Le Point Les Textes Fondateurs 2009-1
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LE POINT 74, avenue du Maine, 75682 Paris Cedex 14 Tl. : 01.44.10.10.10 Fax : 01.43.21.43.24
Service abonnements b 600, 60732 Sainte-Genevive Cedex
03.44.62.52.20 E-mail : [email protected]
Prsident-directeur gnral, directeur de la publication :
Franz-Olivier Giesbert Rdaction en chef et coordination :
Catherine Golliau Assistante :
Silvana Priouret Choix des textes et commentaires :
ric Vinson. Repres :
Sophie Coignard, Marie Dormoy, Victoria Gairin, |ean Guisnel.
dition : Thomas Laurens Iconographie :
Isabelle Eshraghi Rvision :
Francys Gramet Conception et ralisation :
Rampazzo & Associs Diffusion et dveloppement :
lean-Franois Hattier, Tl. : 01 44 10 1 2 01 [email protected]
Publicit : Xavier Duplouy,
Tl. : 01 44 10 13 22 [email protected]
Le Point, fond en 1972, est dit par la Socit d'exploitation de l'hebdomadaire
Le Point - Sebdo. Socit anonyme au capital de
10 100160 euros, 74, avenue du Maine, 75682 Paris Cedex 14.
R.C.S. Paris B 312 408 784 Associ principal : ARTEMIS S.A.
Dpt lgat : parution - n ISSN 0242 - 6005 n de commission paritaire : 0610 C 79739
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LE POINT contrle les publicits commerciales avant insertion pour qu'elles
soient parfaitement loyales. Il suit les recommandations du Bureau
de vrification de la publicit. Si, malgr ces prcautions,
vous aviez une remarque faire, vous nous rendriez service en crivant au
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du Point.
LES FRANCS-MAONS | Avant-propos
LE POIDS DES TEXTES Par Catherine Golliau
Franc-maon ? Le mot seul suscite les fantas-mes. Runions mystrieuses, rites, symboles et signes de reconnaissance tranges, collu-sions supposes, pouvoir occulte... La franc-maon-nerie fascine autant qu'elle rebute : trop de secrets, trop de scandales politico-financiers... Mais que se cache-t-il derrire cette mauvaise rputation ? Pourquoi ce mouvement qui sduisit Mozart, Goethe et Churchill est-il considr, au mieux, comme un club d'illumins ou d'opportunistes, au pire, comme un rassemblement de mafieux? Pourquoi se voit-il attribuer le dclenchement de la Rvolution franaise? Qui sont ces frres qui, au moins deux fois par mois, se retrou-vent, tablier sur le ventre, entre deux colonnes ? Que cherchent-ils? Fidle son habitude, Le Point est all aux sources pour comprendre. Se revendiquant d'une histoire qu'elle fait remonter au Moyen ge, la Maonnerie accorde en effet une grande place ses textes fondateurs. C'est en les lisant que l'on dcouvre l'origine de ses rites, le sens de ses symboles comme l'origine de ses nombreuses lgendes. Comments et expliqus comme toujours par les meilleurs experts, ce sont ces documents sans lesquels la Maonnerie n'exis-terait pas que Le Point vous propose ici. Pour essayer de comprendre, avant de juger.
Que se cache-t-il derrire cette mauvaise rputation?
Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux 3
-
Mthode | LES F R A N C S - M A O N S
Lire et comprendre...
Quels sont les grands textes
de la franc-maonnerie ? Dif-
ficile d'tre exhaustif tant
donn la richesse et la com-
plexit de cette littrature :
nous avons retenu ls textes
les plus dterminants par
leur impact historique, leur
reprsentativit, leur porte
explicative et leur influence
actuelle.
Certes, certains lecteurs se
sentiront frustrs. Pourquoi
ne pas avoir ici de textes des
g rands sp i r i t ua l i s t e s ,
c o m m e j e a n - B a p t i s t e
W i l l e rmoz ( 1 7 3 0 - 1 8 2 4 ) ou
Oswald Wirth ( 1860-1943)?
Parce qu ' i l fa l la i t faire un
cho ix , que les tex tes du
courant sp i r i tua l i s te sont
lg ion et que nous avons
dcid de retenir d'abord les
plus inf luents. Ma i s alors,
pourquo i avoir ici les M-
moires... de l 'abb Barruel,
un monument de l 'antima-
onn isme ? Parce que des
textes cr i ts par des non-
maons ont parfois eu plus
d ' impact sur le devenir des
loges que des documents
internes. Le brlot de Bar-
Les textes les plus dterminants par leur impact historique, leur reprsentativit, et leur influence actuelle. '
ruel a ainsi profondment
marqu la maonner ie hu-
manis te ou adogmat ique ,
dont le Grand Orient est le
p r inc ipa l reprsentant en
France. Relativement rcent,
ce courant a d'ai l leurs pro-
duit trs peu de textes pro-
prement maonniques ,
ses in t r ts tan t mo ins
tourns vers l ' intr ieur de
la F ra tern i t que vers la
soc it profane . Peut-
tre certains nous reproche-
ront-ils de ne pas avoir in-
c lus dans ce f l o r i l ge les
dc larat ions des droits de
l ' H o m m e ou les g randes
lois laques de Jules Ferry
(1832-1893) qu'on dit (sou-
vent sans preuve...) avoir t
prpares en loge...
Comment s'organise ce hors-srie ? D'abord les textes fonda-
teurs , qui tmoignent des
rfrences fondamentales de
la Maonner ie; ensuite les
textes fondamentaux du cou-
rant spiritualiste , domi-
nant l 'chel le mond ia le ;
enfin, les textes pivots de la
sensibilit humaniste ou
adogmatique , la plus vi-
sible dans l'Hexagone.
C h a q u e t e x t e est assorti d ' u n c o m m e n t a i r e o u cl de lec-ture qui l'explique et le remet e n p e r s p e c t i v e . Le lecteur aura tout intrt lire tes
textes et leurs commentaires
dans l'ordre chronologique
propos, qui retrace de faon
cohrente et lisible l'histoire
pleine de rebondissements
de cette organisat ion hors
norme. Le lecteur dcouvrira
les diffrentes obdiences
la fin de chaque chapitre. Le
vocabulaire et les rfrences
qui lui sont spcifiques sont
expliqus soit dans les cls
de lecture , soit dans l'index.
Les principaux symboles sont p r s e n t s la f i n d u h o r s -srie. Une chronologie et une b ib l iograph ie comp l ten t
l'ensemble.
C a t h e r i n e G o l l i a u
Responsable du choix des textes et de leurs commentaires, ric V i n s o n est journal iste, spcial iste des questions religieuses et spir ituel les, et professeur Sciences Po. Collabo-
rateur rgulier des hors-srie du Point, i l a particip notamment, chez Tallandier/Le Point,
Judasme, christianisme, islam (2005), Hindouisme, bouddhisme, taosme (2006) et
L'sotrisme (2007). Il est l 'auteur chez Bayard d'Avec ou sans Dieu, le philosophe et le
thologien, avec Rgis Debray et Claude Geffr (2006) et a contr ibu Un simple moine :
Le Dala-Lama racont par ses proches (Presses du Chtelet, 2006) et Des cultures et des
dieux : repres pour une transmission du fait religieux (Fayard, 2007).
4 | Les tex tes f o n d a m e n t a u x Hors-srie n 24 L e Point
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L IS FRANCS-MAONS | Sommaire
Sommaire
POURQUOI DEVENIR M A O N ? Par Michel Maffesoli
A U X ORIGINES DE L A F R A N C - M A O N N E R I E Par Roger Dachez
Textes et cls de lecture Repres : La vie du franc-maon, en toute discrtion... Entretien avec |ean-Luc Maxence : Analyse et Maonnerie sont des chemins parallles
LES E N F A N T S D ' H E R M S ET DE S A L O M O N . Par Frdrick Tristan
Textes et cls de lecture Repres : Les obdiences traditionnelles Entretien avec |rme Rousse-Lacordaire : L'glise s'est montre la plus constante dans sa condamnation
LA F R A N C - M A O N N E R I E S A N S D I E U Par Pierre Mollier
Textes et cls de lecture Repres : Les obdiences librales
4.A CHASSE A L'INITI Par Sophie Coignard
Entretien avec Alain Bauer : Sur le problme des fraternelles, la Maonnerie a m a n q u de courage
Militaire et maon ? Par Jean Guisnel
Les symboles de la franc-maonnerie
Chronologie Lexique Bibliographie
10
14
40
46
4 8
52 76 82
8 4
88 98
1 0 0
102
106
108
114 118 130
L e P o i n t Hors-srie n 24 Les textes fondamentaux
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LES FRANCS-MAONS | I n t r o d u c t i o n
Si l'on voque le plus souvent ses pouvoirs politiques, conomiques ou sociaux, l'importance relle de la franc-maonnerie est en fait moins de l'ordre du pouvoir temporel que de la puissance spirituelle.
POURQUOI DEVENIR MAON ? Par Michel Maffesoli
Michel Maffesoli, membre de l'Institut universitaire de France, professeur ta Sorbonne, auteur, entre autres,
d'Iconologies, nos idol@tries postmodernes (Albin Michel, 2008) et d'Apocalypse (CNRS ditions, 2009).
U n franc-maon f o r m du mobilier de la loge, cole anglaise, gravure rehausse de 1 7 5 4 .
onton, pourquoi tu tousses? On pourrait appliquer la franc-maonnerie dette clbre rpar-
tie de l'humoriste Fernand Reynaud (1926-1973) dans le rle du niais qui raconte au tlphone son oncle com-ment la police a dcou-vert ses sachets de poudre. Si la franc-maonnerie n'a rien d'un trafic illicite, elle susc i te toujours un peu de gne quand on voque son nom en public, un toussote-ment subit... Fascina-t ion et r p u l s i o n demeurent les deux attitudes ambivalentes que cette socit de pense ne manque pas de susciter. Livres charge sur son suppos pouvoir politique ou social, dossiers rguliers dans la presse estivale en mal de copie, conversations de dners mondains et de caf du Commerce, buzz divers sur Internet : tout est bon pour parler des attraits et des dan-
Si la franc-maonnerie n'a rien d'un trafic illicite, elle suscite toujours un peu de gne quand on voque son nom en public, un toussotement subit...
gers de cette prtendue socit secrte, ne revendiquant, en fait, que d'tre discrte.
Laissons encore filer la mtaphore. Si, comme le dit chez Jules Romains le brave docteur Knock, a vous grat-
touille ou a vous cha-touille quand on vo-que la Maonnerie , n'est-ce pas parce que nous sommes l en prsence d'un phno-mne qui proccupe tout un chacun, et que l 'on peut formuler ainsi : qu 'est -ce qui meut, en profondeur, toute vie en socit?
