se reposent sur des associations comme Le Village pour s’occuper de la pauvreté. » Pour lui, l’espace public, « c’est quelque part où tout le monde peut aller, gratuitement, qui n’est pas la propriété d’une minorité ». Il déplore que les gens ne se parlent pas assez, se « refermant dans leur mal être pour regarder la télé ». Assidu aux ateliers du Ravi, il espère que toutes ces réflexions « porteront leurs fruits et deviendront réalité ». « L’espérance est un risque à courir », disait l’écrivain Georges Bernanos…

Thierry Schneider

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« Et si ? » Tels que nous

sommes, sans préjugés

Souvent accompagnée de sa petite de 2 ans, Anna (elle a en tout 5 enfants âgés de 2 à 16 ans), « Marie-Jo » a découvert La Maison commune avec Annick, sa mère, lors des distributions des Restos du cœur. Son mari ouvrier-agricole, elle était épuisée du « maison-école-maison »… « J’avais besoin de voir et de rencontrer du monde. » Maintenant, elle est « accueillante » deux matinées par semaine, pour servir le café, discuter… « Si on peut apporter un peu de réconfort… Il faut se mettre à la place des gens. Et puis on change de regard aussi, on se met à leur place. J’ai rencontré beaucoup de gens comme moi, qui ont peur d’aller vers les autres… », témoigne-t-elle. Ce qui renvoie à l’image de l’espace public qu’elle idéalise : « ouvert à tous, qui nous accepte tels que nous sommes, sans préjugés. » Les ateliers journalisme ont été pour elle une façon de partager avec ses amis, de s’exercer à la hiérarchisation des idées pour préparer une interview par exemple. Tout en gardant un œil sur sa fille qui ne comprenait pas vraiment pourquoi tous ces gens-là se réunissaient. Mais est-ce si important ?

Marie-José

deApprendre de l’autre

D’origine picarde, Muriel, 60 ans, s’est installée dans un des logements de longue durée proposé par Le Village en octobre dernier. Ancienne « dactylo », elle a arrêté de travailler pour s’occuper de ses enfants avant de divorcer. « Et retrouver du travail… c’était plus facile dans les années 70. » Se sentant isolée, elle ressentait le besoin de reprendre un lien social, de s’occuper. Ce que Le Village a pu lui apporter. Si elle trouve que la notion d’espace public est « large », elle déplore, comme beaucoup, la montée de l’individualisme dans lequel il pullule. « Les gens sont moins empathiques, juge-t-elle. Avant, on se préoccupait plus des autres. Maintenant vous pouvez vivre dans un immeuble sans connaître votre voisin... C’est assez contradictoire : il n’y a jamais eu autant de moyens de communication mais les gens se recroquevillent plus que jamais. » Pourtant elle estime primordial de communiquer : « On apprend toujours, même à mon âge ! », rigole-t-elle. C’est pour cela qu’elle a pris du plaisir, petit carnet de notes à la main, à visiter le tri postal d’Avignon ou à discuter avec Cosimo de sa cuisine mobile. Et toujours avec le sourire.

Muriel Quignon

Tout le monde a besoin d’espaces

publics

Originaire du Maroc, Omar est arrivé il y a trois ans à Cavaillon pour devenir travailleur agricole. Sourire et œil malicieux, toujours bienveillant, parfois blagueur, ce passionné de poésie arabe et de musique « qui nous fait sentir vivant », est fier d’annoncer qu’il est bénévole à La Maison commune depuis le mois d’août : « Ici, c’est comme une famille, on vient pour discuter, rigoler, s’oublier... Quand on passe la porte, on laisse de côté ses soucis, ses souffrances… » Travailler sur l’espace public à travers les ateliers du Ravi est pour lui très important : « Cela concerne tout le monde. » Et dans la même logique que l’utilité de La Maison commune, « chacun doit pouvoir se balader, rencontrer du monde, échanger… J’aime bien la solitude mais j’ai quand même besoin de cela pour m’évader. Et ce n’est pas forcément facile de trouver des lieux adéquats. » Très assidu, il estime « s’être bien intégré au groupe, avoir progressé en orthographe… » pour finalement se sentir « valorisé ». le Ravi, à votre service !

