Le Quebec Espace Americain

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Louis Balthazar et Alfred O. Hero Jr. (1999) LE QUÉBEC DANS L’ESPACE AMÉRICAIN Un document produit en version numérique par Diane Brunet, bénévole, Diane Brunet, bénévole, guide, Musée de La Pulperie, Chicoutimi Courriel: [email protected] Page web dans Les Classiques des sciences sociales Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/ 1

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Space exploration from the Quebec point of view and development, finance

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Louis Balthazar et Alfred O. Hero Jr.

(1999)

LE QUÉBECDANS L’ESPACEAMÉRICAIN

Un document produit en version numérique par Diane Brunet, bénévole,Diane Brunet, bénévole, guide, Musée de La Pulperie, Chicoutimi

Courriel: [email protected] web dans Les Classiques des sciences sociales

Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales"Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de ChicoutimiSite web: http://classiques.uqac.ca/

Une collection développée en collaboration avec la BibliothèquePaul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Président-directeur général,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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Cette édition électronique a été réalisée par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide retraitée du Musée de la Pulperie de Chicoutimi à partir de :

Louis Balthazar et Alfred O. Hero Jr.

LE QUÉBEC DANS L’ESPACE AMÉRICAIN.

Montréal : Les Éditions Québec/Amérique, 1999, 374 pp. Collection : Débats.

M. Louis Balthazar est politologue et professeur au département de science politique de l'Université Laval.

[M. Balthazar nous a accordé le 9 octobre 2004 la permission non seulement de diffuser cet article mais aussi la totalité de ses œuvres : articles et livres, y compris Bilan du nationalisme au Québec.]

Courriel : [email protected]

Polices de caractères utilisée :

Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page: Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 5 février 2015 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, Québec.

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Louis Balthazar et Alfred O. Hero Jr.

LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Montréal : Les Éditions Québec/Amérique, 1999, 374 pp. Collection : Débats.

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Des mêmes auteurs

Contemporary Quebec and the United States : 1960-1985, Cambridge (MA), Harvard University, Center for International Affairs, et Lanham (MD), University Press of America, 1988.

Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec. Montréal, L'Hexagone, 1986.Louis Balthazar et Jules Bélanger, L'école détournée, Montréal, Éditions du Boréal, 1989.Alfred O. Hero Jr, Louisiana and Quebec : 1673-1993, Nouvelle-Orléans, Tulane University Series in

Political Science, et Lanham (MD), University Press of America, 1995.

Alfred O. Hero Jr, La Louisiane et le Canada francophone, Montréal, Société d'histoire de Longueuil et Éditions du fleuve, 1991.

Alfred O. Hero Jr et Marcel Daneau (dir.), Problems and Opportunities in U.S.-Quebec Relations, Boulder (CO), Westview Press, 1984.

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Données de catalogageavant publication (Canada)

Balthazar, Louis

Le Québec dans l'espace américain

Comprend des ré£ bibliogr.

ISBN 2-89037-990-6

1. Québec (Province) - Relations - États-Unis. 2. États-Unis - Relations - Québec (Province). 3. Québec (Province) - Civilisation - Influence américaine. 4. Québec (Province) - Opinion publique américaine. 5. Médias et opinion publique - Québec (Province). 6. Québec (Province) -Histoire - Autonomie et mouvements indépendantistes. 7. Opinion publique - États-Unis. I. Hero, Alfred O., 1924-II Titre.

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Table des matièresQuatrième de couvertureRemerciements [13]Introduction [15]

PREMIÈRE PARTIEL’AMÉRICANITÉ DU QUÉBEC [23]

Chapitre 1 : L'identité québécoise et l'Amérique [25]

L'expérience française [25]L'expérience britannique [27]Reconnaissance d'un Québec distinct [30]Les grandes migrations [33]L'industrialisation du Québec [36]Conclusion [61]

Chapitre 2 : Le Québec et son triangle nord-américain [41]

L'autre ambivalence [42]Deux solitudes nord-américaines [46]La nation une et indivisible à l'américaine [51]Deux multiculturalismes [57]Conclusion [61]

DEUXIÈME PARTIELES RELATIONS POLITIQUES,ÉCONOMIQUES ET CULTURELLES [63]

Chapitre 3 : Les relations politiques [65]

Évolution récente [66]Les objectifs [75]Les actions [80]Relations avec les États [88]Autres activités [91]Une certaine politique américaine [93]Intérêt nouveau [94]Structures officielles [97]Autres niveaux du pouvoir [98]Le consulat général de Québec [100]Les États-Unis et la souveraineté du Québec [102]

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Conclusion [108]

Chapitre 4 : Les relations économiques [111]

I. Forces et faiblesses de l'économie québécoise [112]

Problèmes structurels [119]Les aléas de l'étatisme [130]Hydro-Québec [132]

II. L'économie québécoise dans l'ensemble canadien, dans le monde et en Amérique du Nord. [139]

Le Québec dans l'économie du Canada [139]Expansion des échanges internationaux [143]Performance inférieure à celle du Canada [145]Le cadre mondial [150]Croissance des exportations et du surplus commercial [161]Diversité croissante des exportations québécoises [164]Le commerce des services [168]Investissements [170]L'impact de l'Accord de libre-échange [171]

Conclusion [177]

Chapitre 5 : Les relations culturelles [179]

Distinctions préliminaires [179]Intégration économique et influences culturelles [184]Invasion de la culture populaire américaine [187]La culture québécoise dans le triangle nord-américain [197]Rayonnement culturel du Québec aux États-Unis [204]Conclusion [208]

TROISIÈME PARTIEPERCEPTIONS AMÉRICAINES [211]

Chapitre 6 : Le Québec dans l'opinion publique Américaine [213]

Le prisme américain [213]Quelques progrès [214]Sondages d'opinion [226]Conclusion [230]

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Chapitre 7 : Le Québec dans la presse écrite aux États-Unis [231]

Les quotidiens et hebdomadaires influents en général [234]Perspectives différentes des trois grands quotidiens [238]Les autres quotidiens [256]Conclusion [261]

Chapitre 8 : Perceptions des milieux économiques [263]

Attitudes générales [263]Fluctuations des évaluations [270]Avant, pendant et après le référendum de 1995 [279]Conclusion [287]

Chapitre 9 : Perceptions politiques [289]

Le Québec à la lumière de l'expérience politique américaine [289]Évolution des perceptions [293]L'exécutif fédéral [296]Les membres du Congrès [305]Les gouvernements des États [310]Conclusion [313]

Chapitre 10 : Le Québec comme objet d'étude [317]

Remarquable évolution des études canadiennes [318]L'Association pour les études canadiennes [329]Les études québécoises [335]Autres organismes [338]Contributions particulières

Épilogue : Perspectives d’avenir [347]

L’appui à l’unité canadienne [347]Les relations politiques [351]Les relations économiques [353]Les relations culturelles [358]Nouveaux courants [359]

Index [365]

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

QUATRIÈME DE COUVERTURE

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Le Québec s'insère dans un ensemble nord--américain qui comprend bien sûr le Canada, mais également les États-Unis. Tant aux plans politique et économique que culturel, notre américanité ne fait aucun doute aux yeux des auteurs qui en mesurent l'étendue dans cet ouvrage fort documenté où l'on découvre à la fois toute l'importance des liens qui nous rattachent à notre voisin du sud et toute l'ignorance ou l'incompréhension qui teinte la vision des uns et des autres de part et d'autre de la frontière, particulièrement dans le contexte de l'affirmation souverainiste des Québécois. Un livre décapant qui en dit long sur une réalité souvent occultée et parfois confondue avec une « américanisation » honnie par certains et acceptée par d'autres.

La collection « Débats », sous la direction d'Alain-G. Gagnon, professeur titulaire au département de science politique de l'Université McGill, est le fruit d'une collaboration entre le Programme d'études sur le Québec de cette université et Québec Amérique. Le Québec dans l'espace américain est le quatrième ouvrage de cette collection qui comprend également Duplessis : Entre la Grande Noirceur et la société libérale (1997) d'Alain-G. Gagnon et Michel Sarra-Bournet ; Québec, 18 septembre 2001 (1998) de Claude Bariteau (Prix Richard-Arès 1998) ; et L'Ingratitude (1999) d'Alain Finkielkraut et Antoine Robitaille.

Louis Balthazar enseigne depuis plus de trente ans au département de science politique de l'Université Laval. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages portant entre autres sur les relatons canado-américaines et sur la politique étrangère des États-Unis. On lui doit également le Bilan du nationalisme au Québec.

Affred O. Hero Jr est un spécialiste des relations internationales des États-Unis, particulièrement des relations entre son pays et le Canada. L’étude de la francophonie en Amérique et la place du Québec dans l'ensemble nord-américain figurent parmi les sujets des nombreux ouvrages et articles scientifiques qu’il a rédigés au fil des ans.

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REMERCIEMENTS

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Nous remercions le ministère des Relations internationales (MRI) du gouvernement du Québec pour avoir bien voulu mettre divers instruments à la disposition des auteurs. La délégation du Québec en Louisiane, puis le bureau du Québec à Atlanta ont rendu de grands services à l'auteur américain. Ce dernier a pu en outre bénéficier d'un séjour au Québec à l'été de 1994 pour poursuivre ses recherches sur le terrain grâce à une bourse du ministère. À son retour aux États-Unis, les revues de presse de l’Argus lui ont été d'un précieux secours. Le ministère de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie (MICST) a aussi droit à notre reconnaissance pour nous avoir donné accès à son service des données.

Plusieurs personnes ont bien voulu lire des versions préliminaires d'un ou plusieurs chapitres de cet ouvrage et nous fournir leurs commentaires et suggestions dont nous avons tenu compte le plus souvent. Ce sont Léo Paré (ex-délégué général du Québec à New York), Stephen Kelly (ex-consul général des États-Unis à Québec), Michel Martin (de la direction des Amériques au MRI), Pierre-Paul Proulx (économiste à l'Université de Montréal) et Jean-Pierre Furlong (du MICST). Il va sans dire que nous conservons l'entière responsabilité de nos analyses, de nos [14] interprétations et des erreurs que nous pourrions avoir commises.

Nous remercions Lisette Laforest, du département de science politique de l'Université Laval, qui a travaillé sans relâche à la mise en forme du manuscrit, Martin Balthazar qui a fait une première révision linguistique et Louis Saint-Arnaud qui a révisé l'ensemble des références. Enfin, le rédacteur de l'ouvrage tient à exprimer sa profonde reconnaissance à sa conjointe, Suzanne Dupuis, qui lui a prodigué son affection, sa patience et sa présence inestimable tout au long de ce travail, surtout dans les derniers mois du bel été de 1998.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

INTRODUCTION

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Cet ouvrage est le fruit de vingt-cinq années de collaboration. Les deux auteurs se sont rencontrés au début des années soixante-dix à l'occasion d'activités conjointes du Centre québécois de relations internationales (CQRI) de l'Université Laval (maintenant Institut québécois des hautes études internationales) et de la World Peace Foundation dont Alfred O. Hero Jr était alors directeur. Ce dernier s'intéressait activement aux affaires canadiennes depuis une dizaine d'années et avait « redécouvert » le Québec au cours d'un voyage, quelque temps après la Deuxième Guerre mondiale. Ses origines louisianaises de souche française, qu'il peut faire remonter à la Nouvelle-France de la première moitié du dix-huitième siècle, le prédisposaient à mieux connaître l'îlot francophone le mieux organisé d'Amérique du Nord. Quant à l'auteur québécois, un long séjour aux États-Unis à l'occasion de ses études avancées en science politique, à l'Université Harvard, l'avait déjà prédisposé à approfondir les liens du Québec avec son voisin du sud. Il avait été particulièrement frappé par l'ignorance profonde de ce qui se passait au Québec, en pleine révolution tranquille, de la part des Américains, même dans une ville comme Boston (à une heure de vol de Montréal). En contrepartie, les Québécois, même les plus instruits, affichaient souvent leur indifférence et [16] une méconnaissance abyssale à l'endroit de la culture américaine, de sa richesse et de sa diversité.

Dès 1974, nous avons conçu le projet de travailler ensemble. Il en est résulté d'abord quelques articles dans le journal Le Devoir sur le Québec vu de Washington, puis une communication présentée lors d'un colloque américano-québécois et publiée dans une brochure de la collection « Choix » du CQRI . Par la suite, nous avons échangé à l'occasion de colloques et séminaires divers, conçu des projets de recherche qui ont donné lieu à des publications de part et d'autre. Une de ces rencontres à l'Université Harvard réunissait, en juin 1982, des chercheurs américains et québécois sur les relations entre le Québec et les États-Unis. Un livre, reproduisant la plupart des communications de ce séminaire, fut publié sous la direction d'Alfred O. Hero Jr et de Marcel Daneau (alors directeur général du CQRI) et dans lequel Louis Balthazar signait un chapitre sur les politiques québécoises aux États-Unis . Un peu plus tard, alors qu'Alfred O. Hero Jr bénéficiait de deux fellowships successifs, l'un au Centre des affaires internationales de l'Université Harvard (1982-1983), et l'autre à titre de professeur invité à l'Université de Toronto (1983-1984), nous nous sommes mis à la tâche de préparer un livre entièrement consacré aux divers aspects des relations Québec-États-Unis. Cet ouvrage parut en anglais en 1988 . Il fut bien reçu de tous ceux qui [17] s'intéressent à la question mais ne connut pas une très large diffusion au Québec. Nous avons donc cru qu'une publication en langue française, destinée d'abord à un public québécois, serait appropriée. Mais il nous fallait en même temps modifier légèrement notre objectif, laisser tomber les aspects qui visaient à informer des lecteurs américains et anglo-canadiens de la réalité québécoise et insister davantage sur le volet américain des relations. Il fallait surtout éveiller le lecteur québécois à l’importance primordiale des rapports du Québec avec les États-Unis.

Le livre qui suit se propose donc de démontrer en détail que le Québec appartient irrémédiablement à la

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mouvance américaine et qu'il se doit d'en prendre conscience, d'en tenir compte et de poursuivre des politiques appropriées. Est-il nécessaire de souligner que nous n'entendons pas signifier par là, en aucune façon, que le Québec n'a d'autre choix que de s'américaniser et de se constituer en fidèle vassal de son voisin ? On peut fort bien tenir compte de la réalité des dépendances et des interdépendances tout en poursuivant une politique autonome à l'intérieur d'une marge de manœuvre définie. Nous souhaitons donc ardemment que le Québec affirme et développe son identité propre, mais nous croyons du même souffle qu'il ne gagnera rien en ignorant le contexte dans lequel cette identité est appelée à se manifester et à s'épanouir. Ce contexte est d'abord celui du Canada, de toute évidence, quel que soit l'avenir constitutionnel du Québec. Mais il est aussi, d'une manière de plus en plus significative, celui de l'Amérique du Nord.

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Plusieurs conviennent facilement de cette évidence. Mais plus rares sont ceux qui prennent la peine d'en mesurer les implications. Combien peu de Québécois, par exemple, s'intéressent sérieusement et activement aux États-Unis. La population du Québec baigne quotidiennement dans une ambiance américaine, mais ses élites politiques, économiques, culturelles, intellectuelles et autres commencent à peine à examiner d'une manière élaborée ce qui se passe au sud de la frontière. Les gouvernements québécois ont découvert tardivement et lentement la nécessité des relations américaines. Les leaders économiques sont sans doute plus orientés vers cet énorme marché et toutes les ressources que représentent les États-Unis, mais on peut encore se demander si leur expertise américaine est adéquate. Au niveau culturel, même si on s'est tourné vers le sud plus que jamais au cours des dernières années, on connaît encore mal la production artistique et littéraire américaine de qualité. Enfin, on enseigne encore beaucoup trop peu les États-Unis dans les universités du Québec où on compte plus de spécialistes de quelques pays d'Afrique, par exemple, que du grand pays voisin.

Cet ouvrage entend établir un bilan des rapports américano-québécois. Dans une première partie, qui peut être vue comme une sorte de brève entrée en matière, nous entendons souligner la vocation américaine du Québec en montrant qu'elle s'enracine dans l'histoire (chapitre 1) et qu'elle se situe dans un triangle dont il faut sans cesse tenir compte. En d'autres termes, l'américanité du Québec ne peut se comprendre sans une prise de conscience de la réalité canadienne et du rôle important de la majorité anglophone du Canada dans les relations canado-américaines (chapitre 2).

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La seconde partie s'attaque aux relations américano-québécoises sous trois aspects. D'abord les relations proprement politiques, celles qui ont été établies par les gouvernements, ceux du Québec et, dans une certaine mesure, ceux des États-Unis à divers niveaux, même si Washington refuse de considérer le Québec comme un véritable interlocuteur politique (chapitre 3). Le chapitre suivant est consacré à l'examen de la situation économique du Québec pour en dégager les paramètres de son insertion croissante dans un réseau nord-américain. On verra que les aspects les plus dynamiques de l'économie québécoise sont étroitement liés au commerce avec les États-Unis. Tout en intensifiant ses propres synergies locales, l'économie du Québec a donc tout à gagner à poursuivre et développer ses liens avec les partenaires américains. C'est là la voie québécoise par excellence de la mondialisation. Le chapitre 5 s'arrête aux implications du lien américain dans l'univers de la culture entendue aussi bien au sens large d'un univers de significations ou d'un mode de vie qu'au sens plus restreint de production culturelle. Nous en dégagerons à la fois la nécessité d'une affirmation culturelle québécoise propre dans le contexte nord-américain et les réelles menaces que représente l'envahissement de la culture de masse américaine, c'est-à-dire l'américanisation.

Nous avons cru bon de consacrer toute une section de cet ouvrage, la troisième partie, à l'examen des perceptions américaines. Le lecteur y trouvera peut-être quelques révélations inédites. Les Québécois ont parfois tendance à s'illusionner sur l’image qu'ils projettent aux États-Unis. Il est arrivé, par exemple, que des médias du Québec ont donné de fausses impressions en laissant entendre que les visites de responsables politiques ou d'autres personnalités québécoises avaient eu un impact considérable, bien au-delà de la [20] réalité. On a pu aussi se féliciter trop rapidement de rapports « amicaux » avec des interlocuteurs

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américains. Nous verrons, dans les faits, quelles sont les perceptions de ce petit nombre (tout de même croissant) d'Américains qui connaissent quelque peu le Québec. Le chapitre 6 porte sur l'opinion publique américaine, ses prédispositions et ses tendances à l'endroit du Québec. Nous nous tournerons ensuite vers les médias pour en analyser un échantillonnage restreint mais significatif au cours des années mouvementées qui ont suivi la faillite de l'accord constitutionnel du lac Meech (chapitre 7). Le chapitre suivant rendra compte des hauts et des bas dans l'appréciation de la situation du Québec de la part de divers agents économiques, surtout dans les milieux financiers, tout particulièrement aux moments où le mouvement souverainiste est devenu plus saillant (chapitre 8). Les perceptions propres aux acteurs politiques seront ensuite examinées et analysées surtout à la lumière de la politique américaine sur la question de l'unité canadienne (chapitre 9). Enfin, un dernier chapitre est consacré aux perceptions des milieux intellectuels - surtout universitaires - où se sont développées considérablement les études canadiennes, une grande association vouée à la promotion de ces études et même une association d'études québécoises. Il arrive que les congrès d'études canadiennes ou québécoises aux États-Unis donnent lieu à des débats qui n'ont rien à envier à ceux qui se poursuivent au Canada. En outre, les enseignements, les recherches et les publications sur le Québec sont de plus en plus nombreux. Les universitaires américains sont donc de mieux en mieux informés et, en général, bien disposés à l'endroit du Québec.

Dans l'analyse de ces perceptions, la question de la souveraineté du Québec occupe une assez large place. S'il [21] advenait entre-temps que celle-ci ait perdu de sa pertinence, il faudrait alors se rappeler que la possibilité de l'accession du Québec à l'indépendance ou à une forme ou l'autre de souveraineté a été bien réelle tout au long de la dernière décennie du vingtième siècle et a préoccupé, en conséquence, tous les observateurs du Québec aux États-Unis. Cette question pourrait momentanément être reléguée au second plan, mais il serait bien étonnant qu'elle ne resurgisse pas dans l'avenir. Dans cette perspective, les analyses de cette hypothèse telle que l'entrevoient les Américains n'auront pas été vaines.

Nous nous portons tous deux signataires et responsables de l'ensemble de ce livre, bien que nos contributions n'aient pas toujours été parallèles. Louis Balthazar a rédigé le texte en s'inspirant, parfois de très près, mais sans jamais traduire littéralement, de la majeure partie d'un ouvrage que prépare Alfred O. Hero Jr pour un éditeur anglophone et qui est une mise à jour du livre de 1988. Le chapitre sur l'économie (chapitre 4) provient tout particulièrement des recherches et analyses de l'auteur américain qui est aussi responsable de la collecte des données qui ont servi aux chapitres 7, 8 et 9. Nous nous appuyons le plus souvent sur des sources secondaires mais assez variées pour qu'elles confirment leur validité. Il serait plutôt étonnant, par exemple, que La Presse, Le Devoir, le Montreal Gazette et le Globe and Mail aient tous erré dans leurs présentations des faits.

Au surplus, nous croyons en toute modestie que nos expériences jumelées des relations entre le Québec et les États-Unis au cours des quelque trente dernières années sont garantes d'une appréciation bien fondée des événements et faits que nous rapportons et interprétons dans ce livre. Cela ne nous met pas à l'abri des erreurs dans nos [22] descriptions ou narrations et encore moins dans nos analyses. Cela n'efface pas non plus nos préjugés. Nous nous sommes efforcés d'être objectifs en tenant compte des diverses approches et tendances dans l'étude d'un sujet aussi vaste. Néanmoins nous demeurons bien conscients de n'avoir pas tout à fait réussi à échapper à nos propres préconceptions. Il apparaîtra au lecteur, tout au long de ce livre, que nous favorisons l'aménagement de relations plus étroites et plus suivies entre les partenaires concernés tout en souhaitant ardemment le maintien d'une forte identité québécoise, laquelle ne saurait s'affirmer sans un certain degré d'autonomie politique. Nous ne croyons pas cependant que cette autonomie doive nécessairement prendre la forme d'une souveraineté complète au sens classique de cette expression. Quoi qu'il en soit, il nous semble tout à fait évident que le Québec est lié aux États-Unis à tel point qu'il ne saurait se dispenser de développer des relations suivies et diversifiées avec les Américains. Nous ne pouvons que souhaiter, en même temps, que l'identité et la spécificité du Québec soient de mieux en mieux reconnues aux États-Unis.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Première partieL’AMÉRICANITÉDU QUÉBEC

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Première partie :L’Américanité du Québec

Chapitre 1

L’identité québécoiseet l’Amérique

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Les Québécois n'ont jamais cessé de s'inscrire dans l'espace américain. Le Québec s'enracine dans une expérience d'exploration de toute l'Amérique du Nord. Parce que cette entreprise s'est d'abord voulue européenne, elle a donné lieu à une profonde et durable ambivalence dans les relations des Québécois avec leurs voisins. Les habitants du Québec ont toujours été fortement séduits par l'influence américaine sans jamais y succomber tout à fait.

L'EXPÉRIENCE FRANÇAISE

Il fut un temps où la France prétendait s'imposer sur la plus grande partie de l'Amérique du Nord. Cet empire français d'Amérique, dont le tracé a longtemps inspiré la nostalgie des Canadiens français, s'étendait du golfe du Saint-Laurent jusqu'au golfe du Mexique en passant par les Grands Lacs et le Mississippi. La Vérendrye s'était rendu jusqu'aux montagnes Rocheuses. C'est donc tout le Midwest et une bonne partie de l'Ouest américains d'aujourd'hui qui étaient, avec le Canada, territoires français. Mais il faut s'empresser d'ajouter que ce soi-disant empire demeurait extrêmement fragile. Si les Français ont créé des postes en plusieurs endroits, ils contrôlaient mal le [26]

territoire sur lequel les Amérindiens vivaient déjà depuis longtemps plus nombreux et mieux adaptés. D'ailleurs les explorateurs français n'auraient jamais pu pénétrer d'aussi vastes territoires et franchir tant de cours d'eau s'ils n'avaient obtenu le concours substantiel de certains Amérindiens.

Malgré tout, il n'est pas erroné d'affirmer que les premiers frontiersmen (un titre que se sont donné, au dix-neuvième siècle, les fondateurs de l'Ouest américain) ont été des Français. En effet la colonisation française s'est poursuivie suivant un double volet : l'établissement d'une colonie sur les rives du Saint-Laurent et l'exploration des territoires de l'intérieur du continent. Cette colonisation était inspirée à la fois par des intérêts mercantiles et une idéologie expansionniste et missionnaire. Il en est résulté deux types de colons, deux types de Canadiens ou de Québécois : l'habitant et l'explorateur ou coureur des bois ; le sédentaire et le voyageur. En raison du second type, le goût de l'Amérique n'a jamais cessé d'habiter l'imaginaire québécois.

Ce goût de l'Amérique a pu engendrer une forte dynamique de « distanciation » par rapport à l'Europe,

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mais le lien avec le vieux continent, tout fictif fût-il, ne s'est jamais vraiment rompu. Il ne pouvait en être autrement dans la mesure où le projet de colonisation française demeurait européen. C'est au nom du roi de France et imbus du sentiment de devoir répandre les valeurs de l'ancien régime (religion et culture) que les Français sont venus en Amérique. Il y avait là sans doute quelque chose d'artificiel et d'utopique. Si la religion catholique s'est fortement implantée sur le sol canadien, elle n'a guère pénétré les populations amérindiennes et l'ancien régime européen ne s'est pas vraiment reproduit au Canada [27] même si des institutions analogues ont été créées. Les Canadiens se sont affirmés très tôt comme différents des Français, mais ils n’ont jamais voulu cesser tout à fait de s'inspirer des institutions européennes. L'expérience française, tout originale qu'elle fût, n'a jamais consacré la rupture. Même un La Salle, découvrant l'embouchure du Mississippi, y plante une croix sur une plaque de plomb où il a inscrit : « Au nom de Louis XIV, roi de France et de Navarre, le 9 avril 1682 ».

L'échec de la colonisation française tient, pour une bonne part, à cette ambivalence . Si les colons et explorateurs français ont cru en l'Amérique, ils ne s'y sont pas pour autant jetés à corps perdu. Ils y sont venus en petit nombre. Sans doute en raison de la politique de la France, mais aussi parce que la motivation a manqué. Cela ne suffisait pas de désirer se prolonger dans le nouveau monde ou de vouloir vivre une aventure. Il aurait fallu être poussé vers l'Amérique par une volonté de quitter l'Europe et de construire du nouveau. C'est précisément ce qui a animé la colonisation britannique.

L'EXPÉRIENCE BRITANNIQUE

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Les premiers établissements britanniques sur les côtes de la Virginie ont été stimulés par les autorités royales et [28] créés en leur nom. Mais on assista très tôt à un véritable exode de dissidents religieux, animés par un idéal de pureté évangélique. Contrairement aux missionnaires français qui se proposaient de porter la religion officielle en terre américaine, les « pèlerins » qui se sont embarqués sur le Mayflower en 1620 désiraient rompre avec les pratiques religieuses européennes et jeter les bases d'une religion chrétienne épurée dans le Nouveau Monde. Ils ont résolument tourné le dos à l'Europe. Leur regard s'est porté vers l'ouest, vers une terre promise « où couleraient le lait et le miel ». Ils ont voulu « recommencer le monde », construire une nouvelle société plus égalitaire, plus libérale. Déjà s'exprimait une volonté nette de rupture avec l'Europe. C'était, avant la lettre, la révolution américaine qui commençait avec cette migration et l'engagement des pèlerins de constituer un véritable corps politique sui generis, animé par un contrat social.

Certes, la Couronne britannique conservera longtemps le contrôle de ses colonies. L'expérience de rupture sera fortement encadrée par le pouvoir britannique, sa marine et son armée. Des liens étroits ont subsisté entre les îles britanniques et les nouvelles colonies disséminées le long de la côte atlantique. Mais, contrairement aux Français, les colons britanniques ont été mus par un esprit libéral nouveau. Cet esprit, qui parvenait mal à s'exprimer en Grande-Bretagne, se répandait sans entrave dans le Nouveau Monde. Le père Charlevoix pouvait faire état des différences entre l'ancien régime français du Canada et le libéralisme individualiste et puritain de la Nouvelle-Angleterre :

On ne voit point au Canada de personnes riches, et c'est bien dommage ; car on y aime à se faire honneur [29] de son bien, et personne presque ne s'amuse à thésauriser. On fait bonne chère, si avec cela on peut avoir de quoi se bien mettre ; sinon on retranche sur la table pour être bien vêtu. Aussi faut-il avouer que les ajustements vont bien à nos colons. Tout est ici de belle taille, et l'on y voit le plus beau sang du monde dans les deux sexes ; l'esprit enjoué, les manières douces et jolies sont communes à tous ; et la rusticité, soit dans le langage soit dans les façons, n'est pas même connue dans les campagnes les plus écartées. Il n'en est pas de même, dit-on, des anglais nos voisins ; et, qui ne connaîtrait que les deux colonies que par la manière de vivre, d'agir et de parler

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des colons, ne balancerait pas à juger que la nôtre est la plus florissante. Il règne dans la Nouvelle-Angleterre et dans les autres provinces du continent soumises à l'empire britannique, une opulence dont il semble qu'on ne sait point profiter ; et dans la Nouvelle-France une pauvreté cachée par un air d'aisance qui ne paraît point étudié. Le commerce et la culture des plantations fortifient la première ; l'industrie des habitants soutient la seconde, et le goût de la nation y répand un agrément infini. Le colon anglais amasse du bien et ne fait aucune dépense superflue ; le Français jouit de ce qu'il a, et souvent fait parade de ce qu'il n'a point. Celui-là travaille pour ses héritiers ; celui-ci laisse les siens dans la nécessité, où il s'est trouvé lui-même de se tirer d'affaire comme ils pourront .

Paradoxalement, c'est en raison même de sa réussite que la Grande-Bretagne perdra ses colonies. Précisément parce que les colonies britanniques étaient plus populeuses, plus laborieuses, plus libérales, elles finirent par [30] consacrer définitivement la rupture déjà affirmée par les premiers pèlerins. L'absence d'ambivalence à l'endroit de l'Europe a laissé libre cours à l'émancipation. En revanche, les Canadiens ambivalents, une fois conquis, permettront à la Grande-Bretagne de demeurer présente en Amérique du Nord. Les Canadiens se voyaient imposer une nouvelle métropole mais conservaient un lien avec l'Europe. L'empire britannique s'est déplacé vers le nord et s'est appuyé sur cette ambivalence pour se maintenir.

RECONNAISSANCED'UN QUÉBEC DISTINCT

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L'Acte de Québec (1774) est un chef-d'œuvre de politique coloniale. Comme les Britanniques se rendaient compte qu'ils n'arrivaient pas à assimiler la petite population canadienne qu'ils s'étaient soumise, ils ont plutôt opté pour la reconnaissance de son caractère distinct. Pour faire écran au libéralisme révolutionnaire des Yankees, les traits d'ancien régime de l'ex-colonie française ont été accentués et officialisés. L'Acte de Québec a donné droit de cité au catholicisme canadien, au droit civil français et au régime seigneurial, ce qui vaudra à la Couronne la fidélité des Canadiens.

La population de la province de Québec fut quelque peu tentée d'accepter l'invitation américaine adressée pacifiquement à deux reprises et signalée violemment par l'occupation de Montréal et par le siège de Québec. Plusieurs manifestèrent une certaine sympathie à l'endroit des occupants. Déjà, les États-Unis exerçaient leur séduction sur les Québécois. Mais le sort en était jeté depuis 1774. La classe dirigeante, cléricale et seigneuriale, n'eut pas de peine à imposer son refus. En dépit des habiles démarches du francophile Franklin, accompagné de [31] l'évêque catholique John Carroll et de l'imprimeur français Fleury de Mesplet, on préféra la reconnaissance accordée par les Britanniques aux promesses américaines. Déjà, la reconnaissance d'une « société distincte » convenait assez bien aux habitants du Québec.

Toutefois l'attrait américain demeurait. Dès que la spécificité québécoise fut menacée par l'afflux des loyalistes et leur volonté de transformer la colonie à leur image, des leaders patriotes se sont employés à faire valoir le modèle républicain. La tentation de l'annexion aux États-Unis s'est manifestée épisodiquement tout au long du dix-neuvième siècle.

L'Acte constitutionnel de 1791 a cependant retardé cette échéance, car les loyalistes y ont obtenu une séparation de la colonie qui leur a valu une province nouvelle, le Haut-Canada, de même qu'une nouvelle colonie, le Nouveau-Brunswick. Plus tard un projet d'union des deux Canadas et le refus officiel adressé aux volontés autonomistes des patriotes du Bas-Canada ont alimenté le nationalisme de ces derniers. Ce nationalisme s'inspirait souvent des politiques américaines, des Jefferson, Madison et Jackson. Louis-Joseph Papineau, notamment, chef incontesté du mouvement « patriote », évoquait souvent dans ses discours l'idéal

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républicain. Il citait abondamment les paroles des grands leaders américains.

Ne nous méprenons pas cependant. L'américanisme de Papineau demeurait limité. Il semble bien que lui et ses proches se seraient contentés d'un Bas-Canada dirigé par un gouvernement responsable dans le cadre de l'empire britannique. D'ailleurs les Américains, qui avaient condamné l'Acte de Québec au point de l'inclure parmi les lois « intolérables » mentionnées dans la Déclaration d'indépendance de 1776, ne pouvaient guère accueillir [32] favorablement le programme politique de Papineau. En effet, l'idéal démocratique énoncé par ce dernier devait s'accompagner du maintien du régime seigneurial et de l'ancienne coutume de Paris qui n'avait rien de libéral. Papineau lui-même, en exil aux États-Unis, y recueillit quelque sympathie, mais ne se sentit pas très à l'aise. Dépité de n'avoir pu obtenir quelque audience que ce soit à Washington, il poursuivit son exil en France où il fraternisa davantage avec des libéraux issus du catholicisme, comme Lamennais.

Il est vrai que les disciples de Papineau, en particulier les « fils de la Liberté », feront des professions de foi républicaine plus authentiques. Ils proposeront le rejet du régime seigneurial et des lois d'ancien régime et rédigeront même une déclaration d'indépendance calquée sur celle de 1776. Mais comment pourrait-on voir dans leur programme (indépendantiste ou annexionniste) un reflet de la conscience collective des Canadiens d'alors ? Chez ceux-ci sans doute, c'est toujours l'ambivalence qui régnait, c'est-à-dire le souci d'être reconnus comme un peuple distinct sans pour cela rompre tous les liens coloniaux. C'est bien là la politique qui leur sera proposée par leurs chefs religieux et laïques et à laquelle ils souscriront d'assez bonne grâce.

Le mouvement annexionniste ne s'éteignit pas pour autant. Il fut animé le plus souvent par des élites libérales, avant-gardistes et nationalistes. Les rouges, qui s'opposaient à la Confédération, ont présenté un projet d'annexion aux États-Unis comme solution de rechange. Toutefois, de l'autre côté de la frontière, à part les Irlandais radicaux, dits Fenians, qui voulaient conquérir le Canada par la force, il s'est trouvé bien peu d'Américains pour favoriser l'accueil des Canadiens de langue française [33] à l'intérieur de l'Union. Les Américains étaient davantage préoccupés par leur guerre civile et, pour ce qui est des Nordistes victorieux, par le souci d'intégrer les sécessionnistes du Sud dans une fédération indivisible. Au moment même où des Canadiens français du Québec rêvaient d'un État français au sein des États-Unis, la Louisiane française était conviée à s'assimiler à la grande nation américaine une et indivisible.

Il faut bien en conclure que l'ambivalence identitaire des Canadiens français s'est beaucoup mieux accommodée de l'Amérique du Nord britannique que de la république une et indivisible des États-Unis.

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LES GRANDES MIGRATIONS

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Les Québécois n'ont pas cessé pour autant de rêver aux États-Unis. Les dures réalités économiques de la période qui a suivi l'abandon de la protection impériale en matière d'importations agricoles ont amené les Canadiens à se tourner vers les États-Unis dans leurs échanges commerciaux. Il en est résulté un accord de réciprocité (1854) qui fut bientôt abrogé dans le contexte de la guerre civile américaine. L'agriculture québécoise s'en trouva particulièrement frappée. Elle n'arrivait pas à faire vivre une population qui croissait rapidement. Ce fut le début d'un long exode vers le sud où l'industrie naissante réclamait une main-d'œuvre nombreuse et peu exigeante.

Entre 1840 et 1930, presque un million de Canadiens français du Québec ont émigré aux États-Unis , surtout dans les régions industrielles de la Nouvelle-Angleterre, [34] mais aussi dans l’État de New York et dans le Midwest. Tout naturellement, plusieurs d'entre eux se sont assimilés à une nation américaine toujours très envahissante. Cependant la majorité de ces immigrants ont résisté de façon remarquable (avec plus de succès, semble-t-il, que les autres groupes ethniques) aux pressions assimilatrices qui se sont exercées sur eux. C'est donc dire qu'ils ont transporté avec eux leur ambivalence traditionnelle quant à leur identité collective et l'attraction de la société américaine. Comme ils ont émigré souvent en groupes, ils ont eu tendance à former des communautés dites canadiennes-françaises à l'intérieur des villes américaines. Ces communautés furent bientôt aménagées en paroisses catholiques et, en raison d'appuis venant du Québec relativement peu éloigné, elles ont élargi en quelque sorte le territoire d'appartenance des Canadiens français en zone américaine, constituant ce qu'on a appelé des « petits Canadas ».

Paradoxalement, ces émigrés que les élites canadiennes-françaises ont souvent considérés comme « des faibles qui succombent au mirage d'une Amérique pavée d'or », se sont vu assigner une mission civilisatrice et la réalisation du grand rêve de l'Amérique française. Cette situation était d'autant plus paradoxale et cruelle qu'on pouvait attribuer aux mêmes élites une bonne part de responsabilité dans le maintien d'une structure agricole déficiente à l'origine des départs vers le sud . Au lieu de reconnaître cette responsabilité et de remédier aux carences des conditions socio-économiques prévalant au Québec, on a continué de croire à la vocation agricole des Canadiens français. En conséquence, on a d'abord porté un jugement [35] sévère sur ceux qui succombaient à l'appât des salaires que leur conférait le travail dans les manufactures. Devant l'ampleur et l'inévitabilité du phénomène, on s'est rabattu ensuite sur un idéal de survivance en terre américaine. S'il devenait impossible de garder les Canadiens français au Québec) on allait tenter de transporter le Québec aux États-Unis.

Dans une certaine mesure, ces émigrés, mus par des nécessités matérielles, ont poursuivi le rêve des premiers explorateurs français. Ils ont pu être animés par l'esprit de frontière. Toutefois, à l'instar des autorités coloniales françaises, les élites religieuses du Québec se sont appliquées a étouffer cet élan aventurier en encadrant à nouveau les communautés franco-américaines dans des paroisses et des institutions catholiques alimentées directement à partir du Québec.

Ce mouvement de résistance à l'américanisation des immigrants canadiens-français s'est soldé par un échec, d'abord et avant tout parce que l'attrait, les pressions et les exigences de la société américaine se sont avérées les plus puissants. Encore une fois, les élites du Québec ont mal évalué la force et la nature du nationalisme américain. Si l'Amérique n'a pu tolérer une Louisiane française, elle n'allait assurément pas tolérer davantage les « petits Canadas ». Au surplus, on s'est grossièrement mépris sur le soi-disant matérialisme américain. Ce pays fondé par des puritains est toujours demeuré marqué par l'effervescence religieuse et n'a cessé de s'appuyer, en dépit de la séparation des Églises et de l’État, sur une affirmation publique de la croyance en Dieu.

Les Franco-Américains, tout matérialistes ou sensibles aux valeurs de l'argent fussent-ils devenus, n'en

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ont pas moins maintenu leurs croyances, aussi bien que leurs [36] compatriotes du Québec. En fait, au moment où ces derniers abandonnent massivement la pratique religieuse, leurs cousins américains fréquentent encore leurs églises. Les élites canadiennes-françaises s'étaient donc gravement méprises, autant sur la culture américaine que sur les possibilités d'y résister.

L'INDUSTRIALISATION DU QUÉBEC

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Le flot migratoire vers les États-Unis a été sérieusement ralenti au cours des premières décennies du siècle pour s'arrêter à peu près complètement durant la Deuxième Guerre mondiale. C'est l'industrialisation du Québec (contraire aux vœux des élites traditionnelles mais tout de même encouragée par certains évêques ) qui a largement contribué à créer des emplois nouveaux et à garder la main-d'œuvre au pays.

L'attraction des États-Unis n'en a pas diminué pour autant. Bien au contraire. Il n'est pas exagéré d'affirmer que, pour renverser l'exode vers le sud, il a fallu que les Américains eux-mêmes viennent au Québec. En effet, à partir du début du vingtième siècle, les capitaux américains ont afflué dans toutes sortes d'entreprises québécoises, en particulier dans l'exploitation des ressources naturelles. Dès le début du siècle, ces investissements ont dépassé ceux des Britanniques. La présence économique américaine était donc assez importante au Québec pour faire l'objet d'inquiétudes et de critiques de la part d'élites [37] toujours en mal de sentiments antiaméricains. Les premiers ministres Lomer Gouin (1905-1920) et Louis-Alexandre Taschereau (1920-1936) ont dû se défendre de l'accusation de « vendre le Québec » aux Américains. Taschereau lui-même arguait qu'il préférait accueillir des capitaux américains plutôt que de voir les Québécois s'exiler aux États-Unis .

Au même moment, c'est-à-dire tout particulièrement au cours des années vingt, à la faveur d'une augmentation notable des revenus et d'une urbanisation croissante, les produits de consommation américains ont envahi le marché québécois. Ce furent l'apparition du Model T d'Henry Ford, la multiplication des films américains, la naissance de la radiophonie et la diffusion de quelques produits électroménagers. Les Québécois, tout autant que les autres Canadiens, étaient friands de nouveauté et ardents consommateurs de tous ces biens qui, nouvellement apparus sur le marché, étaient à la portée des classes moyennes.

Les élites continuaient de prêcher les vertus de l'ancien mode de vie et de mettre les gens en garde contre le « matérialisme » et la consommation de produits nouveaux. Leur influence est demeurée assez forte, mais la population a trouvé le moyen de faire semblant de demeurer attachée aux anciennes valeurs tout en acceptant dans les faits celles de la nouvelle culture de masse. Les Québécois sont restés fidèles à leurs obligations religieuses, mais ils ont élu des gouvernements favorables à l'industrialisation, ont consommé autant qu'ils le pouvaient et lu des [38] journaux populaires assez complaisants envers l'américanisation.

S'amplifiant, ce phénomène prit des proportions considérables durant la Deuxième Guerre mondiale et au cours des années qui suivirent. Durant cette période où mûrit la révolution tranquille, le discours des élites traditionnelles Perdit peu à peu de sa force et de sa portée. De nouvelles élites intellectuelles ont émergé et se sont substituées aux anciennes. Ce sont elles qui ont présidé à la modernisation du Québec, amorcée durant les années cinquante et culminant durant les années soixante avec la révolution tranquille. Le discours de ces élites prenait le contrepied de celui des élites traditionnelles. Il s'inscrivait dans la rupture avec les idéaux d'ancien régime qui avaient prévalu jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale. C'était un discours résolument moderne, ouvert au monde, laïque et progressiste.

Toutefois cette grande mutation ne fit pas l'économie de l'ancienne ambivalence québécoise à l’égard de l'Amérique. En effet, les nouvelles élites se sont largement tournées vers l'Europe plutôt que vers les États-Unis pour accomplir leur intégration à la modernité. À l'instar des premiers Canadiens et en dépit de la disparition des liens politiques avec la France, c'était toujours l'ancienne mère patrie qui alimentait la

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pensée des intellectuels québécois. La majorité de ceux et celles qui sont allés poursuivre des études à l'étranger se sont dirigés vers l'Europe, vers la France surtout. L'ouverture du Québec à l'extérieur a d'abord signifié de nouvelles relations avec l'Hexagone et les nouveaux modèles de gestion appliqués par le gouvernement du Québec sont venus surtout de la France.

Il en est résulté que la classe intellectuelle québécoise est demeurée marquée par une certaine méfiance à [39] l'endroit des États-Unis quand elle ne s'est pas modelée sur l'antiaméricanisme primaire et radical de la gauche française au cours des années cinquante et soixante. Le fossé qui séparait jadis les masses québécoises et leurs élites n'a donc pas été comblé par la révolution tranquille. Au contraire. Le Québec moderne demeurait un corps américain avec une tête européenne.

Il faudra attendre les années soixante-dix Pour qu'on se mette à « penser » l'américanité du Québec, pour que des intellectuels québécois découvrent, acceptent et valorisent le caractère foncièrement américain de leur culture et, par là, tendent la main à la culture des classes populaires depuis longtemps axée sur les États-Unis. C'est alors que le regard porté sur l’Amérique s'aiguisera et que seront perçues les ressources intellectuelles et spirituelles aussi bien qu'économiques du pays voisin.

Nous reviendrons amplement sur ce phénomène au cours du présent ouvrage qui voudrait contribuer à une redécouverte des États-Unis qui est, à notre avis, loin d'être terminée.

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CONCLUSION

Nous avons voulu souligner, dans ce premier chapitre, l'ambivalence profonde des Québécois à l'endroit de l'Amérique. Une ambivalence qui s'explique d'abord par l'absence d'une volonté de rupture par rapport à l'Europe chez ceux qui ont fondé une civilisation française en Amérique. Les Britanniques ont obtenu plus de succès dans le Nouveau Monde, pour une bonne part parce qu'ils étaient animes par un idéal de recommencement, beaucoup plus dynamique.

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Soumis à l'empire britannique, les Canadiens ont continué d'entretenir leur ambivalence. Ils ont préféré la reconnaissance que leur offraient leurs nouveaux maîtres à l'idéal révolutionnaire américain. Cependant, chaque fois que cette reconnaissance fut remise en question, les Canadiens français se sont tournés vers les États-Unis.

Les grandes migrations ont constitué une sorte d'insertion, forcée d'abord, mais consentie par la suite. L'industrialisation du Québec, facilitée par des capitaux américains et la consommation de masse, a constitué une autre phase du renforcement de l'américanisation des Québécois.

Les élites intellectuelles, modernes aussi bien que traditionnelles, sont demeurées longtemps hostiles aux valeurs américaines, du moins à l'image fausse qu'on s'en faisait. Pendant que les Québécois accueillaient volontiers tout ce qui venait des États-Unis, leurs leaders intellectuels et spirituels condamnaient le « matérialisme » américain. C'est le peuple qui eut finalement raison de ses élites et qui les amena à prendre conscience de la vocation américaine du Québec.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Première partie :L’Américanité du Québec

Chapitre 2

Le Québec et son trianglenord-américain

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L'ambivalence québécoise à l'endroit des États-Unis a été vécue et confortée à l'intérieur d'un triangle. Un triangle imaginaire sans doute puisque les deux autres composantes ne s'y percevaient pas de la même façon. Pour les Anglo-Canadiens, le triangle existentiel se composait plutôt de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada. Pour les Américains, il n'existe aucun triangle mais une seule Amérique qu'on a toujours tendance à confondre avec les États-Unis. Si le Canada est reconnu comme une entité distincte, il fait rarement l'objet de préoccupation majeure et la définition de la nation américaine n'y renvoie en aucune façon.

En conséquence, les Québécois se situent face à l'Amérique selon une double asymétrie. Ils revendiquent la reconnaissance de leur caractère distinct à l'intérieur d'un Canada qui se pose lui-même comme société distincte par rapport aux États-Unis. On ne saurait donc concevoir la relation du Québec avec son voisin du sud sans tenir compte de la structure canadienne. Quand les Québécois s'adressent aux Américains, ils ne peuvent guère s'abstenir de transmettre en même temps un message au moins implicite aux Anglo-Canadiens. L'éternel dilemme des Québécois n'est pas tellement celui de se définir seuls ou avec les autres, mais bien plutôt de choisir la forme de [42] leurs interdépendances, dans l'axe est-ouest ou dans le cadre nord-sud.

Il nous faut donc examiner l'autre ambivalence à l'endroit des États-Unis, celle des Canadiens de langue anglaise, pour mesurer ensuite l'écart entre les deux solitudes enracinées dans deux refus différents de l'expérience nationale américaine. Nous verrons ensuite comme il peut être périlleux d'opposer une seule construction nationale canadienne à celle des États-Unis, étant donné qu'au Canada le sentiment identitaire est toujours vécu en fonction de deux conceptions distinctes de la diversité et du nationalisme.

L'AUTRE AMBIVALENCE

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Les Anglo-Canadiens sont tout aussi ambivalents que les Québécois à l'endroit des voisins du sud. Ils le sont même davantage. En fait, c'est tout le Canada qui s'est construit sur l'ambivalence continentale. Les États-Unis sont donc, pour le Canada, bien plus qu'un partenaire et un puissant voisin : c'est l'existence même du Canada qui ne saurait être pensée sans inclure la référence à la nation américaine. « There would

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not be a Canada without the United States », écrivait l'historien J.M.S. Careless . Il ajoutait même que le Canada pourrait cesser d'exister pour se joindre aux États-Unis. Ainsi donc la république voisine préside à la naissance, à l'évolution et même à la mort éventuelle du Canada. Empressons-nous d'affirmer que si cette dernière éventualité n'est pas probable, cela tient pour beaucoup au peu d'intérêt qu'y voient et le gouvernement et la population américaines.

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S'il existe un Canada aujourd'hui, cela est dû, pour une bonne part, à la volonté des premiers Canadiens dont nous avons fait état plus haut. Cela est dû aussi au refus de la Révolution américaine qui s'est manifesté à l'intérieur même des anciennes colonies britanniques. Un refus d'une nature bien différente de celui des habitants de la province de Québec. Car si l'on considère la Révolution américaine, à la suite de plusieurs historiens, comme un événement politique bien plus qu'idéologique, il faut attribuer le clivage entre révolutionnaires et loyalistes à des facteurs arbitraires et conjoncturels plutôt qu'à des différences de mentalité. En d'autres termes, les loyalistes étaient tout aussi ancrés dans l'expérience américaine que leurs compatriotes révolutionnaires. Seulement ils concevaient que cette expérience libérale pouvait se poursuivre dans le cadre de l'empire britannique plutôt que dans une séparation violente de cette grande structure politique .

On peut donc affirmer, à la suite de David V.J. Bell, que le Canada est venu à l'existence comme un sous-produit de la Révolution américaine . En conséquence, toujours selon Bell, les Anglo-Canadiens, si l'on convient que les loyalistes ont donné le ton à la construction du Canada moderne, peuvent être définis comme des Yankees qui s'ignorent et qui affirment d'autant plus résolument leur rejet des symboles américains qu'ils demeurent profondément façonnés par l'idéologie libérale américaine. Il est remarquable, à cet égard, que fort peu de loyalistes aient choisi de prendre le chemin de la métropole. On peut croire que leur enracinement américain les a tout naturellement dirigés vers ce qui restait de colonie britannique en Amérique du Nord.

[44]

Dans l'ensemble, ils se sont adaptés plutôt mal ou pas du tout aux structures de la colonie canadienne telles que maintenues par l'Acte de Québec. Leur libéralisme à l'américaine les amena à s'établir sur des territoires non régis par le système seigneurial, c'est-à-dire dans le Haut-Canada bientôt érigé en colonie distincte en 1791 et dans le Nouveau-Brunswick. Farouches ennemis de la république américaine, ils se montrèrent imperméables à tout idéal d'affirmation nationale. Le Canada pourrait s'émanciper peu à peu de la tutelle britannique. Mais cela devait se faire dans l'évolution, non pas dans la révolution. Jamais cette évolution n'a donné lieu à de grandes déclarations. La Constitution de 1867 conférée par Londres à ses colonies nord-américaines fut longtemps considérée comme un honnête arrangement politique entre la métropole et son dominion de même qu'entre les diverses provinces. Une constitution bien différente de celle des États-Unis qui s'est voulue celle du « peuple » américain, de par le langage même de son préambule : « We the people ».

Jamais le Canada n'a déclaré lui-même son indépendance. Le Statut de Westminster qui, en 1931, lui a conféré la souveraineté, n'a guère donné lieu à des célébrations populaires et à des fêtes anniversaires. La Constitution du Canada ne sera pas rapatriée avant 1982. Il n'y eut pas de drapeau canadien distinctif avant 1965. Pas d'hymne national avant 1979. Les Canadiens sont demeurés des sujets britanniques jusqu'en 1946. La Cour suprême du Canada n'est pas devenue dernière instance juridique avant 1949. Le gouverneur général du Canada a été un Britannique jusqu'en 1952 et la Couronne britannique demeure à ce jour celle de l'État canadien. Voilà en quoi le Canada d'aujourd'hui se distingue des États-Unis.

Les Canadiens invoquent plus volontiers leurs programmes sociaux ou un sens plus prononcé de l'ordre [45] civique pour se démarquer de leurs voisins. Toutefois il est évident que la conception canadienne de l'organisation sociopolitique s'est développée en fonction d'une volonté constante de demeurer fidèle au modèle britannique.

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Cela n'a pas empêché les Canadiens de vivre à l'américaine et de s'inspirer souvent, et de plus en plus au cours du vingtième siècle, du modèle américain. Cela est vrai pour les Canadiens français, comme on l'a vu au chapitre précédent. Ce l'est davantage pour les Canadiens de langue anglaise dont la culture est toujours demeurée marquée par ses origines yankee de même que par une inévitable et croissante osmose de part et d'autre de la frontière.

D'ailleurs jamais les Canadiens ne se sont enorgueillis d'un « Canadian way of life ». Rarement l'État canadien s'est-il présenté, à la manière d'un Uncle Sam, comme une entité exigeant la conformité, le patriotisme et une allégeance soutenue à la nation. À l'intérieur de cet empire ou du grand Commonwealth sur lequel le soleil ne se couche pas, le Canada ne se concevait pas vraiment comme une nation, mais comme un espace britannique laissant beaucoup de place à la diversité, au régionalisme, voire même au nationalisme des Canadiens français.

Ces derniers ne s'en sont pas trop mal portés en dépit de l'intolérance de la majorité anglophone à l'extérieur du Québec. Ils ont conservé leur territoire originel. Sauf pour la courte période de l'union des deux Canadas (1840-1867), au cours de laquelle l'intégration souhaitée ne s'est d'ailleurs pas produite, le Québec est toujours demeuré une entité politique distincte où s'exprimait une majorité francophone.

Dans une certaine mesure, on pourrait dire que la structure politique impériale a sauvé le Canada français. Car l'empire est l'antithèse du jacobinisme. L'empire ne [46] crée pas de nations, mais il est bien forcé de tolérer celles qui continuent de s'affirmer en son sein. Il lui arrive certes de les circonscrire ou de les étouffer. Cependant il ne les efface jamais aussi efficacement que l'État national. L'empire britannique s'est donc accommodé de deux voies canadiennes parallèles, de deux expériences d'ambivalence.

DEUX SOLITUDESNORD-AMÉRICAINES

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Les Anglo-Canadiens et les francophones du Québec se sont accordés au moins tacitement pour rejeter les États-Unis comme modèle tout en demeurant sensibles à l'influence américaine. Dans la pratique cependant, leurs ambivalences ont été vécues et se sont exprimées de manière différente.

Les loyalistes, leurs descendants et, pour une bonne part, les immigrants qui se sont joints à eux, ont dénoncé la démocratie à l'américaine, mais ils ont pratiqué un libéralisme économique assez voisin de celui qui avait cours aux États-Unis. Les Canadiens français, en revanche, beaucoup plus éloignés culturellement et idéologiquement du système libéral américain, se sont fait fort de réclamer plus de démocratie à l'intérieur de leur province du Bas-Canada. Ainsi, un Louis-Joseph Papineau a pu prétendre s'inspirer du modèle américain et susciter l'agacement des autorités coloniales et de la minorité des marchands anglophones en citant fréquemment l'exemple républicain. Mais le Parti patriote est demeuré imperméable au libéralisme américain, comme on l'a vu plus haut.

La Confédération canadienne a été érigée en 1867, à l'encontre d'une forte opposition québécoise (celle des rouges qui prônaient l'annexion aux États-Unis), parce [47] qu'elle s'est présentée sous la forme d'une fédération et qu'elle autorisait à nouveau une entité politique particulière pour les Canadiens français. Les élites québécoises ne se sont pas trompées en y voyant plus de sécurité que dans un État français à l'intérieur de l'Union américaine. C'est qu'au moment même où les libéraux du Québec rêvaient de maintenir l'identité québécoise en se joignant à l’Union américaine, cette même Union se redéfinissait en des termes qui n'allaient plus permettre les identités particulières. Abraham Lincoln est considéré aux États-Unis comme un second père fondateur. Par son célèbre discours de Gettysburg, il a instauré le culte de l'unité nationale comme une sorte de religion selon laquelle la nation devait être pensée comme un organisme vivant. Pour Lincoln, la démocratie américaine ne pouvait se maintenir que si cet organisme conservait son intégrité. À

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partir de ce moment, le fédéralisme américain ne fut plus le même. Les États pouvaient bien conserver de larges pouvoirs, mais ils n'étaient plus considérés comme les composantes du contrat social. C'est l'ensemble du peuple américain, de la nation américaine, que le gouvernement fédéral, dit « national », prétendait et prétend toujours représenter.

Il en va tout autrement de la Confédération canadienne. Même si elle a été instaurée pour créer une économie d'est en ouest, au nord des États-Unis, même si son père fondateur, John A. Macdonald, rêvait d'une structure fortement unitaire, la Confédération n'a pas créé une véritable nation canadienne. Elle n'est surtout pas parvenue à imposer aux Canadiens français une nouvelle allégeance nationale.

L'Amérique britannique du Nord devait affirmer et consolider son indépendance par rapport aux États-Unis. [48] Cependant la relation avec le voisin du sud est demeurée primordiale. Macdonald a tenté d'abord de faire revivre la réciprocité commerciale entre les deux pays. Seule la faillite des négociations l'a amené à définir une politique dite nationale. La fameuse National Policy fut élaborée en 1879 pour conforter l'indépendance économique du Canada, mais il est clair que cette soi-disant indépendance reposait sur un lien étroit avec la Grande-Bretagne. Ceux qui, à cette époque, se disaient « nationalistes » au Canada étaient en fait des impérialistes. Ils s'appuyaient sur l'appartenance à l'empire britannique pour se distinguer des Américains.

Les élites québécoises entendaient aussi se distinguer, plus radicalement encore, de la culture américaine qu'ils vouaient aux gémonies. Toutefois, loin de s'appuyer sur l'allégeance impériale, elles invoquaient plutôt l'appartenance à la nation canadienne-française, voire canadienne tout court, soit dans la mesure où cet objectif ne désignait que les francophones, soit pour s'opposer à l'impérialisme. Paradoxalement, c'est un Canadien français, Henri Bourassa, qui chanta les vertus d'un Canada tout à fait indépendant à la fois des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Il n'a pas su rallier cependant quelque leader anglo-canadien à sa cause qui, dans les faits, a pris l'allure d'un nationalisme purement canadien-français.

Malgré tout, le Canada s'est détaché de la mère patrie, bien que d'une manière plutôt lente et graduelle. Il est fort révélateur que cette affirmation progressive d'autonomie se soit inscrite dans un rapprochement avec les États-Unis. Même le très impérialiste Arthur Meighen se faisait apostropher par le premier ministre britannique Lloyd George qui l'accusait de parler « comme un citoyen des [49] États-Unis ». Mackenzie King, premier ministre du Canada de 1921 à 1925, de 1926 à 1930 et de 1935 à 1948, à la tête du Parti libéral qu'on a dénommé longtemps le Parti américain, allait plus loin. À la conférence impériale de Londres en 1923, il citait élogieusement le président américain Warren Harding avec lequel il venait de conclure un important accord sans la présence des représentants britanniques. Plus tard, le Canada ouvrira sa première mission diplomatique à Washington en 1927, signera un traité de libéralisation partielle des échanges économiques avec les États-Unis en 1936 et, au moment même où il s'engagera dans le second conflit mondial à la suite de la Grande-Bretagne, conclura d'importants accords d'intégration de sa défense avec celle des États-Unis (1940) et de partage de la production de défense (1941).

La période de l'après-guerre a donné lieu à une affirmation renouvelée de la souveraineté canadienne à l'endroit du Royaume-Uni, mais en même temps le pays connut une intensification croissante des échanges économiques avec les États-Unis de même qu'un accroissement considérable des investissements américains. Les relations canado-américaines devinrent, plus que jamais auparavant, des relations privilégiées. L'avènement du Canada à un statut de pays souverain s'est donc réalisé sous le signe de sa dépendance à l'endroit des États-Unis.

Les Canadiens français du Québec, pourtant très favorables à l'atténuation des liens avec la Grande-Bretagne, n'ont guère participé aux relations canado-américaines. Peu intéressés aux affaires extérieures longtemps menées [50] presque exclusivement par des anglophones, ils ont vécu à leur façon, comme on l'a vu plus haut, leur ouverture aux États-Unis. Certes Wilfrid Laurier, à titre de premier ministre du pays, a conclu un accord de libre-échange, Ernest Lapointe a négocié le traité du flétan en 1923, Louis Saint-Laurent a été le premier titulaire à plein temps du ministère des Affaires extérieures et il est vrai qu'un Marcel Cadieux fut nommé ambassadeur à Washington à la fin des années soixante. Mais ce sont là plutôt des exceptions à une règle qui a prévalu jusqu'à récemment : les francophones étaient à peu près absents et à

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la direction des affaires américaines au ministère des Affaires extérieures et dans les missions canadiennes aux États-Unis.

Ils ont même participé assez peu à ce grand sursaut d'indépendance des élites canadiennes-anglaises qui ont sonné l'alarme au cours des années soixante face à ce qu'on a appelé une « économie de filiales » (« branch-plant economy ») pour caractériser l'intégration croissante de l'économie canadienne à celle des États-Unis. Alors que le gouvernement canadien (sous Trudeau), réagissant à ces cris d'alarme, lançait une politique de restriction des investissements étrangers, au cours des années soixante-dix, le Québec de Robert Bourassa s'en est tenu à une attitude plus accueillante. Le gouvernement du Parti québécois de René Lévesque (1976-1985) s'est montré lui aussi beaucoup plus favorable à la présence américaine que celui de ses homologues fédéraux.

Paradoxe encore une fois. Les Anglo-Canadiens, plus à l'aise avec les Américains, bien plus près d'eux culturellement que les francophones du Québec, ont adopté des politiques nationalistes et protectionnistes envers les États-Unis. Le Québec, siège d'une culture tout à fait distincte, [51] tout au moins en raison de la langue, a ouvert la porte à l'influence américaine. Les Anglo-Canadiens, envahis par la culture américaine à un degré plus avancé que les Québécois, sont devenus obsédés par la préservation de leur identité culturelle. Les Québécois francophones sont aussi obsédés par la préservation de leur identité, mais ils cherchent moins à limiter les échanges économiques avec les États-Unis qu'à affirmer et à protéger leur langue et leur culture. Ainsi, quand les Québécois ont légiféré sur la langue, les autres Canadiens leur ont reproché leur protectionnisme. Par contre, quand ces derniers se sont opposés à la pénétration américaine, comme ce fut le cas en 1988 à l'occasion d'une campagne électorale portant sur le traité de libre-échange, les Québécois ne se sont pas montrés disposés à emboîter le pas.

LA NATION UNE ET INDIVISIBLE

À L'AMÉRICAINE

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Les Québécois ont voté massivement en faveur du gouvernement Mulroney en 1988, non seulement parce qu’ils approuvaient l'accord de libre-échange, mais aussi parce qu'ils espéraient voir ratifier les accords du lac Meech déjà conclus en 1987 sous l'égide du gouvernement conservateur. La politique de ce gouvernement représentait à leurs yeux à la fois l'ouverture aux États-Unis et des arrangements constitutionnels plus souples, dont une limite aux interventions fédérales dans des domaines réservés aux provinces et la reconnaissance du Québec comme une société distincte.

Il existe donc un lien évident entre les relations canado-américaines et la nature du fédéralisme canadien. La politique américaine du Canada, en plus de rendre compte de la naissance du pays et de son évolution, est [52] intimement liée à la conception qu'on entretient de l'unité canadienne. Une politique nationaliste à l'endroit des États-Unis appelle une politique centralisatrice et intransigeante du gouvernement fédéral à l'endroit des provinces, comme ce fut le cas, par exemple, avec Diefenbaker et Trudeau. Des politiques plus continentalistes, par contre, comme celles de King (dans une certaine mesure), de Pearson et de Mulroney ont pu s'accompagner d'attitudes plus conciliantes envers les provinces. Cela a souvent entraîné le Québec à adopter une politique plus ouverte à l'endroit des États-Unis en guise de contrepoids au nationalisme canadien. C'était sûrement le cas de Papineau, au dix-neuvième siècle, vis-à-vis du pouvoir colonial. Ce l'est encore des divers gouvernements du Québec dans les dernières années du vingtième siècle.