Puis-je mettre une hypothse ou proposer une distinction ? rencontre de ce que disent des esprits presss et souvent peu avertis, l'impor-tance relle de la franc-maonnerie est moins de l'ordre du pouvoir temporel que de la puissance spirituelle. Hegel*, qui en fut un connaisseur averti, montre que ce n'est pas l'glise de Pierre
Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux | 7
-
I n t r o d u c t i o n | L E S F R A N C S - M A O N S
(pierre) qui est importante, mais
bien celle de Jean*, moins institution-
nelle, plus spirituelle, qui informe dura-
blement les esprits. Voil bien le cur
battant de l'Ordre maonnique. Au-del
des divergences et des organisations,
il est le symbole d'une fraternit secrte
parcourant le corps social. Et si, sous
des noms divers, il a attir, et continue
d'attirer, c'est qu'il exprime en majeur
un ordre d'amour , celui de la Frater-
nit, vritable ciment socital.
Ainsi, au mythe du Progrs fleurant
bon son xixe sicle, ce progressisme
expliquant le monde en sa totalit
partir d'un rationalisme quelque peu
troit, peut-tre n'est-il pas inopportun
d'opposer la traditionnelle pense pro-
gressive qui sait impliquer tous les
L'un des apports
essentiels de l'Ordre
maonnique
a t de considrer
que nous sommes
tous des apprentis
de la vie.
aspects de la ralit humaine. Sachant,
galement, s'impliquer dans une telle
entiret : celle de la communaut
humaine s'exprimant dans ces commu-
nauts particulires que sont les loges,
dont l'union fait un ensemble la fois
mystrieux et cohrent.
Une union allgorique C'est dans une telle perspective que
l'on peut comprendre l'tonnant cho,
en particulier chez les jeunes gnra-
tions, que suscite la dmarche initiatique.
Initiation comme manire de se relier
aux autres que l'on retrouve dans le
dveloppement des groupes d'affinits
lectives ou mme dans les sites com-
munautaires. Se relier au monde, se
confier aux autres comme autant d'ex-
pressions d'une chane d'union allgo-
rique dcrivant bien que l'on n'est qu'un
maillon d'un ensemble complexe.
thique de la reliance qui, ren-
contre du surplombant pouvoir politi-
que ou social, met l'accent sur l'accom-
pagnement fraternel , reliant chaque
personne l'esprit global du groupe.
C'est cela mme qui caractrise cette
notion de puissance collective qui
scrte ses propres codes ou rituels.
Et le fait d'accompagner renvoie une
autorit qui soit mme de le faire. Il
est ncessaire de noter la diffrence de
structure, de logique, entre le pouvoir
et l'autorit. L encore, la tradition
maonnique semble tre en congruence
avec l'esprit du temps. En effet, la franc-
maonnerie, en ses diverses compo-
santes, propose l'exprience d'une autre
forme de socialisation : l'autorit, au
lieu de postuler chez l'autre un vide
qu'il faut combler, reconnat
qu'il y a en chacun quelque
chose qu'il faut faire ressor-
tir. Elle sert, en ce sens, de
rvlateur de l'tre collectif.
Au-del de la verticalit du
pouvoir, elle met l'accent
sur l'horizontalit de la puis-
sance.
Mais de nombreuses
recherches font ressortir
l'enracinement dynamique
de cette nouvelle qute du
Graal* initiatique. Souche sur des
archtypes immmoriaux, elle s'illustre
dans une production cinmatographique
dont le succs ne peut que nous ques-
tionner, commencer par celui de films
comme les Harry Potter ou la saga du
Seigneur des anneaux. Et il est certain
que la culture contemporaine, en ses
divers aspects, est de plus en plus
contamine par cette qute, dmar-
che existentielle o ce qui prime est
l'exprience partage dans le cadre
communautaire.
Or, c'est un apport essentiel de l'Ordre
maonnique que de considrer que
nous sommes tous des apprentis de la
vie. Et nos essais, nos erreurs, nos qua-
lits et nos dfauts ne font qu'exprimer
un tel apprentissage. N'est-ce pas cela,
justement, le vritable humanisme :
accepter l'humus dans l'humain ? C'est
ce que l'anthropologue Gilbert Durand,
8 Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point
-
LES FRANCS-MAONS | Introduction
grand connaisseur de la franc-maon-
nerie, nomme les mythmes , ces
tapes initiatiques o chutes, chti-
ments et tribulations sont comme autant
d'preuves prcdant la rintgration
et l'illumination . Le romantisme des
Annes d'apprentissage de Wilhelm Meis-
ter, tel que le franc-maon Goethe* le
dcrit, retrouve une tonnante actualit
dans les errantes tribus juvniles
contemporaines. Au-del d'une simple
ducation rationnelle, l'exprience les
informe en profondeur. Elles suivent,
ainsi, le langer Weg der Bildung , ce
long chemin de la formation au sens
d'ducation. Et quand Hegel montre
que c'est cela qui permet d' entrer
dans le jour spirituel du prsent , il fait
cho une rminiscence de l'initiation
franc-maonne.
Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux | 9
Sagesse, force et beaut D'o ce que l'on retrouve la fois dans
le rituel maonnique et dans nombre
de productions culturelles contempo-
raines : la mort symbolique par laquelle
on s'intgre un ensemble plus vaste,
celui de la communaut. Meurs et
deviens , ainsi que l'indique Goethe.
Formule frappe au coin de la lucidit
et de la modestie, en ce qu'elle relativise
l'individu et le met en relation avec
ce et ceux du pass, avec ce et
ceux du lointain, en bref avec l'altrit
dont on est ptri et qui assure, tout
la fois, sur la longue dure, la dure de
l'espce, et dans l'immdiat un surcrot
d'tre pour la personne plurielle qu'est
tout un chacun.
Deviens donc qui tu es sans jamais
cesser d'tre un apprenti. Cette for-
mule que Nietzsche* a reprise, et que
l'on retrouve sous des formes quelque
peu diffrentes dans de nombreuses
expressions quotidiennes, est une
bonne illustration de la prgnance
inconsciente de l'initiation maonni-
que. Elle fait bien, aussi, ressortir la
dynamique spcifique, celle de la cra-
tivit l'uvre dans l'existence conue
comme uvre d'art.
On ne peut en effet rduire le temple
sous la rubrique minralogie sous
prtexte qu'il est construit de pierres.
C'est bien ainsi qu'il faut comprendre
le temple socital : union de la matire
et de la forme spirituelle. C'est bien
ainsi qu'il faut saisir, au-del de querel-
les subalternes et des procs d'intention
courte vue, l'actualit et la pertinence
de l'apport maonnique dans nos soci-
ts postmodernes : union de la force,
de la sagesse et de la beaut. La con-
cidence des opposs constituant ce
chemin, toujours inachev, qu'est toute
exprience humaine.
-
LES ORIGINES Introduction
Apparue au xviiie sicle, la franc-maonnerie se veut l'hritire des maons du Moyen ge.
Elle en revendique les symboles et les mythes.
AUX ORIGINES DE LA FRANC-MAONNERIE Par Roger Dachez
Roger Dachez, prsident de l'Institut maonnique de France, auteur d'Histoire de la franc-maonnerie franaise (PUF, 2003) et de L'Invention de la franc-maonnerie. Des Opratifs aux Spculatifs (Vga, 2008).
Tailleurs de pierre, enluminure tire du trait d'arpentage d'Arnaud de Villeneuve (1355-1415).
La franc-maonnerie qui, sous la forme que nous lui connaissons aujourd'hui, a merg du nant documentaire la fin du XVIIIe sicle, s'est trs tt proccupe, sinon de son his-
toire - au sens o nous pourrions com-
prendre ce mot de nos jours - du moins
de son pass traditionnel. C'est princi-
palement ce souci
que rpondent les plus
anciens de ses textes
fondateurs.
Il ne faut cependant
pas se mprendre sur
leur nature, leur ori-
gine et leur propos.
Avec les Anc i ens
Devoirs (Old Charges),
qui s'chelonnent de la fin du xiv sicle au premier tiers du xviiie, c'est en effet dans un monde trange et droutant
que nous pntrons, un monde o se
ctoient, au point de souvent se confon-
dre, le mythe, la lgende et l'histoire.
Il a exist au Moyen ge - nous pouvons
du moins en savoir quelque chose de
substantiel partir du xiiie sicle environ - une Maonnerie oprative , c'est--
Avec les Anciens Devoirs , nous pntrons dans un monde o se ctoient la lgende et l'histoire.
dire lie au Mtier de maon lui-mme,
dont les clbres btisseurs de cath-
drales sont les plus fameux hros. Sur
ces chantiers, principalement ecclsias-
tiques mais aussi consacrs aux grandes
demeures seigneuriales ou royales, tout
un peuple d'ouvriers vivait et s'admi-
nistrait sous la houlette de leurs com-
manditaires, abbs,
vques ou grands
dignitaires lacs.
La vie professionnelle
commenait alors trs
tt : vers 8 ou 10 ans,
parfois plus jeune. Le
novice - qu'on nom-
mait apprenti -, au
sortir de l 'enfance,
tait livr l'entire domination du
matre qui l'employait sa guise pour
lui inculquer les rudiments du mtier.
Puis, au bout de quelques annes,
peine aguerri mais dj familiaris avec
les pratiques du mtier, venait pour lui
le moment solennel o il allait enfin tre
reu sur le chantier. En un temps o
tout acte de la vie sociale devait tre
ritualis et religieusement enca-
L e P o i n t Hors-srie n 24 Les textes fondamentaux 11
-
Introduction L E S ORIGINES
dr, sa rception suivait un pro-
tocole strict dont les principaux points
nous sont connus.
Certains soirs, un jeune tait admis
parmi les matres et les compagnons
assembls tout autour de la pice. Dans
l'espace central, on avait sans doute
dispos quelques outils du Mtier.
l'extrmit de la loge, un clerc tenait un
parchemin et un livre des vangiles*.
On donnait alors lecture des Anciens
Devoirs, c'est--dire de toutes les obli-
gations morales et professionnelles
auxquelles l' apprenti entr devait se
plier, commencer par une entire
obissance son matre. Puis il jurait
sur le livre saint, entre les mains de l'un
des plus anciens parmi les prsents. Sa
vie avait chang : dsormais il appar-
En peu d'annes,
le modle intellectuel
des free-masons l'emporte sur le modle
communautaire
et corporatif des anciens
artisans.
tenait au Mtier . Dj, il pouvait rver
au jour, distant de quelques annes, o
il deviendrait un compagnon - c'est--
dire un ouvrier accompli et reconnu - et
celui, plus lointain encore et surtout
plus incertain, o il pourrait peut-tre
pouser la fille d'un matre pour deve-
nir matre son tour...
