Le Point —La Saga Maeght

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sPÉclal ÉrÉ ccrE DAZUR La saga « Guiguite » « Ma grand-mère avait commandé à Giacometti, en 1961, trois portraits, un pour chacune de ses petites{illes. Elle souhaitait que nous gardions d'elle cette formrdable expression », raconte Florence. Ghef-dteuvt€. Le z8 juillet tg6 4,leur fondation ouvrait ses portes à Saint-Paul-de- Vence. Les artistes avaient trouvé leur maison. Maeght PAR I.AUREI{CT GUIDIGTI.I « U il frr:$Ë-.*lïr* ir,ïi"",ffi marchands d'art du XF siècle, qualifiait sa vie. Originaire de Hazebrouck, dans le Nord, ce génie visionnaire a 20 ans quand, diplôme de dessina- teurJithographe en poche, il s'installe à Cannes pour travailler dans une imprimerie. Il y rencon- tre l'amour de sa vie: Marguerite Devaye (r9o9- r 9 7 7), fille de riches commerçants, piquante brune aux grandsyeux doux et aufranc-parler. Etquelle gO I 17luillet 2014 | Le Point 2lB3 Irois fées pout l'inauguration Sous le regard attendri de leurs grands-parents, lsabelle, Florence et Yoyo remettent les clés de la fondation au ministre des Affaires culturelles, André Malraux, le 28 juillet 1964.

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La Fondation Maeght célèbre ses cinquante ans

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sPÉclal ÉrÉ ccrE DAZUR

La saga

« Guiguite »« Ma grand-mère avait commandé à Giacometti, en 1961, trois

portraits, un pour chacune de ses petites{illes. Elle souhaitait que

nous gardions d'elle cette formrdable expression », raconte Florence.

Ghef-dteuvt€. Le z8 juillettg6 4,leur fondation ouvraitses portes à Saint-Paul-de-Vence. Les artistes avaienttrouvé leur maison.

Maeght

PAR I.AUREI{CT GUIDIGTI.I

« U il frr:$Ë-.*lïr* ir,ïi"",ffimarchands d'art du XF siècle, qualifiait sa vie.Originaire de Hazebrouck, dans le Nord, ce génievisionnaire a 20 ans quand, diplôme de dessina-teurJithographe en poche, il s'installe à Cannespour travailler dans une imprimerie. Il y rencon-tre l'amour de sa vie: Marguerite Devaye (r9o9-r 9 7 7), fille de riches commerçants, piquante bruneaux grandsyeux doux et aufranc-parler. Etquelle

gO I 17luillet 2014 | Le Point 2lB3

Irois fées pout l'inauguration

Sous le regard attendri de leurs grands-parents, lsabelle, Florence et Yoyo remettent les

clés de la fondation au ministre des Affaires culturelles, André Malraux, le 28 juillet 1964.

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Braque, le nouveau mentor dâimé depuis la mortde Bonnard, leur dit : << Lancez-v ous ! Faites quelquechose qui uous oblige à dépasser uotre peine.>> << Geor-ges Braque et Fernand Léger uont uraiment pousser

me s p arents à b âtir la mais on idé ale p our le s artistes >>,

révèle Adrien Maeght. Ainsi naît I'idée, uniqueen France à l'époque, de créer une fondation pri-vée d'art moderne et contemporain surla collinedes Gardettes, à Saint-Paul-de-Vence.

Labyrinthe et mosailque. L architecte espagnol

fosep Lluis Sert, présenté aux Maeght par Miro,imagine un étonnant bâtiment - béton brut etbriques roses-intégré àlapinède. Chaque artistese mobilise pour cette «maison>> qu'il considèrecomme Ia sienne: Miro rêvait d'un labyrinthe, ille construit. Giacometti choisit une cour et la dé-core de ses sculptures, Chagall et Tal Coat créentchacun une mosaTque, Calder un stabile, Braqueet Ubac des vitraux...Un jardin, comme dirait Tre-net, extraordinaire. Pour surveiller le chantier,Adrien Maeght vit sur place avec sa femme, Pau-lette, et leurs trois filles, nées entre 1955 et 1959:Isabelle, Florence et Yoyo. Depuis la mort de sonfrère,Adrien arenoncé àsonrêve de faire carrièreaux Etats-Unis. Son <<seul regret>>, avoue ce pas-sionné d'automobile. Souvent en conflit avec sonpère, << question de gén€raüon >>, iI prend ses distan-ces etouwe, en r956, sapropre galerie,rue duBacà Paris, puis une imprimerie qui embaucherajusqu'à roo employés.