L'absence de nationalisme canadien a toujours bien servi les intérêts du Québec, en particulier la cause de la reconnaissance de sa spécificité. Dans ce sens, le lien impérial n'a pas été contraire au maintien d'une identité propre pour les Canadiens français. Il a même contribué au renforcement de l'autonomie provinciale chère aux francophones québécois. À cet égard, les nationalistes canadiens-français qui, à la suite d'Henri

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Bourassa, réclamaient l'indépendance du Canada, ont eu tort de croire qu'ils seraient mieux servis par un Canada tout à fait souverain. En effet, tant que le Canada se concevait comme une composante de l'empire ou du Commonwealth, il n'était pas en mesure d'imposer a sa minorité francophone une conception nationale exigeante.

À partir du moment où le Canada s'est émancipé tout à fait de la Grande-Bretagne, il a perdu en même temps un élément essentiel de ce qui le distinguait des États-Unis. Pour les Anglo-Canadiens dont les origines remontent à la [53] tradition yankee, la tentation a pu être forte de se tourner d'un bloc vers le Continent. Cependant les institutions canadiennes s'étaient à ce point consolidées que cette tentation fut bientôt évacuée par un nationalisme nouveau qui pouvait s'exprimer sans ambages alors que le Canada s'attribuait tous les symboles de la souveraineté et de l'indépendance nationale. Les Canadiens allaient donc résister à l'influence américaine non plus en faisant valoir le lien britannique mais en s'affirmant comme une nation distincte.

Toutefois, pour des Anglo-Canadiens fortement influencés par les idées américaines et même par la culture politique des États-Unis, cette nouvelle entreprise était piégée. Comme cela arrive souvent dans les conflits, on a eu tendance à utiliser les armes de l'adversaire. Pour mieux asseoir l'identité canadienne, on en est venu à construire une nation en empruntant le modèle même qu'on avait si longtemps répudié. Pour caricaturer, on s'est fait Américain pour mieux combattre les Américains.

Cette construction a culminé avec le rapatriement constitutionnel de 1982 et l'annexion d'une charte des droits et libertés à l'image du Bill of Rights américain. Il est bien vrai que la Charte canadienne demeure différente de la Constitution des États-Unis. La plupart des experts s'accordent cependant pour voir dans le nouveau rôle octroyé à la Cour suprême du Canada un processus qui éloigne le Canada de la tradition britannique et le rapproche du système américain dit du judicial review. Seymour Martin Lipset, auteur de plusieurs études comparatives du Canada et des États-Unis, témoigne de ce changement :

La mesure la plus importante que le Canada ait adoptée pour s'américaniser - bien plus lourde de conséquences que la signature de l'accord de libre-échange - a peut-être été l'enchâssement dans sa [54] constitution d'une Charte des droits [...] qui soumet le pouvoir de l'État à la réserve judiciaire .

Les Québécois ont eu tôt fait de déceler cette « américanisation » et cette nationalisation de la politique canadienne. En vertu de ce qu'on a appelé « l'esprit de la Charte », l'espace réservé aux allégeances provinciales tend à diminuer comme une peau de chagrin . Même les fédéralistes québécois, comme tous les chefs successifs du Parti libéral du Québec, ont refusé d'appuyer cette nouvelle constitution qui, inévitablement, réduisait les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec et soumettait les lois de cette assemblée à l'examen de juges nommés par le gouvernement fédéral.

Ainsi le Canada a perdu peu à peu son caractère propre, tel que décrit plus haut, c'est-à-dire une atmosphère de grande tolérance des régionalismes et des particularismes, un sens du compromis et l'absence de fortes exigences à l'égard des citoyens. De plus en plus, le gouvernement fédéral s'est présenté comme le gouvernement « national » du Canada. Ottawa est devenue la « capitale nationale ». Le drapeau canadien s'est fait omniprésent. Et même, face à la menace souverainiste au Québec, on a développé une « religion de l'unité » assez semblable à ce qui existe aux États-Unis depuis la guerre civile. Par exemple, il aurait été impensable il y a à peine vingt ans [55] qu'on demande aux jeunes écoliers canadiens de proclamer tous les jours leur allégeance à la nation une et indivisible. Une telle exigence serait aujourd'hui sûrement fort bien accueillie par un grand nombre (probablement la majorité) de Canadiens de langue anglaise.

La vieille conception, jadis accréditée pour quelque temps chez les Anglo-Canadiens et d'une manière ininterrompue parmi les Québécois, qui faisait de la fédération canadienne un pacte entre les provinces, est

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devenue tout à fait obsolète partout ailleurs qu'au Québec. On parle de plus en plus de la nation canadienne comme d'un organisme et on considère une sécession possible du Québec comme devant entraîner la « destruction » du Canada.

Nous osons même avancer que l'expérience du référendum québécois de 1995, quand la population du Québec est venue tout près d'appuyer majoritairement un projet de souveraineté accompagnée d'un partenariat avec le reste du Canada, a produit chez les Anglo-Canadiens un effet semblable à la guerre civile aux États-Unis. « Never again ! » fut la réaction de plusieurs qui se sont engagés à tout mettre en œuvre pour que cela ne se produise plus. Non pas en cherchant de nouveaux accommodements avec le Québec, mais en proposant toute une panoplie de mesures défensives susceptibles de tenir les Québécois en respect. De même que la conception de l'unité de la nation américaine fut fortement renforcée après la guerre civile, plus que jamais au Canada on s'emploie à proclamer et à célébrer la grandeur et l'indivisibilité de la nation canadienne .

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Tout cela ne peut que contribuer davantage à éloigner les Québécois d'une appartenance canadienne aussi intransigeante. En effet, si les Canadiens français sont jadis demeurés fidèles à l'empire puis se sont montrés disposés à accepter la Confédération canadienne, c'était toujours en raison d'un espoir de s'y voir reconnaître comme une société distincte. Or c'est précisément cela qu'on leur refuse aujourd'hui au nom de la nouvelle conception de « l'unité nationale ».

Il peut paraître contradictoire que les Québécois se montrent moins inquiets à l'égard de l'influence américaine et manifestent même une grande ouverture à l'intégration économique continentale. Cependant, aujourd'hui comme jadis, il y a quelque chose de tactique dans cette ouverture. Le libre-échange nord-américain serait sans doute un élément essentiel à la vie d'un Québec souverain. En revanche, les Québécois se montreraient sans doute aussi opposés à une annexion politique aux États-Unis qu'à l'intégration tous azimuts à la nation canadienne. Pour le moment toutefois, la Cour suprême des États-Unis ne menace pas d'invalider des lois québécoises et les Québécois ne sont pas enjoints de commettre leur allégeance à une nation américaine.

Peut-être les Québécois ont-ils tort de croire à leur survie dans la mouvance américaine : il ont tendance à croire qu'ils sont mieux servis par leur cohésion que par leur appartenance au Canada telle qu'elle se présente à eux encore en 1999. Pourtant, un Canada qui reconnaîtrait la spécificité du Québec comme une société distincte serait sûrement par là assuré de demeurer fort différent des États-Unis. Quoi de moins américain qu'un pays multinational ?

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DEUX MULTICULTURALISMES

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Le Canada n'est-il pas déjà bien distinct des États-Unis en raison de sa politique du multiculturalisme ? Les nationalistes canadiens se font fort d'opposer la « mosaïque » canadienne au melting-pot américain. L'intégration des immigrants ne s'en poursuit pas moins au Canada d'une manière assez semblable à celle qui prévaut aux États-Unis. Surtout si l'on compare les milieux urbains et industrialisés dans les deux pays, on constate aisément que la canadianisation se poursuit presque aussi rapidement et efficacement que l'américanisation. Les immigrants n'apprennent-ils pas la langue anglaise (s'ils ne la connaissent pas déjà) avec autant de célérité au Canada qu'aux États-Unis ?

Il est bien vrai que la politique canadienne du multiculturalisme encourage la préservation d'un certain patrimoine ethnique, un usage circonscrit des langues d'origine et diverses manifestations culturelles. Toutefois on note qu'aux États-Unis également, le mouvement du renouveau ethnique, s'il ne fait pas l'objet d'une politique bien définie, entraîne avec lui toutes sortes d'expressions des cultures d'origine et la promotion de quelques langues étrangères, surtout l'espagnol et le chinois. N'oublions pas non plus que le premier but de la politique canadienne du multiculturalisme, c'est l'intégration progressive et harmonieuse des immigrants et de leurs descendants à la société canadienne, voire à cette conception organique de la nation qui s'est accréditée depuis quelques décennies, surtout depuis 1982.

Les Québécois sont aussi très sensibles au fait que le multiculturalisme a été instauré par le gouvernement Trudeau pour se substituer au biculturalisme qui avait fait l'objet de la grande Commission royale de 1963. Plusieurs [58] ont vu dans cette nouvelle affirmation de la diversité une entreprise visant à évacuer la « dualité » chère aux Québécois aussi bien qu'à noyer la culture dite canadienne-française dans le grand ensemble multiculturel. S'il est bien vrai que cette politique du multiculturalisme a tendance à ranger la culture des Québécois au même niveau que les diverses cultures d'origine des Canadiens, on n'aura pas tort d'attribuer à cette politique les mêmes objectifs fondamentaux qu'à celle du melting-pot.

Les gouvernements québécois ont réagi, peut-être trop tardivement, en opposant leur propre politique de la diversité culturelle à celle du Canada, laissant entendre qu'il n'y a pas qu'une seule manière de s'intégrer au Canada. La dualité canadienne refait donc surface au-delà du multiculturalisme dans la mesure où on peut parler de deux multiculturalismes canadiens, l'un pour le Canada anglais, l'autre pour le Québec français.

Toutefois, en raison de la présence d'une forte communauté anglophone au Québec, de l'application de la politique canadienne du multiculturalisme dans cette province comme dans les autres et de la compétence fédérale en matière de citoyenneté, la politique québécoise ne s'applique pas facilement. Même si le gouvernement québécois possède de larges pouvoirs en ce qui a trait à la sélection, à l'accueil et à l'intégration des immigrants, les futurs citoyens canadiens du Québec et ceux qui le sont devenus récemment restent coincés entre deux messages, celui du Canada qui invite à joindre la grande nation canadienne et celui du Québec qui sollicite l'intégration à la « société distincte ».

Il résulte de tout ceci une vision toute particulière de la relation avec les États-Unis au sein des communautés culturelles du Québec. Dans la mesure où un grand [59] nombre de Néo-Québécois préfèrent encore utiliser la langue commune de l'Amérique du Nord plutôt que la langue française , alors que 89% des anglophones du Québec se disent Canadiens plutôt que Québécois , il est clair que les Québécois issus de l'immigration sont fortement enclins à épouser le nationalisme canadien plutôt que le nationalisme québécois. Plusieurs d'entre eux adhèrent donc à la nation canadienne comme ils adhéreraient à la nation américaine. Ils en deviennent facilement d'ardents partisans de la Charte des droits et libertés dont on leur

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remet solennellement une copie officielle au moment de leur assermentation.

Il est d'ailleurs notoire que l'esprit de 1982 et de la Charte, que nous évoquions plus haut, est fortement ancré chez un très grand nombre de Néo-Canadiens. Bien davantage que les Canadiens d'origine, un peu plus sensibles aux traditions et à l'histoire de leur pays, ils conçoivent le nouveau Canada comme une grande nation indivisible à l'image de la nation américaine.

Cette tendance est renforcée par les liens multiples que ces personnes entretiennent avec des parents et congénères aux États-Unis. Le caractère parfois plutôt fortuit de l'immigration d'un côté ou de l'autre de la frontière a eu pour effet de créer et de maintenir, parfois depuis plusieurs décennies, des réseaux de communication plus ou moins intenses à l'intérieur d'une même communauté culturelle [60] d'un pays à l'autre. Ainsi les Juifs, les Irlandais, les Haïtiens et combien d'autres ont tendance à maintenir entre eux des liens de solidarité transfrontaliers. Dans la mesure où ces groupes constituent un ingrédient important de la population québécoise, ils en viennent à façonner certaines perceptions américaines à l'endroit du Québec et du Canada. Ils peuvent contribuer aussi à de nouveaux types de rapprochements.

Malgré cette tendance des communautés culturelles québécoises à entretenir une allégeance canadienne et nord-américaine au point d'ignorer la réalité du Québec, l'intégration à la société distincte francophone a tout de même connu de remarquables succès. Tandis qu'en 1970 les immigrants adoptaient encore massivement la langue anglaise, en 1993, 71% d'entre eux pouvaient fonctionner en français. On peut donc dire que l'intégration nord-américaine peut se poursuivre à la québécoise, selon un mode particulier, distinct du multiculturalisme canadien et du melting-pot américain. Mais la partie est loin d'être gagnée pour le Québec.

La situation des communautés autochtones du Québec est bien différente de celle des groupes issus de l'immigration. Les Premières Nations revendiquent des droits particuliers sur des territoires qu'elles occupent de temps immémorial. Elles se considèrent à juste titre comme des nations tout à fait distinctives et n'aspirent pas, en tant que communautés, à s'intégrer à la culture québécoise. Àce titre, elles entretiennent parfois des liens bien plus prononcés avec leurs « frères de race » des États-Unis. Les Mohawks du Sud-Ouest du Québec (comme ceux de l'Ontario), par exemple, vivent collés sur la frontière américaine qu'ils ignorent, car ils considèrent qu'ils forment un seul peuple avec les communautés de l'État de New [61] York. C'est là un type d'osmose entre le Québec, le Canada et les États-Unis qui complique considérablement les rapports économiques et politiques entre les deux pays de même qu'à l'intérieur du Canada.

CONCLUSION

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Le triangle nord-américain du Québec est donc une réalité fort complexe. Même s'il apparaît superficiellement que les Québécois francophones et les Canadiens anglophones partagent une même appréhension à l'égard de l'influence et de la domination américaines, ils ne se trouvent presque jamais sur la même longueur d'ondes pour résister à l'américanisation.

En effet, non seulement vivent-ils leur ambivalence sur des points différents, mais encore ils ont façonné deux modes distincts de multiculturalisme, deux manières de concevoir l'intégration.

En somme, ce sont deux nationalismes bien différents et souvent exclusifs l'un de l'autre qui se dressent et s'agitent au nord du 49e parallèle. On ne saurait donc analyser correctement les relations entre le Québec et les États-Unis sans tenir compte constamment des répercussions de ces relations dans les rapports entre le Québec et le reste du Canada.

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Dans la deuxième partie de cet ouvrage, nous allons décrire ces relations sous trois angles différents : politique, économique et culturel.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Deuxième partieLES RELATIONS

PUBLIQUES, ÉCONOMIQUESET CULTURELLES

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Deuxième partie :Les relations politiqueséconomiques et culturelles

Chapitre 3

Les relations politiques

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Il n'existe pas, à proprement parler, de relations politiques entre le Québec et les États-Unis pour la bonne raison que Washington n'a jamais voulu s'adresser au Québec comme à un acteur politique autonome. Pour le gouvernement américain, il n'y a pas d'autre interlocuteur canadien que le gouvernement fédéral du Canada. Cela n'a pas empêché l'État québécois de se donner une politique à l'endroit de son voisin du sud. Cette politique a rarement été très bien définie, mais elle s'est exprimée par des interventions assez nombreuses et par la présence, depuis plus d'un demi-siècle, d'une représentation permanente. Du côté américain, si l'on ne saurait vraiment parler d'une politique, on peut tout de même déceler des attitudes, la reconnaissance du problème identitaire québécois et le maintien, pour des raisons politiques, d'une représentation consulaire dans la capitale québécoise. On peut même s'aventurer à conjecturer ce que serait la politique américaine à l'endroit d'un Québec souverain.

Dans ce chapitre, nous examinerons l'évolution récente de la politique américaine du Québec, les objectifs de cette politique et sa mise en œuvre tant au niveau des délégations et bureaux qu'à celui des relations intergouvernementales. Nous nous tournerons ensuite du côté de Washington et de sa politique canadienne pour y déceler une composante [66] québécoise et l'expression d'un certain intérêt. Nous tenterons finalement d'élucider la position américaine à l'égard du mouvement souverainiste québécois.

ÉVOLUTION RÉCENTE

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Même si l'histoire du Québec, depuis les origines, se déroule dans un cadre où le voisin américain est toujours présent, comme on l'a vu précédemment, il a fallu attendre la révolution tranquille pour qu'un gouvernement québécois élabore une politique à l'endroit des États-Unis. Un premier ministre comme Honoré Mercier a pu visiter quelques États américains, d'autres comme Lomer Gouin et Louis-Alexandre Taschereau ont fait des affaires avec des investisseurs américains dans une atmosphère de pénétration culturelle aussi bien qu’économique. Néanmoins ils ne cherchaient pas à donner un contenu politique à ces relations. Autant les relations tissées par l'Église entre les Canadiens français du Québec et ceux qui avaient émigré aux États-Unis que celles qui furent aménagées par les agents économiques ont échappé à l'ordre politique.

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D'ailleurs, les relations canado-américaines elles-mêmes n’ont pas donné lieu plus tôt à des structures politiques. Pas de direction États-Unis au ministère des Affaires extérieures avant la fin des années soixante. Pas de politique canadienne non plus au département d'État avant que le Canada se mette à politiser ses relations avec les États-Unis. Ce qu'on a appelé la « diplomatie tranquille » a prévalu jusqu'aux années soixante-dix.

Le gouvernement québécois avait délégué des agents à Paris, à Londres, à Bruxelles, voire à Ottawa dès la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième. Rien aux États-Unis avant la Deuxième Guerre mondiale. C'est en [67] 1940 que le gouvernement Godbout créa à New York un bureau pour les relations économiques et le tourisme que son successeur maintiendra. Mais on ne peut encore parler de relations politiques. Ni Godbout ni Duplessis n'ont conçu de politique américaine, si ce n'est une attitude d'accueil des capitaux américains.

La révolution tranquille a marqué un nouveau départ. Comme il se devait, la mission de New York fut rehaussée, dès 1962, du titre de délégation générale. D'ailleurs, les relations américano-québécoises ont pris une orientation nouvelle à l'automne 1962. Pour financer la deuxième phase de la nationalisation de toutes les compagnies privées de production d'électricité et les intégrer dans cette firme géante qu'est alors devenue Hydro-Québec, on dut s'adresser aux milieux financiers américains. Ne fût-ce que pour cette seule raison, compte tenu de l'importance des tractations qui s'ensuivirent, il devint primordial que le Québec soit bien en selle à New York. Ce fut le début d'une relation toute particulière entre le gouvernement du Québec et Hydro-Québec d'une part et certaines maisons de courtage de Wall Street, d'autre part.

Dans un autre ordre d'idées, le gouvernement Lesage a voulu renouer avec ce qu'on appelait alors le Canada français outre-frontière. On établit donc des liens nouveaux avec une certaine francophonie américaine. Aussi Lesage alla-t-il à Lafayette, en Louisiane, pour examiner avec les autorités de cet État la possibilité de favoriser des échanges culturels entre le Québec et la Louisiane. Le premier ministre se rendit encore au New Hampshire pour y recevoir un doctorat honorifique du Portsmouth College.

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Jean Lesage a visité les États-Unis à cinq reprises au cours de ses six années au pouvoir . Ces visites correspondaient sans doute à une nette intention de faire connaître la révolution tranquille et de promouvoir l'image d'un Québec moderne à la fois fier de sa spécificité et ouvert aux relations extérieures. Il faut dire que les Américains ont assez bien répondu. Sans doute le Québec est-il demeuré ignoré de la grande majorité, même chez les élites bien informées, mais les invitations ne manquèrent pas et un intérêt nouveau pour le Québec s'est dessiné ici et là. Lesage a été honoré par des Américains en quelques occasions.

Daniel Johnson a succédé à Jean Lesage et s'est empressé à son tour de se rendre à New York à deux reprises, pour s'adresser aux investisseurs et aux élites économiques de la métropole américaine. Le règne de Jean-Jacques Bertrand a été trop court et trop agité (course au leadership, graves problèmes internes) pour lui permettre de visiter les États-Unis. C'est tout de même à cette époque que furent créées ou projetées les délégations de Lafayette, Boston, Chicago, Los Angeles et Dallas.

C'est sous Robert Bourassa (1970-1976) qu'une véritable politique articulée du Québec envers les États-Unis a pris forme. D'une part en raison du projet de la Baie-James et des préoccupations économiques du premier ministre libéral, d'autre part à cause des diverses délégations qui s'organisaient et se développaient. Les voyages ministériels sont devenus fréquents, Bourassa lui-même a effectué sept visites. Il n'en reste pas moins que les [69] relations extérieures du Québec sont restées, même à cette époque, centrées sur l'Europe, tout particulièrement sur la France.

Le gouvernement du Parti québécois, qui a succédé à celui de Bourassa en novembre 1976, s'est efforcé aussi de maintenir une relation privilégiée avec la France. Cependant le premier ministre Lévesque a voulu accentuer les relations avec les États-Unis auxquels il s'intéressait tout particulièrement. Les voyages américains se sont grandement multipliés. D'abord sans doute parce que René Lévesque se sentait plus à

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l'aise avec les Américains ; mais surtout parce qu'il importait de rectifier l'image d'un gouvernement perçu comme dangereusement radical. Dès l'annonce de la victoire du Parti québécois dont l'objectif clairement annoncé était de réaliser la souveraineté du Québec, on s'est inquiété quelque peu aux États-Unis ; on avait tendance à se méfier des orientations de ce gouvernement non seulement « séparatiste » mais aussi plutôt « gauchisant ». Il fallait donc rassurer les Américains. René Lévesque se rendit donc à New York, moins de deux mois après avoir pris le pouvoir. Se voulant délibérément transparent et candide, dans un discours devant l'Economic Club de New York, il s’est employé à justifier son projet souverainiste en faisant une comparaison avec la Révolution américaine survenue deux cents ans plus tôt. Son auditoire est demeuré tout à fait sceptique, se refusant à voir dans la cause québécoise une réplique du grand mouvement indépendantiste de 1776. On évoqua plutôt la sécession des États du Sud de 1861 et la guerre civile qui en a résulté.

Même si les souverainistes québécois les plus ardents ont admiré le courage de René Lévesque et souscrit à la teneur de son discours, il apparut bientôt évident à l'état-major du gouvernement québécois qu'il fallait de toute [70] urgence rectifier le tir. Il était impensable qu'on puisse mettre en œuvre un projet souverainiste auquel le voisin américain serait activement hostile. Il fallait aussi empêcher que le Québec perde toute crédibilité auprès des milieux économiques. Surtout on devait cesser de croire qu'on pourrait persuader les Américains du bien-fondé de la souveraineté et gagner leur appui.

Qu'on n'y ait pas songé plus tôt, semble-t-il, ni au Cabinet du premier ministre, ni au ministère des Affaires intergouvernementales témoigne de la pauvreté des connaissances qu'on avait accumulées sur les États-Unis en ces hauts lieux du pouvoir. Voilà le résultat du peu d'attention portée par les élites québécoises à la réalité américaine. Quel paradoxe que celui d'une société vivant, à bien des égards, à la remorque des États-Unis, subissant une forte influence culturelle du voisin du sud et très dépendante de la superpuissance américaine pour sa sécurité, mais dont les élites, formées en Europe, se comportaient comme si le Québec pouvait s'abstraire de sa situation géographique !

On était même allé, au Parti québécois, jusqu'à concevoir un programme selon lequel un Québec souverain aurait adopté une politique neutraliste et serait demeuré à l'écart d'alliances de guerre froide comme l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et l'Organisation de la défense aérienne de l'Amérique du Nord (NORAD). Pourtant, il aurait suffi de bien regarder une carte géographique et de connaître un tant soit peu la politique de [71] défense des États-Unis pour se rendre compte que le Québec était irrémédiablement inscrit dans l'espace stratégique américain. Dans le contexte de la guerre froide, le neutralisme était impossible. Les seules velléités de retrait des alliances faisaient du Québec un « Cuba du Nord », expression excessive mais bien révélatrice des inquiétudes de certains milieux aux États-Unis, utilisée pour la première fois par William Safire, journaliste conservateur du New York Times.

Des personnes aussi pragmatiques que René Lévesque et Claude Morin, son ministre des Affaires intergouvernementales, ont vite compris qu'il était impératif de corriger les éléments imprudents du programme et de mettre en œuvre une nouvelle stratégie à l'endroit des États-Unis. Le Québec devait apparaître résolument comme un État ouvert à l'économie de marché et qui appuyait la politique américaine de guerre froide. Un Québec souverain serait membre des grandes alliances occidentales. Pour ce faire, on lança en 1978 l'« Opération Amérique » qui se traduisit par un « blitz » d'interventions à plusieurs niveaux auprès de la classe politique américaine, auprès des cercles d'élites de la politique étrangère et des milieux universitaires et surtout auprès des investisseurs, des clients et autres partenaires économiques. Plusieurs ministres ont voyagé aux États-Unis pour rencontrer des personnes influentes et prononcer des discours. Le premier ministre lui-même s’y est rendu à plusieurs reprises. En 1978, il alla à Boston, à New York, à Chicago, à Los Angeles. En 1979, il se rendit en Louisiane, il chercha même à apprivoiser Washington où il accepta l'invitation du National Press Club et rencontra l'influent sénateur du Maine, Edmund Muskie. Il visita encore New York et des États de la Nouvelle-Angleterre. Un peu partout le message était le même : le [72] Québec est ouvert aux affaires, amical à l'endroit des États-Unis et ne pourrait être, s'il devenait souverain, qu'un partenaire loyal. Non seulement aucun effort ne fut fait pour démontrer le bien-fondé de la souveraineté, mais on a même laissé en poste des délégués fédéralistes.

Après la déconvenue référendaire de 1980, les activités américaines se sont accrues. Tout se passait

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comme si, une fois l'hypothèque du projet souverainiste levée, on se sentait encore plus libre de traiter avec les Américains. L'année 1982, en particulier, a donné lieu à un nombre très élevé de visites, à une activité sans précédent. Peut-être, en cette triste année de récession économique et de défaite constitutionnelle, a-t-on voulu compenser par une percée plus significative que jamais dans l'axe économique nord-sud. Durant ce second mandat du Parti québécois, on a noté un certain virage à droite de la politique québécoise, dans la foulée du grand mouvement occidental de valorisation de l'entreprise privée, et pas moins de 97 voyages ministériels furent effectués aux États-Unis. Dans la plupart des cas, il s'agissait d'activités de nature économique.

Le retour de Robert Bourassa au pouvoir en 1985 ne pouvait que signaler le renforcement de cet accent porté aux dossiers économiques dans le domaine international. Même si les voyages aux États-Unis furent un peu moins nombreux, sans doute parce que les libéraux n'avaient pas a prouver leur orthodoxie capitaliste autant que leurs prédécesseurs du Parti québécois, Bourassa a gardé le cap sur les bonnes relations avec les Américains et sur tout ce qui pouvait favoriser l'intensification des échanges économiques. Il se rendit lui-même à New York et à Washington peu de temps après son élection. Son gouvernement appuya vigoureusement le projet de libre-échange mis en [73] œuvre par le gouvernement fédéral de Brian Mulroney. On chercha seulement à faire valoir les intérêts du Québec auprès des négociateurs du traité. Bourassa était aussi très préoccupé par le projet d'envergure d'Hydro-Québec à Grande-Baleine qu'il s'employa à vendre aux Américains. Le succès fut fort mitigé en raison d'une baisse de la demande énergétique et des objections hautement publicisées des communautés autochtones.

Une fois le traité de libre-échange ratifié, le gouvernement du Québec a dû s'employer à en défendre une interprétation favorable aux activités économiques des entreprises québécoises. Des firmes d'avocats furent mises à contribution pour plaider auprès du département américain du Commerce ou encore auprès des tribunaux d'arbitrage prévus par le traité.

L'arrivée au pouvoir de Jacques Parizeau en 1994 n'a pas entraîné une modification considérable de la politique américaine du Québec. Sans doute le contexte politique s'en est-il trouvé profondément bouleversé, le Québec devant faire face encore une fois à de fortes appréhensions eu égard au référendum annoncé sur la souveraineté. En conséquence, les programmes d'affaires publiques devinrent plus pertinents et plus complexes. Les interventions furent donc plus nombreuses auprès des médias et des organismes influents. Toutefois on continua de mettre l'accent sur les dossiers économiques à l'intérieur des réseaux déjà constitués.

Jacques Parizeau se rendit à New York quelques mois après son arrivée au pouvoir, comme le voulait la tradition. Son discours auprès du prestigieux Council on Foreign Relations prit une importance particulière en raison des positions fermes du premier ministre sur la souveraineté du Québec. Par ailleurs, l'annulation du projet [74] Grande-Baleine allégea l'atmosphère des relations en matière énergétique. Cependant, en dépit du respect qu'on portait à l'économiste qu'était Parizeau, dans les milieux qui s'intéressaient au Québec, son message ne passait pas très bien, soulevant des questions et des inquiétudes.

Lucien Bouchard, qui a succédé à Parizeau après l'échec référendaire, est apparu plus rassurant, en raison surtout de sa politique de réduction du déficit gouvernemental. Il fit l'objet d'un éditorial plutôt positif du New York Times , quelque temps après sa prise de pouvoir. Cela lui ouvrit la voie quand il visita la capitale financière en juin 1996.

Les fermetures de délégations et la scission du ministère des Affaires internationales, à l'hiver 1996, ont entraîné un réaménagement de la politique québécoise aux États-Unis. Tous les amis que le Québec s'était gagnes peu a peu au cours des années dans les régions couvertes par les missions de Boston, Chicago, Los Angeles et Atlanta ont vivement déploré les abandons subits. Des bureaux économiques furent maintenus à l'intérieur de succursales de la Banque Nationale, les ministres et autres représentants du Québec voyageaient encore aux États-Unis. Toutefois la brusque fermeture de trois délégations et d'un bureau ont nui sérieusement aux réseaux d'influence qui avaient été patiemment tissés pendant plus de vingt-cinq ans. Nous y reviendrons plus loin.

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La division des effectifs québécois en deux ministères, celui de l'Industrie et du Commerce pour les opérations commerciales et celui des Relations internationales pour le reste, ne facilita pas les choses. Non seulement la présence québécoise était-elle diminuée, mais elle a été encore [75] scindée en deux secteurs indépendants dont les activités ne sont pas toujours bien coordonnées. Malgré tout, les objectifs de la présence québécoise n'ont pas changé.

LES OBJECTIFS

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Ces objectifs sont exprimés d'une manière générale et sommaire dans le rapport annuel de 1996-1997'du ministère des Relations internationales :

[...] promouvoir les intérêts du Québec dans leur ensemble et, plus particulièrement sa relance économique dont, entre autres, celle de Montréal [...]

[...] faire connaître et [...] mieux faire comprendre la spécificité québécoise .

On peut donc distinguer deux grandes missions québécoises aux États-Unis, l'une de caractère économique, l'autre dite « d'affaires publiques » ayant pour but de mettre en valeur l'image du Québec et de favoriser des échanges humains bénéfiques pour les Québécois.

Il est indéniable que les objectifs économiques ont presque toujours pris le dessus sur les autres. Les États-Unis représentent avant tout aux yeux des Québécois la richesse matérielle. C'est d'abord pour tirer parti de cette richesse toute proche qu'on a conçu une politique américaine. Ainsi, dès les années soixante, comme on l'a vu plus haut, exception faite d'une vague mission de promotion de l'Amérique française assez vite reléguée aux oubliettes, ce sont les intérêts économiques qui ont donné le ton aux relations avec les États-Unis. D'abord parce qu'on y trouve [76] toujours la meilleure justification des dépenses en matière de relations internationales auprès de la population. Ensuite parce que les circonstances ont imposé New York comme lieu par excellence des emprunts québécois. Enfin parce que les États-Unis constituent d'emblée un important partenaire commercial pour le Québec.

Une présence québécoise aux États-Unis a donc pour but de faciliter les négociations relatives aux emprunts, aux ventes d'obligations et autres opérations financières. Elle vise encore à attirer au Québec des investissements qui seront générateurs d'emplois, de transferts technologiques et de prospérité. Cet objectif a été particulièrement mis de l'avant à une époque où le gouvernement fédéral avait entrepris de restreindre les investissements étrangers au Canada. Aussi, en 1982, par exemple, quand sévissait encore l'Agence canadienne d'examen des investissements étrangers, le ministre des Affaires intergouvernementales d'alors, Jacques-Yvan Morin, résumait ainsi la position de son gouvernement :

Le Québec ne partage pas le point de vue d'Ottawa sur les investissements étrangers. Nous prônons une politique beaucoup plus ouverte [...] nous croyons que l'avenir réside dans le développement d'un axe économique nord-sud renforcé .

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Il n'est pas sûr que le Québec ait beaucoup profité de cette situation, qu'il soit parvenu à accroître les sympathies américaines en exploitant les antagonismes entre le [77] Canada et les États-Unis. Comme on l'a vu au chapitre précédent, la position du Québec dans le triangle nord-américain ne lui laisse guère de marge de manœuvre dans ce genre d'opération. De toutes manières, les choses ont bien changé par la suite. Même si le Québec peut encore prétendre à une ouverture plus grande aux échanges économiques nord-sud, en raison de son appui marqué aux accords de libre-échange, le gouvernement canadien semble avoir rompu pour de bon, même sous les libéraux, avec une politique restrictive en matière d'investissements étrangers.

La promotion du commerce constitue un autre objectif important de la mission québécoise aux États-Unis. Sans doute, les plus grandes entreprises, telles que Bombardier et Alcan, peuvent se passer des services du Québec et bénéficient à l'occasion d'interventions du gouvernement fédéral. Mais bon nombre de petites et moyennes entreprises (PME) québécoises ont pu recourir aux bons offices des diverses délégations ou bureaux du Québec. Enfin, comme on l'a vu plus haut, depuis la signature des accords de libre-échange, la défense des intérêts de firmes québécoises sujettes aux poursuites entreprises par des concurrents américains est devenue pour le Québec un objectif prioritaire.

Les objectifs économiques ont donc pris de l'ampleur depuis le milieu des années soixante-dix. Contrairement à l'image qu’on se faisait du Parti québécois, c'est bien le gouvernement de René Lévesque qui a accentué l'offensive économique entre 1977 et 1985. Les gouvernements suivants ont emboîté le pas à tel point que les autres dossiers ont pu être négligés. Sous Robert Bourassa, par exemple, avec des ministres des « Affaires internationales » comme Paul Gobeil et John Ciaccia, la diplomatie québécoise, aux [78] États-Unis comme ailleurs, a pris des allures de campagne de promotion économique à l'exclusion d'autres actions de nature plus politique. On se faisait gloire, à l'occasion, de s'en remettre à la politique étrangère du Canada pour tout ce qui n'entrait pas dans des préoccupations strictement économiques. Le retour du Parti québécois a ramené à l'avant-scène le message politique sans pour autant déloger les priorités économiques.

D'ailleurs, même sous les libéraux, les programmes d'affaires publiques ont été poursuivis discrètement. On peut donc affirmer que ces objectifs politiques et culturels n'ont jamais été abandonnés. Ainsi, dans le Rapport d'évaluation du réseau de représentations du Québec, commandé par le gouvernement Bourassa et déposé en 1988, on établit un lien étroit entre les priorités économiques et le domaine culturel :

Les intérêts d'ordre culturel seront mieux perçus si l'on se réfère aux images et aux perceptions négatives qui prévalent encore sur le Québec aux États-Unis. Ces perceptions ont souvent été véhiculées par la presse anglophone et ont cheminé sur les États-Unis via Toronto. Il y a tout un travail à faire dans le domaine des affaires publiques pour construire une image du Québec plus conforme à la réalité .

Il faut donc considérer que le souci de bien faire connaître le Québec et d'en diffuser une image positive représente un objectif prioritaire du champ des affaires publiques. Comment, en effet, peut-on seulement songer à défendre les intérêts économiques du Québec si la société québécoise est méconnue ou perçue négativement ? [79] C'est là un objectif particulièrement vital pour une population à majorité francophone située dans un univers anglophone et s'il a pu être conçu et poursuivi à l'occasion comme une entreprise de propagande ou de séduction, on a compris le plus souvent que la simple projection de la réalité québécoise était requise pour corriger de fréquentes distorsions.

Faire connaître la réalité québécoise, cela signifie, entre autres, bien faire comprendre la position du Québec dans la fédération canadienne. Pour les gouvernements québécois, libéraux comme du Parti québécois, il importe toujours de rendre compte des exigences traditionnelles du Québec à l'intérieur du

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Canada. Cela peut revenir à mettre en évidence les différences profondes entre le fédéralisme canadien et celui des États-Unis. Sans doute un gouvernement du Parti québécois est-il tenté d'aller plus loin et d'entreprendre de démontrer la faillite du fédéralisme canadien. Cet objectif n'a pas été longtemps poursuivi après le discours de René Lévesque à New York en janvier 1977. Jacques Parizeau s'est proposé d'y revenir tandis que Lucien Bouchard a été plus discret, mais il n'est pas sûr que la promotion de la souveraineté soit devenue un objectif de la présence québécoise aux États-Unis. En dépit de certaines déclarations et des perceptions fédérales, nous avons tendance à croire que tel n'est pas le cas. Nous croyons surtout que cela ne doit pas être le cas pour la bonne raison que l'objectif est tout à fait irréalisable.

Faire connaître le Québec signifie encore faire rayonner ses productions culturelles. Cela a toujours constitué un objectif important. Certes, bien des artistes québécois ont pu se produire aux États-Unis sans bénéficier de l'aide des missions québécoises. Céline Dion en est l'exemple le plus patent. Mais quantité d'autres troupes ou organismes [80] ont pénétré les auditoires américains grâce aux services du Québec aux États-Unis. En contrepartie, des artistes ont aidé le Québec à se doter d'une image de dynamisme et de créativité.

Cet objectif de rayonnement culturel s'est doublé de celui de la promotion des échanges universitaires dont bénéficient autant les étudiants québécois dans des universités américaines que des Américains séjournant dans les maisons québécoises de haut savoir. Il en ressort un autre objectif d'une politique du Québec aux États-Unis, qui n'a pas été souvent énoncé et qui n'en est pas moins fort valable : c'est celui de faire connaître les États-Unis aux Québécois. En effet, s'il est impératif pour le Québec de se faire connaître chez ses voisins, il est encore extrêmement important, en fonction des multiples interventions québécoises en sol américain, d'acquérir une juste compréhension de la politique et de la culture américaines. Or, répétons-le, même si les Québécois baignent quotidiennement dans la mouvance des États-Unis, ils connaissent mal le pays voisin.

LES ACTIONS

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Comment les objectifs ont-ils été poursuivis au cours des ans ? Jetons un coup d'œil sur les actions entreprises par le gouvernement du Québec et ses diverses missions. Cela soulève la question de la représentation québécoise et se traduit en outre par la conclusion d'ententes et par de nombreuses visites.

De 1996 à 1999, le Québec n'était plus représenté aux États-Unis que par la délégation générale de New York. Un bureau de tourisme a été maintenu à Washington. Le conseiller politique aux affaires nationales, officiellement rattaché [81] à la mission de New York, a exercé dans la capitale américaine des fonctions dites de monitoring. Pour des raisons d'économie budgétaire, les délégations de Boston, Chicago, Los Angeles et le bureau d’Atlanta ont été fermés. À Boston, cependant, on avait conservé un petit bureau commercial qui devrait redevenir une délégation à la fin de 1999.

S'il fallait restreindre la représentation québécoise, il allait de soi que la délégation générale de New York devait être maintenue. Cette mission joue un rôle de quasi-représentation nationale. Parce que le gouvernement américain ne reconnaît pas le Québec comme un interlocuteur gouvernemental, il ne lui accorde aucun statut diplomatique ; cependant, il autorise sa présence à titre d'agent chargé des intérêts « financiers, commerciaux, touristiques et culturels » du Québec aux États-Unis. En vertu du Foreign Agent Registration Act, une loi américaine qui vise à assurer une surveillance étroite des activités des agents étrangers, ceux-ci doivent s'inscrire auprès du département américain de la justice et soumettre un rapport sur leurs activités deux fois par année. C'est la délégation générale de New York, seule, qui rédige ce rapport au nom de tous les agents québécois aux États-Unis. Les autres délégations sont donc considérées comme des prolongements de la représentation new-yorkaise.

New York étant la métropole financière des États-Unis, le cœur de la région économique voisine du

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Québec et un centre culturel international, il était tout naturel que le Québec y installe son premier bureau et y maintienne sa plus importante délégation, le navire amiral de sa présence aux États-Unis. Mais était-il sage de fermer d'un seul coup toutes les autres missions ? Voyons ce que cela signifie.

La délégation de Boston assurait la présence du Québec dans une région bien délimitée et assez distincte [82] de celle de New York : la Nouvelle-Angleterre et ses six États. La ville de Boston est devenue l'un des centres américains les plus importants de recherche scientifique et technologique. Le marché de la Nouvelle-Angleterre constitue environ 20% des exportations québécoises, 17% du tourisme américain au Québec. Cette région est aussi un lieu où les relations intergouvernementales et interparlementaires sont très développées, un centre universitaire exceptionnel et finalement celle où le Québec maintient des liens avec des populations franco-américaines d'origine québécoise.

Chicago est sise au cœur de la région industrielle la plus développée des États-Unis. C'est le centre national des réseaux de transport aérien, ferroviaire et routier, trois secteurs industriels développés au Québec. Le Québec s'intéresse particulièrement à cette région en ce qui a trait aux dossiers reliés à l'énergie et à l'environnement, notamment la pollution des Grands Lacs. Dans la mesure où les populations de cette région entretiennent des perceptions du Canada très centrées sur l'Ontario, il importe d'y refléter la spécificité québécoise, d'autant plus qu'il s'agit d'un marché de choix pour les exportations.

Los Angeles est la ville où sont concentrées les grandes industries aéronautiques avec lesquelles le Québec se doit d'entretenir des liens. La Californie et les États voisins constituent un marché exceptionnel, celui où les exportations québécoises croissent le plus rapidement. On cherche particulièrement à attirer l'industrie cinématographique vers le Québec. Il importe aussi de veiller aux perceptions à l'intérieur d'un réseau universitaire et culturel d'envergure. Enfin, Atlanta est un autre centre dynamique de l'économie américaine. Le bureau du Québec y assurait des contacts importants et rayonnait [83] dans les États voisins, particulièrement en Floride et au Texas.

Il n'est pas facile de démontrer que les économies réalisées par la fermeture de ces délégations n'en valaient pas la chandelle. Cependant il ne fait aucun doute qu'on n'a pas réussi à remplacer vraiment un travail de « réseautage » et de présence active qui s'était poursuivi durant plus de vingt-cinq ans. Plusieurs amis du Québec ont déploré ces fermetures et ont eu du mal à reconstituer leurs liens québécois par l'intermédiaire de New York. Peut-être les bureaux installés à même ceux de la Banque Nationale parviennent-ils à poursuivre le travail interrompu dans plusieurs dossiers économiques. Mais en matière d'information (monitoring), de contacts humains et culturels, et de meilleure connaissance du Québec, comment ne pas enregistrer un net recul ?

On a tout de même laissé intact le petit bureau de Washington et la présence du conseiller aux affaires nationales dans la capitale. Vu l'importance de cette représentation et le contentieux qu'elle suscite, il convient de s'y arrêter. En 1979, dans la foulée de l'« Opération Amérique », avec l'autorisation du gouvernement canadien de Joe Clark, plus conciliant que Pierre Trudeau, on a ouvert un bureau de tourisme en plein cœur de Washington. Le gouvernement du Québec insistait sur le rôle particulier de ce bureau. Il n'aurait aucune fonction politique mais servirait exclusivement à attirer des congrès et autres manifestations au Québec. Comme la plupart des grandes associations américaines ont leur siège dans la capitale, il importait d'agir auprès d'elles et de les persuader de tenir leurs réunions à Montréal ou à Québec. Dans l'atmosphère d'inquiétude suscitée par le nouveau gouvernement souverainiste, il était difficile toutefois de ne pas y voir une [84] manière détournée d'assurer une présence québécoise qui ne pouvait pas être apolitique. D'autant plus que le petit bureau a bientôt servi de pied-à-terre aux membres du gouvernement qui se sont rendus à Washington. Il n'en demeure pas moins que le seul fonctionnaire québécois en poste était le conseiller en matière de tourisme, personne tout à fait détachée des objectifs politiques de son gouvernement.

Le gouvernement fédéral du Canada (surtout sous Trudeau) s'était toujours refusé à autoriser quelque bureau provincial à Washington. D'autres provinces avaient tenté sans succès de s'y installer. Dans le contexte préréférendaire de cette époque, la présence québécoise, si « touristique » fut-elle, a donc suscité des inquiétudes qui se sont accrues quand on a eu vent d'un projet québécois de créer un poste d'agent

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d'information à l'intérieur du bureau de Washington. Par prudence, et pour se conformer à la tradition établie de ne pas ouvrir de mission sans l'assentiment du gouvernement fédéral, le gouvernement québécois n'a pas assigné de nouvelles fonctions à son bureau. Il s'est contenté de faire voyager le conseiller aux affaires nationales entre New York et Washington et de lui demander d'exercer, au cours de ses séjours dans la capitale américaine, des fonctions de monitoring et de dialogue avec des grands centres de recherche. Comme le gouvernement fédéral ne pouvait pas d'autorité empêcher ces activités, le Québec a pu maintenir son « agent d'information ».

En effet, la présence québécoise aux États-Unis revêt ce caractère particulier d'être toujours demeurée officiellement concentrée à New York. Le département américain de la justice, comme on l'a vu plus haut, n'exige d'autre rapport d'activités que celui de la délégation générale de New York et considère les autres bureaux comme des [85] prolongements de cette délégation. Ottawa ne peut donc demander au gouvernement américain de ne pas autoriser de bureau du Québec à Washington.

Le seul moyen dont dispose le gouvernement canadien pour contrer la présence québécoise à Washington consiste à refuser d'entériner la demande du visa de séjour A-2 qui est requis pour les agents étrangers vivant aux États-Unis. Comme cette demande doit s'adresser au département d'État, c'est Ottawa qui est en mesure de la transmettre. Le gouvernement canadien a utilisé ce moyen en 1988 après avoir constaté que Québec avait permis à son conseiller aux affaires nationales de New York de louer un appartement à Washington. Au moment du remplacement de ce fonctionnaire par un autre, le ministère des Affaires extérieures a cru bon bloquer la demande de visa et remettre en cause les modalités de la présence du Québec dans la capitale. Dans une note transmise par le conseiller du ministère pour les affaires fédérales-provinciales au directeur général de la planification du ministère québécois des Relations internationales, Ottawa établit sa position :

Le gouvernement canadien considère obligatoire que le Canada assure une présence active, diligente et homogène à Washington et auprès des organismes fédéraux américains. Dans ce contexte, il tient pour essentiel que le caractère d'unicité dont il veut marquer sa présence à Washington ne puisse être modifié de quelque manière que ce soit .

La note poursuit en énonçant des conditions plutôt sévères à la présence d'un agent québécois à Washington : [86] le bureau principal du conseiller doit demeurer à New York, sa résidence doit également être située dans la région de New York à l'exclusion de toute résidence secondaire à Washington, les visites à Washington devront être de courte durée et d'une fréquence irrégulière dans le respect de la « politique établie » qui exclut tout accès au gouvernement fédéral des États-Unis sans être accompagné d'un fonctionnaire de l'ambassade canadienne. Le gouvernement québécois d'alors souscrit à ces conditions à tout le moins pour la durée de l'affectation du conseiller aux affaires nationales pour lequel on avait demandé un visa. Dans une lettre, rendue publique, du ministre canadien des Affaires étrangères au ministre québécois des Relations internationales, à l'été de 1997, il est fait allusion à cet échange de notes comme à « des directives établies [...] sur l'unicité de la présence canadienne à Washington ». On invoque l'ampleur, la diversité et la complexité des relations du Canada avec le gouvernement américain de même que la fluidité et l'extrême hétérogénéité des centres de décision américains pour exclure toute présence officielle des provinces canadiennes. Le ministre poursuit en manifestant ses inquiétudes :

Je m'opposerais à ce que, se servant du bureau du tourisme à Washington, certains de vos représentants s'y installent et y œuvrent en permanence comme s'il s'agissait d'une délégation pour exercer des fonctions de représentation du Québec auprès des autorités américaines .

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Le ministre québécois a répondu en insistant sur les fonctions particulières du bureau du tourisme, en reconnaissant le rôle diplomatique exclusif du gouvernement [87] canadien mais en faisant valoir les champs de compétence du Québec, notamment en matière d'éducation et de culture. « Ainsi, écrit le ministre, le gouvernement du Québec estime essentiel de devoir répondre aux demandes qui lui sont soumises et aux questions qui lui sont formulées, sans pour cela remettre en question le rôle du gouvernement du Canada auprès du gouvernement des États-Unis . » La position du gouvernement québécois demeure donc assez ferme. Le conseiller aux affaires nationales de New York poursuivra ses activités de repérage d'information, d'établissement de liens interpersonnels avec des personnages influents, de défense des intérêts du Québec auprès de l'ambassade canadienne et de contacts auprès des diverses institutions de haut savoir de la capitale et des organismes de recherche dits think tanks.

Dans le contexte postréférendaire d'après 1995, on peut comprendre que le gouvernement fédéral veuille maintenir une position exclusive. Mais il faut noter aussi que, tout au moins depuis le référendum québécois, le conseiller aux affaires nationales n'agit en aucune façon dans le sens d'une promotion de la souveraineté du Québec. Ses activités visent plutôt à faire connaître le Québec tel qu'il est et à recueillir toute l'information nécessaire au gouvernement québécois sur la politique américaine. Il est à souhaiter que ces activités se poursuivent en harmonie avec l'ambassade canadienne par l'intermédiaire du conseiller affecté aux dossiers des provinces. Ce n'était toujours pas évident en 1998.

S'il n'existe pas de relations directes entre Québec et Washington, il en va autrement des relations avec les États américains dans divers cadres bilatéraux ou multilatéraux.

[88]

RELATIONS AVEC LES ÉTATS

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Si l'on tient compte de l'énorme flux de relations transfrontalières entre le Canada et les États-Unis, il est clair que les relations proprement politiques entre les deux États fédéraux ne peuvent constituer que la partie visible d'un immense iceberg. Dans ce contexte, les deux gouvernements fédéraux, pour jaloux qu'ils soient de leur juridiction en matière de politique étrangère, se sont montrés plutôt tolérants (d'une manière plus nette dans le cas de Washington) à l'égard des relations entre États américains et provinces canadiennes.

Le gouvernement du Québec a donc poursuivi des relations assez intenses avec bon nombre d'États américains, tout particulièrement avec ceux qui sont situés à proximité comme les États de la Nouvelle-Angleterre et de New York et avec ceux où se trouvaient des délégations ou bureaux. Ces échanges fréquents ont donné lieu à un grand nombre d'ententes officielles portant principalement sur des questions économiques et commerciales, sur les réglementations en matière de transport comme, par exemple, des accords avec de nombreux États sur l'immatriculation des véhicules automobiles. D'autres portent sur l'environnement. Quelques-unes touchent à l'éducation, à la recherche, aux communications et à la culture. Il existe aussi des programmes d'échange d'étudiants.

L'État de New York apparaît comme un partenaire privilégié. Plusieurs ententes sont en vigueur entre le Québec et lui sur des sujets aussi variés que l'environnement, la coopération énergétique, l'exécution réciproque d'ordonnances alimentaires, l'échange de renseignements en matière de taxes, de circulation routière et, enfin, à propos de toutes les questions relatives à la réserve mohawk d'Akwesasne qui chevauche le Québec, l’Ontario [89] et New York. En général, le gouverneur de l'État de New York et le premier ministre québécois se sont rencontrés une fois l'an depuis 1983. Il n'y a pas eu de rencontre toutefois en

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1997.

L'État du Vermont, en raison de sa frontière commune avec le Sud du Québec, a fait l'objet d'attention particulière en dépit de sa petite taille. C'est l'un des États les moins populeux des États-Unis. Le premier ministre du Québec a souvent entretenu des relations personnelles avec le gouverneur de cet État. Les ventes d'électricité et le réseau des lignes de haute tension y sont pour beaucoup de même que la gestion commune du lac Champlain. Le Vermont constitue une sorte de relais économique entre le Québec et l'ensemble des États-Unis. Le Maine est aussi un partenaire politique et économique important. Les visites du gouverneur à Québec sont fréquentes. Le Massachusetts fait l'objet d'une attention particulière surtout en raison de l'importance de sa capitale, Boston, du commerce et des échanges nombreux de population.

D'autres États, entre autres la Louisiane, la Virginie, la Californie, le Wisconsin, la Pennsylvanie, ont signé des ententes avec le Québec. Il ne faudrait pas conclure pour autant à une activité diplomatique intense du Québec auprès de ces États puisque la grande majorité de ces ententes sont de nature technique.

Les relations intergouvernementales se sont encore poursuivies au sein de quelques institutions multilatérales permanentes qui ont contribué à affermir les liens entre le Québec et ses partenaires américains. Mentionnons d'abord la Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l'Est du Canada. Cette institution, qui consiste essentiellement en l'organisation d'une conférence annuelle entre les dirigeants de [90] six États de la Nouvelle-Angleterre (Massachusetts, Connecticut, Rhode Island, Maine, New Hampshire et Vermont) et des cinq provinces de l'Est (Terre-Neuve, les Maritimes et le Québec), a été mise sur pied en 1973 et comporte deux secrétariats permanents, l'un à Halifax pour le Canada, l'autre à Boston pour les États américains. Les conférences annuelles ont pour but de fournir un mécanisme de consultation et de concertation pour les gouvernements concernés dans les domaines de l'énergie, de l'histoire locale, de l'agriculture, du tourisme et de l'environnement. Des comités en sont issus : un groupe de travail sur la production forestière, un comité de l'environnement, deux comités de coopération économique et de développement non préjudiciable à l'environnement et, enfin, le North East International Committee on Energy (NICE), comité international sur l'énergie. Ces comités fonctionnent souvent en fonction d'ententes tripartites entre la Nouvelle-Angleterre, les provinces maritimes et le Québec.

Ces conférences et comités n'ont pas donné lieu à des politiques qui auraient contesté celles des États fédéraux américain ou canadien, mais elles ont permis des échanges d'information et l'expression d'intentions qui ont pu conduire à des accords officiels. Le Québec a cherché à tirer parti de ces rencontres pour se tailler une place unique dans le réseau des relations dites « infranationales » du Nord-Est américain. Il est parvenu parfois à conférer dans les faits une structure tripartite à cette organisation.

Le Québec participe aussi, par l'intermédiaire de ses parlementaires, à diverses activités de la National Conference of State Legislatures et du Council of State Governments. La Commission des Grands Lacs est une autre institution où le Québec a été présent, surtout comme [91] observateur, mais dont il a su profiter pour mettre en place des mécanismes de coopération avec les États riverains des Grands Lacs, notamment en matière d'environnement : par exemple, le Comité de gestion des ressources des Grands Lacs et le Groupe de travail sur l'élimination des substances toxiques dans le Saint-Laurent et dans les Grands Lacs. Mentionnons encore une quinzaine de comités ou groupes de travail formés conjointement par le Québec et l'État de New York, en particulier sur l'énergie, l'environnement, les pluies acides et le développement technologique. Le Québec participe aussi, depuis 1998, à des rencontres entre les gouverneurs des États riverains des Grands Lacs et le premier ministre de l'Ontario.

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AUTRES ACTIVITÉS

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Il faut ajouter à toutes ces activités celles qui concernent le monde de l'éducation et les milieux culturels. Les représentants du Québec ont encouragé la création d'associations comme l'American Council for Quebec Studies, subventionné la revue Quebec Studies, tout en conservant des liens avec la grande Association for Canadian Studies in the United States (voir plus loin, au chapitre 10). On a facilité l'organisation de nombreux colloques en divers endroits. Des cours portant au moins partiellement sur le Québec ont été stimulés par l'envoi de professeurs du Québec pour des contributions ponctuelles. On a aussi incité et encouragé la tenue de congrès au Québec comme ceux de l'American Association of Teachers of French. Des conférenciers québécois se sont produits sur diverses tribunes avec l'aide du gouvernement.

Le ministère québécois a aussi activement promu la diffusion de nombreuses manifestations culturelles issues [92] du Québec, le plus souvent par l'intermédiaire des délégations. À New York et dans la région adjacente, on ne compte plus les succès d'artistes québécois patronnés par la délégation générale.

On a encore déployé des efforts constants pour corriger une information souvent inadéquate sinon fausse ou biaisée en ce qui a trait au Québec. À cet égard, le bulletin mensuel Quebec Update, publié depuis New York, a certainement beaucoup contribué à mieux faire connaître le Québec. De plus, les représentants du Québec sont fréquemment intervenus auprès des médias, soit pour fournir de l'information, soit pour corriger des nouvelles fautives.

Toutes ces activités ont entraîné des progrès notables de la visibilité du Québec aux États-Unis, des connaissances acquises dans certains milieux et l'image d'ensemble s'est améliorée. Cette image est encore loin de bien refléter la réalité en raison de facteurs que nous analyserons plus loin. Mais elle est certainement meilleure qu'il y a vingt ans.

Assez paradoxalement, ces activités, qui ne peuvent être de nature proprement diplomatique, ont nécessité un degré de diplomatie assez élevé de la part des représentants québécois. Ces derniers n'ont pas toujours affiché autant de compétence, surtout à cause de leur manque de préparation et on ne peut que le déplorer. Il faut une bonne dose de tact et d'aptitudes diplomatiques pour manœuvrer à l'intérieur de ce grand univers anglophone très complexe. Il en faut peut-être plus pour un Québécois que pour un Canadien de langue anglaise qui fonctionne souvent aux États-Unis dans une certaine communion de pensée avec les Américains. Non pas que les conflits canado-américains ne soient pas fréquents, mais ils se traitent souvent entre amis, du moins entre personnes qui [93] se perçoivent assez bien. Le Québécois, au contraire, si voisin et si américanisé soit-il, dans la mesure où il parle une langue étrangère, est immédiatement perçu comme culturellement différent et parfois comme relevant d'un appendice bizarre à l'anglophonie nord-américaine. Il doit veiller à la fois à établir des relations harmonieuses et à expliquer sa spécificité. Il lui faut comprendre les caractéristiques des Américains, les accepter tout en tâchant de se faire accepter comme différent. Au surplus, ses moyens sont fort limités et parfois noyés par la présence canadienne qui n'exprime pas toujours très bien la « société distincte » du Québec. Compte tenu de ces difficultés et du peu de préparation de ses fonctionnaires, le Québec a tout de même réussi une percée significative.

UNE CERTAINE POLITIQUEAMÉRICAINE

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Du côté américain, l'intérêt envers le Québec reflète, on ne peut mieux, l'énorme asymétrie de la

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relation. Déjà, pour l'ensemble du Canada, les dirigeants politiques de Washington témoignent souvent d'un manque d'attention flagrant à l'endroit de leur premier partenaire économique. Les affaires canadiennes n'intéressent qu'une fraction plutôt minime des élites de la politique étrangère aux États-Unis. On peut donc s'attendre à ce que le Québec n'apparaisse que rarement à l'ordre du jour du Conseil de sécurité nationale (National Security Council) et des autres organismes responsables de l'élaboration de la politique étrangère.

Cela ne signifie pas cependant que le gouvernement américain soit à court d'information en ce qui a trait au Canada et au Québec. Bien au contraire, en dépit de l'absence d'attention au chapitre des priorités, un grand [94] nombre de personnes, à Washington, s'affairent à des questions qui concernent le Canada. On peut même affirmer qu'aucun autre pays ne reçoit l'attention d'un aussi grand nombre de fonctionnaires .

Le Canada gagne donc en étendue ce qu'il perd en intensité. En va-t-il de même pour le Québec ? Pas nécessairement, car pendant longtemps, on s'est habitué à considérer le Canada d'abord comme une partie de l'empire britannique puis comme un pays du Commonwealth, c'est-à-dire essentiellement un pays de langue anglaise. Certes, on n'ignorait pas qu'une population de langue française s'était perpétuée au Canada. L'émigration franco-américaine en faisait foi. Mais on avait tendance à croire que ce phénomène ne constituait guère plus qu'un anachronisme et que les Canadiens français finiraient bientôt par être assimilés à la majorité anglophone, comme cela se produisait en Nouvelle-Angleterre. Le président F.D. Roosevelt lui-même écrivait dans ce sens à son ami le premier ministre Mackenzie King pour le consoler de ses inquiétudes après le plébisciste de 1942 sur la conscription .

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INTÉRÊT NOUVEAU

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La révolution tranquille, le néo-nationalisme auquel elle a donné lieu et la croissance du mouvement souverainiste [95] assureront au Québec une visibilité nouvelle et sans précédent aux États-Unis. Dès 1961,on a jugé bon, à l'Agence centrale du renseignement (CIA), de produire une note sur la situation au Québec . Sans doute, cette situation ne préoccupait personne parmi les dirigeants et n'a donné lieu à quelque politique que ce soit. On peut croire cependant que, peu à peu, on a appris à considérer le Québec comme une société en train de se moderniser et de développer son caractère distinct.

En 1965, peu de temps après les célèbres discours de Paul Gérin-Lajoie au corps consulaire de Montréal, dans lesquels le ministre québécois revendiquait le droit du Québec de négocier des ententes internationales dans ses champs de compétence, cette question fut analysée au département d'État. Un mémorandum de la direction du renseignement et de la recherche (Bureau of Intelligence and Research : INR) portait le titre : « Quebec's International Status-Seeking Provokes New Row in Ottawa ». Deux ans plus tard, c'est la visite du président De Gaulle à Expo 67 qui donna lieu à une brève note : «De Gaulle to the Aid of Québec». L'année suivante, une courte recherche fut réalisée et se traduisit encore par un mémorandum : «Quebec, Ottawa and the Confederation : the 1968 Round». C'était l'époque des affrontements entre Pierre E. Trudeau, alors ministre fédéral de la justice, et le premier ministre québécois Daniel Johnson.

Même le Conseil de sécurité nationale s'arrêta brièvement sur le cas du Québec en 1969. Un mémorandum au gouvernement porte le titre : «Information on Canadian [sic] Separatism». En 1970, on réagit à l'élection de Robert Bourassa à la direction du Parti libéral du Québec, on [96] suivit de près la crise d'octobre. En 1973, un autre mémoire du INR fut rédigé : «Canada : Separatism Quiescent but not Dead».

C'est en 1977, tout naturellement à la suite de la formation d'un gouvernement du Parti québécois en novembre 1976, que le département produisit ce qui nous apparaît comme sa plus sérieuse étude sur la situation. Le document secret, déclassifié en 1989, s'intitule « The Quebec Situation : Outlook and Implications » et comporte une longue analyse bien documentée et passablement rigoureuse. L'auteur en conclut que les États-Unis n'ont pas intérêt à voir les choses se détériorer, qu'une certaine « dévolution » des pouvoirs vers le Québec est souhaitable et qu'un statut particulier pour le Québec est préférable à une décentralisation généralisée :

Une décentralisation des pouvoirs uniquement vers le Québec, particulièrement dans les domaines culturel et social - qui touchent aux droits des personnes - pourrait bien s'avérer moins contraire aux intérêts des États-Unis qu'une décentralisation générale des pouvoirs vers toutes les provinces .

Faut-il voir là l'élaboration d'une politique envers le Québec ? Pas vraiment, car tout au long de ces années d'attention épisodique à la question du Québec, c'est toujours de la relation avec le Canada qu'on se préoccupait. Le Québec n'était envisagé que comme une composante canadienne, un élément d'une politique envers Ottawa seulement. Sans doute, le caractère particulièrement [97] durable de l'ébullition du Québec contribuait-il à l'importance accrue qu'on accordait au dossier canadien. Par ailleurs, le nationalisme des politiques canadiennes au cours des années soixante-dix a fait aussi l'objet de préoccupations à Washington.

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STRUCTURES OFFICIELLES

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Alors qu'on avait tendance auparavant à laisser naviguer les relations sur les eaux calmes de la « diplomatie tranquille », on sentit le besoin, au début des années soixante-dix, de mieux structurer la politique envers le Canada. Pour remédier au fait que le voisin du nord recevait très peu d'attention de la part d'un secrétaire d'État adjoint aux affaires européennes et canadiennes, on créa un poste de Deputy Assistant Secretary of State presque entièrement consacré au Canada. Pour des raisons d'économies, le poste a été supprimé en 1993. Il existe toujours un Deputy Assistant Secretaryfor European and Canadian Affairs, mais ce sont les questions européennes qui occupent la majeure partie de son temps. Les affaires canadiennes se traitent donc surtout au bureau du Canada (Canada Desk).