Naissance des maons libres Mais, surtout, au cur du Moyen ge,
les Anciens Devoirs, des textes crits
par des clercs - et non par les maons
eux-mmes, illettrs pour la plupart -,
assignaient dj l'art de btir des
origines fabuleuses et mythiques. Ces
manuscrits anglais, dont les plus vieux
actuellement connus remontent la fin
du XIVE sicle et au dbut du XVE - manus-
crit Regius, v. 1390 (cf. p. 14) ; manuscrit
Cooke,v. 1410 (cf. p. 16)-, rapportaient
en effet une histoire du Mtier peu sou-
cieuse de chronologie et de vraisem-
blance, mais riche de sens, traant le
dveloppement de la gomtrie et de
l'art des maons depuis le Paradis ter-
restre, voquant successivement et
sans grand effort de cohrence la tour
de Babel, le temple de Jrusalem, Pytha-
gore* et Euclide*.
Pour les artisans du Moyen ge, ces
textes donnaient du sens leur travail
de chaque jour : c'tait la preuve que,
depuis des temps immmoriaux, ils
collaboraient l'uvre de Dieu. Cette
insertion de la Maonnerie oprative
- c'est--dire celle des maons qui tra-
vaillaient de leurs mains - dans un cadre
fabuleux et mythique ne prenait vi-
demment tout son sens que dans la
mentalit mdivale. Cette
tradition allait cependant lui
survivre.
Vers le xvi sicle, le dclin
des chantiers religieux,
notamment en Grande-
Bretagne aprs la Rforme*,
entrana de profondes modi-
fications dans l'organisation
du mtier de maon. Les
grands chantiers se firent
plus rares et les loges qui s'y
tenaient disparurent. Mais
dans le courant du xvii sicle,
en Angleterre, des versions rcentes des
Anciens Devoirs circulaient encore. Et
mme s'il y a fort parier que les maons
opratifs* n'en faisaient plus usage, elles
continuaient transmettre la fabuleuse
histoire des maons. Dans des circons-
tances encore imparfaitement lucides,
des hommes qui ne construisaient plus
d'difices matriels et se nommaient les
francs-maons - c'est--dire les
maons libres - empruntrent ces
rcits pour les appliquer de nouveaux
desseins, fondant ainsi la franc-maon-
nerie spculative* .
Lorsque la premire Grande Loge ayant
jamais exist fit son apparition, Lon-
dres le 24 juin 1717, l'innovation est de
taille. Jamais, en effet, les loges opra-
tives mdivales, disperses, isoles,
seulement unies par de vagues tradi-
tions et quelques usages, n'avaient
12 Les textes fondamentaux Hors-srie n 24 Le Point
-
reconnu d'autorit centrale unique,
encore moins de Grand Matre et de
Grands Officiers couverts d'honneurs.
Et, du reste, elles n'existaient plus
depuis longtemps ! Que s'tait-il produit
au juste? Quatre loges et quelques
frres anciens s'taient assembls
dans une humble taverne de Londres,
L'Oie et le Gril, dans le quartier Saint-
Paul, et avaient dcid de se constituer
en Grande Loge. L'un des plus anciens
matres prsents, Anthony Sayer, fut
lu Grand Matre et l'on dcida de se
runir nouveau l'anne suivante. Ce
fut presque un non-vnement...
Une lgende de fondation En 1719, deux ans aprs la fondation
bien modeste de la Grande Loge, un
nouveau Grand Matre est lu, mais il
n'a plus rien voir avec le trs discret
Anthony Sayer : c'est Jean-Thophile
Dsaguliers* (1683-1744), fils d'un pas-
teur rochelais migr en Angleterre lors
de la rvocation de l'dit de Nantes.
lev Londres, duqu Oxford, brillant
sujet devenu ministre de l'glise d'An-
gleterre, le rvrend Dsaguliers s'im-
pose aussi comme un spcialiste de la
philosophie naturelle - c'est--dire de
physique newtonienne. Il est mme l'un
des collaborateurs les plus proches de
Newton* la Royal Society, dont le grand
savant est alors le prsident et Dsagu-
liers le curateur aux expriences .
sa suite, une dferlante d'aristocrates
proches de la nouvelle dynastie hano-
vrienne et de membres de la Royal
Society envahit alors la Grande Loge,
lui fournissant dsormais tous ses cadres
et surtout ses Grands Matres. En peu
d'annes, sa sociologie est transforme :
le modle intellectuel des free-masons l'emporte dfinitivement sur le modle
communautaire et corporatif des simples
artisans. Un autre destin s'ouvre alors
pour la franc-maonnerie.
Il ne reste la jeune Grande Loge,
soucieuse d'asseoir son autorit et de
fonder sa lgitimit, qu' se doter d'une
lgende de fondation. Ce sera chose
faite en 1723, grce un autre eccl-
siastique, un presbytrien cossais
choisi par Dsaguliers : le pasteur James
Anderson (1678-1739), qui rdigera le
Livre des Constitutions, texte refonda-
teur , si l'on peut dire, reprenant notam-
ment les bases mythiques des Anciens
Devoirs en les enrichissant de dvelop-
pements nouveaux, au profit de la
Grande Loge dsormais pourvue d'une
histoire immmoriale . La Maonne-
rie oprative a vcu, mais sa lgende
demeure intacte. Et du reste, elle vit
encore.
Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux | 13
-
Cls de lecture LES ORIGINES
Le manuscrit Regius et les Anciens Devoirs
Datant d'environ 1390, le manuscrit Regius est le plus ancien crit connu qui prsente des donnes
mythiques si ce n'est symboli-
ques sur la Maonnerie opra-
tive*, traditionnellement rat-
tache aux btisseurs de
cathdrales . Ainsi titr parce
qu'il a appartenu la biblioth-
que du roi d'Angleterre, cet
ouvrage anonyme constitue en
fait la charte fondatrice de la
vieille confrrie des maons
anglais. Initialement crit en
latin et en vers, il en dtaille
les principes thiques, de
savoir-vivre et de fonctionne-
ment, rassembls en quinze
articles et quinze points cen-
ss avoir t tablis depuis le
roi saxon Athelstan (925-939).
Le Regius appartient de ce fait
aux Anciens Devoirs ou
Anciennes Constitutions
Vritable code
professionnel et moral,
le Regius rglemente le statut et les conditions
de travail des tailleurs
de pierre mdivaux.
(Old Charges), terme gnrique
sous lequel on rassemble toute
une classe de textes compara-
bles qui courent du xve au
XVIII6 sicle.
Vritable code professionnel
et moral, le manuscrit Regius
rglemente par exemple le sta-
tut et les conditions de travail,
d'embauche ou de rmunra-
tion des tailleurs de pierre
mdivaux; surtout, il tmoi-
gne dj de certains usages et
valeurs conservs par l'Ordre
maonnique au cours des ges :
la fraternit et l'entraide ( mon
cher frre ), la comptence et
l'litisme du mrite, la qute
de la vertu et la transmission
du savoir sur une base la fois
galitaire et hirarchique orga-
nise en trois n iveaux
( apprenti , compagnon et
matre ). Comme le montre
ici la prire au Dieu tout-puis-
sant , sa mre la radieuse
Marie et aux quatre mar-
tyrs saints patrons du Mtier
de maon, la religion catholi-
que tient toute sa place dans
cet univers. Rien d'tonnant
cela, car elle imprgnait alors
la vie quotidienne, a fortiori
clle d'une corporation dont
l'glise tait le principal don-
neur d'ordre, les clercs des
interlocuteurs quotidiens, et
les formes religieuses, la
matire premire au mme
titre que la pierre.
Un mythe fondateur Point capital, le Regius est le
premier texte offrir une his-
toire de la Maonnerie tisse
de plusieurs rcits lgendaires,
propres la vision du monde
de ces ouvriers et de leurs
aumniers. En insistant sur
l'origine prestigieuse de leurs
anctres, tous ns de nobles
dames , il entend montrer l'il-
lustre ascendance de la Frater-
nit; n'est-elle pas cense
anoblir ses membres, en les
rendait frres et gaux par la
qute partage de l'excellence
professionnelle, intellectuelle,
morale et spirituelle ? Vritable
mythe fondateur, cette geste
collective s'ouvre en outre sur
une figure du plus haut intrt :
Euclide* d'Alexandrie (me si-
cle av. J.-C.), le codificateur
grec de la gomtrie plane.
Avec ce pre de la reine des
sciences , c'est la rfrence
au monde grec et surtout
Les sept arts
libraux contiennent
un riche potentiel
symbolique
que dploieront
certains courants
de la Fraternit,
l'Antiquit gyptienne - vue
comme la mre de tous les
mystres - qui s'impose. Par
la suite, les versions de la
Maonnerie renforceront leur
revendication d'un tel hritage,
gage d'une vnrable lgiti-
mit. L'accent du Regius sur
les sept sciences qui per-
mettent de gagner le Ciel
- grammaire, dialectique, rh-
torique, musique, etc. - est de
mme lourd de consquences.
Car si les sept arts libraux
forment la base de l'ducation
et de la culture de l'homme
libre au Moyen ge, ils contien-
nent surtout un riche potentiel
symbolique que dploieront
certains courants de la Frater-
nit. ct de cette fconde
veine antique, le Regius se rat-
tache enfin au patrimoine bibli-
que (No*, la tour de Babel)
et ouvre de ce fait la porte
toutes les spculations sur
l'criture sainte. Y compris,
long terme, celles de l'sot-
risme juif, la Kabbale*.
ric Vinson
14 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point
-
LES ORIGINES | Le manuscrit d'dimbourg
Comment naquit le Mtier de la Maonnerie...
Ici commencent les statuts de l'art de
Gomtrie selon Euclide.
1. Quiconque se donnera la peine de
chercher et de lire trouvera dans un vieux livre
l'histoire de grands seigneurs et dames qui
avaient beaucoup d'enfants, et n'avaient pas
de revenus pour les entretenir [...]. Ils tinrent
ensemble conseil par amour pour eux afin de
voir comment leur descendance pourrait mener
sa vie confortablement, sans souci ni lutte. Ils
envoyrent alors chercher de grands clercs
pour leur enseigner de bons mtiers. [...]
Grce la bonne gomtrie, c'est ainsi que
cet honnte Mtier de bonne Maonnerie fut
[...] cre par ces clercs assembls. [...] Celui
qui tait le plus dou, honnte et appliqu
avait droit plus d'gards que ses compagnons.
