LE PIANO ET LE VIOLONCELLE · 2016. 4. 5. · LE PIANO ET LE VIOLONCELLE. Du même auteur Place aux...

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  • LEPIANOETLEVIOLONCELLE

  • Dumêmeauteur

    Placeauxfemmes,encollaborationavecChristineClerc,Stock,1973.Europe,letempsdesrégions,LGDJ,1994,19962.

    Lacitoyennetéeuropéenne,LGDJ,1997.Laparitéenpolitique,DescartesetCie,2002.UneConstitutionpourl’Europe,LGDJ,2004.10ansen1940,Mémorialdel’internementetdeladéportation,Compiègne,2012.

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  • amant,c’étaitdéciderd’une«liaisonderaison»sansanticipersur l’avenir. Son corps retrouvait ses exigences et elle pouvaitles apaiser. C’était lui faire reprendre la place auquel il avaitdroit.C’étaitaussilefaireparticiperàsonnouveléquilibre,unefaçon de repousser définitivement le malheur, et se donner lapossibilitédeseréjouirdumoindremomentdejoieetdefiertéque lui procuraient ses enfants et ses petits-enfants. Oui, elleétait belle et fière aux bras demon frère à l’entrée de l’églised’Auteuil le jourdesonmariage,heureuseaussid’assisterauxpremiers pas de ses petits-enfants et de se sentir respectée etécoutéeparlesamisdesesenfants.

    Elleypuisaitunesortedesérénitéqu’elleoffraitàl’écoutedesescamaradesqui,mesemblait-il,enétaientconscientesneserait-cequeparl’attentionmutuellequ’ellesseportaient.

    Elle avait acquis une façon d’être toujours à sa place, entoutes circonstances, comme celle de sa visite avec ChristianeRème,GenevièvedeGaulleetAnisePostel-VinayàlareinedeSuèdepour remercier sonpaysd’avoir réussi à libérer enavril1945quelquescentainesdeFrançaisesinternéescommeellesàRavensbrück. Lorsque je lui en faisais la remarque, elle merappelaitsathéoriedecequ’elleappelait«lagrâced’état»quipermetdes’adapteràtoutecirconstance.

    Peut-êtreaussil’affrontementaveclamortavaitfait-ilnaîtrechezmamèreuneaptitudeàdiscernercequiestimportantetàfixersonattentionsurcequileméritevraiment.Aufildesjours,jemerendaiscomptequ’elleavaitferméunlivrepourenouvrirun autre dont elle conduirait l’écriture avec une totale liberté,sanspréjugés,sansvindictenonplus,auservicedesafamilleetdesescamarades,quiétaiententréesdanssonuniversetquileseraientjusqu’àcematindejuintrèslointainoùsoncœurs’estarrêté sous« le regarddeDieu»commeelle l’avait écritdansunepageglisséedanssonmissel:elleyexprimait«safoietson

  • appartenanceauRoyaumedeDieuetàsoninfiniemiséricorde»età l’inspirationqu’elley trouvait«pourôterdemoncœur leressentiment,lacolère,etlesremplacerparledondesoi».Enlisant ces quelques phrases, j’y ai perçu son attachement nonseulementaux« femmesdeRavensbrück»maisaussià touteslesfemmesquin’auraientpasétéreconnuesàleurjustevaleuretdontlasociétébrimaitlapersonnalitéetlesambitions.

    Pour l’heure, elle avait endossé l’habit du chef de famille,un chef de famille sans ego et attentive au bonheur de sesenfants quelles que soient leurs décisions. Sans doute parréminiscencedudésarroietdesconséquencesdudivorcedesespropres parents, elle avait certainement perçu et redouté lestroubles du ménage de ma sœur qui partageait notreappartement.Elleaccepta ladécisiondemasœurdedivorcer :elle et son petit garçon continueraient à habiter avec nous neserait-ce que pour assurer à ce tout jeune enfant un foyerchaleureux et éclairé par sa présence. Aurait-elle agi de cettefaçonauparavant,masœuraurait-ellepriscettedécisionsinotrepère était encore vivant ? Elle en éprouva certainement de lapeinemaisnelamontrapas;cepetitgarçon,sonpremierpetit-filsnedevaitpasensouffrir:elles’employaàluirendrelaviefacile,gaieettrèsentourée.