Omar Hassani

La solidarité existe encore

Petit bout de femme de 64 ans, à la chevelure longue et touffue, Josiane habite avec son mari au Village depuis 2009. Un cadre qui lui permet de pratiquer ses passions : la cuisine, le tournage sur bois et… s’occuper des autres. Ce qu’elle fait entre autre en animant un atelier tricot à La Maison Commune. Si la rue est l’apanage de l’espace public, Josiane en connaît un rayon : elle y a passé plus de 20 ans… Et même si elle en garde un mauvais souvenir, elle tient à remercier ceux qui l’ont aidée, comme le Secours Catholique, et qui ont fait vivre à leur manière cet espace public. « Les gens sont quand même serviables, jeunes et moins jeunes. Même si on a été montrés parfois du doigt, il existe tout de même une solidarité. » Les activités du Village lui ont permis de reprendre confiance en elle, notamment lors d’une visite au Sénat, « haut lieu de la République. Ça m’a débloquée ». De même que les ateliers journalisme, dans une autre mesure : « J’ai pu exprimer des idées en public, prendre la parole, aller vers les autres… Ce qui n’était pas facile pour moi, sourit-elle. Il a fallu 64 ans pour que je sache comment ça marche un journal. » La valeur n’attend point le nombre des années.

Josiane Ban

Se réapproprier l’existant

Thomas Parlongue

« Accueillant », selon les termes employés par le Village, à la fois à La Maison commune mais aussi à l’accueil immédiat de Cavaillon depuis octobre 2013, Thomas a accompagné les participants tout au long des ateliers du Ravi. Membre du groupe de musique du Village, Pile poil, au violon et à la mandoline, sa définition de l’espace public recouvre une certaine universalité : « Ce sont des espaces où n’importe qui

peut aller, que nous devons penser ensemble, qui nous permettent de se parler de rencontrer du monde. Ce qui nous manque aujourd’hui. Il faut d’abord se réapproprier ce qui existe avant d’en penser d’autres. » La série d’ateliers rentre d’ailleurs dans cette logique : « Ils ont été le lieu d’une expression collective plus que journalistique je crois. Les différentes rencontres qu’on a faites aussi et tout cela rejoint l’objectif de La Maison commune, qui a pour but plus de rompre l’isolement que de s’attaquer frontalement à l’urgence sociale. » Selon lui, mettre en valeur des initiatives en cours ayant comme ambition de remodeler cet espace public a permis de montrer qu’il y avait des choses possibles à réaliser. Si on en doutait…

Tous concernés

Journaliste depuis plus de trois ans au Ravi, c’était la première fois que je m’attachais concrètement à la question de l’espace public ou des espaces communs - à distinguer. Pourtant, sans vraiment m’en rendre compte, je le faisais déjà à longueur d’articles et d’interviews : tolérance et intolérance, qu’elle soit politique, sociale, religieuse ; pouvoir de la sphère privée sur les équipements publics ; scandales environnementaux et bétonnage ; disparition progressive des services publics ; lien social ; discriminations ; mobilité urbaine ; liberté d’expression… Les espaces publics, leur utilité et la façon dont chacun les perçoit selon un intérêt particulier ou collectif, est une notion large et abstraite mais qui nous interroge sans cesse. Animer des ateliers sur une durée longue avec des participants aussi novices en journalisme qu’attachants et motivés, pleins d’idées, a été une expérience enrichissante d’un point de vue personnel et professionnel. L’occasion de se rappeler pourquoi nous faisons ce métier. Imprimer des nouvelles qui font vivre le débat et contribuent à la construction de ce que nous sommes tous : la société. Bonne ou mauvaise.

Clément Chassot

Sortir, pas seulement pour aller d’un point A à un point B

Martial Vitteau

Savoyard d’origine, Martial travaille comme éducateur spécialisé au Village depuis bientôt 10 ans. Pour lui, l’espace public correspond à tout ce qui nous entoure mais qui ne relève pas du domaine privé. Pour se le réapproprier, il aimerait « que les gens aient envie de sortir dans la rue autrement que pour rallier un point A à un point B. Avant l’arrivée de la bagnole, les gens vivaient plus dehors

que chez eux. » Une inversion qu’il déplore aujourd’hui. Concernant la propriété privée, thème redondant au cours des ateliers, il prend un exemple local, le Luberon : « Quand on voit le nombre de résidences secondaires et celui des gens qui vivent dans la rue… Si la situation sociale continue vraiment à se dégrader, pourquoi ne pas les investir ? Ne serait-ce que pour qu’on parle d’eux ? » Quand logements et espaces publics, les deux thématiques développées par le Ravi dans ses ateliers, se rencontrent. Il estime que ce travail de groupe a eu le mérite de sortir les participants de leur quotidien, de se prouver à eux-mêmes qu’ils avaient des capacités d’écriture. En attendant la sortie de ce supplément qui rendra ce travail « visible ». On y travaille présentement !