Le nom de ce grand clerc tait Euclide, et sa
renomme se rpandait fort loin. Il ordonna
que celui qui tait plus avanc devait enseigner
celui qui l'tait moins pour tre parfait en cet
art honnte. Ainsi, ils devaient s'instruire l'un
l'autre et s'aimer tous comme frres et soeurs.
11 ordonna encore que le plus avanc soit appel
Matre afin de l'honorer particulirement.
Mais les maons ne doivent jamais s'appeler
entre eux ni sujet ni serviteur, mais mon cher
frre , mme si ce dernier est moins parfait
qu'un autre. Chacun appellera les autres com-
pagnons par amiti, car ils sont tous ns de
nobles dames. Voil comment naquit le Mtier
de la Maonnerie par la bonne science de
gomtrie. Le clerc Euclide fonda ainsi ce
Mtier de gomtrie au pays d'gypte, l'ensei-
gna dans tout le pays et dans divers autres de
tous cts.
59. De nombreuses annes passrent je crois
avant que ce Mtier n'arrive dans notre pays,
en Angleterre, au temps du bon Roi Athelstan.
[... ] Ce bon seigneur aimait beaucoup ce Mtier
et voulut le consolider dans toutes ses parties
cause de divers dfauts qu'il y avait trouvs.
Par tout le pays, il convoqua tous les maons
du Mtier venir vers lui sans dlai pour
amender si possible tous ces dfauts par bon
conseil. Il runit alors une assemble de sei-
gneurs de divers rangs [...] avec les grands
bourgeois de la ville. Ils taient tous l, chacun
son rang, sigeant ensemble pour tablir le
statut de ces maons. Ils s'ingnirent trou-
ver comment ils pourraient gouverner le Mtier.
Leurs recherches produisirent quinze articles
et quinze points. [...] Prions maintenant Dieu
Tout-Puissant et sa mre la radieuse Marie de
nous aider garder ces articles et ces points
tous ensemble, comme le firent ces quatre
saints martyrs qui dans ce Mtier furent tou-
jours tenus en grand honneur.
503. Ils taient aussi bons maons qu'on puisse
en voir sur la terre, et aussi sculpteurs et ima-
giers : c'taient des ouvriers d'lite [...].
535. coutez maintenant ce que j'ai lu. Bien
aprs que le dluge de No eut dferl grand
effroi, la tour de Babel fut commence : le plus
gros ouvrage de chaux et de pierre que jamais
homme ait pu voir. [...] Bien des annes plus
tard, le bon clerc Euclide enseigna le Mtier de
gomtrie par toute la terre, tout comme une
multitude d'autres mtiers. Par la cleste grce
du Christ, il fonda les sept sciences. Grammatica
est, ma foi, la premire ; Dialectica, Dieu me
bnisse, est la seconde ; Rhetorica sans conteste
la troisime ; Musica, je vous le dis, la quatrime ;
Astronomia, par ma barbe, est la cinquime;
Arsmetica [arithmtique], la sixime, sans aucun
doute ; Geometria, la septime, clt la liste, car
elle est humble et courtoise. En vrit, Gram-
maire est la racine, chacun s'instruit par le livre,
mais la Science la dpasse comme le fruit de
l'arbre vaut plus que la racine. La Rhtorique
mesure un langage soign, et la Musique est un
chant suave. L'Astronomie dnombre, mon cher
frre. L'Arithmtique dmontre qu'une chose
est gale une autre. La Gomtrie est la sep-
time science, qui distingue le vrai du faux.
576. Ce sont l les sept sciences : qui s'en sert
bien peut gagner le Ciel.
MANUSCRIT REGIUS (VERS 1390), TRAD. E. MAZET, EXTRAIT DU CAHIER LA FRANC-MAONNERIE :
DOCUMENTS FONDATEURS, DITIONS DE l'HERNE, 1992, 2007.
Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux I 15
-
C l s d e l e c t u r e les ORIGINES
Le manuscrit Cooke
A peine plus rcent que le Regius (cf. p. 14), voici le manuscrit Cooke, lui aussi relique irremplaable de
la prhistoire de la franc-
maonnerie. Portant le nom
de son premier diteur au
xixe sicle, il date des annes
1400-1410 et offre avec son
devancier le seul tmoignage
consistant des us et coutumes
des maons d'Angleterre au
Moyen ge. Rdiges proba-
blement par un clerc du Sud-
Ouest de la Grande-Bretagne,
ses 960 lignes de prose latine
contiennent peu ou prou les
mmes donnes rglementai-
res, thiques et religieuses que
le Regius, lies l encore une histoire mythique du Mtier.
Agences selon une logique
similaire, qui les rattache
d'antiques personnages pres-
Les figures bientt
incontournables
d'Herms, de
Pythagore et d'Euclide.
tigieux, et par eux la grande
histoire du monde telle qu'on
la concevait alors, ces dispo-
sitions n'en prennent que plus
de force. Dans sa partie orga-
nisationnelle , le Cooke men-
tionne dj la loge comme
cadre spcifique de la vie
maonnique, le secret* des
dlibrations qui s'y droulent
et l 'existence d 'un sur-
veillant pour assister le ma-
tre. Il n'voque pourtant pas
le serment des membres,
contrairement au quatorzime
point du Regius, qui laissait
L e m a n u s c r i t Cooke ( d b u t x v e ) .
ainsi envisager dans la Frater-
nit l'existence d'une crmo-
nie de rception dont nous ne
savons rien par ailleurs.
La tradition antdiluvienne Pour autant, le Cooke complte significativement - non sans
quelques aberrations histori-
ques ou logiques propres
l'esprit du temps - les apports
symboliques et mythiques du
Regius, en particulier son volet biblique. Il raconte en effet
comment les descendants
directs d'Adam, Jabel et Jubal
(Yabal et Yubal pour la Bible
de Jrusalem, Gn, IV, 17), furent
les premiers maons et gom-
tres, soit les fondateurs en
quelque sorte de tous les
savoirs humains. Prsent
comme l'anctre des forgerons,
Tubalcan est aussi cit, ce dont
se souviendront des versions
ultrieures de l'Ordre maon-
nique. Plus parlante encore,
l'vocation des deux colonnes,
l'une en marbre, l'autre en lace-rus, c'est--dire en brique, sur lesquelles ces prcurseurs
auraient not les sept sciences
librales afin de les prserver
du Dluge, qu'il soit de feu ou
d'eau. Dj prsent chez l'his-
torien juif romanis Flavius
Josphe (v. 37-100 apr. J.-C.),
ce motif antique sera repris par
des courants de l'sotrisme*
occidental, qui il permettait
de se dire hritiers de la tra-
dition antdiluvienne via des mdiations varies. En l'occur-
rence, ce manuscrit voque
celles - bientt incontourna-
bles - d ' He rms * , figure
humano-divine du philosophe
et de l'alchimiste, et des grands
mathmaticiens grecs Pytha-
gore* et Euclide*, nots Pic-
tagoras et Euclet par trans-
cription hasardeuse d'une
transmission orale. Plus, un
lien analogique pourra dsor-
mais tre tabli entre ces deux
colonnes antdiluviennes
et celles du temple de Salo-
mon*, que la Bible attribue
matre Hiram*, ici nomm le
fils du roi de Tyr . Le Cooke est ainsi le premier document
maonnique se rfrer cette
scne, combien fondatrice,
de l'dification d'une maison
pour l'ternel Jrusalem par
l'hritier du roi David et son
matre ouvrier. De quoi lancer
l'une des thmatiques-cls pour
l'avenir de la confrrie. De quoi
attester surtout l'articulation
trs prcoce, en son sein, d'as-
pects professionnels, moraux,
symboliques et spirituels. La
preuve que l'ancienne Maon-
nerie oprative* et ce qui
deviendra au XVIIIe sicle la franc-maonnerie spcula-
tive* entretiennent un rap-
port, au moins analogique,
dfaut d'une claire continuit
organisationnelle. .V.
16 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point
-
LES ORIGINES | Le manuscrit Cooke
Salomon lui-mme leur enseigna leurs coutumes
[Bien des docteurs] disent que la
Maonnerie est l'lment principal de
la gomtrie, car elle fut la premire
tre invente comme le dit la Bible au premier
livre, celui de la Gense, chapitre 4. [...] La
descendance directe d'Adam comprenait un
homme appel Lamech, [...] qui eut deux fils,
l'un appel Jabel et l'autre Jubal. L'an Jabel
fut le premier inventer la gomtrie et la
Maonnerie. Et il construisit des maisons et
son nom se trouve dans la Bible [...]. Il fut le
matre maon de Can et chef de tous ses travaux
quand il construisit la cit de Hnoch, qui fut
la premire cit tre jamais construite. [...]
Et son frre Jubal ou Tubal fut l'inventeur de
la musique, [...] qu'il inventa en coutant le
rythme des marteaux de son frre, qui tait
Tubal-Can. [...] Vous devez savoir que son fils
Tubal-Can fut l'inventeur de l'art du forgeron
et des autres arts des mtaux. [...] Or ces trois
frres et surs apprirent que Dieu voulait se
venger du pch par le feu ou par l'eau et ils
s'efforcrent de sauver les sciences qu'ils avaient
inventes. [...] Ainsi imaginrent-ils d'crire
toutes les sciences qu'ils avaient inventes sur
deux pierres : au cas o Dieu se vengerait par
le feu, le marbre ne brlerait pas, et s'il choi-
sissait l'eau, l'autre pierre ne coulerait pas. Ils
demandrent leur frre an Jabel de faire
deux piliers de ces deux pierres savoir de
marbre et de lacerus et d'inscrire sur ces deux piliers toutes les sciences et techniques qu'ils
avaient inventes. Il fit ainsi et acheva tout
avant le Dluge. [...] Certains disent qu'ils
gravrent les sept sciences sur les pierres,
sachant qu'allait venir un chtiment. [...] Et
bien des annes aprs ce Dluge, on trouva les
deux piliers et [...] un grand clerc du nom de
Pictagoras trouva l'un et Herms, le philosophe,
trouva l'autre. Et ils se mirent enseigner les
sciences qu'ils y trouvrent inscrites. [...] C'est
de cette manire que l'art de la Maonnerie fut
pour la premire fois prsent comme science,
avec des instructions. Les ans qui nous pr-
cdrent parmi les maons firent mettre ces
instructions par crit : nous les possdons
maintenant parmi nos propres instructions
dans le rcit d'Euclide. [...]
Tout le temps que les enfants d'Isral habitrent
en gypte, ils apprirent l'art de la Maonnerie.
