Le pouvoir de d©penser en Belgique et au Canada : gage d

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- 1 - Le pouvoir de dépenser en Belgique et au Canada : gage d’efficacité ou entorse au fédéralisme ? 1 Valéry VANDER GEETEN Avocat au barreau de Bruxelles. 1. Introduction . 1. Prolongeant la réflexion sur les aspects financiers du fédéralisme 2 , il nous a paru intéressant d’aborder la problématique du pouvoir de dépenser et de l’efficacité des principes du fédéralisme face à celui-ci. Au préalable, il nous faut expliquer la notion même de «pouvoir de dépenser » car malgré une consécration explicite dans plusieurs fédérations 3 , celle-ci demeure méconnue en droit constitutionnel belge. 2. Au sens large, le pouvoir de dépenser consiste à reconnaître aux pouvoirs publics la capacité de dépenser les fonds qu’ils ont récoltés par l’impôt ou par d’autres sources de financement 4 . Cette capacité se présente comme une évidence : la finalité principale de tout système fiscal est, en effet, de permettre aux autorités publiques d’accomplir leurs missions en effectuant des dépenses. Dans un contexte fédéral, le pouvoir de dépenser prend néanmoins un sens particulier : il signifie qu’une autorité publique d’un certain ordre de pouvoir, généralement le gouvernement fédéral, dispose de la faculté de financer des programmes publics relevant de la compétence d’une autre autorité publique, souvent les entités fédérées 5 . Le choix du terme « pouvoir de dépenser » peut, d’ailleurs, être perçu comme un facteur de légitimation du mécanisme qui est parfois d’une constitutionalité douteuse. Pourtant, si l’aptitude des pouvoirs publics à utiliser leurs moyens financiers est une évidence, implique-t-elle, pour autant, le droit de financer des programmes dans des domaines relevant de la compétence d’une autre entité publique. 1 Je remercie tout particulièrement Johanne POIRIER pour ses corrections et ses conseils judicieux lors de mes recherches. La première version de ce travail de recherche avait été réalisé pour le cours de J. POIRIER intitulé « Fédéralisme et politiques publiques », Faculté de droit, ULB. 2 Voy. la contribution de Vincent DEFRAITEUR intitulée « Réforme du fédéralisme suisse : une quête d’efficacité ? La péréquation financière et la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons », sur ce site, sous-thème 3. 3 Celui-ci est consacré explicitement en Australie (Art. 96 de la Constitution), en Inde (Art. 282 de la Constitution), en Allemagne (Art. 104A de la loi fondamentale) et aux Etats-Unis par l’apport de la jurisprudence de la Cour suprême (U.S. v. Butler, 297 U.S. 1 [1936] ; Stewart Machine Co. v. Davis, 301 U.S. 548 [1937] ) voy. à ce sujet R. L. WATTS, Etude comparative du pouvoir de dépenser dans d’autres régimes fédéraux, Institute of Intergovernmental relations. McGill-Queen’s University Press, Kingston, 1999, p. 11-53. 4 D. W. S. YUDIN, « The Federal Spending Power in Canada, Australia and the United States », Revue nationale de droit constitutionnel, vol. 13, 2002, p. 438. 5 Ibid.

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Le pouvoir de dépenser en Belgique et au Canada : gage d’efficacité ou entorse au fédéralisme ? 1

Valéry VANDER GEETEN

Avocat au barreau de Bruxelles.

1. Introduction. 1. Prolongeant la réflexion sur les aspects financiers du fédéralisme2, il nous a paru intéressant d’aborder la problématique du pouvoir de dépenser et de l’efficacité des principes du fédéralisme face à celui-ci. Au préalable, il nous faut expliquer la notion même de «pouvoir de dépenser » car malgré une consécration explicite dans plusieurs fédérations3, celle-ci demeure méconnue en droit constitutionnel belge. 2. Au sens large, le pouvoir de dépenser consiste à reconnaître aux pouvoirs publics la capacité de dépenser les fonds qu’ils ont récoltés par l’impôt ou par d’autres sources de financement4. Cette capacité se présente comme une évidence : la finalité principale de tout système fiscal est, en effet, de permettre aux autorités publiques d’accomplir leurs missions en effectuant des dépenses. Dans un contexte fédéral, le pouvoir de dépenser prend néanmoins un sens particulier : il signifie qu’une autorité publique d’un certain ordre de pouvoir, généralement le gouvernement fédéral, dispose de la faculté de financer des programmes publics relevant de la compétence d’une autre autorité publique, souvent les entités fédérées5. Le choix du terme « pouvoir de dépenser » peut, d’ailleurs, être perçu comme un facteur de légitimation du mécanisme qui est parfois d’une constitutionalité douteuse. Pourtant, si l’aptitude des pouvoirs publics à utiliser leurs moyens financiers est une évidence, implique-t-elle, pour autant, le droit de financer des programmes dans des domaines relevant de la compétence d’une autre entité publique.

1 Je remercie tout particulièrement Johanne POIRIER pour ses corrections et ses conseils judicieux lors de mes recherches. La première version de ce travail de recherche avait été réalisé pour le cours de J. POIRIER intitulé « Fédéralisme et politiques publiques », Faculté de droit, ULB. 2 Voy. la contribution de Vincent DEFRAITEUR intitulée « Réforme du fédéralisme suisse : une quête d’efficacité ? La péréquation financière et la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons », sur ce site, sous-thème 3. 3 Celui-ci est consacré explicitement en Australie (Art. 96 de la Constitution), en Inde (Art. 282 de la Constitution), en Allemagne (Art. 104A de la loi fondamentale) et aux Etats-Unis par l’apport de la jurisprudence de la Cour suprême (U.S. v. Butler, 297 U.S. 1 [1936] ; Stewart Machine Co. v. Davis, 301 U.S. 548 [1937] ) voy. à ce sujet R. L. WATTS, Etude comparative du pouvoir de dépenser dans d’autres régimes fédéraux, Institute of Intergovernmental relations. McGill-Queen’s University Press, Kingston, 1999, p. 11-53. 4 D. W. S. YUDIN, « The Federal Spending Power in Canada, Australia and the United States », Revue nationale de droit constitutionnel, vol. 13, 2002, p. 438. 5 Ibid.

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3. L’intérêt particulier de comparer la Belgique et le Canada sur ce thème réside dans le fait que ces deux fédérations connaissent chacune des rapports de force internes et des objectifs politiques opposés6. Au Canada, l’usage de ce mécanisme fait l’objet d’une vive controverse, en l’absence d’une reconnaissance constitutionnelle explicite. Pour le gouvernement fédéral canadien, le Parlement fédéral dispose du pouvoir de verser des sommes aux individus, aux organisations et aux gouvernements, même dans des matières sur lesquelles le Parlement fédéral ne peut légiférer7. Or, cette position est fortement contestée, principalement, par la Province du Québec qui y voit une immixtion de l’autorité fédérale dans ses domaines de compétences8. En Belgique, la doctrine et la jurisprudence constitutionnelle se sont, au contraire du Canada, clairement prononcées pour le rejet de ce principe. 4. Dans un premier temps, j’analyserai donc, dans les deux fédérations sélectionnées, la légalité du pouvoir de dépenser et si, au-delà des principes juridiques, ceux-ci ne sont pas démentis par la pratique. Ensuite dans un deuxième temps, j’examinerai la compatibilité du pouvoir de dépenser avec les principes du fédéralisme. II. Au Canada. a) La légalité du pouvoir de dépenser

i) La position de la doctrine 5. Selon le professeur P. W. HOGG, le pouvoir de dépenser fédéral n’est pas explicitement consacré par la Constitution canadienne mais peut, néanmoins, se déduire implicitement de la compétence des autorités fédérales de percevoir des impôts (art. 91, 3), de légiférer en rapport avec la propriété publique (art. 91, 1a) et d’affecter des fonds fédéraux (art. 106)9. D’autres auteurs s’appuient également sur l’article

6 Sur cette bipolarisation : voy. J. POIRIER, « Fédéralisme en Belgique et au Canada : parallèles, dissonances et paradoxes » in Septentrion : Arts, lettres et culture de Flandre et des Pays-Bas, 2004, pp. 26-32 et « Protection constitutionnelle des minorités linguistiques : Un exercice-fiction de transposition du modèle fédéral belge au Canada », in BRAEN, André, FOUCHER, Pierre, Le BOUTHILLIER, Yves, Eds., Langues, constitutionnalisme et minorités / Language, Constitutionalism and Minorities, Toronto, Butterworths, 2006, pp. 161-200 (repris dans The Supreme Court Law Review, vol. 31, 2006, pp. 161-200). 7 G. RÉMILLARD, Le fédéralisme canadien: éléments constitutionnels de formation et d’évolution, Ed. Québec/Amérique, 1980, p. 250; Gouvernement du Canada (GOC 1969a): P. E. TRUDEAU, Federal-provincial Grants and the spending power, 1969 cité par H. TELFORD, « The Federal spending power in Canada: Nation-building or Nation-destroying? », Institute of Intergovernmental relations. Queen’s University, 1999, p. 1. 8 Sur la position historique de la province voir : GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes, Direction des politiques institutionnelles et constitutionnelles, Position historique du Québec sur le pouvoir de dépenser : 1944-1998, 1998. 9 Peter W. HOGG., Constitutional law of Canada, 4th Edition, Student Ed., Carswell, Toronto, 1998, p. 156.