Eux aussi ont participés

Gérard Montagard

Gabriel Cuvelier

Yvette Perry

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le Ravi n°126 - supplément « Et si ? » - le Ravi crèche dans la place (publique) VI

Making-off

Là où y’a le Grec, on se sent bien !

Chacun a tenté de se la réapproprier et, du coup, elle semble appartenir à tous.

13h55Dans ce quartier, différentes communautés se côtoient, le haut de Noailles où se situe la place Homère abrite de nombreux Capverdiens. Deux d’entre eux viennent s’asseoir sur le banc. Notre apprentie journaliste tente une approche : « Salut les garçons, elle s’appelle comment cette place ? ». La question surprend : « Ben, c’est le rendez-vous rue d’Aubagne, là où y’a Homère, le Grec ! ». Pour certains, cette place est un simple lieu de retrouvailles qu’ils ne nomment pas forcément « place Homère », mais plutôt « là où il y a le Grec ».

14h02Un jeune homme en tenue de sport et tee-shirt moulant arrive, il semble avoir rendez-vous avec l’appareil de musculation accroché au mur et qui a la forme de deux coudes molletonnés. Il s’installe sur la machine et parvient à soulever son corps à la seule force de ses bras. Quels muscles ! « C’est le Dips », nous précisent les deux Capverdiens en désignant l’appareil. Sa séance terminée, il joue à faire rebondir une cannette sur le mur comme si c’était une balle. L’apprentie journaliste aurait bien fait une partie plutôt que de se geler sur le banc mais elle doit malheureusement poursuivre son reportage, de peur que la journaliste du Ravi qui la chaperonne ne la surprenne. Oubliés les muscles du beau jeune homme, concentration maximale sur le reste…

14h22La place n’est pas très grande mais la couleur est partout : des devantures orange, rose et bleue des magasins à l’ocre marseillais en passant par la façade bariolée du Mille-pattes. Même la boite aux lettres de la poste semble d’un jaune plus étincelant que toutes les autres boites aux lettres de France !

14h50Collages et tags en tous genres ornent le mur qui borne la place : là un coquelicot géant qui rigole, ici un lapin qui joue à cache-cache… Et sur chaque poteau coloré, on ressent le caractère de chaque peintre : rêveur bariolé ou maniaque perfectionniste. Des créatures semblent se détacher du mélange de couleurs… Sur l’un, on est même sûr de distinguer un dinosaure, oui oui un dinosaure ! L’apprentie journaliste assure ne pas avoir touché au joint que ses colocataires de bancs lui ont proposé de partager !

15h24Ils sont désormais sept hommes assis sur la place, bancs, rambarde, pas de porte ou poteau, tout fait office de sièges. Ils fument et semblent méditer. Il y a des plantes partout ici. Pointant du doigt

13h35Après avoir croisé les fourrures hérissées, les petits pulls sur les épaules et les cheveux bien soyeux des habitués de la rue Davso, traversé la rue Saint-Ferréol et sa population plus mixée, gravi un tas de sable de deux mètres, dégagé une mère et son bébé d’un trou géant, arraché un rail faisant office de barrière et s’être battue avec un tractopelle dans la rue de Rome en plein travaux, l’apprentie journaliste du Ravi grimpe la rue Moustier, essoufflée. Mais la colonne d’Homère s’offre enfin à elle telle une oasis.

13h39Aucune plaque n’indique le nom de la place. Le smartphone géolocalise un point au carrefour de la rue de l’Arc, de la rue d’Aubagne et de la rue Moustier.

13h42Des bancs trônent sur la place. Ils sont en bois repeints d’un bleu OM - mais en plus beau - ponctué d’étoiles jaunes rappelant le drapeau européen. Ils quadrillent un espace végétal. « Bancs, bacs à fleurs, place repeinte de toutes les couleurs… Tout ça a été fait par les habitants eux-mêmes », explique Patrick Desbouiges, ancien président du Mille-Pattes [ndlr : association qui a servi pendant des années de centre social (inexistant à Noailles) pour les jeunes du quartier. Mais qui par manque de moyens a dû fermer ses portes en octobre dernier]. Pour lui qui a vu évoluer le quartier « au gré de ses politiques », et qui ne veut pas le voir mourir, il est important que les habitants se réapproprient les espaces publics afin qu’ils soient à leur image : « un collectif d’habitants aura toujours une meilleure réponse à apporter qu’un homme politique », note-t-il. C’était il y a un an et demi et depuis chacun arrose à tour de rôle, nettoie ou repeint.