Aprs qu'ils furent chasss d'gypte, ils arriv-
rent en terre promise qui s'appelle maintenant
Jrusalem. L'art y fut exerc et les instructions
observes, ainsi que le prouve la construction
du temple de Salomon, que commena le roi
David. Le roi David aimait bien les maons et
leur donna des instructions fort proches de ce
qu'elles sont aujourd'hui. la construction du
Temple au temps de Salomon, comme il est dit
dans la Bible au premier livre des Rois chapitre
cinq, Salomon avait quatre-vingt mille maons
sur son chantier et le fils du roi de Tyr tait son
matre maon. Il est dit chez d'autres chroni-
queurs et en de vieux livres de Maonnerie que
Salomon confirma les instructions que David
son pre avait donnes aux maons. Et Salomon
lui-mme leur enseigna leurs coutumes, peu
diffrentes de celles en usage aujourd'hui. Et
ds lors cette noble science fut porte en France
et en bien d'autres rgions. [...]
Aprs bien des annes, au temps du roi Athels-
tan qui fut jadis roi d'Angleterre, [...] pour
redresser de graves dfauts trouvs chez les
maons, ils fixrent une certaine rgle entre
eux. Chaque anne ou tous les trois ans, comme
le jugeraient ncessaire le roi et les grands
seigneurs du pays et toute la communaut, des
assembles de matres maons et compagnons
seraient convoques de province en province
et de rgion en rgion par les matres. ces
congrgations, les futurs matres seraient exa-
mins sur les articles ci-aprs et mis l'preuve
en ce qui concerne leurs capacits et connais-
sances, pour le plus grand bien des seigneurs
qu'ils servent et le plus grand renom de l'art en
question. En outre, ils recevront comme ins-
truction de disposer avec honntet et loyaut
des biens de leurs seigneurs.
MANUSCRIT COOKE (VERS 1400-1410), IN ROGER RICHARD, DICTIONNAIRE MAONNIQUE, DERVY, 1999.
Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux I 17
-
Cls de lec ture | LES ORIGINES
Le manuscrit Grand Lodge n 1
Conserv par la Grande Loge unie d'Angleterre (cf. p. 52), ce manuscrit lui doit son nom. Dat de Nol 1583, il est le troisime plus ancien des Old Charges aprs les manuscrits Regius et Cooke ; et surtout le plus vieux de ceux postrieurs la R f o r m e * , priode des plus dcisives en Grande-Bretagne. Certains
Le Grand Lodge est le premier manuscrit revendiquer sa propre rcitation durant la rception d'un nouveau frre.
experts y voient donc un tour-nant dans l'histoire des Anciens Devoirs et de la Maonnerie. Jusque-l en effet, les Old Char-ges prsentaient la mme struc-ture en deux parties, prcdes d'une prire : une histoire mythique du Mtier et un volet prescriptif qui exposait les fameux Devoirs. Or si le Grand Lodge prsente lui aussi un rcit des origines issu d'un remaniement du texte mdival aujourd'hui perdu qui est l'origine galement du Cooke, il repense compltement la prsentation des obligations. Dsormais, ces dernires ne sont plus rparties en divers articles et points , mais en devoirs gnraux (plutt moraux) et particuliers (plu-tt professionnels), mme si ces crits mlent toujours un peu les deux plans. Pour l'es-sentiel, savoir les principes, la continuit est nanmoins de
mise : professionnalisme, ga-lit, fraternit, moralit, confi-dentialit, pit... Sur fond de nomadisme propre un arti-sanat encore partiellement itinrant, un certain cosmopo-litisme s'affirme plus claire-ment. La confrrie n'existe-t-e l le pas partout , depuis toujours et jamais ? Surtout, ce texte est le premier reven-diquer sa propre lecture ou rcitation (vestige de la vieille oralit) durant la rception d'un nouveau frre. Avec lui se rvle ainsi une dimension non seulement solennelle, mais clairement rituelle, atteste par le latin de la phrase qui marque la prestation de ser-ment sur la Bible. Un aspect peut-tre dj prsent l'po-que du Regius et du Cooke, mais qui n'tait pas encore explicite...
Le matre btisseur Quant au mythe fondateur, il reprend les mmes donnes que les manuscrits mdivaux ; on note simplement la dispa-rition de l'rudition monasti-que qui s 'y talait souvent maladroitement, et un effort pour liminer des rfrences obsoltes et autres invraisem-blances. Le Grand Lodge vo-que ainsi la redcouverte par Herms* d'une seule des deux colonnes de la connaissance prvues pour rsister au Dluge, puisque celle de brique a forcment t dtruite par l'inondation... Mais en dehors de la disparition de Pytha-gore* et de la moiti du corpus antdiluvien, tout est bien l : les arts libraux, l'loge de la
gomtrie, la trame biblique et ce cher Euclide* ( Ewcled ), toujours disciple d'Abraham malgr les millnaires qui les sparent ! galement au rendez-vous, le bon roi Athelstan (cf. p. 14), mais cette fois avec la grande assemble fondatrice de la ville d'York, mentionne l pour la premire fois. Point troublant : si le matre btis-seur du temple de Jrusalem est nouveau signal ici comme le fils d'Iram, roi de Tyr , il est cette fois appel Aynone. Un nom trange, par-fois not Aynon, Aymon, Amon, voire Anyone ( Quelqu'un en anglais) ou A Man ( Un Homme ) dans les Old Charges postrieures, jusqu' ce que Hiram* s ' impose dans les annes 1720-1730. Ce nom-cl demeure une nigme, tout comme celui de Naymus Grae-cus, personnage cens avoir transmis la Maonnerie de Palestine vers l'Europe. Ces deux patronymes ont-ils un lien? Renvoient-ils au dieu
Tout est bien l : les arts libraux, l'loge de la gomtrie, la trame biblique, et mme Euclide.
suprme gyptien Amon* (litt. Le Cach ), au mot hbreu amon ( constructeur, arti-san ), la lgende mdivale des Quatre Fils Aymon* (dont les maons ne sont pas absents) ? Ou Amen, l'un des noms du Christ selon la tradi-tion? Mystre... .V.
18 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point
-
LES ORIGINES | Le Grand Lodge n 1
Que tout homme qui est maon prte bien attention ces devoirs
Longtemps aprs, lorsque les enfants
d'Isral furent arrivs dans la Terre pro-
mise [...], le roi David commena [...]
le temple de Jrusalem. Et il aimait bien les
maons, [...] et leur donnait un bon salaire, et
les devoirs et les coutumes qu'il avait appris en
gypte, ceux qu'avait donns Ewcled, et d'autres
devoirs encore, que vous entendrez plus loin.
Aprs la mort du roi David, Salomon son fils
acheva le temple [...]. Et il envoya chercher des
maons dans divers pays, et il les runit tous
ensemble, de sorte qu'il y eut quatre-vingt mille
ouvriers [...]. Et il choisit trois mille d'entre eux,
qui furent tablis matres et gouverneurs de son
uvre. Or il y avait un roi d'un autre royaume,
appel Iram, qui aimait bien Salomon et lui donna
du bois de charpente pour son uvre ; et il avait
un fils nomm Aynone, et celui-ci tait matre
en Gomtrie. Et il fut matre en chef de tous ses
maons [...].
Des hommes du Mtier pleins de zle voyagrent
au loin, en divers pays [...]. et ainsi il advint qu'il
y eut un maon zl nomm Naymus Graecus,
qui avait t la construction du temple de
Salomon; et il vint en France [...]. C'est ainsi
que le Mtier y vint. Pendant ce temps, l'Angle-
terre resta prive de tout devoir de Maonnerie,
jusqu'au temps de saint Albons [...] Aprs sa
mort, il y eut diverses guerres en Angleterre,
apportes par diverses nations, de sorte que le
bon gouvernement de la Maonnerie fut dtruit
jusqu'au temps du bon roi Athelstan [...], qui
construisit beaucoup de grands ouvrages. Il
avait un fils, Edwin, qui aimait les maons, [...]
pratiqua beaucoup la gomtrie et fut par la
suite fait maon. Il obtint du roi son pre une
charte et un pouvoir, pour tenir chaque anne
une assemble o ils voudraient dans le royaume
d'Angleterre, et pour corriger entre eux les fau-
tes ventuellement commises dans le Mtier. Et
il tint lui-mme une assemble York; et l, il fit
des maons, et leur donna des devoirs, il leur
enseigna des coutumes, et il ordonna que la
rgle en serait garde jamais. [...]
Et quand l'assemble fut runie, il proclama que
tous les maons en possession de quelque crit
ou connaissant des devoirs ou coutumes tablis
en ce pays ou tout autre les apportent. Et
l'examen il s'en trouva qui taient en franais,
en grec, en anglais, dans d'autres langues, et on
trouva qu'ils concordaient tous. Et il en fit un
livre sur la manire dont le Mtier fut fond. Et
il commanda et ordonna en personne qu'on le
lirait ou rciterait chaque fois qu'on ferait un
maon, et pour lui faire prter son obligation ; et
depuis ce jour jusqu' maintenant les coutumes
des maons ont t conserves en cette forme.
Alors l'un des Anciens tient le livre, et celui ou
ceux qui sont faits maons pose(nt) les mains
dessus, et l'on doit lire alors les devoirs [en latin
dans le texte].
Que tout homme qui est maon prte bien atten-
tion ces devoirs : s'il se trouve coupable l'un
d'entre eux, qu'il s'en corrige devant Dieu ; et
vous en particulier, qui allez prter votre obliga-
tion, prenez bien soin de les observer parfaite-
ment, car c'est un grand pril pour un homme
que de se parjurer sur un Livre.
Le Premier devoir : vous devez tre des hommes
fidles Dieu et la Sainte glise, et n'user ni
d'erreur ni d'hrsie en votre entendement et
jugement, mais tre des hommes sages en toute
chose ; vous devez aussi tre de fidles hommes
liges du roi d'Angleterre, en vous gardant de la
trahison [...]. Et aussi vous devez tre loyaux
les uns envers les autres, c'est--dire qu'envers
tout vrai maon, vous devez agir comme vous
voudriez qu'ils agissent envers vous. Et aussi
que vous gardiez fidlement toutes les dlibra-
tions de vos compagnons, que ce soit en loge ou
en chambre, et toutes les autres dlibrations
garder en fait de Maonnerie. Et aussi qu'aucun
maon ne doit tre un voleur [...]. Et aussi que
vous devez appeler maons vos compagnons ou
frres, et ne leur donner aucun autre nom vil.
MANUSCRIT CRAND LODGE N 1 (1583], TRAD. E. MAZET,
EXTRAIT DU CAHIER LA FRANC-MAONNERIE :
DOCUMENTS FONDATEURS, DITIONS DE L'HERNE, 1992, 2007.
Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux 19
LE T
EXTE
-
Cls de lecture | LES ORIGINES
Les Statuts de William Schaw
D'origine cossaise et non plus anglaise, voici les Statuts Schaw - dont les vingt-deux premiers articles
sont promulgus en 1598 et les
quinze suivants en 1599 - ainsi
que la Charte Sinclair (1601).