Il faut dire aussi que le Canada intéresse un grand nombre d'autres ministères ou agences à Washington, en plus du secrétariat d’État et souvent même parallèlement aux structures proprement dites des affaires étrangères. Ainsi, le Conseil de sécurité nationale, les secrétariats au Trésor, au Commerce, à la Défense, à l'Agriculture, à la Justice de même que les agences de l'Information (U.S. Information Agency), du Renseignement (CM), de la Police intérieure (Federal Bureau of Investigation : FBI), des Stupéfiants (Drug Enforcement Agency), de l'Environnement [98] (Environment Protection Agency) ainsi que le bureau du Représentant du président en matière de commerce (U.S. Special Trade Representative) sont tous engagés dans les relations avec le Canada et comprennent des sections qui traitent exclusivement d'affaires canadiennes. En conséquence, dans la majorité des cas, le Québec est susceptible d'y faire surface à un moment ou l'autre.

Pour tâcher de coordonner quelque peu ces multiples activités canadiennes, le département d'État a pris l'initiative de réunir fréquemment (au moins une fois par mois, parfois plus souvent) des représentants de tous ces départements et agences pour traiter de questions canadiennes et, bien entendu, du cas particulier du Québec quand on le juge opportun. De toutes ces discussions peut se dégager une certaine politique envers le Québec, toujours conçue dans le cadre canadien.

Quand des représentants du Québec ont trouvé le chemin de ces hauts lieux du pouvoir exécutif américain, les responsables américains se sont presque toujours gardés de traiter exclusivement avec le Québec comme s'il s'agissait d'un acteur international. Presque spontanément, surtout au département d'État, on informe aussitôt l'ambassade du Canada, le seul véritable interlocuteur.

AUTRES NIVEAUX DU POUVOIR

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Comme il y a séparation des pouvoirs dans le système américain, cette consigne ne s'applique pas au pouvoir législatif à Washington et encore moins aux gouvernements des États. Ainsi les sénateurs et représentants qui s'intéressent au Canada, au premier chef mais non pas exclusivement ceux des États frontaliers, ne se sentent pas obligés de faire rapport de leurs rencontres québécoises ni [98] au pouvoir exécutif ni à l'ambassade du Canada qui entretient tout de même des relations soutenues avec les membres du Congrès.

Il est donc arrivé que des législateurs aient donné l'accolade à des ministres québécois, comme l'ex-sénateur démocrate du Maine, Edmund Muskie, les sénateurs Jesse Helms, républicain de Caroline du Nord, Patrick Leahy, démocrate du Vermont, ou des représentants comme celui du Minnesota, James

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Oberstar, un démocrate, et bien d'autres.

En septembre 1996, à l'initiative du représentant Tom Campbell (républicain de la Californie), le sous-comité de la Chambre sur l'hémisphère occidental a tenu une audience sur la question de l'unité canadienne. Des spécialistes américains y ont témoigné et donné leur avis sur l'évolution du Québec (voir chapitre 9).

Comme on l'a vu plus haut, les gouverneurs des États ont souvent traité directement avec leurs contreparties québécoises, surtout ceux de New York et de la Nouvelle-Angleterre. Le gouverneur de l'État de New York, par exemple, rencontre son homologue québécois habituellement une fois par année. De plus en plus, d'ailleurs, les États américains sont engagés dans les relations internationales, au niveau économique surtout. Comme cela interfère assez peu avec la politique étrangère américaine, telle que conçue à Washington, le gouvernement fédéral ne s'y oppose pas.

Dans la mesure où des membres du Congrès, des gouverneurs et fonctionnaires des États, sans parler des élus municipaux et des personnalités des milieux économiques, universitaires, culturels et autres traitent avec le Québec, acteur autonome, on peut donc parler de relations politiques américano-québécoises. On peut en parler d'autant [100] plus que Washington a conçu un moyen tout particulier de s'intéresser au Québec comme acteur unique sans rompre avec sa politique officielle de ne reconnaître qu'un seul interlocuteur canadien : c'est la présence d'un consul général à Québec.

LE CONSULAT GÉNÉRALDE QUÉBEC

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Le gouvernement des États-Unis est représenté dans la ville de Québec depuis 1834, depuis 1855 par un consulat. Il faut dire qu'à l'époque, cette représentation s'adressait à l'ensemble des provinces britanniques de l'Amérique du Nord. Il fut aussi un temps où les États-Unis maintenaient de très nombreux consulats au Canada. Au Québec, particulièrement, outre la capitale et Montréal, des villes comme Saint-Jean, Coaticook, Sherbrooke, Trois-Rivières, Saint-Hyacinthe, Rivière-du-Loup, Rimouski et Gaspé ont abrité, à un moment ou l’autre, un consulat américain. Cela était dû sans doute aux difficultés de communication dans un contexte d'échanges commerciaux importants.

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, cependant, les consulats se sont raréfiés et aucune autre province canadienne n'a conservé plus d'un consulat. On aurait donc pu croire que la représentation américaine au Québec se réduirait au consulat général de Montréal. Pourtant, en 1964, le consulat de Québec est plutôt renforcé et rehaussé en consulat général. Faut-il y voir une résurgence d'intérêt au moment de la révolution tranquille ? Cela semble bien être le cas, car les affaires consulaires américaines à Québec ne suffisent pas à occuper un diplomate à plein temps.

Il y a donc davantage. Il est maintenant reconnu que le rôle essentiel du consul général dans la Vieille Capitale est [101] d'établir des relations avec les membres du gouvernement, les députés de l'Assemblée nationale, les fonctionnaires, les divers partis politiques et autres personnes des milieux paragouvernementaux. Sans doute ne s'agit-il en aucune façon d'une reconnaissance officielle d'un acteur québécois qui serait interlocuteur de Washington. Le consul général des États-Unis à Québec est là avant tout pour bien comprendre et bien interpréter la politique québécoise. Préposé au monitoring tout comme le conseiller national québécois de New York, mais avec une liberté combien plus grande, il demeure sous l'entière responsabilité de l'ambassade américaine à Ottawa.

Le consul général en poste de 1989 à 1992, William McCahill, résumait bien son rôle en affirmant :

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Nous sommes ici un peu pour être les yeux et les oreilles de Washington, pour essayer de comprendre ce qui se passe au Québec et, d'autre part, pour expliquer nos politiques au gouvernement du Québec et aux citoyens québécois .

Le représentant américain a donc pour tâche primordiale de faire rapport régulièrement au département d'État sur les événements politiques au Québec. Cette tâche est passablement différente de celle des cinq autres consuls généraux disséminés dans les villes canadiennes (Montréal, Halifax, Toronto, Calgary et Vancouver) en raison de son caractère éminemment politique.

Dans la mesure où les diplomates en poste à Québec, au cours des vingt dernières années tout au moins, ont été, dans l'ensemble, des personnes de grande qualité et [102] d'un excellent jugement, cette fonction a contribué pour beaucoup à valoriser l'image du Québec à Washington, à corriger des informations incorrectes et biaisées et à constituer peut-être l'embryon d'une politique américaine envers un Québec plus autonome. Peut-être même le consulat général de Québec servirait-il un jour, si le Québec se dirigeait vers la souveraineté, de siège non officiel d'une diplomatie américaine dans une situation de transition, comme cela s'est produit ailleurs. À cet égard, il importe d'examiner la politique américaine à l'endroit du mouvement souverainiste québécois.

LES ÉTATS-UNISET LA SOUVERAINETÉ DU QUÉBEC

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Encore ici, il faut répéter que la politique américaine qui a été élaborée au lendemain de la prise du pouvoir par le Parti québécois en 1976, est une politique essentiellement dirigée vers le Canada dans son ensemble. C'est le président Carter qui a formulé le premier cette politique et tous ses successeurs l'ont réitérée par la suite, y apportant peu de modifications. Elle comporte essentiellement trois volets :

1. Les États-Unis n'entendent pas intervenir dans les affaires intérieures canadiennes. En conséquence, ils ne veulent pas s'immiscer dans le débat constitutionnel canadien.

2. Les États-Unis considèrent le Canada comme un partenaire privilégié avec lequel ils entretiennent d'excellentes relations. Ils favorisent tout ce qui peut renforcer l'unité et la cohésion du Canada. Ils expriment et exprimeront donc leur préférence [103] pour un Canada uni plutôt que pour la sécession du Québec.

3. Il appartient aux Canadiens de décider de l'avenir de leur pays. Les États-Unis respecteront la volonté populaire des citoyens du Canada.

Il ressort clairement de cette position que la politique américaine se joue en deux temps. Le temps présent et le temps conditionnel. Comme les Américains sont peu enclins à planifier des politiques à long terme ou à moyen terme, c’est le temps présent qui compte. On l'a souvent souligné, la politique étrangère américaine consiste surtout à éteindre les incendies qui surviennent, assez peu à envisager les contingences à venir (sauf sans doute en matière de stratégie nucléaire). Dans le cas qui nous concerne, elle est donc tout entière vouée à favoriser l'unité du Canada, voire à l'occasion à contrer le souverainisme québécois.

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Cela est tout à fait naturel pour un pays qui s'enorgueillit d'avoir triomphé d'un mouvement sécessionniste il y a plus d'un siècle et d'avoir réalisé une brillante synthèse nationale. De plus, les Américains n'entretiennent guère de sympathie pour les petits mouvements nationalistes à l'œuvre dans le monde et considèrent les velléités de sécession comme extrêmement dangereuses pour l'ordre mondial. Ajoutez encore à cela tout le réseau de sympathies et d'osmoses culturelles (amitiés, parentés, etc.) qui rapprochent les Américains des Canadiens anglophones. Enfin, n'est-il pas tout à fait normal qu'une grande puissance souhaite le statu quo chez un pays voisin, allié et pacifique ?

La seule réserve à cette politique d'appui inconditionnel au maintien de l'unité canadienne, c'est un certain respect de l'opinion publique québécoise qui fait craindre [104] qu'une intervention trop évidente produise le contraire de ce qu'elle viserait, c'est-à-dire une réaction québécoise qui réanimerait une fierté blessée et servirait la cause des souverainistes. Les prises de position américaines passées et à venir ne peuvent donc que se situer entre cette réserve et l'aide qu'on désire apporter au gouvernement canadien. Ainsi, à quelques jours du référendum de 1995, le secrétaire d'État Warren Christopher s'est permis d'aller un peu plus loin en déclarant qu'on ne saurait compter sur des liens aussi étroits entre son pays et une « nouvelle organisation » que ceux qui existaient alors entre le Canada et les États-Unis. D'ailleurs plusieurs responsables américains n'ont pas craint d'affirmer qu'un Québec souverain ne devrait pas compter sur la reconduction automatique de l'Accord de libre-échange nord-américain.

Washington doit s'arrêter là cependant, car personne, au gouvernement américain, ne souhaiterait une politique d'exclusion systématique à l'endroit d'un Québec souverain. Même si on est allergique, dans ces milieux, aux considérations hypothétiques, il faut bien envisager un peu ce que serait une politique américaine envers ce nouvel acteur international. Si les responsables américains s'en gardent bien, un certain nombre d'experts se sont déjà exprimés là-dessus et nous permettent de définir quelque peu le temps conditionnel.

Disons d'abord que certaines des raisons mêmes qui militent en faveur de l'appui à l'unité canadienne pourraient jouer en faveur du Québec, dans la mesure où ce dernier chercherait à se gagner les faveurs de son voisin et à demeurer intégré à l'économie nord-américaine. Ainsi, comme les Américains ont un faible pour les grands ensembles, ils devraient souhaiter, selon toute vraisemblance, que le Québec et ce qui resterait du Canada [105] concluent au plus vite un accord de partenariat tout au moins économique, sinon politique.

Disons aussi qu'il ne se trouve à peu près personne dans les milieux responsables et bien informés pour douter de la viabilité d'un Québec souverain. Rappelons à cet égard l'étude de 1977 qui énonçait sans ambages : « On ne saurait mettre en doute la viabilité fondamentale à long terme d'un Québec indépendant, dans un sens économique ou quant à son aptitude à devenir un membre responsable de la famille des nations . » Citons encore les propos d'une personne qui fut Deputy Chief of Mission à Ottawa entre 1986 et 1990, Dwight N. Mason : « Un Québec indépendant est bien faisable [...] son gouvernement serait capable de gérer l'indépendance . »

Cela ne signifie pas toutefois que Washington s'empresserait d'accorder la reconnaissance diplomatique au Québec dès le lendemain d'un référendum où les Québécois se seraient prononcés majoritairement pour la souveraineté. Tout d'abord parce que, selon les scénarios les plus plausibles, des négociations plus ou moins prolongées avec le Canada précéderaient une déclaration de souveraineté. Ensuite parce que les Américains valoriseraient sûrement leur relation avec le Canada amputé bien davantage que leurs liens avec le Québec. Ils chercheraient donc sans doute à s'aligner sur la position canadienne, quitte à exercer quelque pression sur le cours des [106] négociations dans le sens indiqué plus haut. Ils pourraient même faire valoir à leurs partenaires qu'une nouvelle union canadienne offrant des garanties suffisantes d'intégration économique serait susceptible de se faire entendre au Groupe des sept (ou huit) pays les plus industrialisés et autres forums similaires. C'est là du moins une possibilité évoquée par un observateur averti comme Joseph T. Jockel . Si un tel dénouement se révélait impossible et que le Québec en venait à se déclarer souverain à l'encontre du Canada anglais, Washington se montrerait sûrement fort circonspect et tarderait à reconnaître le nouvel acteur international. Comme on l'a vu plus haut, le consulat général de Québec

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permettrait tout de même le maintien du dialogue.

Quelques experts américains ont déjà envisagé cette lente évolution. David T. Jones, diplomate en poste à Ottawa à titre de ministre conseiller politique entre 1992 et 1996, affirmait, dans un article du Washington Quarterly, qu'un Québec souverain ne serait pas une catastrophe pour les États-Unis, même si l'intérêt américain commandait le maintien de l'unité canadienne. Il est vrai que cet article a été répudié par le département d'État. Cependant le blâme portait beaucoup plus sur l'opportunité de la publication que sur son contenu qui n'a pas été systématiquement démenti. Jones y notait, entre autres, fort à propos, qu'on pouvait prévoir une période de [107] transition plus ou moins longue entre un référendum positif et l'avènement d'un Québec souverain : « S'il y avait victoire du oui dans un référendum, les conséquences pour le Canada et le Québec se dérouleraient graduellement plutôt que d'une manière révolutionnaire. Cela laisserait le temps pour une évaluation globale de la part des États-Unis . » Voilà qui convient bien aux diplomates américains peu enclins aux planifications à long terme.

Même son de cloche chez un autre auteur, Jonathan P. Doh, responsable du Canada au département du Commerce jusqu'en 1995 : « Il n'est pas vraisemblable, même selon le plus simple des scénarios, que le Québec soit un jour partie du Canada et devienne indépendant, le jour suivant . » La période de transition pourrait donc être à la fois celle des négociations entre le Québec et le Canada et aussi celle des pourparlers quant à la forme que pourrait prendre l'intégration du Québec à l'ALÉNA et à d'autres organismes multilatéraux.

Sans doute tout cela donnerait-il lieu à de nombreux questionnements. Ainsi les traités et institutions bilatéraux entre les États-Unis et le Canada sont tellement nombreux qu'on ne peut imaginer facilement leur réaménagement sur un mode trilatéral. Dans plusieurs cas, les [108] Américains refuseraient carrément de se retrouver en minorité dans une structure à trois.

On peut aussi s'interroger sur la façon dont Washington prendrait ses décisions à l'endroit du Québec. S'il est vrai que les experts et les compétences ne manquent pas sur la question, il faut tout de même rappeler que, malheureusement, les personnes les plus influentes en matière de politique étrangère à Washington ne sont pas toujours celles dont l'expertise est la plus grande. Il arrive souvent que les meilleures compétences sur une question ou sur une région ne soient pas consultées quand il s'agit de prendre des décisions importantes. Comme ce phénomène se produit surtout dans les cas de crise qui imposent des décisions rapides, on peut croire ou du moins espérer qu'il n'en irait pas ainsi dans la conjoncture de l'accession du Québec à la souveraineté.

CONCLUSION

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Les relations politiques entre le Québec et les États-Unis nous apparaissent donc comme tout à fait asymétriques. Du côté québécois, même si on y est venu plutôt tardivement, on s'est préoccupé, au moins au cours des trente dernières années, d'élaborer et de définir une politique américaine. Les gouvernements québécois, depuis la révolution tranquille, ont tous tenu à être présents aussi souvent que possible aux États-Unis. Les pèlerinages à New York et même à Washington sont devenus presque des rituels pour les premiers ministres du Québec.

La politique québécoise s'est définie, pour une grande part, en termes d'intérêts économiques mais aussi en termes d'affaires publiques, de culture et de communications. Le Québec s'est bien implanté à New York d'abord, [109] mais aussi ailleurs à travers le vaste territoire américain au moyen de délégations dont la disparition abrupte en 1996 ne peut être que regrettée. La présence à Washington, aussi pertinente soit-elle, demeure problématique et limitée en raison de l'attitude du gouvernement américain et surtout de l'intransigeance de la diplomatie canadienne. Les relations avec les homologues au niveau des États posent beaucoup moins de problèmes et prennent des formes multiples, souvent multilatérales. Somme toute, la

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diplomatie québécoise est devenue une réalité complexe et passablement exigeante.

Le gouvernement américain, pour sa part, se refusant à considérer le Québec comme un interlocuteur autonome, ne s’est pas donné de véritable politique à l'endroit d'une province canadienne, fût-elle bien différente des autres. Cela n'a pas empêché Washington de se tenir informé de l'évolution politique récente et de maintenir un relais consulaire à Québec à cette fin. On peut donc parler d'une « certaine » politique américaine à l'égard du Québec. De plus, même si le Washington officiel se garde bien d'envisager l'hypothèse de la souveraineté par crainte de blesser son partenaire canadien, plusieurs données et indices nous permettent de conjecturer ce que serait une politique des États-Unis envers un Québec souverain. Ni souhaitable, ni dénuée de problèmes, la souveraineté du Québec ne serait sans doute pas une catastrophe pour Washington.

En fait, quelle que soit l'évolution de ses relations politiques avec les États-Unis, le Québec demeurera irrémédiablement soudé à son voisin américain en raison de liens économiques intenses. Ce sera l'objet du chapitre suivant.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Deuxième partie :Les relations politiqueséconomiques et culturelles

Chapitre 4

Les relations économiques

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En matière d'économie, aucune ambivalence possible. Les États-Unis sont le partenaire principal du Québec. On pourrait même aller plus loin et affirmer que la seule relation économique vraiment significative pour le Québec, outre les autres provinces canadiennes, est celle que constituent les échanges avec son voisin du sud. En effet, non seulement ces échanges comptent-ils pour la part du lion du commerce international québécois (plus de 80%), mais aussi ils contribuent, dans une proportion plus forte encore, à la croissance, à la modernisation et au dynamisme de l'ensemble de l'économie québécoise.

Pour bien évaluer l'impact des relations économiques sur l'axe nord-sud, il importe donc de souligner préalablement les facteurs qui constituent la force et la faiblesse de l'économie du Québec. Il apparaîtra clairement que les facteurs de force sont liés aux États-Unis. Il importe aussi, comme c'est le cas pour l'ensemble des relations américano-québécoises, de situer le Québec dans le cadre canadien. Enfin, pour mieux faire ressortir l'importance du lien américain, nous analyserons les échanges économiques du Québec dans le cadre mondial.

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I. FORCES ET FAIBLESSESDE l’ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE

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En règle générale, plus une entreprise québécoise repose sur la haute technologie, sur la recherche continue, sur la valeur ajoutée aux ressources brutes, plus elle est susceptible d'être reliée aux exportations, tout particulièrement vers les États-Unis.

En grande partie parce que des stimulants leur ont été offerts par les grandes institutions économiques créées par le gouvernement du Québec au cours de la révolution tranquille, un grand nombre d'entreprises d'envergure, dirigées par des francophones dans bien des cas, se sont taillé une place importante dans des secteurs de forte concurrence internationale. Ces entreprises ont connu une expansion remarquable au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.

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Des firmes d'ingénierie-conseil se sont développées, souvent à la faveur d'expertises et de capacité de rayonnement acquises à l'intérieur d'Hydro-Québec. Elles ont essaimé rapidement à l'étranger, non seulement dans des projets reliés à l'hydroélectricité, mais aussi dans les mines, la forêt, les manufactures, l'équipement urbain et les transports. Le groupe SNC, par exemple, après avoir acquis Lavalin en 1991, est devenu d'emblée la plus grande firme d'ingénieurs-conseils au Canada et compte parmi les dix plus importantes au monde. En 1997, les sociétés de génie-conseil québécoises comptaient pour 60% des ventes canadiennes à l'étranger dans ce domaine .

Le Québec peut encore s'enorgueillir de la présence sur son territoire d'un nombre considérable d'entreprises [113] de produits pharmaceutiques, médicaux et biotechnologiques. Plusieurs filiales de sociétés américaines (Merck Frosst Canada, Pfizer Canada, Bristol-Myers Squibb, Abbott), françaises (Marion Merrell, Wyeth-Ayerst contrôlées par Rhône- Poulenc-Rorer), allemandes (Boehringer Ingleheim et Hoechst Marrion) et suisse (Ciba-Geigy) sans compter les Biochem-Pharma, IAF-Biovac et autres firmes québécoises, sont concentrées dans la, région métropolitaine de Montréal. En 1992, 47% des ventes canadiennes de médicaments et de produits biotechnologiques provenaient du Québec, assurant ainsi 35% des emplois dans ce secteur en pleine effervescence. Dans la seule décennie de 1986 à 1996, quelque cinquante nouvelles sociétés biotechnologiques ont été créées à Montréal et dans les environs . En tenant compte des quatre facultés de médecine du Québec, de l'Institut Armand-Frappier et d'autres centres de recherche, on pouvait affirmer en 1997 qu'au Québec se faisait 45% de la recherche et du développement dans les sciences de la santé au Canada .

L'industrie de l'aéronautique et de l'aérospatiale est aussi concentrée dans la région de Montréal qui comptait, au début de 1997, pour plus de la moitié des ventes canadiennes, 70% de la recherche et développement et 75% des exportations dans ce secteur en forte expansion .

[114]

L'industrie aéronautique canadienne, d'après les données recueillies en 1997, est en voie de passer du sixième au quatrième rang mondial . Les firmes les plus importantes sont CAE Électronique (dont le siège social est à Toronto mais dont une bonne partie de la production se fait dans la région de Montréal) qui occupe 70% du marché mondial des simulateurs de vol ; Bell Hélicoptères, filiale de l'américaine Textron ; Pratt et Whitney, producteur de moteurs d'avions légers, filiale de United Technologies des États-Unis ; l'américaine General Electric, fabricant de moteurs d'avions à Bromont, en Estrie ; la britannique Rolls-Royce qui produit aussi des moteurs d'avion, Dowty Aerospace (contrôlée par British General Electric), Marconi, producteur d'instruments de vol, Allied Signal, filiale américaine qui produit des systèmes de vision nocturne, la canadienne Aérospatiale Hochelaga, spécialisée dans les systèmes hydrauliques, les producteurs de trains d'atterrissage, Menasco et Héroux, Spar Aerospace et Innotech, et enfin Canadair manufacturier d'avions, le plus grand producteur aéronautique du Canada , acquise du gouvernement canadien en 1986 par la québécoise Bombardier.

Dans le secteur des télécommunications, Montréal est le lieu principal de la recherche et du développement au Canada. Ce secteur en pleine expansion est tout à fait orienté vers le marché international. Les plus connues de ces entreprises sont Nortel (Northern Telecom) et quelques-unes des nombreuses filiales des Entreprises Bell Canada [115] (BCE, la plus importante société privée du Canada, dont le siège social est à Montréal), Marconi, Ericsson, filiale du conglomérat suédois, Spar, Téléglobe, M31, Softimage, Discreet Logic, Eicon Technology, Alis Technologies . Ces firmes expédiaient en 1993 des marchandises d'une valeur de 3,7 milliards, soit environ 12% de toutes les exportations québécoises et 40% des produits de haute technologie. Les fabricants de logiciels, en particulier, comptaient pour la majeure partie des expéditions canadiennes dans ce domaine, surtout vers les États-Unis .

D'après Denis Dionne, grand patron de Sofinov, une filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, consacrée aux investissements dans le secteur de l'informatique, il existait à Montréal, en 1998, environ 800 sociétés engagées au moins partiellement dans l'informatique. La métropole du Québec occupait alors le septième rang des villes d'Amérique du Nord au chapitre des emplois dans les technologies

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de l'information . En 1996, ces industries employaient 2500 informaticiens et récoltaient des revenus avoisinant 75 millions de dollars, dont 20% provenaient des exportations. En 1997, elles ont enregistré une hausse de 25% .

[116]

Depuis l'implantation à Montréal de la société française Ubisoft, spécialisée dans la production de jeux électroniques interactifs, au printemps de 1997, le gouvernement du Québec s'est tout particulièrement engagé dans la stimulation des entreprises dites de multimédia. Une formule originale fut alors appliquée sous forme de crédits d'impôt équivalant à 60% du salaire de chacun des employés jusqu'à concurrence de 25 000 dollars .

On espère ainsi créer une concentration d'entreprises à la façon de Silicon Valley, près de San Francisco, ou de Silicon Alley à New York. Au printemps de 1998, la délégation générale du Québec à New York a organisé un symposium auquel une cinquantaine d'entreprises newyorkaises ont accepté de participer en compagnie de jeunes spécialistes montréalais du multimédia. Les Américains y ont appris que certains Québécois étaient déjà implantés dans la production d'effets spéciaux auprès de l'industrie du cinéma à Hollywood. On encourageait les industriels de New York à investir à Montréal en raison de la présence de quatre universités, d'une jeunesse éduquée, bilingue et innovatrice, d'un afflux du capital de risque et des avantages fiscaux consentis par les gouvernements .

L'expansion de la société Bombardier est sans doute la plus spectaculaire et elle est intimement liée au marché américain. Son caractère francophone, la diversité de ses opérations, ses innovations technologiques, la croissance de ses ventes partout dans le monde en font un véritable success story à la québécoise. Durant la décennie se terminant [117] en janvier 1997, ses revenus sont passés de 998,6millions à plus de 8 milliards de dollars ; ses profits ont décuplé, passant de 46 à 406,2 millions. L'aéronautique comptait pour la moitié de ses opérations commerciales dont plus de 90% étaient dirigées vers l'étranger, seulement 6% au Québec et 4% dans le reste du Canada. En 1997, Bombardier comptait 60 000 employés, dont la moitié au Québec . Ses filiales se situaient alors en Ontario et dans dix autres pays dont les États-Unis d'abord, puis l'Allemagne, le Mexique, le Royaume-Uni (Irlande du Nord), la Belgique et la France. Elle est au rang des vingt-cinq plus grandes entreprises canadiennes. Elle est devenue la sixième au palmarès mondial de l'aéronautique, la troisième au chapitre de l'aviation civile (toutefois loin derrière Boeing-McDonnell-Douglas et Airbus). Ses plus récents succès, le Regional Jet, le Challenger et le Global Express en font un leader dans le secteur des avions à réaction de taille moyenne. Bombardier s'est portée acquéreur d'importantes sociétés comme De Haviland de Toronto (en 1992) et Learjet du Kansas aux États-Unis (en 1990).

Dans le domaine des transports ferroviaires, la croissance de la firme québécoise a été tout aussi fulgurante. Elle possède maintenant des usines à Barre, dans le Vermont, à Auburn et Plattsburgh, dans l'État de New York et à Wichita, au Kansas. Elle a conclu un accord de production conjointe (joint venture) avec la société Northrop en Californie aussi bien en aérospatiale que dans l'équipement de trains de banlieue.

[118]

Bombardier fabrique des wagons de train pour plusieurs pays mais surtout pour des villes américaines telles que New York, Boston, Chicago, Washington, San Diego, Philadelphie, Portland (en Oregon), Los Angeles, pour le Connecticut, le New Jersey Transit et Disneyland. En février 1996, de concert avec GEC Alsthom de France, elle obtenait le contrat du projet de train à grande vitesse (TGV), pour la compagnie Amtrak, devant relier Miami, Orlando et Tampa. Quelques mois plus tard, elle signait un contrat plus prestigieux encore pour la ligne entre Boston et Washington . En avril 1998, elle a obtenu le contrat de mise en service d'un métro léger pour l'aéroport JFK de New York .

Parmi les grandes entreprises québécoises en expansion, il faut encore citer Cascades inc. qui est devenue un important producteur international de carton et de matériel d'empaquetage ; Quebecor, le plus

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grand imprimeur du Canada, et le second en Amérique du Nord, qui possédait et exploitait en 1997 quelque 76 installations au Canada, aux États-Unis, au Mexique, en Europe et en Inde ; Nova Bus de Saint-Eustache qui exporte ses autobus à New York, au New Jersey et ailleurs aux États-Unis ; Prévost Car, de Sainte-Claire (acquis par Volvo et Henlys en 1995) exportant aussi le plus gros de sa production chez le voisin du sud ; le groupe Canam Manac qui vend du matériel d'acier de construction en Nouvelle-Angleterre.

Si les exportations d'électricité vers les États américains adjacents ont fait l'objet de beaucoup de publicité, [119] elles n'en constituent pas pour autant un volet majeur des relations économiques entre le Québec et les États-Unis. Ainsi en 1997, elles ne comptaient que pour 1,2% (513 millions de dollars) des exportations québécoises vers le voisin du sud . Probablement pour pallier une croissance ralentie de la demande d'énergie un peu partout, Hydro-Québec s'est jointe en 1994 à la firme Noverco (incluant Gaz Métropolitain et Novergaz) et à Consolidated Natural Gas Company de Pittsburgh pour créer Energy Alliance Partnership. Cette nouvelle société vise à vendre et échanger de l'électricité, du gaz naturel et des services énergétiques dans l'Est du Canada et le Nord-Est des États-Unis . En 1995, Hydro-Québec concluait un arrangement similaire avec Northeast Utilities System de Nouvelle-Angleterre .

PROBLÈMES STRUCTURELS

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En dépit de tous ces éléments positifs, l'économie québécoise est toujours aux prises avec des problèmes structurels importants qui la rendent vulnérable. N'eût été l'expansion rapide et la diversification des exportations vers les États-Unis, un surplus commercial considérable et croissant avec le voisin du sud, l'apport de capitaux, de technologie et de services des États-Unis, le Québec serait en fort mauvaise posture.

[120]

Le produit intérieur brut (PIB) du Québec ne comptait en 1997 que pour 21,9% du PIB canadien et la production industrielle québécoise se situait à 21% du total alors que la population québécoise compte pour 24,7% de celle du Canada. De plus, le taux de croissance du PIB québécois est demeuré plus faible que celui de sept des neuf autres provinces canadiennes entre 1962 et 1991 et la situation ne s'est guère améliorée au cours des cinq années suivantes . Seuls le Manitoba et la Saskatchewan ont enregistré des taux de croissance plus faibles. En matière d'investissements, le Québec recevait 21,7% du total canadien en 1993 et seulement 19,7% en 1996 .

Le taux de chômage demeurait, en 1997, ce qu'il a été d'une manière plutôt régulière depuis 1960, toujours plus élevé que celui de l'ensemble canadien, particulièrement celui des trois provinces les plus riches et les plus économiquement dynamiques (Ontario, Alberta, Colombie-Britannique) . Bien que les expéditions manufacturières aient augmenté de 12% entre 1988 et 1994 en raison de la [121]modernisation et d'une productivité croissante, l'emploi dans ces industries a chuté de 14,5% au cours de la même période . Le chômage structurel s'accroît particulièrement dans les secteurs du cuir, du textile, du vêtement et du meuble : ces industries reposent sur une abondante main-d'œuvre, sont peu productives, non concurrentielles et fortement concentrées au Québec.

La proportion de la main-d’œuvre spécialisée par rapport à l'ensemble de la population est demeurée plus faible que celle de tout le Canada. Il en est de même des diplômés universitaires . Les budgets consacrés à la recherche et au développement se sont faits plus parcimonieux depuis la fin des années soixante-dix. En 1993, ils ne comptaient que pour 17% du total canadien (comparativement à 50% pour l'Ontario), alors que les dépenses du Canada à ce chapitre étaient parmi les plus faibles des pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDÉ) . Un léger rattrapage a été effectué depuis 1993. Le déficit gouvernemental avait atteint 3,4% du PIB (comparativement à 2,7% pour l'Ontario) au moment où Lucien Bouchard, à la tête du gouvernement, a entrepris [122] de le réduire . De

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pénibles mesures d'austérité furent mises en œuvre par ce gouvernement, mais la dette québécoise per capita demeurait, en 1998, la plus élevée au Canada . Plus de la moitié de ces redevances étaient créditées à l'étranger, surtout aux États-Unis .

L'agglomération urbaine de Montréal, qui compte près de la moitié de la population du Québec et une très forte proportion de la production industrielle et de l'activité économique de la province, enregistrait en 1993 le taux de chômage le plus élevé de toutes les grandes villes d'Amérique du Nord après la Nouvelle-Orléans . Alors qu'en 1961, le revenu moyen se situait à peu près au même niveau à Montréal et à Toronto, trente ans plus tard, Montréal avait perdu son titre de métropole et le revenu moyen n'y était plus que 83% de celui de Toronto .

En 1995, les taux d'imposition des salaires d'entreprises, surtout ceux de leurs cadres et professionnels, se classaient comme les plus élevés au Canada . Une étude de Price-Waterhouse en 1996 établissait que le fardeau fiscal total de l'entreprise privée au Québec était de 29,4% plus élevé que celui de l’Ontario . En revanche, les taux d'imposition des entreprises comme telles étaient inférieurs à la moyenne canadienne et le coût du logement [123] demeurait substantiellement plus bas à Montréal qu'à Toronto, Vancouver ou Calgary.

Il est clair que Montréal a souffert considérablement d'une recentration de l'économie canadienne vers Toronto et vers l'Ouest. Les facteurs immédiats de son déclin sont moins évidents et font toujours l'objet de débats. Il est sûr cependant que la grande concentration d'industries désormais peu concurrentielles reposant sur une forte main d'œuvre et dépendant de mesures protectionnistes compte pour beaucoup parmi les problèmes structurels du Québec. Des industries comme le textile, la chaussure et autres subissent la forte concurrence des pays asiatiques et souffrent des règlements de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) visant à l'élimination des barrières tarifaires Le secteur des vêtements de style ou de haut de gamme produits en fonction de l'innovation et de l'utilisation de techniques avancées constitue une exception de taille : les exportations de ces produits vers les États-Unis ont connu une forte croissance au cours des années quatre-ving-dix.

Les industries de matériaux bruts ou transformés en produits semi-finis constituent la plus grande source d'emplois au Québec. Ces industries sont liées à l'exportation et ont pu comporter des avantages comparatifs. Elles sont cependant soumises aux cycles de la demande et des prix : des baisses considérables ont résulté de la substitution d'autres matériaux comme le plastique, de la forte concurrence de l'Europe orientale et de certains pays en voie de développement . Au surplus, les prix réels de la [124] plupart des matières premières sont en déclin déjà depuis le début du vingtième siècle et devraient continuer de décroître en fonction des progrès technologiques et de la stagnation de la demande.

De plus en plus, la nécessaire modernisation fondée sur le capital a entraîné la diminution des emplois dans ces industries de ressources comme dans d'autres reposant sur la main-d'œuvre. Les subventions directes et indirectes prodiguées par les gouvernements ont fait l'objet de critiques et de protestations de la part des concurrents américains. Les industries du bois, de la pulpe et du papier ont été touchées par des décisions répétées du département américain du Commerce d'imposer des tarifs compensateurs. Leurs exportations n'en ont pas moins progressé.

Les manufacturiers de bois d'œuvre et d'autres matériaux de construction ont particulièrement souffert des décisions du département du Commerce du gouvernement américain. Les producteurs canadiens ont été accusés de jouir d'avantages inéquitables. On considérait les droits de coupe plutôt bas consentis par les gouvernements sur les terres publiques comme des subventions déguisées. Il en est résulté, en 1992, une imposition de tarifs compensateur . De plus, comme la production de papier avait augmenté partout dans le monde, l'industrie québécoise s'est retrouvée, au début des années quatre-vingt-dix, avec un surplus de production et, en conséquence, une baisse des prix. Par exemple, la société Domtar, dont le plus important détenteur d'actions est la Caisse de dépôt et placement du Québec, a subi de lourdes pertes en 1992. En 1996, cependant, le cycle des prix et de la demande était reparti à la hausse et les industries de la [125] pulpe et du papier ont enregistré des profits . Mais cela n'a pas interrompu les chutes d'emplois. On prévoyait en 1994 le départ, avant la fin du siècle, d'environ 30 000 employés (retraités ou mis à pied), soit

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le tiers de la main-d'œuvre reliée à cette industrie

Les industries de fonderie minérale, fortes consommatrices d'électricité, ont fait l'objet de grands espoirs et de sollicitude particulière de la part du gouvernement québécois, surtout sous Robert Bourassa qui avait à cœur de valoriser l'avantage comparatif québécois en matière de ressources hydrauliques. Plusieurs compagnies (on en a dénombré 13 en 1994 ) ont ainsi bénéficié de contrats secrets relatifs à l'alimentation électrique. Hydro-Québec s'engageait à partager le risque des entreprises en ajustant ses prix aux ventes des métaux concernés. Selon que les prix augmentent ou diminuent, les tarifs d'électricité devaient être plus ou moins élevés .

En raison de ces concessions et de subventions gouvernementales fondées sur une estimation très optimiste de la demande internationale, la vallée du Saint-Laurent et le Saguenay ont accueilli la plus forte concentration au monde de conversion de bauxite en aluminium. Des usines ultra-modernes ont été construites par Alumax à Deschambault et par Alouette à Sept-Îles. Les usines de Bécancour (Pechiney-Alumax-Reynolds) et de Baie-Comeau ont été [126] agrandies . Alcan, second producteur d'aluminium au monde, et Reynolds Metals ont aussi modernisé leurs installations. Les capacités de production pour le magnésium, le cuivre, le zinc, le nickel et l'or ont augmenté. La demande internationale n'a malheureusement pas suivi, de telle sorte que les tarifs consentis par Hydro-Québec sont demeurés très bas et ont fait l'objet de critiques tant aux États-Unis qu'à l'intérieur du Québec. Encore ici les Américains ont accusé les industries québécoises de bénéficier de subventions indues.

La société Norsk Hydro a été particulièrement prise à partie. Cette filiale d'un conglomérat norvégien avait construit en 1989 une grande raffinerie de magnésium à Bécancour au coût total de près d'un milliard de dollars. L'entreprise a profité de subventions initiales de 37 millions et d'un contrat secret avec Hydro-Québec pour une alimentation électrique à bas prix sur une longue période. Son objectif était de profiter d'une utilisation croissante de magnésium pour remplacer les aciers traditionnels plus lourds et plus sujets à la rouille et à la corrosion dans la fabrication des automobiles. En 1991, les exportations de Norsk Hydro avaient atteint 65 millions.

C'est un concurrent américain qui vint jouer le trouble-fête. À l'automne 1991, Magnesium Corporation of America (Mag Corp), qui occupait déjà 22% d'un marché américain en pleine croissance, déposa une plainte auprès du département américain du Commerce et de la commission américaine du Commerce international. Norsk Hydro était accusée de jouir d'un avantage inéquitable et contraire aux règles de l'Accord de libre-échange canado-américain (ALÉ), en raison des tarifs d'électricité [127] indûment bas et de prix de vente assimilés à du dumping. Le département et la commission donnèrent raison à Mag Corp. Des droits compensateurs et des tarifs antidumping furent imposés aux exportations de Norsk Hydro vers les États-Unis . Le Canada et le Québec en appelèrent à un tribunal d'arbitrage canado-américain prévu par FALÉ mais n'eurent pas tout à fait gain de cause en raison des subventions accordées par la Société québécoise, de développement industriel (SDI) . En 1992, toutefois, le département du Commerce de Washington avait révisé sa décision et n'interprétait plus les contrats conclus avec Hydro-Québec comme des subventions déguisées.

Pour empirer les choses, d'autres industries de métaux ont aussi enregistré des pertes et ont dû en conséquence réduire leurs installations, leur personnel et leur main d'œuvre . Face aux critiques des États-Unis et à celle des consommateurs québécois, Hydro-Québec n'a plus offert de contrats de ce genre à compter de 1996 .

La vulnérabilité de l'économie est aussi due à la présence d'une très forte proportion de petites et moyennes [128] entreprises (PME) dont plusieurs ont connu une croissance remarquable au cours des années quatre-vingt sous la direction de jeunes et dynamiques entrepreneurs francophones. Ces firmes demeurent plus fragiles, plus touchées par les récessions et moins aisément intégrées dans la trame des échanges nord-sud que les grandes entreprises multinationales bien installées des deux côtés de la frontière. Bien que le gouvernement du Québec ait mis en marche, au début des années quatre-vingt-dix, d'importants programmes d'aide à l'exportation pour les PME, le nombre des faillites parmi celles-ci a continué de croître . Le secteur agricole, bien qu'il soit relativement florissant, source de 80 000 emplois et qu'il ait

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compté pour 2% du PIB en 1997, constitue un autre élément de vulnérabilité. À l'exception de l'industrie du porc orientée vers l'exportation (18,2% des recettes agricoles en 1996), l'agriculture québécoise apparaît en général moins rentable que celle des voisins du sud. Fortement concentrée dans la production laitière (34,9% des recettes en 1996) (et celle des œufs et volaille (environ 15%) , elle [129] demeure largement protégée par le système canadien de mise en marché. Une étude de 1996 estimait qu'environ un quart du marché canadien de 12 milliards de dollars pourrait être approvisionné par les producteurs américains si le système de protection était éliminé . Les accords du GATT ont aboli les barrières non tarifaires mais ont autorisé leur remplacement par des tarifs pouvant atteindre 350%. En janvier 1995, le Canada consentit à éliminer les restrictions non tarifaires mais eut recours à des tarifs protectionnistes. Ces mesures ont été contestées par les Américains au nom des clauses de l’ALÉNA, mais le Canada, arguant que les règlements du GATT (maintenant Organisation mondiale du commerce : OMC) prévalaient sur ceux de l'ALÉNA, eut finalement gain de cause auprès d'un tribunal international de l'ALÉNA en juillet 1996. Tous les observateurs s'accordent cependant pour prévoir que le système canadien devra bientôt céder la place au libre-échange. L'agriculture québécoise en sera certes bouleversée, les petits producteurs seront durement touchés mais l'industrie agricole, dans l'ensemble, se dit prête à faire face à une ouverture graduelle. Il se pourrait même que les producteurs les mieux équipés bénéficient de la libéralisation des échanges. En effet, l'agriculture québécoise se compare favorablement à celle des États américains limitrophes et pourrait bien envahir le quart du marché de la Nouvelle-Angleterre. C'est l'Ontario, et en conséquence la part de ce marché occupée par les Québécois, qui serait plus sérieusement touchée par les grands producteurs du Midwest, en particulier ceux du Wisconsin .

[130]

LES ALÉAS DE L'ÉTATISME

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Les grandes sociétés québécoises, créées pour la plupart au moment de la révolution tranquille au nom des vertus d'une sorte de capitalisme d'État, ont fait l'objet de sérieuses critiques dans le milieu des affaires au cours des années quatre-vingt-dix. En fait, ces sociétés, si bénéfiques fussent-elles en certaines heures, ont éprouvé de graves difficultés financières.

La Société nationale de l'amiante, fruit d'une nationalisation mise en œuvre par le gouvernement de René Lévesque en 1977, connut les pires déboires. Il en avait coûté plus d'un demi-milliard de dollars pour acheter la mine Bell limitée et celle que possédait General Dynamics (qui contesta l'offre du Québec devant les tribunaux) et pour moderniser les installations par la suite. Toutefois, dans la foulée d'une baisse radicale de la consommation mondiale, le gouvernement Bourassa dut se résoudre à se défaire de ces mines pour la maigre somme de 34,3 millions .

Sidbec avait été créée en 1964 par le gouvernement Lesage pour fournir au Québec une véritable industrie sidérurgique. Après trois décennies de subventions et de pertes de plus d'un milliard de dollars, on devait constater une faillite monumentale . Au surplus, au printemps de [131] 1993, le département du Commerce américain remit en question les pratiques de prix de Sidbec et d'autres aciéries canadiennes. Le gouvernement québécois finit par vendre la société à une filiale mexicaine d'une compagnie britannique (ISPAT) pour 45 millions de dollars ; 280 millions de dettes étaient assumées par l'acheteur .

Les acquisitions temporaires de Québecair et de MIL Davie ont aussi été des expériences coûteuses pour le gouvernement . De même les performances de Domtar, Donohue, Culinar, Aluminerie Bécancour, Aluminerie Alouette et celle des manufacturiers Ethyles et Pétromont, toutes largement subventionnées par la Société générale de financement, ont été peu reluisantes . Quant à la Société de développement industriel (SDI) créée en 1971 par le premier gouvernement Bourassa, elle n'a guère contribué à autre chose qu'à renflouer des entreprises peu rentables et à sauver temporairement des emplois. La Société québécoise d'initiatives pétrolières (Soquip) n'a guère produit plus de résultats valables . REXFOR, créée en 1961 pour

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favoriser les exportations de bois, a subi des pertes en raison de la demande décroissante. Mais elle déclarait un profit de 4,1 millions en 1997-1998.

La Caisse de dépôt et placement fut longtemps considérée, à juste titre, comme un joyau de l'économie québécoise. [132] Cela ne l'a pas empêchée de faire l'objet de critiques au cours des années quatre-vingt-dix en raison de sa performance plutôt faible en comparaison avec les autres grandes caisses de retraite en Amérique du Nord . Depuis 1995, cependant, sous la direction de Jean-Claude Scraire, la Caisse a augmenté ses investissements en actions hors du Canada, notamment aux États-Unis, et s'est souciée davantage de maximiser les revenus de ses actionnaires. En 1996 et 1997, ses placements en actions ont mieux performé que la moyenne des 300 de la bourse de Toronto . Cependant, dans la mesure où le gouvernement du Québec limite les placements en actions de la Caisse à 40% et maintient un pourcentage d'obligations plus élevé que celui d'autres fonds de retraite privés, il n'est pas réaliste d'espérer que la Caisse offre des ristournes aussi élevées que celles qui dérivent de ces fonds, tels que celui des professeurs et chercheurs américains.

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HYDRO-QUÉBEC

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Le cas d’Hydro-Québec mérite une attention particulière pour des raisons aussi bien symboliques qu'économiques. La capacité de production de l'entreprise québécoise est passée de 6 382 mégawatts (MW) en 1963 à 21 301 en 1983 et à 36 000 en 1997.

[133]

Quand Robert Bourassa a repris le pouvoir en 1985, il misait beaucoup sur les possibilités d'exportation d'électricité aux États-Unis qui devaient faire accroître, selon lui, la production d'Hydro-Québec de 10% en 2000. L'électricité québécoise se présentait comme la source d'énergie la plus propre, la moins dispendieuse et donc beaucoup plus attrayante que ses rivales thermiques et nucléaires. Forte de ces perspectives, Hydro-Québec conçut deux grands projets de développement, celui de Grande-Baleine qui devait produire 3 200 MW au coût de 13,2 milliards de dollars et celui de Nottaway-Broadback-Rupert devant ajouter un autre 1600 MW pour 2005 .

En se fondant sur ces projections optimistes, la compagnie Vermont Joint Owners signa, en 1989, un contrat d'importation de 340 MW pour trente ans à compter de 1990, à un coût total estimé de 6 milliards de dollars. Cette même année, le gouverneur Mario Cuomo de New York et le premier ministre Bourassa signaient un accord de principe en vertu duquel la New York Power Authority (NYPA) achèterait 1000 MW pour vingt ans à compter de 1995, à un coût estimé de 17 milliards . Un autre contrat était signé en 1989 pour des échanges de 400 MW entre les deux États (du sud au nord l'hiver, du nord au sud l'été) jusqu'en 2011. Des négociations furent engagées pour conclure des contrats semblables avec le Maine et le Rhode Island.

En dépit de la baisse des coûts du pétrole et du gaz, l'électricité québécoise demeure la source d'énergie la plus économique dans le Nord-Est du continent. En 1993, [134] l'électricité qui coûtait 100 dollars à Montréal se vendait 160 à Toronto, 239 à Boston et 360 à New York . Une étude de Moodys Investors' Service établissait, en décembre 1995, qu'Hydro-Québec bénéficiait des coûts de production les plus bas parmi vingt-cinq compagnies privées et quatre publiques du Nord-Est des États-Unis et du Canada .

Néanmoins l'optimisme qui teintait les projets d'exportation à long terme a diminué de façon continue à compter de 1990. En fonction des caprices de la demande, les ventes d'électricité aux États-Unis ont connu de fortes fluctuations à compter des années quatre-vingt. Le tableau 4.1 en fait état.

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[135]

Tableau 4.1

Exportations d'électricité du Québec vers les États-Unis(en millions de dollars canadiens )

ANNÉE M $ CAN

1980 154

1984 393

1985 333,8

1987 445,3

1990 180,7

1991 171

1993 348,1

1994 454,1

1995 647

1996 534,4

1997 513

Il est donc devenu extrêmement périlleux de prévoir l'augmentation de la consommation d'énergie dans le Nord-Est de l'Amérique du Nord pour les années à venir. Ainsi en avril 1994, contrairement aux prévisions antérieures, Hydro-Québec projetait une augmentation annuelle de la demande jusqu'en 2010 de 1,5% en moyenne pour le Québec, 0,9% pour l'État de New York et 2,1% pour la Nouvelle-Angleterre. De son côté NYPA anticipait [136] en 1993 des surplus d'électricité pour plusieurs années à venir .

Ajoutez les inquiétudes soulevées par les contrats secrets consentis par Hydro qui ont entraîné des accusations de pratiques inéquitables, la chute des prix du pétrole et du gaz depuis le début des années quatre-vingt, la prolifération des génératrices locales et le faible taux de croissance de la demande. Tout cela, dans un contexte de déréglementation, a contribué à rendre les administrateurs de sociétés publiques plus sceptiques à l'endroit des contrats à long terme et à s'en remettre plutôt à des arrangements à court terme. Enfin, les problèmes encourus au moment de la crise du verglas de janvier 1998 et l'inquiétante diminution des réservoirs d'eau contribuent à accentuer la méfiance.

Peut-être aussi des considérations politiques quant à l'avenir du Québec ont-elles joué un rôle. Plus certainement, des préoccupations relatives à l'environnement ont été suscitées par la décision de l'Office national de l'énergie du Canada de refuser d'émettre un permis au projet Grande-Baleine sans études d'impact plus poussées . De plus, un jugement de la Cour suprême du Canada, en février 1994, a autorisé le gouvernement fédéral à examiner tout projet de développement lié à des contrats d'exportation.

Les protestations des Cris et des Inuits du Nord québécois ont obtenu une large diffusion aux États-Unis et attiré l'attention d'organismes comme le Sierra Club, Greenpeace, la Audubon Society. Les exagérations quant au [137] territoire qui devait être inondé et les impacts négatifs sur le mode de vie des autochtones n'ont pas été corrigées. Une pleine page de publicité dans le New York Times en 1993 affirmait que des impacts « catastrophiques », « dévastateurs » seraient produits par d'immenses inondations de

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territoire.

Un fort mouvement d'opposition aux projets de développement d'Hydro-Québec en est résulté tant en Nouvelle-Angleterre que dans les régions de l’Atlantique-Nord. En 1992, sept États se proposaient de légiférer en faveur d'un boycott des obligations d'Hydro-Québec par les fonds de retraite de leurs employés. Joseph P. Kennedy II, personnalité bien connue, représentant du Massachusetts à la Chambre basse du Congrès américain, s'est associé à la cause des autochtones québécois. Des conseils d'administration de maisons d'enseignement prestigieuses comme l'Université Tufts et le Dartmouth College se sont défaits de leurs obligations d’Hydro-Québec.

Dans cette conjoncture et surtout en raison des incertitudes indiquées plus haut, il n'était pas étonnant que la NYPA ne donne pas suite à l'accord de principe de 1989 et au projet d'achat de 17 milliards entre 1995 et 2015. Hydro-Québec, à son tour, annula le contrat d'échange de 400 MW . En janvier 1994, le Rhode Island mit fin aux négociations en vue de l'achat de 250 MW en arguant que les estimations de consommation future ne nécessitaient plus cet achat . Le Maine fit de même. Con Edison, de la ville de New York, dut aussi interrompre des pourparlers relatifs à des achats saisonniers à termes fixes. [138] La volatilité des prix était évoquée pour s'en remettre à des ententes à court terme.

Au printemps de 1994, le seul contrat de vente d'électricité à long terme qui subsistait était celui conclu avec le Vermont. En revanche, les ventes à court terme, surtout durant l'été, augmentaient de 5% du total en 1991 à environ 55% depuis 1995 .

En conséquence, le gouvernement du Québec ne pouvait que remettre à plus tard le projet de GrandeBaleine. Cela fut annoncé le 31 mars 1992. Jacques Parizeau, devenu premier ministre à l'automne 1994, alla plus loin en renonçant au projet et en ne lui accordant « aucune espèce de priorité ».

En 1997, Hydro-Québec fondait beaucoup d'espoir sur la déréglementation de l'énergie aux États-Unis. En novembre de cette année-là, la Commission américaine fédérale de régulation de l'énergie (U.S. Federal Energy Regulatory Commission) accordait aux filiales de la société d'État québécoise la permission de vendre de l'électricité au prix du marché partout aux États-Unis. Enfin, l'accord conclu en 1998 entre le premier ministre Brian Tobin, de Terre-Neuve et le premier ministre Bouchard en vue de l'exploitation élargie des chutes Churchill à un coût de 4,8 milliards de dollars, vise encore surtout les exportations vers les États-Unis.

Les relations entre Hydro-Québec et ses clients américains ont donc évolué considérablement. Il reste qu'en dépit de grands espoirs déçus, d'une réputation quelque peu ternie, les exportations d'électricité québécoise vers [139] les États-Unis comptent toujours comme un atout important de l'économie québécoise.

De ce qui précède, il ressort plutôt clairement que les forces de cette économie sont étroitement reliées aux relations avec le voisin du sud tandis que ses handicaps structurels sont très souvent compensés par ces mêmes relations.

II. L’ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE DANSL’ENSEMBLE CANADIEN, DANS LE MONDE

ET EN AMÉRIQUE DU NORD

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En tenant compte des facteurs positifs et des problèmes structurels de l'économie québécoise, nous pourrons mieux évaluer les relations économiques entre le Québec et les États-Unis. Toutefois il importe, au préalable, de situer le Québec dans le cadre canadien puis dans l'ensemble de ses activités économiques

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Page 67: Le Quebec Espace Americain

internationales.

LE QUÉBEC DANS L'ÉCONOMIE DU CANADA

Nonobstant son caractère distinct, le Québec demeure fortement lié économiquement aux autres provinces canadiennes. Depuis la révolution tranquille, cependant, et particulièrement depuis le début des années quatre-vingt-dix, les ventes québécoises à l'étranger ont crû beaucoup plus rapidement que les ventes aux autres provinces canadiennes (voir tableau 4.2).

[140]

Tableau 4.2

Déclin du commerce interprovincial par rapport aux exportations vers l'étranger(marchandises et services) : 1981-1997 (en pourcentage)

1981 1984 1985 1988 1989 1990 1991 1992 1993

Vente aux provinces canadiennes (%)

53,9 52,8 52,6 54,8 53,1 51,7 51,2 48,9 43,7

Solde commercial (en millions $)

3 344 -4 561 -3 566 -5 639

Exportations internationales (%)

46,1 47,2 47,4 45,2 46,9 48,3 48,8 51,1 56,3

Solde commercial (en millions)

-6 380 -6 201 -8 353 -4 889

Sources : Statistique Canada (1981-1989) ; Service des données internationales, ministère de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie (MICST), gouvernement du Québec (1990-1997).

Alors qu'en 1988, le Québec exportait encore 54,8% de biens et services vers les autres provinces et seulement 45,2% vers l'étranger, en 1997, ces proportions étaient nettement inversées en faveur des marchés extérieurs. Les exportations au Canada étaient réduites à 35% par rapport à 65% à l'étranger. Notons que ces progressions correspondent à la période de mise en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (depuis le 1er janvier 1989). Dès 1990, le Québec exportait plus de marchandises à l'étranger (surtout aux États-Unis) que dans le reste du Canada. Si l'on inclut les services dans le total, c'est en 1992 que le changement s'est produit .

[141]

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Page 68: Le Quebec Espace Americain

Le Québec n'en demeure pas moins très dépendant des autres provinces canadiennes, de l'Ontario surtout, pour ses échanges économiques. Les autres provinces sont d'ailleurs orientées vers l'extérieur depuis plus longtemps que ce n'est le cas pour le Québec . Si l'on tient compte de la taille des partenaires et de la distance qui les sépare, les achats et ventes du Québec sont encore de beaucoup plus importants dans les provinces canadiennes qu'à l'étranger. Autrement dit, une province canadienne peu populeuse et éloignée du Québec compte bien davantage que, par exemple, un État américain de même taille à la même distance .

De plus, les expéditions québécoises vers les autres provinces reposent en général sur une main-d'œuvre abondante et sur un certain niveau de protection. Le Québec a joui le plus souvent d'un solde positif dans le commerce interprovincial : le surplus était en 1995 de 2,8 milliards pour un volume d'échanges de 70,9 milliards. En 1996 et en 1997 toutefois, on a enregistré un déficit de 1 milliard, en raison d'un solde négatif plus élevé que jamais en ce qui a trait aux services, c'est-à-dire près de 4 milliards. Si donc on ne considère que le seul commerce des marchandises, les surplus québécois sont toujours considérables, y [142] inclus ceux des années 1996 et 1997 . Les PME québécoises, en particulier, exportent bien davantage dans les autres provinces qu'à l'étranger. Il arrive cependant qu'elles se servent du marché canadien comme d'une plate-forme vers l'étranger, vers les États-Unis surtout .

En dépit de la production massive d'hydroélectricité, le Québec a importé plus d'énergie des autres provinces (notamment du gaz de l'Alberta et de l'électricité de Terre-Neuve) qu'il en a exporté. Il en est de même pour les produits agricoles.

C'est évidemment de l'Ontario que le Québec dépend davantage. En 1995, 75% des marchandises expédiées du Québec vers le reste du Canada allaient à la province voisine . En 1990, le Québec exportait 35% de sa production totale en Ontario tandis que seulement 20% de la production ontarienne venait au Québec . L'Ontario est donc d'emblée le second partenaire du Québec, après l'ensemble des États-Unis. Le volume des échanges du Québec avec l’Ontario est plus considérable que celui du commerce avec tous les autres partenaires non américains réunis.

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[143]

Il se peut que la libéralisation des échanges interprovinciaux résultant des accords de 1994 contribue à accentuer la croissance du commerce entre le Québec et les provinces adjacentes, l'Ontario et le Nouveau-Brunswick. Cependant, la nature plutôt superficielle de ces accords et le maintien de plusieurs barrières non tarifaires entre les provinces n'augurent rien de très prometteur. Il est donc à prévoir que les échanges internationaux du Québec demeureront plus substantiels que le commerce intercanadien et croîtront encore plus rapidement .

EXPANSIONDES ÉCHANGES INTERNATIONAUX

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Au cours des sept premières années de la décennie quatre-vingt-dix, les exportations québécoises de marchandises vers l'étranger ont doublé, passant de 26 à 52 milliards de 1991 à 1997 (voir tableau 4.3). Toutefois elles ne représentaient en cette dernière année que 17,5% de l'ensemble des exportations canadiennes. Il faut dire que les expéditions de blé, de gaz et de pétrole de l'Ouest comptent pour un pourcentage substantiel des exportations du Canada.

Alors que le PIB québécois croissait de 1,1% en 1992 et de 4,1% en 1995, le taux de croissance des exportations [144] internationales de marchandises sautait de 5,4% en 1992 à 23,9% en 1993, 20,8% en 1994 et 19,2% en 1995 (voir tableau 4.3). En 1995, les exportations québécoises avaient atteint 28,1% du PIB et comptaient directement pour environ la moitié des 48 000 nouveaux emplois créés cette année-là. Près d'un demi-million d'emplois étaient alors attribuables aux exportations. En 1996, les exportations internationales avaient atteint un tiers du PIB (plus du tiers en 1997) et celles vers les autres provinces environ deux neuvièmes : plus de la moitié de la production québécoise était dirigée vers l'extérieur. De ces ventes, environ neuf sur dix étaient concentrées dans l'espace canado-américain. C'est tout dire de l'insertion de l'économie québécoise en Amérique du Nord .

Les produits de haute technologie, qui ne représentaient que 12,5% du volume des exportations québécoises vers l'étranger en 1978, ont atteint 34% de ce volume en 1995 . Au cours de cette année, le Québec comptait pour 50,9% des ventes canadiennes d'équipement de télécommunication, 72% des ventes d'avions complets, 73,8% du matériel imprimé . En 1997, quinze des vingt-cinq principaux produits tangibles exportés à l'étranger par le Québec étaient des produits finis ou de haute technologie à forte valeur ajoutée .

[145]

Les exportations internationales de marchandises du Québec ont crû selon une moyenne de 9,3% par année entre 1987 et 1994, tandis que la moyenne annuelle de la croissance des importations était de 5,1%. En conséquence, le déficit commercial de 3,4 milliards en 1989 s'est transformé en un surplus de 2,2 milliards en 1993, ce qui ne s'était pas vu depuis une génération. En 1997, le surplus se chiffrait à 6,7 milliards . Notons encore la coïncidence avec les accords de libre-échange canado-américain et nord-américain.

PERFORMANCE INFÉRIEUREÀ CELLE DU CANADA

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Malgré tout, cette brillante performance québécoise demeure en deçà de celle de l'ensemble du Canada. Alors qu'en 1969, le Québec comptait pour 33,2% des exportations canadiennes de marchandises, bien plus que sa proportion de la population canadienne et du PIB canadien, en 1985, ce n'était plus que 15,6% de ces exportations qui provenaient du Québec. Même après le sursaut de 1989 dû à l'entrée en vigueur de l'ALÉ, cette part n'a pas dépassé 18,3%, toujours en deçà du 23% du PIB canadien issu du Québec. En 1995, alors que le Québec exportait 28,1% de son PIB, pour l'ensemble du Canada, c'était 37% du PIB qui allait à l'exportation . Même phénomène pour les importations. Le Québec comptait pour 26,7% des importations canadiennes en 1965, mais n'en représentait plus que 16,7% en 1997 (voir tableau 4.4).

[146]

La performance comparative du Québec est plus faible encore au chapitre des investissements. La part québécoise des investissements étrangers a diminué au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, ne comportant que 13% de l'ensemble durant la décennie 1986-1995. En 1995, Québec ne recevait plus que 9% des investissements étrangers, comparativement à 59% pour l'Ontario et 19% pour l'Alberta . Il faut souligner toutefois que ces données ne tiennent compte que des acquisitions nouvelles enregistrées par Investissement Canada.

À quoi attribuer cette faible performance ? Notons d'abord qu'il s'agit d'une faiblesse toute comparative et qu'elle relève bien moins de la nature de l'économie québécoise que des avantages énormes de l'Ontario en raison de son insertion dans l'économie américaine des Grands Lacs et du pacte de l'automobile (23% des exportations canadiennes en 1997 ), de l'Alberta en raison de ses ressources énergétiques prodigieuses et de la Colombie-Britannique tout ouverte sur l'économie du Pacifique et ses nouveaux géants. Il faut noter aussi qu'une bonne part des 26,9% des importations de 1965 relevait du rôle particulier de Montréal, qui était encore à cette époque la porte d'entrée principale du réseau de transport canadien, ferroviaire, aéroportuaire et fluvial.