13h50Assis sur cette place, on se sent bien.

celles situées au milieu de la place, l’apprentie journaliste demande à un jeune homme de quoi il s’agit : « Ben, c’est des plantes ! », lui répond-il étonné de la question. « Mais il n’y en a pas beaucoup en ce moment, si tu viens au printemps t’en verras plus », précise-t-il. Mais que viennent chercher ces garçons sur cette place ? « Ben, on se retrouve, on rigole, on boit un truc, on s’échange des plans de boulot, et on rentre chez nous », conclut l’un d’entre eux.

15h30Deux touristes s’arrêtent pour prendre quelques photos. Une vieille dame appelle son mari en arabe, il la rejoint et ils s’en vont. Des hommes en costumes trois pièces avec attaché-cases et blocs note se dirigent vers la rue de l’Arc. Ils dénotent un peu dans le paysage… Ils montrent du doigt le linge qui pend aux fenêtres. L’un d’eux prend des notes. Le quartier est en pleine rénovation, ils doivent être là pour ça.

15h43Du haut d’un immeuble, un maillot de l’OM s’échappe d’un étendoir à linge et semble tomber au ralenti comme une mouette en gravitation. Mais il n’achève pas sa course et se pose en équilibre sur la terrasse du premier étage. Un garçon d’une dizaine d’années vient avec un balai pour le décoincer, ceux qui sont assis vont à sa rescousse et finissent par l’attraper.

16h02La boutique de Vélo en ville ouvre ses portes, une bicyclette jaune arrive. Un homme ouvre une trappe avec une clé et

remplit deux seaux d’eau qui serviront à arroser les plantes.

16h30Les pré-ados de tout à l’heure sont rentrés chez eux. Depuis leur balcon, Ils font des signes à notre apprentie journaliste et lui demandent son « 06 » ! Et cette dernière de rétorquer : « Vous êtes trop jeunes pour moi les enfants, et en plus on ne dit plus « 06 » mais « 07 » maintenant ! » Têtus, ils décident alors de l’impressionner en sautant d’un toit à un autre. « Ok, je vous donne mon 06 si vous descendez de là ! », cède notre apprentie journaliste qui, venue pour un reportage, ne veut pas repartir avec un mort sur la conscience. Le soleil d’hiver commence à tomber. On se sent bien ici, mais il commence à faire froid. Il est presque l’heure de partir…

16h59Là où y’a Homère le Grec, il y a les Phocéens, les Marseillais, les voisins rêveurs, les petits dragueurs, les plantes et les couleurs. On y parle mille langues, on s’échange des bons plans boulot, on y boit une bière sur fond de musique. La place appartient à tous parce qu’elle est à l’image de tous. Cette place était morte il y a deux ans, elle est devenue un lieu de vie au cœur de Noailles. 17h En quittant les lieux, on distingue sur le mur quelques mots en attaché surmontés d’un soleil. Il est écrit « La place de tes rêves ». Ce nom lui va si bien…

Charlotte Delrieu

Au cœur du quartier populaire de Noailles (Marseille 1er), la place Homère, avec ses bancs et ses plantes vertes, est un bel exemple de réappropriation d’un espace public par ses habitants. le Ravi s’y est posé quelques heures. Reportage.

J’ai hésité à me lancer dans les ateliers du Ravi, et finalement je ne le regrette pas ! J’ai adoré interviewer Patrick Desbouiges avec le dictaphone en appui ! C’est génial de pouvoir rencontrer ce genre de personneS qui connaît si bien Marseille et qui a un vrai positionnement sur l’espace public. Samantha m’a donné quelques rouages : quel genre d’article choisir, comment chercher l’information, comment écrire pour que l’info soit perçue au mieux, et comment donner au lecteur l’envie de nous lire. J’ai pris conscience de la difficulté de cet exercice et de l’importance de l’expérience dans ce métier. Et lorsque nous avons corrigé ensemble mes papiers, j’ai compris à quel point c’était compliqué d’écrire ! Après cette expérience, je sais mieux appréhender la lecture d’un article et l’information en général.

Ch. D.