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102 de la Constitution qui prévoit la création d’un « fonds du revenu consolidé » fédéral10 ou sur les dispositions visant à fournir à tous les Canadiens des services publics essentiels de qualité via un système de péréquation organisé au niveau fédéral11. Cependant, force est de constater que le contenu de ces dispositions n’offre que peu d’argument à l’appui de cette thèse12. Si certes, il est indéniable que le Parlement fédéral peut lever des taxes, disposer de ses biens et, le cas échéant, les dépenser, cela implique-t-il pour autant que l’autorité fédérale puisse financer des programmes en dehors de ses propres compétences ? La doctrine avance généralement trois arguments juridiques en faveur de l’existence du « pouvoir de dépenser fédéral ». 6. Le premier argument consiste à dire qu’il existe une différence entre légiférer et financer une matière, et que, dès lors, les limites des compétences législatives ne devraient pas s’appliquer au financement13. Une partie de la doctrine considère, en effet, que le gouvernement fédéral n’a pas besoin d’un pouvoir constitutionnel distinct de ses propres pouvoirs pour dépenser ses fonds comme il le souhaite, pour autant qu’il ne réglemente pas les domaines de compétence provinciale14. Ainsi, le professeur E. A. DREIDGER soutient l’idée que l’on peut distinguer le financement d’une matière, comme par exemple la gestion des hôpitaux, du pouvoir de légiférer celle-ci15. Soutenant cette différence, l’auteur cite l’exemple de l’Armée du Salut qui ne dispose pas de pouvoir normatif concernant les hôpitaux mais qui peut néanmoins créer, exploiter et financer de tels établissements16. De la même manière, Peter W. HOGG suggère d’opérer une distinction entre la régulation obligatoire d’une matière, qui ne peut être accomplie que dans le respect des limitations de compétences, et le financement de programmes relevant de cette matière, qui n’imposent aucune obligation ou des obligations volontairement acceptées par leurs destinataires17. Pour lui, il n’y a pas de raison de limiter le pouvoir de dépenser aux seules compétences fédérales car en intervenant financièrement le gouvernement fédéral ne prétend pas exercer la compétence législative sur une matière provinciale18. Cependant, cette différenciation fait abstraction de l’interdépendance19 qui existe entre ces deux notions : d’un part, le pouvoir de légiférer implique aussi celui d’adopter les lois budgétaires qui mettent en œuvre les politiques publiques et, d’autre part, les subventions fédérales sont subordonnées à des conditions qui en pratique réduisent l’autonomie législative des provinces. Pour reprendre l’exemple avancé par le professeur DREIDGER, la situation du gouvernement fédéral et de l’Armée du Salut ne sont pas comparables car cette dernière n’est pas une autorité publique qui intervient dans la sphère de compétence d’une autre autorité et son intervention n’influence pas de manière significative la capacité de légiférer des pouvoirs publics. 10 R. L. WATTS, op. cit., p. 1; J. ANASTOPOULOS, Les aspects financiers du fédéralisme, L.G.D.J., Paris, 1979, p. 65. 11 Art. 36 de la loi constitutionnelle de 1982. 12 H. TELFORD, op. cit., p. 2 13 Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, Carswell, Toronto, 2006, p. 6-18 cité par K. RICHER, Le pouvoir fédéral de dépenser, doc PRB 07-36F, Bibliothèque du Parlement canadien, 2007, p. 8 14 E. A. DREIDGER, « The spending power », Queen’s Law Journal, vol. 7, 1981, p. 125 cité par M. DUNSMUIR, « Le pouvoir de dépenser : portée et limites », doc BP-272F, Bibliothèque du Parlement canadien. 15 E. A. DREIDGER, op. cit., p. 125 cité par DAVID W. S. YUDIN, op. cit., p. 464. 16 Ibid. cité par M. DUNSMUIR, op. cit. 17 PETER W HOGG, op. cit., p. 157-158. 18 Ibidem. 19 PETER W. HOGG semble, par ailleurs, reconnaître l’imbrication logique qui existe entre les dépenses et le pouvoir de taxation d’une autorité cité par Cooper BARRY, « Rebalance the Federation by Reducing Federal Spending Power », Fraser Forum, October 2004, p. 6.

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Il nous apparaît donc que le pouvoir de dépenser au sens large devrait respecter la répartition des compétences puisqu’il est étroitement lié au pouvoir de légiférer. 7. Le second argument consiste à affirmer que les provinces restent à tout moment maîtresses de leurs compétences en raison de leur liberté de refuser ou d’accepter les conditions des subventions fédérales20. Selon cette thèse, les provinces ou les bénéficiaires des subventions se soumettent volontairement aux conditions normatives édictées par l’autorité fédérale puisqu’ils ne sont pas obligés d’avoir recours à ces subventions. Depuis 1965, les provinces se sont vus néanmoins reconnaître un droit de retrait avec compensation (« opting-out » ) leur permettant de ne pas participer si elles le souhaitaient aux programmes de subventions fédéraux21. Il apparaissait, en effet, injuste de léser les citoyens d’une province qui refusait de participer à un programme à frais partagés22 de sorte qu’un mécanisme de compensation fut mis au point pour les provinces qui choissent de ne pas participer aux programmes ou disposent déjà des services proposés par celui-ci23. Il faut cependant préciser que cette compensation reste conditionnée à l’élaboration d’un programme semblable et soumise aux mêmes normes que les programmes plus explicitement contrôlés par le gouvernement fédéral27. Il s’ensuit que paradoxalement même si une province refuse les subventions fédérales elle devra respecter les conditions émises par le fédéral comme si elle participait aux programmes28.

20 David W. S. YUDIN, op. cit., p. 464. 21 Voy. P. CATTOIR, Fédéralisme et solidarité financière : Etude comparative de six pays, Bruxelles, CRISP, 1998, p. 103 22 En effet, ceux-ci devaient continuer à payer l’entièreté de leurs impôts fédéraux, sans bénéficier de programmes à subventions fédérales. 23 G.-A BEAUDOIN, « Le Fédéralisme au Canada : les institutions et le partage des pouvoirs », Wilson & Lafleur, Montréal, 2000, p. 350. 27 Th. J. COURCHÈNE, Institute for intergovernmental Relations Queen’s University, 1996 cité par P. CATTOIR, op.

cit., p. 103 ; K. RICHER, Le pouvoir fédéral de dépenser, doc PRB 07-36F, Bibliothèque du Parlement canadien, 2007, p. 2 ; Jusqu’à présent, seul la province du Québec semble avoir exercé cette option et développé des programmes propres dans plusieurs branches de la sécurité sociale. 28 H. TELFORD cité par Cooper BARRY, « Rebalance the Federation by Reducing Federal Spending Power », Fraser Forum, October 2004, p. 6

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Une autre variante de cet argument réside dans la « théorie du cadeau », dérivée de l’opinion dissidente du juge DUFF29, selon laquelle les autorités fédérales propriétaires de revenus fiscaux pourraient les distribuer comme cadeaux à des personnes physiques et morales ou aux provinces30. Frank R. SCOTT, l’un des tenants de cette thèse, écrit ainsi que « …la couronne est une personne capable de faire des cadeaux ou d’accorder des contrats comme toute autre personne et le choix du bénéficiaire lui appartient. Ce bénéficiaire peut être un gouvernement ou des particuliers. (…) la générosité au Canada ne saurait être inconstitutionnelle »31. Néanmoins, il nous apparaît inexact de considérer les subventions fédérales comme des cadeaux du pouvoir fédéral à l’intention des provinces puisque, d’un part, elles sont généralement conditionnées au respect de normes décrétées par le pouvoir fédéral32 et d’autre part, elles, utilisent des recettes fiscales qui auraient pu être attribuées directement et sans conditions aux provinces33. En outre, plusieurs provinces souffrent, en pratique, d’un manque de moyens financiers qui les amènent à adhérer aux programmes du pouvoir fédéral et donc à se soumettre aux conditions formulées par ceux-ci et, le cas échéant, à modifier leurs propres normes. Dans ce contexte, il nous semble que la liberté des provinces d’accepter ou de refuser les subventions fédérales s’avère donc essentiellement illusoire34. 8. Enfin, le troisième argument consiste à assimiler le pouvoir de dépenser aux mécanismes de péréquation qui entraînent également des transferts financiers de l’Etat fédéral vers les provinces35. Or, les programmes de subventions fédéraux conditionnés soumettent concrètement les provinces aux choix politiques effectués par le gouvernement fédéral, au contraire de la redistribution des ressources fiscales fédérales aux provinces, sans conditions, par le mécanisme de la péréquation36. Par exemple, les dotations spécifiques faites en vertu du Transfert Canadien en matière de Santé et de programmes sociaux (TCSPS) ne sont pas des transferts de péréquation puisque les provinces doivent pour obtenir ces fonds respecter la loi canadienne sur la santé et le principe du droit d’accès à l’aide sociale sans durée minimale de résidence37. En conclusion, il nous semble à l’instar d’Andrew PETTER qu’aucun argument constitutionnel en faveur du pouvoir de dépenser ne soit particulièrement convaincant38.

ii) La position de la jurisprudence 29 Cité par E. POLLIO, From nation-building to « coercive federalism » : the role of the federal spending power in the United States and Canada, Sant’Anna Legal studies, 2008, p. 1. 30 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Commission sur le déséquilibre fiscal, op. cit., p. 10. 31 F. R. SCOTT, « The Constitutional Background of the Taxation Agreements », The McGill Law Journal 2, 1955, pp. 1-10 cité par Cooper BARRY, « Rebalance the Federation by Reducing Federal Spending Power », Fraser Forum, October 2004, p. 5; K. RICHER, Le pouvoir fédéral de dépenser, doc PRB 07-36F, Bibliothèque du Parlement canadien, 2007, p. 8. 32 A. TREMBLAY, Droit constitutionnel, 2e Edition, Editions Thémis, Montréal, 2000, 302. 33 J. BEETZ cité par Cooper BARRY, « Rebalance the Federation by Reducing Federal Spending Power », Fraser Forum, October 2004, p. 6 ; GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Commission sur le déséquilibre fiscal, Rapport, Annexe 1 « Le déséquilibre fiscal au Canada: Contexte historique», Bibliothèque nationale du Québec, 2002. 34 Voy. « The myth of Voluntariness » in David W. S. YUDIN, op. cit., p. 469. 35 Prévu à l’article 36 de la loi constitutionnelle de 1982. 36 D. W. S. YUDIN, op. cit., p. 465. 37 P. CATTOIR, Autonomy, financial solidarity and cooperation in federal states, Louvain-la-Neuve, UCL, 2000, p. 142 38 A. PETTER, « Federalism and the myth of the Federal Spending power », Canadian Bar Review (68), 1989, p. 455 cité par H. TELFORD, op. cit., p. 2. Voir aussi, M.-A. ADAM, « Federalism and the spending power: section 94 to the rescue », Options politiques, Institut de recherches en politique publiques, mars 2007.

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9. Il convient de signaler tout d’abord que la constitutionnalité du pouvoir de dépenser n’a pas encore été contestée directement devant la Cour suprême du Canada39. La décision la plus percutante (mais pourtant souvent sous-estimée) à ce propos reste celle rendue, en 1937, par le Comité judiciaire du Conseil Privé dans son avis consultatif relatif à la constitutionnalité d’une loi fédérale instituant un programme d’assurance-chômage40 :

« …assuming that the Dominion has collected by means of taxation a fund, it by no means follows that any legislation which disposes of it is necessarily within Dominion competence. It may still be legislation affecting the classes of subjects enumerated in section 92, and, if so would be ultra vires. (…) If on the true view of the legislation it is found that in reality in pith and substance the legislation invades the civil rights within the Province or in respect of other classes of subjects otherwise encroaches upon the provincial field, the legislation will be invalid. To hold otherwise would afford the Dominion an easy passage into the provincial domain »41 (c’est nous qui soulignons).

Dans son raisonnement, le Conseil Privé admet certes que le Parlement puisse prélever des impôts en vue de créer un fonds spécial et puisse l’employer, dans l’intérêt public, pour aider des particuliers, des sociétés ou autorités publiques mais que l’autorité fédérale agirait hors de ses compétences en disposant de ce fonds pour intervenir dans des compétences relevant des provinces. Cette décision considère donc que le gouvernement fédéral dispose d’un pouvoir de dépenser mais dans le respect de la répartition des compétences car la position inverse conduirait à permettre à l’autorité fédérale d’intervenir aisément dans les compétences provinciales. Certains dont le professeur LA FOREST42 refusent cependant de voir dans les termes de la décision du Conseil Privé une condamnation du pouvoir de dépenser, exposant que la Cour Suprême avait affirmé, dans l’avis soumis au Conseil privé, que le Parlement pouvait prélever de l’argent et disposer de ses biens de toutes les manières qu’il jugeait appropriées43. Cette interprétation de l’avis de la Cour Suprême semble cependant erronée puisque la Cour précise explicitement dans son avis que «… le Parlement fédéral ne peut pas, sous prétexte d’exercer son pouvoir de légiférer en rapport avec la propriété publique ou de percevoir des impôts accomplir les buts poursuivis par la

présente législation [l’assurance chômage]. S’il en était autrement, cela reviendrait à permettre au Parlement d’envahir presque tout les domaines de compétences exclusivement réservés par la Constitution aux provinces »44. Conformément à l’enseignement de ces deux décisions, la méthode finalement adoptée pour instaurer un système d’assurance-chômage au niveau fédéral fut de modifier la répartition des compétences prévue par la Constitution45.