[146]Tableau 4.3

Principales destinations des exportations internationales de marchandises québécoises : 1985-1997

(en millions de dollars et en pourcentage de l'ensemble des exportations)

1985 1991 1992 1993

Ensemble du monde 18 688 25 879 27 249 32 636Pourcentage des export. canadiennes 15,6 17,8 16,8 17,5

% % %Italie 14168 75,8 19004 73,4 20780 76,3 25291Italie 507 2,7 711 2,7 777 2,9 818Italie (Ouest seulement en 1985) 378 2 702 2,7 542 2 885Italie 223 1,2 574 2 540 2 571Japon 330 1,8 425 1,6 374 1,4 455Pays-Bas 377 2 784 2,8 718 2,6 671Corée du Sud 63 0,3 281 1,1 122 0,4 167Brésil 188 1 128 0,5 95 0,3 143

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Italie 157 0,8 291 1,1 357 1,2 289République populaire de Chine 191 1 114 0,4 162 0,6 160Total des 10 principaux pays 16661 89,1 24755 90,8 30176[148]Régions géogr. Amérique du Nord 14 168 75,8 20 780 76,3 25 92812 pays comm. Européenne avant l’élargissement en Union européenne

1 910 10,2 3 590 13,9 3 292

Europe de l’Ouest (12+ Gibraltar, Malte, Finlande, Islande Norvège, Suisse et Autriche

2 103 10,2 3 966 15,3 3 837 14,1 3 623

Europe de l’Est (ancien pacte de Varsovie moins l’All. de l’Est 96 0,5 129 0,5 103[149]Asie (autre que Moyen-Orient 1 089 5,8 1 358 5,0 1 366Afrique (autre que Moyen-Orient 145 0,8 211 0,8 167Moyen-Orient 441 2,4 333 1,2 392Amérique du Sud 324 1,7 259 1,0 355Mexique, Amérique centrale, Antilles 186 1,0 239 0,9 263Océanie 44 0,5 95 0,3 105

[150]

La croissance du mouvement souverainiste y est-elle pour quelque chose ? Probablement dans une certaine mesure, mais la corrélation n'est pas frappante entre les années les plus chaudes et le déclin des investissements. Les souverainistes québécois, pour leur part, ont plutôt mis en cause la politique du gouvernement fédéral, l'évolution de la structure économique canadienne et le désengagement de l'État. Quoi qu'il en soit, il semble bien que des considérations strictement économiques (comme la fiscalité et l'ampleur de la dette québécoise) ont prévalu sur les facteurs politiques dans les réticences des investisseurs, tout particulièrement des investisseurs américains. Notons enfin la création par le gouvernement du Québec, en avril 1998, d'un organisme voué à la promotion des investissements et à la coordination de l'accueil des entreprises. Investissement-Québec aurait entraîné 2 milliards de nouveaux investissements au cours de ses six premiers mois d'existence .

LE CADRE MONDIAL

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Si l'on examine maintenant les échanges économiques internationaux du Québec en excluant les États-Unis, on se doit de constater que les progrès demeurent très modestes. Ce ne sont plus qu'à peine 20% des exportations internationales québécoises qui se dirigent vers tous les pays du monde à l'exclusion du voisin américain. Encore en 1960, cette proportion était de 40% (voir tableau 4.3).

C'est l'Europe de l'Ouest (particulièrement les pays de l'Union européenne) qui a toujours occupé le second rang [151] des exportations québécoises depuis que les États-Unis ont succédé à la Grande-Bretagne comme premier partenaire économique du Québec au début du vingtième siècle. Or les pays d’Europe occidentale ne comptaient plus que pour 9% des exportations québécoises tangibles en 1997. Le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, les Pays-Bas et l'Italie sont les plus importants destinataires de marchandises québécoises en Europe. Le Japon, la Corée du Sud, le Brésil et récemment la Chine sont les plus significatifs des autres clients du Québec (voir tableau 4.3) .

Le Québec importe beaucoup plus de l'ensemble de ces pays qu'il n'y exporte. Avec l’Europe de l'Ouest, notamment, la balance commerciale est de plus en plus défavorable de 1985 à 1997 (voir tableau 4.4). Ces déficits sont plus considérables pour le Québec que pour le reste du Canada. En 1993, 22,16% des

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importations québécoises venaient d'Europe, comparativement à 8,42% pour les autres provinces réunies. En 1996, le Québec recevait la part du lion des importations canadiennes de l'Europe de l'Ouest, soit 37,5%, mais il comptait pour une moindre proportion, soit 28,9% des expéditions canadiennes vers ces pays . Le Québec a reçu une part substantielle des investissements ouest-européens, mais il a obtenu peu de succès auprès des Asiatiques. Il semble que ces derniers, et même certains Européens, étant plutôt mal informés de l'évolution politique au Canada et au Québec, ont été plus [152] réticents à investir au cours des années entourant le référendum québécois de 1995 que ne l'ont été les Américains. Aussi, entre le milieu de 1994 et la fin de 1995, plusieurs investisseurs de portefeuille d'outre-mer (surtout japonais) ont vendu leurs titres québécois, tandis que les Américains en achetaient encore.

[153]

Tableau 4.4

Évolution des importations internationales de marchandises : 1985-1997(en millions de dollars canadiens et en pourcentage du total mondial)

10 principaux pays et ensembles régionaux

1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995

Ensemble du monde 20 137 26 086 27 688 28 848 30 439 35 351 39 482% des importations canadiennes 20,5 19,5 18,0 16,5 17,5Solde commercial -1 449 -2 409 -1 809 -1 599 2 197 5 576 8 690États-Unis 10 105 12 222 12 838 13 668 16 141 18 066% des importations québécoises 50,2 44,1 44,5 44,9 45,7 45,8Solde commercial 4 063 6 782 7 942 13 314 17 579 21 042Royaume-Uni 1 152 1 964 1 880 1 950 2 142 2 481% des importations québécoises 5,7 7,1 6,5 6,4 6,1 6,3Japon 1 211 1 957 2 004 1 721 1 713 1 836% des importations québécoises 6,0 7,1 6,9 5,7 4,8 4,6[154]France 724 1 046 1 004 1 000 1 353 1 768% des importations québécoises 3,6 3,8 3,5 3,3 3,8 4,5Solde commercial -501 -472 -978 -978 -773 -835Allemagne 930 1 260 1 071 978 1 163 1 195% des importations québécoises 4,6 4,6 3,7 3,2 3,3 2,8Rép. populaire de Chine 164 725 761 968 1 114 1 263% des importations québécoises 0,8 2,6 2,6 3,2 3,2 3,2Italie 570 639 659 710 915 1 024% des importations québécoises 2,8 2,3 2,2 2,3 2,6 2,6[155]Mexique 366 440 500 635 610 809% des importations québécoises 1,8 1,6 1,7 2,1 1,7 2,0Solde commercial -277 -352 -414 -330 -440 -730Norvège 635 746% des importations québécoises 1,8 1,9Corée du Sud 404 656 545 559 538 558% des importations québécoises 2,0 2,3 1,9 1,8 1,6 1,4Total des 10 principaux pays 16 425 21 964 24 795 27 780 29 141% des importations québécoises 81,6 72,2 70,1 70,4 71,3RégionsAmérique du Nord 10 105 16 141 18 066

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% des importations québécoises 50,2 47,7 45,8[156]12 pays de la Communauté européenne avant l’élargissement en Union européenne

4 146 5 757 5 464 6 700 7 718

% des importations québécoises 20,6 20,0 18,0 19,0 19,5Solde commercial -2 236 -2 171 -2 172 -3 197 -3 368Europe de l’Ouest (12+ Gibraltar, Malte, Finlande, Islande Norvège, Suisse et Autriche]

4 748 7 060 6 878 8 302 9 627

% des importations québécoises 23,6 25,5 23,8 23,5 24,4Solde commercial - 2 645 - 3 095 -3 041 -4 240 -4 815[157]Europe de l’Est (ancien pacte de Varsovie moins l’All. de l’Est

36 203 255 320

% des importations québécoises 0,2 0,7 0,9 0,8Solde commercial 60 -95 -126 -114Asie (autre que Moyen-Orient 2 704 4 664 4 966 5 177% des importations québécoises 13,4 16,8 17,2 13,1Solde commercial -1 615 -2 995 -3 608 - 4003Moyen-Orient 177 127 234 178% des importations québécoises 0,9 0,5 0,8 0,5Solde commercial -264 195 100 405Afrique(autre que Moyen-Orient 283 341 409 811% des importations québécoises 1,4 1,2 1,4 2,0Solde commercial -138 -215 -287 -644[158]Amérique du Sud 589 681 537 847% des importations québécoises 2,9 2,5 1,9 2,1Solde commercial -265 -396 -276 -205Mexique, Amérique centrale et Antilles 366 757 839 1 215% des importations québécoises 1,8 2,7 2,9 3,1Solde commercial -180 -537 -600 -939Océanie 1 247 353 621% des importations québécoises 0 0,9 1,2 1,6Solde commercial 43 -149 -258 -460

Source : Bureau de la statistique du Québec et MICST.

[159]

Même les Français, pourtant favorisés par une relation politique privilégiée avec le Québec depuis la révolution tranquille, n'ont pas été des partenaires économiques enthousiastes. Le commerce avec la France n'a jamais compté pour plus de 2% des échanges internationaux du Québec. En regard du reste du Canada, toutefois, la France apparaît assez importante pour le Québec. En 1996, 55,7% des exportations canadiennes vers la France provenaient du Québec. Cependant, au cours des années quatre-vingt-dix, les Québécois ont régulièrement acheté beaucoup plus de produits français que les Français n'ont importé du Québec. En 1996, les exportations québécoises vers la France atteignaient un sommet de 2% du total (près d'un milliard de dollars) pour chuter à 1,4% en 1997. En revanche, les importations comptaient pour 4,1% au cours de cette même année. Les Québécois importent près de la moitié des produits français expédiés au Canada (voir tableaux 4.3 et 4.4).

Le Québec exporte cependant de plus en plus de produits de haute technologie vers la France. En 1995, 73

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1996 et 1997, près des deux tiers des exportations québécoises appartenaient à cette catégorie . Le Québec accueille aussi de plus en plus de touristes français (400 000 en 1995). Seuls les Américains et les Canadiens sont plus nombreux que les Français à visiter le Québec . Il en va de même des échanges scientifiques. De plus, le Québec est l'hôte des sièges sociaux de 250 des 340 sociétés françaises établies au Canada. Les Français sont devenus les [160] investisseurs étrangers les plus nombreux au Québec après les Américains .

Quant aux autres pays du monde, ils ne comptent pas beaucoup dans les échanges économiques du Québec. En 1996, par exemple, alors que le Canada exportait deux fois plus de marchandises au Japon que dans les quinze pays de l'Union européenne, le Québec, pour sa part, exportait huit fois plus vers ces quinze pays que vers le Japon. Le Québec a été aussi beaucoup plus lent que le reste du Canada à élargir son commerce avec la Chine. Les déficits québécois dans les échanges économiques avec les pays d'Asie sont encore plus considérables que ceux avec les pays d'Europe .

Les exportations québécoises tangibles vers les Amériques (exception faite des États-Unis) constituent entre 1,8 et 2,1% du total entre 1992 et 1997 (voir tableau 4.3). Là aussi, le Québec enregistre un déficit commercial. L'ALÉNA peut, à long terme, engendrer des occasions pour le Québec d'élargir ses exportations de pulpe et de papier, d'équipement et de services de transport, d'aliments particuliers, de techniques environnementales, de logiciels, d'instruments de télécommunication et de génie-conseil. Cependant, la concurrence sera forte dans les secteurs exigeant une main-d'œuvre abondante.

Les exportations vers le Mexique ont beaucoup fluctué de 1985 à 1997, entre 79 et 170 millions (voir tableau 4.3). Les importations ont été constamment plus élevées, variant entre 366 et 971 millions (voir tableau 4.4). Les difficultés financières mexicaines et la crise du [161] peso ont fait chuter les exportations québécoises et ont accentué le déficit commercial. Ce déficit ne tient pas compte, cependant, des exportations québécoises indirectes, c'est-à-dire des biens exportés aux États-Unis qui transitent vers le Mexique après avoir été traités dans ce pays. Les pièces d'automobile fabriquées au Québec, par exemple, se retrouvent dans les exportations américaines vers le Mexique.

La libéralisation des échanges avec le Chili, surtout dans un contexte où le Congrès américain est réticent à s'ouvrir à ce pays, pourra aussi profiter au Québec. Parmi les autres pays d’Amérique latine, le Brésil et le Venezuela sont les meilleurs partenaires depuis 1985.

Dans l'ensemble des pays du monde, à l'exclusion des États-Unis, seule la région du Moyen-Orient a permis au Québec d'enregistrer de modestes surplus commerciaux. Les exportations québécoises outre-mer demeurent, dans l'ensemble, beaucoup moins diversifiées que celles vers les États-Unis. Même si les ventes de produits de haute technologie sont en nette croissance auprès des clients européens du Québec, les exportations québécoises ailleurs qu'aux États-Unis comptent encore une large part de matériaux bruts et semi-finis. Le Québec importe toujours des autres pays, du Japon en particulier, une quantité disproportionnée de produits à valeur ajoutée. C'est donc essentiellement vers les États-Unis qu'il faut se tourner pour évaluer la croissance économique du Québec.

CROISSANCE DES EXPORTATIONSET DU SURPLUS COMMERCIAL

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Depuis la fin des années quatre-vingt, les exportations québécoises de biens tangibles vers les États-Unis ont [162] connu une croissance spectaculaire, plus rapide que celles du Canada dans son ensemble (voir tableaux 4.2 et 4.3). Le Québec accuse cependant un retard quant à la proportion de ses expéditions par rapport à l'ensemble canadien. En 1997, les exportations québécoises de marchandises vers le voisin du sud ne comptaient que pour 17,5% de celles du Canada . De plus, encore en 1993, le Québec n'exportait vers les États-Unis que 12% de sa production de marchandises tandis que l'Ontario en expédiait 25% et

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l'ensemble du Canada 18%.

Malgré tout et à l'encontre des efforts des gouvernements, surtout ceux du gouvernement fédéral de Pierre E. Trudeau, pour diversifier les échanges économiques vers d'autres pays, les ventes québécoises au sud de la frontière ont crû plus rapidement que les autres exportations, notamment vers les autres provinces canadiennes. Cela est particulièrement remarquable depuis l'entrée en vigueur de l’ALÉ en janvier 1989. Encore en 1969, les exportations de biens tangibles vers les États-Unis ne comptaient que pour 60,9% des ventes québécoises à l'étranger. Cette proportion a crû graduellement pour atteindre 77,7% en 1987 et 82,0% en 1997 (voir tableau 4.3) . Seule l'Ontario a dépassé ce pourcentage entre 1994 et 1997.

[163]

En contrepartie, les importations québécoises de marchandises des États-Unis n'ont pas augmenté aussi rapidement. Alors qu'elles Comptaient encore pour 20,5% de l'ensemble canadien en 1991, elles n'étaient plus que 11,7% en 1997 . Par rapport au volume total des importations québécoises, elles ont aussi décliné, passant de 52,3% en 1983 à 47,1% en 1997. Cette même année, c'est 67,6% des importations canadiennes qui venaient des États-Unis, ce qui signifie un écart notable entre le Québec et le reste du Canada. Tandis que les importations américaines comptent pour les trois quarts de ce que les autres Canadiens achètent à l'étranger, au Québec, c'est moins de la moitié des importations qui viennent des États-Unis . Si l'on tient compte cependant des marchandises qui transitent via l'Ontario ou d'autres provinces, le volume des importations américaines apparaît plus considérable, bien que toujours relativement faible (environ 51% .

Pour la première fois depuis longtemps, en 1995 et en 1996, les exportations québécoises vers d'autres pays (France, Union européenne, Brésil, etc.) ont connu un taux d'expansion plus grand que celui des ventes aux États-Unis. Mais, outre le fait que cette croissance s'appliquait à des volumes relativement faibles, il ne semble pas qu'elle doive se traduire par une tendance lourde. Dès 1997, en effet, les exportations vers les États-Unis ont crû a nouveau plus rapidement que les autres.

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Page 76: Le Quebec Espace Americain

[164]

En conséquence de la croissance plus rapide des exportations par rapport aux importations, le surplus québécois dans le commerce des marchandises avec les États-Unis s'est accru considérablement, passant de 4 milliards en 1985 à 21,2 milliards en 1997 (voir tableau 4.4). Le Québec comptait alors pour 34,4% du surplus canadien (comparativement à 14,9% des échanges canado-américains). Ainsi, non seulement le surplus québécois per capita représentait-il le double de celui du reste du Canada, mais il dépassait de plusieurs multiples ceux du japon, de la Corée du Sud et de la Chine, pays souvent pris à partie par la presse et les milieux politiques aux États-Unis. Notons encore que ce surplus est essentiellement responsable du solde commercial positif dans l'ensemble du commerce international québécois de marchandises. En effet, en 1997, le déficit commercial du Québec avec les pays étrangers autres que les États-Unis était de 14,5 milliards .

DIVERSITÉ CROISSANTEDES EXPORTATIONS QUÉBÉCOISES

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La diversification constante des exportations en faveur des produits à forte valeur ajoutée (voir tableau 4.5) représente un facteur primordial du succès commercial québécois aux États-Unis. En général, depuis le milieu des années quatre-vingt, on peut affirmer, à peu d'exceptions près, que plus sont élevées la technologie et la valeur ajoutée des produits, plus grande est la proportion de ces produits qui est exportée aux États-Unis et plus faible celle qui est expédiée ailleurs dans le monde. En 1997, les produits manufacturés comprenaient plus de 93% des [165] expéditions tangibles vers les États-Unis, mais moins de 75% dans le reste du monde. Et ce pourcentage serait beaucoup moindre si on excluait du calcul les pays d'Europe de l'Ouest.

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Il est donc difficile d'exagérer l'importance du commerce avec les États-Unis eu égard à la modernisation de l'économie québécoise, aux économies d'échelle qui améliorent sa force concurrentielle tant au Canada qu'aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

Il faut parler aussi d'une diversification géographique croissante des exportations québécoises aux États-Unis. Pour des raisons évidentes, c'est surtout dans les quinze États du Nord-Est que le Québec a exporté, c'est-à-dire les six États de la Nouvelle-Angleterre, les trois de la région nord-atlantique et les six États riverains des Grands Lacs (région du Nord-Est central). Cependant ces États, qui recevaient encore 76% des expéditions québécoises en 1984, n'en recevaient plus que 52,8% en 1997 .

Les exportations d'électricité et de matériaux lourds à faible valeur ajoutée continuent d'être inévitablement concentrées dans ces trois régions. Dans les autres régions, seul le Texas, avec 4,8%, et la Californie, avec 3,1%, comptent parmi les dix plus importants États clients du Québec aux États-Unis. L'État de New York, à lui seul, achète 14% des produits québécois exportés aux États-Unis. Le Vermont, un État minuscule, reçoit tout de même, en 1997, 10,3% des exportations québécoises en raison de sa proximité géographique, des fortes ventes d'électricité et du commerce à l'intérieur de firmes multinationales comme IBM et Bombardier. Cet État constitue,

[166]

Tableau 4.5

Principaux produits québécois exportés aux États-Unis (en milliers de dollars,rang et pourcentage par rapport à l'ensemble)

1980 Rg % 1984 Rg %

Équipement et matériel de télécommunication

NPP NPP

Aluminium y compris alliages 705 299 3 7,9 1 085 406 3 8,3

Papier journal 1 546 735 1 17,4 2 299 665 1 17,6

Voitures particulières et chassis 872 866 2 9,8 1 356 941 2 10,4

Bois d’œuvre résineux 219 568 9 2,5 495 304 4 3,8

Avions complet y compris moteurs 21 621 21 0,2 230343 13 1,7

Autre matériel et outils NPP NPP

Vêtements et accessoires vestimentaires NPP NPP

Moteurs d’avions et pièces 373 010 5 4,2 495 304 4 5,6

[167]

Transactions spéciales commerciales NPP NPP

Cuivre et alliages 287 333 6 3,2 234 031 11 1,8

Ouvrages de base en métal NPP NPP

Autres véhicules moteurs 128 024 11 1,4 228 907 12 1,8

Autres produits finis NPP NPP

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Machines et matériel de bureau 122 992 13 1,4 140 613 17 1,2

Navires, bateaux et pièces 47 376 19 0,5 NPP

Autre papier et imprimerie NPP NPP

Autre papier NPP NPP

Pâte de bois et pâte similaire 272 356 7 3,1 252 623 10 1,9

Électricité 154 346 9 1,7 392 789 7 3

Récipients et fermetures NPP NPP

Produits de carton NPP NPP

Autres demi-produits en bois NPP NPP

Caoutchouc synthétique et matériaux plastiques

NPP NPP

Autres produits chimiques NPP NPP

NPP : Ne compte pas parmi les 25 principaux produitsSource : Statistique Canada et MICST, Québec

[168]

pour le Québec, une sorte de porte d'entrée dans le marché américain. Les exportations vers d'autres régions que le Nord-Est sont dirigées surtout vers les zones de forte croissance, notamment le Sud-Est et le Sud-Ouest. Les produits de haute technologie et à forte valeur ajoutée sont en général plus légers et voyagent plus facilement. Ils constituent une large part des exportations québécoises croissantes vers des États américains éloignés.

LE COMMERCE DES SERVICES

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Les données relatives aux services, c'est-à-dire aux échanges économiques autres que ceux des marchandises et des transferts d'argent, sont plus éparses et moins fiables. Nous savons cependant que les exportations internationales québécoises de services ont crû de 7,5% entre 1981 et 1996 tandis que les importations ont augmenté davantage, à un taux de 8,1%. Par contre, ce déficit a paru se rétrécir au cours des années quatre-vingt-dix. Il est à prévoir que le flux des services croîtra considérablement entre les États-Unis et le Canada en raison de la dynamique de l'ALÉNA.

Plus encore que pour les marchandises, les échanges internationaux de services se concentrent sur la ligne nord-sud. Cela est vrai tout autant du Québec que de l'ensemble du Canada. Ces services se situent souvent à l'intérieur des firmes multinationales installées de part et d'autre de la frontière et en grande majorité américaines. Elles ont donc tendance à favoriser davantage les services professionnels et autres provenant des États-Unis, ce qui explique le déficit canadien. Le Québec s'en tire toutefois beaucoup mieux que le reste du Canada. Ainsi en 1995, le solde négatif québécois pour l'ensemble des services [169] internationaux se situait à moins de un milliard tandis que le Canada entier enregistrait un déficit de cinq milliards pour les seuls échanges de services avec les États-Unis . En 1997, pour la première fois dans l'histoire connue, le Québec exportait plus de services à l'étranger qu'au Canada et connaissait un léger

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Page 79: Le Quebec Espace Americain

surplus international de 763 millions. Parmi les services, le tourisme, incluant le flot de visiteurs d'un pays à l'autre, que ce soit pour le plaisir, les affaires, les congrès ou autres objectifs, mérite une attention particulière. Depuis le milieu des années quatre-vingt, le Québec aurait pu s'attendre à un accroissement du tourisme américain en raison de ses attraits particuliers et du faible taux de change du dollar canadien. En fait, plus d'Américains ont visité le Québec, ils y ont séjourné plus longtemps et ont dépensé plus d'argent que tous les autres Canadiens ou que tous les autres touristes étrangers. Cependant, après avoir atteint un sommet en 1987-1988, le tourisme américain au Québec a eu tendance à décliner. De plus, le Québec n'attire qu'environ 18% des touristes américains qui viennent au Canada . Notons aussi que les Américains dépensent moins d'argent per capita au Québec que les autres touristes étrangers qui y séjournent plus longtemps puisqu'ils viennent de plus loin .

[170]

Quant aux Québécois qui visitent les États-Unis, la faiblesse du dollar canadien relativement au dollar américain ne semble les avoir dissuadés que partiellement de franchir la frontière. En 1994, des 600 000 Canadiens qui se rendaient en Floride, quelque 40% provenaient du Québec . Les Québécois ont aussi beaucoup visité les États limitrophes et séjourné sur les plages du Maine, du Massachusetts et du New Jersey. En 1990, les visiteurs québécois dépensaient encore aux États-Unis 477 millions de dollars canadiens de plus que les Américains séjournant au Québec . En 1997, cependant, le déficit touristique québécois était considérablement réduit et en 1998, d'après des données partielles, le Québec a reçu plus de visiteurs américains qu'il n'a vu partir de Québécois vers les États-Unis .

INVESTISSEMENTS

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En 1995, environ la moitié de la production canadienne, dans une proportion plus large encore pour la production à haute valeur ajoutée, et 38% des emplois se situaient à l'intérieur de filiales de firmes multinationales provenant de l'étranger, surtout des États-Unis . La [171] proportion des investissements américains directs dans l'ensemble canadien a cependant décliné, passant des trois quarts aux deux tiers du total entre 1984 et 1992 .

Les investissements américains sont moins considérables au Québec. En 1997, ils ne comptaient que pour 40% des investissements étrangers directs dans la province. Ils ont crû en nombre absolu au cours des dernières années, mais leur proportion a diminué par rapport à l'ensemble du Canada (surtout l'Ontario) et par rapport aux autres investissements étrangers .

Les investissements québécois aux États-Unis n'ont pas la même ampleur que leur contrepartie (ceux des Américains au Québec) mais ils sont en croissance. Ils sont souvent faits par des PME francophones qui, après avoir atteint la rentabilité au Québec et dans d'autres provinces canadiennes, s'étendent au marché américain et finissent par y développer des niches où elles investissent .

L'IMPACT DE L'ACCORDDE LIBRE-ÉCHANGE

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L'importance de ces réalités économiques interprovinciales et internationales a été de mieux en mieux appréhendée au Québec par les responsables politiques de tous partis, les médias les plus sérieux, la communauté des affaires et de la finance, l'ensemble des élites et une forte [172] proportion de l'électorat. Ainsi, en dépit du grand nombre de travailleurs au sein d'entreprises protégées et, en conséquence, de

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l'ouverture mitigée de la plupart des dirigeants syndicaux aux échanges internationaux, les Québécois ont apporté leur appui majoritaire aux accords de libre-échange négociés et ratifiés par le gouvernement fédéral de Brian Mulroney, l’ALÉ en 1987-1988 et l’ALÉNA en 1991-1993.

Ces accords ont fait l'objet d'une virulente opposition de la part des gouvernements de l’Ontario, qu'ils aient été dirigés par les libéraux sous David Peterson (1987-1990) ou par le Nouveau Parti démocratique sous Bob Rae (1990-1995) et de la part d'une grande partie des élites politiques et culturelles à travers le Canada. En fait, à l'élection de novembre 1988, après une campagne électorale où l’ALÉ représentait l'enjeu majeur, tous les grands centres urbains du pays ont répudié le Parti conservateur de Brian Mulroney, sauf ceux de l'Alberta et du Québec. Au Québec, les deux grands partis politiques provinciaux ont appuyé le libre-échange et les candidats de Mulroney ont été élus en grande majorité (62 sur 75).

Sans doute l'opinion publique québécoise n'était-elle pas unanime. Des craintes se sont exprimées dans les milieux syndicaux et de la part de certaines élites politiques et culturelles. Mais le gouvernement de Robert Bourassa, sous la pression du milieu des affaires auquel il était très sensible et avec l'appui de la grande presse, a mené le bal en faveur du libre-échange canado-américain. Le Parti québécois ne s'y est jamais opposé systématiquement. Certains éléments de ce parti, dont le chef Pierre-Marc Johnson, entre 1985 et 1987, ont exprimé des réticences, mais Bernard Landry avait déjà appelé de ses vœux un marché commun nord-américain quand il était ministre du [173] Commerce international en 1983. Jacques Parizeau, qui assumait la direction du parti en 1988, s'est fait le champion du libre-échange. Les sondages d'opinion ont aussi révélé un appui substantiel dans l'ensemble de la population francophone . En conséquence, Brian Mulroney a dû, pour une grande part, sa réélection aux Québécois. On peut donc dire que le traité de libre-échange canado-américain n'aurait pas vu le jour sans cet appui massif du Québec .

Jean Chrétien, devenu chef du Parti libéral du Canada en 1990, a entériné l'opposition de son parti à l’ALÉ mais, dans le cas de l’ALÉNA, il s'est contenté de réclamer des amendements en vue de limiter les recours américains aux droits compensateurs et d'assurer une meilleure protection en matière de conditions de travail et d'environnement. Une fois devenu premier ministre en 1993, il s'est montré satisfait toutefois de quelques mesures mineures et de la poursuite de pourparlers sur la définition des subventions. Cela n'a pas retardé l'entrée en vigueur de l'accord. Le ministre du Commerce international nommé par Jean Chrétien, Roy McLaren, personne connue pour ses orientations libre-échangistes, a obtenu carte blanche pour prôner une généreuse application de l’ALÉ et de [174] l'ALÉNA et chanter les bienfaits de l'intégration économique nord-américaine sur toutes les tribunes qui lui étaient offertes.

Il n'est pas facile d'évaluer l'impact de ces accords. Plusieurs opposants continuent de citer leurs effets négatifs sur la structure de l'industrie canadienne et sur les programmes gouvernementaux. Il est cependant indéniable que les exportations canadiennes ont connu un nouvel élan et que le surplus commercial s'est accru considérablement.

Deux études de 1994, l'une de l'institut C.D. Howe de Toronto, l'autre de la Caisse de dépôt et placement du Québec, ont fait valoir que l’ALÉ a été particulièrement bénéfique pour le Québec . L'étude de la Caisse, comparant les exportations du Québec avant (1984-1988) et après (1989-1993) l'entrée en vigueur de l'accord, révèle une accélération notable des ventes dans les secteurs libéralisés au cours des premières années. La croissance des exportations s'est avérée plus rapide au Québec qu'ailleurs au Canada, beaucoup plus rapide aussi que celle des ventes québécoises dans les autres pays du monde.

Entre 1988 et 1992, les exportations du Québec vers les États-Unis dans les secteurs libéralisés par l’ALÉ ont crû de 43,3%, ceux du Canada dans l'ensemble, de 33,4%. En conséquence, le surplus commercial des échanges avec les États-Unis est passé de 2,9 à 3,65 milliards, en partie parce que les importations québécoises du voisin du sud n'ont crû que de 3,4% au cours de la même période tandis [175] que celles de l'ensemble du Canada grimpaient de 28,4%.

L'étude de la Caisse révèle en outre que les exportations de produits à forte valeur ajoutée ont bénéficié tout particulièrement du libre-échange. Tel est le cas, par exemple, de l'équipement de bureautique et de télécommunication. Dans ces secteurs, les exportations ont connu une ascension fulgurante de 179,8% entre

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Page 81: Le Quebec Espace Americain

1988 et 1992, alors qu'elles n'avaient crû que de 21,6% dans les années précédentes. En revanche, les importations de ces produits des États-Unis ont augmenté de 29,8% durant les quatre années qui ont suivi l'entrée en vigueur de l’ALÉ tandis que les exportations ailleurs dans le monde croissaient de 28,1%.

Comme on pouvait s'y attendre, les exportations québécoises aux États-Unis dans les ressources naturelles et dans les secteurs « mous » tels que l'alimentation, les textiles, le vêtement et le meuble, n'ont pas connu une telle croissance. Néanmoins les ventes de produits alimentaires ont augmenté de 22,3% au cours des quatre premières années de l’ALÉ comparativement à 8,6% entre 1984 et 1988. En 1997, pour la première fois de son histoire, le Québec affichait un solde positif de ses échanges internationaux dans le secteur agro-alimentaire. Quant aux importations des États-Unis dans ces secteurs, elles n'ont crû que de 10,3% entre 1988 et 1992. Les exportations québécoises de ces produits ailleurs dans le monde ont décliné de 14,3% durant ces mêmes années.

Le seul secteur du textile a connu une remarquable expansion dans la mesure où les exportations vers les États-Unis ont augmenté de 165% tandis que les importations ne croissaient que de 28,2% alors même que les échanges avec les autres pays étaient nettement décroissants. L'étude de la Caisse en conclut :

[176]

Les grands gagnants auront été les entreprises qui auront pu profiter de l'accélération des exportations vers les États-Unis. S'il y a eu des perdants, il se seront trouvés du côté des entreprises qui desservent exclusivement le marché domestique et qui auront vu leurs expéditions décroître du fait de la stagnation de ce marché et de la progression des importations 16 en provenance des États-Unis .

Deux facteurs autres que la mise en vigueur de l’ALÉ ont pu contribuer à cette expansion québécoise vers les États-Unis. D'abord la dévaluation progressive du dollar canadien à compter de 1991 a pu faciliter grandement les exportations québécoises et faire diminuer les importations. Cependant, outre que cela ne rend pas compte de la différence québécoise par rapport à l'ensemble canadien, les pourcentages de dépréciation ne suffisent pas, il s'en faut, à expliquer l'ampleur des progrès notés plus haut. Le second facteur relève de la récession économique de cette période, ressentie plus profondément au Canada et dont le Québec s'est sorti beaucoup plus lentement que les États-Unis. Les autres pays industrialisés ont également eu grand peine à se redresser. Mais ce facteur, pas plus que le premier, ne suffit, pour ce qu'il signifie, à rendre compte de l'écart substantiel entre les quatre années qui ont précédé l’ALÉ et celles qui l'ont suivi.

Il semble donc que les attentes particulières du Québec quant aux accords de libre-échange ont été comblées pour une bonne part. Peut-être l'Ontario était-elle déjà trop engagée dans l'intégration économique avec les États-Unis (en raison du pacte de l'automobile surtout) pour voir l’ALÉ d'un œil favorable, mais l'économie québécoise était [177] demeurée quant à elle plus en retrait et reposait davantage sur un protectionnisme peu productif. En conséquence, l'ouverture des marchés américains a pu représenter une bouffée d'air frais et un véritable stimulant.

CONCLUSION

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Il ressort à l'évidence de ce chapitre que le Québec est ancré presque indissolublement dans l'univers

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Page 82: Le Quebec Espace Americain

économique nord-américain. Les forces de l'économie québécoise sont presque toutes liées étroitement, soit aux investissements américains, soit aux échanges économiques avec les États-Unis. En revanche, les problèmes structurels du Québec se retrouvent le plus souvent sur la ligne est-ouest. Ils relèvent aussi fréquemment de difficultés à percer le marché américain.

On aura aussi constaté que les échanges avec les autres provinces canadiennes n'en demeurent pas moins très importants pour l'économie du Québec. Cela est encore vrai même si, depuis 1990 pour le commerce des marchandises et depuis 1992 pour l'ensemble incluant les services, la valeur totale des échanges avec les États-Unis a surpassé celle des échanges commerciaux avec le reste du Canada. Quant au commerce avec les autres pays du monde, bien qu'il ne cesse de se développer, il demeure marqué par un solde commercial déficitaire.

Le commerce avec les États-Unis, par contre, permet au Québec d'enregistrer un confortable surplus. Les Québécois importent beaucoup moins de produits des États-Unis qu'ils n'y exportent et ce phénomène est nettement plus prononcé que dans le reste du Canada.

Enfin, on peut constater d'une manière générale que tout ce qui est dynamique, productif et rentable dans [178] l'économie québécoise est étroitement relié aux exportations vers les États-Unis. Notons tout particulièrement l'expansion du secteur des télécommunications qui occupe maintenant le premier rang parmi les produits exportés vers le voisin du sud.

Tout ce qui précède est devenu plus significatif que jamais depuis l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange en 1989.

Cette énorme dépendance de l'économie québécoise ne laisse pas d'inquiéter cependant, surtout dans ses effets sur les relations culturelles qu'il nous faut maintenant examiner.

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Page 83: Le Quebec Espace Americain

[179]

LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Deuxième partie :Les relations politiqueséconomiques et culturelles

Chapitre 5

Les relations culturelles

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I1 va de soi que les relations culturelles entre le Québec et les États-Unis se poursuivent en très grande part à sens unique. La pénétration de la culture américaine au Québec est un phénomène observable depuis toujours. Les nationalistes canadiens-français et québécois s'en sont régulièrement inquiétés. Mais au moment même où l'influence culturelle des États-Unis prend une ampleur plus considérable que jamais, la culture québécoise apparaît paradoxalement plus vigoureuse au point d'exercer un certain rayonnement chez le voisin du sud.

Nous tenterons d'éclairer ce phénomène d'abord en établissant quelques distinctions susceptibles de clarifier ces questions toujours porteuses de confusion. Puis, dans la foulée du chapitre précédent, nous verrons comment l'intégration économique s'accompagne d'influences culturelles, tout particulièrement au sein de la culture populaire. Ici comme ailleurs, nous devrons tenir compte du cadre canadien et des perspectives du Canada anglais. Enfin, nous traiterons de la présence culturelle québécoise aux États-Unis.

DISTINCTIONS PRÉLIMINAIRES

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Distinguons d'abord entre les divers sens qu'on donne habituellement au mot « culture ». Ce mot peut être [180] entendu dans un sens anthropologique comme ce qui caractérise le mode de vie des personnes à l'intérieur d'une société donnée. Il s'agit d'un ensemble de présupposés, de critères, de valeurs qui s'imposent plus ou moins aux relations sociales et conditionnent le plus souvent des perceptions, des visions du monde. En ce sens, on pourrait dire de la culture qu'elle constitue le prisme à travers lequel les membres d'une société interprètent leur existence et celle du monde extérieur.

Envisagée ainsi, la culture doit être définie comme un phénomène essentiellement dynamique, en évolution constante et soumis, comme tout ce qui est vivant, à des échanges avec le milieu extérieur. Dans ce sens, on peut observer une culture québécoise qui relève des traits particuliers de l'univers social du Québec, mais qui évolue à la faveur des échanges avec l'extérieur : les États-Unis, les provinces canadiennes voisines, l'Europe, la francophonie et les autres pays du monde. La culture québécoise doit donc être définie dans une certaine continuité par rapport au passé, mais aussi dans sa dynamique contemporaine. Elle doit aussi être saisie comme un amalgame des grandes influences qui l'ont modelée :

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ses origines françaises, ses relations avec le milieu autochtone, la marque des institutions et des valeurs britanniques, les apports de l'immigration et, sans aucun doute, l'osmose constante avec la grande société américaine et sa culture.

La culture peut aussi être perçue et définie comme l'ensemble des productions dites culturelles ou artistiques propres à une société donnée . On fait souvent référence, [181] dans ce sens, à ce qu'on appelle la « haute culture » ou la culture des élites qui ont accès aux arts. Mais cela n'est pas tout à fait juste dans la mesure où certaines productions culturelles considérées comme des chefs-d'œuvre de l'art s'adressent autant aux milieux populaires qu'aux élites. Shakespeare et Molière n'ont pas créé leurs œuvres dans une perspective élitiste. Pas plus d'ailleurs que Andy Warhol ou George Gershwin aux États-Unis. En ce qui concerne le Québec, particulièrement, toute une production artistique relève de la culture populaire et du folklore : chansons, musique instrumentale, contes, sculpture et autres.

Pour rendre cette distinction encore plus ténue et problématique, on attribue aux Américains un nouveau type de production culturelle qu'on appelle culture de masse ou pop culture et qui s'adresse résolument à l'ensemble de la population. En fait, ce type de produit n'a pas été vraiment inventé aux États-Unis : on en retrouve des spécimens tout au long de l'histoire. Pensons seulement aux troubadours médiévaux et à la Commedia del Arte. Ce qui est propre aux États-Unis, c'est plutôt la mise en marché de cette culture de masse dans le cadre du capitalisme. Nous y reviendrons.

Retenons seulement pour le moment que, si distincte que soit la culture de l'ensemble d'un peuple de ses productions culturelles élitistes ou non, des relations étroites [182] n'en existent pas moins entre tous ces sens accordés au mot culture. Il existe une culture américaine (American way of life) qui se manifeste aux États-Unis dans la production artistique tout autant que dans les mass media.

Dans la mesure où la culture québécoise (à tous les niveaux mais surtout dans les milieux populaires) est imprégnée de culture américaine, il faut encore distinguer entre « américanité » et « américanisation », c'est-à-dire entre ce qui relève de l'insertion historique et spatiale du Québec dans le continent américain, d'une part, et ce qui tient aux influences directes de la culture des États-Unis, d'autre part.

On a beaucoup fait état de l'américanité du Québec depuis une trentaine d'années. Une intelligentsia québécoise en a pris conscience, souvent à la faveur des relations avec la France et de la recherche d'un rôle propre au Québec à l'intérieur de la francophonie . Comme on l'a vu au chapitre premier, on peut même établir que ce sont les colons français, puis les Canadiens, avec l'indispensable secours des Amérindiens, qui ont fondé l'américanité et l'incessante poursuite de la frontière.

On peut aussi observer que les Québécois se révèlent profondément américains dans leurs valeurs, leurs goûts, [183] leurs habitudes de vie et qu'ils manifestent, bien davantage que les Européens, une propension à l'aventure et à l'initiative individuelle. Leur sens de la liberté, de la simplicité de vie et de manières, des relations sociales aisées, leur pragmatisme, leur égalitarisme, leur goût pour la nature sauvage, leur peu de respect envers les gouvernements et les hiérarchies les rendent bien plus semblables aux autres Nord-Américains qu'aux Français européens .

Quant à l'américanisation, c'est un phénomène que les élites québécoises (religieuses et intellectuelles) ont longtemps dénoncé et dont on s'inquiète encore aujourd'hui . Mais il faut distinguer entre plusieurs types d'américanisation. D'une façon générale, il y a celle qui est voulue, considérée comme nécessaire, utile ou bienfaisante. Il y a aussi celle qu'on déplore ou qu'on considère comme préjudiciable et dans le pire des cas comme assimilatrice et destructrice de la culture québécoise ou canadienne. Évidemment, comme il n'est pas facile de s'entendre sur ce qui est menaçant et ce qui ne l'est pas, cette distinction donne encore lieu à de multiples espèces d'américanisation, de celle qui est subie à celle qui est recherchée et aménagée. Nous y reviendrons. Voyons d'abord comment [184] l'américanisation du Québec a pu se poursuivre et progresser en raison de l'énorme poids économique du pays voisin.

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INTÉGRATION ÉCONOMIQUEET INFLUENCES CULTURELLES

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Dès le dix-neuvième siècle, les accords de réciprocité de 1854 ont entraîné une pénétration de produits américains au Canada, un certain goût pour les États-Unis dans la population. Il serait excessif de relier le mouvement annexionniste à l'intégration économique. Les leaders francophones de ce mouvement se rapprochaient surtout des valeurs républicaines propres aux États-Unis et comptaient sur l'autonomie des États protégée par la Constitution américaine pour assurer la permanence d'une culture québécoise distincte. En revanche, les grandes migrations qui ont eu lieu durant la seconde moitié du siècle témoignent bien de la fascination qu'exerçait le mode de vie américain. Il est vrai que les autorités religieuses du Québec ont tout mis en œuvre pour contrer l'américanisation, même en sol américain. Ces tentatives n'ont toutefois obtenu que des succès mitigés. Qui pourrait nier que la « parenté des États », revenant à l'occasion au Québec, exerçait une forte influence culturelle ?

Par la suite, comme nous l'avons signalé au chapitre premier, ce sont les capitaux américains investis au Québec qui ont contribué à endiguer le flot des migrations. L'industrialisation qui s'en est suivie a sans doute tardé à imprégner tout à fait les mentalités en raison de la résistance des élites cléricales et nationalistes. Malgré tout, cependant, la grande presse à l'américaine, l'importation des appareils ménagers, des voitures et surtout des films [185] américains et autres productions culturelles populaires ont injecté peu à peu des valeurs proprement étatsuniennes dans la population québécoise. Comme plusieurs historiens l'ont fait remarquer, les Québécois de l'entre-deux-guerres, tout en demeurant fidèles aux pratiques religieuses et morales traditionnelles, n'en ont pas moins adopté bien des habitudes de vie proprement américaines.

Il faudra attendre toutefois la Deuxième Guerre mondiale et l'ère de prospérité qui l'a suivie pour que s'accentuent rapidement les relations. De plus en plus de Québécois, à la faveur de la croissance phénoménale des transports qui a marqué les années cinquante, ont voyagé aux États-Unis et sont entrés en contact avec des Américains. L'usage presque généralisé des voitures particulières a surtout contribué à ces déplacements au-delà de la frontière. L'avènement de la télévision en 1952 et celui de la câblodistribution au cours des années soixante-dix ont aussi entraîné une plus grande pénétration de productions culturelles américaines. Il en sera question plus loin.

Des entrepreneurs américains sont apparus plus nombreux en sol québécois. Ils ont très souvent été accueillis favorablement par les gouvernements du Québec, d'abord d'une manière plutôt passive, mais aussi de plus en plus activement par l'intermédiaire du bureau de New York, devenu délégation générale en 1962, et des autres délégations par la suite. La révolution tranquille a grandement favorisé ces échanges, tout particulièrement au moment de la nationalisation de toutes les entreprises de production et de distribution d'électricité, dont le financement a été assuré à New York.

La croissance des entreprises québécoises, fortement reliée aux exportations vers les États-Unis, comme on l'a [186] vu au chapitre précédent, a aussi favorisé de nombreux échanges entre Québécois et Américains. En grand nombre, gens d'affaires, gestionnaires, cadres, employés de même qu'avocats, comptables, consultants et autres agents de services professionnels ont traité directement avec leurs clients ou partenaires américains. Ces personnes ont assez rapidement maîtrisé l'usage de la langue anglaise. Même au moment où la Charte de la langue française imposait l'usage du français au Québec, le nombre de Québécois connaissant l'anglais a continué de croître. Cela est dû sans doute à la hausse de la scolarité, aux nécessités des communications internationales et plus particulièrement à celles des rapports avec les Américains qui se multiplient d'année en année. Non seulement des entreprises américaines s'implantent au Québec et y envoient du personnel, mais un nombre croissant de firmes québécoises font des affaires aux États-Unis tandis que d'autres obtiennent d'importants contrats de sociétés commerciales américaines. Cela entraîne inévitablement une sorte de promiscuité entre la culture américaine au sens premier, défini plus haut, et le mode de vie des Québécois. Pensons seulement aux nouvelles technologies, provenant le plus souvent des États-Unis, et à leur utilisation massive au Québec, où leur insertion se produit si rapidement

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qu'elle devance toujours les efforts déployés pour les intégrer et développer des modes d'utilisation conformes à la langue et à la culture des Québécois.

Ce sont évidemment les importations massives de produits culturels américains qui ont le plus favorisé l'américanisation des Québécois : les émissions télévisées, les films, les publications écrites et les productions musicales.

[187]

INVASION DE LA CULTUREPOPULAIRE AMÉRICAINE

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Les émissions de télévision en provenance des États-Unis ont pu être regardées par les Québécois comme par l'ensemble des Canadiens dès leur apparition, avant même que ne soient créés les premiers grands réseaux de production canadiens en 1952. Pour la majorité francophone, toutefois, les débuts de la télévision n'ont pas comporté une menace d'américanisation, comme c'était le cas chez les Anglo-Canadiens. Alors que le réseau public anglophone devait consacrer une certaine portion de sa programmation à la transmission d'émissions américaines fort populaires, le réseau français de Radio-Canada allait relever le plus grand défi culturel de l'histoire du Canada français. Depuis Montréal, on a produit, dès 1952, une programmation quotidienne complète entièrement canadienne, en pratique tout à fait québécoise, puisque le réseau ne pouvait guère desservir que la masse critique de la population francophone concentrée au Québec.

Phénomène particulièrement significatif et révélateur : à l'aide de techniques empruntées aux États-Unis (car c'est à Los Angeles et à New York qu'ont été formés les premiers réalisateurs québécois), dans le cadre d'un réseau pancanadien, les francophones du Québec ont connu un sursaut culturel sans précédent qui a sans doute fortement contribué à la révolution tranquille et à une nouvelle affirmation moderne de l'identité québécoise. Certes, les premiers pas de la télévision au Québec ont été empreints d'américanité. En effet, ce ne sont pas les francophones d'outre-Atlantique qui ont d'abord inspiré les producteurs québécois. Toutefois, loin de s'abandonner à l'américanisation, cette œuvre de pionniers a d'abord signalé l'émancipation culturelle et l'affirmation nationale des francophones du Québec.

[188]

Sans doute les Québécois ont-ils regardé, dès le départ, des émissions américaines populaires, soit au réseau anglais de Radio-Canada, soit en captant, au moyen d'antennes, des signaux de villes américaines frontalières. Néanmoins ils ont préféré massivement les productions canadiennes québécoises.

La barrière de la langue n'allait pas suffire à endiguer la pénétration de la télévision américaine au Québec, car bientôt des doublages français d'émissions en provenance des États-Unis apparurent sur les écrans, surtout ceux de la télévision privée lancée en 1960. Ces émissions étaient et sont toujours accessibles à un coût beaucoup moins élevé que celui des productions locales. De plus, l'avènement de la câblodistribution, accompagné d'un net progrès de la connaissance de l'anglais dans la population francophone, a facilité l'accès à une gamme variée d'émissions américaines. Les abonnés du câble ont pu, à compter du début des années soixante-dix, recevoir un nombre de plus en plus élevé de chaînes de langue anglaise, au moins deux fois plus qu'en français. Il en est résulté, durant une certaine période, une popularité de la télévision américaine assez forte pour attirer près de la moitié de l'auditoire francophone du Québec.

Au cours des années quatre-vingt, cependant, la production télévisuelle québécoise a connu un autre sursaut plutôt inattendu dans la conjoncture de l'époque. Ainsi, entre 1984 et 1987, la proportion de la consommation des émissions canadiennes (presque toutes québécoises) est passée de 52 à 62%. Au cours

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des mêmes années, cette proportion déclinait de 30 à 26% dans le cas des Canadiens anglophones . En 1991, les deux émissions les plus [189] populaires auprès de ces derniers étaient américaines tandis que les nouvelles nationales de la télévision publique (CBC National News) occupaient le quatorzième rang. Au même moment, les quinze émissions les plus regardées à la télévision française au Québec étaient toutes d'origine canadienne . En 1996, le réseau anglais de Radio-Canada n'attirait plus que 9% de la population canadienne, seulement 5% dans la région de Toronto. À Montréal, par contre, 23% des francophones regardaient la télévision de Radio-Canada ; dans l'ensemble du Québec francophone, c'était 28%. Les téléromans québécois demeurent particulièrement populaires. Ils comptent régulièrement parmi les émissions les plus regardées au Québec. D'après un sondage du 7 mai 1998, les six émissions les plus populaires au Québec étaient toujours des productions locales .

Le Québec n'en est pas pour autant à l'abri de l'influence culturelle américaine propagée par la télévision. Ainsi, à l'automne de 1996, quatre des vingt émissions les plus populaires au Québec étaient américaines. Même la chaîne culturelle PBS (Public Broadcasting System) attire, semble-t-il, un plus large auditoire francophone que sa concurrente française TV5 . Quant aux films diffusés à la télévision, ils sont américains dans une forte proportion : en 1990, 61% pour l'ensemble, 37% à Radio-Canada et 29% à Radio-Québec (devenu depuis Télé-Québec) . À [190] cela s'ajoute l'usage de plus en plus répandu des vidéocassettes, dont une grande majorité vient des États-Unis.

C'est d'ailleurs le cinéma qui constitue la plus forte présence culturelle américaine, au Québec comme dans l'ensemble du Canada. Les productions québécoises ont tout de même effectué une certaine percée dans le domaine du long métrage. Encore en 1992, la moitié (27 sur 55) des productions canadiennes de ce type provenaient du Québec. Cependant le nombre de films produits annuellement en langue française au Québec a décliné d'environ un tiers entre 1983 et 1993, passant de 10 à 6% de la proportion de films présentés sur les écrans du Québec. C'est toujours deux fois mieux cependant que dans les autres provinces canadiennes réunies où elle n'est que de 3% . Les programmes gouvernementaux d'aide à la production cinématographique y sont sans doute pour beaucoup.

À l'instar des productions françaises et européennes en général, les films québécois se distinguent assez nettement du cinéma américain en ce qu'ils se présentent comme des œuvres d'art bien davantage que comme des produits commerciaux. Comme le disait fort à propos un représentant américain dans une conférence sur le sujet, les réalisateurs européens ont tendance à créer les films qui leur plaisent en ne suivant que leur propre inspiration. L'industrie cinématographique américaine, en revanche, produit des films en fonction des attentes du public et de la maximisation de la distribution et des profits. Dans de telles circonstances, le film québécois ne fait généralement pas recette et doit compter sur les subventions gouvernementales pour environ 80% des coûts. Les budgets de [191] production en 1993 se situaient autour de 2,8 millions de dollars en moyenne, en comparaison des 20 millions que coûte un film américain moyen. Les sommes consacrées à la publicité constituent une fraction plus minime encore de celles qu'on alloue aux productions hollywoodiennes .

Il apparaît donc clairement que le cinéma américain ne se présente pas d'abord comme une œuvre d'art (ce qu'il peut toutefois fort bien devenir), mais comme un bien de consommation fabriqué en fonction des goûts immédiats des consommateurs, ce à quoi une œuvre d'art n'a jamais pu prétendre. Au contraire, la production artistique originale s'est souvent attirée l'hostilité d'un public habitué à autre chose. Il a fallu parfois des générations avant que soit accréditée telle ou telle œuvre d'art. On est donc en droit de se demander si le contexte de la production de films aux États-Unis est favorable à la véritable création artistique. Cela représente d'ailleurs un problème autant pour les réalisateurs américains que pour ceux des autres pays. Ce problème n'est pas lié à l'américanisation comme telle mais à l'omniprésence d'un mode de production qui s'impose un peu partout.

En 1996, par exemple, 87% des recettes du cinéma au Québec sont allées à des entreprises américaines, comparativement à 97% pour le reste du Canada, 54,7% pour la France et environ 77% pour l'ensemble de l'Union européenne . Le cinéma français est donc celui qui résiste le mieux, parmi les sociétés industrialisées d'Occident, à l'envahissement du cinéma américain. Dans la mesure où le film français pénètre au Québec, il contribue à ce que [192] les salles québécoises soient autre chose que des lieux

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d'américanisation de la population. Il ne s'ensuit pas, de toute évidence, que les productions françaises se présentent toutes comme des chefs-d'œuvre du septième art. Il s'en faut. Ces productions relèvent assez souvent d'entreprises de commercialisation facile. Il en va de même pour les films d'autres pays. Ces films assurent tout de même une certaine diversité culturelle. Or il ne serait pas très sain que les Québécois, comme les citoyens d'autres pays soumis à ce processus, ne puissent plus voir que des films américains, si valables ces productions soient-elles par ailleurs.

Mais qu'est-ce qu'un film américain ? Cela existe-t-il seulement ? Aux yeux de plusieurs défenseurs de l'industrie américaine, les films produits en vue de plaire à divers publics partout dans le monde relèvent bien plus d'une culture universelle que d'une soi-disant culture américaine. Ils réussissent auprès du peuple parce qu'ils touchent des cordes proprement humaines. Peut-être cela est-il juste. Il faut tout au moins constater les succès. Mais qui pourra nier que le cinéma américain ait été et soit encore révélateur d'une façon de voir bien propre aux États-Unis ? Sans doute cette façon de voir revêt-elle des prétentions universelles, comme ce fut le cas de toutes les grandes cultures impérialistes. Elle ne s'en inspire pas moins d'une expérience historique particulière.

Le mode de production propre au cinéma américain peut cependant être considéré comme une menace, car il fait dépendre le visionnement d'un film d'une immense entreprise de commercialisation et en définitive du conditionnement des populations. Il en résulte des situations plutôt aberrantes. Par exemple, parce que la distribution des films est presque entièrement contrôlée par des sociétés [193] commerciales américaines, il arrive qu'un film québécois attendu et appelé à connaître un certain succès ne parvienne pas sans difficulté à se trouver une niche dans les salles où on pourrait le voir. Cela est d'autant plus évident que le bassin de population est réduit. À Québec, par exemple, ville francophone par excellence et capitale nationale, il est beaucoup plus difficile de voir un film français ou québécois qu'à Montréal. Par ailleurs, le système de distribution des films impose les « navets »américains aussi bien que les grands succès.

Pour contrer ce système, on peut chercher à produire des films québécois à la manière américaine. Des réalisateurs francophones du Québec, forts de leur sensibilité nord-américaine, pour tout dire, de leur américanité, ont emprunté des méthodes et techniques des États-Unis et produit des films propres à plaire à un large public et à connaître un succès commercial. En raison des moyens limités du milieu, ces méthodes ont donné de bons résultats, mais bien en deçà des grands succès internationaux d'Hollywood. Par exemple, si le film Les Boys a obtenu un succès certain en 1998, il faisait figure de lilliputien auprès de l'énorme Titanic et autres Armageddon. La méthode américaine à la sauce québécoise a mieux réussi à la télévision où des séries à l'action rapide, saupoudrées de violence et de sexe, ont gagné l'adhésion du grand public et atteint des sommets en termes de cotes d'écoute. C'était là peut-être pour des Québécois une façon de digérer l'américanisation.

Une autre voie, cette fois aussi canadienne sinon davantage que québécoise, a été celle de la participation directe au système. Des Québécois, comme un certain nombre de Canadiens, participent, de plus en plus nombreux, à des productions américaines. C'est le cas de la [194] firme Softimage, spécialisée dans les effets spéciaux, qui a collaboré à des productions hollywoodiennes.

Les films américains obtiennent d'autant plus de succès auprès du public québécois francophone qu'ils sont disponibles en version française, parfois simultanément à leur apparition en version originale, toujours moins de quarante-cinq jours plus tard. Une loi québécoise contraint les distributeurs américains à respecter ce délai. Ces derniers ont d'abord regimbé, mais en définitive ils y ont gagné. Il est loin d'être sûr, en effet, que cette contrainte ait favorisé autre chose que la multiplication des copies de films américains au détriment même des productions proprement francophones.

Dans le cas des livres et périodiques aussi, les traductions de l'américain se vendent bien. De plus, nombre de magazines américains consacrés à la musique populaire, à la mode, au sport, au cinéma ou autres, en particulier ceux qui s'adressent aux jeunes, sont bien prises par de larges secteurs de la population francophone. Les livres en langue française (principalement les importations européennes, surtout de France, qui dépassent les publications québécoises) dominent largement les ventes . Cependant les ouvrages

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publiés aux États-Unis attirent un nombre croissant de lecteurs francophones .

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[195]

Les productions musicales américaines, essentiellement la musique populaire, obtiennent aussi l'audience d'une part considérable de la population. Les groupes américains, rock, rap ou autres, attirent les foules et jouent à guichets fermés dès qu'ils se présentent dans les villes québécoises. À la radio, les règlements du Conseil de la radio et des télécommunications du Canada (CRTC) arrivent à peine à contenir le nombre des succès américains quotidiennement diffusés et largement écoutés.

La culture québécoise subit donc une forte influence des productions culturelles américaines. Pour une bonne part, cette influence s'exerce dans le cadre d'une américanité partagée. Il faudrait être aveugle cependant pour ne pas y voir un processus d'américanisation. Que cela soit voulu ou accepté par de larges secteurs de la population québécoise apparaît aussi comme une évidence. Au surplus, on peut y voir un phénomène susceptible de concourir à l'enrichissement de la culture québécoise. Comme nous l'avons noté plus haut, une culture se nourrit d'échanges, d'emprunts et de métissages. Dans cette optique, l'invasion des produits culturels américains peut être vue comme un défi stimulant pour les créateurs québécois. Ces derniers s'en sont d'ailleurs assez bien tirés, à la télévision surtout mais aussi dans la chanson, sans doute moins bien dans le cinéma.

Les élites auraient-elles tort de s'inquiéter et de percevoir l'américanisation comme une menace ? Pas tout à fait et ce, pour deux raisons. La situation demeure inquiétante dans la mesure où l'américanisation se présente comme une forme de standardisation internationale destructrice de la diversité et des spécificités culturelles. Le Québec peut fort bien s'accommoder de l'influence culturelle américaine s'il est loisible de tempérer cette [196] influence par d'autres. Comme on l'a souligné plus haut, s'il ne devait subsister qu'un seul cinéma dans le monde, on peut croire que l'humanité y perdrait quelque chose. Ce serait sans doute une perte pour le Québec s'il n'était plus possible aux réalisateurs québécois de produire des films chez eux.

Cela nous amène à la seconde source d'inquiétude. Ce qui est importé au Canada, c'est bien davantage qu'un simple produit culturel. C'est un mode de production qui semble s'imposer à toute création artistique. Il est déjà devenu futile et vain de contrer ce qu'on appelle désormais l'industrie culturelle, mais on peut souhaiter que la culture demeure, à certains égards et dans certaines de ses manifestations, autre chose qu'une industrie. C'est là, semble-t-il, ce qui incite plusieurs gouvernements dans le monde à se substituer aux mécènes d'antan pour protéger les cultures dont ils se prétendent responsables. C'est pourquoi ils réclament, dans un contexte de libéralisation des échanges économiques à l'échelle planétaire, ce qu'on appelle « l'exception culturelle », c'est-à-dire la liberté d'intervenir pour favoriser les productions culturelles nationales, parfois aux dépens des importations de produits étrangers (entendons surtout américains) qui s'en trouvent limitées.

Le Canada étant du nombre de ces gouvernements, il est donc inévitable que se pose la question du rôle particulier joué par le gouvernement québécois dans la protection d'une culture proprement québécoise. Par le fait même, les relations culturelles entre les États-Unis et le Québec doivent donc être envisagées dans le cadre du triangle dont nous faisions état au chapitre 2.

[197]

LA CULTURE QUÉBÉCOISEDANS LE TRIANGLE NORD-AMÉRICAIN

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Deux niveaux de gouvernement revendiquent un droit d'intervention dans la protection de la culture québécoise. Le gouvernement fédéral s'est donné une mission culturelle dès le début des années cinquante. En 1951, le rapport Massey recommandait la mise en œuvre d'un ensemble de politiques culturelles propres

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a atténuer la pénétration massive des médias américains au Canada. Il faudra cependant attendre 1957 pour que soit créé le Conseil des arts et 1969 pour voir apparaître le Centre national des arts. Des organismes comme la Société Radio-Canada, depuis 1936, et l'Office national du film, à compter de 1939, contribuaient déjà fortement à la création dans les domaines de la radio, de la télédiffusion et du court métrage. En 1965, la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne (SDICC) était créée dans le but d'apporter une assistance financière à la production de films de long métrage. La SDICC devint Téléfilm Canada en 1984. Bien que ses budgets aient été sérieusement amputés depuis le début des années quatre-vingt-dix, cette société finance toujours au moins une quinzaine de films par année.

Les Québécois ont abondamment profité de la manne fédérale en la matière. Nous avons mentionné plus haut le rôle primordial de Radio-Canada dans le renouveau culturel du Québec et l'éclosion de la révolution tranquille. Les créateurs québécois ont aussi obtenu une part importante des subventions d'organismes fédéraux. Cela est dû probablement à la vitalité culturelle plus intense du milieu québécois, en raison de l'originalité plus évidente de la culture québécoise. Les créateurs québécois sont moins tentés d'aller travailler aux États-Unis que ne le [198] sont leurs collègues du Canada anglais qui entrent, de ce fait, dans la concurrence culturelle américaine. Ils trouvent aussi un public plus friand de leurs œuvres et plus disposé à consommer les produits de ses propres créateurs.

Le gouvernement canadien s'est forgé avec le temps une politique culturelle très élaborée dans laquelle il trouve un instrument de consolidation et d'affirmation de l'unité nationale. À l'étranger, tout particulièrement, la diplomatie canadienne cherche à propager l'image d'un pays uni et utilise volontiers à cette fin ses entreprises de promotion des arts et de la culture. Le livre blanc de 1995 sur la politique étrangère canadienne place la culture au troisième rang des priorités, tout de suite après les intérêts économiques et la sécurité .

Dans les négociations qui ont mené à l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, le Canada a obtenu que les industries culturelles soient exemptées des mesures générales de libéralisation. Cette exemption a été transférée à l’ALÉNA. En tant que détenteur de la souveraineté et responsable de la politique étrangère, le gouvernement fédéral est sans doute le mieux placé et le mieux équipe pour faire la promotion de ce qu'on nomme toujours à Ottawa « la culture canadienne ».

C'est précisément ce qui fait problème aux yeux du Québec. Le gouvernement québécois s'est toujours cru responsable d'une culture proprement québécoise, du moins depuis qu'il se sent légitimé d'intervenir dans ce domaine. Jamais le rôle du gouvernement canadien n'a été tout à fait accepté par le gouvernement du Québec. Il est vrai qu'on parlait autrefois plus volontiers d'une [199] culture canadienne-française que d'une culture québécoise. Mais même alors, le principe de dualité était assez profondément ancré dans les esprits pour qu’il apparaisse inconcevable que les Canadiens français puissent partager une même culture avec leurs compatriotes anglophones des autres provinces. Il est encore vrai que les artistes et créateurs québécois, comme d'ailleurs les universitaires, ont sollicité et reçu d'assez bonne grâce les subventions fédérales. Cependant, pour la plupart, cela ne semble pas avoir affecté leur conscience d'appartenir à un univers culturel distinct.

Au moment même où Ottawa s'arroge un rôle presque exclusif en matière de culture sur le plan international, alors que la ministre du « patrimoine canadien » se présente comme la seule porte-parole autorisée à défendre ladite « culture canadienne », les Québécois s'affichent toujours majoritairement, du moins en 1997, à la fois comme Québécois d'abord (55%, 63% chez les francophones) et comme plutôt ouverts à l'influence des États-Unis dans leur développement culturel. Cela est d'autant plus significatif que les jeunes sont plus nombreux à l'affirmer que leurs aînés. Ainsi 76% des jeunes de 18 à 24 ans et 64% des 25 à 34 ans se disent Québécois (et Nord-Américains) plutôt que Canadiens français, Canadiens anglais ou Canadiens .