Après quatre ans detravaux, laFondationMar-guerite-et-Aimé-Maeght est inaugurée le z 8 juillet1964 devant 3 ooo invités. André Malraux, alorsministre des Affaires culturelles, se penche surchaque æuvre, suçote ses branches de lunettes etdéclare, inimitable: <<Sachez qu'ici ce n'est pas wypalais, niunlieu de décor, en aucunefaçonunmusée.Ici est créé I'uniuers où l' art moderne pourrait trouv er

saplace.>>Lafondation ne devait pas être ouverteau public, destinée à nabriter que la collectiondes Maeght, <<mais,le lendemain de l'inauguratiorlily avait roomètres de queue. Onafaitpayer rfrancI'entrée et onn'a jamaisfermé», explique Adrien.

IJempire Maeght se développe avec l'ouverturede galeries à Zurich, Barcelone et New York. Isa-belle, Florence etYoyo grandissent en toute liberté,s'amusent avec les artistes et leurs æulres, jouantavec leurs enfants au mas Bernard ou à l'hôtel LaColombe d'or. Une enfance de rêve: <<Il étaitplusimportant aux yeux de nos parents que nlus assistionsaux uernissages que d'être à lheure à l'école le lende-

mainmatin>>, se souvient Isabelle. Aimé et Mar-guerite adorent leurs petites-filles. En 1968 naît|ulien, dit |ul es. << Le petit dernier, évidemment" c'est

toujours le pr€feré. Et puis c'est le garçon>>, avoueAdrien. Tous les petits-enfants, à I'exception deFlorence, rejoindront I'entreprise familiale, à lagalerie, aux éditions, à l'imprimerie ou à la fon-dation. En r 9 7 7 , Marguerite meurt soudainement.Elle a67 ans. Tout change. Aimé perd sa fougue,s'enthousiasme moins qu'avant. Quatre ans aprèsMarguerite, il s'éteint d'un cancer.

Trente ans après la mort du patriarche, le nomdes Maeght demeure une référence absolue dansle monde de l'art. Mais les petits-enfants se fontlaguerre. Rivalités de fratrie, con{lits nonrésolus desuccession ou de donation-partage, incompréhen-sion de part et d'autre...la liste est longue. Yoyovient de publier <<La saga Maeght» (Robert Laf-font): elle y dit sa vérité avec un ton qui dewaitencore attiser les braises du foyer. Sur les neuf ar-rière-petits-enfants d Aimé et Marguerite, aucunne s'apprête à prendre la relève. Quant à la fonda-tion, dontle fonds s'élève à r 2 ooo æuwes,Adrien,président du conseil d'administration, est convaincude sa pérennité: <<Avec 0u sans Maeght.>> Elle ac-

cueillera cet été son dix millionième visiteur r

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l.es adreasesdâdrienet lsâbelleI{aeghtLe Café FSaint-Paul-de-Vence.o4.93.32.45.96.Ouvert aux mêmeshoraires que lafondation, on peuty déjeuner de petitsfarcis niçois, de bel-les salades face aujardin de sculptures.La Colombe d'orPlace du Général-de-Gaulle,Saint-Paul-de-Vence.o4.93.32.8o.o2.La plus belle terrassedu monde, des platsfamiliaux de grandequalité, des cham-bres meublées avecgoirt et simplicité.Chez Tétou8, avenue des Frères-Roustan, Golfe-|uan.o4.93.63.7r.t6.La meilleure soupede poisson dans unrestaurant situé aubord de la mer ettenu par la familleTétou depuis desgénérations.LeTilleulz, place des Tilleuls,Saint-Paul-de-Vence.o4.9332.8o36.Déjeuner ou dînerchaleureux sous lestilleuls. Glaces etsorbets maison.Ernest traiteur52, rue Meynadier,Cannes.o4.93.o6.23.oo.Des plats chaquejour renouvelés,la traditionnellecuisine provençalejouxte la modernité.Le Moulin de Florzo, avenue des Al-pes, Cagnes-sur-Mer.o4.gz.t3.z6.zo.Etonnante variétéde pains au poids.Passiona pâtes4, avenuede la Liberté,Villeneuve-Loubet.o4.92.o2.7r.o8.Véritable daube pro-vençale et pâtes fraî-ches préparées parun couple charmant.

Joan I'litchell « Mon paysage » (1967).

Piene Bonnatd « L'été » (1917).

André Denin « Grand nu » (1935).

Piene lal Coat « Jaune » (1962).

« Face à lhuvre », à la Fondation Maeght (Saint-Paul-de-

Vence), jusqu'au l1 novembre, www.fondati0n-maeght.c0m.

Le Point 2183 117 juillet 2Ol4 lgs

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sPÉclar. ÉrÉ côrr DAZUR

En marche

Giacometti peupla la cour

de la fondation de statues,parmi lesquelles « [hommequi marche ».