    Pourmoi,elleétaitmamèreetplusquemamère.Iln’yavaitplus entre elle et moi le filtre de mon père, ni de mes frère,sœurs et beaux-frères qui n’intervenaient pas dans notrerelation. Une part d’ellem’était entièrement dédiée. J’étais enquelque sorte sapriorité.Sansdouteparcequ’au fil desmois,elle réalisa qu’elle avait affaire à une rebelle, une révoltéequ’une contrariété,mêmemineure, pouvait exacerber et rendreinjuste.Lepirec’estque je lesavaismaisc’étaitplus fortquemoi, jemebutais, jemeprenaispourunevictimeinnocentedecette guerre quemonpère avait qualifiée dès 1939de terrible.

  • Arriverais-je jamais àm’endébarrasser etd’ailleurs levoulais-je?Peut-êtrepas.

    Ellerestaitimpassibledevantmessautesd’humeur.Trouvantle ton juste pour me calmer, me dire sa confiance en mescapacités, m’assurant de son indéfectible soutien. Dans cesmoments-là,lesondesavoixavaitdessonoritésdetendresseetdecompréhensionajustéesàmonattente.

    Elle s’ingéniait aussi àm’accorder ce qui pouvaitme faireplaisir:unejolierobe,uncollierquiavaitappartenuàsamère,despetitsgâteauxàlanoixdecocoavecunetassedechocolat.Mais plus que tout, sa voix capable de comprendre, depardonner,d’expliquer,d’envisagercetavenirqu’ellesouhaitaitconstruireavecetpourmoi.Laresponsabilitéqu’elleressentaitàmon égard la stimulait non seulement pourm’aider au couppar coupmais aussi pour réfléchir à cemonde changeantdanslequelj’auraisàvivre,sansdouteàtravailler,àtaillermaplace.

    Mamèrem’emmenait avec elle le plus souvent possible etnotamment aux mariages de ses camarades les plus jeunes,déportées à 18-20 ans. Ma mère souhaitait-elle que jel’accompagne parce qu’elle voulait que je sois le plus souventpossible près d’elle afin d’effacer les traces d’une année deséparation totale ?Avecelle, jedécouvrais ces jeunes femmes,belles, discrètes sur leur engagement dans laRésistance et surleurs épreuves. Elles tutoyaient ma mère, ce que je ne faisaispas, c’était comme des grandes sœurs inattendues quipartageaient avecmamère des souvenirs que je ne connaîtraisjamaismaisdontjesoupçonnaisl’importancepourelles.

    Dans ces fêtes de renouveau, un point noir, une vilaineremarque,unephraseplusieursfoisentendueetquim’horrifiait.«“Il”aducouragedel’épouser.Aprèscequ’elleasubi,pourra-t-elleavoirdesenfants?»Jelarapportaisàmamère.«Cesgensne comprendront jamais. Elles donneront la vie comme une

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  • bas-ventre, les jambes qui s’entremêlent. Ces préludes à desplaisirsplusfortsetplusviolentsmegrisaient.

    Savoirqu’ilyaplusetdevoirs’arrêtermalgré l’émotionetune réelle attirance. J’avais 18 ans, il en avait 19 et nousdécouvrions la joie d’être ensemble, non seulement à labibliothèquemaisaussiàlaRoseRouge,auVieuxColombieretauLuxembourg.Baisers volés à la nuit tombée.Ainsi, j’ai dûapprendreà«tenir»moncorps,àluirappelerqueséduire,c’estavoir de la garde, c’est savoir qu’il faut se faire respecter. Larigueur dans la séduction, quelle gageure !Conscience de soi,consciencedel’autre.Sansledireàhautevoix.

    L’importantétaitquejeremetteàleurplacecequifaisaitmavie : mes études, mes amitiés, ma vie intime, mes premièresamours,mêmecellesquiéclataientcommedesbulles.

    Était-ce cela les gammes de la vie ? Était-ce celal’apprentissage de soi-même et des autres. Devrais-je toujoursm’arrêteràcejeumaîtriséetrépétitif?Lavigilancedemamèreattendait-ellelemomentpropiceounécessairepourintervenir?