Trois textes rglementaires, dus
au mme William Schaw (1550-
1603), qui codifient l'activit
des maons opratifc* d'Ecosse
en les soumettant cet unique
Matre des travaux . Un
homme influent car plac sous
l'autorit directe du roi Jac-
ques VI, situ au sommet de la
pyramide forme par les res-
ponsables du Mtier, com-
mencer par les Surveillants
dirigeant chaque loge . D'in-
trt avant tout organisationnel,
ces pices administratives res-
tructurent l'ancienne Maon-
nerie du royaume autour de
cette nouvelle ralit territoriale
et professionnelle. Mais ces
documents offrent aussi trois
Le nom et la
marque de tout
nouveau matre ou
compagnon reu
seront enregistrs.
notations d'un autre ordre, limi-
tes par la taille mais pas par
la porte...
Les Statuts de 1598 disposent
d'abord que le nom et la mar-
que de tout nouveau matre
ou compagnon reu , c'est-
-dire initi, seront enregistrs.
Croix latine, anse ou gamme,
cercle, toile cinq ou six bran-
ches ( p en t ag r amme et
sceau de Salomon* )... :cette
signature inscrite par chaque
ouvrier sur ses pierres est un
trac gomtrique susceptible
de dveloppements symboli-
ques voire rituels, comme dans
le Compagnonnage* , organi-sation cousine de la Maonne-
rie, et dans certaines de ses
ramifications futures, en l'oc-
currence la Mark Masonry.
L' art de la mmoire Quant aux Statuts de 1599, sur-
tout consacrs aux privilges
de la loge de la ville de Kilwin-
ning (rivale de celle d'dim-
bourg), ils mentionnent deux
reprises l'obligation pour les
responsables du Mtier d'exa-
miner la comptence et valeur
professionnelle mais aussi
l 'art de la mmoi re des
imptrants.
De quoi s'agit-il ? D'une antique
mthode mnmotechnique et
rhtorique fonde sur la visua-
lisation imaginaire de btiments
(rels ou idaux) censs repro-
duire l'agencement d'un dis-
cours. Selon l'historien de la
franc-maonnerie David Ste-
venson, elle fut peu peu trans-
forme en une m t hode
occulte par laquelle l 'homme
pouvait comprendre l'univers
et exploiter ses pouvoirs .
L'art de la mmoire des Opra-
tifs pouvait ainsi servir au trac
des pures prparant leurs tra-
vaux, mais aussi la rcitation
du rituel et la composition de
diagrammes symboliques dont
t m o i g n e n t p e u t - t r e
aujourd'hui les tableaux de loge
(cf. p. 108). Grand rorganisa-
teur de la Confrrie sur des
bases destines durer, Schaw
y instille ou formalise ainsi
l' art de la mmoire et son
probable sotr i sme* . Raison pour laquelle on voit de plus
en plus en cet humaniste renais-
sant le pre lointain de la franc-
maonnerie moderne.
Dernier document, la Charte
accorde William Sinclair par
les maons d'cosse pourrait
sembler peu significative n'tait
justement son bnficiaire : le
trs puissant seigneur de Ros-
lin, confirm ici comme protec-
teur et juge du Mtier selon un
William Schaw,
pre lointain de la
franc-maonnerie
moderne ?
usage tabli depuis toujours .
Or, ce bourg de Roslin possde
un trange sanctuaire, construit
entre 1440 et 1480 par des arti-
sans venus de tout le pays, et
m m e de l 'tranger, la
demande de ce Grand Matre
de la Maonnerie cossaise .
Une chapelle dont les orne-
ments rvlent un symbolisme
la luxuriance hors du com-
mun, notamment les piliers de
l'Apprenti , de l'Artisan et
du Matre ...
Haut lieu du Da Vinci Code
publi en 2003 par Dan Brown,
elle est devenue depuis le suc-
cs plantaire de ce roman l'un
des sites-cl du tour isme
sotrique de masse, avide
de lgendes, notamment tem-
plires. .V.
20 Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 L e Point
-
LES ORIGINES I L e s Statuts Schaw
Examiner les qualifications et l'ancien art de la mmoire...
Edimbourg, le 28 dcembre de l'an de
grce 1598.
Les matres maons du royaume
[d'cosse] devront observer ces statuts, ta-
blis par William Schaw, Matre des Travaux de
sa Majest et Surveillant gnral du Mtier,
avec le consentement des matres ci-aprs
dsigns.
1. En premier lieu, ils doivent observer toutes
les ordonnances relatives aux droits particuliers
de leur Mtier, tablies pralablement par leurs
prdcesseurs de glorieuse mmoire et, en
particulier, ils doivent tre honntes les uns
avec les autres et vivre dans la charit, parce
qu'ils sont devenus, par serment, frres et
compagnons dans le Mtier.
2. Ils doivent obir leurs surveillants, doyens
ou matres, en tout ce qui touche leur mtier.
[...]
7. Il faudra lire un surveillant, chaque anne,
dans chaque loge [...], et il en aura la respon-
sabilit. Cela se fera par le vote des matres de
ces loges et avec l'accord de leur Surveillant
gnral, s'il est prsent. Autrement, le Surveillant
gnral sera averti qu'un surveillant a t lu
pour une anne, pour qu'il puisse lui envoyer
ses directives. [...]
13. Aucun matre ou compagnon ne sera reu
sans la prsence de six matres (dont le sur-
veillant de la loge) et de deux apprentis. Le jour
de sa rception sera dment enregistr, avec
son nom et sa marque [...]. Tout cela condition
que personne ne soit jamais reu sans qu'on
ait procd un examen satisfaisant de sa
comptence et de sa valeur professionnelle.
[...]
15. Aucun matre ou compagnon ne prendra
de cowan [maon non initi] pour travailler
avec lui.
WILLIAM SCHAW, MATRE DES TRAVAUX (1601), IN i f S TEXTES FONDATEURS DE LA FRANC-MAONNERIE, TRAD. PHILIPPE LANGLET, DERVY, 2006.
Le 28dcembre 1599. [...]
6. Il est ordonn, par monseigneur le Surveillant
gnral, que le surveillant de Kilwinning, en tant
que seconde loge d'cosse, lise six maons
parmi les plus parfaits et les plus dignes de
rester dans nos mmoires [...] pour examiner
les qualifications de tous les maons de leur
juridiction, sur leur connaissance du Mtier et
l'ancien art de la mmoire. [...]
9. [...] On devra toujours recevoir un apprenti
ou compagnon uniquement dans l'glise de Kilwin-
ning, sa paroisse et la seconde loge. Tous les
banquets de rception des apprentis ou compa-
gnons s'y feront.
10. Il est ordonn que le jour de sa rception,
tout compagnon devra payer [... ] pour le banquet
et le prix des gants. Il ne devra pas tre reu sans
examen satisfaisant, pour savoir s'il possde
bien l'art de la mmoire et l'art de son Mtier,
par le surveillant, le doyen et les intendants de
la loge, conformment aux anciens usages.
[...]
13. Il est ordonn par le Surveillant gnral que
la loge de Kilwinning [... ] fasse l'examen de l'art
de la mmoire de chaque compagnon et de cha-
que apprenti, selon leur tat particulier [...].
IBID.
Qu'il soit port la connaissance de tous par la
prsente :
Nous, doyens, matres et maons libres du
royaume d'cosse, avec le consentement exprs
de William Schaw, Matre des Travaux de notre
Souverain, que, depuis toujours, il a t tabli
chez nous que les seigneurs de Roslin ont tou-
jours t nos protecteurs et les dfenseurs de
nos droits, de la mme manire que nos prd-
cesseurs les ont reconnus comme leurs protec-
teurs. Ces dernires annes cependant, par
ngligence, ces droits sont tombs en dsutude,
et par l mme, non seulement le seigneur de
Roslin n'a pu exercer son bon droit mais la pro-
fession dans son ensemble a t prive d'un
protecteur et d'une personne exerant le pouvoir
de contrle. Cela a engendr de nombreux dr-
glements parmi nous. [...]
Nous, en notre nom, et au nom de tous nos
frres et compagnons, et avec leur consentement,
acceptons que W. Sinclair, prsentement seigneur
de Roslin, obtienne de notre Souverain, pour
lui-mme et pour ses hritiers, le mandat de
nous juger, l'avenir, nous et ceux qui nous
succderont, comme protecteurs et juges.
IBID.
Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux | 2 1
-
Cls de lecture LES ORIGINES
Tmoignages du XVIIe sicle : des Opratifs aux Spculatifs
Tous dats du xvne sicle, voici quelques-uns des premiers documents sur la Maonnerie qui n'appartien-
nent pas ses archives internes,
ils manent soit des confiden-
ces de frres, soit des rflexions
de non-maons ( profanes )
rapportant ce qu'on disait alors
l'extrieur de la Fraternit.
Surtout, ces textes permettent
d'envisager le phnomne le
plus complexe et le plus contro-
vers de son histoire. savoir
le passage de sa forme ancienne
oprative* - artisanale -
sa version moderne spcula-
tive* , qui rassemblera par-
tir du xviiie sicle, par un rituel
au symbolisme plus ou moins
riche, des non-professionnels
en qute de convivialit, de
bienfaisance et d'changes phi-
losophico-spirituels.
La phase de transition De la continuit complte la
rupture totale entre ces deux
formes, les thses les plus
varies ont t mises pour
expliquer cette phase de tran-
sition . La moins contestable
est celle d'un lien au moins
mythique entre elles ; lien en
quelque sorte fantasmatique,
qui verrait les Spculatifs se
rver les descendants directs
des Opratifs et tout faire
pour accrditer cette origine
prestigieuse malgr sa fragilit
historique.
Que disent donc les partisans
de cette filiation? Que les
vieilles loges opratives, affai-
blies par les volutions de la
socit anglaise, ont peu peu
accueilli des non-btisseurs
socialement influents - les
maons accepts - afin de
bnficier de leur protection.
Aristocrates, bourgeois et let-
trs auraient ainsi rejoint les
aumniers et notaires dj
reus depuis longtemps
(par ncessit pratique) au
sein d'une confrrie obsoles-
Les vieilles loges
opratives, affaiblies
par les volutions
de la socit, auraient
peu peu accueilli
des non-btisseurs.
cente. Jusqu' ce que ces nou-
veaux francs-maons impo-
sent leur hgmon ie et
transforment peu peu l'Ordre
pour profiter au maximum du
rare espace de libert, de dis-
tinction et d'entraide qu'il
offrait dans une Grande-Bre-
tagne aussi intolrante que
divise.