39 K. RICHER, op. cit., p. 10. 40 Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, 1937, A.C. 355, p. 366. A noter que jusqu’en 1949, le comité judiciaire du conseil privé britannique était alors l’instance ultime d’appel pour le Canada. 41 Ibid. 42 G. LA FOREST, The allocation of taxation Power under the Canadian Constitution, 2nd Ed, Canadian Tax Foundation, 1981, p. 48 cité par DAVID W. S. YUDIN, op. cit., p. 458. 43 Avis consultatif relatif à l’assurance-chômage, R.C.S., 1936, p. 427. 44 Ibid. 45 L’introduction de l’art. 91 2a et, en 1951, de l’art. 94A cité par B. H. KELLOCK, Q. C. and S. LEROY, « Questioning the legality of Equalization », Fraser Institute, December 2006, p. 15.

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Dans un avis consultatif relatif à la loi sur l’organisation des produits agricoles, rendu 40 ans plus tard, la Cour suprême semble confirmer l’opinion exprimée par le Conseil Privé dans l’affaire de l’assurance-chômage :

« …l’invalidité d’un régime de règlementation qui excède, en lui-même, la compétence du fédéral ne sera pas couverte parce que celui-ci aura utilisé son pouvoir de taxation pour le financer »46.

Ainsi, au nom de la majorité des juges de la Cour suprême, le juge PIGEON indiquait que « l’intrusion fédérale dans le commerce local est aussi inconstitutionnelle lorsqu’elle se fait par des achats et des ventes que lorsqu’elle se fait d’une autre manière »47. 10. Sans en avoir clairement affirmé la constitutionnalité, les juridictions semblent néanmoins avoir reconnu, au fur et à mesure des années, une certaine légitimité de l’usage de subventions fédérales dans les domaines de compétence provinciales48. Ainsi, dans l’arrêt Winterhaven Stables Ltd. v. Canada, un citoyen contesta la constitutionalité que la loi fédérale sur l’impôt des revenus car elle outrepassait les compétences de l’Etat fédéral en affectant une partie des impôts levés à des programmes de subventions aux provinces49. Cependant, la Cour d’appel de l’Alberta rejeta cette argumentation en qualifiant cette législation de levée d’impôt et « non une levée d’impôt pour des matières provinciales »50 (c’est nous qui soulignons). Comme l’indique au nom de Cour le juge IRVING, l’affectation d’une partie des recettes fiscales à des matières provinciales n’est pas pour autant de nature à modifier la qualification fiscale de la loi même si l’effet ultime de cette législation est de mettre la pression sur les provinces afin d’adapter leur législation aux conditions des subventions fédérales51. En se limitant à une analyse formelle de la loi, la Cour d’appel de l’Alberta semble clairement légitimer l’usage du pouvoir de dépenser pour autant que celui-ci n’implique pas l’adoption d’une législation identifiée comme portant explicitement sur une matière provinciale52. Dans un autre arrêt, YMHA Jewish Community Center of Winnipeg Inc. vs. Brown, la Cour suprême statua sur l’application des lois provinciales en matière de salaires aux travailleurs participant à des programmes fédéraux de création d'emplois. A cette occasion, la Cour justifia l’élaboration de programmes de subventions fédérales dans des matières réservées aux provinces sur base du pouvoir fédéral de dépenser :

« Le pouvoir d'établir ces programmes découle du pouvoir de dépenser du fédéral, mais le seul fait de dépenser des fonds fédéraux ne peut faire relever de la compétence fédérale un sujet qui relève par ailleurs de la compétence provinciale. Bien que le Parlement soit libre d'offrir des subventions, la décision d'accorder une subvention dans un domaine particulier ne saurait s'interpréter comme une intention de réglementer tous les aspects connexes de ce domaine. Par conséquent, il ne faudrait pas, en l'absence

46 Avis consultatif relatif à la loi sur l’organisation des produits agricoles, 1978, 2 R.C.S., p. 1198 cité par A. TREMBLAY, Droit constitutionnel, 2e Edition, Editions Thémis, Montréal, 2000, p. 304. 47 Ibid., p. 1293. 48 J. POIRIER, « Federalism, Social Policy and Competing Visions of the Canadian Social Union », Revue nationale de droit constitutionnel, vol. 13, 2002, p. 366. 49 Winterhaven Stables Ltd. v. Canada, [1988] C.A. of Alberta, 53 D.L.R. (4th) p. 413 (Income Tax Act) cité par D. W. S. YUDIN, op. cit., p. 459. 50 Ibid. 51 Ibid, p. 460. 52 Ibid.

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d'autres éléments de preuve, interpréter la décision d'accorder une subvention à un organisme comme le YMHA pour un projet créateur d'emplois comme une intention de soustraire le projet à la compétence provinciale en matière de relations de travail (c’est nous qui soulignons)»53.

S’exprimant au nom de la majorité, le juge L'HEUREUX-DUBÉ précisa que la Cour avait suivi sur ce point l’opinion du professeur LA FOREST qui estime que le pouvoir de dépenser du fédéral peut être exercé du moment que cela ne constitue pas « essentiellement de la législation relative à un sujet de compétence provinciale » 54. Il s’ensuit que la Cour suprême semble reconnaître, sans appui constitutionnel, à l’autorité fédérale un pouvoir de dépenser mais sous réserve, d’une part, de ne pas règlementer la matière relevant d’une compétence provinciale et, d’autre part, de maintenir intact l’application de la législation provinciale dans les domaines d’interventions des programme fédéraux lorsque la matière relève de la compétence provinciale. 11. La question fut encore soulevée à l’occasion de la limitation des aides fédérales relevant du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) à certaines provinces. En effet, le gouvernement fédéral avait conclu des accords avec les provinces prévoyant un partage des frais engagés par ces dernières au titre de l'assistance publique et de la protection sociale. En 1990, le gouvernement fédéral décida de diminuer ses aides aux provinces les mieux dotées financièrement. Ces provinces dont la Colombie-Britannique furent ainsi privées d’une partie importante de ces aides fédérales et contestèrent devant les juridictions la constitutionnalité de la loi limitant ces subventions. Devant une Cour d'appel, la Colombie-Britannique obtint gain de cause sur base du respect des accords conclus mais la question fut renvoyée par le Procureur Général devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême, quant à elle, confirma la constitutionnalité de la loi instaurant le régime d'assistance publique en considérant que « la simple limitation des contributions fédérales accordés jusque-là n’équivalait pas à la réglementation d’une matière relevant de la compétence provinciale. De simples "répercussions" ne sont manifestement pas suffisantes pour conclure à l’empiètement d’une loi fédérale sur la compétence de l'autre palier de gouvernement» 55 . Ce faisant, la Cour suprême n’apparaît pas condamner l’utilisation du pouvoir de dépenser tant que celui-ci respecte les compétences provinciales. 12. Dans une autre affaire Finlay v. Canada, c’est un particulier qui intenta, au contraire, une action visant à déclarer illégale la contribution du gouvernement fédéral au régime d'aide sociale du Manitoba, accomplie en application du même régime (le RAPC). Dans cet arrêt, la Cour défendit la constitutionalité de la loi sur le Régime d'assistance publique sur base du pouvoir de dépenser fédéral :

« Compte tenu de la nature et des objets du RAPC, qui est une loi qui autorise l'engagement de dépenses, les conditions dont est assortie la contribution du gouvernement fédéral visent non pas à dicter les termes précis de la législation provinciale, mais plutôt à promouvoir les mesures législatives qui permettent de respecter, pour l'essentiel, les objectifs du RAPC »56 (c’est nous qui soulignons).

En conclusion, bien que la jurisprudence canadienne récente semble ne pas condamner l’usage en tant que tel du pouvoir de dépenser fédéral, aucune décision de principe ayant la portée de précédent n’a

53 Cette partie apparaît comme ne faisant pas partie de la ratio de la décision mais serait plutôt un obiter dictum, c’est-à-dire une partie du raisonnement ne faisant pas formellement partie du précédent judiciaire liant les juridictions inférieures ou de même rang : v. infra, note 57. 54 G. LA FOREST, The Allocation of Taxing Power Under the Canadian Constitution, 2e Ed., 1981, p. 45 cité dans l’arrêt de la Cour suprême Winterhaven Stables Ltd. v. Canada. 55 Avis consultatif sur le régime d’assistance publique du Canada, [1991] 2 R.C.S. 525. 56 Finlay c. Canada (Ministre des finances, [1993] 1 R.C.S.1080.

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clairement tranché la question de sa constitutionnalité et de son fondement juridique précis57. Il règne donc une certaine ambigüité b) De la théorie à la réalité du terrain… 13. Au delà des considérations juridiques, le pouvoir de dépenser fédéral s’est surtout développé en raison des circonstances financières favorables au pouvoir fédéral. En vertu de la loi constitutionnelle de 1867, les autorités fédérales se sont vus attribuées les sources de revenus les plus importantes afin de faire face aux besoins collectifs du nouvel État. Cette concentration des ressources les plus productives aux mains du fédéral a fortement contribué à l’instauration de programmes de subventions fédérales en faveur de la population et des collectivités inférieures. Surtout depuis la seconde guerre mondiale, l’autorité fédérale canadienne dispose, en effet, de revenus lui permettant de dépenser largement dans les matières provinciales tandis que les charges des compétences provinciales étaient devenues, déjà dans les années 80, très coûteuses58. Les recettes excédentaires du fédéral furent donc utilisées pour soutenir un ensemble de politiques sociales et de normes de programmes dans divers domaines de compétences des provinces59. Une grande variété de programmes à frais partagés fut ainsi instaurée au cours des années 6060 dans les secteurs de la santé, de l’aide sociale, de la culture, de l’éducation, de la recherche, du développement régional, des infrastructures municipales ou de la rénovation urbaine61. Créé en 1966, le régime d’assistance publique du Canada est, par exemple, l’un de ces programmes conjoints ; celui-ci prévoit la prise en charge commune fédérale et provinciale des coûts de certains services provinciaux d’assistance sociale62. 14. Or, ces programmes de subventions impliquent le plus souvent le respect de « normes nationales » établies par des lois fédérales, comme, par exemple, la loi sur l’assurance-hospitalisation et les services diagnostiques, ou la loi sur les soins médicaux63. Vers la fin des années 60, le gouvernement fédéral canadien s’était néanmoins engagé à n’introduire de nouveaux programmes de subventions que si un large consensus national se dégageait en faveur de ce programme, c’est-à-dire si au moins trois des quatre régions du Sénat appuyait l’initiative64. Cependant, même si des négociations intergouvernementales les précèdent parfois, le gouvernement fédéral prend généralement de manière unilatérale toutes les décisions relatives à ces programmes65. Les notions mêmes de consensus national, de standards nationaux

57 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, op. cit. , p. 18 ; M.-A. ADAM, « Federalism and the spending power: section 94 to the rescue », Options politiques, Institut de recherches en politique publiques, mars 2007, p. 31 : les seuls passages favorables le pouvoir de dépenser dans les arrêts de la Cour Suprême sont des obiter dicta sauf peut-être dans l’affaire Winterhaven Stables Ltd. v. Canada. 58 G. TREMBLAY et H. BRUN., Droit constitutionnel, Editions Yvon Blais, Cowansville, 1982, p. 319. 59 RONALD L. WATTS, op. cit., p. 1. 60 Ibidem. 61 A. TREMBLAY, op. cit., p. 303; voy. le Federal-Provincial Fiscal Arrangements Act, le Canada Health Act et le Provincial Subsidies Act cités par B. H. KELLOCK, Q. C. and S. LEROY, op. cit., p. 13; le Agricultural Rehabilitation and Development Act (ARDA), Fund for Rural Economic Development (FRED), Department of Regional Economic Expansion grants (DREE) cités par C. BÉLANGER, « Canadian federalism and the Spending Power of the Canadian Parliament », Marianopolis College, 2001. 62 J. ANASTOPOULOS, op. cit., p. 230 ; TELFORD Hamish, GRAEFE Peter et BANTING Keith, « Defining the federal government’s role in social policy: the spending power and other instruments », Institut de recherches en politique publiques, 2008, vol. 9, n°3. 63 Cité par G. TREMBLAY et H. BRUN, op. cit., p. 320. 64 P. E. TRUDEAU, Federal-provincial Grants and the spending power, GOC 1969a cité par H. TELFORD, op. cit., p. 9. 65 R. L. WATTS, op. cit., p. 2.