[200]

Il n'est donc pas étonnant que le gouvernement du Québec se considère autorisé au premier chef à intervenir pour promouvoir la culture québécoise et à s'exprimer là-dessus au-delà de ses frontières. Ainsi,

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la ministre de la Culture du Québec s'est fortement récriée quand on ne lui a pas permis de prendre la parole à la rencontre internationale sur la diversité culturelle dont le Canada était l'hôte en 1998. Elle s'est exprimée à ce sujet dans les médias :

J'avais accepté, écrivait-elle, d'être partie de la délégation canadienne [...] à la condition expresse de pouvoir m'y exprimer, comme le Québec le fait de plein droit dans les conférences intergouvernementales comme celles du Sommet de la francophonie. Devant le refus de la ministre du Patrimoine canadien, refus d'autant plus inexplicable que nos conclusions sont sensiblement les mêmes que celles du gouvernement du Canada sur la question de l'exception culturelle, j'ai dû, à regret, décliner l'invitation qui m'avait été faite de simplement « suivre les débats », sans pouvoir y prendre la parole .

La ministre faisait état, cependant, des différences de perspectives entre le Canada, se présentant comme [201] bilingue et multiculturel, et le Québec s'affichant comme peuple ou nation : « Avant tout, poursuivait-elle, ce qui est en cause, c'est le refus d'un modèle culturel unique à l'échelle mondiale. Car ce modèle aurait un effet destructeur sur l'héritage historique des cultures et leur potentiel de créativité . »

On aura reconnu dans ces propos le modèle américain, fustigé comme « modèle culturel unique »devant écraser, de sa puissance économique et de son appareil de diffusion, les autres créations culturelles nationales, notamment dans le domaine du cinéma. Il était sans doute plutôt aberrant que les États-Unis, pays mis en cause entre tous, n'aient pas été invités à la rencontre internationale de juin 1998. Le Québec pouvait donc se consoler d'y avoir été empêché de s'exprimer puisque son principal partenaire culturel en était absent.

Les Québécois pouvaient encore éprouver une certaine gêne relativement à l'expression de la position canadienne. Comme on l'a vu plus haut (au chapitre 2), le Canada se présente comme un pays bilingue et multiculturel et s'affiche en cela comme résolument distinct des États-Unis. Sans doute, la présence de deux langues officielles fait-elle du Canada un pays fort différent de son voisin. Mais on peut se demander en quoi le multiculturalisme canadien se distingue de ce qu'on trouve aux États-Unis. Nous l'avons signalé au chapitre 2, les différences entre les diversités culturelles de part et d'autre de la frontière ne sont pas évidentes. Plusieurs Québécois ne se sentent pas mieux reconnus dans le multiculturalisme canadien que dans le melting-pot américain.

Aux yeux des Québécois, un Canada qui se présenterait auprès de son voisin comme le pays de deux grandes [202] cultures qui se sont définies historiquement comme distinctes de la culture américaine, serait mieux placé pour faire valoir l'exception culturelle. Deux grandes cultures canadiennes, anglophone et francophone, ne devraient pas être vues comme un carcan pour les sous-cultures immigrantes, pas plus que l'American way of life ne se veut étouffant pour toutes les ethnies qui composent les États-Unis.

Mais il y a plus. Les Québécois ont d'autres raisons de s'inquiéter de cette nouvelle « nation canadienne » dans laquelle ils devraient se retrouver comme distincts des États-Unis. En dépit des efforts louables des gouvernements du Canada pour promouvoir des productions canadiennes originales, l'image du nouveau Canada ne s'impose guère aux Québécois comme bien différente de celle des États-Unis. Le plus souvent, ils ont plutôt l'impression qu'il existe une telle complicité entre la culture américaine et celle du Canada anglais que les autres Canadiens se sentent bien plus près de leurs voisins du sud qu'ils ne le sont des Québécois. Un grand artisan d'une culture canadienne propre le reconnaissait lui-même dès 1989 :

Il y a 25 millions de Canadiens ; environ 6 millions d'entre eux sont francophones, dont 90% vivent au Québec. Aujourd'hui il n'y a pas un seul programme régulier, que ce soit sur les réseaux

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anglophones publics ou prives, qui puisse permettre à un étranger de saisir cette réalité sans avoir à consulter une encyclopédie [...]

Si l'on ne tient pas compte du journal télévisé, on voit plus de policiers de Los Angeles que de Canadiens français sur les chaînes canadiennes-anglaises.

[203]

on voit plus d'hispano-américains résidant à Miami que de Canadiens français sur ces mêmes chaînes .

L'auteur, Mark Starowicz, qui était rédacteur en chef de la grande émission quotidienne d'information du réseau anglais de Radio-Canada, The journal, portait ensuite un jugement très sévère sur le Canada qui « a finalement accepté ce qu'il s'était refusé à faire 100 ans auparavant : communiquer par l'intermédiaire des circuits américains » et il ajoutait : « Rien de tout cela n'est arrivé à cause des pressions politiques des États-Unis ; c'est un mal que le pays s'est fait à lui-même . »

Devant un tel constat, comment demander aux Québécois de voir dans l'englobante « nation canadienne » la bouée de sauvetage de leur propre culture ? Comment ne pas s'en remettre à une politique d'ouverture à l'endroit des États-Unis accompagnée d'une affirmation péremptoire de l'identité québécoise et du dynamisme d'une production culturelle à la fois originale et soumise aux influences américaines ? Car il faut bien reconnaître que cette politique a donné de meilleurs résultats que les mesures nationalistes prises par le gouvernement fédéral. Non pas que ces mesures aient été dépourvues de pertinence. Mais on est en droit de se demander si elles ont été soutenues par une volonté réelle dans l'ensemble de la population canadienne.

[204]

La politique québécoise elle-même repose sur des bases fragiles. L'envahissement des produits culturels américains se poursuit inexorablement au Québec. Les échanges demeurent à sens unique, même si des Québécois ont pu exercer un rayonnement culturel sans précédent au cours des dernières décennies.

RAYONNEMENT CULTUREL DU QUÉBECAUX ÉTATS-UNIS

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Les Américains sont peu portés vers les cultures étrangères. Il s'est trouvé toutefois un nombre croissant de personnes aux États-Unis, surtout parmi les élites, pour être attirées par des productions culturelles venant du Canada. Entre autres manifestations, la croissance des études canadiennes, depuis les années soixante, en témoigne. Par ailleurs les productions québécoises ont obtenu des succès particulièrement notables.

Les manifestations culturelles qui ne réclament pas le support linguistique ont pu sans doute attirer les plus larges publics. Assez paradoxalement, alors que le Québec définit le plus souvent sa spécificité en fonction de la langue, les artistes québécois ont été plutôt prolifiques dans des productions audiovisuelles comme la musique, la danse, le cirque et même une forme de théâtre où les paroles comptent moins que la scénographie et l'expression corporelle.

L'Orchestre symphonique de Montréal, sous la direction de Charles Dutoit, jouit d'une excellente réputation aux États-Unis où il se produit régulièrement. Lorraine Desmarais a été la première personnalité

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étrangère et la première femme à remporter, à Jacksonville en 1986, le Grand prix du Great American Jazz Competition. Dans le [205] domaine de la musique contemporaine, le Nouvel Ensemble moderne de Montréal a été reconnu comme un leader en Amérique du Nord. Il en va de même pour la danse - O Vertigo !, La La La Human Steps, Jean-Pierre Perreault, Margie Gillis et autres qui ont attiré l'attention de publics aussi exigeants que ceux de grandes villes comme New York. Le Québec est encore célèbre pour son théâtre pour enfants. Quelques peintres et sculpteurs se sont fait connaître sous un jour favorable. En 1989, une toile de Riopelle s'est vendue 1,7 million de dollars à New York. Paul Hunter, qui vit dans la métropole américaine depuis 1981, a été le premier artiste non américain à faire partie d'une exposition au Whitney Museum, musée consacré à l'art américain. Une installation de Michel Goulet a été présentée à l'entrée de Central Park, à New York. Le Cirque du soleil s'est taillé une assez grande popularité dans plusieurs régions américaines.

On a pu constater aussi un net progrès de la recherche, des études et de l'enseignement sur le Québec dans les universités et les milieux francophiles, comme en fait foi la vitalité croissante de l'Association américaine d'études québécoises (American Council for Quebec Studies). Il en sera question plus en détail au chapitre 9. De même certains États ont défini l'enseignement d'une langue seconde comme devant être une initiation à une culture étrangère. Dans la mesure où la langue seconde a été le français, le Québec est devenu parfois la culture étrangère visée. Le programme, dans certains cas, a pu être complété par une visite au Québec.

Il faut bien constater cependant le déclin de la langue française aux États-Unis. Le français, qui était enseigné autrefois comme langue seconde dans plusieurs collèges et écoles secondaires, a été déclassé par l'espagnol depuis [206] plusieurs années, pour des raisons évidentes reliées à l'immigration. Le chinois est maintenant parlé et étudié davantage que le français. Quant aux descendants de familles canadiennes-françaises, québécoises ou acadiennes, ils sont devenus de plus en plus nombreux à ne plus parler ni comprendre le français. De son côté, le gouvernement québécois s'est peu préoccupé du sort des Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre et des francophones de la Louisiane. En raison de l'accent porté sur les intérêts économiques, les missions proprement culturelles du gouvernement québécois ont traîné de la patte au cours des années quatre-vingt. Le gouvernement Bourassa a réduit puis aboli sa représentation à Lafayette en Louisiane. Ses successeurs du Parti québécois n'ont pas songé à y revenir. Bien au contraire, comme on l'a vu au chapitre 3, le gouvernement Bouchard a fermé en 1996 toutes les délégations hormis celle de New York et semblait vouloir se contenter de quelques bureaux commerciaux.

La croissance des exportations québécoises de nature culturelle demeure, en conséquence, plutôt faible. Autant les efforts québécois sont timides, autant la population américaine est peu portée vers les produits culturels venant d'ailleurs. Dans le domaine du cinéma, par exemple, seulement 3% du marché était occupé en 1996 par des films non produits aux États-Unis . Ces films étrangers sont projetés dans de petites salles et attirent des auditoires d'élite dans les milieux universitaires ou parmi les minorités cosmopolites des grands centres urbains. Les Américains ne se sentent habituellement pas à l'aise dans des contextes culturels qui ne sont pas les leurs. Cette [207] allergie aux productions étrangères s'applique aux produits québécois aussi bien qu'aux autres en dépit de la proximité du Québec et de l'américanité profonde des œuvres québécoises.

Hors des universités qui abritent des centres d'études canadiennes (largement subventionnés par des fonds en provenance du Canada ou du Québec), très peu de publications québécoises sont accessibles aux États-Unis. Même les ouvrages ou périodiques publiés en anglais ou traduits dans cette langue sont difficiles à trouver dans les grandes librairies. Quant aux universités, on pourrait compter sur les doigts de la main les bibliothèques qui achètent des livres québécois ou sont abonnées à des journaux ou périodiques québécois en langue française.

Reste le cas tout à fait exceptionnel d'une artiste comme Céline Dion. Sans doute, même si sa musique et ses chansons s’inscrivent de plain-pied dans le style et le mode de production propres aux États-Unis, même si elle est parvenue à parler anglais à peu près sans accent, elle apparaît tout de même aux auditoires américains comme une fille du Québec et, à cet égard, elle a pu contribuer à créer une image positive de la communauté francophone dont elle est issue. Le Québec peut aussi se féliciter des retombées économiques

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de ce phénomène, toutes limitées soient-elles.

Faut-il enfin considérer le spectacle sportif comme une manifestation culturelle ? Quoi qu'il en soit, les Canadiens se sont fait beaucoup connaître dans les villes américaines par leur sport national, le hockey, et par ses joueurs étoiles. Quelques vedettes québécoises ont fait surface. Mais, même dans la mesure où ces Québécois ne sont pas tout à fait assimilés et représentent un certain aspect de la culture québécoise, il faut noter qu'ils sont de moins en moins nombreux à rayonner.

[208]

La présence culturelle québécoise aux États-Unis demeure donc plutôt faible. Elle n'en a pas moins connu une certaine croissance depuis la révolution tranquille et obtenu des succès limités.

CONCLUSION

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Il apparaît tout à fait évident que les relations culturelles entre le Québec et les États-Unis sont des relations à sens unique du point de vue de l'influence. Tout de même il faut noter que les Québécois sont aussi nombreux à se manifester aux États-Unis que les Américains à venir au Canada. Nous avons aussi tenté de montrer que l'américanité québécoise inscrit déjà le Québec dans le continent tandis que l'américanisation n'est pas un phénomène nécessairement pervers dans la mesure où elle est désirée et, à l'occasion, bienfaisante.

Nous avons surtout voulu mettre en évidence le défi que représentait l'influence culturelle américaine comme conséquence de l'intégration économique et aussi dans une perspective proprement culturelle. Le Québec moderne s'est bâti et s'est exprimé comme culture originale dans le contexte nord-américain et dans la foulée d'une très large pénétration de la culture populaire américaine. Les artistes québécois ont souvent imité leurs homologues américains pour se permettre ensuite d'exploiter une formule plus personnelle.

Le gouvernement canadien a pu contribuer à la vitalité culturelle québécoise par l'intermédiaire d'institutions telles que Radio-Canada et Téléfilm Canada. Cependant les Québécois continuent de redouter davantage l'étreinte de la « nation canadienne » que l'influence culturelle américaine. Il y a sans doute là quelque naïveté. Dans la [209] mesure où les gouvernements perdent leurs moyens et où la marée américaine se fait plus puissante dans le contexte des nouveaux développements technologiques, il est à prévoir que le Québec sera de plus en plus américain et que le maintien de son identité francophone sera sérieusement menacé par un certain nivellement continental.

Malgré tout, la culture québécoise a pu, au cours des dernières années, rayonner plus que jamais dans son histoire. Certains Américains ont accueilli ce phénomène d'une manière positive. Ils ont pris conscience de ce qu'ils ont autant de raisons que les Canadiens de redouter les effets du nivellement et de la standardisation d'un mode de production unique de la culture populaire.

La troisième partie de cet ouvrage sera consacrée aux perceptions de ces Américains qui s'intéressent particulièrement à la réalité québécoise.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Troisième partiePERCEPTIONSAMÉRICAINES

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Troisième partie :Perceptions américaines

Chapitre 6

Le Québec dans l’opinionpublique américaine

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Les Américains ont beau prétendre qu'il n'y a pas de culture proprement américaine et que leur manière de vivre et de percevoir le monde relève de leur participation à l'humanité universelle, il est tout de même possible de relever chez eux des traits culturels bien caractéristiques s'appliquant aux seuls citoyens des États-Unis. En ce qui a trait à une perception éventuelle des choses québécoises en particulier, nous pouvons déceler un certain nombre de prédispositions et d'attitudes liées au contexte historique et à l'environnement géographique, économique, politique et culturel. Nous tenterons d'en énumérer un certain nombre. Il nous sera ensuite plus aisé de rendre compte de l'évolution de ce secteur de l'opinion publique qui s'adresse au Québec. Voici donc d'abord quelques-unes de ces données qui le plus souvent font obstacle à la compréhension de la réalité québécoise et constituent ce qu'on pourrait appeler le prisme américain.

LE PRISME AMÉRICAIN

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Signalons, en premier lieu, la tradition américaine dite du melting-pot, selon laquelle les États-Unis auraient été d'abord fondés par des personnes issues d'horizons [214] ethniques et culturels divers pour ensuite accueillir quantité d'immigrants de partout dans le monde et les assimiler assez rapidement au mode de vie américain et aux usages démocratiques du pays. Cette tradition rend les Américains plutôt insensibles et sceptiques face à l'idée de « préserver une culture » si chère aux élites québécoises. Dans la mesure où les Américains ont tendance à considérer le Canada comme semblable aux États-Unis ou devant l'être idéalement, ils sont portés tout naturellement à considérer les Québécois francophones comme une minorité ethnique comparable à toutes ces communautés américaines issues de l'immigration. En conséquence, il leur semblera tout à fait correct de souhaiter que la minorité francophone du Canada s'intègre le plus harmonieusement possible à la « nation canadienne ». Ils pourraient être sensibles à la discrimination dont cette minorité ferait l'objet, à sa situation économique inférieure, s'ils décelaient de tels phénomènes. Mais qu'une telle minorité ethnique réclame un statut particulier, se considère comme une entité politique propre, société distincte, peuple ou nation, cela paraîtra, à la majorité des Américains, du moins au premier abord, plutôt étrange et aberrant. Ils verront donc spontanément le nationalisme québécois comme appartenant à la catégorie « ethnique » et n'en seront que plus déconcertés par le mouvement souverainiste québécois.

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La situation québécoise est d'ailleurs assez souvent citée comme un exemple à éviter pour les États-Unis. On assimile facilement les revendications linguistiques des hispanophones américains à celles des Québécois et plusieurs en concluent que le Canada a fait une erreur en tolérant le caractère distinct du Québec et en sanctionnant l'usage de la langue française. Déjà plus d'une douzaine d'États américains ont proclamé l'anglais comme langue [215] officielle unique et certains leaders de la droite souhaitent qu'une législation fédérale, voire un amendement constitutionnel, fasse de même pour l'ensemble du pays .

La population américaine est l'une des plus unilingues au monde, surtout parmi les pays développés. Tout le territoire au nord du Mexique a été tellement domine par l'usage de la langue anglaise qu'on en est venu à considérer cette langue comme la voie normale des communications modernes. Sans doute l'anglais s'est-il aussi impose ailleurs dans le monde, mais nulle part de façon aussi exclusive qu'en Amérique du Nord. De plus, les Américains ont été isolés des autres continents par deux océans, ce qui les a soustraits aux contacts prolongés avec des cultures non anglophones (à l'exception du Mexique). Il en est résulté une grande insularité culturelle, économique, stratégique et surtout linguistique. Dans la mesure où les immigrants se sont assimiles assez rapidement et ont eu tôt fait d'adopter l'anglais comme langue de communication publique, la population américaine, dans son ensemble, a été traditionnellement très peu exposée à d'autres langues. Les Américains ont eu tendance à en conclure que les autres groupes linguistiques pourraient et devraient aussi avoir facilement recours à l'anglais. Plus que d'autres peuples, ils ont été portés à juger et évaluer les autres cultures à l'aune de la leur. En conséquence, en dépit des exigences scolaires et universitaires relatives à l'apprentissage de langues secondes, très peu d'Américains, même parmi les plus instruits, maîtrisent l'usage d'une ou plusieurs langues autres que l'anglais.

[216]

Dans l'histoire américaine, mis à part la Déclaration d'indépendance, la Révolution et la Constitution, la Guerre de sécession est sans doute l'événement le plus marquant et le plus traumatisant. Cette guerre fratricide et dévastatrice a laissé un souvenir amer des tentatives des États du Sud de consolider leur autonomie à l'intérieur de la fédération ou d'une confédération. Elle s'est soldée par la victoire des forces unionistes et la consécration du président Abraham Lincoln en héros national, voire en second père fondateur. Il en est résulté une nouvelle « religion » de l'unité et la célébration de l'indissolubilité de la nation.

En conséquence, comme nous l'avons noté plus haut, les Américains sont portés à considérer tous les mouvements sécessionnistes ailleurs dans le monde comme dangereux et pervers. En général, les nationalismes (outre celui qu'on appelle « patriotisme américain ») sont objets de suspicion et assez mal compris. Le nationalisme québécois ne fait pas exception. Les efforts de René Lévesque en 1977 et d'autres Québécois d'établir une comparaison entre l'indépendance américaine de 1776 et le projet souverainiste du Québec ont produit peu de résultats. Les Américains n'arrivent pas à assimiler le Canada contemporain à l'empire britannique au dix-huitième siècle. Ils voient plutôt le mouvement indépendantiste québécois comme une réédition de la politique des États du Sud qui a conduit à la Guerre de sécession. Plusieurs n'arrivent pas à se persuader, en dépit du caractère éminemment non violent des conflits canadiens, que ces tensions ne dégénéreront pas à l'instar de la guerre civile américaine. Un célèbre historien américain, James McPherson, spécialiste de cette période et du conflit sanglant provoqué par le mouvement sécessionniste, se permettait, à l'hiver de 1998, de faire la comparaison entre les États-Unis d'avant [217] la Guerre de sécession et le Canada contemporain. Il voyait des similitudes entre la culture des États du Sud d'alors et le Québec d'aujourd'hui. Sans doute la lecture que faisait cet historien de la réalité québécoise de cette fin de siècle était-elle aussi superficielle et incorrecte que ses connaissances du dix-neuvième siècle américain étaient étendues et profondes. Néanmoins, la revue canadienne Saturday Night s'est empressée de publier ses propos qui ont dû susciter l'approbation de plusieurs lecteurs canadiens aussi bien qu'américains. Encore le triangle !

L'osmose quasi naturelle entre le Canada anglophone et le voisin du sud se manifeste encore et surtout en matière d'information. Même si la couverture médiatique du Québec s'est beaucoup améliorée au cours des années quatre-vingt-dix pour ce qui est de son exactitude, de sa diversité et de l'interprétation, comme

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on le verra au chapitre suivant, les Américains, le plus souvent à leur insu, reçoivent encore fréquemment leur information au sujet du Québec par des canaux anglo-canadiens. Ce sont souvent des journalistes à la pige de Toronto ou d'Ottawa qui rédigent la nouvelle anonyme concernant le Canada dans les journaux américains. Pour ceux qui ont leur propre correspondant en poste au Canada, il s'agit presque invariablement de personnes installées à Toronto ou à Ottawa, dont les contacts sont presque exclusivement anglophones et qui peuvent rarement communiquer en français. Il est arrivé que ces correspondants fassent un effort particulier pour aborder des Québécois francophones et présenter une image plus équilibrée du Québec, comme nous le montrerons dans le prochain chapitre. [218] Mais cela n'est pas coutume. Par exemple, les critiques tonitruantes de Mordecai Richler ont trouvé écho dans des publications aussi prestigieuses que le New York Times , le Wall Street Journal et le New Yorker . Il faut dire cependant que ces critiques ont été souvent contredites par des observateurs américains de haut calibre, comme par exemple William McCahill qui fut consul général à Québec entre 1989 et 1992 .

Des journalistes anglo-canadiens ont été mis à contribution par les grands réseaux de télévision pour de brèves informations sur le Québec bien plus souvent que leurs confrères francophones bilingues. Des articles, des lettres à la rédaction, sous la signature d'anglophones canadiens, apparaissent assez souvent dans les journaux ou magazines américains pour critiquer le nationalisme ou le « séparatisme » québécois. Beaucoup plus rarement ces expressions d'opinion ont-elles été équilibrées par les vues de Québécois francophones ou d'autres Canadiens ou Américains qui leur sont sympathiques .

[219]

Très peu de Québécois francophones, dont les opinions quant au statut politique du Québec correspondraient à celles qui nous sont révélées par les divers sondages, se sont fait connaître aux États-Unis, ont occupé des fonctions importantes dans les médias, l'entreprise, la finance ou autres institutions pertinentes aux relations avec le Canada. En revanche, on peut mentionner des dizaines de Canadiens de langue anglaise qui occupent des postes au sein de telles institutions et sont considérés comme des voix autorisées pour interpréter les nouvelles du Canada, y compris celles qui sont relatives au Québec. Parfois ces personnes ne sont même pas identifiées comme des Canadiens et n'en sont pas moins très influentes. Pensons à Peter Jennings, du réseau ABC, à Robert McNeil au réseau PBS jusqu'à 1995, à David Frum au Wall Street Journal. Combien d'autres, moins connus, exercent quotidiennement une forte influence, directement ou indirectement, sur les pensées et les opinions de leurs concitoyens et dans toutes sortes de décisions concernant le Canada et le Québec !

Peu d'Américains connaissent le français, comme nous l'avons noté plus haut. Même parmi ceux qui ont voyagé au Québec, soit comme touristes, soit par affaires ou comme invités des gouvernements canadien ou québécois ou a d'autres titres, très peu ont eu accès à ce qu'on [220] pourrait appeler le Québec profond. Pour la plupart, ne pouvant parler français, ils n'ont pu converser qu'avec des personnes qui n'étaient pas nécessairement représentatives de l'ensemble de la population. Il est vrai qu'un nombre croissant d'universitaires intéressés au Québec (comme nous en ferons état plus loin) peuvent s'exprimer en français. Quelques diplomates affectés au Canada connaissent bien la langue officielle du Québec, tout particulièrement les consuls généraux de Montréal et de Québec. Ils représentent toutefois encore une faible minorité de ceux qui se forment une opinion sur le Québec. Pour les autres, le contact avec le point de vue majoritaire québécois est le plus souvent occasionnel et limité.

Nous avons déjà mentionné au chapitre 2 les réseaux de communication qui existent au-delà de la frontière entre personnes de même origine ethnique ou de même confession religieuse. Ces réseaux contribuent beaucoup, pour la plupart, à consolider les liens et les sympathies entre Américains et Canadiens de langue anglaise. Par exemple, des catholiques pratiquants ont pu déplorer, d'un côté comme de l'autre de la frontière, le déclin massif de la pratique religieuse chez les Québécois francophones depuis la révolution tranquille et entretenir des attitudes hostiles au nationalisme québécois qui aurait remplacé la ferveur religieuse d'antan. Des membres des communautés juives aux États-Unis ont pu être sensibles aux allégations excessives d'un Mordecai Richler et à des opinions exprimées par certains Juifs de Montréal quant aux soi-disant outrances commises par les gouvernements du Québec, surtout ceux du Parti québécois. La gauche américaine, en général, a établi beaucoup plus de liens avec sa contrepartie au Canada

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anglais qu'avec celle du Québec. Dans les milieux sensibles à l'écologie, par exemple, ce [221] sont les vues exprimées par des groupes opposés à la politique québécoise qui ont souvent prévalu comme, par exemple, dans les campagnes organisées par Greenpeace et le Sierra Club contre Hydro-Québec.

Les Américains susceptibles d'entretenir un intérêt particulier pour le Québec, en raison de leurs origines francophones canadiennes ou européennes, et qui parlent encore français constituent une minorité de plus en plus réduite. Au recensement de 1990, plus de 13 millions d'Américains résidant dans les États de Californie, Louisiane, Massachusetts, Michigan, New York, Texas, Floride, Illinois, Ohio, Connecticut, Maine, New Hampshire et autres, soit 5,1% de la population des États-Unis, ont déclaré des origines francophones, québécoises, acadiennes, canadiennes-françaises, européennes ou autres. Le tiers d'entre eux, en majorité des personnes d'origine canadienne, étaient concentrés dans le Nord-Est du pays. Seulement 1,7 million disaient pouvoir parler français . Plusieurs, parmi les descendants de ce million de Québécois et des cent mille Acadiens venus gagner leur vie dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre, ont tendance à vouloir se détacher de tout ce qui rappelle leurs origines miséreuses, y compris la langue française. En Louisiane, on trouvait encore quelque cinq cent mille personnes qui prétendaient parler français parmi le million de descendants des immigrants venus de Nouvelle-France, des Antilles françaises et de la France métropolitaine. Tout indique que l'assimilation de ces personnes et le déclin de la langue française qui en découle se poursuivront dans les années à venir .

[222]

Parmi les Franco-Américains, descendants de familles québécoises, dont une très forte majorité ne parle plus le français, très peu entretiennent quelque sympathie pour le Québec moderne, sécularisé, pluraliste et autonomiste. Dans la mesure où ces populations tiennent encore à s'identifier comme French Canadians et conservent des liens avec leur patrie d'origine, ils entretiennent surtout l'image du Québec traditionnel. Ils ont tendance à voir d'un mauvais œil l'évolution du Québec depuis la révolution tranquille et les prises de position jugées radicales de ses élites dans les relations avec le gouvernement canadien. Ils déplorent aussi parfois le peu d'attention que leur portent les représentants du Québec plus préoccupés des relations économiques, politiques et culturelles avec les États américains dans leur ensemble. Un petit nombre de ces Franco-Américains s'active cependant dans les universités à effectuer un rapprochement avec le Québec contemporain. Certains d'entre eux ont pu revenir au français à la faveur du mouvement de renouveau ethnique aux États-Unis. Ainsi, à Worcester, dans le Maine, à l'Université Assumption, on a fondé, en 1979, un institut français qui vise à établir ou consolider des liens entre Franco-Américains et Québécois .

Quant aux Américains francophiles et à ceux qui ont eu l'occasion de maîtriser l'usage de la langue française, ils [223] ont été, jusqu'à une période récente, presque entièrement axés sur la France et le plus souvent tout à fait ignorants de la réalité québécoise au point de mettre en doute l'authenticité du français parlé au Québec. Des progrès notables ont cependant été enregistrés quant à la connaissance de la francophonie québécoise chez les professeurs de français dans les universités et dans les écoles secondaires. Leur association nationale, l'American Association of Teachers of French a tenu ses congrès annuels au Québec à quelques reprises, notamment à Montréal à l'été 1998. Cela n'a pas peu contribué, parallèlement au progrès des études canadiennes et québécoises dont nous traiterons au chapitre 10, a une meilleure connaissance du français parlé et écrit au Québec et de la littérature québécoise maintenant assez souvent utilisée dans les départements de français des universités américaines. Cependant, on note au même moment que ces départements sont de moins en moins fréquentés par des étudiants plus attirés par l'espagnol et les langues orientales.

Les Québécois ont eu beaucoup de rattrapage à faire aux États-Unis depuis la révolution tranquille. Auparavant, ils avaient été, comme nous l'avons souligné plus haut, presque totalement absents des relations canado-américaines. Combien d'organismes, combien de congrès, combien de livres ont été consacrés aux relations entre les deux voisins sans qu’il soit tenu compte du Québec francophone autrement que d'une façon passagère ! Il est vrai que les Québécois sont maintenant beaucoup mieux représentés au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international à Ottawa et au sein du personnel de l'ambassade du Canada et des consulats canadiens aux États-Unis. Il n'est pas sûr cependant que l'image qu'on donne de la

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nation canadienne corresponde bien au [224] message qu'entendent projeter les gouvernements du Québec, qu'ils soient souverainistes ou fédéralistes.

Les Américains intéressés au Canada se sont souvent concentrés sur les questions économiques et politico-stratégiques, le Canada étant considéré comme un partenaire important dans les échanges commerciaux et au sein d'organisations de défense comme l'OTAN et NORAD. Les préoccupations stratégiques ont beau être atténuées depuis la fin de la guerre froide, les responsables américains et autres qui traitent avec le Canada sont toujours réticents à considérer les provinces canadiennes comme des entités particulières, même dans le cas du Québec et dans la conjoncture de menace d'une sécession.

QUELQUES PROGRÈS

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En dépit de ce qui précède, on peut tout de même constater de légers progrès quant à l'image du Québec dans l'opinion publique américaine. Certes la grande majorité des Américains demeurent mal informés de la réalité québécoise et fort peu intéressés par les luttes constitutionnelles canadiennes. Néanmoins, au cours des années, le nombre d'Américains qui ont acquis une certaine connaissance du Québec a crû considérablement. Aucune de ces personnes ne considérerait aujourd'hui le Québec comme un « Cuba du nord », comme on avait pu le faire après la victoire du Parti québécois en 1976. Sans doute il ne se trouve qu'un nombre infime d'Américains pour appuyer le projet souverainiste. Mais on a tout lieu de croire que la majorité des observateurs avertis de la situation ont applaudi aux accords du lac Meech, ont souhaité et souhaitent toujours que le Québec, le gouvernement fédéral et les autres provinces canadiennes en [225] viennent à un compromis valable. Fort peu parmi eux semblent en accord avec les positions intransigeantes qui s'expriment au Canada anglais depuis le référendum de 1995. Si sensibles soient-ils aux intérêts des anglophones canadiens et à la cause de l'unité canadienne, ils n'en reconnaissent pas moins le Québec comme une société distincte du reste du Canada. Un nombre croissant de ces observateurs envisage même la souveraineté comme une possibilité certes non souhaitable à leurs yeux mais pas nécessairement catastrophique. On reconnait que le Québec moderne est ouvert aux investissements, à l'entreprise privée et au progrès technologique, que son produit intérieur brut se classerait au quinzième rang parmi les vingt-quatre pays de l'Organisation de la coopération et de développement économique (OCDÉ). Si on s'inquiète des conséquences d'une éventuelle souveraineté, c'est moins en raison du comportement de l'acteur québécois qu'à cause de l'interminable contentieux, des discussions et problèmes reliés au partage de la dette et autres inconvénients auxquels donnerait lieu la brisure du Canada. Certains craignent, par exemple, qu'un Canada sans le Québec en vienne à adopter des politiques plus nationalistes. Cependant, très peu d'Américains semblent enclins à croire que leur pays puisse profiter de la division du Canada. Les Pat Buchanan, Peter Brimelow et William Safire qui ont évoqué les avantages dont les États-Unis pourraient tirer parti dans un tel scénario sont demeurés tout à fait marginaux.

Les premiers ministres du Québec et les membres de leurs cabinets qui ont visité les États-Unis ont toujours été reçus de façon courtoise et ont trouvé un auditoire sans doute restreint mais attentif, surtout dans les milieux d'affaires. Par exemple, en mai 1998, le premier ministre [226] Lucien Bouchard a obtenu un certain succès au cours d'une tournée qui l'a conduit à Boston, Atlanta, Chicago et Philadelphie, en compagnie d'une cinquantaine de dirigeants d'entreprises du Québec. L'objectif du voyage était de contrer une image négative du Québec diffusée par certains médias, en particulier, à l'hiver de 1998, un reportage dévastateur de l'émission Sixty minutes de la chaîne de télévision CBS sur les exigences de la loi québécoise en matière linguistique. Le premier ministre et sa suite ont attiré des centaines de personnes qui les ont écoutés attentivement tandis qu'ils apaisaient leurs inquiétudes quant à la situation linguistique. Cela demeurait sans doute fort peu en comparaison des 24 millions de téléspectateurs qu'avait attirés l'émission de CBS . Mais le premier ministre a eu le bonheur de s'entendre dire par les gouverneurs républicains, Paul Celluci, du Massachusetts, Jim Edgar, de l'Illinois, et Tom Ridge, de la Pennsylvanie, « que la situation politique et la question linguistique n'avaient rien à voir avec leur intérêt de faire des affaires avec le

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Québec ».

SONDAGES D'OPINION

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Seulement deux sondages, à notre connaissance, ont été réalisés récemment auprès d'un échantillonnage suffisamment représentatif de la population américaine sur la question du Québec. Sans doute est-il révélateur que ces sondages, l'un en 1992, l'autre en 1997, aient été réalisés par une maison canadienne et commandités également par [227] un organisme canadien . On y apprend que 84% des Américains interrogés en 1992 et 89% en 1997 tombaient d'accord avec la proposition selon laquelle la population francophone du Canada est caractérisée par une culture unique qui en fait une société distincte en Amérique du Nord . Assez étrangement, cette société n'est pas identifiée comme celle du Québec. Un bon nombre des répondants étaient déjà informés en 1992 de la possibilité de l'indépendance du Québec, soit 47%. Cette proportion s'élève à 65% en 1997, mais seulement 6 % croyaient cela très probable et 21% quelque peu probable. Quant à la réaction face à l’événement, s'il se produisait, 47% y semblaient indifférents (« would not be much moved either way ») et 42% en étaient attristés en 1992 tandis qu'en 1997, seulement 31% auraient été tristes d'apprendre que le Canada était divisé en deux pays et 64 % ne voulaient exprimer aucune opinion. Comme on pouvait s'y attendre, seulement 5% en 1992 et 6% cinq ans plus tard envisageaient l'indépendance du Québec comme un événement heureux. Enfin, en 1992, une bonne majorité des personnes interrogées, soit 76 %, étaient d'avis que les États-Unis devaient demeurer tout à fait à l'écart de cette question (« My country should stay out of it »). Seulement 14 % souhaitaient que leur pays s'engage à favoriser l'unité du Canada (« My country should work to keep Canada and Quebec together »). Étrangement, la même question n'était pas répétée en 1997.

[228]

Que conclure de ces sondages ? D'abord que les Américains s'intéressent fort peu à la question constitutionnelle canadienne. Ensuite, que dans la mesure où ils en sont informés, ils ont tendance à favoriser le statu quo, c'est-à-dire l'unité du Canada, ce qui est tout à fait normal pour des citoyens d'une grande puissance à l'égard d'un bon voisin comme le Canada et aussi pour des Américains marqués par la guerre civile. Contrairement aux Canadiens, cependant, ces Américains ne semblent pas bouleversés outre mesure par la possibilité de la souveraineté du Québec. Peut-être le seraient-ils davantage si l'événement leur apparaissait plus vraisemblable. Peut-être alors seraient-ils plus nombreux à souhaiter une intervention de leur gouvernement et d'autres institutions américaines. Pour le moment du moins, ils appuient fortement une politique de totale neutralité face à cette question : il serait étonnant en effet, compte tenu de leurs réponses aux autres questions, qu'ils aient changé d'avis depuis 1992. De toute évidence, même si les Américains sont portés à être plutôt d'accord avec leurs voisins canadiens de langue anglaise sur la question du Québec, ils n'envisagent pas cette question avec la même ferveur : il s'en faut.

Un autre sondage a été réalisé, au printemps de 1991, auprès d'un échantillonnage beaucoup plus limité. Il s'agit d'un questionnaire adressé à des élites des trois États de la côte du Pacifique (Washington, Oregon, Californie) : un échantillonnage de dirigeants du monde des affaires, des milieux gouvernementaux, de l'éducation et de la presse écrite . Parmi ces personnes, dont 23% « prétendaient » pouvoir lire ou parler le français, 43% se disaient au moins modérément bien informés au sujet du Québec, bien [229] que leur source principale d'information fût américaine (journaux et télévision) et que seulement 15% d'entre eux aient déjà voyagé au Québec. Près du quart avaient déjà eu des contacts avec des collègues québécois dans leur domaine, particulièrement dans le domaine de l'éducation.

Bien qu'ils aient été très favorables au maintien de la langue française au Canada et même, à un moindre degré, à quelque intervention législative du gouvernement du Québec dans ce domaine, seulement 19% étaient d'accord pour dire qu'il était légitime d'exiger des enfants d'immigrants qu'ils s'inscrivent à l'école française. Ils étaient à peine plus nombreux, 21%, à appuyer la législation québécoise en matière de

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langue du commerce et des affaires. Ils ne croyaient pas non plus, dans une proportion de 57%, que le Québec devait être reconnu comme une société distincte ; seulement 7% appuyaient fortement cette proposition et 36% dans une certaine mesure.

Ils reconnaissaient cependant, à raison de 56%, que l'appui au « séparatisme » se répartissait assez également sur l'éventail sociopolitique québécois. Cependant, ils n'étaient que 30% à croire que le Québec avait le droit de faire sécession : 45% croyaient le contraire. Moins de 4% étaient d'opinion que le Québec devrait devenir un pays distinct, 77% croyaient que cela ne devrait pas se produire. Par ailleurs plus des trois quarts d'entre eux étaient d'accord pour dire que les États-Unis ne devraient rien faire ou se contenter d'exprimer verbalement leurs inquiétudes si le Québec devait faire sécession. Ils ne croyaient pas que les relations avec le Canada devraient alors en souffrir, mais ils étaient 53% à croire que les liens économiques entre les États-Unis et le Québec en seraient affaiblis. Une bonne majorité d'entre eux, soit 68%, envisageaient un Québec indépendant comme moins amical et plus distant vis-à-vis [230] des États-Unis. Toutefois, dans une proportion de 81% ils ne croyaient pas probable que le reste du Canada en devienne fracturé.

À en juger par ces réponses, il semble bien que le niveau d'information au sujet du Québec ait été moins élevé que le prétendaient les personnes interrogées. Dans la mesure où elles avouaient s'en tenir à des sources américaines, cela devient assez évident, comme nous le verrons au chapitre suivant.

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CONCLUSION

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Il nous faut donc constater, en dépit de quelques progrès encourageants pour le Québec, que les perceptions qu'entretiennent les Américains à l'endroit du Québec sont encore très épisodiques et plutôt vagues. La population américaine, de par son histoire, sa culture et ses relations plus étendues avec le Canada anglais (ne fût-ce que pour des raisons linguistiques), n'est guère disposée à reconnaître le Québec pour ce qu'il est, à le considérer comme société distincte, à approuver les politiques de son gouvernement en matière de langue et de culture, à appuyer ses revendications constitutionnelles et encore moins à favoriser le projet souverainiste.

Nous avons aperçu cependant une certaine évolution depuis environ deux décennies, une image positive du Québec s'est formée chez plusieurs de ceux qui ont l'occasion de traiter avec des Québécois. Pour les autres, comme nous le révèlent les rares sondages disponibles, il semble bien que ce soit l'indifférence qui domine et une incompréhension à peu près totale des motivations du nationalisme québécois. L'examen de l'information véhiculée par les journaux confirmera ce diagnostic. C'est là l'objet du prochain chapitre.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Troisième partie :Perceptions américaines

Chapitre 7

Le Québecdans la presse écriteaux États-Unis

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L'opinion publique américaine s'intéressant peu au Québec, il est bien normal que la presse écrite accorde une attention superficielle et épisodique à la province francophone du Canada. Il aura fallu que surviennent des événements plutôt dramatiques et la perspective de l'accession du Québec à la souveraineté pour qu'elle s'y intéresse quelque peu et formule des commentaires. Comme on l'a vu au chapitre précédent et d'ailleurs tout au long de ce livre, c'est d'abord le Canada, pays voisin, partenaire économique, politique et stratégique, qui fait l'objet de considérations. En conséquence, le mouvement souverainiste québécois intéresse les Américains surtout en fonction de ce qu'il signifie pour l'ensemble du Canada. Il y a d'abord ce pays qui s'est imposé par son caractère démocratique, pacifique et respectueux des droits. Puis il y a cette province qui, tout à coup, menace de faire sécession pour des raisons qu'on ne comprend pas très bien.

À l'instar de l'ensemble de l'opinion publique, la presse écrite américaine a évolué dans sa perception du Québec. Si l'on compare ce qui s'est écrit dans les journaux au cours des quelque dix dernières années aux premières réactions à l'avènement d'un parti souverainiste au pouvoir en 1976, on constate un net progrès quant à l'exactitude de l'information et à la qualité de l'interprétation. En [232] raison des facteurs mentionnés au chapitre précédent, on est encore loin toutefois d'une analyse adéquate de la politique québécoise, du moins dans la perspective de ce à quoi pourrait s'attendre le Québécois moyen. Toutefois, les États-Unis constituent un pays d'une diversité, d'une complexité et d'une richesse qui étonnent toujours. Les généralités y sont donc, plus qu'ailleurs, soumises à de remarquables exceptions. Cela est vrai de la presse écrite comme du reste.

Nous nous arrêterons d'abord sur ce qu'on pourrait appeler la presse d'élite du Nord-Est des États-Unis, c'est-à-dire trois grands journaux quotidiens susceptibles d'être lus par les élites politiques, économiques, gouvernementales, intellectuelles et autres qui gravitent autour des milieux gouvernementaux, dans les centres de recherche, les milieux d'affaires, les universités, partout où on s'intéresse de près à la politique étrangère américaine et aux questions internationales, soit en fonction de ses intérêts, soit comme objet d'étude. Ce sont le New York Times, le Wall Street journal et le Washington Post . Le New York Times est lu par à peu près toutes les personnes qui suivent les relations internationales de près, y compris celles qui s'intéressent particulièrement au Canada. Le Wall Street journal est la publication préférée des milieux économiques et reflète généralement les vues plus conservatrices du monde des affaires et de la finance. Le Washington Post, le grand quotidien de la capitale, est considéré comme la source par excellence en ce qui a trait aux milieux gouvernementaux fédéraux et aux diverses institutions nationales [233] qui ont leur siège à l'intérieur du District of Columbia ou aux alentours. Il est lu davantage par les hauts fonctionnaires, les

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membres du Congrès et leur personnel. À ces trois quotidiens il faut ajouter les magazines hebdomadaires Time, Newsweek et U.S. News and World Report qui sont aussi lus par ceux qui s'intéressent aux affaires internationales et sont susceptibles de traiter du Canada à l'occasion. Nous nous tournerons ensuite vers l'ensemble des autres journaux dont certains occupent une catégorie à part, comme le Los Angeles Times (qui se situe presque dans la même catégorie que les trois grands), le Chicago Tribune, le Boston Globe, le Detroit Free Press qui ont, à divers moments, assigné un correspondant au Canada, le plus souvent à Toronto ou à Ottawa, ou du moins envoyé des journalistes en mission spéciale à l'occasion d'événements particuliers. Ces journalistes, de même que les correspondants permanents, se sont rendus à Montréal et ont voyagé à travers le Québec de façon ponctuelle. Mais la grande majorité des quotidiens américains qui ont rapporté des informations ou publié des éditoriaux concernant le Québec se sont contentés des grandes agences de presse, des chroniqueurs nationaux (syndicated columnists) ou, comme nous l'avons mentionné plus haut, de contractuels canadiens. Quant aux tabloïds et autres publications populaires, ils s'intéressent fort peu à la nouvelle internationale et ont à peu près complètement ignoré le Québec.

Notre relevé porte essentiellement sur les moments où le Québec a fait surface dans l'information, surtout dans la mesure où la souveraineté apparaissait comme une sérieuse possibilité. Il s'agit d'abord du rejet de l'accord du lac Meech, en juin 1990, et de l'effervescence qui s'en est suivie au Québec : création du Bloc québécois, Commission Bélanger-Campeau sur l'avenir politique du Québec [234] et son rapport en mars 1991, rapport de la Commission politique du Parti libéral du Québec (rapport Allaire), l'accord de Charlottetown de 1992 et son rejet au référendum qui suivit, le succès du Bloc québécois aux élections fédérales de 1993, le retour du Parti québécois au pouvoir en septembre 1994 et le référendum de 1995 sur la souveraineté-partenariat.

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LES QUOTIDIENS ET HEBDOMADAIRESINFLUENTS EN GÉNÉRAL

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D'entrée de jeu, il faut préciser qu'en dépit d'un progrès marquant quant à l'information et à l'interprétation relatives aux événements québécois, même les publications américaines les plus sérieuses ont consacré très peu d'espace à l'arrière-plan historique, à la dynamique sociale contemporaine et aux événements politiques sous-jacents aux revendications des nationalistes québécois. Un lecteur attentif de ces journaux et revues n'aurait guère eu l'occasion de se faire une idée des opinions et sentiments majoritaires dans la population du Québec, par exemple, des divers degrés d'appui à l'autonomie du Québec, de la révision constitutionnelle à la souveraineté avec ou sans association. Très rarement a-t-on consenti un effort pour faire comprendre la logique des positions souverainistes, ou du moins les fondements sociopolitiques du mouvement indépendantiste québécois. Plus encore, le point de vue des nationalistes modérés ou fédéralistes conditionnels, celui qui semble bien occuper la plus grande partie de la gamme des opinions au Québec, a été souvent ignoré. En lisant les articles de ces journaux et revues, comme d'ailleurs la grande majorité des publications anglo-canadiennes, il est très difficile de croire que des [235] personnes sérieuses, bien informées, de haut niveau d'éducation et ouvertes aux communications internationales aient pu appuyer le Parti québécois, le Bloc québécois et voter « oui » au référendum sur la souveraineté. Les arguments fédéralistes communs à la presse anglophone du Canada ont été diffusés d'une manière tout à fait disproportionnée par rapport à ceux qui prévalent dans la population francophone du Québec.

Rappelons encore que, contrairement aux journaux canadiens, la presse américaine ne porte son attention sur le Québec que de façon plutôt sporadique. En d'autres termes, le lecteur moyen de ces publications devra se contenter d'un ou deux articles par année sur la question québécoise. Si ces articles souffrent d'un biais particulier, cette déformation risque d'avoir un impact quasi permanent. De plus, à l'exception de grands événements comme le référendum de 1995, ce type d'information est habituellement relégué aux pages les moins en vue des quotidiens ou hebdomadaires. Par exemple, le retour attendu de Robert Bourassa au pouvoir en 1985 est à peu près ignoré. On a à peine mentionné les cinq conditions minimales posées par le gouvernement libéral du Québec en vue de la ratification de la Constitution canadienne de 1982. Puis, en 1987, l'accord du lac Meech a fait l'objet de quelques nouvelles et commentaires favorables. L'accession de Jacques Parizeau à la tête du Parti québécois l'année suivante a été brièvement rapportée. Même le traité canado-américain de libre-échange a peu retenu l'attention de ces publications influentes. Elles en ont fait état toutefois et l'appui massif du Québec a été souligné, surtout au moment de la réélection du gouvernement Mulroney en novembre 1988. On souligna encore, un mois plus tard, d'une façon peu élaborée et très négative, le recours du [236] gouvernement québécois à la clause dérogatoire de la Constitution pour retarder l'application du jugement de la Cour suprême concernant l'affichage unilingue prévu par la législation linguistique québécoise.

Il faudra ensuite attendre l'échec de l'accord du lac Meech en juin 1990 pour qu'il soit question du Québec dans la presse d'élite aux États-Unis. La démission fracassante de Lucien Bouchard du cabinet Mulroney est rapportée de même que la formation du Bloc québécois, la déclaration solennelle de Robert Bourassa annonçant son retrait des négociations constitutionnelles fédérales-provinciales et la montée fulgurante de l'appui de la population québécoise à la souveraineté. Toutes ces publications déplorent la tournure des événements et ne s'associent guère, pour une fois, aux arguments qui prévalent chez les Canadiens de langue anglaise à l'encontre du bien-fondé de l'accord de Meech. Mais elles ne prévoient pas que cet échec engendrera une crise constitutionnelle d'envergure. D'ailleurs la crise d'Oka de l'été 1990, avec l'image négative qu'elle projette sur le Québec auprès d'une population nouvellement sensibilisée à la cause autochtone, surtout après le succès du film Dancing with Wolves, suscite la curiosité bien davantage que les frustrations constitutionnelles des Québécois.

Malgré tout, on sera mieux en mesure de constater, sinon de comprendre, la progression du sentiment

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souverainiste au Québec, tel qu'il s'exprimera à l'hiver de 1991 au moment de la publication du rapport Allaire, en janvier, et de celui de la Commission Bélanger-Campeau, en mars. On ne sera pas trop surpris, l'année suivante, du rejet de l'accord de Charlottetown au référendum pancanadien d'octobre, puis, en 1993, du succès du Bloc québécois aux élections fédérales, de la victoire du Parti [237] québécois au Québec en 1994 et enfin du vote serré du référendum de 1995. Du moins, tous ces événements, pour peu compris et analysés qu'ils aient été, ont sûrement beaucoup moins étonné que l'apparition soudaine (aux yeux du public américain) du Parti québécois dans l'horizon politique canadien en 1976.

Contrairement aux réactions alarmistes de cette époque à l'endroit d'un nationalisme qu'on percevait spontanément comme dangereux et entaché de socialisme antiaméricain, on considère généralement le Québec comme une société démocratique, favorable à l'entreprise privée, à l'économie de marché et aux investissements américains. Même si la souveraineté du Québec est toujours dépeinte comme un événement malheureux et contraire à l'intérêt national des États-Unis, on envisage volontiers une telle éventualité comme tolérable tout en souhaitant qu'un Québec souverain en vienne à des accords économiques avec le Canada et sans doute avec les États-Unis.

C'est évidemment le référendum de 1995 qui a reçu la plus grande couverture médiatique. Toutes ces publications importantes ont délégué des journalistes au Québec et ont rendu compte de la campagne référendaire à quelques reprises. Les ratés de la campagne du « non » ont été signalés de même que la quasi-absence d'efforts de la part des autres provinces canadiennes et du gouvernement fédéral pour offrir quelque accommodement au Québec. Le caractère démocratique du vote de même que le haut taux de participation ont été soulignés, probablement davantage que ne l'ont fait les médias anglophones du Canada. Les lendemains du référendum ont sans doute suscité beaucoup moins d'intérêt. Néanmoins ces journaux et revues de qualité ont régulièrement fait état de [238] l'évolution de la situation. Ils ont rapporté le durcissement des attitudes dans la population canadienne hors Québec, les progrès du mouvement partitionniste au Québec et le recours à la Cour suprême de la part du gouvernement fédéral pour faire déclarer illégale une éventuelle déclaration unilatérale d'indépendance du Québec. On a aussi à peu près unanimement félicité le gouvernement Bouchard d'accorder la priorité à la lutte au déficit budgétaire et de reporter un autre référendum à une date indéterminée. La visite du premier ministre à New York, en juin 1996, qui avait pour but de rassurer le milieu des affaires américain et la communauté des investisseurs, a fait l'objet d'une attention toute spéciale de la part de la presse d'élite. La nomination d'André Caillé à la tête d'Hydro-Québec a aussi été diffusée et accueillie favorablement.

PERSPECTIVES DIFFÉRENTESDES TROIS GRANDS QUOTIDIENS

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Les grands quotidiens d'élite du Nord-Est américain se sont, bien entendu, opposés tous les trois au projet de souveraineté du Québec. Cependant ils n'ont pas accordé le même degré d'attention, voire de sympathie, à la cause du nationalisme québécois. C'est le Washington Post qui a consacré au Québec la couverture la plus complète et la moins antipathique au mouvement souverainiste. Le Wall Street Journal est celui qui a produit les analyses économiques les plus détaillées, systématiques et fiables de la situation québécoise en général et de l'hypothèse souverainiste en particulier. Il est le seul quotidien américain qui a maintenu un correspondant averti à Montréal (en plus d'Ottawa et Toronto). Quant au New York Times, qui avait fait preuve d'une certaine modération et d'un grand [239] effort d'objectivité durant la période de 1976 à 1980, il est devenu le plus critique à l'endroit du nationalisme québécois et surtout envers le projet souverainiste. Parmi les autres quotidiens, ce sont le Los Angeles Times et le Boston Globe qui ont offert la meilleure couverture.

Dans un éditorial en date du 12 avril 1990, soit environ deux mois avant l'échéance finale de l'accord du lac Meech, le Washington Post a montré une intelligence remarquable des aspirations nationalistes des Québécois tout en s'affichant plutôt pessimiste quant à l'avenir de la fédération canadienne dans la mesure

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où les gouvernements et la population des autres provinces continuaient à refuser tout compromis honorable avec le Québec. Un autre éditorial revint à la charge, le 15 juin de la même année, allant jusqu'à se demander si la création d'un État francophone du Québec et les divers Canadas (several Canadas) qui en résulteraient n'accréditeraient pas une sorte de modèle scandinave dans le nord du continent américain (« [...] perhaps Scandinavia will turn out to be the model for the top half of this continent »). Cette audacieuse considération valut au journal une réponse outrée de l'ambassadeur canadien Derek Burney . Le 28 décembre 1990, le correspondant du Post au Canada, William Claiborne, a rapporté correctement que la plupart des mémoires soumis à la Commission Bélanger-Campeau sur l'avenir politique du Québec visaient à obtenir, soit une augmentation substantielle des pouvoirs québécois, soit la souveraineté. Il décrivit ensuite la réaction du reste du Canada comme relevant de l'indifférence, de l'absence de compréhension, du refus d'en venir à des compromis et du peu de cas qu'on faisait des conséquences d'une éventuelle souveraineté du Québec. Le 13 février de l'année [240] suivante, le Washington Post en vint à la conclusion que les points de vue du Québec et du reste du Canada étaient devenus irréconciliables : « [ ... ] beaucoup de ce qui est acceptable pour le Québec ne l'est pas pour une grande partie du Canada anglais, et ce qui est acceptable pour les provinces anglophones est aussi nettement inacceptable pour le Québec . »

Une semaine avant l'élection du 12 septembre 1994 au Québec, un éditorial du grand journal de la capitale américaine faisait état du remarquable climat de non-violence qui prévalait au Canada : « Si pénible qu'ait été la question du Québec pour les Québécois et les Canadiens (et ceux qui se considèrent comme l'un et l'autre) [...] à l'exception d'une courte période de terrorisme à la fin des années soixante, ce conflit est demeuré remarquablement civilisé, se produisant à travers des élections démocratiques . » À la veille de l'élection, dans une recension d'un livre très alarmiste de Lansing Lamont (The Coming End of Canada and the Stakes for America), le successeur de Claiborne, Charles Trueheart, a fait remarquer qu'une victoire du Parti québécois ne signifierait pas l'avènement de la souveraineté, dans la mesure où une bonne majorité de Québécois étaient encore profondément sceptiques face à l'indépendance. Le correspondant faisait grand état de la difficulté, pour un observateur de l'extérieur, de comprendre les ambiguïtés québécoises : « Il s'agit bien, [241] semble-t-il, d'une affaire toute québécoise que nous ne comprenons pas bien [ ...] Mais le scénario le plus plausible, c'est une succession de méli-mélos chez les leaders, de rencontres, conférences, rapports, compromis et demi-mesures qui sont devenus un mode de vie au sein de cette démocratie concentrée sur elle-même, raisonneuse et plutôt équitable . »Ce diagnostic était peut-être un peu sévère, mais comment pourrait-on le répudier tout à fait ?

Trueheart ne put que continuer dans la même veine le lendemain de l'élection. Face au résultat serré du vote et à la réticence du Canada anglais eu égard à quelque concession, le correspondant en induisit l'absence d'une décision claire et la nécessité, pour le premier ministre Chrétien, de rouvrir le dossier constitutionnel. Le jour suivant, soit le 14 septembre, Anne Swardson commenta l'élection dans la section « affaires » du journal sous le titre « Canadian Leaders Express Optimism at Quebec Separatists' Slim Victory (« Les leaders canadiens expriment leur optimisme après la mince victoire des séparatistes ») : elle y décrivait correctement les Canadiens comme étant moins enclins qu'auparavant à satisfaire aux exigences du Québec et à traiter la province francophone comme une « société distincte » et encore moins à s'engager dans des travaux publics d'envergure pour avantager le Québec. Notons au passage cette étrange liaison entre la « société distincte » et des dépenses publiques de la part du gouvernement fédéral. La journaliste enchaînait en mettant en relief les pressions de Wall Street à l'égard d'un pays lourdement [242] endetté. Trueheart, de son côté, conclut, le jour suivant, que le mouvement vers l'indépendance avait été freiné par l'élection et que les marchés financiers avaient accordé leur vote de confiance au Canada.

L'année suivante, une semaine avant le référendum, alors que les sondages laissaient entrevoir un résultat serré, le Post a publié deux articles sur le sujet, les 23 et 24 octobre, et émit l'opinion, dans son éditorial du 25 octobre intitulé « Independent Quebec ? », qu'un vote affirmatif serait dommageable aux trois partenaires de l’ALÉNA tout en soulignant que les souverainistes avaient tort de supposer que les relations avec les États-Unis se poursuivraient sans heurt. Car même si le gouvernement américain devait proposer, en toute probabilité, de renégocier l'accord avec le Québec, cela ne se ferait pas facilement et ressusciterait les vives querelles auxquelles l'avènement de l’ALÉNA avait donné lieu : « un conflit féroce qui aurait peu à voir avec le Québec et beaucoup avec la politique américaine [...] L'indépendance comporterait un prix et ce prix ne serait pas défrayé uniquement par le Québec . » Le 29 novembre suivant,

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le Post émit l'opinion que rien n'était réglé au Canada. L'éditorial jugeait que les mesures adoptées par la Chambre des communes en vue de reconnaître le Québec comme une société distincte étaient trop faibles et trop tardives : « Trop peu, trop tard ». On doutait que Chrétien, compte tenu de son attitude passée, en vienne à mettre en œuvre des changements constitutionnels propres à satisfaire le Québec et on faisait valoir que, même si le premier ministre en venait là, les autres gouvernements provinciaux et la population du Canada s'y objecteraient.

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Le journaliste E.J. Dionne Jr est un chroniqueur réputé du Washington Post. Descendant d'immigrants canadiens-français, parlant encore français et ayant séjourné au Québec durant sa jeunesse, il a consacré une chronique au Québec, le 10 juin 1997. Il y note que peu de Québécois entretiennent des sentiments d'hostilité à l'endroit des autres Canadiens. Il constate néanmoins que, malgré leur préférence pour une réforme constitutionnelle, ils sont nombreux à craindre un affaiblissement et même l'éventuelle disparition de leur langue et de leur culture propre si le statu quo perdure. Dionne remarque encore que les Québécois se sentent de plus en plus rejetés, en tant que peuple distinct, par la majorité anglophone mais en même temps plus confiants en leurs capacités de s'en tirer aussi bien sinon mieux par leurs propres moyens. Le Post a fait aussi état de l'élection fédérale du 2 juin 1997 : il y a vu peu de bons présages pour l'unité canadienne. Le Bloc québécois détient toujours la majorité des sièges au Québec et le Parti réformiste semble vouloir pousser les Québécois hors du Canada : « Si Manning veut les pousser hors du Canada, il va réussir. Même si Chrétien l'a emporté, il a eu tort de croire que les bonnes nouvelles économiques allaient enterrer la question de l'unité. Il doit y faire face ou il perdra son pays. »

Davantage encore que le Washington Post, le Wall Street Journal a suivi d'assez près la question du Québec, surtout sous les aspects qui intéressent ses lecteurs, c'est-à-dire en rapport avec les investissements, les échanges commerciaux et la situation financière. Ses analyses ont [244] été pour la plupart équilibrées et correctes. Elles se sont étendues parfois aux questions politiques et aux rapports entre le Québec, les autres parties du Canada et le gouvernement fédéral. Contrairement au Washington Post et au New York Times, plusieurs journalistes ont signé des articles sur le Québec et le Canada, dont le chroniqueur conservateur David Frum, natif de Toronto mais qui passe la plus grande partie de son temps aux États-Unis. La perspective du Journal correspond assez bien avec les propensions capitalistes de ses lecteurs : on favorise le plus souvent la philosophie du laisser-faire, on s'oppose à l'intervention gouvernementale et on appuie généralement les positions les plus conservatrices. Cette perspective apparaît plus nettement encore dans les articles publiés par des personnes de l'extérieur et dans les lettres à la rédaction. Par exemple, tandis que le Washington Post s'est abstenu de publier la prose incendiaire de Mordecai Richler, le Wall Street journal, comme le New York Times, ont ouvert leurs pages à l'écrivain montréalais.

Dans l'ensemble cependant, les articles du Journal ont rapporté les faits avec exactitude et sans y mettre trop de parti pris. Par exemple, le 12 janvier 1990, David Frum a fait état d'une enquête réalisée pour le compte du magazine Maclean's qui révélait que 40 % de tous les Canadiens et 52 % des Québécois croyaient probable que le Québec se « sépare » (« would separate ») du Canada dans la prochaine décennie. L'article livrait aussi un bon compte rendu du contexte et des clauses de l'accord du lac Meech. Le 15 mars suivant, G. Pierre Goad rapporta que Merrill Lynch venait de déclarer à ses clients qu'un Québec indépendant devrait encore se mériter une bonne cote de crédit tandis que la maison Richardson Greenshields of Canada Ltd. estimait que la crainte d'une montée du « séparatisme » [245] qui accompagnerait vraisemblablement la faillite de l'accord du lac Meech ferait augmenter le rendement des obligations du Québec. Le 17 mai 1990, soit à peine plus d'un mois avant l'échéance pour la ratification de l'accord, Frum fit un tour d'horizon de la question québécoise et des conséquences d'un départ du Québec pour le reste du Canada et pour les États-Unis. Il nota que la souveraineté avait déjà atteint son plus fort pourcentage d'appui auprès des Québécois, soit 56 % (car on avait déjà désespéré de voir l'accord constitutionnel survivre dans sa conception originale) tandis qu'une majorité de Canadiens hors Québec devenait de plus en plus exaspérée et préférait laisser le Québec partir plutôt que de faire d'autres concessions. Il a rapporté aussi que le premier ministre de la Colombie-Britannique avait déclaré qu'il ne voyait pas d'avantages strictement économiques pour sa province de demeurer dans la fédération canadienne tandis que celui de la Nouvelle-Écosse croyait que, si le Québec devait quitter, les quatre

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provinces de l'Atlantique n'auraient d'autre choix que de demander d'adhérer aux États-Unis.