Le premier maon accept
connu est ainsi le noble cos-
sais John Boswell d'Auchin-
leck, admis en 1600 dans la
loge Mary's Chapel d'dim-
bourg. Quant au plus fameux,
c'est sans doute Elias Ashmole
(1617-1692), rudit fru d'al-chimie* et d 'hermtisme*,
initi en 1646 dans une loge
forme de sept notabilits loca-
les sans lien connu avec le
monde du btiment. Or Ash-
mole est aussi l'un des fonda-
teurs de la Royal Society de
Londres, un influent cnacle
encyclopdique marqu par
la figure de Newton*, et dont
le rle se rvlera essentiel
pour la modernisation d'un
royaume dchir. Certains
pensent qu'aprs des dcen-
nies de troubles violents, cette
lite aurait noyaut les loges
opratives moribondes pour
y dvelopper un nouveau pro-
jet humaniste ouvert tous
les hommes de bonne volont :
la matrice de la Maonnerie
spculative et de sa tolrance.
Parmi les apports probables
de cet entrisme intellectuel,
un questionnement philoso-
phique et sotrique* non
sans rapport avec la Rose-
Croix*. Lance en Allema-
gne vers 1615, cette Fraternit
lgendaire n'tait-elle pas vo-
que ds 1638 par les vers
troublants (texte T) d'un pote
cossais, associe au pouvoir
de seconde vue et un nig-
matique mot du maon ?
savoir un ensemble qui unit
mots de passe, signes de recon-
naissance et symboles -
De quoi attirer
les curieux assoiffs
de mystres et de
services, mais aussi
les critiques...
constructifs (texte 4) et bibli-
ques (texte 5) - au sein d'un
rituel certes archaque mais
qui semble maonnique au
sens actuel du terme. De quoi
attirer bien vite les curieux
assoiffs de mystres et de
services, mais aussi les criti-
ques, tel le savant Robert Plot
(1640-1696), inquiet comme on
le voit ici du succs de ces
pratiques caches... et donc
incontrlables. .V.
22 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point
-
LES ORIGINES | La transit ion
Nous avons le mot du maon et le don de seconde vue
1. Or, nous ne faisons pas de prdictions
en l'air
Car nous sommes frres de la Rose-
Croix
Nous avons le mot du maon et le don de
seconde vue
Et nous pouvons prdire exactement les choses
venir.
HENRY ADAMSON, LA THRNODIE DES MUSES, 1638.
2. 16 oct. 4 h 30 aprs-midi. J'ai t fait franc-
maon Warrington, dans le Lancashire, avec
le colonel Henry Mainwaring [...].
jOURNAL D'ELIAS ASHMOLE, 1646.
3. Des coutumes sont particulirement suivies
dans le comt, notamment celle de se faire
recevoir dans la socit des francs-maons, qui
semble tre plus en faveur ici [...] que partout
ailleurs, quoique je la voie rpandue un peu
partout dans notre nation. Car je trouve ici des
personnes du plus haut rang qui ne ddaignent
pas d'tre de cette compagnie. Et, en vrit, on
ne peut que les en approuver, s'il est vrai qu'elle
est aussi ancienne et honorable que le prtend
un grand rouleau de parchemin qu'ils ont, et
qui contient l'histoire et les rglements du Mtier
de Maonnerie. [...] Quand quelqu'un est reu
dans cette socit, ils convoquent une tenue*
(ou une loge comme on dit en quelques lieux)
qui doit tre forme d'au moins cinq ou six des
anciens de l'Ordre. Les candidats leur offrent
des gants, pour eux et pour leurs femmes, ainsi
qu'un banquet selon la coutume du lieu. Cela
fait, ils procdent la rception, qui consiste
principalement en la communication de certains
signes secrets, par lesquels ils se reconnaissent
entre eux dans toute la nation, ce qui leur per-
met d'obtenir assistance partout o ils vont.
Car s'il se prsente un homme, mme compl-
tement inconnu, qui puisse montrer un de ces
signes un membre de la socit ou, comme
ils le disent, un maon accept, celui-ci est
oblig, en quelque lieu ou compagnie qu'il puisse
tre, de venir lui aussitt, fut-ce du haut d'un
clocher (quelque danger ou incommodit que
cela reprsente) pour savoir ce qu'il dsire et
l'assister. C'est--dire qu'il doit lui trouver du
travail s'il en a besoin ; ou s'il ne peut pas lui en
trouver, il doit lui donner de l'argent ou l'aider
d'une autre manire subsister [...]; ce qui est
l'un de leurs articles. Un autre article dit qu'ils
doivent conseiller les matres pour lesquels ils
travaillent, au mieux de leur capacit, les infor-
mant de la bonne ou de la mauvaise qualit de
leurs matriaux; et s'il y a quelque erreur dans
la conception de l'difice, les amener avec modes-
tie la corriger, de crainte que la Maonnerie
ne soit dshonore. Et il y en a beaucoup d'autres
semblables, qui sont bien connus. Mais il y en
a quelques autres (qu'ils jurent selon leur rite
de garder secrets) que nul d'autres ne connat.
Et j'ai des raisons de souponner qu'ils sont
bien pires que les prcdents, aussi dtestables
peut-tre que cette histoire du Mtier elle-mme.
Car je n'ai jamais rien vu de plus faux et de plus
incohrent que celle-ci. [...] Si bien qu'il serait
peut-tre opportun, maintenant encore, de les
surveiller.
ROBERT PLOT, L'HISTOIRE NATURELLE DU STAFFORDSHIRE, 1686.
4. Je ne puis que rendre hommage la Compa-
gnie des maons pour son antiquit; et cela
d'autant plus que je suis membre de cette socit,
dite des francs-maons. En les frquentant, j'ai
observ l'usage des divers outils qui suivent,
et j'en ai vu quelques-uns dans les blasons.
RANDLE HOLME, L'ACADMIE DU BLASON, 1688.
TEXTES EXTRAITS DU CAHIER LA FRANC-MAONNERIE :
DOCUMENTS FONDATEURS, DITIONS DE L'HERNE, 1992, 2007.
5. J'ai rencontr en cosse cinq curiosits qu'on
n'a gure remarqu se trouver ailleurs [...]. 2e :
le mot de maon au sujet duquel on fait un
mystre, je ne cacherai pas le peu que j'en sais.
Il ressemble une tradition rabbinique, la
manire d'un commentaire sur Jakhin * et Boaz *,
les deux piliers dresss dans le temple de Salo-
mon (I Rois 7, 21), avec en plus quelque signe
secret dlivr de main main, grce auquel ils
se reconnaissent l'un l'autre et deviennent fami-
liers entre eux.
ROBERT KIRK, LA COMMUNAUT SECRTE DS ELFES, DES FAUNES ET DES FES, 1691, IN PATRICK NGRIER, TEXTES FONDATEURS DE LA TRADITION MAONNIQUE,
TRAD. G. PASQUIER, GRASSET, 1995.
Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux | 23
-
Cls de lecture LES ORIGINES
Le manuscrit des Archives d'dimbourg
Ecrit en 1696 partir de donnes l'vidence plus anciennes, le manus-crit des Archives d'dimbourg
est le plus vieux document
rituel connu ce jour, hormis
quelques formules de serment
dans les Old Charges. Antrieure de vingt ans l'apparition de
la Maonnerie moderne, cette
pice exceptionnelle tmoigne
ainsi des pratiques de la Fra-
ternit durant l'obscure phase
de transition qui spare ses
versions oprative* et sp-
culative* , supposer qu'il y
ait une continuit effective
entre celles-ci. Et si, comme on
le pense aujourd'hui, la franc-
maonnerie est bien ne de la
conjonction - tout aussi pro-
blmatique sur le plan histori-
que - d'une tradition anglaise
avec une autre, cossaise, c'est
en tout cas cette dernire
qu'appartient ce texte. On ne
Pour ce qui est des
formes, l'initiation
maonnique archaque
insiste avant
tout sur un serment
prt sur la Bible.
sait rien en effet de son origine,
sinon qu'il semble avoir t
rdig par des profanes du
Sud-Ouest de l'cosse assez
perspicaces pour percer les
mystres des initis ; plusieurs
usages ne sont-ils pas ici qua-
lifis de ridicules , adjectif
incomprhensible dans la bou-
che des frres ?
Comme l'atteste la deuxime
partie de cet extrait, cette tra-
dition cossaise est centre
sur la transmission du mot
de maon , la manire de le
donner ou encore l'entre
dans la Confrrie, correspon-
dant ce qu'on appelle
aujourd'hui initiation . tre
un parfait maon la fin du
De terribles
pnalits engagent
les frres ne
divulguer leurs secrets
aucun profane .
xvne sicle, c'est donc simple-ment avoir reu ce mot de
maon de faon solennelle.
Issus des donnes bibliques
sur le temple de Jrusalem, ce
ou plutt ces mots - puis-
qu'il y en a deux, un pour l' ap-
prenti , l'autre pour le com-
pagnon ou le matre
(termes alors en partie syno-
nymes) - sont toujours en
vigueur de nos jours. Pour ce
qui est des formes mmes de
cette initiation maonnique
archaque, elles paraissent
concises, dpouilles mme,
insistant avant tout sur un ser-
ment avec force crmonies
destines effrayer . Prt
sur la Bible, probablement
ouverte l'vangile* de Jean*
(cf. les paroles de l'entre qui voquent ce dernier), cet
acte solennel implique de gar-
der le secret* absolu sur l'en-
semble du processus, sous
peine de se faire tuer par
les maons trahis et de se dam-
ner (ce qui alors est pire
encore). Terribles, ces pna-
lits seront toujours repro-
ches l'Ordre ; elles engagent
en tout cas les frres ne divul-
guer aucun profane leurs
secrets, savoir certains
signes [poigne de main par
exemple], postures et paroles
ainsi que symboles ( l'querre,
le compas , cf. p. 108), qui demeurent pour la plupart en
usage actuellement.
Le tuilage Le dbut de cet extrait se com-
pose quant lui de questions-
rponses, selon une structure
dialogue comparable au cat-
chisme des glises chrtiennes
et promise sous le nom d' ins-
tructions une remarquable
fortune dans les crits maon-
niques. Ces dernires mobili-
sent non seulement un riche
matriel symbolique, qui
constitue la base de la forma-
tion des initis, mais offrent
aussi une sorte de code verbal
(appel tuilage* ) leur per-
mettant de se reconnatre
mutuellement et d'carter les
non-maons. Non reprise ici,
la suite de ce questionnaire
se rfre au symbolisme
constructif (pierres brutes ou
tailles), au temple de Jrusa-
lem - devenu le modle de la
loge - et la direction de celle-
ci par un matre et deux offi-
ciers , usage lui aussi vou
se perptuer. Avec son cat-
chisme , sa description de
l'entre et de divers sym-
boles ou secrets, ainsi que son
obligation (serment), il ne
manque ce manuscrit que la
lgende , le mythe fonda-
teur, pour rvler l'essentiel
des rituels d'initiation de la
Maonnerie spculative sur le
point de natre. .V.