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induisent l’idée de la reconnaissance d’une seule nation au détriment de l’aspect multinational de la fédération canadienne, notamment de la minorité francophone du pays66. Sans doute, cette intervention « visible » de l’autorité fédérale directement en faveur des citoyens, notamment dans les secteurs sociaux, contribue, selon certains, au maintien d’une identité nationale canadienne et légitime, dès lors, à tout prix le recours à cette pratique constitutionnelle67. 15. A l’opposé, il arrive aussi que les provinces puissent dépenser de l’argent dans des domaines de compétences de l’autorité fédérale, bien que cela soit à une échelle beaucoup plus retreinte et de manière moins fréquente68 (par exemple, lorsqu’une province fournit de l’aide internationale69 ou ouvre un bureau à l’étranger70). En conclusions, l’insécurité juridique qui entoure le pouvoir de dépenser n’a pas empêché, en pratique, le déploiement d’une variété de programmes et initiatives fédérales dans les champs de compétence provinciale71 au nom, notamment, d’une certaine « construction nationale canadienne ». Qu’en est-il en Belgique ? III. En Belgique. a) Le pouvoir de dépenser est-il juridiquement reconnu ? 16. Comme l’expliquent Xavier DELGRANGE et Marc DETROUX, le « pouvoir de dépenser » au sens du droit constitutionnel canadien n’est reconnu, en Belgique, ni à l’autorité fédérale, ni aux entités fédérées72. En effet, les pouvoirs dont sont investis l’Etat fédéral, les communautés ou les régions, pour effectuer des dépenses sont subordonnés à la compétence matérielle à laquelle ces dépenses sont affectées73. La section de législation du Conseil d'Etat a d’ailleurs rappelé, à plusieurs reprises, ce principe comme celui du « fédéralisme financier » :

«... les pouvoirs dont sont investis l'Etat fédéral, les communautés ou les régions, pour effectuer des dépenses dans le cadre de leur politique publique ou sous la forme de subventions octroyées à des institutions de droit public ou de droit privé, sont subordonnés à la compétence matérielle à laquelle ces moyens financiers sont affectés, sous la réserve des exceptions éventuelles prévues par la Constitution ou la loi spéciale » (nous soulignons).74

66 Voy. H. TELFORD, op. cit. 67 Ibid, p. 8 et s ; 68 J. POIRIER, op. cit., p. 366 ; Voy. l’arrêt de Cour Suprême Lovelace v. Ontario qui a reconnu l’existence d’un pouvoir de dépenser provincial dans le chef de la province d’Ontario quant à la gestion de casinos en partenariat avec les communautés autochtones. 69 PETER W. HOGG., op. cit., p. 366. 70 K. RICHER, op. cit., p. 3 71 A. TREMBLAY, op. cit., 304. 72 X. DELGRANGE et M. DETROUX, « Tout s’achète, même les compétences: le “pouvoir de dépenser” fleurit sur le terreau de l’autonomie fiscale », Journal du Juriste (Belgique), no. 4, 2002, p. 4 73 Ibid. 74 Voy. les avis du 25 janvier 1984, Doc. Parl., Chambre, 834, sess. 1983-1984, n° 1, pp. 27-29 et 42-46 et n° 10 ; l’avis du 13 octobre 1992, Doc. Parl., Sénat, 526-1, sess. 1992-1993, pp. 158-159 ; l’avis n° L 26.248/1, du 1er avril 1997, sur un avant-projet de loi « créant un programme de mise à disposition de chercheurs scientifiques au bénéfice des établissements d'enseignement universitaire et des établissements scientifiques fédéraux », Doc. Parl., Chambre, n° 1022-1, sess. 1996-1997, p. 4 ; l’avis n° L 27.394/2, du 30 mars 1998, sur un avant-projet de décret « visant à assurer à tous les élèves des chances égales d'émancipation sociale, notamment par la mise en œuvre de discriminations positives », Doc. parl., CCF, sess. 1997-1998, n° 235-1, p. 56 ; l'avis n° L 27.777/2 du 28 mai 1998 sur un projet de décret « autorisant le ministre qui à le Budget dans ses attributions à présenter au Parlement de la Communauté française le projet de décret-programme portant diverses mesures concernant la gestion budgétaire, les fonds budgétaires, les bâtiments scolaires, l'enseignement et la promotion de la santé », Doc. parl., CCF, sess. 1997-

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Le Conseil d’Etat qualifie d’ailleurs cette règle de principe essentiel caractérisant la réforme institutionnelle de l’Etat belge75. 17. La Cour Constitutionnelle consacra également ce principe à l’occasion de l’affaire relative aux subventions allouées par la Communauté française à des associations francophones actives dans des communes à statut linguistique spécial, situées en périphérie de la Région bruxelloise76. Par un arrêt du 3 octobre 1996, la Cour Constitutionnelle sanctionna cette pratique en annulant le décret qui autorisait ces aides77 :

« Aux termes de l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la Constitution, les Conseils de la Communauté française et de la Communauté flamande règlent par décret, chacun en ce qui le concerne, les matières culturelles.

De la lecture conjointe de cette disposition et de l'article 175, alinéa 2, de la Constitution, aux termes duquel les Conseils de la Communauté française et de la Communauté flamande règlent par décret, chacun en ce qui le concerne, l'affectation de leurs recettes, la fixation des moyens financiers d'une politique culturelle relève de l'acte de « régler » les matières culturelles (nous soulignons). »

Les articles 127, §1er, al. 1 et 175, al. 2 de la Constitution servent donc de fondement explicite à la Cour Constitutionnelle pour consacrer l’existence du « fédéralisme financier » : le financement d’une compétence doit être intimement lié à l’exercice de celle-ci et, partant, est soumis au respect des règles de répartition de compétences tant matérielles que territoriales78. b) De la théorie à la réalité du terrain… 18. Si le système constitutionnel belge consacre explicitement le principe du fédéralisme financier, la pratique regorge d’exemples dans lesquels des entités de la fédération financent certaines politiques publiques relevant des compétences d’une autre composante. i. La délégation de compétences : un « équivalent fonctionnel » 19. Selon l’auteur canadien D. W. S. YUDIN, la délégation de compétence est l’une des formes de fédéralisme flexible (« flexible federalism ») à l’instar du pouvoir de dépenser ou des ententes intergouvernementales79. Or, la Constitution belge prévoit cet instrument dans plusieurs dispositions.

1998, n° 247-1, p. 17; l'avis n° L 29.645/2, du 17 novembre 1999, sur un avant-projet de décret-programme « portant diverses mesures concernant les fonds budgétaires, l'enseignement, l'enfance et les fonds structurels », Doc. parl., CCF, sess. 1999-2000, n° 32-1, p. 16 ; Avis n° L 30.037/2, du 24 mai 2000, Doc. Parl., C.C.F., sess. 2000-2001, n° 95-1, p. 17 ; Avis n° L 30.688/2, du 4 octobre 2000, Doc. Parl., C.C.F., sess. 2000-2001, n° 110-1, p. 7 75 Avis n° L 26.248/1, Doc. Parl., Chambre, n° 1022-1, sess. 1996-1997, p. 4 76 C.C., 3 octobre 1996, n°54/96 ; C.C. du 29 avril 1999, n°50/99 ; C.C., 17 mai 2000, n°56/2000 et C.C., 20 novembre 2001, n°145/2001. 77 C.A., 3 octobre 1996, n°54/96. Décret de la Communauté française du 22 décembre 1994. 78 M. UYTTENDAELE, Précis de droit constitutionnel, 3e Edition, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 989. 79 D. W. S. YUDIN, op .cit., p. 473.

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L’article 137 de la Constitution belge prévoit que la Communauté française et la Communauté flamande peuvent, moyennant l’adoption d’une loi spéciale adoptée par le parlement fédéral, exercer les compétences, respectivement, de la Région wallonne et de la Région flamande. La loi spéciale du 8 août 1980 mit en œuvre cette disposition en permettant à la Communauté flamande d’exercer l’ensemble des compétences des institutions régionales flamandes80. Cette délégation de compétence avait pour objectif, entre autre, à la Communauté flamande de financer une partie des politiques publiques communautaires par des impôts régionaux, en évitant les difficultés de mise en œuvre d’une fiscalité communautaire81. Cette disposition de la Constitution autorise donc l’exercice de compétences régionales par les Communautés mais ne permet pas l’absorption proprement dite de l’entité régionale par une Communauté. Il s’ensuit que le budget de chaque institution devrait en principe demeurer strictement séparé, ce qui ne semble pas être le cas en pratique82. Ainsi, ce mécanisme de vases communicants entre les budgets des institutions flamandes apparaît, en pratique, comme un moyen pour la Communauté flamande de contourner la règle constitutionnelle du fédéralisme financier en finançant une partie de ses compétences par des fonds régionaux83. 20. L’article 138 de la Constitution prévoit que la Région wallonne et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale peuvent exercer, en tout ou en partie, les compétences de la Communauté française84. Ces trois entités conservent donc chacune leur personnalité juridique distincte mais peuvent, de commun accord, décider que l’exercice de certaines compétences attribuées à la Communauté française peut être exercées par la Région wallonne et la Commission communautaire française85. Cette faculté fut mise en œuvre en 1993 par l’adoption de trois décrets : un décret spécial de la Communauté française du 19 juillet 1993 et deux décrets du 22 juillet 1993, pris respectivement par la Région wallonne et par la Commission communautaire française86. Paradoxalement, cette disposition (prévue lors de la réforme de l’Etat de 1993) prévoit le mécanisme inverse de l’article 137, à savoir permettre l’exercice de certaines compétences communautaires par des organes régionaux. 21. L’article 139 de la Constitution prévoit la possibilité pour la Communauté germanophone d’exercer des compétences régionales, ce qui fut mis en application à plusieurs reprises87.