Les journalistes du Wall Street Journal ne semblèrent pas surpris par la faillite de Meech. Le 25 juin, Pierre Goad notait un élargissement de la différence entre les taux d'intérêt des obligations canadiennes et celles des États-Unis. Il établit un lien entre ce phénomène et l'inquiétude quant à l'avenir du Canada. Deux jours plus tard, le Journal faisait état de ce qui apparaissait comme un mouvement de la part des dirigeants francophones du milieu des affaires au Québec. Ceux qu'on identifiait comme « le rempart du NON durant la campagne référendaire de 1980 » semblaient devoir acquiescer à la souveraineté. On rapportait que, le 26 juin 1990, le Conseil du patronat du [246] Québec avait annoncé qu'il ne prendrait pas position dans le débat concernant l'adhésion du Québec à la fédération canadienne. Puis, le 29 juin, un éditorial affirmait que, même s'il y avait lieu de s'inquiéter des conséquences de la défaite de Meech, un Québec autonome ne constituait pas nécessairement un désastre pour les États-Unis. Les deux grands partis politiques québécois étaient commis au libre-échange et les sondages révélaient régulièrement que les Québécois étaient les plus proaméricains des Canadiens. Le Journal demeurait préoccupé par les interventions du gouvernement du Québec dans l'économie : « L'économie du Québec est encore trop subventionnée et réglementée. Ses entreprises dépendent, d'une façon inquiétante, d'investissements à base idéologique [...] Pour faire croître une économie, il n'y a pas que les échanges qui doivent être libres . »

Le 17 août suivant, le Journal publiait une lettre du premier ministre Bourassa qui établissait les différences économiques entre les politiques de son gouvernement et celles du Canada. Il mentionnait les taux d'intérêt élevés imposés par la Banque du Canada, une monnaie canadienne surévaluée, facteur de chômage, la réduction des paiements de péréquation, le refus du gouvernement canadien de restituer aux provinces des pouvoirs qui relevaient de leur compétence, ce qui entraînait un coûteux dédoublement de programmes et de services et un fardeau fiscal plus élevé pour les Québécois. Bourassa défendait les interventions de son gouvernement dans l'économie, invoquant la sous-représentation des francophones dans les [247] décisions économiques et la nécessité de favoriser la modernisation de l'économie. Il soulignait l'appui considérable du Québec au libre-échange et le besoin essentiel de préserver son caractère culturel distinct face aux médias américains et aux énormes influences du monde anglophone.

L'année suivante, le 30 janvier 1991, Pierre Goad interpréta le rapport Affaire de la Commission politique du Parti libéral du Québec comme un ultimatum du parti au pouvoir, qui se présentait comme une volonté d'indépendance politique. Il notait encore que les obligations gouvernementales du Québec n'en avaient pas moins augmenté, tandis que le dollar canadien avait clôturé à la hausse. Le 27 mars suivant, le même journaliste donna un compte rendu objectif des recommandations de la Commission Bélanger-Campeau et nota, entre autres choses, qu'Ottawa et les autres provinces n'accepteraient pas que le Québec ne porte que 18,5% de la dette canadienne comme le recommandait la Commission. Goad révéla enfin que le rapport avait reçu l'appui de l'Assemblée nationale, une majorité des membres des deux partis votant en sa faveur : seule une faible minorité de fédéralistes inconditionnels s'y était opposée.

David Frum commenta, le 5 avril 1991, le rapport de la Commission Spicer en ces termes : « La majorité des Canadiens de langue anglaise acceptent la séparation du Québec si les négociations pour le conserver devaient déboucher sur un traitement préférentiel pour le Québec ou réduire indûment la capacité du Canada de traiter de questions nationales . » Notons encore la tendance à assimiler les revendications québécoises à un « traitement [248] préférentiel ». Un an plus tard, Pierre Goad et John Urquhart ont encore fait état du refus massif (92 %) des Canadiens hors Québec d'accorder un statut particulier à la province francophone. Comment ne pas penser, encore une fois, que le statut particulier était associé à un traitement de faveur ?

Après le référendum sur l'accord de Charlottetown, Christopher Chipello et Suzanne McGhee firent observer que la défaite des propositions tendait à renforcer le mouvement souverainiste, mais que tout de même l'appui à la souveraineté avait diminué depuis les sommets de 1990-1991 et n'était plus que le fait d'une minorité. Le lendemain, un article de Chipello et Urquhart faisait remarquer que, contrairement aux propos alarmistes de Mulroney, Bourassa et autres, la défaite de l'accord de Charlottetown n'avait pas été suivie de la catastrophe : les valeurs des actions, des obligations et de la monnaie avaient même augmenté et les banques canadiennes avaient réduit leur taux d'intérêt préférentiel de un demi-point de pourcentage. Les

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deux journalistes rappellent que les francophones québécois, en grand nombre, se considéraient comme l'un des deux peuples fondateurs du Canada et non pas comme l'une des dix provinces ou l'un des divers groupes ethniques. Ils notaient encore les positions irréconciliables d'une majorité de Canadiens à l'endroit des exigences appuyées par une majorité de Québécois quant au fédéralisme canadien.

Comme on l'a noté plus haut, le Journal ouvre volontiers ses pages à des collaborateurs externes. Ainsi, le 20 mars 1992, Robert Blohn, identifié comme un Américain résidant au Canada à titre de conseiller en investissements, se livra à une critique dévastatrice des interventions du gouvernement québécois dans l'économie. Notons que [249] Robert Bourassa était toujours au pouvoir. Le même Blohn est revenu à la charge l'année suivante en écrivant que la « séparation » du Québec ne devrait pas exacerber la crise financière canadienne : dans la mesure où le gouvernement canadien se dégagerait de toute responsabilité vis-à-vis de la dette québécoise et où les investisseurs se méfieraient des obligations d'un Québec souverain, les taux d'intérêt baisseraient au Canada et augmenteraient au Québec. Cet article a provoqué la réplique du ministre québécois des Affaires internationales, John Ciaccia, lequel se fit fort de citer la cote de crédit de Aa3 maintenue par Moody's quelques mois plus tôt en raison de l'amélioration du contrôle des dépenses publiques de la part de son gouvernement. Ciaccia poursuivait en soulignant que le Québec favorisait la libéralisation du commerce interprovincial, qu'il avait fait preuve d'une aptitude croissante à la concurrence dans les marchés canadiens et mondiaux tout en se révélant un ardent défenseur de l'accord canado-américain de libre-échange.

J. Duncan Edmonds, présenté comme un ex-directeur des études canadiennes à l'Université Yale et par la suite associé, à titre de visiteur, à l'Americas Society de New York, écrivit à son tour un article plutôt pessimiste quant à l'avenir du Canada. Le 3 février 1993, il fit état du refus croissant qui se manifestait chez les Canadiens des provinces anglophones d'aller à la rencontre du Québec au prix de voir le Québec quitter la fédération. Il décrivait le nationalisme de ces Canadiens comme étant à la fois commis à un Canada symétrique et centralisé (à l'encontre des volontés québécoises) et à la préservation d'une identité canadienne particulière face aux influences économiques et culturelles des États-Unis. Il en concluait que « Le Québec atteindra vraisemblablement une plus grande mesure d'indépendance ».

[250]

Le 4 mars 1993, Chipello fit un bon résumé des objectifs et arguments de Lucien Bouchard et de son Bloc québécois à la Chambre des communes : « deux nations s'épanouissant sur le même territoire, dans l'égalité et le respect mutuel [...] cela n'est plus qu'un rêve . » Le 14 septembre 1994, le même Chipello notait que la victoire mitigée du Parti québécois à l'élection provinciale avait fait monter le dollar canadien de plus de un cent. Dans les mois qui suivirent, le Journal s'employa à dresser un sombre tableau de l'éventualité de la souveraineté québécoise. Les articles sur cette question devinrent plus négatifs que jamais. Ainsi, le 13 avril 1995, on écrivit que la souveraineté entraînerait probablement un exode des personnes les mieux éduquées, les mieux qualifiées, surtout chez les anglophones. Les entreprises qui faisaient affaire avec l'ensemble du Canada et qui avaient encore des sièges sociaux à Montréal s'empresseraient de quitter. Le capital déserterait le Québec. Les taux d'intérêt augmenteraient, les cotes de crédit baisseraient. Le déficit gouvernemental québécois ne pourrait que s'accroître dangereusement. À la veille du référendum, le 25 octobre 1995, le Journal cita des entrevues avec des cadres d'entreprise des deux côtés de la frontière qui se préparaient à annuler des plans d'expansion de leurs installations québécoises dans le cas où le « oui » l'emporterait.

Contrastant avec ces propos fort négatifs quant à la souveraineté du Québec, le Journal a publié, le 19 janvier 1996, un article de David R. Henderson, économiste natif du Canada, associé à la Hoover Institution, un centre de recherche très conservateur. Selon l'auteur, contrairement aux scénarios de la plupart des collaborateurs du journal [251] financier new-yorkais, la souveraineté du Québec pourrait être avantageuse à la fois pour le Québec, pour le Canada et pour les États-Unis. Seuls des personnages politiques et des bureaucrates en souffriraient. Le contrôle du Parlement du Canada passerait des provinces pauvres et récipiendaires de paiements de péréquation aux provinces riches dont la prospérité n'en serait qu'accrue. Quant aux provinces pauvres, elles devraient cesser de compter sur les autres et faire face à leurs problèmes structurels. Le Québec se sentirait plus en sécurité culturellement et en viendrait à assouplir sa

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politique linguistique.

Le 1er février 1996, Chipello notait que le référendum avait fait sortir le mouvement partitionniste de l'ombre. Le 20 novembre suivant, il rapportait que l'appui au Parti libéral de Daniel Johnson s'étiolait en raison des différences qui séparaient les libéraux du Québec de l'opinion du reste du Canada. « Aux yeux de plusieurs Québécois modérés, le gouvernement fédéral semble davantage préoccupé d'établir des termes rigides pour la sécession [...] que d'entreprendre les changements constitutionnels qui désamorceraient le séparatisme […] La plupart des Canadiens hors Québec favorisent la ligne dure . » Qui dirait mieux ?

Ce n'est pas le New York Times qui dit mieux. Le grand journal de New York, réputé pour la qualité de ses nouvelles internationales, n'a jamais été sympathique ni très compréhensif à l'endroit du nationalisme québécois. Il est vrai qu'un correspondant de valeur, qui pouvait bien [252] s'exprimer en français, Henry Giniger, a été en poste à Montréal entre 1976 et 1980 de telle sorte que les reportages d'alors concernant le Québec étaient assez objectifs. Mais depuis ce temps, le Times est devenu, soit indifférent, soit rébarbatif à la politique québécoise.

Le 7 juin 1990, quand les premiers ministres du pays cherchaient encore le compromis qui aurait conduit à l'adoption de l'accord du lac Meech, un éditorial du New York Times se contentait de déplorer la montée de l'opinion sécessionniste et de tensions qui « provoquent des incertitudes inutiles chez le principal allié des États-Unis ». Selon l'éditorialiste, les Américains ne pouvaient que souhaiter une solution en vue de « préserver et de stabiliser la fédération ».

Le 8 septembre suivant, le Times publia dans sa page d'opinions un texte substantiel de Sheldon Gordon, directeur de la page éditoriale du Financial Times of Canada. Gordon pressait le gouvernement américain de déclarer clairement que l'Accord de libre-échange canado-américain ne s'appliquerait pas à une province qui ferait sécession du Canada, en vue de renforcer la cause du fédéralisme au Québec. Selon Gordon, les Américains ne devaient pas craindre que cela soit interprété comme une intervention indue : si les États-Unis pouvaient utiliser un accord commercial comme un levier pour encourager les Soviétiques à accorder l'autodétermination aux États baltes, pourquoi ne pas utiliser un accord commercial avec le Canada pour décourager le mouvement sécessionniste sur les rives du Saint-Laurent ? Des observateurs avertis de la [253] politique canadienne et québécoise ont fait parvenir des textes en réaction à celui du journaliste du Financial Times, mais le New York Times refusa de les publier.

Le 6 juin 1991, un des rares articles du Times sur le Québec choisit de s'appuyer sur l'autorité d'un des analystes les plus radicaux de la question québécoise : Stephen Scott, professeur de droit à l'Université McGill, dont les propos incendiaires appartiennent certainement à une minorité parmi tous les spécialistes américains et canadiens qui écrivent sur le sujet. Le Times rapporta les arguments de Scott selon lesquels le Canada ne laisserait pas aller le Québec avec tout le territoire qu'il occupe présentement, en particulier les territoires concédés par le Parlement en 1898 et en 1912. Scott aurait aussi fait observer que les forces armées canadiennes pourraient rapidement exercer un contrôle de ces secteurs contestés si Québec s'avisait de faire sécession. Cet article survint tout à coup après que le New York Times eut à peu près ignoré des événements aussi significatifs que le rapport Allaire et celui de la Commission Bélanger-Campeau .

Dans un autre de ses rares éditoriaux sur le Québec, le 15 septembre 1994, le Times commenta l'élection provinciale qui avait reporté le Parti québécois au pouvoir. On éprouvait de la satisfaction face au vote minoritaire en faveur du parti souverainiste, ce qui semblait bien démontrer que les Québécois ne s'apprêtaient pas à « séparer » le Canada en deux parties. L'éditorial poursuivait en arguant fortement qu'il y allait de l'intérêt national des États-Unis de conserver le Canada tel qu'il était :

[254]

Les États-Unis ont des intérêts politiques, économiques et de bon voisinage dans la préservation de l'intégrité du Canada. Ils désirent aussi éviter le chaos de l'inconnu. En tant que

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superpuissance globale, Washington veut la stabilité à ses frontières, non pas des voisins engagés dans un pénible divorce. Si l'on considère [...] que les États-Unis et le Canada sont les plus grands partenaires commerciaux du monde, la valeur et la fiabilité de leurs relations sont de beaucoup préférables aux barrières susceptibles d'être érigées à la suite d'une scission [...] Une amitié de longue date incite les États-Unis à appuyer la grande majorité des Canadiens qui préfèrent l'unité de leur pays. Une nation québécoise séparée constituerait un malheur pour tous ceux qui seraient concernés, y inclus le voisin du sud .

À la veille du référendum, le Times a consacré quelques articles à la campagne. Clyde H. Farnsworth, correspondant en poste à Toronto, auteur d'un ouvrage idyllique sur le Nord canadien, fut dépêché au Québec. Le 30 octobre, journée du référendum, il a publié des reportages qui donnaient une assez bonne idée de l'état d'esprit de la population québécoise. Le même jour, un éditorial traita de la question. Pour une fois, il était fait état de la [255] situation du Québec depuis la Constitution de 1982 qui avait réduit le poids politique du Québec au Canada et on arguait que les griefs du Québec, « pour légitimes qu'ils soient », étaient sans proportion avec « la voie risquée de l'indépendance ». On constatait aussi que, quels que fussent les résultats du référendum, le problème qui consistait à convaincre le reste du Canada d'accepter un statut constitutionnel particulier pour le Québec allait demeurer. On reconnaissait que les Québécois étaient d'ardents partisans de l’ALÉNA, mais on rappelait qu'un Québec souverain devrait renégocier sa participation à l'accord : « Sans compter les objections possibles d'Ottawa, peu de partisans américains de l'ALÉNA sont désireux d'assister à un nouveau débat sur le traité dans l'atmosphère qui prévaut aujourd'hui à Washington . » L'éditorial se terminait avec un appel au renouvellement du débat constitutionnel au Canada : « Le Canada doit reprendre les discussions constitutionnelles avec le Québec. Cela devrait lui épargner le traumatisme lié à la création d'un nouveau pays. » Voilà certes un état de la situation qui correspond mieux à l'objectivité à laquelle on s'attend de la part d'un journal comme le New York Times.

L'éditorial qui a suivi le référendum était à peu près dans la même veine. Devant un résultat aussi serré, le Times souhaitait que les deux parties en viennent à un compromis et satisfassent le désir de la majorité des Québécois qui préféraient une réforme constitutionnelle à la souveraineté. On était toutefois pessimiste devant les faibles velléités du gouvernement fédéral et le refus de négocier de Parizeau et Bouchard. Ces derniers étaient [256] même blâmés pour ne pas avoir accepté le résultat dans la mesure où ils projetaient un troisième référendum. L'éditorial se terminait en enjoignant les Canadiens à un « dialogue constructif » et à une révision constitutionnelle en vue de rétablir le poids du Québec qui honorerait à la fois la majorité qui avait accordé sa confiance au Canada et la minorité qui avait voté pour un Québec souverain étroitement lié à Ottawa.

Le New York Times a publié un autre éditorial, le 11 avril 1996, pour saluer, un peu tardivement, l'avènement de Lucien Bouchard à la tête du gouvernement du Québec. Un texte étonnamment sympathique, intitulé « Healing Quebec » (« La guérison du Québec ») dans lequel on félicitait le premier ministre de sa nouvelle politique budgétaire et de ses efforts de « réconciliation » à l'endroit de la communauté anglophone, des groupes ethniques issus de l'immigration et des autochtones. Malgré tout, dans l'ensemble de la couverture accordée au Québec, le Times ne nous a pas semblé faire aussi bien que le Washington Post ni même que le Wall Street Journal.

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LES AUTRES QUOTIDIENS

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Les quelque cinquante grands quotidiens américains recensés durant la période référendaire nous donnent une bonne idée du genre d'information reçue par le grand public américain au sujet du Québec. Tous ces journaux, [257] sans exception, envisagent la souveraineté du Québec comme un véritable désastre. Ainsi, pour le San Diego Union-Tribune, le 1er novembre, le Pittsburgh Post-Gazette, le 28octobre et le Buffalo News, le 20 octobre, la « sécession » ou la « séparation » serait une grave erreur. D'après le Times Union d'Albany, dans l'État de New York, le 19 octobre, le Québec envisageait le suicide, rien de moins. Le Dallas Morning News écrivit, le 29 octobre, que le Québec devrait demeurer une partie du Canada tandis que le Wisconsin State Journal du même jour a vu dans un Canada divisé un pas en arrière. Pour le Milwaukee journal du 28 octobre, « le Québec appartient au Canada » et, selon le San Francisco Chronicle, à la même date, le « séparatisme » détruit le Québec (« separatism is wrecking Quebec »). Le Baltimore Sun déclara, le 25 octobre, que la brisure du Canada était impensable ; le 27, on écrivit dans le Hartford Courant qu'une telle fracture du Canada n'avait pas de sens et dans l'Omaha World Herald qu'un Canada divisé serait un désastre. Plusieurs journaux ont fait remarquer que le Québec avait fort bien réussi à défendre et faire évoluer sa langue et son identité culturelle à l'intérieur de la fédération canadienne et qu'il devrait pouvoir continuer de le faire dans l'avenir. Dans tous ces articles, généralement calqués sur la presse anglophone du Canada, l'analyse demeurait superficielle, dépourvue de contexte historique et politique. On y trouvait assez fréquemment des inexactitudes et des interprétations excessives. Selon le Baltimore Sun du 28 octobre 1995, par exemple, les Québécois avaient plus d'enjeux au Canada qu'au moment du référendum de 1980, ce qui était démenti par les tendances économiques dont nous avons fait état au chapitre 4.

[258]

Les lecteurs de ces journaux ont été rarement informés sur les péripéties constitutionnelles qui avaient conduit au vote référendaire, sur l'intransigeance du reste du Canada et du gouvernement fédéral à l'égard du Québec, sur les sentiments de la majorité des Québécois et des diverses commissions qui s'étaient penchées sur la question. On établit rarement un lien entre langue et culture et on a eu tendance à ridiculiser les arguments des nationalistes québécois . Par exemple, le chroniqueur Charles Krauthammer écrivit, le 6 novembre, dans plusieurs journaux, le Chicago Tribune, le Pittsburgh PostGazette, le Denver Post, le Tampa Tribune et le Cincinnati Enquirer : « Qu'un pays s'autodétruise en raison d'une question aussi triviale que la langue, c'est là une cause de grande consternation. » Le News and Record de Greensboro, en Caroline du Nord, alla jusqu'à parler de paranoïa pour décrire l'attitude des Québécois nationalistes alors que leur patrimoine et leur culture étaient déjà protégés par la loi (18 août 1995). Ces journaux ont cité leurs confrères canadiens à l'occasion, par exemple le Globe and Mail ou le Vancouver Sun, mais jamais ils n'ont eu recours à la presse francophone du Canada.

[259]

La plupart de ces quotidiens soulignèrent les aspects pénibles et dangereux d'un tel divorce politique. Utilisant les exemples les plus noirs des autres pays où cela s'était produit, on évoqua souvent les possiblités de violence et les conséquences économiques désastreuses. Plusieurs tombèrent d'accord avec Stephen Blank qui écrivit dans Newsday, le 2 novembre 1995, que, dans de telles circonstances, le capital et le talent anglophones quitteraient le Québec, les taux d'intérêt augmenteraient considérablement, la valeur du dollar canadien baisserait rapidement et il en résulterait une hausse significative du chômage.

Malgré tout, la plupart de ces quotidiens régionaux influents furent plus enclins qu'ils ne l'avaient été au référendum de 1980 à attribuer des responsabilités au gouvernement fédéral et aux autres provinces canadiennes. Certains d'entre eux soulignèrent les réticences des Canadiens hors Québec à en venir à des

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solutions de compromis avec un Québec qui n'avait pas encore ratifié la Constitution et la Charte des droits de 1982. D'autres firent état d'un nationalisme canadien tantôt indifférent, tantôt hostile à la cause des francophones québécois. D'autres enfin reconnurent que le Québec avait été plus favorable au libre-échange avec les États-Unis que les autres provinces canadiennes à l'exception de l'Alberta et qu'on rencontrait chez les Québécois des sentiments plus amicaux à l'endroit des Américains qu'ailleurs au Canada.

Quelques journaux allèrent jusqu'à admettre qu'un Québec indépendant serait démocratique et donnerait lieu à une économie viable, industrialisée et prospère comparable à celle de pays comme l’Autriche, la Norvège ou le Danemark et demeurerait un partenaire économique important et un acteur international responsable en harmonie avec les intérêts à long terme des États-Unis. [260] Des journaux comme le San Francisco Examiner, le Fresno Bee, le Providence Journal-Bulletin, le Sun-Sentinel de Fort Lauderdale et le Herald-Sun de Durham, de la Caroline du nord, le 1er novembre, le Rocky Mountain News, l'Orlando Sentinel, le Sacramento Bee, le Times-Picayune (de la Nouvelle-Orléans) et l'Omaha World Herald, le 2 novembre, écrivirent que le référendum n'avait rien réglé et que les disputes constitutionnelles entre le Québec et le reste du Canada allaient continuer. Ils souhaitaient, en conséquence, qu'on en vienne à un compromis en vue d'éviter un troisième référendum.

La plupart des journaux voyaient dans la souveraineté du Québec une situation contraire aux intérêts de leur pays et appuyaient sans réserve les quelques déclarations du gouvernement américain favorables au maintien de l'unité canadienne. Seulement deux des journaux recensés ont mentionné quelques avantages dont leur région, sinon l'ensemble des États-Unis, pourrait bénéficier. Le Bangor Daily News, le 17 octobre, fit observer que la souveraineté du Québec pourrait stimuler le commerce transfrontalier et le Rocky Mountain News de Denver écrivit que l'Ouest américain pourrait tirer profit d'une brisure du Canada. Toutefois, ni l'un ni l'autre n'étaient disposés à aller aussi loin que Patrick Buchanan qui arguait, au cours de sa campagne aux primaires présidentielles de 1992, que les États-Unis tireraient un avantage fondamental du démantèlement du Canada en annexant la plupart de ses provinces.

Bien au contraire, ces journaux entrevoyaient, en très grande majorité, des conséquences désastreuses pour l'économie américaine si le Québec en venait à faire sécession. Selon eux, plusieurs emplois reliés au commerce avec le Canada s'en trouveraient menacés. Plusieurs [261] citèrent avec approbation les propos de Laura d'Andrea Tyson, conseillère économique du président Clinton, et d'autres experts comme William Merkin et Charles H. Roh Jr, voulant que le Canada puisse demeurer partie de tous les traités et accords existants avec les États-Unis tandis que le Québec se verrait forcé de négocier sa participation au même titre que le Chili et d'autres États et faire face aux fortes tendances protectionnistes à l'intérieur du Congrès américain.

Tout particulièrement en Floride (l'Orlando Sentinel), dans le Sud-Ouest des États-Unis (le San Diego Union-Tribune, le Los Angeles Times et le Houston Chronicle) et dans d'autres régions à forte concentration d'hispanophones (le New York Post, le Boston Herald), des journaux de droite ont fait écho aux mises en garde alarmistes du président de la Chambre des représentants Newt Gingrich à propos des effets pervers du nationalisme québécois et de la politique canadienne sur les groupes ethniques aux États-Unis qui menaceraient les fondements culturels et linguistiques de la nation américaine. On se laissa aller, encore une fois, à comparer les francophones québécois à des communautés issues de l'immigration.

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CONCLUSION

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Nous croyons pouvoir conclure que la presse écrite des États-Unis a reflété assez bien les préjugés et présupposés culturels et conjoncturels du grand public américain tel que nous en faisions état au chapitre précédent. Nous avons rencontré sans doute des exceptions remarquables. Nous avons trouvé dans les journaux d'élite un niveau d'analyse supérieur aux autres publications. Le Washington Post a produit, à l'occasion, des comptes [262] rendus et des commentaires assez objectifs, le Wall Street Journal, dans sa perspective propre de journal économique au service d'un milieu des affaires plutôt conservateur, a aussi produit une couverture suivie qui nous est apparue honnête dans l'ensemble. Le New York Times est souvent demeuré plus étroitement partisan, ce qui nous étonne chez un journal de cette envergure, mais il a tout de même produit, au moment du référendum et par la suite, des éditoriaux judicieux. Quant aux autres journaux, ils ont réagi en observateurs peu attentifs et plutôt dépendants des opinions majoritaires des Canadiens de langue anglaise, à quelques exceptions près. De tout ce qui précède, il apparaît très clairement que la souveraineté du Québec, si jamais elle survenait, ne serait pas accueillie favorablement, bien qu'on se fût probablement habitué à l'idée. Quoi qu'il arrive, il est certain que le Québec est maintenant mieux connu pour ce qu'il est, une société francophone distincte en Amérique du Nord. Les chapitres qui suivent tenteront de mieux établir ce fait en examinant les perceptions des milieux économiques, politiques et intellectuels.

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[263]

LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Troisième partie :Perceptions américaines

Chapitre 8

Perceptions des milieuxéconomiques

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Les milieux des affaires et de la finance se sont souvent révélés propices à un regard plus éclairé et plus judicieux que bien d'autres en ce qui a trait à la réalité québécoise. Il faut dire que les personnes qui s'intéressent au Québec dans ces milieux sont celles qui y possèdent des enjeux économiques propres à les amener à examiner la situation de très près. Nous allons tenter, au cours de ce chapitre, de rendre compte de l'évolution de leurs attitudes générales à l'endroit du Québec, des fluctuations des évaluations de la situation économique depuis 1976, plus particulièrement au cours des périodes cruciales de l'élection d'un gouvernement du Parti québécois en 1994, du référendum de 1995 et de ses suites.

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ATTITUDES GÉNÉRALES

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Évidemment seule une minorité au sein des milieux économiques américains observe la situation québécoise au point de pouvoir porter un jugement sur elle. Ce sont surtout des investisseurs, des dirigeants d'entreprises établies au Québec ou y ayant des intérêts particuliers, des financiers détenteurs d'obligations du Québec et d’Hydro-Québec et autres bailleurs de fonds. Il s'agit, au premier [264] chef, des firmes d'évaluation qui accordent une cote aux gouvernements et sociétés paragouvernementales et aussi des maisons de courtage en valeurs mobilières et d'investissements de portefeuille. Ces organismes exercent une grande influence sur tous les Américains qui font des affaires au Québec.

Les perceptions de ces observateurs attentifs de la situation canadienne et particulièrement, en ce qui nous concerne ici, de la scène québécoise, ont évolué et se sont raffinées considérablement au cours des années. On en est venu par exemple à considérer les événements plus ou moins dramatiques qui se sont succédé depuis la faillite de l'accord du lac Meech en 1990 d'une façon beaucoup moins alarmiste, avec plus de calme et de lucidité qu'en 1976, lorsqu'un parti souverainiste apparut à la tête du gouvernement du Québec pour la première fois, puis en 1980 à l'occasion du référendum sur la souveraineté-association. Leurs réactions à la faillite de Meech ont été mieux fondées, plus équilibrées et modérées en ce qui concerne les taux d'intérêt des obligations publiques, parapubliques et privées, les investissements directs et autres enjeux économiques. Il en est allé de même pour le référendum sur l'accord de Charlottetown en 1992, l'élection de cinquante-quatre députés du Bloc québécois à la Chambre des communes en 1993 et la victoire péquiste de 1994. Personne parmi eux, à notre connaissance, n'a favorisé ouvertement le « oui » au référendum de 1995, mais ces observateurs n'ont pas été particulièrement surpris ni alarmés par la quasi-victoire de l'option souverainiste. Ils se sont même préparés à la possibilité de l'avènement de la souveraineté du Québec à l'issue d'un troisième référendum.

Mis à part les économistes et analystes affectés au dossier canadien au sein des grandes sociétés de gestion de [265] portefeuille, dont un certain nombre sont membres du North American Committee (auparavant Canadian-American Committee) de la National Policy Association (auparavant National Planning Association), les Américains qui font des affaires avec le Québec sont peu nombreux, semble-t-il, à puiser leur information dans les multiples études sur les implications économiques de l'accession du Québec à la souveraineté . Ils ont plutôt formé leurs opinions à partir de leurs contacts croissants avec les membres de la communauté francophone des affaires du Québec. Ces derniers visitent de plus en plus fréquemment les bureaux de New York, de Boston ou d'autres villes américaines des grandes institutions financières des États-Unis. Leur expérience grandissante, leur intérêt qui s'approfondit et leur compétence qui s'accroît les accrédite progressivement auprès de leurs interlocuteurs américains qui s'en trouvent rassurés quant à l'avenir du Québec. Ces contacts ont contribué à améliorer la compréhension des gens d'affaires américains eu égard aux événements politiques canadiens, aux relations du Québec avec le gouvernement fédéral et avec les autres provinces canadiennes, tout au moins dans la perspective pragmatique propre à leur milieu. Confrontés aux propos alarmistes des Canadiens de langue anglaise et à certains articles des publications canadiennes ou américaines, ils auront tendance, plus souvent qu'autrefois, à vérifier ces informations auprès de leurs connaissances du Québec francophone.

Bien entendu, ces hommes et femmes d'affaires du Québec sont en très grande majorité des fédéralistes, mais assez fréquemment leur fédéralisme s'accompagne de conditions comme la reconnaissance du Québec, société [266] distincte, le respect des compétences provinciales et un degré d'autonomie plus élevé pour la province francophone. Ainsi la grande majorité d'entre eux ont appuyé l'accord du lac Meech, un peu moins celui de Charlottetown, de préférence à l'option souverainiste dont ils redoutent les conséquences économiques, tout particulièrement en raison du caractère incertain des arrangements économiques qu'un Québec souverain pourrait négocier avec le reste du Canada.

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Néanmoins ces gens d'affaires du Québec se sont montrés beaucoup plus optimistes que leurs homologues anglo-canadiens quant à une éventuelle souveraineté québécoise. Ils ont pu faire valoir aux Américains rencontrés que le Québec devrait se tirer d'affaire relativement bien après avoir absorbé les inévitables coûts de transition associés à un changement de statut. En fait, les membres des milieux d'affaires québécois ont reconnu avoir fonctionné passablement bien durant les longues années où le Parti québécois a été au pouvoir à Québec. Même si la plupart d'entre eux ont plutôt accordé leur faveur au Parti libéral, ils ont dû avouer que la politique économique du parti indépendantiste n'a pas été contraire aux intérêts de l'entreprise privée, tout particulièrement en ce qui a trait aux relations économiques avec les États-Unis. D'ailleurs la part croissante des échanges avec les Américains, comme on l'a vu plus haut, au chapitre 4, fait en sorte que le Canada, pour important qu'il soit encore, devient de moins en moins essentiel aux entreprises québécoises.

En dépit de ces contacts rassurants avec leurs homologues québécois, la plupart des Américains du milieu des affaires et de la finance qui s'intéressent au Canada demeurent très réceptifs au langage alarmiste de leurs [267] collègues anglo-canadiens et aux nouvelles négatives de la presse anglophone quand il s'agit du Québec. Ils écoutent volontiers les dirigeants politiques fédéraux et leur message simplificateur quant à l'avenir du Canada et au cataclysme que représenterait la sécession du Québec. Ils sont beaucoup moins susceptibles d'entendre le message des souverainistes modérés ou des fédéralistes conditionnels. Peu d'entre eux auront rencontré, par exemple, des personnes comme Claude Béland, président du Mouvement Desjardins ou Henri-Paul Rousseau, de la Banque Laurentienne.

Dans l'ensemble, cependant, les perceptions des milieux d'affaires américains sont devenues plus raffinées et plus équilibrées qu'elles ne l'étaient au moment du premier référendum sur la souveraineté en 1980. Tous ces Américains qui traitent avec le Québec ont pu constater, entre autres, que des personnes comme Jacques Parizeau et Bernard Landry étaient bien loin de se comporter comme des ennemis des entreprises américaines. L'étiquette socialiste ou social-démocrate, qu'on accolait volontiers au Parti québécois encore en 1980, s'appliquait bien davantage au gouvernement ontarien de Bob Rae de 1990 à 1995. Les politiques draconiennes du gouvernement Bouchard visant à éliminer le déficit budgétaire québécois ont pu encore rassurer ces personnes responsables de l'évaluation économique du Québec et des gestions de portefeuille ou d'investissements directs.

D'ailleurs des considérations d'ordre strictement économique ont généralement façonné les perceptions de ces milieux américains bien davantage que les perspectives toujours incertaines de l'avènement de la souveraineté du Québec. Un exemple, peut-être révélateur du comportement des investisseurs américains, nous a été donné par [268] cet entrepreneur texan, Oscar S. Wyatt Jr, directeur général et principal actionnaire d'une société d'énergie, The Coastal Corporation of Texas qui s'est portée acquéreur d'une usine de polyester et de plastique située au Québec. Il est venu sur place, en août 1994, au beau milieu d'une campagne électorale dans laquelle on parlait beaucoup du projet souverainiste du Parti québécois, pour annoncer des investissements de plus de dix millions de dollars. Comme on lui posait l'inévitable question relative à l'avenir incertain du Québec, M. Wyatt répondit, en présence de Daniel Johnson, alors premier ministre, qu'une victoire des souverainistes à l'élection ne modifierait en rien ses projets. Il avouait même ignorer à quel parti appartenait Johnson ! Dans l'ensemble, en effet, les investisseurs ont accordé, même après la victoire du Parti québécois, plus d'importance à des considérations strictement économiques et structurelles qu'à l'impact que pourrait avoir la souveraineté du Québec sur la conjoncture.

Il en a été de même des évaluations et de l'attribution des cotes par les maisons professionnelles américaines spécialisées dans ce domaine, qui exercent une influence prépondérante sur les investissements de portefeuille sous forme d'obligations ou d'actions, relatives soit aux emprunts gouvernementaux, soit à des titres privés. À l'exception d'une courte période, vers la fin de la campagne référendaire de 1995, quand les sondages ont annoncé un résultat serré et donc une possible victoire du « oui », ces firmes ont toujours fondé leurs analyses, évaluations et recommandations sur des phénomènes comme la politique budgétaire du gouvernement et la gestion de la dette publique bien davantage que sur les questions de statut constitutionnel. Au sujet de l'avenir politique du [269] Québec, elles ont été régulièrement plus calmes, moins alarmistes, moins pessimistes et moins axées sur le court terme que leurs contreparties canadiennes. Cela est dû sans doute à leur engagement moins immédiat dans les affaires du Canada, à la plus grande

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diversité de leurs intérêts, à leur prestige international, à la profondeur et à l'étendue de leurs recherches de même qu'à la compétence de leur personnel. Ainsi les deux plus célèbres maisons américaines d'évaluation des valeurs mobilières, Moody's et Standard and Poor's ont eu à leur service un nombre beaucoup plus élevé de professionnels que la Société canadienne d'évaluation du crédit, Canadian Bond Rating Service (CBRS) et Dominion Bond Rating Service (DBRS), toutes deux concentrées en priorité sur les obligations canadiennes.

L'attitude plus détachée des professionnels américains de l'investissement a influé sur les jugements qu'ils ont portés sur le nationalisme québécois. Ils ont été beaucoup moins enclins que leurs collègues canadiens à modifier leurs évaluations à la suite d'événements politiques et des inquiétudes qui en ont découlé à court terme chez les clientèles anglophones du Canada. Moodys, Standard and Poor's et les sociétés de gestion de portefeuille de Wall Street sont aussi demeurées plus calmes et imperturbables que les détenteurs européens et japonais d'obligations québécoises . Les professionnels américains se sont révélés [270] les mieux formés, les plus au fait de l'évolution de la politique québécoise et de celle de l'ensemble du Canada.

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FLUCTUATIONS DES ÉVALUATIONS

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Que ces experts américains soient demeurés plus calmes face aux événements et éventualités, cela ne veut pas dire qu'ils ont été tout à fait insensibles aux aléas que comporterait, à leurs yeux, la souveraineté du Québec. Les diverses fluctuations des taux d'intérêt des titres publics québécois depuis 1976 en font foi.

Il faut dire cependant que la détermination de ces taux en fonction des évaluations des agences de cotation dépend de plusieurs facteurs, dont les appréhensions suscitées par la possibilité de la souveraineté ne sont qu'une partie. Notons d'abord qu'au Canada, contrairement aux États-Unis, les taux d'intérêt des obligations gouvernementales et paragouvernementales sont habituellement plus élevés de 75 à 80 points de base (un point de base équivalant à 0,01%) pour les composantes de la fédération et autres institutions qui en dépendent que pour le gouvernement fédéral. La raison principale de cette différence entre les deux pays provient du fait qu'aux États-Unis, les intérêts des obligations des États sont déductibles du revenu imposable, ce qui n'est pas le cas au Canada. De plus, les obligations du gouvernement du Québec, de ses municipalités et des sociétés publiques étant fondées sur une économie plus réduite et moins diversifiée, elles apparaissent aux évaluateurs [271] comme généralement plus porteuses de risques que leurs contreparties fédérales.

C'est à ce contexte que vient se greffer l'impact des incertitudes relatives au projet souverainiste. Depuis l'apparition d'un gouvernement du Parti québécois en 1976, les obligations du Québec ont porté des taux d'intérêt plus élevés d'environ 50 points de base que les titres comparables de l'Ontario. Il est clair cependant que cette différence n'est attribuable que partiellement à l'incertitude politique : des facteurs structurels de l'économie québécoise, comme ceux que nous avons énumérés au chapitre 4, comptent pour beaucoup .

Les experts américains en matière d'investissement ont semblé accorder plus de poids aux craintes éveillées par le projet souverainiste durant les premières années de gouvernement du Parti québécois que ce ne fut le cas par la suite, à l'exception de la courte période des dernières semaines de la campagne référendaire de 1995. Sans doute en raison de l'effet de surprise, après l'élection québécoise de novembre 1976, les taux d'intérêt des obligations du Québec ont grimpé de près de 100 points de base pour redescendre graduellement par la suite, monter à nouveau à l'approche du référendum de 1980 et revenir à la normale après la victoire du « non ». Plus tard, en 1990, au moment où on prévoyait l'échec de l'accord du lac Meech et après cet échec qui entraîna une spectaculaire remontée de l'appui à la souveraineté, les taux des obligations québécoises sont encore devenus plus élevés que ceux de [272] l'Ontario d'environ 30 points de base. Il en a été de même au cours de l'année 1992 jusqu'au référendum pancanadien d'octobre de cette année. Contrairement à ce que craignaient (sincèrement ou non) Mulroney et Bourassa au cours de la campagne référendaire, les taux ont décliné par la suite, en dépit du résultat négatif

Notons que cette perception d'incertitude politique frappe aussi l'ensemble du Canada, donc les obligations des autres provinces et celles du gouvernement fédéral, bien qu'à un degré moindre que dans le cas du Québec. Car il s'agit bien de l'instabilité ou de la fragilité de toute la fédération canadienne. À cet égard, l'intransigeance du gouvernement fédéral et de certains éléments de la population canadienne est à verser au dossier aussi bien que le projet souverainiste lui-même. Ainsi le dollar canadien a perdu près d'un cent par rapport à la monnaie américaine après l'élection québécoise de 1976, a encore quelque peu décliné au moment du référendum de 1980 pour remonter par la suite. Quelques jours avant la défaite anticipée du référendum d'octobre 1992 sur l'accord de Charlottetown, le huard canadien a perdu 5% de sa valeur par rapport au dollar américain, l'index du marché de la bourse de Toronto a baissé de 7 % et les taux d'intérêt canadiens à court terme ont chuté de deux points de pourcentage . Quand une victoire du Parti québécois devint presque certaine, selon les sondages, au printemps de 1994, le rendement des obligations canadiennes à long terme s'est mis à augmenter pour atteindre un taux de 1 % supérieur aux contreparties

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américaines. Cela était sans doute partiellement attribuable aux craintes quant à l'avenir de la fédération canadienne .

[273]

Toutefois, ces craintes ne semblent pas avoir préoccupé outre mesure les investisseurs américains. Bien au contraire, dès le moment de l'échec de Meech, un certain nombre d'agents américains ont laissé entendre à leurs clients qu'un Québec souverain, même si les relations économiques avec le reste du Canada devaient être limitées, demeurerait viable et toujours attrayant pour les investissements étrangers . Même Merrill Lynch, la plus grande maison de valeurs mobilières aux États-Unis, qui s'était retirée du syndicat financier responsable des levées de fonds pour le Québec, est revenue sur sa décision en mars 1990, en faisant valoir que la perspective d'un État québécois indépendant ne devrait pas dissuader les investisseurs avertis de s'engager à long terme en achetant des obligations du Québec. Un tel État, aussi peu souhaitable fût-il, était jugé économiquement viable. On attribuait à Hydro-Québec, en particulier, toutes les chances de maintenir sa cote de crédit sur une longue période .

L'évolution de la pensée chez Merrill Lynch n'est qu'un exemple parmi d'autres. D'autres maisons de courtage ont emboîté le pas. Contrairement à la période qui suivit l'élection de 1976, les marchés financiers américains ont peu réagi à l'échec de Meech, au référendum d'octobre 1992 et au retour au pouvoir du Parti québécois en septembre 1994. La réaction à la possibilité de la victoire [274] du « oui » au référendum de 199.5 fut plus significative, mais elle se résorba dans les jours qui ont suivi le vote.

First Boston Corporation, cependant, manifestait ses inquiétudes en février 1991, peu après la publication du rapport Allaire de la Commission politique du Parti libéral du Québec. Cette maison, qui joue un rôle de chef de file dans la vente des obligations du Québec, indiquait à ses clients que, même si un Québec souverain était viable économiquement, les coûts de transition et l'atmosphère d'incertitude qui accompagnerait l'accession du Québec à la souveraineté dissuaderait les investisseurs, au moins pour une courte période. Lansing Lamont, alors directeur des affaires canadiennes à la prestigieuse Americas Society, ne se privait pas non plus de faire part de ses inquiétudes devant un avenir qu'il prévoyait plutôt sombre et notait des réticences chez les investisseurs, non seulement à l'endroit du Québec, mais aussi face aux possibilités de fragmentation du marché canadien.

Au cours de cet hiver 1991, alors que les sondages révélaient toujours un appui passablement élevé à la souveraineté du Québec, la Société canadienne d'évaluation du crédit, reflétant l'alarmisme croissant au sein de la population anglophone du Canada, plaçait les obligations du Québec « sous surveillance ». Des représentants des agences américaines de cotation Standard and Poors, Moody’s et Duff and Phelps ont réagi immédiatement en annonçant qu'ils n'entendaient pas reconsidérer, pour le moment, les cotes qu’ils attribuaient au Québec, soit Aa3 pour Moody's et AA pour les deux autres. De plus, les responsables du Canada au sein de ces institutions ont déclaré que la possibilité de la souveraineté ne constituait qu'un des critères qui pourrait les amener à modifier la cote des obligations du Québec, d'Hydro-Québec et d'autres titres publics québécois.

[275]

En juillet 1992, quand Robert Bourassa a décidé soudainement de revenir à la table des négociations constitutionnelles auprès de ses collègues des autres provinces, territoires et communautés autochtones, sous la présidence du gouvernement fédéral, on a assisté tout à coup à des mouvements de capitaux vers le Canada et le Québec, une légère hausse du dollar canadien, un raffermissement des valeurs des bourses de Toronto et de Montréal et tout particulièrement des titres publics québécois . Mais, en octobre, quand il devint probable que l'accord de Charlottetown ne serait pas agréé par la population canadienne, les analystes financiers américains n'ont pas considéré qu'un vote négatif aurait un impact sur l'économie canadienne. Moodys et Goldman, Sachs & Company déclarèrent indépendamment l'un de l'autre que leurs études ne leur permettaient pas de prévoir d'impact négatif d'un rejet de l'accord . Les mouvements financiers qui ont fait suite au référendum leur ont donné raison. En dépit d'un résultat étonnamment négatif, la valeur du dollar et celle des obligations gouvernementales sont redevenues ce qu'elles étaient auparavant

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et ont même enregistré de légères hausses .

En juin 1993, Moodys a réduit la cote des obligations du Québec à AI, principalement en raison des déficits budgétaires qui se poursuivaient et d'une dette toujours croissante. On ne fit pas mention des exigences [276] constitutionnelles québécoises ni des possibles gains du Bloc québécois lors de l'élection fédérale imminente, ou de la popularité croissante du Parti québécois. On nota tout de même une reprise économique qui semblait s’annoncer, une base financière et économique de plus en plus diversifiée de même qu'une meilleure gestion de la dette et des emprunts .

En février 1994, Moodys a réduit la cote d'Hydro-Ontario et encore en mai de la même année, invoquant seulement la croissance rapide de la dette de la société d'État ontarienne sans faire référence aux questions politiques. Standard and Poors avait fait de même l'automne précédent . Fin mai 1994, comme la dette cumulative du Québec continuait son escalade et que les sondages prédisaient une nette victoire du Parti québécois à la prochaine élection, Moody's a baissé d'un cran la cote des obligations du Québec. L'écart entre les taux d'intérêt des titres publics québécois et ceux du Trésor américain s'élargit jusqu'à 90points de base pour le long terme (plus de 10 ans) .

Néanmoins, à l'occasion d'une visite au Canada, le président de Moodys a déclaré que c'était bien davantage la « montagne » de la dette fédérale plutôt que la prochaine élection au Québec et la perspective d'un référendum sur la souveraineté qui amenait sa maison à diminuer la cote de crédit du Canada. Le vice-président de la même firme de cotation revint à la charge et spécifia que la dette du Québec constituait le critère primordial de l'évaluation du [277] crédit du Québec et de ses institutions paragouvernementales, non pas ce qu'il appelait la « rhétorique politique ». Il craignait cependant qu'une atmosphère troublée au Canada ne nuise à l'économie et en conséquence au crédit des institutions canadiennes. Quant au gouvernement du Québec, qu'il fût péquiste ou libéral, il serait jugé d'abord et avant tout sur sa gestion économique .

En juin 1994, la firme de courtage Salomon Brothers publiait un rapport qui semblait refléter un consensus au sein de la communauté des affaires et de la finance. De trois scénarios québécois, la réélection inattendue des libéraux de Daniel Johnson, l'élection du Parti québécois suivie d'une défaite au référendum sur la souveraineté ou la victoire électorale suivie d'un référendum gagnant, c’était le premier qui était d'emblée préférable en fonction des intérêts américains. Cependant on semblait disposé à vivre avec un gouvernement du Parti québécois, car on ne croyait pas qu'il réussirait à obtenir une majorité favorable à la souveraineté. Dans le cas d'une victoire du « oui », cependant, on prévoyait une baisse significative des valeurs québécoises et en conséquence des taux d'intérêt aussi élevés pour les obligations que celles de petites provinces canadiennes comme la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve ou la Saskatchewan. En attendant, Salomon avisa ses clients que l'incertitude engendrée par l'élection québécoise et un éventuel référendum constituait une bonne occasion d'acheter des obligations du Québec à court terme. Leur rendement élevé, dû à cette atmosphère, en faisait une bonne affaire. Comme la situation devait être tranchée, soit par une défaite référendaire du PQ soit par une victoire du « oui », dans les deux cas les valeurs québécoises [278] étaient susceptibles de s'apprécier à long terme. Même un Québec souverain, dirigé par des personnes bien disposées envers les États-Unis, très favorables à la libéralisation des échanges et sans doute assez prudentes en matière de gestion de la dette, devrait obtenir une cote de A moins ou, au minimum, de BBB . Mais Salomon Brothers n'alla pas jusqu'à conseiller à ses clients d'acheter des obligations à long terme avant que la question soit réglée. Si le Parti québécois l'emportait à l'élection et au référendum, l'écart entre les obligations du Trésor américain et celles du Québec atteindrait possiblement 200 points de base. Ce serait alors le moment d'acheter . Les autres maisons de courtage, peut-être plus discrètement, ont adopté une politique semblable .

Hydro-Québec, en dépit de ses problèmes relatifs au développement de Grande-Baleine, de sa relation immédiate avec le gouvernement du Québec et des aléas de sa gestion, a toujours été considérée dans une catégorie à part par les agences de cotation, même au plus fort de la tempête souverainiste des années 1990 et 1991. À la mi-juillet 1994, quelques jours avant l'annonce d'une élection qui devait favoriser le Parti québécois, J.P. Morgan Securities accorda à Hydro-Québec une solide évaluation de crédit en déclarant que la société d'État québécoise était une des mieux gérées des entreprises de ce genre. À la même époque,

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Oppenheimer & Co. Inc. apprécia sa cote d'évaluation [279] des obligations d'Hydro-Québec en faisant remarquer qu'il s'agissait d'un service public de grand calibre : « Dans un environnement concurrentiel, Hydro-Québec pourrait être l'entreprise de service public la plus forte en Amérique du Nord . »

En septembre 1994, avec l'arrivée du Parti québécois au Pouvoir, s’est amorcée une période particulière de l'histoire du Québec puisque toute l'attention s'est portée sur un référendum à venir, sur cet événement lui-même et, pendant plusieurs mois par la suite, sur les conséquences d'un vote peu concluant. Les investisseurs américains ont réagi à leur façon à cette situation.

AVANT, PENDANT ET APRÈSLE RÉFÉRENDUM DE 1995

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Le résultat plutôt serré de l'élection québécoise de septembre 1994 a redonné confiance à tous ceux qui ne souhaitaient pas que le Québec accède à la souveraineté. Les investisseurs américains étaient du nombre et sont revenus en force. Mais il s'en trouva plusieurs pour exprimer leur confiance envers le Québec, même si le référendum devait se solder par une victoire du gouvernement. Ravi Bulchandani, de Morgan Stanley, par exemple, déclara que, quel que fût le résultat du référendum à venir, les Québécois et les autres Canadiens devaient finir par résoudre leurs problèmes, dans leur propre intérêt, sans menacer les intérêts fondamentaux des Américains. [280] D'après lui, l'économie québécoise était assez forte pour faire face à de nouvelles contraintes suscitées par l'accession à la souveraineté. Après avoir résolu les problèmes de transition, elle devait demeurer au moins aussi dynamique qu'elle l'était à ce moment-là. Stephen Blank, professeur à Pace University et directeur des programmes canadiens à l'Americas Society, était du même avis. Une victoire référendaire pourrait bien signifier une telle manifestation de fierté québécoise qu'elle stimulerait l'entreprise privée. Quant à Charles Russell, éditeur de Time International, il croyait qu'à la lumière des changements profonds de l'économie mondiale, la question de la souveraineté revêtait une signification assez marginale. Il notait le déclin relatif des relations économiques intercanadiennes au profit de l'axe nord-sud dans le contexte de l’Accord de libre-échange canado-américain et de l'ALÉNA ; il prévoyait que ce mouvement ne pouvait que s'accentuer. La plupart de ces observateurs américains avertis et influents répétèrent que la souveraineté du Québec n'était qu'une dimension de leurs considérations, que l'ensemble de la situation économique retenait bien davantage leur attention. Ce qui les inquiétait dans l'hypothèse de la souveraineté, ce n'était pas le statut du Québec comme tel, mais bien plutôt l'atmosphère trouble de négociations interminables qui suivraient une victoire référendaire, tout particulièrement sur le partage de la dette publique .

Si les taux d'intérêt sur les obligations du Québec sont devenus plus élevés que ceux des autres provinces canadiennes en novembre 1994, ce n'était pas d'abord en fonction de l'orientation politique du gouvernement québécois, mais bien plutôt parce que le déficit budgétaire du Québec [281] était encore perçu comme dangereusement élevé. Quand le nouveau ministre des Finances, Jean Campeau, annonça que le déficit était plus considérable que ce que les libéraux avaient prévu, au point d'atteindre 5,7 milliards, les taux d'intérêt des obligations ont augmenté encore et leur valeur a décru. On considérait aussi le gouvernement du Québec comme le plus dirigiste du continent .

Encore une fois, les agences de cotation canadiennes (CBRS et DBRS) s'affolèrent. La cote du Québec fut révisée en raison d'une « perspective négative ». Mais, comme précédemment, Moody's et Standard and Poors sont demeurés plus calmes. On s'inquiétait du déficit, mais on attendait le prochain budget du Québec avant de baisser la cote . Puis Moody's annonça que les obligations du Québec ne seraient pas réévaluées. Standard and Poors déclara que la « perspective » était « stable »et qu'il n'y avait pas lieu de modifier l'évaluation du Québec, car la question de la souveraineté ne semblait pas diminuer la volonté du gouvernement de faire face à ses déficits de façon constructive . Peter Plaut, vice-président de Salomon Brothers, réitéra, en décembre, les recommandations de sa firme faites au mois de juin précédent : les obligations québécoises à court terme étaient encore une bonne affaire, à ne fallait pas trop s'inquiéter de la

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possibilité de la souveraineté pour le moment, car les sondages n'indiquaient pas encore un appui majoritaire à l'option du gouvernement souverainiste .

[282]

En mai 1995, un budget Parizeau ne contenait rien pour rassurer les agences de cotation. Jean Campeau alla même jusqu'à menacer d'une augmentation de taxes dans le cas d'une défaite au référendum. Cela ne plut pas du tout à la communauté des investisseurs. Conséquence : Moody's baissa la cote du gouvernement, celle d’Hydro-Québec et des autres sociétés publiques québécoises . Quelques jours plus tard, cependant, Standard and Poor’s annonça qu'elle conservait la cote A+ et pour le gouvernement et pour Hydro-Québec, faisant remarquer que le budget québécois projetait une coupure des dépenses de 0,2 % en 1996 après des hausses de 2,2 % pour les trois années précédentes. On citait aussi les sondages qui annonçaient une défaite du « oui » au référendum. Mais même dans « J'éventualité improbable » d'une victoire référendaire, on ne prévoyait pas de « changement soudain et dramatique », bien que la souveraineté dût créer « un environnement moins favorable aux investissements et une nouvelle pression sur le dollar canadien ». À tout événement, on ne croyait pas que le référendum détournerait le gouvernement de son objectif de réduire considérablement le déficit .

Fin septembre 1995, la campagne référendaire s'est amorcée. Le vice-président de Moodys affecté aux cotations canadiennes a fait l'éloge des gouvernements provinciaux qui se sont attaqués à leur déficit, mais il a blâmé ceux du Québec et de l'Ontario qui ont tardé à le faire. [283] Aucune mention n'était faite du référendum québécois . Cependant, les experts américains en matière d'investissements furent tous d'accord pour redouter qu'un Québec souverain soit moins attrayant pour les investisseurs étrangers et ne parvienne pas à réduire son déficit et sa dette. En conséquence, on prévoyait une baisse des valeurs québécoises et une hausse correspondante des taux d'intérêt si le Québec accédait à la souveraineté. Comme les sondages révélaient une possible victoire du « oui », Standard an Poor's entrevit que des négociations entre Québec et Ottawa à la suite d'un référendum gagnant seraient longues, ardues et imprévisibles. Peter Plaut de Salomon Brothers prévoyait, pour sa part, un élargissement de l'écart entre les obligations du Québec et celles d'autres gouvernements en Amérique du Nord si le « oui » venait à gagner . D'autres prédirent des fuites de capitaux, des augmentations de taxes, des baisses de crédit et autres malheurs du genre . Pour Peter Schmeelk, auparavant de Salomon Brothers, maintenant avec CAI Corporation, même une faible victoire du « non » donnerait lieu à de semblables bouleversements .

Pourtant la victoire à l'arraché du « non » n'a pas engendré de désastre. Il est vrai que les observateurs ont dû conclure qu'un autre référendum planait à l'horizon. Mais la maison Standard and Poor's prédit correctement [284] que le résultat devrait permettre au gouvernement du Québec de mettre l'accent sur ses objectifs économiques et fiscaux, pour faire en sorte que ses obligations échappent aux pressions négatives . Quand le gouvernement, désormais dirigé par Lucien Bouchard, a annoncé son intention de retarder l'échéance d'un autre référendum et de travailler d'ici là à l'élimination du déficit budgétaire, Standard and Poors a déclaré que les impacts négatifs du débat sur la souveraineté seraient tout probablement limités . Un peu plus tard, quand le premier ministre obtint l'appui des partenaires économiques des syndicats, de l'entreprise et autres pour son objectif de réduction du déficit, Peter Plaut de Salomon Brothers annonça une plus grande stabilité des cotes québécoises. En fait, l'écart entre les obligations du Québec et celles du Trésor américain a été réduit de 106 à 101 points de base à la suite du sommet économique de l'hiver 1996 . Au mois de juin suivant, Moody's a fait preuve d'optimisme à son tour et a maintenu sa cote de A2, notant la vigueur de l'économie québécoise. On craignait cependant que l'échéance référendaire ne revienne gâter les choses .

Par ailleurs les tensions ne se relâchaient pas entre Ottawa et Québec. Le gouvernement fédéral adoptait une attitude plutôt sévère à l'endroit du Québec, à la grande satisfaction de la population anglophone du pays. On [285] parlait de « plan B », c'est-à-dire d'un train de mesures agressives à l'endroit d'un Québec qui se croirait légitimé d'accéder à la souveraineté. D'autre part, les appuis à l'option souverainiste se maintenaient aux alentours de 50%. Tout cela ne réjouit guère les investisseurs américains qui espéraient toujours un compromis canadien. En conséquence, Standard and Poor's revisa ses cotes à la baisse à l'été de 1996 . Cependant, en octobre, Peter Plaut de Salomon Brothers se livra à d'étonnantes

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spéculations. Dans un discours au Conference Board of Canada, il déclara que son expérience économique lui suggérait qu'un Québec indépendant aurait peu de difficultés sur le marché des obligations puisque son économie était aussi diversifiée et développée que celles de pays comme le Danemark, la Suède et l'Autriche. Sur la base du crédit, ajouta-t-il, le Québec se situait sur le même pied que l'Italie. Il nota enfin que la réaction des marchés internationaux à la souveraineté du Québec dépendrait beaucoup des détails de son accession à ce statut, comme l'utilisation de la devise canadienne et la continuation d'un marché canadien .

Un peu plus tard, en février 1997, un rapport de Salomon Brothers fit observer que les engagements sérieux du gouvernement Bouchard en matière de réduction du déficit de même que l'ensemble de sa gestion fiscale et économique avaient redressé la situation quant aux investissements et amélioré le crédit du Québec. Peter Plaut, l'un des auteurs du rapport, croyait que le Québec atteindrait ses objectifs pour 1997, mais il prévoyait que le gouvernement [286] Bouchard devrait recourir à des mesures d'austérité plus étendues encore pour atteindre le déficit zéro en 2000. Il se réjouit de l'allure conservatrice du gouvernement, mais souligna aussi l'incertitude politique qui planait toujours à l'horizon .

Quant aux agences de cotation, elles sont demeurées fort prudentes. Standard and Poors a maintenu son évaluation négative et menacé de baisser la cote si les faiblesses de l'économie québécoise persistaient. Moodys maintint une évaluation « stable » en citant des progrès dans la réduction du déficit. On notait cependant la possibilité qu'apparaissent de mauvaises conditions économiques au-delà de 1997-1998 et une résistance plus accentuée aux 37 coupures dans la population .

À la fin de 1997 et au début de 1998, les investisseurs américains sont devenus plus optimistes quant aux perspectives québécoises. La plupart des observateurs avertis étaient confiants de voir le gouvernement Bouchard atteindre ses objectifs d'assainissement des finances publiques et d'élimination du déficit budgétaire. Une apparence de stagnation économique en Europe et la crise dans les pays d'Asie ont rendu les obligations du Québec plus attrayantes que jamais, accessibles à meilleurs prix, plus performantes que la plupart de leurs concurrents de même niveau. Sans doute on prévoyait toujours que la demande diminuerait si le Québec devenait souverain, que les valeurs baisseraient et que les taux d'intérêt devraient augmenter dans cette conjoncture mais, encore une fois, l'économie du Québec paraissait assez solide pour que les obligations du Québec recouvrent leur attrait après quelques années. Il [287] semblait bien qu'il en serait de même pour les investissements directs.

CONCLUSION

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La conclusion de ce chapitre s'impose. Les milieux économiques américains sont profondément commis aux vertus du capitalisme et à une vision libérale-conservatrice de l'économie mondiale. Ce que les membres de ces milieux craignent par dessus tout, ce sont des interventions gouvernementales qui entravent le libre cours de l'économie de marché. Ils redoutent les gouvernements qui s'endettent outre mesure, mais ils prêtent volontiers leur argent quand le crédit des institutions dont ils achètent des obligations est solide et assure un bon rendement. Voilà l'essentiel de leurs préoccupations. Le cas du Québec n'y fait pas exception.

Le Québec, son gouvernement, ses sociétés publiques ou parapubliques, ses entreprises et sa main-d'œuvre apparaissent généralement aux investisseurs américains comme des valeurs sûres. Il en va de même pour l'ensemble du Canada. On souhaite donc tout naturellement le maintien de la fédération canadienne, c'est-à-dire la stabilité (entendez la continuité) politique. Que le Québec en vienne donc à manifester des tendances centrifuges au point qu'il devienne un jour souverain, cela ne peut que susciter des inquiétudes. En conséquence, quand on a vu apparaître, en 1976, un gouvernement souverainiste, les agents économiques américains s'en sont grandement alarmés. D'autant plus que ce gouvernement était de tendance soi-disant sociale-démocrate. Il en fut de même au moment du référendum de 1980.

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Au cours des années qui ont suivi, cependant, le Parti québécois s'est révélé plus orthodoxe, selon les vues libérales-conservatrices en force aux États-Unis. Il apparaissait évident qu'un gouvernement souverainiste était voué à l'économie de marché et nombre d'entrepreneurs francophones donnaient une nouvelle image au Québec français. Les Américains s'en sont réjouis. Même s'ils ont continué de souhaiter vivement le maintien de la fédération canadienne, ils ont peu à peu envisagé qu'un Québec souverain, surtout s'il devait maintenir des liens économiques avec le reste du Canada et s'il devait demeurer partie aux accords de libre-échange nord-américains, pourrait être viable et, après quelques années pénibles de transition, offrir à nouveau de bonnes occasions aux investisseurs.

Il en est résulté que les sociétés de gestion de portefeuille, les agences de cotation et les investisseurs américains en général ont été beaucoup moins sensibles que leurs collègues anglo-canadiens aux sursauts de la politique canadienne et à la menace de démantèlement (ou à tout le moins de profond réaménagement) de l'union canadienne. Toutes ces personnes se sont préoccupées d'abord et avant tout de la santé de l'économie québécoise et secondairement des secousses auxquelles pourrait donner lieu l'accession du Québec à la souveraineté.

Les milieux politiques américains ont parfois réagi de la même façon. Mais ils ont été plus sensibles aux pressions exercées sur eux par le gouvernement fédéral du Canada, par la population canadienne de langue anglaise et par les amis de ces derniers aux États-Unis. Comme nous entendons le montrer au chapitre suivant, la nature de l'ordre politique entraîne une réaction qui lui est propre et diffère de celle des milieux économiques.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Troisième partie :Perceptions américaines

Chapitre 9

Perceptions politiques

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Les Américains ont une culture politique particulière qui conditionne leurs perceptions, comme on l'a vu au chapitre 6. On peut donc s'attendre à ce que cette culture imprègne la façon dont on perçoit le Québec dans les milieux politiques. Nous avons déjà relevé quelques-unes de ces perceptions au chapitre 3 lorsque nous faisions état d'une certaine politique américaine envers le Québec. Le présent chapitre s'arrêtera un peu plus en détail sur la nature de ces perceptions, sur leur évolution depuis 1976 et sur les modalités qu'elles revêtent à divers niveaux, à l'exécutif, au Congrès et dans les gouvernements des États.

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LE QUÉBEC À LA LUMIÈREDE L’EXPÉRIENCE POLITIQUE

AMÉRICAINE

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Deux grandes expériences ont marqué fortement la conscience politique américaine : l'Indépendance et la Guerre de sécession. Il est significatif qu'on ait érigé, à Washington, deux monuments dits memorial, l'un à Thomas Jefferson, l'auteur de la Déclaration d'indépendance, l'autre à Abraham Lincoln, le président qui a mené son pays à la guerre civile pour en préserver l'unité. Or, [290] comme on l'a vu plus haut, on n'identifie nullement le Québec aux treize colonies britanniques qui ont lutté pour leur indépendance. On compare plutôt la province canadienne dissidente aux États du sud qui ont osé faire sécession en 1861. Il faut souligner à nouveau ce fait. Toute la classe politique américaine, à très peu d'exceptions près, voit le Canada comme un pays qui a acquis son indépendance, d'une manière fort différente des États-Unis, soit, mais qui mérite de la préserver au même titre que son voisin du sud, un pays démocratique, respectueux des droits et libertés et où des personnes d'origines ethniques diverses vivent dans l'harmonie. Les présidents Bush et Clinton sont même allés jusqu'à déclarer qu'ils voyaient le Canada comme un modèle d'intégration culturelle.