24 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 L e P o i n t
-
LES ORIGINES | Le manuscr i t d'dimbourg
Tout ce qu'il y a faire pour faire un parfait maon
Quelques questions que les maons ont
coutume de poser ceux qui ont le mot,
avant de les reconnatre.
Question 1 : tes-vous maon? Rponse :
Oui.
Q. 2 : Comment le connatrai-je? R. : Vous le
connatrez en temps et lieu convenables.
Remarques : la dernire rponse ne doit tre
faite qu'en prsence de gens qui ne sont pas
maons. Mais en leur absence, vous devriez
rpondre : par signes, conventions et autres
points de mon entre.
Q. 3 : Quel est le premier point? R. : Dites-moi
le premier point, je vous dirai le second. Le
premier est de celer et cacher ; le second : sous
une peine qui ne saurait tre moindre...
[...]
Q. 4 : Oavez-vous t entr ? R. : l'honorable
Loge.
Q. 5 : Qu'est-ce qui fait une loge vritable et
parfaite? R. : Sept matres, cinq apprentis entrs,
un jour de marche d'un bourg, l o on n'en-
tend ni un chien aboyer, ni un coq chanter.
La manire de donner le mot du maon
Tout d'abord vous devez faire agenouiller celui
qui va recevoir le mot, et aprs force crmonies
destines l'effrayer, vous lui faites mettre sa
main droite sur la Bible et vous devez l'exhor-
ter au secret, en le menaant de ce que, s'il
vient violer son serment, le Soleil dans le ciel
et toute la compagnie tmoigneront contre lui,
ce qui sera cause de sa damnation, et qu'aussi
bien les maons ne manqueront pas de le tuer.
Puis, aprs qu'il a promis le secret, ils lui font
prter serment ainsi :
Par Dieu lui-mme - et vous aurez rpondre
Dieu quand vous vous tiendrez nu devant lui
au jour suprme -, vous ne rvlerez aucune
partie de ce que vous allez entendre ou voir
prsent, ni oralement, ni par crit ;[...] ni ne le
tracerez avec la pointe d'une pe, ni avec aucun
autre instrument, sur la neige ou le sable, et
vous n'en parlerez pas, si ce n'est avec un maon
entr ; ainsi que Dieu vous soit en aide.
Aprs qu'il a prt le serment, on l'emmne
hors de la compagnie, avec le plus jeune maon,
et quand il est assez effray par mille postures
et grimaces ridicules, il doit apprendre dudit
maon la manire de se tenir l'ordre, ce qui
est le signe, et les postures et paroles de son
entre, qui sont ainsi :
Quand il rentre dans la compagnie, il doit d'abord
faire un salut ridicule, puis le signe, et dire :
Dieu bnisse l'honorable compagnie. Puis, reti-
rant son chapeau d'une manire trs extrava-
gante qui ne doit tre excute que dans ces
circonstances (comme le reste des signes), il
dit les paroles de son entre, qui sont ainsi :
Me voici, moi le plus jeune et le dernier apprenti
entr, qui viens de jurer par Dieu et saint Jean,
par l'querre, le compas et la jauge commune,
d'tre au service de mon matre l'honorable
loge, du lundi matin au samedi soir, et d'en garder
les cls, sous une peine qui ne saurait tre moin-
dre que d'avoir la langue coupe sous le menton,
et d'tre enterr sous la limite des hautes mares,
o nul ne saura [o est ma tombe], [...]
Ensuite, tous les maons prsents se murmurent
l'un l'autre le mot, en commenant par le plus
jeune, jusqu' ce qu'il arrive au matre maon,
qui donne le mot l'apprenti entr.
Maintenant, [...] pour tre un matre maon ou
compagnon du Mtier, il y a plus faire, et c'est
ce qui suit.
Tout d'abord, tous les apprentis doivent tre
conduits dehors, et il ne doit rester que des
matres. Alors, on fait de nouveau agenouiller
celui qui doit tre reu dans le Compagnonnage *,
et il prte le serment qui lui est prsent de
nouveau. Ensuite, il doit sortir de la compagnie
avec le plus jeune maon pour apprendre les
postures et signes du compagnonnage, puis, en
rentrant, il fait le signe des matres [...]. Alors,
les maons se murmurent l'un l'autre le mot,
en commenant par le plus jeune comme pr-
cdemment, aprs quoi le nouveau maon doit
avancer et prendre la posture dans laquelle il
doit recevoir le mot [...]. Le matre le lui donne
alors et il lui serre la main la manire des
maons, et c'est tout ce qu'il y a faire pour
faire un parfait maon.
MANUSCRIT DES ARCHIVES D'EDIMBOURG, 1696, EXTRAIT DU CAHIER LA FRANC-
MAONNERLE : DOCUMENTS FONDATEURS, DITIONS DE L'HERNE, 1992, 2007.
Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux I 25
-
Cls de lecture | l ES ORIGINES
Le manuscrit Graham et l'sotrisme chrtien
Dcouvert en 1936 dans la rgion d'York, ce manuscrit se termine sur la mention Thofmas] Gra-
ham tant Matre de loge [...]
1726 , nom qu'il a conserv.
Issu de la tradition anglaise,
son contenu est certainement
plus ancien bien qu'on n'en
puisse prciser l'ge. Il com-
prend trois parties : des ins-
tructions par questions-rpon-
ses, une histoire lgendaire du
Les usages et symboles
maonniques sont
systmatiquement
mis en rapport
avec la Trinit, Jsus,
les aptres...
Mtier et une courte conclusion
assez obscure. Ce qui est clair,
c'est qu'elle met l'accent sur
le Christ ( la tte et la pierre
d'angle ) et sur les liens unis-
sant le clerg et les premiers
propritaires de ce manuscrit.
Ce caractre chrtien est ga-
lement trs net dans sa pre-
mire partie dialogue, o les
rponses expliquant usages et
symboles maonniques (cf.
p. 108) sont systmatiquement
mises en rapport avec la Tri-
nit, Jsus, les aptres. Un
exemple ? - Je vous demande
maintenant combien de Lumi-
res appartiennent une loge?
- Je rponds 12. - Quelles sont-
elles? - Les trois premiers
joyaux sont le Pre, le Fils et le
Saint-Esprit ; puis le Soleil, la
Lune, le matre maon, l'querre,
la rgle, le plomb, le fil, le
Les textes fondamentaux
maillet et le ciseau. La plupart
des traits de l'Ancien Testa-
ment* rapports la pratique
rituelle sont aussi rapprochs
du Nouveau, selon un mode de
lecture dit typologique fami-
lier des glises.
Une inspiration chrtienne l'uvre dans d'autres archives
comparables de la Fraternit,
cette grille de lecture se rvle
particulirement dans le manus-
crit cossais Dumfries, transcrit
vers 1710. la question Quel
est le mystre du Temple? , ce
dernier rpond : Le Fils de Dieu
et en partie l'glise, le Fils souf-
frit et son corps fut dtruit et
ressuscita le troisime jour, et
il difia pour nous l'glise chr-
tienne, vritable glise spiri-
tuelle , avant d'interprter
selon la mme logique tous les
attributs du sanctuaire (ses
ornements en marbre, en or, en
bois de cdre, son voile, l'Arche
d'Alliance et ses chrubins, etc.)
comme des emblmes du Sau-
veur. Et de conclure : Le Christ
inscrira sur les colonnes [du
Temple] de meilleurs noms que
ceux de Jakhin* et de Boaz*
(le nom de ces colonnes d'aprs
la Bible), car avant tout, il y ins-
crira le nom de Dieu. Une inter-
prtation clairement chrtienne,
donc, et au raffinement - sot-
rique? - bien tonnant pour de
simples fidles et de modestes
travailleurs manuels...
Dans le Graham, cet sot-
risme* transparat plus nette-
ment encore travers l'histoire
de la Maonnerie, propos de
Betsalel, le constructeur selon
la Bible (Ex, XXXI) du sanctuaire
portatif qui prcda le temple
de Jrusalem. Cens tre le
transmetteur du Mtier entre
les fils de No*, d'une part, et
Salomon* et Hiram*, d'autre
part, Betsalel aurait en effet
connu par inspiration que les
titres secrets et les attributs
principiels de Dieu taient pro-
tecteurs , et aurait bti en
s'appuyant dessus , d'o son
incomparable matrise. Ce qui
revient faire de la Kabbale*,
l'sotrisme juif vou la mdi-
tation de ces sacro-saints attri-
buts clestes, une des sources
des mystres maonniques...
Dernier point capital : le rle
attribu ici No et ses fils.
Pre de l'humanit incarnant
l'universalit sacre antrieure
aux religions rvles et leurs
dsaccords, le constructeur de
l'arche salvatrice restera une
rfrence de l'Ordre. Quant au
rcit de sa mort et de son rel-
vement par trois frres for-
mant une triple voix , en lien
No, pre de
l'humanit
et constructeur
de l'arche salvatrice,
restera une
rfrence de l'Ordre.
avec la perte d'un secret divin
connu du seul dfunt auquel
ses pieux hritiers substituent
un secret conventionnel aussi
efficace que le premier, il offre
la trame symbolique et rituelle
qui formera - cette fois autour
d'Hiram - le mythe-cl du grade
de matre et de toute la Maon-
nerie venir. .V.
Hors-srie n 24 Le Point
-
LES ORIGINES | Le manuscrit d'dimbourg
Premirement le Christ, la tte et la pierre d'angle...
Par tradition et aussi par rfrence
l'criture, [nous savons] queSem, Cham
et Japhet eurent se rendre sur la
tombe de leur pre No pour tenter d'y dcou-
vrir quelque chose son sujet, qui les guiderait
jusqu'au puissant secret que dtenait ce fameux
prdicateur. Ici, j'espre que chacun admettra
que toutes les choses ncessaires au nouveau
monde se trouvaient dans l'arche avec No.
Ces trois hommes avaient dj convenu que,
s'ils ne trouvaient pas le vritable secret lui-
mme, la premire chose qu'ils dcouvriraient
leur tiendrait lieu de secret. Ils n'avaient pas
de doute, mais croyaient trs fermement que
Dieu pouvait et aussi voudrait rvler sa
volont, par la grce de leur foi, de leur prire
et de leur soumission; de sorte que ce qu'ils
dcouvriraient se montrerait aussi e