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le Ravi n°126 - supplément « Et si ? » - le Ravi crèche dans la place (publique) VII

« Le Street art pour revendiquer notre liberté »

Airo One a 25 ans, passionné de dessin depuis toujours, il graffe depuis six ans dans les rues de Marseille du Jarret (4ème) au Cours Julien (6ème). Sa façon à lui de se réapproprier l’espace public. Rencontre.

graffs, je ne repasse pas n’importe qui, sauf si celui qui est passé avant moi n’a pas fait une belle œuvre ou si j’ai un niveau plus élevé que lui et que je veux le montrer. Je respecte les bâtiments bien sûr. Si le lieu est propre mon graff n’a rien à faire là. Mais si l’endroit est « éclaté », je pose. Je ne tague pas les voitures mais les camions oui ! Taguer dans des lieux sales, c’est plus dans l’esprit street art. Il y a aussi la recherche de la pose éternelle, là où on ne sera pas nettoyé.

Qu’est-ce que ça t’apporte d’exprimer ton art dans la rue ? A part de la notoriété, ça ne m’apporte pas grand-chose. C’est une passion et au fil du temps je rentre de plus en plus dedans. J’ai envie de faire ça longtemps. Envie de faire partie de la culture graff et d’y être associé, à Marseille comme en France. Mon rêve serait de vivre de mes toiles, d’avoir un atelier, de me lever pour peindre, de pouvoir bouffer avec. Et ce qu’on souhaite, c’est exposer sa création où l’on veut.

Qu’est-ce que le street art apporte à ceux qui le reçoivent ? Les gens ne savent pas ce que c’est. Tout dépend avec quels yeux on regarde. Peu arrivent à reconnaître le travail d’artiste. Sur un mur, il n’y a rien, le graff c’est donc que du plus. Ça apporte une sorte d’éveil, c’est revendicatif. Ça provoque de la curiosité comme quand un pépé de 90 ans vient me voir et me demande ce que ça signifie le Massilia Faï Avans (Marseille avance) que je suis en train de peindre sur le mur et pourquoi je le peins. Ça met des couleurs, ça habille, ça égaye, ça rend plus beau. Ça remplit le vide.

Propos recueillis par Lucas Blech

Qui sont les graffeurs et pourquoi choisissent-ils la rue pour s’exprimer ? Les graffeurs c’est tout le monde ! C’est très varié, ce ne sont pas que des voyous ou des mecs de quartier. Ma mère sait que je pose. Et elle regarde les autres graffs et les miens puis elle se dit « c’est des gens comme mon fils pas des voyous ». Si je graffe c’est pour le côté artistique, mais aussi pour sortir [ndlr : Airo One peint aussi sur toiles]. Il existe un côté rébellion, comme pour « casser » la rue. Si on graffe c’est aussi pour créer un paysage urbain, faire partie du décor. Et le côté illégal a son importance.

Est-ce que le graff est un moyen de se réapproprier la rue ? La rue appartient à tout le monde ! Par contre, le store ou le mur que j’ai graffé, il est à moi dans ma tête en tout cas. On laisse une trace, certaines peintures résisteront. C’est une manière de revendiquer notre libre arbitre et notre liberté. Si demain je meurs, il y aura toujours mes peintures et certains se rappelleront de moi. On dit qu’on est là, qu’on a été là, et que l’on peut y faire des choses. Et quand je peins et que quelqu’un vient me parler, je suis très content.

Comment se fait le choix d’une rue ? Il faut sentir le passage, l’endroit. Un gros spot comme le Jarret c’est évident qu’il faut le faire. Y’a aussi ton envie, si tu veux prendre ton temps ou peindre rapidement. Au Jarret, tu vas vite, tu ne t’arrêtes pas si tu vois des voitures ou des gens. Généralement mon pote est derrière et fait le guet. Il existe aussi des spots où beaucoup de graffeurs ont posé. Du coup, je veux y être aussi. Le choix se fait par quartier, comme un publicitaire : il faut cibler. Mais on y va surtout au feeling...

Est-ce que tu t’imposes des limites comme ne pas graffer sur un autre graff ou sur le patrimoine ? Ma première limite c’est la hauteur, je ne monte pas très haut car j’ai le vertige ! Il y a aussi les limites imposées comme celle du métro : avec les rails électrifiés, tu peux mourir. Ça met la pression mais si j’ai vraiment envie de le faire, j’y vais. En général, je respecte les autres

Ras le bol de la pub

up sur mon ordinateur. Libre de ne pas considérer un mail au milieu d’un millier d’autres. Je suis en pleine possession de cette liberté fondamentale qu’est celle de recevoir un message ou pas. Et dans ma sphère privée, j’y arrive plutôt bien.