    Difficiled’enparler.Était-cenécessaire?Ellemelaissaitlesrêneslongues,maisellelestenaitfermementetrestaitattentiveaux moindres secousses : une rentrée plus tardive que lanormale, des conversations téléphoniques trop longuesou tropcourtes.Descoupsdefatigueoudedéprimealternantavecuneexcitation inhabituelle. Son esprit agile s’appliquait à endéchiffrer le sens. Pas de question insidieuse, juste uneprésence, une sorte de rite immuable et souriant : le petitdéjeuner ensemble avec une ou deux questions innocentes surles cours, les conférences de méthode et mes projets pour lasoirée.

    Ainsi,mamèresuivaitdeprèsmonapprentissagedelavie,de ses tendresses,de sespièges, enmême tempsqueceluidessavoirs, de la compréhension dumonde, des hommes et aussi

  • desquelquesfemmesquil’avaientmarquédeleurempreinte,del’émergencedunationalisme,despéripétiesducapitalismeetdel’instaurationde ladémocratie.Parosmose, jecroisqu’elleensavaitautantquemoietmêmepluscarelleyajoutaitsapropreexpérience.

    J’aimais l’écouter, susciter ses réactions et connaître sonpointdevuesurl’évolutionpolitiquedelaFranceetlasituationdespaysd’Europecentrale.

    «La France a une image encore glorieuse enEuropemaisqueladernièreguerrearendubienfragile.C’estdommagequedeGaulle soit parti. Il avait l’autoriténécessairepourdominerlesquerellesdespartispolitiques,mettreenœuvrelesmesuresinscrites dans le programme du Conseil de la Résistance etinstaurerunenouvellejusticesociale.Redresserl’économieouimais en partager les gains avec tous.Reconstruire les villes etles usines, ouimais pas pour recommencer à les détruire danstrenteans.»

    Danscesmoments-là,ellem’étonnaitpar la rigueurdesonpropos.

    « Il faut utiliser à fond le Plan Marshall, coopérer avecl’Allemagnemêmesicen’estpasfacile,donnerunvrairôleauxfemmes puisque maintenant elles votent et, ajoutaitellemalicieusement,ellesfontmêmeSciences-Po.»

    Après les balayages historiques de Renouvin, le juridismesévèredeDonnedieudeVabres,lesthéoriessocialesdeLaroqueet les leçons d’économie de Paul Delouvrier, je découvrais lebonsensaviséd’unefemmequiavaitsutirerdesaproprevieetde sesexpérienceshumainesnon seulementdes leçonsdebonsensmaisaussiunevisiondemodernismeetd’espérance.

    Elle m’apprenait aussi à ne pas avoir d’idées préconçues.Ellem’emmenaitauxréunionsdel’Uniondesfemmesfrançaisesque présidait Marie-Claude Vaillant-Couturier. « Elles sont

  • sincères et elles y croient. » « Il faut connaître la réalité deshommesetdesfemmesquifontlasociétéfrançaise,quicroientenleurcapacitédecréerunesociétémoinsinjuste,répartissantles responsabilités selon les critères de connaissance etd’engagement.»

    J’avaiseulachancedevoirlaFrancedeloin.Jemesentaisplusapteà lacomprendreavecsonpassé, ses faiblesseset sesespérances.Ilm’appartenaitd’engrangerunmaximumdesavoirspourlejouroùjepourraism’enserviretlaservir.

    Ilmesemblait aussiquemamèreetmoiavionsatteintdeseaux calmes. Je m’étais peu à peu construite pendant qu’elles’était reconstruite : cinq ans pour l’une comme pour l’autre.Plus de rats au fond des baraques, plus de bûcher crépitantautourducorpsdécharnédemonpère, réduitàunpetit tasdecendrebalayéparleventglaciald’Ellrich.

    L’accueil de deux jeunes Américaines pendant l’annéeuniversitaire réglait nosproblèmes financiers.Et cette annéelà,sur propositionde la belle-fille américaine d’unede ses amiesd’enfance,mamère avait accepté d’en accueillir une troisièmequis’appelaitJacquelineBouvier.

    Un nom français, une enfance américaine fastueuseinterrompue par le divorce de ses parents. Une joie de vivretempéréeparunecertaineréserve.Unecuriositéintellectuelleetartistique jamais rassasiée. Un humour dévastateur dans sesjugementssurautrui.Ungoûtcertainpourlapoésie,unevolontéexpriméedes’imprégnerdelaculturefrançaise.