80 Art. 1er, § 1 de loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, M. B. du 15 août 1980, p. 9434. 81 M. UYTTENDAELE, op. cit., p. 1054 et 127 : les Communautés ne disposent pas de compétence directe à l’égard des personnes de la région bilingue de Bruxelles-Capitale. 82 Ibid., p. 869, n° 748. 83 Ibid., p. 1054. 84 Voy. également les articles 166 § 3 de la Constitution et 65 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises. 85 V. BARTHOLOMEE, Le système fédéral in La Belgique fédérale, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 77. 86 Décret spécial de la Communauté française du 19 juillet 1993 (n°II) attribuant l’exercice de certaines compétences de la Communauté française à la Région wallonne et à la Commission Communautaire française, M. B. du 10 septembre 1993, p. 19981 ; Décret de la Région wallonne du 22 juillet 1993 (n°II), M. B. du 10 septembre 1993, p. 20000 ; Décret de la Commission communautaire française du 22 juillet 1993 (n°III), M. B. du 10 septembre 1993, p. 20017 (voy. également le décret spécial du 23 décembre 1999 modifiant le décret spécial n°II, M. B. du 20 janvier 2000, p. 1952) 87 Décret de la Région wallonne du 23 décembre 1993 relatif à l’exercice, par la Communauté germanophone, des compétences de la Région wallonne en matière de Monuments et sites, M. B. du 12 février 1994, p. 3699 approuvé par le décret de la Communauté germanophone du 17 janvier 1994, M. B. du 16 mars 1994, p. 6544 ; décret de la Région wallonne du 6 mai 1999 relatif à l’exercice, par la Communauté germanophone, des compétences de la Région wallonne en matière d’emploi et de fouilles, M. B. du 3 juillet 1999, p. 25253 approuvé par le décret de la Communauté germanophone du 10 mai 1999, M. B. du 29 septembre 1999, p. 36533 ; décret de la Région wallonne du 27 mai 2004 relatif à l’exercice, par la Communauté germanophone,

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22. Ces trois dispositions constitutionnelles constituent des mécanismes constitutionnels organisant une asymétrie88 entre les institutions par le transfert de l’exercice d’une ou plusieurs compétences d’une entité à une autre, sous réserve d’un accord mutuel entre celles-ci ou, dans le cas de l’article 137, de l’adoption par le Parlement fédéral d’une loi spéciale. Par conséquent, certaines composantes de la fédération89 peuvent financer, contrôler et même légiférer des matières pour lesquelles elles n’étaient pas, en principe, compétentes. Le principe du parallélisme entre le pouvoir d’exercer des compétences et le pouvoir de les financer est néanmoins strictement respecté. On peut dès lors raisonnablement qualifier ces dispositions de premiers « équivalents fonctionnels » à l’absence de pouvoir de dépenser dans le paysage institutionnel belge. Enfin, on peut constater surtout que ces délégations ne concernent que les entités fédérées entre elles et non les relations entre l’autorité fédérale et les autres composantes de la fédération. ii. Les politiques croisées90 24. Selon l'article 92bis, §, 1er, al. 1er, de la loi spéciale, l'Etat, les Communautés et les Régions peuvent conclure des ententes intergouvernementales, dénommées accords de coopération, qui portent notamment sur la création et la gestion conjointes de services et institutions communs, sur l'exercice conjoint de compétences propres, ou sur le développement d'initiatives en commun. Or, l’usage de ces ententes peut également constituer un « instrument insidieux »91 permettant à une composante de la fédération de financer des matières appartenant à une autre, malgré l’inconstitutionnalité du pouvoir de dépenser, sans disposer de la compétence matérielle afférente à cette dépense. 25. L’accord de coopération du 22 juin 2000 conclu entre la Communauté française et la Région wallonne en est un bel exemple. Son intitulé était, à l’origine, particulièrement explicite puisqu’il se présentait comme suit : « accord portant sur le refinancement de la Communauté française par la Région wallonne pour un montant de 900 millions de francs par la coopération dans le cadre de politiques croisées… » ! (nous soulignons).

de certaines compétences de la Région wallonne en matière de pouvoirs subordonnés, M. B. du 16 juin 2004, p. 44706 approuvé par le décret de la Communauté germanophone du 1er juin 2004, M.B. du 19 octobre 2004, p. 72564. 88 V. BARTHOLOMEE, op. cit., p. 77. 89 Art. 138 : la Région wallonne & la COCOF ; Art. 139 : la Communauté germanophone. 90 Voy. l’accord de coopération du 22 juin 2000 entre la Communauté française et la Région wallonne portant sur le financement de la coopération dans le cadre de politiques croisées, sur les Fonds structurels européens et sur le développement des entreprises culturelles, M. B. du 5 août 2000, p. 27106 (approuvé par le décret de la Région wallonne du 18 juillet 2000, M. B. du 5 août 2000, p. 27105 et par le décret de la Communauté française du 20 juillet 2000, M. B. du 5 août 2000, p. 29210) ; l’accord de coopération du 4 juillet 2000 entre la Communauté française et la Région wallonne relatif à la mise à disposition d’équipements pédagogiques en faveur des élèves et des enseignants de l’Enseignement secondaire technique et professionnel, M. B. du 8 décembre 2000, p. 41231 (approuvé par le décret de la Région wallonne du 14 décembre 2000, M. B. du 29 décembre 2000, p. 43208 et le décret de la Communauté française du 20 juillet 2000, M. B. 26 août 2000, p. 29210) et celui du 19 décembre 2003 entre la Communauté française et la Région wallonne portant sur le développement de politiques concertées en matière d’alphabétisation des adultes et sur le financement en 2003 et 2004 de la coopération dans le cadre des politiques croisées, fait à Namur, le 19 décembre 2003, M.B. du 15 juin 2004, p. 44436 (approuvé par le décret de la Région wallonne du 27 mai 2004, M. B. du 29 juillet 2004, p. 57938 et par le décret de la Communauté française du 19 mai 2004, M. B. du 15 juin 2004, p. 44435). 91 J. POIRIER, « Le droit public survivra-t-il à sa contractualisation? Le cas des accords de coopération dans le système fédéral belge », Rev. dr. ULB, n°33, 2006, p. 278.

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Consulté à l’occasion de l’adoption d’une norme d’assentiment, la section législation du Conseil d’Etat rappela que le principe du « fédéralisme financier » implique que le pouvoir d’effectuer des dépenses soit subordonné à la compétence matérielle à laquelle ces moyens financiers sont affectés, sous la réserve des exceptions éventuelles prévues par la Constitution ou la loi spéciale, et invita, en conséquence, les parties à renégocier l’accord en raison de sa contradiction avec les règles constitutionnelles prohibant le financement par la Région wallonne de compétences communautaires92. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, le Conseil d’Etat précisa que « bien que toute forme de coopération implique inévitablement une limitation de l'autonomie des autorités concernées, la conclusion d'un accord de coopération… ne peut entraîner un échange, un abandon ou une restitution de compétence; il s'agirait là d'une violation des règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat fédéral, des Communautés et des Régions » 93. En effet, une autorité ne peut conclure un accord de coopération que si elle met en œuvre des compétences propres et qu'elle n’abandonner par à l'autre partie ou aux autres parties à l'accord le pouvoir de prendre, sans sa participation ou leur participation, les décisions qui impliquent la mise en œuvre de cet accord. Concrètement, les partenaires d’un accord de coopération ne sont pas entièrement libre mais doivent respecter les règles constitutionnelles et légales de répartition des compétences. En l’espèce, le titre même de l'accord de coopération prévoyait un refinancement de la Communauté française par la Région wallonne, en contraction flagrante des règles déterminant le financement des entités fédérées. Quant au contenu de l’accord, celui-ci permettait, en dehors des procédures de transfert de compétences précitées94, à la Région wallonne de financer des programmes et de mener des politiques spécifiques dans des matières qui relèvent de la compétence de la Communauté française, sans traduire effectivement l'exercice de compétences propres dans son chef. Ainsi, une disposition prévoyait un fonds financé par la Région wallonne pour, notamment, la modernisation de l'équipement pédagogique de base des établissements alors que la région n’est compétente que vis-à-vis des établissements dispensant des formations en alternance agréées. De même, un autre article de l’accord permettait l'affectation par la Région wallonne de fonds destinés à l'accueil extrascolaire des enfants, sous forme de subventions « en concertation avec la Communauté française et dans le respect des critères fixés par celle-ci ». Or, malgré les compétences régionales dans le financement général des communes et des provinces96, celles-ci ne peuvent intervenir lorsque les missions se rapportent à une matière relevant de la compétence des Communautés, comme les gardes d'enfants en dehors du milieu familial. Malgré les critiques du Conseil d’Etat, les décrets d’assentiments de l’accord de coopération furent adoptés, sans modifications fondamentales, sauf en ce qui concerne l’intitulé de l’accord où le terme refinancement disparut. Les différents partenaires justifièrent cette position en invoquant le lien d'interdépendance nécessaire entre la résorption du chômage, une compétence régionale et la formation des élèves, une compétence communautaire97.

92 Avis n° L 30.037/2, du 24 mai 2000, Doc. Parl., C.C.F., sess. 2000-2001, n° 95-1, p. 17. 93 C.C., n° 17/94 du 3 mars 1994 ; voy. les commentaires de P. COENRAETS, Réflexions sur le contrôle de constitutionnalité des accords de coopération, A.P.T., 1995, p. 216 et s. 94 Voy. supra le mécanisme de l’article 138. 96 Art. 6, § 1er, VIII, 9° et 10°, de la loi spéciale du 8 août 1980. 97 J. POIRIER, Keeping promises in federal systems: the legal status of intergovernmental agreements with special reference to Belgium and Canada, University of Cambridge, 2003, p. 67.

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26. Ce contournement des règles de financement se retrouve encore dans l'accord de coopération du 4 juillet 2000 entre la Communauté française et la Région wallonne relatif aux programmes d'immersion linguistique98. En effet, cet accord prévoit l'apprentissage des langues par l’immersion notamment par des stages en Communauté flamande ou germanophone ou dans un pays étranger, des échanges de classes ou de professeurs, des échanges culturels. Cependant, l'immersion linguistique ne relève pas de la compétence de la Région wallonne et rien ne garantit dans l’accord que cette immersion ne s’effectuerait pas uniquement dans l'enseignement de la Communauté française99. A nouveau, les critiques avancées par la section de législation du Conseil d’Etat n’empêchèrent pas l’accord de coopération d’être finalement adopté. Si certes l’on peut considérer que l’équipement en ordinateurs d’écoles ou les aides à l’immersion linguistique sont des réalisations éminemment souhaitables en terme de politiques publiques mais il convient de rappeler que celles-ci se font au détriment de la Commission communautaire française (COCOF) de la Région de Bruxelles-Capitale et du respect des règles de financement des politiques communautaires. iii. Le cas de la Région de Bruxelles-Capitale : - L’accord de coopération BELIRIS100 : 27. L’accord de coopération BELIRIS vise l’intervention financière de l’Etat fédéral dans des projets réalisés sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. Les objectifs principaux de cette coopération intergouvernementale sont, d’un part, d’assurer le rôle de Bruxelles comme capitale de l’Etat et comme ville de dimension internationale dont le rayonnement profite à toutes les composantes de la fédération et, d’autre part, de pallier les problèmes de financement de la Région bruxelloise101. Bien que le titre IV de la loi spéciale du 12 janvier 1989 sur les institutions bruxelloises semble envisagé plus globalement « la coopération entre l’Etat, les communautés et les régions », seule la coopération entre l’Etat fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale est prévue, par la loi spéciale. L’article 43 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 prévoit expressément l’existence d’un comité de coopération qui peut élaborer des projets conjoints entre l’Etat fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale en vue de promouvoir le rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles dont le financement peut être assuré en tout ou en partie par l’Etat fédéral102. 98 Accord de coopération du 4 juillet 2000 entre la Communauté française et la Région wallonne relatif aux programmes d’immersion linguistique, M. B. du 8 décembre 2000, p. 41236 (approuvé par le décret de la Région wallonne du 14 décembre 2000, M. B. du 29 décembre 2000, p. 43204 et le décret de la Communauté française du 30 novembre 2000, M. B. du 8 décembre 2000, p. 41235). 99 Avis n° L 30.688/2, du 4 octobre 2000, Doc. Parl., C.C.F., sess. 2000-2001, n° 110-1, p. 7 (renvoi à l'avis n° L 30.037/2). 100 Voy. J. POIRIER, « La coopération à Bruxelles: la dimension fédérale-régionale » in Autonomie, solidarité et coopération : quelques enjeux du fédéralisme belge au 21e siècle, Larcier, Bruxelles, 2001, p. 489-522 et in 19 keer Brussel, Thèmes bruxellois n°7, VUB Press, Bruxelles, 2001, p. 249-272. 101 J. POIRIER, « La coopération à Bruxelles… », op. cit., p. 251 : Les difficultés de financement de la région de Bruxelles-Capitale résultant notamment de l’exode de la classe moyenne, du phénomène des navetteurs, de l’exonération fiscale des fonctionnaires des organisations internationales et de la limitation artificielle de son territoire à dix-neuf communes. 102 Loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises, M. B. du 14 janvier 1989, p. 10.