Mais il y a un seul et unique cas où mon droit ne semble pas respecté : c’est dans l’espace public ! J’ai pourtant cherché tous les subterfuges pour que mon droit de ne pas voir soit respecté, je n’y arrive pas. Impossible de fermer les yeux devant les « 4 par 3 », on finirait par se prendre un poteau. Impossible de regarder par terre pour échapper aux centaines d’affiches dans le métro parisien, on finirait par percuter une mamie ! Et quand, sur le bord de la nationale m’apparaît un panneau publicitaire, je perds trois secondes d’attention au volant de ma voiture, trois secondes qui pourraient être précieuses à ma vie. Pourtant, il serait logique que j’aie le choix dans un espace public, censé appartenir à tous de ne pas subir toute cette publicité, non ?

En novembre 2014, la municipalité écologiste de Grenoble annonce qu’elle fait « le choix de libérer l’espace public de la publicité » pour y planter des arbres à la place. C’est bien dit : l’espace public est libéré ! Et parce qu’il est libéré du joug de l’affichage publicitaire, il deviendra enfin nôtre.

Charlotte Delrieu

Je n’aime pas la publicité. Les images me paraissent démodées, plates et sans originalité. J’ai toujours l’impression d’être prise pour

quelqu’un de très bête. Et je trouve que le monde qu’elle donne à voir est moins beau que le monde que je me crée dans ma tête. Je me demande si les publicitaires et les directeurs marketing ont envie d’un monde meilleur, plus à l’image de nous mêmes, ou d’un monde plus riche, plus à l’image des profits de leurs entreprises.

Je n’ai pas la télévision. Je ne subis donc pas ses nombreux spots publicitaires. Mais je passe mon temps sur internet. Heureusement, le plus souvent en cliquant sur la petite croix en haut de ma fenêtre, je peux décider d’effacer la pub qui arrive. J’écoute un peu la radio. Heureusement encore, avec ma super molette près du volant, je peux changer de fréquence à la vitesse de la lumière dès que l’on essaie de m’imposer une page de pub. J’aime la presse papier et les magazines. Et il me suffit de tourner la page si une femme blonde vantant les mérites d’un shampoing me dérange. Grâce à ces nombreuses astuces développées au fil du temps, j’arrive presque à passer à travers les mailles de la publicité.

Mais j’accepte la pub au nom de la liberté d’expression et d’opinion. Je l’accepte aussi car nous avons la liberté de refuser de la regarder. Je suis libre de zapper, de changer de page, ou de télécharger un logiciel internet bloquant les pop-

dans l’espace public !

BILLET

Making-offMoi je n’avais jamais fait d’interview, et Airo One non plus, pour nous deux c’était donc une première ! L’appréhension dépassée, ça s’est vite transformé en discussion entre deux potes, on a bu des bières, on a bien rigolé et on va rester en contact. Je devrais même faire une cession graff avec lui. Toutes les étapes de l’atelier m’ont intéressé, l’interview, comme la rédaction. En fait j’adore ça. Là je fais des études d’éducateur spécialisé, mais en mon fort intérieur, je pense que j’ai vraiment envie d’être journaliste.

L. B.

Page 8: Le Ravi

le Ravi n°126 - supplément « Et si ? » - le Ravi crèche dans la place (publique) VIII

Les idées auxquellesvous avez échappé« Et si on se réappropriait l’espace public ? ».

Le principe du dispositif « Et si ? », qui associe journalistes du Ravi , habitants et citoyens d’un quartier, est de commencer, avant d’enquêter ensemble, par imaginer librement les idées que l’on pourrait mettre en œuvre pour répondre à une problématique. Sur toutes les propositions qui fusent lors des discussions, seulement une poignée sont retenues. Toutes les autres sont mises de côté : ce sont les idées auxquelles vous avez échappé. Le dessinateur Tone illustre ici sept d’entre elles…

Ce supplément a pu être réalisé grâce au soutien financier de la fondation Abbé Pierre (partenaire principal), du Conseil général de Vaucluse, le CUCS Marseille (ville de Marseille, région Paca) et la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS). Avec un grand merci pour le partenariat actif de l’association le Village à Cavaillon.