<« [a saga I'laeght r»,

de Yoyo Maeght (Robert

Laffont, 336 p., 21,50 €).

I'lagnétisme

Aimé et lvlarguerite l4aeght,

avant même la construction

de Ia fondation, avaient su

faire de Saint-Paul-de-Vence

un lieu de ralliement des

artistes de l'époque. lci, Aimé

Maeght avec Louis Aragon

(à g.) et Marc (hagall.

rrr Laguerrefinie,Aimé,entraînéparBonnardet Matisse, ouvre une galerie à Paris, rue de Téhé'ran. En ry47,ily accueille une exposition sur lesurréalisme, orchestrée par Marcel Duchamp etAndré Breton, perturbateurs en chef avec leurscoups de génie : faux seins, rideaux de plui e... << Dltnseul coup, les mondes culturels et aftisrtques, qui au qient

perdu leurs repères, ont trouué en mes grands-parentsunpointderalliement>>,expliqueYoyo,citantBraque,Miro, Giacometti, Léger, Calder, Derain, IGndinsky,Picabia, Chagall... Lambitieux galeriste aime lerisque: de Giacometti, alors inconnu, il fait éditertous les plâtres enbronze. Une fortune àl'époque.<< l' ai r enc ontr é un fou, dis aitle s culp teur, il v e ut fair efondre tous les exemplaires tout de suite !>> En paral-lèle, Aimé développe une activité d'édition, dontAdrien assure le suivi.

En r953,latragédie. Bernard, leurfils de r r ans,meurt d'une leucémie. Les Maeght s'enfermentdans leur maison à Saint-Paul-de-Vence. Aiméveut tout arrêter. Ils partentvoyager. Six mois auxEtats-Unis, où ils découvrent les fondations d'art.

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««Face à lteuvren, l,expoPour célébrer son cinquantenaire, Ia FondationMaeght a choisi de souligner l'importancedu regard « Face à i'æuvre >>. Cette expositionatypique met en perspective 1a façon dontAimé et Marguerite Maeght, ainsi que leursdescendants, guidés par leurs convictions, ontdepuis toujours sélectionné les æuvres: pourieur présence et leur puissance d'émotion, sanspréjugés ni notion d'« école». Entre peintures,dessins et sculptures, 1'événement réunitune cinquantaine d'artistes qui ont marquél'histoire du lieu. Aux côtés de célèbres chefs-d'æuvre - « Les oiseaux noirs » de Braque,« L été » de Bonnard ou << Les næuds rouges, deKandinsky - se dévoilent aussi ceux de FrançoisFiedler, Gasiorowski, Yan Pei Ming, Calzolariou Djamel Tatah. Un hommage à I'esprit dedécouverte des fondateurs r

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Lors de la construction de la fondation, chaque artiste

s'attribua une tâche. Braque décida de créer

un bassin dans le patio, pour lequel

il dessina ce motif de poissons.

rencontre | <<Un soir, raconte leur fils AdrienMaeght, ils se rendent tous deux à la même chorale.Lajeunefille - Marguerite av ait r 7 ans - croit qu'Aiméla suit. Elle se retourne etluimetune paire de g{les.r,Moins d'un an plus tard, en rgz8, le couple se

marie et Adrien naît en r930.Les époux ouvrent un atelier-boutique, à la fois

imprimerie et magasin de radios. C'est là, en ry36,quAimé fait la connaissance de Pierre

Bonnard. Marguerite lui a proposéd'exposer ses tableaux en vitrine,pour décorerle magasin, ignorant

sa cote déjà élevée. Le peintreaccepte, amusé, et apprendviteà faire partie de la famille. Il

./ pêche ses idées de tableaux lors

le peintre de 69 ans et le brillant lithographe,une amitié profonde se noue. Bonnard devientson mentor : << Si j'auais dû avoir unfils, c'est lui quej'aurais voulu.>>

Bonnard présente les Maeght à Henri Matisse

- Marguerite posera pour lui , qui sera leur voi-sin en r943, quand, participant à la Résistance, ilsse réfugient sur les collines de Vence. Le couple,désormais marchand de tableaux, attire autourde iui artistes et intellectuels : Picasso, Tristan Ber-nard, le poète Pierre Reverdy. Tous apprécientl'hospitalité etla joie devivre dAimé et Guiguite,si complémentaires. Lui est un fonceur, un hommeaux mille idées que sa femme canalise. << C'estpourl'épater que Papy se lancera tlute sa uie dans d'ambi-tieux projets>>, assure Françoise, leur troisièmepetite fille, surnommée Yoyo par Prévert. rrr

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Point d'équilibre« fempennage », stabile

d'Alexander (alder, qui I'offrit

à la fondation en 1968.

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