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Cette disposition autorise donc explicitement l’Etat fédéral à financer ou à cofinancer des projets en partenariat avec la Région bruxelloise dans des matières qui relèvent, en principe, de la compétence régionale (urbanisme, aménagement du territoire, etc.…). Cette faculté est néanmoins limitée car elle exige le consentement des deux partenaires et ne vise que les initiatives ayant pour objet de « favoriser et de promouvoir le rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles ». L’intervention fédérale à Bruxelles n’est ainsi juridiquement fondée que tant qu’il existe un lien entre les projets visés et cet objectif. Or, cette possibilité doit s’interpréter de manière restrictive puisqu’elle constitue une exception au principe de l’attribution exclusive de compétences103. 28. La pièce maîtresse de cette coopération est l’accord de coopération du 15 septembre 1993 dit BELIRIS104 qui prévoit que la collaboration entre l’Etat Fédéral et la Région doit faire l’objet d’une programmation claire, d’une définition des rôles et des modes d’intervention respectifs, et de l’élaboration d’un accord-cadre de coopération105. Or, il est intéressant de constater que cet accord-cadre en question n’a jamais été adopté et que ce sont les avenants successifs106 qui ont progressivement rempli ce rôle, en reconduisant l’accord sur une base ad hoc. Cet aspect de négociation perpétuelle de la coopération fédérale n’est sans doute pas étranger aux divergences de conception qui subsistent quant au statut de Bruxelles107. Par contre, le contenu de l’accord de coopération du 15 septembre 1993 semble reconnaître, au delà du prescrit de l’article 43 de la loi spéciale, une forme d’« obligation de dépenser » à charge de l’autorité fédérale dans les projets à caractère national ou international. L’accord de 1993 prévoyait un financement intégral à charge du budget de l’Etat fédéral pour les travaux en relation avec la S.N.C.B. (compétence fédérale), l’espace Bruxelles-Europe, les alentours du palais royal ou de l’OTAN et, un cofinancement à hauteur de 49% pour l’Etat Fédéral et 51% pour la Région de Bruxelles-Capitale pour les voies d’accès et la valorisation de divers monuments bruxellois à caractère national. Ainsi, les projets financés par l’accord de coopération concernaient quatre grandes catégories : les infrastructures de transport, la valorisation des monuments, l’aménagement d’espaces publics et l’amélioration des infrastructures dans les quartiers défavorisés. Au départ, la première catégorie d’initiatives était la plus importante mais, au fil des avenants à l’accord de coopération, un glissement s’est opéré en faveur de la restauration du patrimoine et de « l’image de Bruxelles »108. A partir de 1999, les avenants succesifs opèrent encore un certain revirement par rapport aux objectifs initiaux en réalisant des projets visant à « améliorer le cadre de vie des quartiers défavorisés » 109.

103 J. POIRIER, « La coopération à Bruxelles… », op. cit.p. 254. 104 Ibid. 105 www.beliris.be 106 Voici les références des précédents avenants : n° 1 du 29 juillet 1994 (années 1995 et 1996), n° 2 du 22 mai 1997 (année 1997), n° 3 du 29 janvier 1998 (années 1998 et 1999), n° 4 du 2 juin 1999 (actualisant les budgets 1998 et 1999), n° 5 du 28 février 2000 (année 2000), n° 6 du 16 janvier 2001 (années 2001, 2002 et 2003), n° 7 du 27 février 2002 (années 2002, 2003 et 2004), n° 8 du 20 février 2003 (actualisant les budgets 2003 et 2004). 107 J. POIRIER, J. POIRIER, « La coopération à Bruxelles… », op. cit.p. 255 ; Voy. pour comprendre ces différentes conceptions autour du statut de Bruxelles : N. LAGASSE, Le statut de la Région de Bruxelles-Capitale : la position des principaux acteurs politiques, C.H. CRISP, 1999, n°1652. 108 J. POIRIER, J. POIRIER, « La coopération à Bruxelles… », op. cit.p. 256. Par exemple, les travaux dans le Parc de Bruxelles et la restauration de l’Atomium ou la revalorisation des liaisons piétonnes du Pentagone 109 Voir l’avenant n° 5 du 28 février 2000. cité par J. POIRIER, J. POIRIER, « La coopération à Bruxelles… », op. cit., p. 257.

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29. Comme l’écrit Johanne POIRIER, on en arrive presque à la conclusion que : « si la construction de salles multisports de petites dimensions à Anderlecht ou la réparation de trottoirs à Molenbeek contribuent à la promotion du rôle international et à la fonction de capitale de Bruxelles, on peut se demander ce qui ne contribuerait pas à cette promotion »110. En réalité, certaines parties de l’accord intergouvernemental servent à financer la Région en marge de la loi spéciale de financement car elles ne se justifient raisonnablement pas par la promotion du rôle international et la fonction de capitale de Bruxelles111. Or, comme le rappelait le Conseil d’Etat dans son avis sur les politiques croisées, les accords de coopération ne peuvent servir à modifier, même sur une base négociée, les règles qui, au prix de majorités qualifiées, ont arrêté les bases de financement des différentes collectivités au sein de l’Etat fédéral112. En cas de recours, on peut craindre que la Cour constitutionnelle113 ou le Conseil d’Etat114 ne questionne la légalité de certaines parties de ces avenants de l’accord de coopération, pour contradiction avec les règles répartitrices de compétences115. - Les infrastructures sportives communales. 30. Le sport est une matière communautaire qui a fait l’objet d’un transfert de compétence en faveur de la Commission Communautaire française de la Région bruxelloise (COCOF), en vertu de l’article 138 de la Constitution (voir supra). L’article 3, 1° du Décret III du 22 juillet 1993 attribue, en effet, l'exercice des compétences de la Communauté française liées à l'éducation physique, les sports et la vie en plein air116 à la COCOF en ce qui concerne les infrastructures communales, provinciales, intercommunales et privées pour le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale117. Selon l’article 128 de la Constitution, les Communautés ne peuvent règlementer les institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui ne sont pas considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou l’autre communauté. Or, les infrastructures sportives communales entrent dans cette catégorie résiduelle « biculturelles » car elles peuvent être utilisées indifféremment par les deux communautés118. Par conséquent, la COCOF ne peut pas intervenir vis-à-vis de ces institutions communales et, elle ne dispose, de toute façon, pas des moyens financiers suffisants pour ce faire. En réalité, c’est à l’Etat fédéral, en vertu de sa compétence résiduelle, que revient la compétence des infrastructures sportives communales sur le territoire de la Région bruxelloise119. 31. Cependant, la Région de Bruxelles-Capitale décida d’allouer, elle-même, un budget pour subsidier les infrastructures sportives communales sur son territoire. Les modalités d’octroi de ce subventionnement furent prévues d’abord par plusieurs accords interministériels120 du 6 juillet 1994, du 20 novembre 1995

110 J. POIRIER, op. cit., p. 267. 111 Idem, p. 268. 112 Ibidem. 113 Suite à un recours contre une disposition législative budgétaire approuvant une dépense engagée en vertu de l’accord. 114 Suite à un recours contre un acte administratif adopté en vertu de l’accord de coopération. 115 J. POIRIER, « La coopération à Bruxelles… », op. cit., p. 268 et 269. 116 Visés à l'article 4, 9°, de la loi spéciale du 8 août 1980. 117 M. B. du 10 septembre 1993. 118 M. UYTTENDAELE, op. cit., p. 979. 119 Ibidem. 120 Doc. Parl., RBC., sess. 2001-2002, n°A-272, p. 2.

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et du 30 novembre 1999121, puis par une circulaire ministérielle du 18 juillet 2002 relative « à l’octroi de subsides destinés à encourager les investissements en infrastructures sportives »122. Par cette circulaire, la Région de Bruxelles-Capitale s’engage à financer la réalisation d’investissements d’intérêt public par les communes en matière d’infrastructures sportives tant pour des grands projets (60%) que pour des petites infrastructures (50% ou 80% s’il s’agit d’un quartier régional prioritaire)123. La dite circulaire prévoit un plan triennal d’investissement en matière sportive déterminé par le Gouvernement bruxellois, après avis de la Commission technique d’infrastructure (6 représentants de la COCOF, 3 représentants de la VGC et 2 représentants de la RBC) et le Comité d’accompagnement régional (un représentant de chaque ministre et secrétaires d’Etat régional y est présent) 124. A ce propos, il est piquant de constater que le rôle d’une circulaire qui doit, en principe, se contenter à commenter la législation ou la règlementation afin d’éclairer l’administration est clairement outrepassé, en l’espèce125. Cette circulaire ministérielle prévoit elle-même des règles juridiques, sans fondement légal, qui déterminent l’octroi de subsides du gouvernement bruxellois pour des infrastructures sportives. Il semble d’ailleurs que le gouvernement bruxellois ait choisi délibérément cet instrument afin d’éviter tout grief qui pourrait lui être fait quant à son incompétence en la matière. 32. Parallèlement à cela, une ordonnance du gouvernement bruxellois du 3 mars 2005 fut adoptée pour encourager cette fois la réalisation « d’infrastructures sportives de proximité »126 :

« [Depuis] le transfert de compétences de la Communauté française…, la COCOF est devenue compétente en ce qui concerne les infrastructures sportives communales. Il appartenait donc désormais, à la Région bruxelloise (en tant que pouvoir compétent pour l'octroi des subsides aux communes) et à la COCOF de collaborer en matière de subsides aux infrastructures sportives communales (qu'il s'agisse de grandes infrastructures, de petites infrastructures ou d'infrastructures de proximité)» 127 (c’est nous qui soulignons).