    LejourdesonarrivéàParis,nousnoussommesretrouvéesdevantlaSorbonnepourunegrandeballadeauQuartierLatinetnous avons pris le temps de partager les attentes de notre vied’étudiante.

    AvenueMozart,mamèrenousattendait.Dèscepremiersoir,Jacquelinea toutde suite sentiqu’elleétait enprésenced’une

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  • enfantsetaussim’ypréparerc’est-à-diremefaireconnaîtreparmesrecherchesetmespublications.

    La Conférence de Stresa m’avait fait connaître un certainnombre de fonctionnaires qui faisaient appel à moi pourparticiper à titre non officiel aux travaux de leurs services ;rédiger des notes sur le développement de tel secteuréconomique,surl’évolutiondémographiqueetsurlesfilièresdeformationdesfilles.

    Les associations d’action féminine me sollicitaient pourparticiperàleurscolloquesàParis,enProvinceetàBruxelles.

    Je lançais une étude sur le parcours professionnel desfemmesdiplôméesetnotammentsurcellesdeSciences-Po,queje représentais au Conseil d’administration des anciens élèvesquidécidadelapublier.

    Ma mère m’encourageait : elle avait compris ma quête derespectabilité intellectuelle afin de débarquer dans la vieprofessionnelleauniveauquiautoriseraitmesabsencesdufoyer.

    C’était notre territoire secret qui s’exprimait par saconstante veille auprès de mes enfants : leur accueil après laclasse, les conduites chez les dentistes et aux goûtersd’anniversaire, les premières semaines de vacances pour melaisser le temps de les rejoindre, d’entendre le récit de leursrandonnées à bicyclette, de leurs progrès en natation et dem’attarder auprès de chacun d’eux pour recueillir leursconfidences. Grâce à ma mère, pas un soupçon de mauvaiseconsciencedemapart,nidesentimentsdedélaissementdeleurpart.Ilsétaientinsouciantsetheureux.

    Mon mari était aussi un fervent partisan de l’Unioneuropéenne. Sur ce plan-là nous étions sur la même longueurd’onde.Ilfautreconnaîtreque,passéletraumatismedelaguerred’Algérie et en dépit des soubresauts de lamise enœuvre duTraitédeRomeetnotammentdelaPolitiqueagricolecommune,

  • lacroissanceéconomiques’installaitdanslespaysmembresdelaCommunautééconomiqueeuropéenne.

    MamèreavaitledondeminimiserlesaccidentsdeparcourstantellefaisaitconfianceaugénéraldeGaulle.Ilcontinuaitdebloquer l’entrée de l’Angleterre : « Il a raison. » La « chaisevide»auConseildesministresàBruxelles:«Ilaraison.»LeretraitdelaFrancedel’OTANaussi.

    Elle avait réponse à tout et pour les femmes, elle merappelait qu’elles disposaient d’un outil légal et imposable audroit français pour faire reconnaître leur droit à l’égalité desalaireavecleshommes:l’article119duTraitédeRome!

    Peu de temps avant la révolte des étudiants puis dessyndicats de mai 1968, j’avais été sollicitée pour entrer auCabinetdusecrétaired’ÉtatauprèsduPremierministre,chargéde la promotion sociale et du tourisme : préparation desdiscours, notes pour les réunions interministérielles,apprentissage des arcanes du pouvoir politique ou commentpromouvoir les idées là où elles peuvent êtremises enœuvre.Commentfonctionneungouvernementenpériodedecrise?Est-ce le moment pour les femmes de réclamer à une société«malmenée»laplacequileurestdue.

    Undébutderéponseàcesquestionsétaitdanslarue.J’allaisà laSorbonne,à l’Odéon,dans la ruepourécouter

    les slogans et me joindre aux cortèges qui parlaient de la«Libérationdelafemme».Jerapportaisàmamèrecesmomentsd’indignation et d’espoir. Une France nouvelle donnerait dusensà laviedesescitoyensetdesescitoyennesetunsoufflegénéreuxàlaconstructioneuropéenne.

    Pourmamère,legénéraldeGaulleavaitcomprislesensdecesjournéesdeMaietelleluifaisaitconfiancepourentirerlesconséquences.Nousétionssurlamêmeligne.