De plus, comme on l'a vu plus haut, les Américains entretiennent peu de sympathie pour les nationalismes, à l'exception du leur qui est perçu comme la fidélité à des valeurs politiques fondamentales plutôt qu'à une tradition culturelle. Ils sont encore moins bien disposés envers la cause d'une minorité linguistique cherchant à s'imposer à l'intérieur d'un univers international anglophone. Ils comprennent mal que la langue puisse être considérée comme autre chose qu'un instrument de communication. Enfin, à titre de superpuissance mondiale, les États-Unis ne peuvent que rechercher la continuité et la stabilité dans les relations internationales. Cela s'applique éminemment et principalement à leur voisin du nord, objet de relations privilégiées.

Les relations canado-américaines sont fréquemment citées par le personnel politique américain comme un exemple de relations harmonieuses entre deux États. Il est vrai que le contentieux entre les deux pays est souvent fort [291] chargé au point qu'on emploie parfois des adjectifs qui appartiennent au vocabulaire des conflits pour y faire référence. Cependant, on finit invariablement par avouer que ce sont là des conflits « entre amis », un peu comme des disputes internes. Il arrive même que le clivage auquel donnent lieu ces conflits se manifeste d'un côté et de l'autre de la frontière. On a vu, par exemple, dans le litige qui a opposé les deux gouvernements au sujet des pluies acides, des représentants de certains États du Nord-Est prendre parti pour le Canada et des industriels canadiens s’aligner sur les intérêts de certaines entreprises américaines.

Tout se passe comme si les Américains avaient besoin que le Canada demeure un pays souverain, prospère, uni et distinct des États-Unis. Cela semble très utile à la diplomatie américaine que les Canadiens soient à la fois semblables à leurs voisins et différents. Un cadre politique l'exprimait bien dans une entrevue en ces mots simples : « Un pays différent mais bien semblable à nous ». On peut interpréter ainsi cette contradiction : dans un monde souvent hostile, il est rassurant et précieux pour les Américains de constater qu'un État différent sait si bien s'aligner sur eux. Le Canada peut aussi servir de banc d'essai à des politiques souhaitables mais difficilement réalisables à court terme pour les États-Unis. Donc, même au moment où le Canada prend ses distances par rapport à son allié, il peut arriver qu'il lui rende service. Les divergences entre les deux États n'en permettent pas moins d'apprécier l'amitié qui subsiste.

Nous avons aussi souligné plus haut l'osmose culturelle qui existe entre la population anglophone du Canada et celle des États-Unis. Cela joue tout particulièrement au niveau politique. On connaît la grande amitié qui a [292] imprégné les relations entre des présidents américains et des premiers ministres canadiens. Nous avons cité, au chapitre 4, la lettre de sympathie qu'écrivait F.D. Roosevelt à Mackenzie

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King après le plébiscite de 1942 sur la conscription. On pourrait encore relever d'autres cas de ce genre. Lester B. Pearson, qui fut ambassadeur du Canada à Washington après la Deuxième Guerre mondiale, puis ministre des Affaires extérieures au moment du conflit de Suez, ne comptait plus ses amis aux États-Unis où toutes les tribunes lui étaient ouvertes, même pour exprimer des points de vue canadiens divergents de la politique américaine officielle. Le ministre de l'Industrie et du Commerce, C.D. Howe, dans le cabinet de Louis Saint-Laurent, était d'origine américaine et très favorable à l'intégration de l'économie canadienne à celle des États-Unis. Brian Mulroney était fier de ses rapports intimes et amicaux avec les présidents Ronald Reagan et George Bush. Jean Chrétien, qui devait prendre ses distances, a entretenu aussi des relations amicales avec Bill Clinton, partenaire de golf Ajoutez à cela que les fonctionnaires chargés des dossiers canadiens à Washington traitent souvent avec leurs homologues à Ottawa sur un ton familier, on a first name basis, comme on dit, et que les affaires se règlent assez souvent au téléphone, quel que soit le niveau.

Toutes ces personnes responsables à un titre ou à un autre des relations avec le Canada se font fort d'inclure la province de Québec dans leur appréciation du pays voisin. Si vous leur demandez s'ils ont déjà rencontré des Québécois, ils vous assureront que oui. Mais si vous leur demandez encore de les nommer, vous constaterez qu'il s'agit le plus souvent de responsables politiques ou de fonctionnaires fédéraux. Comme les dirigeants politiques américains de Washington évitent soigneusement de traiter [293] directement avec les représentants des provinces canadiennes, il leur arrive plutôt rarement d'être confrontés à des membres du gouvernement québécois. Cela est vrai surtout de l'exécutif fédéral américain, beaucoup moins cependant de la branche législative et des gouvernements des États.

Comme nous l'avons souligné au chapitre 3, la présence d'un consul général des États-Unis à Québec a pour effet d'atténuer sensiblement ces prédispositions des milieux politiques américains à l'endroit du Québec. Les perceptions de ces diplomates affectés au Québec en viennent, à coup sûr, à s'avérer fort différentes de celles du personnel politique de la capitale américaine. Elles reflètent le plus souvent une image assez fidèle de la réalité québécoise, même si elle s'inscrit toujours, comme il se doit, dans la perspective de l'intérêt national des États-Unis et des relations harmonieuses entre Ottawa et Washington. Pour une bonne part grâce au travail des diplomates en poste à Québec, les perceptions politiques américaines en ce qui a trait au dossier québécois sont devenues, au cours des années, plus adéquates et surtout plus favorables au Québec en général.

ÉVOLUTION DES PERCEPTIONS

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Nous avons signalé au chapitre 3 les divers rapports rédigés au sujet du Québec au cours des années soixante et soixante-dix et nous en avons conclu qu'un intérêt nouveau envers le Québec s'était manifesté dès les premières années de la révolution tranquille. Mais cet intérêt demeurait circonscrit à des milieux restreints et n'avait guère touché l'ensemble de la classe politique, très peu même les personnes chargées des relations avec le Canada. [294] Il aura fallu l'élection d'un parti souverainiste au Québec en novembre 1976pour que, tout à coup, le Québec apparaisse plus vivement sur l'image canadienne. L'événement a d'abord suscité ce qu'on pourrait appeler une « surprise désagréable » dans les milieux politiques intéressés au Canada. Un journaliste américain exprimait alors assez bien les premières réactions en ces termes : « À l'endroit du Québec, c'est l'hostilité de la non- compréhension . » On sait aussi que le premier ministre René Lévesque n'a pas aidé sa cause avec son premier discours aux États-Unis, à l'Economic Club de New York, en janvier 1977. Le premier ministre Trudeau, par ailleurs, a obtenu un certain succès quand il s'est adressé aux deux Chambres du Congrès réunies, le mois suivant, dénonçant alors le projet souverainiste comme « un crime contre l'humanité ». On peut croire cependant que l'étude lucide, citée plus haut (voir chapitre 3), qui a circulé à l'intérieur du département d'État et peut-être d'autres ministères, a apporté quelque raffinement aux perceptions négatives et fait mieux comprendre la situation politique québécoise et canadienne. On n'en a pas moins continué de voir le Québec dans le cadre de ce qu'on a toujours nommé

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« la crise de l'unité canadienne ».

La diplomatie québécoise a pu améliorer les perceptions quelque peu, au moment de ce qu'on a appelé l'« Opération Amérique » vers 1978. Cependant, l'absence de compréhension de l'option souverainiste est demeurée à peu près totale. Les Québécois se sont cependant fait mieux connaître et ont contribué à dissiper les premières impressions à l'égard du gouvernement du Parti québécois et de la politique québécoise en général. Comme on le [295] verra, les meilleurs succès ont été obtenus auprès des États voisins et, dans une certaine mesure, auprès de certains membres du Congrès des États-Unis. Il en est résulté une attitude strictement attentiste de la part de la classe politique américaine à l'occasion du référendum de 1980 sur la souveraineté-association. Peut-être dans la mesure ou on ne croyait pas à l'importance immédiate de l'enjeu, on s'est gardé de contribuer de quelque façon à la cause du « non » que l'on favorisait pourtant.

Par la suite, au cours des années quatre-vingt, comme la diplomatie québécoise continuait de s'activer aux États-Unis, l'image du Québec s'est graduellement améliorée auprès des décideurs politiques américains. On a peu a peu conçu la société québécoise comme un milieu dynamique, ouvert à l'économie de marché et faisant preuve d'une grande vitalité culturelle. Comme le Québec semblait bien se contenter de demeurer une province, même sous la gouverne du Parti québécois jusqu'en 1985, comme apparaissaient des entrepreneurs francophones en plus grand nombre, on en est venu à voir cette région particulière du Canada d'une façon plus positive. On a même affirmé de plus en plus que le Québec méritait d'être reconnu comme une société distincte. En conséquence, l'accord du lac Meech a été salué par la très grande majorité des acteurs politiques américains qui s'y sont plus ou moins intéressés, comme un excellent compromis et un heureux présage pour l'avenir du Canada.

Quand on a appris que l'accord avait échoué en juin 1990, on s'en est inquiété. Aussi c'est avec une grande appréhension qu'on a constaté la remontée du mouvement souverainiste, la formation du Bloc québécois et les événements qui ont suivi. Cependant, les craintes ne se manifestèrent pas de la même façon qu'en 1976. Cette [296] fois-ci, il n'y avait pas le choc de la surprise. On avait pu prévoir la situation et, même si personne n'accordait quelque appui à la cause de la souveraineté du Québec, on comprenait mieux le point du vue québécois. Toutefois, l'intérêt des États-Unis à égard de l'ensemble du Canada demeurant toujours primordial, cette compréhension du nationalisme québécois était toujours subordonnée à la cause de l'unité canadienne et du maintien de la fédération dans le pays ami. En conséquence, tout s'est passé comme si on oubliait peu à peu les raisons qui avaient poussé les Québécois à appuyer en plus grand nombre la souveraineté. Plus l'échéance d'un second référendum approchait, plus on éprouvait de la sympathie pour la majorité canadienne aux prises avec la menace de sécession du Québec. Paradoxalement donc, au moment du référendum de 1995, les responsables politiques américains comprenaient mieux les Québécois mais se sentaient plus disposés à contribuer à la défaite du projet de souveraineté-partenariat. D'où les quelques interventions de responsables américains à ce moment. Examinons de plus près ces perceptions selon qu'elles sont propres au gouvernement fédéral américain, au Congrès ou aux dirigeants des États.

L'EXÉCUTIF FÉDÉRAL

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Nous avons mentionné plus haut (voir chapitre 3) les diverses études réalisées pour le compte du pouvoir exécutif américain, tout particulièrement une analyse détaillée et lucide de la question québécoise produite au département d'État en 1977. Nous devons en signaler deux autres qui ont été faites à l'intérieur du même ministère par la direction du renseignement et de la recherche [297] (Intelligence and Research : INR) en 1979, après la publication du rapport du groupe de travail sur l'unité canadienne, dit Pépin-Robarts. Ces études avaient sensiblement le même ton que celle, plus raffinée, de 1977. Le meilleur scénario envisagé était celui d'un Canada qui finirait par aménager au Québec un statut conforme à ses aspirations et à son caractère distinct. Dans la mesure où les analystes croyaient que cela pouvait se produire et que Claude Ryan, alors chef de l'opposition libérale, jouerait un rôle important, ils prédisaient une victoire du

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« non » au référendum qui approchait . D'autres études qui datent de la période du rejet de l'accord du lac Meech révèlent une même perspective équilibrée en fonction des intérêts américains et de la stabilité de la relation des États-Unis avec le Canada. Le scénario d'un fédéralisme asymétrique permettant au Québec de maintenir une grande autonomie, tandis que les autres provinces se modèleraient davantage sur une même politique nationale, y est privilégié. La possibilité que le Québec en vienne à opter pour la souveraineté en raison de l'intransigeance des autres Canadiens et du gouvernement fédéral est toujours évoquée avec une certaine sérénité. On appréhende cette éventualité comme devant donner lieu à de pénibles tractations et à un réaménagement difficile des relations avec le ou les voisins du nord. On n'y voit rien de positif pour les États-Unis. Le Québec est cependant perçu comme une société démocratique, essentiellement non violente, riche en ressources et en main-d'œuvre productive et ouverte à l'économie de marché. On reconnaît, en conséquence, qu'un Québec souverain serait viable et tout à fait acceptable pour Washington. On évoque toutefois le [298] problème inhérent à la nécessaire renégociation de l'Accord de libre-échange qui pourrait être retardée par l'opposition du Canada. Washington, selon une étude réalisée conjointement pour le compte de l'Agence centrale du renseignement (CIA) et du département d'État après l'échec de Meech, accorderait la priorité à ses relations avec ce qui subsisterait du Canada et ne risquerait pas d'endommager ces relations pour négocier avec le Québec. On évoque aussi la possibilité que d'autres provinces en viennent à accéder à un statut souverain, ce qui compliquerait encore davantage les relations .

En dépit de son appui à la stabilité de la fédération canadienne, le gouvernement américain n'a jamais voulu s'avancer trop loin. On a toujours cru qu'une intervention dans le débat canadien, ou même ce qui pourrait être perçu comme une intervention, produirait le contraire de l'effet souhaité. « Counter-productive » est l'expression que des responsables politiques américains ont employée le plus souvent pour qualifier un appui trop prononcé au gouvernement fédéral du Canada à l'encontre du nationalisme québécois. Ainsi tous les présidents américains, de Carter à Clinton, ont favorisé le maintien du Canada tout en respectant le processus démocratique québécois. Des Canadiens ont régulièrement invité Washington à s'engager davantage, à condamner péremptoirement le mouvement souverainiste québécois, à menacer les Québécois de représailles s'ils s'aventuraient sur la voie de la sécession, arguant que la population québécoise serait très sensible à une telle politique et qu'elle serait, grâce à elle, dissuadée de favoriser la souveraineté. Mais on a presque toujours résisté à ces avances, mis à part quelques déclarations ponctuelles.

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Plutôt que de s'adresser directement aux Québécois, les responsables politiques de Washington ont toujours préféré faire l'éloge du fédéralisme canadien et exprimer leur appui très ferme à l'unité canadienne. Cet appui a pu gagner en intensité selon les circonstances. Ainsi George Bush, visitant le Canada en mars 1991, à une époque où la menace souverainiste était devenue très forte, réitéra la réticence de son gouvernement à se mêler de politique intérieure canadienne, insistant à plusieurs reprises pour souligner les vertus de la relation canado-américaine telle qu'elle était : « Nous avons bénéficié des meilleures relations possibles avec un Canada uni [...] nous sommes très très heureux avec un seul Canada uni . » Le président Clinton, dans un discours devant le Parlement canadien en février 1995, est peut-être allé plus loin dans l'éloge en citant le Canada comme un modèle de relations entre populations de différentes cultures. Dans la mesure où, dans l'esprit du président, les « différentes cultures » incluent la culture québécoise, cela contribue à banaliser les aspirations du Québec à l'autonomie et sans doute à priver de tout fondement valable la cause souverainiste. Le texte présidentiel n'a jamais été précisé, et pour cause.

Les seules interventions qui s'adressent directement aux souverainistes québécois portent sur la nécessité pour un Québec souverain de négocier à nouveau l’Accord de libre-échange. Ainsi, en 1992, en pleine campagne référendaire canadienne sur l'accord de Charlottetown, la Commission du commerce international du département du [300] Commerce américain a émis un communiqué avertissant qu'un Québec indépendant ne saurait compter sur la reconduction automatique du traité de libre-échange. On évoquait la remise en question des subventions d'aide à l'exportation de la part du gouvernement québécois ou d'organismes paragouvernementaux comme Hydro-Québec .

L'ambassadeur américain James J. Blanchard, autrefois gouverneur démocrate du Michigan et ami du président Clinton, est l'un de ceux qui ont recommandé une approche plus dure à l'endroit du mouvement

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souverainiste québécois. En janvier 1995, il a déclaré que son gouvernement n'avait accordé aucune garantie au gouvernement du Québec quant à l'accession à l'ALÉNA, à l'OTAN et autres traités internationaux dans l'hypothèse de la souveraineté . Il revint à la charge, deux mois plus tard, pour affirmer encore que l'adhésion du Québec à quelque organisation internationale que ce soit ne serait pas une affaire facile .

Dans la même veine, la présidente du groupe des conseillers économiques du président américain, Laura d'Andrea Tyson déclara, en mars 1995, qu'un Québec indépendant devrait se soumettre à toutes les procédures normales pour devenir un État membre de l’ALÉNA, ce qui comporterait des négociations, nécessiterait un accord explicite du Congrès des États-Unis et la possibilité d'un veto de la part de l'un ou l'autre des trois pays membres. Elle précisa qu'il était dans l'intérêt national de son pays [301] que soient préservées l'unité et l'intégrité de son meilleur partenaire commercial . Un peu plus tard, un haut fonctionnaire affecté au commerce international, Joseph Greenwald, souligna à nouveau, devant un auditoire du milieu des affaires de Montréal, que les États-Unis n'accorderaient aucun traitement particulier à un Québec souverain qui devrait probablement poser sa candidature à l’ALÉNA de la même manière que tout autre pays. Il déclara encore que les États-Unis n'accepteraient pas le Québec à l'intérieur du traité si le reste du Canada s'y opposait .

Au plus fort de la campagne référendaire de l'automne 1995, l'ambassadeur Blanchard réitéra ses mises en garde et fit l'éloge du leadership de Jean Chrétien . Seulement onze jours avant le vote, à la forte suggestion de Blanchard, le secrétaire d'État Warren Christopher, en présence du ministre des Affaires étrangères du Canada, André Ouellet, souligna les liens étroits qui unissaient le Canada et les États-Unis et avertit qu'on ne devrait pas tenir pour acquis que les relations seraient les mêmes avec un nouveau genre d'organisation . Cette déclaration allait à l'encontre de ce que nous avons décelé au chapitre 3 comme une politique éventuelle des États-Unis dans le cas d'une modification de l'union canadienne. En d'autres termes, selon ce que nous considérons comme une perception [302] américaine de la situation du Canada, les États-Unis devraient s'efforcer de favoriser le maintien d'une union canadienne avec laquelle ils pourraient poursuivre des relations à peu près semblables à celles qui ont cours présentement. Et voilà que Warren Christopher nous mettait en garde contre le danger de déstabilisation des bonnes relations avec un nouveau partenariat canado-québécois. Cela correspondait-il à de nouvelles perceptions au département d'État ? Peut-être. Mais il faut aussi tenir compte de tout ce qu'il y avait de tactique dans une telle déclaration qui, de toute évidence, s'insérait dans le cadre de la campagne du gouvernement fédéral canadien. C'était là tout de même une intervention directe comme on en a vu rarement, s'adressant sans ambages au meilleur argument des souverainistes : l'offre formelle de partenariat. Le président Clinton lui-même, quelques jours avant le vote québécois, a repris les bonnes paroles de son discours d'Ottawa : le Canada est un modèle, un pays qui fonctionne bien et il ne comprend pas du tout ceux qui songent à la sécession .

L'expression probablement la plus virulente des perceptions négatives à l'endroit du Québec au sein de l'administration américaine est un passage de 19 lignes à l'intérieur d'un rapport transmis en 1994 par le département d'État au Congrès américain sur les conditions des droits humains dans 193 pays. Un tel rapport doit être transmis annuellement en vertu d'une loi du Congrès. Sans aucun égard à la situation vulnérable de la société francophone du Québec en Amérique du Nord ni aucune mention des droits dont jouissent les minorités du Québec, le rapport émettait une critique sévère de la législation [303] linguistique québécoise, surtout en matière de fréquentation scolaire et d'affichage public. On faisait état de soi-disant discrimination à l'égard des non-francophones et de l'exode d'un grand nombre de jeunes anglophones . Le rapport suscita une protestation à peu près unanime au Québec, sauf de la part du chef du Parti égalité, à l'époque Robert Libman, qu'on a eu tôt fait de soupçonner d'être à l’origine de la réprobation américaine. L’événement révélait à tout le moins des sympathies entre certains Américains et certains éléments de la communauté anglophone de Montréal. Il semble bien que ce rapport ait été rédigé par des fonctionnaires du Bureau des droits humains du département d'État sans avoir fait l'objet de véritables discussions avec les responsables des affaires canadiennes. Un rapport ultérieur en 1997 s'est appliqué à corriger le langage excessif de celui de 1994 en soulignant une amélioration de la situation sous le gouvernement Bouchard.

Les perceptions des responsables politiques, surtout celles des diplomates, sont habituellement beaucoup plus nuancées. Ainsi un rapport confidentiel, émanant de l'ambassade des États-Unis à Ottawa en

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1992, déplorait que l'auteur réputé Mordecai Richler se soit servi de « sa plume acide » pour rouvrir de vieilles blessures et envenimer le débat entre le Québec francophone et le reste du Canada . Un peu plus tard, le consul général américain à Québec, William McCahill, accordait une entrevue à l'occasion de la fin de son mandat. Il invitait le gouvernement [304] québécois à déployer plus d'efforts pour rendre compte de ses contributions particulières en matière de culture, de langue et autres. Selon le diplomate, le Québec devait mieux s'expliquer auprès des Américains à l'encontre des critiques très médiatisées d'écrivains comme Richler, de certains groupes de pression environnementalistes et de quelques leaders autochtones. McCahill se dit impressionné par la force, la dignité et la fierté du sentiment national des Québécois de même que par le dynamisme de l'économie du Québec. Il rappela que son gouvernement n'entendait pas intervenir dans le débat constitutionnel canadien .

Il semble bien que les perceptions nuancées et équilibrées ont prévalu chez les responsables politiques au sein de l'exécutif américain au moins depuis l'étude du département d’État de 1977. Dans l'ensemble, les personnes chargées du dossier canadien ont compris les raisons qui ont amené beaucoup de Québécois à adopter une position plus radicale à la suite des échecs répétés des tentatives d'aménagement des relations du Québec avec le gouvernement fédéral et le reste du Canada. Ces personnes ont longtemps souhaité une solution de compromis au contentieux canadien, mais, à compter de 1994 environ, voyant que le gouvernement Chrétien, élu à l'automne de 1993, se refusait à l'accommodement et que le Parti québécois avait repris le pouvoir à Québec, l'année suivante, les hauts fonctionnaires de l'administration américaine attachés aux affaires canadiennes ont eu tendance à voir la situation en termes dichotomiques : ou les Québécois se résignaient à toutes fins utiles au statu quo constitutionnel, [305] ou le Québec s'acheminait vers la souveraineté. Ils souhaitaient évidemment que le premier terme de l'alternative l'emporte, compte tenu des intérêts de la grande puissance américaine et des relations avec son premier partenaire commercial. D'où une apparente radicalisation du comportement et des déclarations. Il n'en demeure pas moins cependant que toutes ces personnes étaient disposées à envisager la souveraineté du Québec comme une possibilité qui ne serait pas un désastre et à laquelle leur pays saurait s'ajuster le temps venu.

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LES MEMBRES DU CONGRÈS

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Si l'on se tourne maintenant vers la branche législative du gouvernement fédéral américain, on constate un ensemble de perceptions et de réactions beaucoup plus variées. C'est bien la caractéristique de cette institution de donner lieu à une gamme complexe d'opinions et de prises de position. Cela tient à l'absence d'une forte discipline de parti et au foisonnement d'intérêts exprimés par les électeurs et les groupes de pression dans les diverses régions des États-Unis. Les perceptions de la réalité québécoise, en plus d'être aussi raréfiées chez les législateurs que dans d'autres milieux américains, sont donc conditionnées par une multitude de facteurs parmi lesquels les amitiés canadiennes et les intérêts des États frontaliers apparaissent les plus importants.

En outre, les membres du Congrès se sentent beaucoup plus libres de s'exprimer que les responsables exécutifs. Ils sont certes moins enclins à se préoccuper des effets de leurs déclarations sur les relations avec le Canada que ne le sont les diplomates, même s'ils font souvent l'objet de pressions soutenues de la part du fort lobby que [306) l'ambassade du Canada a mis sur pied au début des années quatre-vingt . En conséquence, comme nous le mentionnions au chapitre 3, les sénateurs et représentants ont accepté plus volontiers de rencontrer des membres du gouvernement québécois. Ils ont été aussi moins réservés dans leurs réactions.

En juillet 1990, au moment où les sondages révélaient un sommet dans les appuis à la souveraineté du Québec, le sénateur Patrick Moynihan déclara qu'il s'attendait à ce qu'un Québec indépendant demeure partie à l'Accord de libre-échange canado-américain pourvu que le nouvel État en accepte toutes les conditions. En avril 1994, le sénateur Edward M. Kennedy reprit ce qu'on appelle le mantra officiel des administrations américaines : appui à l'unité canadienne, respect des décisions prises au Canada, volonté de ne pas intervenir. Le sénateur alla cependant moins loin que les membres de l'exécutif dans l'expression d'une préférence pour le maintien du statu quo. Bien plus, il laissait entendre que les États-Unis, en fonction de leurs intérêts, devraient reconnaître le gouvernement d'un Québec souverain élu selon les règles de la démocratie, même s'il fallait devancer le Canada en agissant ainsi .

D'autres membres du Congrès ont exprimé par la suite de semblables opinions d'appui à l'unité canadienne accompagnées de respect du processus démocratique et de disposition à traiter avec un Québec souverain s'il fallait en venir là. Plusieurs constataient que les positions des [307] fédéralistes québécois modérés relativement au renouvellement de la fédération canadienne étaient devenues inconciliables avec celles de la majorité des Canadiens des autres provinces. Ils en concluaient que les États-Unis devaient se préparer à traiter avec un Québec indépendant tout en souhaitant qu'une étroite union économique canadienne puisse être maintenue .

En mars 1994, Lucien Bouchard, alors à la tête du Bloc québécois, se rendit à Washington en sa qualité de chef de l'opposition officielle à la Chambre des communes. Il rencontra quelques membres du Congrès et des personnes de leur entourage. Mieux que tout autre leader indépendantiste avant lui, il sut dresser un tableau assez complet, équilibré et rassurant du projet souverainiste. Il se dissocia vigoureusement de tout nationalisme ethnique, fit état de l'impasse des discussions constitutionnelles au Canada et souligna les sympathies proaméricaines de bon nombre de nationalistes québécois. Il admit volontiers que les Américains se sentaient généralement plus près des Canadiens de langue anglaise et de leurs positions. Il ne chercha donc pas à les persuader du bien-fondé de son option souverainiste et n'entendait pas solliciter l'appui des États-Unis à cette cause. Il assura seulement ses interlocuteurs qu'un Québec souverain ne menacerait en aucune façon les intérêts américains, car le nouvel État serait disposé à prolonger tous les accords et traités déjà existants entre les États-Unis et le Canada, tout en adoptant une politique ouverte à l'endroit des autres composantes actuelles de la fédération canadienne dans le cadre d'une étroite union économique. Bouchard alla jusqu'à souhaiter que Washington joue un [308] rôle stabilisateur dans les

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relations entre un Québec souverain et son partenaire canadien.

Le discours du chef du Bloc fut bien reçu et perçu comme un message direct, honnête et dépourvu d'ambiguïté. Plusieurs membres du groupe de travail sur le Canada à l'intérieur de la Chambre des représentants déclarèrent aux journalistes qu'ils avaient été bien impressionnés par les propos de Bouchard, qu'ils avaient tenu avec lui des discussions éclairantes et que cela augurait bien pour les relations entre un Québec indépendant et les États-Unis. James Oberstar, représentant démocrate du Minnesota, en conclut que la Maison Blanche devrait reconnaître un Québec souverain dans les six mois qui suivraient un référendum gagnant, comme cela a été fait pour la Slovénie et la Croatie. L'indépendance du Québec ne lui causait aucun problème : le nouvel État serait fort et vigoureux : « I find it vibrant, strong, vigorous . » Le représentant démocrate du New Jersey, Robert G. Toricelli, président de la sous-commission de la Chambre sur l'hémisphère occidental, qui deviendrait plus tard sénateur, a aussi participé aux discussions : il a dit croire que le Canada devait faire face au problème d'une manière ou d'une autre. Un autre participant dit du projet de Bouchard que c'était ce qu'il y avait de mieux après le statu quo .

La question du Québec n'intéresse cependant que très peu de membres du Congrès. Le républicain Tom Campbell, de San Jose en Californie, est l'un de ceux-là. Il était professeur de droit à l'Université Stanford avant d'entrer en politique. Il s'intéresse particulièrement au [309] droit commercial dans ses applications aux relations économiques entre le Canada et les États-Unis. Cet intérêt l'a conduit à organiser une audience spéciale de la sous-commission de l'hémisphère occidental (dépendant de la Commission des relations internationales de la Chambre) en septembre 1996. La sous-commission était présidée par le représentant Dan Burton, républicain de l'Indiana, qui a donné son nom à la célèbre loi punitive sur les relations des autres pays avec Cuba. Au moment où devait se tenir l'audience sur le Canada et le problème du Québec, la sous-commission venait de tenir une session sur la question cubaine et six des huit membres étaient présents. Dès qu'on passa au Canada, tous les six s'excusèrent et quittèrent la salle. Le président Burton ouvrit l'audience et quitta à son tour après à peine vingt minutes. Seuls demeurèrent Tom Campbell et un autre représentant républicain du nord de l'État de New York, Amo Houghton, qui n'étaient ni l'un ni l'autre membres de la sous-commission. Quatre spécialistes américains des affaires canadiennes vinrent témoigner et offrir leur analyse de la question du Québec et de l'avenir de la fédération canadienne. Ceux qui étaient venus les entendre étaient, en très grande majorité, des Canadiens. Cet événement ne nous révèle donc rien qui vaille sur les perceptions des membres du Congrès américain, à l'exception de ces deux représentants isolés. Il est tout de même significatif, d'un point de vue canadien.

Un document plus révélateur (une analyse des services de recherche du Congrès) énonce que le gouvernement des États-Unis entendrait avoir de bonnes relations avec un Québec souverain de même qu'avec le Canada. On craint cependant que la sécession n'entraîne des perturbations économiques dont les répercussions seraient ressenties aux [310] États-Unis. Il en résulterait de nécessaires adaptations qui entraîneraient des coûts pour les trois pays

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LES GOUVERNEMENTS DES ÉTATS

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Davantage que les membres du Congrès, les gouverneurs, fonctionnaires et législateurs des États américains, surtout ceux de la Nouvelle-Angleterre et de l’État de New York qui rencontrent régulièrement leurs homologues québécois, ont des perceptions de plus en plus pragmatiques et dépourvues d'alarmisme quant aux relations avec le Québec, quel que soit le parti au pouvoir et même, dans une certaine mesure, quel que soit l'avenir politique du Québec.

Ainsi, en juin 1994, à l'occasion de la rencontre annuelle des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres des provinces de l’Est du Canada, en présence de Daniel Johnson, alors chef du gouvernement québécois, le gouverneur républicain du Vermont, Howard Dean, a déclaré que son expérience passée l'amenait à croire que les relations avec le Québec et le Canada continueraient d'être bonnes, quelle que soit la situation politique. Même si le Québec devait quitter la fédération canadienne, il envisageait la poursuite de relations normales : « business as usual ». Le gouverneur démocrate du Rhode Island, Bruce Sundlun, alla dans le même sens. Mais il disait préférer que le Québec en vienne à négocier un arrangement mutuellement acceptable avec le Canada [311] et demeure une province canadienne. Pour sa part, le gouverneur républicain du New Hampshire exprima des inquiétudes quant à la souveraineté du Québec qui donnerait lieu, selon lui, à de nouvelles entraves au commerce .

L'année suivante, le Parti québécois était au pouvoir et s'apprêtait à tenir le référendum sur la souveraineté partenariat. Le premier ministre Parizeau s'adressa aux gouverneurs et législateurs de la conférence régionale de l'Est du Council of State Governments réunie du 6 au 10 août à Québec. Il fit remarquer à son auditoire que les relations commerciales du Québec avec les États-Unis étaient devenues plus importantes que les échanges avec les autres provinces canadiennes. Barbara Snelling, lieutenant-gouverneur républicain du Vermont, a convenu que les liens économiques entre le Nord-Est des États-Unis et le Québec se sont développés à un point tel qu'il serait essentiel de les maintenir si le Québec devenait souverain. Plusieurs autres gouverneurs et législateurs ont renchéri et assuré Parizeau qu'ils ne modifieraient pas leurs relations commerciales dans l'éventualité de la souveraineté .

En mai 1998, le premier ministre Lucien Bouchard, en compagnie d'un fort contingent de leaders québécois du milieu des affaires, se rendit dans quatre grandes villes américaines, Boston, Atlanta, Philadelphie et Chicago, dans le but de rectifier l'image du Québec et d'attirer les investisseurs. Il rencontra les gouverneurs des quatre États visités et tous les quatre semblèrent bien impressionnés [312] par le discours du premier ministre et les propos des gens d'affaires du Québec. Pour le gouverneur républicain, Paul Celluci, du Massachusetts, le projet souverainiste du gouvernement Bouchard n'était pas un obstacle aux échanges commerciaux avec le Québec : « Le débat sur la souveraineté dure depuis longtemps et les chiffres d'exportation continuent de monter . » De même Jim Edgar, gouverneur républicain de l'Illinois, affirma que le Québec était un bon endroit pour investir en dépit des craintes reliées à l'avènement de l'indépendance . Le gouverneur de la Pennsylvanie, Tom Ridge, un autre républicain, affirma, pour sa part, que la situation politique et la question linguistique n'avaient rien à voir avec les échanges commerciaux : « Tout ce que je sais [...] c'est que nous entretenons des relations bilatérales commerciales, culturelles et économiques avec le Québec depuis longtemps, que nos entreprises y font des affaires et que mon travail, à titre de gouverneur, c'est de faire en sorte que d'autres liens soient encouragés [...] »

Il ressort de ces quelques exemples que les relations entre le Québec et les partenaires politiques régionaux aux États-Unis sont d'un tout autre ordre que celles qu'on tente d'établir à Washington. Sans doute personne ne souhaite, parmi les gouverneurs et les parlementaires des États, que le Québec devienne un État souverain. Toutefois les intérêts immédiats de ces responsables politiques, surtout ceux des États limitrophes, leur commandent de garder de bonnes relations autant avec les gouvernements [313] du Parti québécois qu'avec ceux du Parti libéral du Québec. Ils sont bien conscients de la permanence des réseaux

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économiques formés en fonction de la géographie et d'autres facteurs structurels. Ils constatent qu'un nombre croissant d'entreprises fonctionnent, à toutes fins utiles, comme si la frontière n'existait pas. Ils ont pu aussi, contrairement à leurs collègues qui travaillent au niveau fédéral, établir des relations personnelles, parfois fréquentes, avec leurs homologues québécois et constater à quel point ces derniers sont bien disposés à l'endroit des États-Unis et professent des valeurs assez semblables à celles qui prévalent chez les Américains. Il arrive aussi que les bonnes relations dépassent le niveau de la politique et de l'économique, comme c'est le cas de celles qui unissent l'État du Maine et le Québec. Chaque année, des délégations imposantes de cet État voisin participent au Carnaval de Québec et à d'autres événements du même genre, comme les fêtes de la Nouvelle-France, en 1998. Il en résulte des perceptions positives de la province francophone et une connaissance de plus en plus adéquate de la politique québécoise.

CONCLUSION

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Nous avons vu comment la culture politique ne prédispose pas les Américains à comprendre la cause du nationalisme québécois. Nous avons pu constater encore, ici peut-être plus qu'ailleurs, que le triangle nord-américain préside aux relations américano-québécoises, car les relations avec l'ensemble du Canada sont primordiales pour la plupart des acteurs politiques américains. Les bonnes relations avec les Canadiens d'expression anglaise et les régions où ils sont majoritaires sont aussi d'une [314] importance capitale pour les responsables politiques américains, à un point tel qu'elles prévaudront souvent sur les perceptions favorables qu'on peut entretenir au sujet du Québec. Le Canada est en effet perçu comme un pays ami, fraternel et très près culturellement des États-Unis. Le plus souvent, les responsables politiques américains pensent spontanément au Canada anglais avant de considérer le Québec ou les minorités francophones des autres provinces. Ils voient d'ailleurs le Canada comme un ensemble harmonieux où vivent en paix des populations de cultures et d'origines ethniques diverses et ils n'arrivent pas facilement à faire une distinction entre la culture du Québec français et celles des diverses communautés culturelles du Canada.

En conséquence, l'appui quasi universel à la cause de l'unité canadienne vient tout naturellement, même si la tolérance envers les aspirations politiques québécoises se manifeste de plus en plus et qu'on est beaucoup mieux disposé maintenant à envisager un Québec indépendant qu'on l'a été en 1976, quand on vit avec étonnement apparaître un parti souverainiste à la tête du gouvernement québécois. Au niveau de l'exécutif, cependant, la prudence règne et les sympathies pour le gouvernement fédéral canadien se font de plus en plus fortes et agissantes à mesure que croît la possibilité de la sécession du Québec. Même si on a tout lieu de croire que les responsables du gouvernement américain pourraient fort bien s'accommoder de la souveraineté du Québec, l'amitié canado-américaine l'emporte sur toute autre considération et entraîne des interventions discrètes mais explicites en faveur du maintien du lien fédéral. Il en va différemment au niveau des législateurs du Congrès qui se sentent plus libres d'exprimer des opinions diverses. Enfin, les responsables [315] politiques locaux des régions voisines sont ceux qui connaissent le mieux les Québécois et qui sont le mieux disposés à leur égard.

Les progrès enregistrés dans la perception du Québec aux États-Unis apparaîtront plus clairement encore dans les milieux intellectuels, surtout au sein d'un réseau qui s'élargit sans cesse d'observateurs avertis des affaires canadiennes et de tous ceux qui s'adonnent aux études canadiennes et québécoises. Ce sera l'objet du chapitre suivant.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

Troisième partie :Perceptions américaines

Chapitre 10

Le Québeccomme objet d’étude

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Les perceptions des diplômés d'universités qui se sont intéressés au Québec sont généralement plus raffinées, plus adéquates et, dans l'ensemble, plus sympathiques que celles des autres Américains. C'est là cependant un phénomène assez récent. Il aura fallu en effet attendre les années soixante-dix pour qu'apparaisse quelque intérêt universitaire pour le Québec comme tel. Même le Canada n'était pas considéré comme un objet d'étude dans la très grande majorité des universités américaines avant 1960. Et quand on a introduit, ici et là, des cours portant sur le Canada et des programmes d'études canadiennes, la province francophone attirait peu l'attention, du moins les premières années.

Nous verrons, au cours de ce chapitre, comment se sont développés des programmes d'études du Canada dans quelques universités et centres de recherche aux États-Unis, comment une association d'études canadiennes est née et s'est développée, au point même de donner le jour à un organisme spécifiquement consacré au Québec. Nous signalerons aussi d'autres contributions particulières à une meilleure connaissance du Québec, notamment des cours et des publications.

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REMARQUABLE ÉVOLUTIONDES ÉTUDES CANADIENNES

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Mis à part quelques cours sur l'histoire canadienne souvent annexés à l'étude de l'empire britannique ou à l'histoire des États-Unis, on n'enseignait à peu près pas le Canada dans les universités américaines avant la fin des années cinquante. La dotation Carnegie pour la paix (la Carnegie Endowment for International Peace) avait manifesté un intérêt inusité pour les affaires canadiennes et avait distribué quelques subventions pour des projets canadiens, soit au Canada, soit aux États-Unis. Mais cela était dû assez typiquement à l'influence d'un membre du bureau de direction (président en 1949-1950), James T. Shotwell, né au Canada, éminent professeur d'histoire à l'Université Columbia.

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Le Council on Foreign Relations, le centre le plus important de recherches et d'échanges pour les élites de la politique étrangère aux États-Unis, a patronné quelques études sur le Canada. Cela était dû à l'initiative de quelques-uns de ses cadres , dont William Diebold, qui s'est intéressé aux relations économiques entre les deux pays durant la majeure partie de sa carrière. La World Peace Foundation (WPF) de Boston s'est intéressée aux relations canado-américaines dès avant la Deuxième Guerre mondiale. À compter de 1950, elle établit des relations de coopération avec l'Institut canadien des affaires internationales (ICAI). Ces relations et les projets auxquels elles ont donné lieu ne concernaient jamais directement le Québec et incluaient plutôt rarement des francophones. C'est seulement en 1967 que l’ICAI s'est donné [319 un secrétariat au Québec grâce à l'initiative du professeur Paul Painchaud de l'Université Laval. Des rencontres entre John Holmes, alors directeur général de PICAI, Paul Painchaud et le coauteur de cet ouvrage, Alfred O. Hero Jr (directeur de la World Peace Foundation entre 1954 et 1982) ont eu lieu et ont débouché rapidement sur une coopération unique entre l'organisme de Boston et la filiale de FICAI de Québec qui deviendra bientôt affiliée au Centre québécois de relations internationales (CQRI, aujourd'hui Institut québécois des hautes études internationales) de l'Université Laval. Un accord particulier fut signé entre les deux organisations en vertu duquel les congrès annuels du CQRI et de nombreux colloques amèneraient des universitaires, chercheurs et autres personnalités des États-Unis et du Québec à se rencontrer et à échanger des connaissances. Un comité Québec-États-Unis a été créé, favorisant les échanges non seulement entre universitaires mais aussi entre personnes des milieux d'affaires et autres. Ces rencontres ont donné lieu à des publications, soit dans la revue de la World Peace Foundation, International Organization, soit dans les organes du CQRI, notamment la revue Études internationales . Quelques contacts ont été établis aussi entre universitaires [320] québécois et leurs collègues de la région de Boston, particulièrement de la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'Université Tufts. Les Américains qui bénéficient de ces contacts découvrent une modernité québécoise qui leur a échappé jusque-là, comprennent mieux la nature des aspirations et exigences constitutionnelles du Québec de même que les coordonnées économiques de la province francophone.

À l'Université Harvard, une chaire spéciale a été créée en 1967 grâce à la contribution de la fondation canadienne Mackenzie King. Elle porte le nom de l'ancien premier ministre. Chaque année, un universitaire canadien vient enseigner et poursuivre des recherches à Harvard. Cependant les cours donnés sur le Canada sont généralement peu fréquentés, attirent surtout des étudiants canadiens et contribuent assez peu à rendre le Canada plus visible. Ses titulaires établissent des liens utiles, mais ils n'arrivent pas, le plus souvent, a rayonner en tant que Canadiens hors d'un cercle restreint. jamais, à ce jour, un Québécois de langue française n'a occupé cette chaire. Par contre, d'anciens hauts fonctionnaires anglo-canadiens, sans grande expérience universitaire, en ont été titulaires, comme Michael Pitfield, Tom Axworthy (tous deux conseillers de P.E. Trudeau), Allan Gotlieb (ex-ambassadeur à Washington) de même que l'ex-première ministre, Kim Campbell.

À la fin des années soixante-dix fut établi dans la région de Boston un consortium universitaire de recherches sur l'Amérique du Nord qui a donné lieu à plusieurs activités et tout particulièrement à la présence fréquente de Québécois durant les années qui ont précédé et suivi le référendum de 1980 . Le secrétariat de ce consortium, qui [321] comprenait des professeurs des universités Harvard, Brandeis et Tufts, était situé à l'intérieur du campus de Harvard et bénéficiait d'une affiliation avec le Harvard Center for International Affairs. L'organisme n'a pas survécu longtemps au départ, en 1985, de son dynamique animateur, Elliot J. Feldman , alors professeur adjoint à l'Université Brandeis.

Au cours de cette époque, se sont développés aussi de façon remarquable, avec l'aide généreuse de la fondation Donner et de la direction des relations avec les universités du ministère des Affaires extérieures du Canada, une bonne douzaine de centres d'études canadiennes dans les universités américaines. L'un des plus anciens et des plus prestigieux se trouve à l'Université Duke, à Durham, en Caroline du Nord. Non pas que cette région soit propice aux études canadiennes, mais bien en raison des dotations de cette université qui devait s'intéresser particulièrement aux relations avec le Royaume-Uni et l'empire britannique, ce qui avait historiquement inclus le Canada. Un centre d'études sur le Commonwealth avait été créé à Duke en 1955. Trois universités près de la frontière québécoise ont aussi lancé des programmes et bientôt des centres d'études canadiennes : l’Université du Maine dont le siège est à Orono, l'Université du Vermont, sise à Burlington et l'Université de l'État de New York à Plattsburgh (State University of New York, SUNY).

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Ces trois institutions sont parvenues à faire reconnaitre le [322] Canada comme objet d'étude auprès du département de l'Éducation du gouvernement américain et ont établi un consortium à cette fin. Un programme d'études a aussi été créé à l'École des études internationales avancées (School of Advanced International Studies. SAIS) de l'Université Johns Hopkins à Washington, en 1969. Son premier directeur fut un Canadien, Dale Thomson, qui a enseigné à l'Université de Montréal et a terminé sa carrière plus tard à l'Université McGill. D'autres centres ou programmes d'études canadiennes existent aussi aux universités Michigan State, à East Lansing, au Michigan, St. Lawrence, à Canton, dans l'État de New York, Western Washington à Bellingham, dans l'État de Washington, ainsi qu'à l'Université de l'Illinois et à Chicago, et à l'Université de Rochester, dans l'État de New York, durant une certaine période. L'intérêt pour le Québec était déjà présent, quelques années avant l'élection de 1976 qui a porté le Parti québécois au pouvoir. Il a évidemment grandi assez rapidement après cette date, généralement dans une atmosphère très voisine de celle des universités anglo-canadiennes. Il faut dire d'ailleurs que les fondateurs et directeurs de tous ces centres ou programmes sont, en grande majorité, ou des Canadiens de naissance (tous de langue anglaise, quelques-uns bilingues) ou des personnes qui ont des liens de parenté ou d'amitié avec des Canadiens anglophones. Leurs contacts sont habituellement minimes avec le Québec francophone. Ce sont ces universitaires et autres canadophiles qui ont fondé en 1971 l'Association pour les études canadiennes aux États-Unis (Association for Canadian Studies in the United States : ACSUS).

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L'ASSOCIATION POUR LES ÉTUDESCANADIENNES

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Les fondateurs de l’ACSUS étaient, pour la plupart, des directeurs de programmes d'études canadiennes comme Richard Preston de Duke, Dale Thomson de SAIS, Johns Hopkins, Edward Miles du Vermont (tous trois nés au Canada) et Victor Howard de Michigan State ou encore des diplomates retraités ou près de l’être, comme Livingston Merchant, ancien ambassadeur au Canada, Willis Armstrong et Rufus Smith (tous deux ont été en poste à Ottawa et Smith a occupé la fonction de sous-secrétaire d'État adjoint pour les affaires canadiennes au cours des années soixante-dix). L'esprit qui les animait était celui d'un grand intérêt, voire d'une affection intense pour le Canada et ses traditions. Ils étaient, au début, assez peu nombreux pour former un groupe d'amis. Leurs contacts canadiens se situaient parmi les élites des milieux universitaires, de la fonction publique et de la politique, presque exclusivement anglophones. Ils se voulaient à coup sûr indépendants par rapport aux options politiques mais se sentaient naturellement près du gouvernement fédéral et plutôt éloignés de la politique provinciale, donc assez peu sensibles à la politique québécoise. Ils étaient bien disposés à l'endroit des grandes législations canadiennes de l'époque, la loi sur les langues officielles instituant le bilinguisme et la loi sur le multiculturalisme. Ils saluèrent la présence de francophones à Ottawa mais ils connaissaient fort peu les leaders québécois, même ceux du Parti libéral du Québec .

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L'ACSUS s'est donné pour but d'encourager les études canadiennes, c'est-à-dire l'enseignement et la recherche, en organisant des rencontres de professeurs, d'étudiants et d'autres personnes intéressées au Canada, gens d'affaires, juristes, fonctionnaires du gouvernement, en diffusant de l'information et par toutes sortes d'autres moyens appropriés. L'organisation est multidisciplinaire et vise tous les niveaux d'éducation. En pratique, les milieux universitaires sont nettement privilégiés. Dès le départ, le gouvernement canadien a appuyé et subventionné l'ACSUS. À mesure que s'est développée la direction dite des « affaires académiques », de même qu'une direction consacrée exclusivement aux États-Unis au ministère des Affaires extérieures, les subventions se sont faites plus généreuses et les contacts entre le ministère et l'association plus intimes. On établira même la coutume, pendant plusieurs années, d'inviter un représentant du ministère à chaque réunion de l'exécutif Cette personne n'aura d'autre statut que celui d'observateur sans droit de vote, mais elle jouera un rôle essentiel en raison du respect dû au bailleur de fonds. L'attaché de l'ambassade du Canada aux affaires universitaires suivra de très près les activités de l’ACSUS et sera considéré par les membres comme le pourvoyeur par excellence, comme un mécène amical. Des personnes compétentes occupent cette fonction et s'en acquittent avec zèle, répondant à divers besoins et se méritant le plus souvent la « reconnaissance » des membres. Les rapports entre ce fonctionnaire et l'ACSUS ont été à ce point cordiaux et réguliers qu'on a pu lui confier exceptionnelle [325] ment l'organisation d'un congrès. Peu à peu, cependant, à mesure que l'association a crû au cours des années quatre-vingt, elle a appris à garder ses distances par rapport au pouvoir fédéral du Canada et a accepté d'établir des contacts avec les gouvernements provinciaux, dont celui du Québec. Cette maturité et cette indépendance de l'ACSUS se sont manifestées tout particulièrement au cours de l'année 1997, quand un colloque spécial a été organisé, conjointement avec la Chaire d'études stratégiques de l'Université du Québec à Montréal, pour examiner, dans un climat d'objectivité et de liberté intellectuelle, l'hypothèse des relations des États-Unis avec un Québec souverain. Ce projet a valu aux dirigeants de l'association l'opposition et le blâme de l'ambassade du Canada qui exerça de fortes pressions pour que l'événement soit annulé. Le président de l'ACSUS, Joseph T. Jockel, a su résister aux menaces des représentants du gouvernement fédéral canadien et le colloque s'est tenu à huis clos, à Washington même. La rencontre, qui incluait un nombre égal de Québécois et d'Américains, s'est poursuivie dans une atmosphère dénuée de tout parti pris politique et dans la plus grande sérénité. Les interventions furent publiées dans un numéro spécial de la revue de l'association .

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Depuis le début, l’ACSUS tient un congrès tous les deux ans. Ces congrès sont de plus en plus considérables. Alors qu'ils réunissaient à peine une centaine de personnes au milieu des années soixante-dix, ils en rassemblent maintenant environ cinq cents et offrent de multiples sessions dans plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, des tables rondes et communications d'une très [326] grande variété. On y traita fort peu du Québec durant les premières années, mais la province francophone occupe désormais une place de choix, même s'il existe une autre association vouée aux études québécoises (nous y viendrons plus loin). Ainsi en 1987, le congrès a eu lieu dans un grand hôtel de Montréal et a accueilli un grand nombre d'universitaires du Québec. Des sessions spéciales ont été tenues sur la question du libre-échange canado-américain à un moment où les principales clauses du traité étaient rendues publiques. En 1991, à Boston, on discuta encore beaucoup du Québec dans l'atmosphère de débat constitutionnel de cette année-là. Le ministre québécois des Affaires internationales d'alors, John Ciaccia, s'adressa aux congressistes dans le cadre d'une session plénière et prononça un discours remarquable défendant la position du Québec vis-à-vis d'Ottawa et des autres provinces et expliquant surtout, en long et en large, l'accord de la Baie-James de 1975 qui avait fait l'objet de rapports biaisés et fautifs dans les médias américains. Les auditeurs furent impressionnés par le discours du ministre. En 1993, à la Nouvelle-Orléans, on s'est réuni peu de temps après l'élection fédérale qui a porté le Parti libéral du Canada au pouvoir mais qui a aussi transformé la représentation québécoise aux Communes avec les cinquante-quatre députés du Bloc québécois formant l'opposition officielle. Les congressistes entendirent alors un discours remarquable de l'ancien premier ministre conservateur Joe Clark qui fit état des responsabilités du Canada anglais à l'endroit du Québec.

Le congrès de 1995 est encore plus mémorable d'un point de vue québécois. Même s'il se tenait à Seattle, une ville on ne peut plus éloignée de la rumeur québécoise, on était au lendemain du référendum du 30 octobre et ses [327] résultats serrés ont fait l'objet de moult discussions, études et commentaires. Des personnes bien connues au Québec comme le président du Mouvement Desjardins, Claude Béland, l'ex-premier ministre Pierre-Marc Johnson, le spécialiste des questions constitutionnelles pour le Bloc québécois, Daniel Turp, étaient présents, entre autres invités canadiens. Ils se sont adressés à des auditoires nombreux et attentifs. Celui qui fut invité à prononcer le discours le plus important en session plénière, à titre de keynote speaker, l'historien torontois Jack Granatstein, fit, d'une part, l'éloge de la « civilité » canadienne en remontant à Wilfrid Laurier et s'adonna, d'autre part, à une critique virulente et amère de ceux qui avaient voté « oui » au référendum québécois, ce « Rest of Quebec » qui se complaisait encore, selon l'historien, dans des positions d'arrière-garde alors que la région de Montréal s'était portée à la défense du lien canadien (une fausseté en ce qui a trait aux francophones). Le conférencier alla jusqu'à évoquer la possibilité d'une fraude de grande proportion à la suite du rejet de nombreux bulletins de vote dans certains comtés . Que retiennent les membres de l'ACSUS ? Sans doute sont-ils presque unanimement opposés à la souveraineté du Québec, mais plusieurs d'entre eux comprennent assez bien pourquoi et comment tant de Québécois en sont venus à appuyer un projet souverainiste. Ils ont bien écouté le discours de Granatstein et ont applaudi à ce qu'il contenait de positif. Toutefois ils sont assez bien informés pour apporter les nuances qui s'imposent à la position fédéraliste inconditionnelle. [328] Encore en 1997, à Minneapolis, la question du Québec fut abondamment traitée. Le ministre des Relations internationales, Sylvain Simard, y annonça un projet de création d'un centre québécois de recherche sur les États-Unis. L'Association internationale d'études québécoises, récemment créée, établit des contacts avec l’ACSUS. En fait, ces congrès, vu leur ampleur et leur organisation imposante, sont devenus des lieux de rencontre privilégiés, non seulement pour les universitaires américains spécialisés dans les questions canadiennes, mais aussi pour les Canadiens qui sont de plus en plus nombreux à y participer. Depuis le début, les diplomates canadiens en poste aux États-Unis (l'ambassade et dix consulats généraux) et ceux du ministère des Affaires étrangères d'Ottawa sont toujours nombreux à participer ou du moins à observer. Régulièrement, un responsable politique canadien s'adresse à l'ensemble des congressistes. Ainsi à Minneapolis en 1997, le ministre des Affaires fédérales-provinciales, Stéphane Dion, a prononcé un discours chargé d'émotion dans lequel il proclamait à la fois son identité québécoise et sa ferme opposition à la sécession du Québec. Il reçut une salve d'applaudissements des congressistes dont quelques-uns voyaient même en lui un futur premier ministre.

Dès les premières heures de l’ACSUS, en 1971, une revue a été mise sur pied, The American Review of Canadian Studies, d'abord sous la forme d'un petit bulletin polycopié, puis, au cours des années soixante-dix, comme une publication savante trimestrielle avec comité de lecture. La revue a atteint un niveau élevé et publie des articles de grande qualité dans diverses disciplines, la science politique, l'économique, la

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sociologie, les relations internationales, la géographie, l'histoire, la littérature et [329] les arts. Encore ici, les sujets québécois sont devenus de plus en plus nombreux alors qu'ils se faisaient rares au cours des premières années de la revue. À l'occasion du référendum québécois de 1995, un numéro spécial fut consacré à l'analyse de l'événement et de ses suites . L'année suivante, une autre livraison portait encore presque entièrement sur le Québec et contenait une section où les auteurs d'articles du numéro spécial mettaient à jour leurs analyses . Un an plus tard, un autre numéro spécial traitait des relations hypothétiques entre les États-Unis et un Québec souverain, à la suite du colloque que nous mentionnions plus haut .

L'ACSUS est à la source d'autres publications, comme par exemple une série de monographies sous forme de brochures à l'intention des collèges américains portant sur divers aspects de la vie canadienne . Elle offre aussi des services aux programmes d'études canadiennes et patronne des recherches et des rencontres en milieu universitaire. Elle est sans conteste la plus importante association d'études canadiennes à l'extérieur du Canada.

LES ÉTUDES QUÉBÉCOISES

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C'est encore aux États-Unis qu'on trouve la seule véritable association d'études québécoises hors Québec. En 1980, à l'instigation du ministère des Affaires intergouvernementales du Québec, tout particulièrement de Marc T. [330] Boucher, qui occupait alors la fonction de préposé aux relations culturelles et universitaires à la direction États-Unis, un modeste regroupement fut formé, rassemblant les personnes intéressées spécifiquement aux études québécoises dans le Nord-Est américain, le North East Councit for Quebec Studies. Des personnes comme la regrettée Jeanne Kissner et Richard Beach de SUNY à Plattsburgh Mary Jean Green de Dartmouth College, André Senécal de l'Université du Vermont ont alors contribué très activement à la création et au développement de cette association. Entre-temps, d'autres regroupements régionaux ont été formés, notamment dans le Sud-Ouest où fut mise sur pied en 1981 la South East Conférence for Francophone Studies lors d'un colloque tenu à Lafayette en Louisiane, encore grâce à l'initiative de Marc T. Boucher, devenu délégué du Québec dans cette ville. Le gouvernement fédéral a vu ces initiatives d'un mauvais œil et a cherché à les englober sous le manteau des études canadiennes. Mais les Universitaires américains, sans entretenir quelque intention politique que ce soit, insistent sur la spécificité du Québec comme objet d'études. Tout particulièrement ceux d'entre eux qui s'intéressent à la littérature québécoise et au monde francophone ne se sentent pas toujours très à l'aise à l'intérieur de la grande association d'études canadiennes. Ils entendent, par exemple, faire place à l'usage partiel de la langue française lors de leurs rencontres, ce qui serait presque impossible dans celles de l’ACSUS. Cela dit, à peu près tous conservent leurs liens [331] avec l'association des études canadiennes. Ils font alterner leurs congrès biennaux avec ceux de l'ACSUS.

En 1985, le Northeast Council devint l'American Council for Quebec Studies (ACQS), ce qui inquiéta encore les promoteurs des études canadiennes à Ottawa, la direction des relations avec les universités au ministère des Affaires extérieures et son bras international, le Conseil international d'études canadiennes. Peu à peu cependant, comme cette quasi- souveraineté-association des études québécoises n'avait aucune espèce de signification politique, le ministère fédéral a accepté de bon gré et subventionne l'ACQS. Les dirigeants de cette association prennent bien garde, d'ailleurs, de toujours situer le Québec dans son contexte politique propre. Les représentants officiels du gouvernement fédéral sont régulièrement invités aux congrès et on leur réserve une place de choix.

Ces congrès se sont tenus au Québec à trois reprises, à Montréal en 1992 et à Québec en 1988 et 1996. Tout comme ceux de l'ACSUS, ils sont devenus des événements importants où se retrouvent plusieurs Québécois autant que les membres du réseau croissant des observateurs avertis du Québec. Ainsi, en novembre 1994, à Washington, l'atmosphère était empreinte de la récente victoire du Parti québécois aux élections de septembre et des discussions relatives à un futur référendum. Une représentante du premier ministre Parizeau, Rita Dionne-Marsolais (déléguée générale du Québec à New York au cours des années

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quatre-vingt), alors ministre québécoise du Tourisme, s'adressa aux congressistes et annonça la décision du gouvernement Parizeau d'abandonner (au moins temporairement) le projet controversé de Grande-Baleine. Cette annonce devait réduire quelque peu l'ardeur agressive d'un autre conférencier, le grand chef cri [332] Matthew Coon Come, qui n'en accusa pas moins le gouvernement du Québec de doubles standards : des droits territoriaux aux Québécois mais non aux autochtones, le droit à l'autodétermination pour le Québec et non pour les autochtones.

Ici comme à l'ACSUS, c'est le gouvernement fédéral qui avait la place d'honneur. Le conférencier principal, le keynote speaker, était l'ambassadeur du Canada, Raymond Chrétien. Il profita de son exposé pour faire état, à titre de Québécois représentant l'ensemble du Canada aux États-Unis, du « rôle crucial joué par le gouvernement canadien dans la protection du fait français en Amérique du Nord ». Il garantit que « les intérêts du Québec sont entièrement pris en compte dans le cadre de nos relations avec les États-Unis ». À aucun moment de son discours ne fit-il mention du rôle joué par le gouvernement provincial du Québec au moyen de son réseau de délégations. Les intérêts du Québec étant « entièrement pris en compte » par le gouvernement que représentait Raymond Chrétien, on était en droit de se demander si le Canada était toujours une fédération. La plupart des congressistes savaient fort bien pourtant quel était le rôle propre du Québec et il en était abondamment question au cours du congrès.

Deux ans plus tard, c'est à Québec que s'est tenu le congrès de l'ACQS. Le référendum sur la souveraineté-partenariat avait eu lieu un an plus tôt et a encore retenu l'attention des participants. Le discours d'ouverture du congrès fut prononcé par le ministre des Relations internationales, Sylvain Simard, qui en profita pour plaider la [333] cause de la souveraineté du Québec. Le discours de clôture appartint à Stéphane Dion, ministre fédéral, qui fit état des avantages du lien canadien. Outre quelques tables rondes sur l'éternelle question nationale du Québec, une session porta sur les préoccupations politiques et militaires dans les relations entre les États-Unis et le Québec. Un fonctionnaire de l'agence de renseignement du département de la Défense nationale de Washington (Defense Intelligence Agency), Keith Keener, présenta une communication sur ce que pourrait être la politique militaire d'un Québec indépendant. Il souligna qu'il ne parlait aucunement au nom de son ministère mais à titre personnel, comme un chercheur intéressé à cette question. Il montra bien comment le projet québécois avait de quoi soulever des inquiétudes au Pentagone et qu'en conséquence, l'intérêt national américain commandait une opposition à ce projet. En réponse à une question, il échappa imprudemment cette phrase : « Si j'étais Québécois, je me devrais de supputer le pour et le contre et j'en deviendrais peut-être favorable à la souveraineté. Mais, en tant qu'Américain affecté à des questions de sécurité, je dois vous dire que je suis contre . » Ce fut suffisant pour soulever l'inquiétude des représentants du gouvernement canadien qui étaient dans la salle. Des plaintes furent déposées auprès des supérieurs de M. Keener qui fut éventuellement muté à d'autres fonctions. On lui a aussi interdit de participer au colloque de février 1997, dont nous avons fait état plus haut, portant sur les relations hypothétiques des États-Unis avec un Québec souverain. Keener a tout de même participé à cette rencontre et s'en est défendu auprès du tribunal, arguant ses droits constitutionnels [334] sanctionnés par le Premier Amendement à la Constitution américaine.

Dès les premiers moments du Northeast Council une revue a été fondée et a publié son premier numéro au printemps de 1983. Quebec Studies ne parut d'abord qu'une fois l'an puis est devenue semestrielle en 1988. Les personnes qui y ont écrit le plus souvent sont des femmes spécialistes de la littérature québécoise. Les Mary Jean Green (Dartmouth), Jeanne Kissner (SUNY à Plattsburgh), Karen Gould (Old Dominion University, à Norfolk, en Virginie), Jane Moss (Colby College, dans le Maine) et plusieurs autres ont animé la revue et rédigé des articles portant sur des œuvres québécoises et sur la femme telle qu'elle y est dépeinte. Des auteures comme Anne Hébert, Marie-Claire Blais, Nicole Brossard ont fait l'objet de nombreux articles. Il semble bien que la question de la femme au Québec, le féminisme québécois et une littérature plutôt prolifique depuis la Deuxième Guerre mondiale aient contribué largement à la spécificité du Québec comme objet d'études aux États-Unis. Il faut tout de même souligner l'éminente contribution d'universitaires masculins comme Robert Schwartzwald (Université du Massachusetts), Robert Gill (Radford, en Virginie), Martin Lubin (SUNY, à Plattsburgh), Joseph Lemay (Ramapo College), Marc Levine (Wisconsin), Émile Talbot (Illinois) et bien d'autres.

On a pu déplorer la concentration sur les études littéraires et souhaiter que la revue sollicite davantage

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des articles portant sur la politique, l'économique et autres sciences sociales. Il est bien vrai que les sujets littéraires ont été traités plus abondamment que les autres, mais une recension des articles publiés entre 1983 et 1996 révèle tout de même que quarante-quatre articles ont porté sur [335] des questions économiques, 12 sur la seule question du libre-échange, 23 sur l'histoire, 40 sur les questions politiques et 31 sur la langue. La littérature a fait l'objet d'une bonne centaine de textes . Quoi qu'il en soit, cette distribution des sujets reflète assez bien la nature des intérêts pour le Québec comme objet d'étude.