Or, conformément à la loi spéciale du 8 août 1980128 et à l’avis du Conseil d’Etat dans l’affaire des politiques croisées129, le financement des missions à remplir par les communes relève de la compétence des Régions, sauf lorsque les missions se rapportent à une matière qui est de la compétence de l'autorité fédérale ou des Communautés. L’ordonnance prévoit un taux de subvention de 90% en ce qui concerne les projets des communes ayant un pourcentage de jeunes âgés de 0 à 25 ans au sein de leur population totale supérieur ou égal à 30% et, un taux de 60% en ce qui concerne les projets des communes comportant plusieurs quartiers ayant un pourcentage de jeunes âgés de 0 à 25 ans supérieur ou égal à 30%. Ce financement régional vise l'infrastructure sportive elle-même, les travaux d'aménagement de l'espace environnant, les frais de rénovation des infrastructures existantes et les honoraires des auteurs de projet.

121 « Accord déterminant la procédure et les modalités de subsidiation des infrastructures communales à caractère sportif conclu entre le Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé des pouvoirs locaux, et le Membre du Collège de la Commission communautaire française, chargé du sport ». 122 M. B. du 15 octobre 2002. 123 Arts.10 et s. de la circulaire du 18 juillet 2002. 124 Arts. 7, 8 et 9 de la circulaire du 18 juillet 2002. 125 P. GOFFAUX, Dictionnaire élémentaire de droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 45. 126 M. B. du 22 mars 2005 ; Doc. Parl., RBC., sess. 2004-2005, n°A-56/1 et A-56/2 reprenant une précédente proposition n°A-272, Doc. Parl., RBC., sess. 2001-2002. 127 Doc. Parl., RBC., sess. 2001-2002, n°A-272, p. 2. 128 Art. 6, § 1er, VIII, 10°, de la loi spéciale du 8 août 1980. 129 Avis n° L 30.037/2, du 24 mai 2000 (voir supra).

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Cet exemple démontre, à nouveau, que certaines politiques publiques ne respectent pas la répartition des compétences entre les membres de la fédération. Néanmoins, ce cas particulier envisage l’hypothèse inverse du pouvoir de dépenser classique car il s’agit, ici, de l’empiètement par une entité fédérée sur les compétences résiduelles de l’Etat fédéral. iv. Le plan d’investissements pluriannuel de la S.N.C.B. 33. L’accord de coopération du 11 octobre 2001 entre l’Etat fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif au plan d’investissement pluriannuel 2001-2012 de la Société des chemins de fer belge (S.N.C.B.) démontre également l’existence dans le paysage belge de dispositifs équivalents au pouvoir de dépenser des entités fédérées dans la sphère des compétences fédérales130. Cet accord intergouvernemental prévoit le cofinancement et le préfinancement de projets d’infrastructures ferroviaires, pour lesquels les régions ne sont pas compétentes (les régions prennent en charge les intérêts des emprunts de la S.N.C.B. pour la réalisation de ces projets). Or, aucune disposition constitutionnelle ou législative ne transfère aux régions la matière du transport en commun ferroviaire131. Comme l’a rappelé le Conseil d’Etat, cette accord est donc contraire au principe du « fédéralisme financier » puisqu’il ne vise que l’exercice de compétences fédérales, ce qui ne peut être mis en œuvre par des moyens financiers propres aux régions132. Cependant, les pressions des partis politiques flamands qui souhaitaient investir directement dans le réseau ferroviaire situé sur le territoire de la Région Flandre ont eu raison des critiques de la section législation du Conseil d’Etat et l’accord en question est bel et bien entré en vigueur133. Selon Hugues DUMONT, cet accord offre l’illustration d’un cas où l’Etat fédéral offre un moyen inconstitutionnel d’anticiper, de manière partielle, mais néanmoins significative, le transfert aux régions de la compétence relative aux chemins de fer ardemment souhaitée par la Région flamande134. IV. Le pouvoir de dépenser est-il compatible avec les principes du fédéralisme?

130 Accord de coopération du 11 octobre 2001 entre l’Etat fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif au plan d’investissement pluriannuel 2001-2012 de la S.N.C.B., M.B. du 26 mars 2002, p. 12562. 131 Avis n° 32.371/VR, Doc. Parl., Chambre, sess. 2001-2002, n°1463/001, p. 9-15 132 Avis n° 32.371/VR, op. cit., p. 13 133 J. POIRIER, Keeping promises in federal systems: the legal status of intergovernmental agreements with special reference to Belgium and Canada, University of Cambridge, 2003, p. 75. 134 H. DUMONT, « L’Etat belge résistera-t-il à sa contractualisation ? Considérations critiques sur la mode belge des accords de coopération », Rev. dr. ULB, n°33, 2006, p. 334.

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34. Certes, le fédéralisme ne se prête pas à une définition exhaustive et homogène, qui serait opérationnelle à l’échelle de la planète entière. Il est cependant possible d’en dégager un certain nombre de valeurs ou de principes communs135. 35. L’un de ces principes est celui de l’autonomie qui règle les rapports entre les entités fédérées et l’autorité fédérale. Cette règle suppose que chaque Etat membre ait son propre ordre juridique, dispose de compétences propres attribuées par la Constitution et exerce celles-ci sans ingérence des autorités fédérales, et vice versa136. Comme l’a écrit Gérald-A. BEAUDOIN, le principe fédéral peut se définir comme suit : « aucun ordre de gouvernement n’est, en principe, subordonné à un autre. Ils sont souverains dans leur sphère et leur action est coordonnée »137. L’un des corollaires du principe d’autonomie est l’égalité entre la collectivité fédérale et les collectivités fédérées138. En effet, seul le partage de souveraineté entre plusieurs partenaires égaux permet, en effet, de distinguer le fédéralisme et la décentralisation administrative139. L’absence de contrôle de tutelle constitue donc « un critère négatif absolu » de l’existence d’un Etat fédéral140. 36. Le principe d’autonomie a également pour corollaire le partage des compétences, dénommé au Canada « partage des pouvoirs », qui permet d’attribuer à chaque composante de la fédération des pouvoirs et des prérogatives dans certains domaines d’intervention de la puissance publique141. Cette répartition des responsabilités doit permettre à chaque composante de la fédération d’exercer un domaine propre d’attributions où elle ne saurait être subordonnée à une autre collectivité politique142. En effet, le respect des principes d’autonomie et d’égalité implique que les règles d’aménagement d’un Etat fédéral aient pour objectif autant que possible de ne pas placer les entités fédérées dans une situation subordonnée, permettant ainsi à chaque niveau de la structure fédérale d’être une réalité pleine et entière143.

135 F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN, « L’égalité, mesure du fédéralisme », in GAUDREAULT-DESBIENS, Jean-François, GÉLINAS, Fabien (dir.), Le fédéralisme dans tous ses états: Gouvernance, identité et méthodologie / The Sates and Moods of Federalism: Governance, Identity and Methodology, Carswell/Bruylant, Montréal/Bruxelles, 2005, p. 197. 136 M. UYTTENDAELE, Le fédéralisme inachevé: réflexions sur le système institutionnel belge issu des réformes de 1988-1989, Bruxelles, Bruylant, 1991, p. 49. 137 G.-A BEAUDOIN, « Le Fédéralisme au Canada : les institutions et le partage des pouvoirs », Wilson & Lafleur, Montréal, 2000, p. 24; dans le même sens: K. WHEARE, Federal Government, 4th Edition, London, Oxford University Press, p. 10 cité par H. TELFORD, op. cit., p. 6. Contra: R. L. WATTS et H. LAZAR estiment que les fédérations contemporaines se détachent de cette vision « classique » pour se caractériser par une interdépendance et des degrés variables de hiérarchie entre les ordres de gouvernements in H. LAZAR, « The Social Union Framework Agreement and the future of fiscal federalism» in Toward a new mission statement for Canadian fiscal federalism: The State of the Federation 1999-2000 », Institute of Intergovernmental relations. McGill-Queen’s University Press, Montréal/Kingston, 2000, p. 113. 138 F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN, op. cit., p. 197; F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN, « Le système fédéral » in La Belgique fédérale, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 50 et M. PAQUES et Marie OLIVIER, La Belgique institutionnelle, quelques points de repère in L’espace Wallonie-Bruxelles - Voyage au bout de la Belgique, Bruxelles, De Boeck, 2007, p. 58. 139 Y.LEJEUNE, Régionalisation et fédéralisme dans les Etats d’Europe, Louvain, p. 16 cité par F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN, op. cit., p. 197 ; R. ERGEC, « Les aspects juridiques du fédéralisme » in A. ALEN, J. BEAUFAYS et G. d’ALCANTARA, Le fédéralisme – Approches politique, économique et juridique, Bruxelles, De Boeck, 1994, p. 42. 140 R. PINTO, p. 1999 cité par F. DELPEREE, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 372. 141 O. BEAUD, Théorie de la fédération, P.U.F., Paris, 2007, p. 185 ; R. ERGEC, op. cit., p. 46. 142 F. DELPEREE, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 372. 143 J. BAECHLER, Contrepoints et commentaires, Paris, Calmann-Lévy, 1996, p. 300 cité par F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN, op. cit., p. 197.

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Dans ce contexte, l’exclusivité des compétences respectives de la collectivité fédérale et des composantes fédérées est la solution qui permet le mieux de garantir l’égalité entre les deux niveaux de pouvoir144. En effet, les compétences exclusives s’exercent à l’abri de toute ingérence de l’autorité fédérale ou des autres entités fédérées145. Or, ce n’est que si une seule collectivité est à chaque fois compétente pour une situation ou une relation donné, à l’exclusion des autres, que l’autonomie et l’idéal d’égalité qui en découle peuvent être assurées. Force est de constater que les compétences concurrentes et complémentaires, fondées sur une clause de suprématie du droit fédéral, s’éloignent fortement de l’idéal égalitaire propre au système fédéral146. 37. Cependant, cet idéal de répartition des compétences ne doit pas être envisagé, à l’instar de l’égalité entre les individus, comme un critère rigide et absolu à partir du moment où les dérogations à ce principe demeurent des exceptions, répondent à des impératifs objectivement et raisonnablement justifiables, et ne sont pas inconciliables avec les principes du fédéralisme147. Le caractère autonome des différentes entités d’une fédération ne signifie pas pour autant qu’elles soient affranchies de tout contrôle puisqu’elles se doivent justement d’observer scrupuleusement les règles, constitutionnelles notamment, qui président à la répartition des compétences149. Cette autonomie doit donc être garantie par une juridiction suprême qui a pour mission de trancher les litiges entre l’Etat fédéral et les entités fédérées, et plus particulièrement de vérifier au respect des limites de compétence de chacun150. 38. Au Canada, l’usage du pouvoir de fédéral dépenser dans la sphère de compétences des provinces rompt justement avec les principes d’autonomie et d’égalité alors que la notion d’autonomie y est considérée comme l’une des composantes fondamentales du principe fédéral151. Comme l’indique André TREMBLAY, les subventions fédérales imposent des conditions et un certain nombre de politiques standardisées aux provinces, et « règlementent » de cette façon indirectement les compétences provinciales152. Si les autorités provinciales sont prétendument libres de participer aux programmes de subventions fédéraux, elles ne disposent pas, en réalité, de ressources fiscales suffisantes ; elles doivent donc se soumettre aux conditions fédérales qui sont la contrepartie de ces aides. Leur liberté d’accepter ou de refuser les fonds n’est que formelle dès lors que les provinces sont dans l’incapacité financière d’assumer leurs responsabilités, en raison de la distorsion entre leurs responsabilités et leurs revenus153. Quant au droit de retrait d’un programme (opt-out), il n’assure qu’une illusion d’autonomie puisque les provinces restent, dans ce cas, tenues d’offrir ou d’établir des programmes similaires aux programmes fédéraux pour bénéficier de la compensation financière154. 144 F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN, op. cit., p. 199. 145 R. ERGEC, op. cit., p. 46. 146 Ibid., p. 295. 147 F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN, op. cit., p. 199. 149 F. DELPEREE, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 372. 150 M. UYTTENDAELE, Précis de droit constitutionnel belge, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 63. 151 Liquidators of Maritime Bank c. Receiver General of New-Brunswick, [1892] A.C. 437 (C.P.) dont la portée fut confirmée par l’avis de la Cour suprême dans Avis consultatif relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 cité par GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Commission sur le déséquilibre fiscal, Rapport, Annexe 2 : « Le pouvoir fédéral de dépenser », Bibliothèque nationale du Québec, 2002, p. 4 et 17. 152 A. TREMBLAY, op. cit., 302. 153 F. DELPÉRÉE et M. VERDUSSEN, op. cit., p. 296. 154 H. TELFORD, op. cit., p. 10 et P. W. HOGG., op.cit., p. 154-155

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L’usage du pouvoir de dépenser conduit à saper l’autonomie des provinces car l’exercice normal des compétences provinciales est conditionné par l’acceptation de normes émises par le pouvoir fédéral155. Concrètement, il en résulte de facto une modification implicite et unilatérale de la répartition des compétences entre les entités de la fédération qui est de nature à rompre par là même l’équilibre fédéral156. En effet, ce mécanisme permet aux entités disposant de moyens financiers plus importants d’exercer en pratique une partie des compétences d’autres entités dont le budget est plus étriqué ou dont la volonté de survie est moins affirmée157. 39. Certes, le pouvoir de dépenser peut, sous certains aspects, présenter des avantages : une fédération comprend, par essence, une multitude de pouvoirs publics qui souvent n’ont pas les mêmes priorités ou idéologies politiques. Le recours au pouvoir de dépenser peut parfois permettre d’adopter de positions plus progressistes en matière sociale, de favoriser la mobilité des citoyens, de protéger des minorités qui seraient négligées au niveau régional ou de contourner des blocages internes liés à la rigidité des dispositifs de répartition de compétences 158. Cependant, le problème fondamental du pouvoir de dépenser est qu’il déforme le système fédéral en subordonnant les provinces au gouvernement fédéral sans égard pour leur égalité et leur souveraineté dans leur sphère de compétences159. Est-il normal que le pouvoir de dépenser permette à un pouvoir public d’intervenir indirectement dans des domaines de compétences où il ne peut agir directement ?160 En tant qu’outil de centralisation ou de modification des compétences, « le pouvoir de dépenser » s’oppose à l’objectif du système fédéral. Lorsque l’organe central peut tout faire au moyen de vastes pouvoirs unilatéraux, les collectivités membres n’ont pas, à proprement parler, de caractère étatique et ne possèdent pas pleinement l’autonomie législative et la partie de souveraineté qui devraient normalement leur échoir161. Pierre E. TRUDEAU arrive, d’ailleurs, à la conclusion suivante: « If Ottawa regularly subsidized the construction of schools in all provinces on the pretext that the provinces did not pay sufficient attention to education, these governments would be attacking the very foundation of the federal system… which does not give any government the right to meddle in the affairs of the others »162 (c’est nous qui soulignons). On peut se demander ce qui distinguerait encore l’organisation fédérale d’un Etat unitaire dans un tel contexte163. Le recours au pouvoir de dépenser permet au gouvernement fédéral canadien de décider seul de l’élaboration et du maintien de certaines politiques, sans associer effectivement les entités concernées à la prise de décision164. En réalité, le pouvoir de dépenser va à contre sens des principes du fédéralisme puisqu’il autorise la majorité au niveau national à imposer ses priorités sociales et économiques, sans tenir compte des majorités ou minorités régionales165. Comme l’indique Marc-Antoine ADAM, le Québec est particulièrement sensible au respect de la répartition des compétences car celle-ci constitue pour la

155 T. COURCHENE cité par B. H. KELLOCK, Q. C. and S. LEROY, « Questioning the legality of Equalization », Fraser Institute, December 2006, p. 13 ; D. V. SMILEY, Conditionnal Grants and Canadian Federalism: A Study in Constitutional Adaptation, Canadian Tax Foundation, Toronto, 1963 cité par COOPER BARRY, « Rebalance the Federation by Reducing Federal Spending Power », Fraser Forum, October 2004, p. 4. 156 Voy. J. ANASTOPOULOS, op. cit., p. 236. 157 X. DELGRANGE et M. DETROUX, op. cit., p. 4 158 Par exemple, le soutien financier d’Ottawa à des programmes destinés aux minorités francophones ou anglophones du Canada. 159 D. W. S. YUDIN, op. cit., p. 477. 160 E. POLLIO, From nation-building to « coercive federalism » : the role of the federal spending power in the United States and Canada, Sant’Anna Legal studies, 2008, p. 7 161 A. TREMBLAY, op. cit., 210. 162 P. E. TRUDEAU, Federalism and the French canadians, (Laurentian Library 48) The Macmillan, 1968, p. 81. 163 Ibidem. 164 C. BÉLANGER, Canadian federalism and the Spending Power of the Canadian Parliament, Marianopolis College, 2001. 165 B. H. KELLOCK, Q. C. and S. LEROY, op. cit., p. 13.

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communauté francophone qui est minoritaire à l’échelle du Canada une forme de protection constitutionnelle166. 40. Le pouvoir de dépenser pose également un problème substantiel en termes de responsabilité des politiques publiques167. La responsabilité politique d’un gouvernement réside, en effet, dans le contrôle de son action par son assemblée législative et, ultimement, par ses électeurs. Dans un système fédéral, les citoyens doivent, au préalable, comprendre la répartition des compétences entre les composantes de la fédération pour être capable d’imputer à un niveau de gouvernement la responsabilité de la réussite ou de l’échec d’une politique168. Or, les interventions d’une entité dans les compétences d’une autre empêchent, en créant un flou autour du rôle de chaque pouvoir, les citoyens d’attribuer cette responsabilité politique169. Comme l’écrit SMILEY, il devient impossible d’identifier, dans ce cas, les responsabilités gouvernementales car il est impossible de savoir, si c’est l’autorité publique intervenante qui n’a pas fourni suffisamment de moyens financiers ou si c’est l’autorité publique bénéficiaire qui a gaspillé les fonds 170. 41. L’élément qui permet l’usage du pouvoir de dépenser est le déséquilibre des ressources fiscales171 qui existe au Canada entre les composantes de la fédération parce que, d’une part, il dote l’autorité fédérale de moyens financiers lui permettant d’intervenir dans les compétences provinciales et, d’autre part, limite l’espace de taxation des provinces en les contraignant à participer aux programmes de subventions fédéraux172. Or, l’autonomie juridique de chaque entité est toute entière conditionnée par son autonomie financière173. 42. En Belgique, le système constitutionnel consacre les règles selon lesquelles les composantes de la fédération sont sur un pied d’égalité et les compétences de celles-ci sont exclusives174. Comme nous l’avons vu, le principe du fédéralisme financier fait, en principe, obstacle à l’existence du pouvoir de dépenser dans le contexte belge. Or, certains accords de coopération sont en réalité peu respectueux de la répartition des compétences et laissent des composantes de la fédération financer des compétences qui ne leur appartiennent pas. La fédération belge offre ainsi « un exemple particulièrement édifiant de l’utilisation des ententes intergouvernementales pour contourner une répartition des compétences jugée encombrante par les acteurs politiques »175. Ce phénomène est, en réalité, un pouvoir de dépenser officieux qui sert d’instrument de realpolitik dans le jeu fédéral (on fait une offre que l’autre ne peut refuser)176. De même, les délégations de compétence prévues par la Constitution belge constituent un substitut fonctionnel à l’inconstitutionnalité du pouvoir de dépenser. Enfin, les « spécimens » belges nous ont démontré que le pouvoir de dépenser pouvait aussi exister, en sens inverse, c’est-à-dire des entités fédérées vers l’Etat fédéral. 166 M.-A. ADAM, op. cit., p. 31 167 B. COOPER, op. cit., p. 5; B. H. KELLOCK, Q. C. and S. LEROY, op. cit., p. 13. 168 B. COOPER, op. cit., p. 5. 169 B. H. KELLOCK, Q. C. and S. LEROY, op. cit., p. 13. 170 D. V. SMILEY, Conditionnal Grants and Canadian Federalism: A Study in Constitutional Adaptation, Canadian Tax Foundation, Toronto, 1963 cité par B. COOPER, op. cit., p. 5. 171 Voy. les explication sur le partage des compétences fiscales in P. CATTOIR, op. cit., p. 105 et s. 172 C. BÉLANGER, op. cit. 173 C. LECLERCQ, L’Etat fédéral, Paris, Dalloz, 1997, p. 75. 174 F. DELPÉRÉE ET M. VERDUSSEN, op. cit., p. 291. 175 Voy. sur cette problématique « Les ententes intergouvernementales et la gouvernance fédérale : aux confins du droit et du non-droit » in Le fédéralisme dans tous ses états, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 441 et 474 (449). 176 J. POIRIER, « Le droit public survivra-t-il à sa contractualisation? Le cas des accords de coopération dans le système fédéral belge », Rev. dr. ULB, n°33, 2006, p. 278.

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V. Conclusions.

43. Au Canada, le pouvoir de dépenser revêt une importance stratégique car il sert de levier politique aux autorités fédérales pour imposer leurs objectifs politiques aux provinces : l’argent est, en somme, le nerf de la guerre. En Belgique, la consécration du « fédéralisme financier » n’a pas empêché les différents acteurs pouvoirs publics de bricoler des solutions destinées à faire face aux difficultés financières de certains pouvoirs publics. Ces initiatives se sont réalisées car elles permettaient, soit de contourner les obstacles politiques liés au refinancement de certaines entités177, soit d’affirmer une solidarité principalement intra-communautaire178. Si le pouvoir de dépenser permet l’élaboration de politiques publiques intéressantes, son usage demeure condamnable au regard des principes du fédéralisme. En effet, en modifiant implicitement la répartition des compétences sans le consentement des autres partenaires, le « pouvoir de dépenser » dans une matière pour laquelle une autorité n’est pas compétente porte atteinte à l’égalité et à l’autonomie des membres d’une fédération. En pratique, le pouvoir de dépenser permet aux autorités publiques les plus riches de rompre l’équilibre fédéral en achetant les compétences des autres entités. Enfin, le pouvoir de dépenser sème littéralement le flou, préjudiciable aux citoyens, autour des responsabilités de chaque pouvoir public et préjudicie l’exercice efficace des compétences propres des autres partenaires de la fédération.

177 Communauté française, Région de Bruxelles-Capitale et Etat fédéral. 178 Intra-francophone : fonds de la Région wallonne et de la COCOF vers la Communauté française ou intra-néerlandophone : fonds de la Région flamande vers la Communauté flamande.

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