AUTRES ORGANISMES

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D'autres organismes américains se sont particulièrement intéressés au Québec. Parmi les centres d'études canadiennes qui offrent des cours sur le Québec, il faut mentionner d'abord celui de l'Université de New York (SUNY) à Plattsburgh qui a mis sur pied en 1979 un séminaire annuel sur le Québec se tenant en partie à Montréal et en partie à Québec. Cette organisation est due à l'initiative diligente et talentueuse de Richard Beach et Jeanne Kissner qui ont ensemble dirigé le centre de Plattsburgh. Chaque année, un groupe d'environ une vingtaine d'universitaires américains (ou autres personnes apparentées) est formé à partir de plusieurs candidatures venant de partout aux États-Unis pour participer à ce séminaire multidisciplinaire qui s'accompagne de visites des deux villes et comprend aussi une journée de voyage en région, dans Charlevoix le plus souvent. Les membres du groupe entendent plusieurs conférenciers sur divers sujets relatifs à la vie québécoise : l'art, la littérature, le théâtre, l'environnement, la politique, l'économique, les relations industrielles, les minorités culturelles, la question linguistique et bien d'autres. Des conférenciers de divers horizons et de diverses tendances s'adressent à eux, représentants [336] des gouvernements, de l'opposition, des milieux économiques et autres. Du témoignage de quelques centaines d'Américains qui ont participé à ce séminaire, c'est là une expérience unique de contact avec le Québec. Ces personnes retournent dans leur pays avec une image assez adéquate de la société québécoise. Elles ont eu l'occasion de rencontrer un grand nombre de Québécois et d'entendre leurs opinions. Il est à peu près impossible qu'elles puissent être victimes d'erreurs de perception grossières comme c'est si souvent le cas aux États-Unis.

En juin 1998, à l'occasion de son vingtième anniversaire, les assises du Quebec Summer Seminar se sont déroulées à Saint-Malo en France, lieu d'origine de Jacques Cartier et de nombreux ancêtres des Québécois. Sous le regard perplexe et amusé des personnalités françaises qui les prenaient parfois pour des Canadiens de langue anglaise, les universitaires américains qui participaient au colloque d'une semaine ont été à même de constater l'intensité des amitiés franco-québécoises dans cette région de la France tout en écoutant des conférenciers venus du Québec et en participant à des débats sur plusieurs questions. D'autres « québécistes », de France et de quelque dix pays d'Europe et même d’Amérique latine, ont participé aux travaux du séminaire. C’était là un regroupement impressionnant d'observateurs et de spécialistes de la société québécoise sous un angle ou sous l'autre. Des Américains auront donc favorisé une rencontre internationale d'études québécoises !

Il arrive aussi que certains organismes qui ont des objectifs plus larges se penchent sur la question du Québec. Par exemple, l’Americas Society, une organisation américaine nationale dont le siège est à New York, tout près de celui du Council on Foreign Relations et s'adressant [337] à une clientèle semblable , est vouée à une meilleure compréhension des questions qui touchent l'hémisphère occidental, c'est-à-dire, dans un premier temps, l'Amérique latine, mais aussi le Canada. Cette société, entre autres activités de sa direction canadienne, a organisé, durant une certaine période, entre 1985 et 1995, une conférence annuelle, sous le titre évocateur de Jean Lesage lecture (sous le patronage de la société québécoise Alcan), pour traiter du rôle du Québec contemporain sur le plan international aussi bien que dans le contexte canadien. Une personnalité du Québec, du secteur privé, de la fonction publique ou du milieu universitaire, était invitée à s'adresser aux membres, issus du milieu des affaires, des professions libérales, des universités ou d'autres pour stimuler la discussion sur l'évolution du Québec. C'était une occasion de plus de faire connaître le Québec auprès d'un milieu choisi de la métropole américaine. Les activités canadiennes de cette

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société ont périclité depuis 1995 et, en conséquence, celles qui portaient sur le Québec.

De grandes organisations nationales vouées à la promotion d'activités intellectuelles, comme l'American Academy of Arts and Sciences et l'American Academy of Political and Social Science, s'intéressent, à l'occasion, soit aux relations canado-américaines, soit au Canada comme tel. La première publie la revue Daedalus, la seconde, The Annals. Ce sont là deux revues anciennes et prestigieuses qui ont présenté, à quelques reprises, des numéros spéciaux sur le Canada. Une édition récente de la revue The Annals of the American Academy of Political and Social Science porte le titre « Being and Becoming Canada » et [338] traite en long et en large des grandes questions de l'heure au Canada, y compris celle de la place du Québec et de son statut constitutionnel.

Rappelons encore (voir chapitre 5) les grandes associations de professeurs de français : l'American Association of Teachers of French a tenu son congrès annuel au Québec à plusieurs reprises, dont celui de 1998 à Montréal. Une autre association de professeurs « français » a modifié récemment son appellation pour s'afficher comme l'association des professeurs francophones, incluant ainsi ceux qui ne sont pas des Français, particulièrement les Québécois. Cet éveil à la réalité québécoise de la part de ceux qui enseignent la langue française aux États-Unis ne date que des années soixante-dix. Auparavant, la plupart des Américains qui apprenaient le français pouvaient croire, souvent en raison du témoignage même de leurs professeurs, que le français parlé et écrit au Québec n'était qu'un patois, une sorte de sous-produit de la langue française. Ce n'est plus le cas et la littérature québécoise est maintenant enseignée comme une composante essentielle et dynamique de la littérature d'expression française.

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CONTRIBUTIONS PARTICULIÈRES

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Nous nous devons enfin de signaler des contributions particulières : des ouvrages qui traitent du Québec et des cours universitaires consacrés au Québec. Les livres sur le Québec ne sont ni très nombreux ni susceptibles d'attirer plusieurs lecteurs aux États-Unis. Le plus souvent, le Québec fait l'objet d'un chapitre dans un livre sur le Canada. Comme on s'est adressé fréquemment à des spécialistes québécois pour rédiger ces textes au cours des dernières années, ces contributions ont pu donner une [339] meilleure image de la réalité. Il arrive aussi que des ouvrages portant sur des questions plus vastes comme le nationalisme dans le monde ou autres questions internationales mentionnent le Québec en passant ou lui accordent quelques lignes. Ces références ne sont habituellement pas très heureuses. La tendance des spécialistes du nationalisme, par exemple, est de négliger la réalité québécoise. Ainsi, à notre connaissance, la plupart des livres publiés aux États-Unis portant sur la nation et le nationalisme classent le cas du Québec parmi ce qu'on appelle le « nationalisme ethnique » et ne se donnent pas la peine d'en faire une analyse nuancée. Qu'une région d'un pays démocratique comme le Canada manifeste des tendances centrifuges n'incite guère les observateurs à considérer ce phénomène comme progressiste.

C'est dans ce désert de connaissances que sont apparues des publications qui relèvent d'une étude plus sérieuse, plus approfondie. Nous ne pouvons les mentionner toutes ici, même si elles sont peu nombreuses. Relevons seulement quelques titres. D'abord un livre inspiré par le regretté Ivo Duchacek (décédé en 1988),qui fait exception à la tendance habituelle des scholars à ne mentionner le Québec qu'en passant et d'une manière négative. Duchacek, longtemps professeur à la City University de New York, voyait le Québec comme un exemple intéressant de ce qu'il appelait les souverainetés perforées, c'est-à-dire des pays souverains où des régions cherchent à s'assurer une plus large autonomie. À la suite d'un séminaire tenu à New York sur cette question, le professeur newyorkais a stimulé la production d'un ouvrage qui analyse le cas québécois parmi d'autres de même nature .

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Le livre de Marc Levine, The Reconquest of Montreal constitue non seulement une des études les plus éclairées publiées aux États-Unis sur la réalité québécoise, mais aussi une des meilleures analyses, des mieux documentées, sur la question linguistique dans le cadre de la métropole québécoise. Ce livre a été traduit en français . Marc Levine est professeur d'histoire à l'Université du Wisconsin à Milwaukee, membre actif de l’ACSUS et de l'ACQS et auteur de nombreux articles dans les deux revues de ces associations.

Joseph T. Jockel a écrit plusieurs ouvrages sur le Canada, sur les relations canado-américaines, en particulier sur les questions militaires qui sont sa spécialité. Américain de naissance, on peut le considérer comme un produit type du renouveau des études canadiennes et québécoises stimulé par les deux gouvernements concernés. Jockel, ayant fait ses études avancées à SAIS de Johns Hopkins à Washington, a donc bénéficié des enseignements offerts dans cette institution sur le Canada. Il a par la suite été directeur du programme canadien au Centre d'études stratégiques de Washington (Center for Strategic and International Studies), puis directeur du centre d'études canadiennes de St. Lawrence University (Canton, dans l'État de New York). Rappelons qu'il a été président de l’ACSUS en 1996-1997 et a organisé, à ce titre, le séminaire dont nous faisions état plus haut. Jockel a traité du Québec à plusieurs reprises avec une remarquable justesse et un sens aigu de l'analyse nuancée. Il a produit en 1991 une brochure, dans une collection du Centre d'études [341] canadiennes de l'Université du Maine, qui fournit une analyse objective des incidences de la sécession du Québec sur la politique américaine. Il y répète que les États-Unis favoriseront toujours l'unité canadienne mais qu'ils respecteront la volonté des Québécois si elle s'exprime dans le sens de la souveraineté et pourraient fort bien s'employer alors à « encourager » le Canada à contracter une union économique avec le Québec, ce qui pourrait valoir à la nouvelle union canadienne son maintien dans le groupe des pays industrialisés du G-7 ou G-8 .

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À l'hiver de 1985, Jockel était stagiaire au département d'État, à Washington. Il a contribué alors à la préparation du discours que le président Ronald Reagan devait prononcer lors de sa visite à Québec pour une rencontre au sommet avec le premier ministre Brian Mulroney. Cette contribution valut au Québec un des discours les plus bienveillants qu'un président américain ait jamais prononcé à l'endroit d'une province canadienne .

[342]

Un autre ouvrage fort éclairant sur les implications d'une souveraineté québécoise pour les États-Unis est celui de Jonathan Lemco, autrefois professeur adjoint à SAIS, Johns Hopkins à Washington, puis directeur des activités canadiennes à la National Planning Association (aujourd'hui National Policy Association) dans la capitale, maintenant à l'emploi de Crédit Suisse - First Boston Corporation de New York : Turmoil in the Peaceable Kingdom : The Quebec Sovereignty Movement and its Implications for Canada and the United States . Ce livre offre des perspectives plutôt négatives sur une éventuelle souveraineté du Québec, mais il est écrit sur un ton modéré et intelligent. Il faut dire que l'auteur est natif de Montréal. L'ouvrage de Lansing Lamont , autrefois directeur du programme canadien de l’Americas Society, est beaucoup moins serein. Intitulé Breakup et prenant l'allure d'une fiction apocalyptique sur le démantèlement du Canada, il est peu éclairant. Il a tout de même alimenté les discussions. Dans un autre domaine, il faut signaler deux ouvrages intéressants pour les étudiants du cinéma et du théâtre québécois, dirigés par Joseph Donohoe de Michigan State University et Jonathan Weiss de Colby College (dans le Maine) : le premier, de Donohoe, est un recueil d'essais sur le cinéma du Québec ; le second, de Donohoe et Weiss, un ensemble de textes sur le théâtre. Enfin, Susan Boldrey, de Chicago, une amie passionnée du Québec, est l'auteure d'un ouvrage remarquable sur la chanson québécoise : La chanson québécoise : reflet social d'un peuple.

[343]

Au chapitre de l'enseignement, de nombreux cours sont offerts, dans un bon nombre d'universités, portant sur le Canada. Certains ont accordé une place de choix au Québec alors que leurs titulaires ont invité des conférenciers québécois à plusieurs reprises. Tel était le cours que Barrie Farrell offrait chaque année à l'Université Northwestern. Jusqu'à sa mort en 1994, ce célèbre professeur intéressait quelque deux cents étudiants à la politique canadienne en leur donnant un enseignement dynamique toujours bien documenté et mis à jour. C'était probablement le cours de politique canadienne le plus fréquenté aux États-Unis. Plusieurs Canadiens, professeurs d'université, journalistes, responsables politiques ont eu l'occasion de s'adresser aux étudiants de la prestigieuse Université d'Evanston, en Illinois, dans la banlieue de Chicago. Des esprits ouverts au Canada, tout particulièrement au Québec, ont été ainsi formés et ont occupé par la suite des fonctions importantes, soit dans l'entreprise privée, soit dans les affaires publiques. De plus, Barrie Farrell organisait chaque été un séjour des meilleurs de ses étudiants à l'Université Laval où ils suivaient des cours de français pour voyager ensuite à travers le Québec et d'autres régions du Canada. Enfin, ce même professeur d'origine canadienne, qui avait ses entrées partout au Canada, notamment au Québec, en dépit du fait qu'il ne parlait pas français, avait conclu des ententes avec les universités québécoises pour assurer à quelques diplômés québécois de science politique des études de doctorat à Northwestern. Ainsi cinq professeurs de science politique, de Laval, Montréal, Concordia, McGill et de l’École nationale d'administration publique ont reçu leur diplôme de Ph.D. de l'institution d'Evanston grâce aux bons soins de Barrie [344] Farrell . Malheureusement, toutefois, ni son programme d'études canadiennes ni les accords avec le Québec ne lui ont survécu.

Un autre cours de grande qualité est celui de Martin Lubin, spécialiste de la politique québécoise, qui a grandi et vécu à Montréal. Lubin est bien connu pour ses recherches minutieuses et sa compétence inégalée sur certains aspects de la politique au Québec. Il enseigne au département de science politique de l'Université de New York (SUNY) à Plattsburgh et donne un cours portant exclusivement sur la politique québécoise. De l'autre côté du lac Champlain, André Senécal dirige le Centre d'études canadiennes de l'Université du Vermont. Il est considéré comme la personne la plus au fait des études québécoises aux États-Unis. Il a publié en 1990, conjointement avec Robert Gill, un autre québéciste, une anthologie sur ce

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sujet . Il offre aussi des cours portant sur le Québec.

L'École des hautes études internationales de Johns Hopkins (SAIS) sise à Washington offre aussi à tous les deux ans un cours avancé (deuxième ou troisième cycle) sur le Québec, selon une formule originale. Des professeurs du Québec sont invités à offrir tour à tour quatre heures d'exposés, formulent des questions d'examen à la fin de la session et corrigent les examens. Le tout est supervisé par le directeur du programme d'études canadiennes de cette institution, le professeur Charles Doran , spécialiste à la fois de la politique étrangère des [345] États-Unis et des relations avec le Canada, une personne souvent consultée par les gouvernements au sujet du Canada. De plus, des personnalités canadiennes, québécoises à l'occasion, sont souvent invitées à s'adresser aux étudiants de SAIS et à un public de la capitale. Des cours traitant du Québec sont offerts dans plusieurs autres universités, soit par des professeurs canadiens ou québécois invités, soit par des spécialistes américains. Mentionnons encore seulement le programme de qualité offert par Brigham Young University sous la direction d'Earl Fry, un politologue qui connait bien le Québec.

Ce tour d'horizon ne peut prétendre être exhaustif Il devrait amplement suffire cependant à démontrer qu'il existe un important réservoir américain d'intérêt, d'attention et de compétence en ce qui a trait au Québec à divers niveaux de la vie intellectuelle. On est en droit de se demander si ce savoir serait utilisé en temps de crise ou de décision importante concernant le Québec. S'il était utilisé, il faudrait encore voir comment il le serait et dans quelle perspective. En dépit des conjectures plausibles établies par les analystes et par nous-mêmes au chapitre 3 de cet ouvrage, il est encore très difficile de répondre à cette question de façon précise. Nous espérons seulement l'avoir éclairée quelque peu à la lumière des diverses perceptions américaines.

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

ÉPILOGUE

Perspectives d’avenir

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À la lumière des diverses perceptions relevées dans les cinq chapitres qui précèdent, il apparaît assez clairement que les Américains, de plus en plus nombreux, qui s'intéressent au Québec souhaitent, en très grande majorité, que la province francophone du Canada demeure ce qu'elle est, une entité particulière, distincte, dynamique à l'intérieur d'un grand pays bilingue. Il semble bien que, depuis 1977, le scénario qui convienne le mieux à l'intérêt des États-Unis soit celui d'une formule de compromis entre la vision nationale centralisée du Parti libéral du Canada et le projet souverainiste du Parti québécois. Un grand nombre d'observateurs américains, probablement la majorité d'entre eux, ont pris conscience des différences entre leur pays et le Canada : ils ont souscrit aux formules d'amendement constitutionnel qui visaient à accommoder le Québec et ils ont été, par exemple, moins sensibles que les Canadiens de langue anglaise aux arguments utilisés pour décrier l'accord du lac Meech.

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L'APPUI À L'UNITÉ CANADIENNE

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Cependant les Américains tiennent beaucoup au maintien de l'union canadienne. Ils redoutent le démantèlement [348] du pays voisin. Plusieurs analystes américains, comme on l'a vu, ont évoqué cette perspective en envisageant l'hypothèse de l'accession du Québec à la souveraineté. Aucun d'entre eux, si l'on excepte les considérations de quelques journalistes et personnages politiques peu représentatifs, n'y a perçu quelque avantage pour les États-Unis. Répétons-le, les Américains, si fiers soient-ils de la puissance de leur pays et soucieux de son leadership dans le monde, ne sont généralement pas machiavéliques au point où ils entendraient « diviser pour régner », selon le vieux slogan attribué aux Britanniques. Du moins en ce qui concerne leurs alliés, ils les préfèrent nettement constitués en grands ensembles. Dans le cas du Canada, en particulier, elle est depuis longtemps révolue l'époque où on pouvait rêver d'effacer la frontière du nord et d'étendre la « destinée manifeste » au territoire canadien. Peut-être parce que les frontières ont perdu leur signification et surtout parce que les relations avec le Canada se poursuivent dans l'harmonie, les Américains ne voient aucun intérêt à profiter des querelles canadiennes ou d'une éventuelle sécession pour créer de nouveaux États dans leur union.

Ajoutons à cela les multiples sympathies qui existent et sont toujours entretenues entre Américains et Canadiens de langue anglaise dans toutes les régions d'est en ouest. Comme nous l'avons noté au chapitre 2 et tout au long de cet ouvrage, on ne peut longtemps traiter du Québec dans le cadre nord-américain sans faire état de ces connivences qui sont observables aussi bien chez les populations issues de l'immigration plus ou moins récente que chez les descendants des révolutionnaires et loyalistes. En conséquence, la plupart des Américains appartenant à cette minorité qui entretient des opinions [349] sur le Québec seront plus enclins à blâmer les nationalistes québécois dans leur incessante quête d'identité et de reconnaissance que leur contrepartie du Canada anglophone qui se refuse à toute concession à l'endroit du Québec. On peut donc prévoir qu'un ensemble de facteurs et de forces sociopolitiques et économiques va continuer de produire le plus souvent un préjugé favorable à la majorité anglo-canadienne dans la population américaine.

Dans ces circonstances, les dirigeants québécois ont souvent visé bien davantage à s'assurer de la discrétion américaine plutôt que d'un appui à la cause du Québec dans les litiges canado-québécois. Surtout dans le cas du projet souverainiste, une sorte d'entente tacite relative au maintien d'une certaine distance de la part de Washington pourrait bien correspondre à la fois à l'intérêt du Québec et à celui des États-Unis. Ainsi plusieurs Américains ont cru préférable de ne pas créer d'antagonisme dans la population québécoise par des interventions qui seraient jugées trop agressives. Il s'est toujours trouvé, et il s'en trouvera encore, des conseillers et des amis canadiens pour dénoncer ces scrupules et faire valoir que les Québécois accueilleraient assez bien de telles pressions américaines. Mais le plus souvent l'opinion bienveillante et respectueuse a triomphé .

Si par exemple un référendum québécois produisait une majorité favorable à la souveraineté, on pourrait penser que Washington favoriserait d'abord un dernier effort de la part des parties en vue de convenir de nouveaux aménagements constitutionnels qui préserveraient [350] l'union canadienne, surtout si la majorité n'était pas considérable. S'il s'avérait impossible d'en venir à de tels arrangements, ce sont alors des négociations expéditives que favoriseraient les Américains en vue de maintenir un maximum d'union économique entre le Québec et les autres provinces canadiennes. Ils pourraient aussi songer à un accord séparé entre les États-Unis et le Québec . Ils accueilleraient l'utilisation de la monnaie canadienne par un Québec souverain ou du moins une monnaie québécoise fluctuant avec la monnaie canadienne en attendant que le dollar canadien s'accroche aussi au dollar américain.

Dans quelle mesure le réservoir d'intérêt et de perceptions sympathiques dont nous avons fait état affectera-t-il les décisions qu'on pourrait prendre à Washington au sujet du Québec ? Il est très difficile sinon impossible de répondre à cette question, car il arrive souvent qu'on prenne des décisions politiques

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importantes au sommet de la hiérarchie politique américaine sans faire appel aux meilleurs experts ni même aux expertises accumulées par les divers niveaux de la fonction publique. On attache souvent plus d'importance aux perceptions générales du public américain qu'à celles de la portion de ce public qui est le mieux au fait des questions et des intérêts particuliers qu'elles impliquent. Il est loin d'être exclu cependant, surtout quand il ne s'agit pas d'une crise majeure, que les meilleurs experts contribuent à une orientation politique. [351] Comme on peut penser, en toute vraisemblance, que le cas du Québec ne fera pas l'objet d'une crise nationale aux États-Unis, il est permis d'envisager que tout le capital de sympathie acquis par le Québec au cours des années pourra produire de modestes retombées positives. Mais le contraire n'est pas à écarter, c'est-à-dire que les membres du Congrès les plus protectionnistes pourraient en profiter pour faire la vie dure au nouveau voisin.

Quoi qu'il en soit, le Québec ne peut que se situer encore davantage dans la mouvance américaine au cours des années à venir. Cette évolution se manifestera sans doute différemment et à des degrés divers, selon qu'on envisage les relations politiques, les relations économiques ou les relations culturelles.

LES RELATIONS POLITIQUES

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Le gouvernement du Québec a déjà réduit considérablement sa représentation aux États-Unis. Pour des raisons relatives à l'assainissement des finances publiques, on a fermé en 1996 quatre délégations du Québec (à Boston, Chicago, Los Angeles et Atlanta) pour tout concentrer à la délégation générale de New York et à sa modeste succursale touristique de Washington. En dépit des déclarations du gouvernement qui s'est engagé à poursuivre des relations étroites, cela n'a pu que signifier une diminution des relations politiques. Les partenaires locaux ont été nombreux à percevoir le changement dans ce sens. Au surplus, ces fermetures sont survenues à une époque où le gouvernement fédéral du Canada, dans la foulée du choc référendaire de 1995, mettait tout en œuvre pour apparaître comme le seul véritable représentant des citoyens canadiens, québécois comme les autres, [352] à l'étranger. On a vu plus haut (au chapitre 10) comment l'ambassadeur Chrétien ne laissait planer aucun doute à ce sujet. Nous avons aussi mentionné les difficultés faites au conseiller politique de la délégation générale de New York dans ses incursions à Washington. Il est plutôt difficile d'imaginer, à court terme du moins, que le gouvernement canadien devienne moins intransigeant à ce sujet, même avec des fédéralistes au pouvoir à Québec.

Comment donc prévoir une intensification des relations politiques ? Il est bien vrai que, du côté de Washington, l'exécutif américain ne laisse guère de place à un interlocuteur québécois. La politique américaine est cependant fort complexe et elle le demeurera. Tout en se refusant à traiter avec des politiques québécois et en laissant l'ambassadeur en poste à Ottawa collaborer entièrement avec le gouvernement canadien dans ses visées diplomatiques centralisatrices, le département d'État autorise son consul général à Québec à jouer un rôle nettement politique auprès des instances québécoises. De plus, le Québec peut bénéficier d'une séparation des pouvoirs américains qui tend à s'accentuer depuis la fin de la guerre froide. Nous y reviendrons plus bas. Les représentants québécois auront toujours accès, d'une manière ou d'une autre, aux membres du Congrès. Enfin, et c'est là sans doute ce qui compte davantage, les gouvernements locaux sont généralement fort bien disposés envers leurs homologues des provinces canadiennes. Des rencontres de plus en plus fréquentes, du type de celles qui ont eu lieu lors du voyage du premier ministre Bouchard en juin 1998, témoignent bien de ce climat qui est fort différent de celui qui règne à Washington. Il est à prévoir qu'on sera de plus en plus persuadé à Québec de l'importance croissante des relations politiques à ce niveau. Même si le [353] Québec allait devenir souverain et établir des relations officielles avec le gouvernement américain, les relations avec les États conserveraient leur pertinence toute particulière.

Le gouvernement du Québec ne peut donc qu'intensifier ses relations politiques avec les États-Unis. Déjà, on semble avoir pris conscience, au ministère des Relations internationales et au Cabinet du premier ministre, des retombées négatives des fermetures brusques de délégations. On corrigera sans doute le tir

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d'une manière ou d'une autre, car il apparaîtra de plus en plus évident que le Québec ne saurait faire l'économie de relations politiques suivies avec ses voisins du sud. Dans la mesure où les institutions politiques garderont leur pertinence dans un contexte de mondialisation croissante, et nous ne voyons pas pourquoi il n'en serait pas ainsi , la politique québécoise se devra d'inscrire l'insertion du Québec dans l'Amérique du Nord parmi ses priorités.

Il ne sera plus possible, comme ce pouvait l'être dans le passé, d'ignorer ou de feindre d'ignorer le poids énorme des États-Unis dans la décision politique. La croissance des relations à d'autres niveaux ne laissera guère de choix aux responsables politiques québécois.

LES RELATIONS ÉCONOMIQUES

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Au niveau économique, les tendances lourdes des années quatre-vingt-dix nous invitent à prévoir que les liens étroits de l'économie du Québec avec celle des États-Unis continueront de s'accentuer. Les taux de croissance [354] seront probablement moins spectaculaires que durant les années qui ont suivi la ratification de l'Accord de libre-échange, mais tout indique qu'ils seront encore significatifs.

Il se peut que des responsables politiques américains, les membres du Congrès tout particulièrement, et les groupes d'intérêt qu'ils représentent exercent des pressions pour contrer les énormes surplus enregistrés par le Québec dans les échanges commerciaux avec les Etats-Unis . Toutefois les critiques et les pressions seront toujours moins virulentes à l'endroit du Québec qu'elles le sont envers des partenaires plus éloignés comme le Japon et la Corée du Sud, dont les avantages relatifs sont moins considérables que ceux du Québec. Cela tient à plusieurs facteurs. D'abord, les échanges américano-québécois prennent place dans le cadre d'une zone privilégiée, l'ALÉNA. Ils se situent aussi, dans une proportion beaucoup plus considérable que ce n'est le cas pour les autres partenaires commerciaux non canadiens des États-Unis, à l'intérieur d'entreprises multinationales dont les sièges sociaux sont le plus souvent américains. Enfin, les affinités culturelles et l'indifférence traditionnelle à l'endroit du Canada peuvent contribuer à atténuer les frustrations et leurs manifestations politiques.

Du côté du Québec, même si on reconnaît les bienfaits qu'engendrent les échanges commerciaux avec les États-Unis, on serait en droit de s'inquiéter de leur proportion excessive dans l'ensemble du commerce extérieur québécois. On pourrait mettre en œuvre des mesures pour alléger quelque peu la dépendance à l'endroit du voisin du [355] sud, comme le gouvernement canadien a tenté de le faire sans succès au cours des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Mais rien ne présage qu'on puisse aller très loin dans cette direction.

L'élargissement de l’ALÉNA pourrait fournir des occasions au Québec de se solidariser davantage avec les pays d'Amérique latine, d'augmenter les échanges avec ces partenaires et de réduire, par là même, le poids relatif des États-Unis. Dans la mesure où le Congrès américain continuera de se traîner les pieds et de refuser à l'exécutif une ratification rapide d'accords avec d'autres pays, le Canada pourrait conclure des accords bilatéraux, comme il l'a fait avec le Chili. Cependant les résultats peu reluisants du commerce avec le Mexique depuis l'entrée en vigueur de l’ALÉNA et le faible volume des exportations québécoises dans ces régions ne laissent entrevoir guère plus qu'une très légère expansion du commerce entre le Québec et ces pays dont la plupart sont en voie de développement. Il faut plutôt songer à des exportations de produits semi-finis ou de composantes destinés à être transformés ou assemblés aux États-Unis avant d'être finalement expédiés au Mexique ou dans d'autres pays d'Amérique latine.

Le Québec pourrait bénéficier davantage d'un accord commercial de libéralisation des échanges entre l’ALÉNA et l'Union européenne qui faciliterait l'accroissement du commerce avec les partenaires européens. Ces perspectives demeurent éloignées au moment où nous écrivons ces lignes. L'intransigeance du Congrès américain ajoutée à l'insistance des Européens pour ne pas abandonner certaines politiques

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protectionnistes ne permettent pas d'entrevoir une évolution rapide de ce dossier. Pour que soit significative une libéralisation des échanges entre [356] l'Europe et l'Amérique du Nord, il faudrait qu'elle porte sur des secteurs sensibles tels que l'agriculture, le textile, le vêtement, l'aéronautique, les services d'affaires et autres qui font l'objet d'importantes subventions de la part des États européens. À moyen terme, ces États ne verront aucun intérêt à ouvrir les portes aux échanges avec des Nord-Américains qui jouissent déjà d'avantages comparatifs dans ces secteurs.

Quant aux échanges québécois avec les autres pays, ils sont déjà relativement très faibles et déficitaires. Le progrès des exportations du Québec vers ces pays ne peut être que lent si l'on tient compte de la forte réticence des pays asiatiques, en particulier, à ouvrir leurs portes aux produits finis nord-américains. On peut donc prévoir que les importations québécoises continueront de croître plus rapidement que les exportations. Enfin, les investissements asiatiques et européens pourront poursuivre leur croissance, mais tout laisse prévoir qu'ils viseront surtout le cadre nord-américain. Comme nous l'avons noté plus haut, les investisseurs d'outre-mer sont, en général, plus prudents et circonspects à l'endroit du Québec que ne le sont les Américains.

Ainsi, quelle que soit l'orientation constitutionnelle du Québec, son économie demeurera irrémédiablement liée aux échanges avec les États-Unis. Comme nous croyons l'avoir démontré au chapitre 4, le dynamisme même de l'économie québécoise dépend d'abord et avant tout de son insertion dans le cadre nord-américain. À moins d'une libéralisation subite et imprévue des échanges avec les pays d'Europe et ceux du Pacifique, le poids des États-Unis dans le commerce extérieur du Québec ne peut que s'accroître et il est probable qu'à long terme, il croîtra plus rapidement que celui des autres provinces canadiennes. [357] Sans doute les taux de croissance des échanges américano-québécois et les surplus qui en résultent pour le Québec vont-ils fluctuer d'année en année selon les cycles économiques, les variations du taux de change du dollar canadien et d'autres facteurs. Il en résultera que les liens nord-sud l'emporteront de plus en plus sur les échanges canadiens d'est en ouest. Le Québec en deviendra moins dépendant de l'économie canadienne et du lien fédératif

Les partenaires américains n'en continueront pas moins d'appuyer le maintien de la fédération canadienne pour diverses raisons que nous avons énumérées tout au long de ce livre. Il est vrai qu'ils sont généralement beaucoup moins préoccupés par les facteurs politiques que ne le sont les milieux économiques canadiens. Mais, comme on l'a vu durant les dernières semaines de la campagne référendaire de 1995, ils sont susceptibles de manifester leurs inquiétudes aux moments cruciaux, quand le Québec se rapproche vraiment de l'objectif de la souveraineté. On peut croire cependant que le Québec pourrait réaliser son indépendance sans encourir une crise grave ni une défection majeure des partenaires économiques américains, comme nous l'avons indiqué plus haut. Il faudrait tout de même s'attendre à des bouleversements coûteux durant une période d'adaptation d'au moins une année ou deux. Il apparaît en outre presque certain que les Américains profiteraient des inévitables négociations relatives à la rentrée du Québec dans l'ALÉNA pour faire valoir certaines exigences et contrer des politiques québécoises qui leur semblent trop dirigistes, comme les subventions, directes ou indirectes, à l'exportation.

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LES RELATIONS CULTURELLES

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Les relations culturelles devraient aussi continuer de s'accroître. Le nationalisme québécois, qui fut longtemps très défensif à l'endroit de la culture américaine, a évolué vers une prise de conscience de l'américanité québécoise. Cette conscience d'appartenir à l'Amérique du Nord est beaucoup plus forte chez les jeunes, si nationalistes soient-ils, que chez leurs aînés. L'ouverture culturelle aux États-Unis ne peut donc que se poursuivre, de même qu'un approfondissement de la dimension américaine de la culture québécoise. Même ceux qui sont plutôt tournés vers l'Europe ou vers la francophonie deviennent de plus en

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plus convaincus de leur contribution proprement américaine à ces autres univers d'appartenance. « Dire l'Amérique en français », voilà qui caractérise de plus en plus l'apport québécois (ou canadien-français) dans les organisations francophones.

Sans doute les Québécois continueront-ils de veiller à leur « exception culturelle » dans les échanges économiques. L'américanisation demeurera une menace de plus en plus redoutable, d'autant plus que les nouvelles technologies de l'information et du multimédia entrent au Québec par la frontière américaine et contribuent à la rendre de moins en moins pertinente. La combinaison de ces progrès technologiques spectaculaires et de l'intensification des échanges économiques avec les États-Unis pourrait bien agir d'une manière plus décisive que jamais tant au niveau des élites qu'au niveau des masses.

Le Québec continuera, comme l'ensemble du Canada, de combattre pour maintenir l'exclusion de la culture de l'Accord de libre-échange, mais le partenaire américain n'est pas près d'abandonner la partie dans ce qui constitue une industrie primordiale vouée à l'exportation et qu'on [359] se refuse toujours d'envisager en termes proprement culturels. Les coûts économiques de la lutte à l'invasion des produits culturels américains pourraient devenir insoutenables. Il est vrai que les Québécois ont des moyens culturels particulièrement efficaces, liés à l'originalité de la langue et de la culture québécoises, non pas pour faire obstacle au produit américain, mais pour offrir leurs propres produits concurrentiels. Toutefois, on peut toujours se demander si les gouvernements et autres organismes de soutien à la culture pourront toujours fournir les ressources suffisantes. Les coupures draconiennes qu'on a fait subir à certains programmes culturels internationaux ne laissent guère de place à l'optimisme à ce chapitre. Il faudra faire comprendre que le rayonnement culturel d'une petite société comme celle du Québec est bien loin d'être un luxe. Il en va de l'existence même de la distinction québécoise et, en définitive, de sa santé économique.

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NOUVEAUX COURANTS

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Les relations du Québec avec les États-Unis seront aussi tributaires des mutations profondes subies par la superpuissance voisine et des nouvelles orientations de sa politique étrangère. Un certain nombre de nouveaux courants qui se manifestent au tournant du siècle pourront modifier la nature des rapports entre Québécois et Américains. Tout particulièrement depuis la fin subite et inattendue de la guerre froide, les États-Unis sont en voie de se redéfinir par rapport au monde et de repenser l'ensemble de leurs relations.

D'abord la chute du mur de Berlin et le démantèlement du bloc de l'Est ont accéléré un mouvement qui [360] progressait déjà depuis plusieurs années et qui a d'ailleurs favorisé la fin des antagonismes bipolaires, c'est-à-dire le processus de mondialisation des marchés, de libéralisation des échanges et de priorités accordées un peu partout aux impératifs économiques. Il est bien évident que l'intensification des relations du Québec avec les États-Unis prend place dans ce grand courant. Cela est vrai des échanges politiques et culturels aussi bien que des échanges économiques. La montée de ce qu'on appelle le « néolibéralisme », qui est en fait un retour à un vieux libéralisme orthodoxe dont on cherche à soustraire tous les correctifs sociopolitiques qu'on avait inventés depuis le dix-neuvième siècle, ne finit plus de produire ses effets. Tant aux États-Unis, où le Parti démocrate n'est plus que l'ombre de ce qu'il était, qu'au Canada où le Parti libéral n'a pu offrir rien de mieux à son électorat que la reconduction des politiques du Parti progressiste conservateur. Le Québec a subi les mêmes ondes de choc et s'y est ajusté, tout particulièrement en fonction de ses relations avec son puissant voisin.

Il résulte aussi de cette nouvelle économie mondiale que les frontières n'ont plus la même pertinence et que les distances ne comptent plus autant qu'autrefois. En conséquence, l'insertion du Québec dans l'économie du continent s'impose de plus en plus et peut même faire fi des déplacements des centres de gravité de l'économie américaine. Il est possible au Québec d'utiliser sa présence dans les États du Nord-Est américain pour accentuer ses échanges avec les régions plus dynamiques du Sud et de l'Ouest.

Sans doute, encore pour une bonne part en raison de la fin de la guerre froide, on assiste aussi aux États-Unis à une décentration de la décision politique. La présidence [361] américaine, pour des raisons stratégiques et aussi sociopolitiques, était devenue un énorme centre de pouvoir au point où on a parlé, à l'époque de Richard Nixon, de « présidence impériale ». L'obsession américaine de limitation du pouvoir a contribué à renforcer le pouvoir du Congrès face au président, mais c'est surtout depuis 1990 que les pouvoirs et le prestige de l'exécutif américain ont diminué. Les déboires du président Clinton n'ont rien fait pour atténuer ce courant. Il en résulte un accroissement des autres pouvoirs politiques américains, non seulement ceux du Congrès mais aussi ceux des gouvernements locaux ou régionaux. Le Québec tirera sans doute parti de cette situation. Comme nous l'avons souligné plus haut, les relations politiques au niveau des États gagneront en pertinence.

Un autre phénomène est bien visible aux États-Unis depuis les années soixante-dix. C'est ce qu'on a appelé le renouveau ethnique qui comporte une grande richesse mais suscite aussi de grandes inquiétudes. Contrairement à ce qui était devenu une sorte de philosophie nationale américaine avec le melting-pot ou l'intégration rapide et inconditionnelle des immigrants au mode de vie américain, du moins officiellement, les différents groupes ethniques qui composent la société américaine s'affirment de plus en plus en fonction de leur ethnicité et y trouvent une certaine fierté. Cela est vrai tout particulièrement des Afro-Américains mais aussi des Latino-Américains et des Asiatiques. Dans plusieurs villes américaines, l'usage de la langue espagnole, par exemple, est assez répandu pour que la majorité anglophone se sente menacée. Plusieurs États américains ont réagi en proclamant l'anglais langue officielle. Sans aller jusqu'à vouloir interdire l'usage d'autres langues, plusieurs personnalités se sont inquiétées [362] de l'affaiblissement des lignes de force de la nation américaine et du sentiment d'appartenance nationale. Les Québécois y ont vu une justification de la politique linguistique du Québec. Si, en effet, des anglophones craignent pour leur langue

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en Amérique du Nord, la petite société francophone du Québec n'a-t-elle pas cent fois plus raison de prendre des mesures pour protéger la langue commune des Québécois ? Mais la plupart des Américains ne voient pas les choses ainsi. Plusieurs voient au contraire le cas du Québec et même la politique de bilinguisme du gouvernement canadien comme de dangereux précédents, des exemples à ne pas suivre, car ils détruisent la belle harmonie linguistique de l’Amérique du Nord. Le renouveau ethnique américain ne sert donc pas la cause du Québec aux États-Unis ; d'autant moins qu'on a tendance à réduire sommairement le nationalisme québécois à un phénomène ethnique et que les minorités ethniques américaines elles-mêmes sont incitées à croire que la majorité québécoise tolère mal la multiethnicité. Comme on l'a noté plus haut, le Québec n'est pas très bien servi par les médias à ce chapitre comme à d'autres.

Enfin, l'abandon de ce qu'on a appelé le paradigme de la politique américaine de guerre froide, c'est-à-dire l'endiguement ou « containment » du communisme dans le monde, a coupé le souffle à l'élan internationaliste de la politique étrangère des États-Unis. Certains se sont même demandés si leur pays ne devait pas revenir à l'isolationnisme encore vivant durant la période de l'entre-deux-guerres. Il est certain qu'une telle politique n'est ni réaliste ni praticable. Mais cette tendance se manifeste ici ou là au sein du gouvernement américain et chez certains membres du Congrès qui s'enferment de plus en plus dans une [363] perspective rigoureusement nationale, voire nationaliste. Cela ne favorise pas les bonnes relations des Américains avec d'autres régions du monde, même pas celles qu'ils entretiennent avec leurs voisins. La réticence traditionnelle des Américains à s'ouvrir aux autres cultures (voir chapitre 6) s'en trouve renforcée. Cela ne sert pas les intérêts du Québec dans ses incursions américaines.

Les relations du Québec avec les États-Unis sont donc susceptibles de se poursuivre dans un contexte mouvant et moins prévisible où le pire voisinera souvent ce qu'il y a de meilleur. L'insertion du Québec dans l'Amérique du Nord demeurera ce qu'elle a toujours été, une expérience à la fois fascinante, inquiétante et périlleuse. Vivre dans l'espace américain constitue sans doute le défi majeur du Québec au vingt et unième siècle.

[364]

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LE QUÉBECDANS L’ESPACE AMÉRICAIN

INDEX

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A

Accord de réciprocité : 33.ACQS, American Council for Quebec Studies : 91, 331.ACSUS, Association for Canadian Studies in the United States : 91, 322.Acte constitutionnel : 3 1.Acte de Québec : 30.Aéronautique : 113.Aérospatiale : 113, 114.Agence canadienne d'examen des investissements étrangers : 76.Agriculture : 33, 90, 128.Agro-alimentaire : 175.Alberta : 120,172.Alcan : 77.ALÉ, Accord de libre-échange canado-américain : 126, 252, 280, 306.ALÉNA, Accord de libre-échange nord-américain : 104, 107, 140.Allaire, Rapport : 234.Ambassade américaine : 101, 303.Ambassade du Canada : 86, 87, 98, 99, 169, 223, 256, 283, 306, 324, 325, 332.American Academy of Arts and Sciences : 337.American Academy of Political and Social Sciences : 337.American Association of Teachers of French : 91, 338.American Councilfor Quebec Studies : 9 1, 331.Américanisation : 38.Américanité: 18, 23, 39, 182, 187, 193, 195, 199, 207, 208, 358.American Review of Canadian Studies, The : 328.Americas Society : 274.Amérique française : 34.Amérique latine : 337.Annals of American Academy of Political ans Social Science, The : 337.Annexionniste : 32, 184.Antiaméricanisme, mouvement : 39.Armstrong, Willis : 323.Assemblée nationale : 54, 101.Association for Canadian Studies in the United States : 91, 322.Association internationale d'études québécoises : 328.Assumption, Université : 222.[366]

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Atlanta, Georgie : 82.Audubon Society : 136.Autochtones : 60, 73, 137, 180, 236, 256, 275, 304, 332.Axworthy, Lloyd : 86.Axworthy, Tom : 320.

B Baie-james, Accord de la : 326.Baltimore Sun, The : 257.Bangor Daily News, The : 260.Banque du Canada : 246.Banque Nationale : 74.Barrières tarifaires : 123.Bas-Canada : 31, 46.Beach, Richard : 330.Beaudoin, Louise : 200.Beeraj, Christine : 181.Béland, Claude : 267.Bélanger-Campeau, Commission : 233.Bell, David V.J. : 43.Bernier, Ivan : 173, 203.Bernier, Luc : 344.Bertrand, Jean-Jacques : 68.Biculturalisme : 57.Bidwell, Percy : 318.Bill of Rights : 53.Biotechnologie : 113.Blais, Marie-Claire : 334.Blanchard, James J. : 300.Blank, Stephen : 259, 280.Bloc québécois : 233.Blohn, Robert : 248.Boldrey, Susan : 342.Bombardier : 77, 114, 165.Bonenfant, Jean-Charles : 49.Boston, Massachusetts : 68, 90.Boston Globe, The : 233.Boston Herald, The : 261.Bouchard, Lucien : 74, 79, 121, 226, 236, 250, 256, 284, 307, 311.Boucher, Marc T. : 330.Bourassa, Henri : 48. Bourassa, Robert : 50, 68, 72, 77, 95, 125, 133, 172, 235, 236, 249, 275.Bourse de Montréal : 275.Bourse de Toronto : 272, 275. Brandeis, Université : 321.Brésil : 151, 161.Brigham Young, Université : 345.Brimelow, Peter : 225.Brossard, Nicole : 334.Buchanan, Pat :225, 260.Buffalo News, The : 257.Bulchandani, Ravi : 279.Bureautique : 175.Burney, Derek : 239.Burton, Dan : 309.

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Bush, George : 290, 292.

C

Cadieux, Marcel : 50.CAI Corporation : 283. Caillé, André : 238.Caisse de dépôt et placement : 115, 124, 131, 174.Calgary, Alberta : 123.Californie : 82, 89, 221, 228.Campbell, Kim : 320.Campbell, Tom : 99, 308, 309.Campeau, Jean : 281.Canada Desk : 97.Canam Manac : 118.Careless, J.M.S. : 42.Carnegie Endowment for International Peace : 318. Carroll, John : 31.Carter, Jimmy : 102.Cartier, Jacques : 336. Cascades inc. : 118.Catholicisme : 30.[367]CBRS, Canadian Bond Rating Service : 269.C.D. Howe Institute : 174.Celluci, Paul : 226, 312.Center for Strategic and International Studies : 340.Chambre des représentants : 261, 308.Champlain, Lac : 89.Charlottetown, Accord de : 234, 236.Charte de la langue française : 186.Charte des droits et libertés : 53.Chicago, Illinois : 68, 322, 342.Chicago Tribune, The : 233, 258.Chili : 161.Chine : 151.Chipello, Christopher : 248.Chodos, Robert : 188.Chômage : 120.Chrétien, Jean : 173.Chrétien, Raymond : 332.Christopher, Warren : 104.Churchill, Chutes : 138.CIA (Central Intelligence Agency) : 95, 97.Ciaccia, John : 77.Cincinnati Enquirer, The : 258.Cirque du soleil : 205.Claiborne, William : 239, 269.Clark, Joe : 83.Clinton, Bill : 129, 261, 290, 292, 298, 299, 300, 301, 302, 361.Colby College : 334.Colombie-Britannique : 120.Colonisation : 26.Columbia, Université : 318.Commerce interprovincial : 249.

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Commission des Grands Lacs : 90.Commonwealth : 52, 94.Con Edison : 137.Confédération : 32, 46.Conference Board of Canada : 285.Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l'Est du Canada :89.Congrès des États-Unis : 13, 99, 137,161,295,300.Connecticut : 90, 221.Conseil des arts du Canada : 197.Conseil du patronat du Québec : 245.Constitution américaine : 184, 216.Constitution canadienne : 235.Consul général à Québec : 100.Coon Come, Matthew : 332.Corée du Sud : 15 1.Council of State Governments : 90.Council on Foreign Relations : 73, 318.Cour suprême des États-Unis : 56.Cour suprême du Canada : 53, 136.CQRI, Centre québécois de relations internationales : 319.Crédit Suisse - First Boston Corporation : 342.Cris : 136.CRTC, Conseil de la radio et des télécommunications du Canada :195.Csipak, James : 200.Cuccioletta, Donald : 200.Culture américaine : 36, 192.Culture canadienne : 198.[368]Culture politique : 313.Culture populaire : 181, 208.Culture québécoise : 195.Cuomo, Mario : 133.

DDaedalus : 337.Dallas, Texas : 68.Dallas Morning News, The : 257. Daneau, Marcel : 16.Dartmouth College : 137, 330.Davidson, John : 278.DBRS, Dominion Bond Rating Service : 269.Dean, Howard : 310.Déclaration d'indépendance : 31, 216.Defense Intelligence Agency : 333.De Gaulle, Charles : 95.DeKoninck, Marie-Charlotte : 181.Délégations du Québec : 13, 65, 67, 68, 74, 77, 80, 81, 82, 84, 86, 88, 92, 109, 116, 185, 200, 206, 276,

313, 332, 351, 352, 353.Delisle, Norman : 130.Denver Post, The : 258.Département américain du Commerce : 73.Département d'État : 66, 73, 81, 84, 85, 95, 98, 101, 106, 124, 126, 131, 294, 296, 298, 302, 303, 304, 341

,352.Desbiens, Albert : 200.Desjardins, Mouvement : 267, 327.

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Desmarais, Lorraine : 204.Detroit Free Press, The : 233.Dette fédérale : 276.Dette québécoise : 122, 268.Dickey, John Sloan : 318.Diebold, William : 318.Diefenbaker, John : 52.Dion, Céline : 79.Dionne, Denis : 115.Dionne, E.J. Jr : 243.Dionne-Marsolais, Rita : 331.Diplomatie tranquille : 66, 97.Doh, Jonathan P. : 107.Dollar canadien : 169, 170, 176, 247, 250, 259, 272, 275, 282, 350, 357. Donner, fondation : 321. Donohoe, Joseph : 342.Doran, Charles : 344.Duchacek, Ivo : 339.Duffand Pheips : 274.Duke, Université : 321.Dumont, Fernand : 180.Duplessis, Maurice : 67.Duruflé, Gilles : 174.Dutoit, Charles : 204.

E Échanges d'étudiants : 79, 88.Échanges interprovinciaux : 143.Economic Club : 69.Edgar, Jim : 226, 312.Edmonds, J. Duncan : 249.Éducation : 88.Empire britannique : 31, 48.Energy Alliance Partnership : 119.Ententes officielles : 88.Environnement : 88,173.Environment Protection Agency : 98.Études canadiennes : 204, 335.Études internationales : 319.Études québécoises : 205, 326, 328, 329, 330, 331, 336, 344.Europe : 26, 28, 151.Exception culturelle : 196.Exode : 33, 250.[369]

F Fardeau fiscal : 122.Farnsworth, Clyde H. : 254.Farrell, Barrie : 343.FBI, Federal Bureau of Investigation : 97.Feldman, Effiot J. : 321.Fenians : 32.Fils de la Liberté : 32.Financial Times of Canada, The : 252.First Boston Corporation : 274.Fiscalité : 88, 122.

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Fletcher School of law and Diplomacy : 320. Floride : 82, 221.Flot migratoire : 36.Fonderie minérale : 125, 126.Ford, Henry : 37.Forêt : 112.Fortin, Pierre : 120.France : 25, 117, 151, 221.Francophonie : 67.Franklin, Benjamin : 30.Fraser, Graham : 308.Freeman, Alan : 283.Fresno Bee, The : 260.Frum, David : 219, 244.Fry, Earl : 345.

G GA'IT : 129.Gaz Métropolitain : 119.Gérin-Lajoie, Paul : 95.Gill, Robert M. : 334, 344.Gillis, Margie : 205.Gingrich, Newt : 261.Giniger, Henry : 252. Globe and Mail, The : 258.Goad, G. Pierre : 244.Gobeil, Paul : 77.Godbout, Adélard : 67.Gordon, Sheldon : 252.Gotheb, Allan : 320.Gouin, Lomer : 37, 66.Gould, Karen : 334.Goulet, Michel : 205.Granatstein, Jack : 327.Grande-Baleine : 72, 133.Grande-Bretagne : 28, 48, 151.Grands Lacs : 82.Green, Mary Jean : 330, 334.Greenpeace : 136. Greenwald, Joseph : 301.Guerre civile américaine : 33, 54, 55, 69.Guerre de sécession : 216.

HHamovitch, Eric :188.Harding, Warren : 49.Hartford Courant, The : 257. Harvard, Université : 320, 321.Haut-Canada : 44.Hébert, Anne : 334.Helms, Jesse : 99.Henderson, David R. : 250. Herald-Sun, The : 260.Hero jr, Alfred O. : 319.Hollywood, Californie : 116.Holmes, John : 319.Hoover Institution : 250.

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Houghton, Amo : 309. Houston Chronick The : 261.Howard, Ross : 299.Howard, Victor : 323, 329.Howe, C.D. : 292.Hunter, Paul : 205.Hydroélectricité : 112, 142.Hydro-Ontario : 276.Hydro-Québec : 67, 72, 112, 119, 125, 126, 127, 132, 133, 134, 137, 138, 221, 238, 263, 274, 278, 279.[370]

IIBM : 165.ICAI, Institut canadien des affaires internationales : 318.Illinois : 221.Imbeau, Louis : 344.Importations : 145.Incertitude politique : 272.Industrialisation : 40.Industrie cinématographique : 82.Industrie de fonderie minérale : 125, 126.Industrie de la pulpe et du papier : 124,125.Industrie pharmaceutique : 113.Informatique : 115, 116. Ingénieurs-conseils : 112.INR, Bureau of Intelligence and Research : 297.Institut Armand-Frappier : 113.Institut québécois des hautes études internationales : 319.International Organization : 319.Inuit : 136.Investissement Canada : 146.Investissement-Québec : 150.Investissements : 36, 49, 76.Investissements de portefeuille 268.Investisseurs : 71.Italie : 151, 285.

JJackson, Andrew : 31.Jacobinisme : 46.Japon : 151, 160.Jefferson, Thomas : 31, 289.Jennings, Peter : 219.Jockel, Joseph T. : 106, 325, 340.Johns Hopkins, Université : 322. Johnson, Daniel fils : 251.Johnson, Daniel père : 68.Johnson, Pierre-Marc : 172.Jones, David T. : 106.Journal, The : 203.J. P. Morgan Securities : 278. Judicial review : 53.

KKeener, Keith : 333.

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Kennedy, Edward M. : 306.Kennedy, Joseph P. II : 137.King, William Lyon Mackenzie : 49,94.Kissner, Jeanne : 200, 330, 334, 335.Krauthammer, Charles : 258.

LLachapelle, Guy : 344.Lac Meech, Accord du : 51, 224.Lafayette, Louisiane : 67.La La La Human Steps : 205.Lamennais, Robert de : 32.Lamonde, Yvan : 27.Lamont, Lansing : 240, 342.Lanctôt, Gustave : 183.Landry, Bernard : 172.Lapointe, Ernest : 50.La Salle, Robert Cavelier de : 27.Laurier, Wilfrid : 50, 327.La Vérendrye, Pierre de : 25.Leahy, Patrick : 99.LeBrun, Fred : 258.Lemay, Joseph : 334.Lemco, Jonathan : 342.Lesage, Jean : 67.Lévesque, René : 50, 69.Levine, Marc : 334, 340.Lib6ralisation : 49.Lib6raux : 47, 172.Libman, Robert : 303.Libre-échange : 50, 72.[371]Lincoln, Abraham : 47, 216, 289.Lipset, Seymour Martin : 53.Lisée, Jean-François : 94Lloyd George, David : 48.Londres : 44, 66.Los Angeles, Californie : 68, 118.Los Angeles Times, The : 233.Louisiane : 33, 67, 89, 221.Loyalistes : 31. Lubin, Martin : 334, 344.

MMacDonald, John A. : 47.Madison, James : 31.Maine : 90, 221.Maioni, Antonia : 344. Manitoba : 120.Manning, Preston : 243.Marine : 28.Maritimes : 90.Martin, Pierre : 344.Mason, Dwight N. : 105.Massachusetts : 89, 90, 221, 226, 334.Massey, Rapport : 197.

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Mayflower : 28.McCahill, William : 101.McGhee, Suzanne : 248.McLaren, Roy : 173.McNeil, Robert : 219.McPherson, James : 216, 217.Meighen, Arthur : 48.Melting-pot : 57, 58, 213.Merchant, Livingston : 323.Mercier, Honoré : 66.Merkin, William : 261.Merrill Lynch : 244.Mesplet, Fleury de : 31.Mexique : 149, 155, 158, 160, 215, 355.Michigan : 221, 322.Midwest : 34.Miles, Edward : 323.Milwaukee Journal, The : 257.Ministère de l'Industrie et du Commerce :74.Ministère des Relations internationales : 13, 73, 74, 75, 81, 84, 85, 124, 126 131, 144, 353.Mohawks : 60.Montréal : 30, 75, 100, 101, 123.Moodys : 134, 269, 275.Morin, Claude : 71.Morin, Jacques-Yvan : 76.Moss, Jane : 334.Mouvement partitionniste : 238.Mouvement souverainiste : 66, 94, 102, 150, 214, 231, 238, 248, 295, 298, 300.Moyen-Orient : 161.Moynihan, Patrick : 306.Mulroney, Brian : 51, 72, 172.Multiculturalisme : 57.Multimédia : 116.Muskie, Edmund : 71.

NNational Conference of State Legislatures : 90.National Planning Association : 342.National Policy : 48.National Policy Association : 265, 342.National Press Club : 71.National Security Council : 93, 97.New Hampshire : 67, 90, 221.News and Record, The : 258.Newsday : 259.Newsweek : 233.New York, État de 34, 60, 221.New York, ville de 67.[372]New Yorker, The : 218.New York Post, The : 261.New York Power Authority : 133.New York Times, The : 71, 137, 218, 232.Nixon, Richard : 361.NORAD : 70.

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Nordistes : 33.North American Committee : 265.Northeast Council : 334.North East Council for Quebec Studies : 330.North East InternationalCommittee on Energy : 90.Northeast Utilities System : 119.Northwestem, Université : 343.Nouveau-Brunswick : 31, 44.Nouveau Parti démocratique : 172.Nouvel Ensemble moderne. 205.Nouvelle-Angleterre : 28,71.Nouvelle-Écosse : 245.Nouvelle-France : 29, 221.Nouvelle-Orléans, Louisiane : 326.Nye, Joseph S. jr : 319.NYPA, New York Power Authority : 133.

OOberstar, James : 99, 308.Obligations : 76, 281.Office national de l'énergie : 136.Office national du film : 197.Ohio : 221.Old Dominion University : 334.Omaha World Herald, The : 257, 260.Ontario : 116,120.Opération Amérique : 71, 294.Oppenheimer & Co. : 278.Orchestre symphonique de Montréal : 204.Oregon : 228.Organisation mondiale du commerce : 123.Orlando, Floride : 118.Orlando Sentinel, The : 260, 26OTAN : 70.Ouellet, André : 301.O Vertigo ! : 205.

PPace, Université : 280.Pacte de l'automobile : 146. Painchaud, Paul : 319.Papineau, Louis-Joseph. 31, 46Paris : 32, 66.Parizeau, Jacques : 73.Parti conservateur : 172.Parti démocrate : 360.Parti égalité : 503.Parti libéral : 49, 54, 95, 173, 234, 247, 251, 266, 274, 313, 323, 326, 347, 360.Parti progressiste conservateur 360.Parti québécois : 50, 69, 70, 72, 77, 78, 79, 96, 102, 172, 206, 220, 224, 234, 235, 236, 237, 240, 250, 253,

263, 266, 267, 268, 271, 272, 273, 276, 277, 278, 279, 288, 294, 295, 304, 311, 313, 322, 324, 331, 347.

Patriotes : 31.Pays-Bas : 151.PBS, réseau : 189.

169

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Pearson, Lester B. : 52, 292Pennsylvanie : 89, 226, 312.Pentagone : 333.Pépin-Robarts, Commission : 297.[373]

Perreault, Jean-Pierre : 205.Peterson, David : 172.Pétrole : 133. Pitfield, Michael : 320.Pittsburgh Post-Gazette, The : 257, 258.Plattsburgh, New York : 117, 330, 335.Plaut, Peter : 281.Pluies acides : 91.PME (petites et moyennes entreprises) : 127.Politique linguistique : 251. Portsmouth College : 67.Premières nations : 60. Preston, Richard : 323.Production de défense : 49.Production laitière : 128.Produits culturels : 204.Produits médicaux : 113.Protectionnisme : 177.Protectionnistes : 50.Proulx, Pierre-Paul : 142, 144.Providence Journal-Bulletin, The : 260.Puritains : 35.

QQuébec, ville de : 100. Quebec Studies : 91, 334. Quebec Update : 92.

R Radford, Université : 334.Radio-Canada : 188, 189, 197.Radio-Québec : 189.Rae, Bob : 172.Ramapo College : 334.Rapatriement constitutionnel : 53.Reagan, Ronald : 292.Recherche et développement : 121.Référendum de 1980 : 72.Référendum de 1992 : 234.Référendum de 1995 : 73, 152.Régime seigneurial : 30Révolution américaine : 43, 69, 216.Révolution tranquille : 38, 66.Richler, Mordecai : 218.Ridge, Tom : 226, 312.Riopelle, Jean-Paul : 205.Roby, Yves : 33.Rocher, Guy : 182.Rocky Mountain News, The : 260.

170

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Roh, Charles H. jr : 261.Roosevelt, Franklin D. : 94.Rouges : 32, 47.Rousseau, Henri-Paul : 267.Royaume-Uni : 49, 117, 151Russell, Charles : 280.Ryan, Claude : 297.

S

Sacramento Bee, The : 260.Safire, William : 71, 225.Saguenay : 125.Saint-Laurent, Louis : 292.SAIS, School of Advanced International Studies : 344.Salomon Brothers : 277, 278, 281, 283, 284, 285.San Diego Union-Tribune, The : 257.San Francisco Chronicle, The : 257.San Francisco Examiner, The : 260.Saskatchewan : 120.Saturday Night : 217.Schmeelk, Peter : 283.[374]Schwartzwald, Robert : 334.Scott, Stephen : 253.Scraire, Jean-Claude : 132.Secrétariats américains : 97.Séguin, Rhéal : 286.Sénateurs : 98.Sénécal, André : 330, 344.Services (commerce) : 168.Shotwell, James T. : 318.Sierra Club : 136.Silicon Alley : 116.Silicon Valley : 116.Simard, Sylvain : 86, 328.Smith, Rufus : 323.Snelling, Barbara : 311.Société distincte : 41, 51, 58.Société générale de financement : 131.Société nationale de l'amiante 130.Société québécoise de développement industriel : 127.Sociétés parapubliques : 287.Sociétés publiques : 287.Softimage : 194.Sondages : 226.Soquip, Société québécoise d'initiatives pétrolières : 131.South East Conference for Francophone Studies : 330.Souveraineté : 20, 21, 22, 53, 69, 70, 71, 73, 79, 87, 102, 105, 108, 109, 225, 228, 233-240, 245, 248, 250,

251, 255, 257, 260-288, 295-300, 305, 306, 311, 312, 314, 327, 331, 332, 333, 339, 341, 342, 348, 349.

Souveraineté-partenariat : 332.Souverainisme : 103.Spicer, Commission : 247.Standard and Poor’s : 269, 274, 276, 281, 282, 283, 284, 285, 286.

171

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Stanford, Université : 308.Starowicz, Mark : 203.Statut de Westminster : 44.St. Lawrence, Université : 322.Subventions : 124.Sundlun, Bruce : 310.Sun-Sentinel, The : 260.SUNY, State University of New York : 321, 330, 334, 335.

TTalbot, Émile : 334.Tampa Tribune, The : 258.Tarifs compensateurs : 124.Tarifs d'électricité : 125.Taschereau, Louis-Alexandre 37, 66.Taux de change : 169.Taux d'intérêt : 259.Technologies de l'information : 115.Télécommunications : 114, 115.Téléfilm Canada : 197.Télévision américaine : 188.Télévision française : 189.Télévision publique : 189.Terre-Neuve : 90.Texas : 82, 221.Think tanks : 87.Thomson, Dale : 322.Time : 233.Time International : 280.Times-Picayune, The : 260.Times Union, The : 257.Tobin, Brian : 138.Toricelli, Robert G. : 308.Toronto, Ontario : 78, 101, 123, 217.Tourisme : 84.Traité du flétan : 50.Transport : 88, 112, 117.Trudeau, Pierre E. : 50.Trueheart, Charles : 240.[375]Tufts, Université : 137, 320, 321.Turp, Daniel : 327.TV5 : 189.Tyson, Laura d'Andrea : 261, 300.

U

Union européenne : 150.Unité canadienne : 51, 103.Université du Québec à Montréal : 325.Urbanisation : 37.Urquhart, John : 248, 284.U.S. Federal Energy Regulatory Commission : 138.U.S. Information Agency : 97.U.S. News and World Report : 233.

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U.S. Special Trade Representative : 98.

VVancouver, ColombieBritannique : 101, 123.Vancouver Sun, The : 258.Venezuela : 161.Vermont : 89, 90, 99, 117, 321, 330.Vermont joint Owners : 133.Virginie : 27, 89.

WWall Street : 67.Wall Street Journal, The :218, 219, 232.Washington, D.C. : 80.Washington Post, The : 232.Weiss, Jonathan : 342.Western Washington, Université : 322.Whitney Museum : 205.Wisconsin : 89.Wisconsin State Journal, The : 257.World Peace Foundation : 15, 318, 319.Wyatt, Oscar S. Jr : 268. Wyeth-Ayerst : 113.

YYale, Université : 249Yankees : 30.

Fin du texte

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