    J’aipassélamatinéedu30maiàbicyclettepourdistribuer

  • des tractsappelantaurassemblementde18heuressur laplacedelaConcordepourremonterlesChampsÉlysée.Monmarietmoiétionsdansledéfiléetmamèredevantlatélévision.

    Notre duo venait de vivre des soubresauts politiques, unmouvementinattenduetpopulairequim’avaitconfortéedansmaconviction que seule l’action politique pouvait peser surl’évolution de la société et en tout premier lieu sur la vie desfemmes.

    Un journal féminin Femme Pratique que dirigeait RoseVincent,souhaitaitintroduireaumilieudespagesdemodeetderecettes culinaires quelques articles sur les réalités de la vieéconomique, sur les institutions politiques, sur lesresponsabilités des élus comme des électrices, de la situationdes femmes dans la vie économique, sur leur formationprofessionnelle, leurs problèmes à concilier leurs tâchesprofessionnelles,familialesetpolitiques.

    Mesarticlesparaissaient régulièrement.Tantet sibienquependantlacampagneprésidentielledeGeorgesPompidou,monnom avait été suggéré pour l’interviewer mais le candidatprésident avait répondu : « Le problème des femmes est unchaudrondontilnefautpassouleverlecouvercle.»

    J’avaismesentréesàl’Institutnationaldelastatistique,àlaSEMA.Jeramenaisdansmesfiletsdeschiffres indiscutables :lesfemmesavaientunniveaud’éducationdeplusenplusélevé.Elles formaient un réservoir de main-d’œuvre pour le secteurtertiaire. Prolétaires de la croissance économique : leur salaireétait devenu indispensable pour l’allongement des études deleurs enfants, et surtout le logement de la famille.Pour autantmalpayées,discriminéespar rapport à leurscapacités,briméespar leurhiérarchie,ellessubissaientcetteviolencefaiteà leurspersonnessansbroncher.

    Jedécrochaisunposted’attachéeauSecrétariatgénéralàla

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  • ellepouvaitaborderdestâchesplusdifficiles.Encedébutd’année1987,à87ans,elleétaitdevenuefrêle

    comme le roseau de La Fontaine mais toujours digne etrésistante.

    L’undecessamedisdumoisdemai,alorsquejem’apprêtaisàl’emmenersurlesroutesdePicardie,jesentismamèretendueetabsente.Ellemedit:«LeprocèsdeBarbiecommencecettesemaine devant le Tribunal spécial de Lyon. » Même si ellen’avaitpasétéarrêtéeàLyonetn’avaitpasétéinterrogéeensaprésence, elle connaissait quelquesunes de celles qui étaienttombées entre ses mains, la dureté de ses interrogatoires etl’extrême cruauté dont il faisait preuve. Elle n’avait pasl’intention d’aller à Lyon mais elle suivrait le procès à latélévision. Je m’arrangeais donc pour être auprès d’elle aussisouvent que possible. Je savais que le passé remonterait peut-êtrepourunedernièrefoisettrèsviolemment.Jepouvaisaussiaccompagner les retransmissions du procès des commentairesque me téléphonait mon mari qui était l’avocat d’une desassociations,partiecivileauprocès.

    La première journée consacrée à laRafle des enfants juifsaccueillisdanscevillaged’Izieuaétél’occasionpourmamèredeseremémorerquemoiaussij’avaisétémiseàl’abridansunecampagneunpeu semblable, où les journées étaientponctuéesde repas plus abondants qu’en ville, de vrais goûters, de« devoirs de vacances », des travaux des champs et depromenadesdanslescheminsbordésd’aubépine.

    Pour eux, la journéedu6 avril 1944 s’arrêtera à leur petitdéjeuner. L’irruption de la Gestapo suspendra le fil de leursjours. Ceux qui suivront seront peuplés de cauchemarsininterrompusjusqu’àleurdestinationfinale:lachambreàgazd’Auschwitz.

    «Toi,commeenfantcatholique,tun’avaisrienàcraindre.»

  • « Non, mais ma peur au ventre et mon cauchemar ontcommencéaveclepressentimentdevotrearrestation.Jesentaisquequelquechoseallaitcraquer,quel’absurdeallaitfondresurmoi.J’aipleurétoutelanuitdu5juillet.Deuxmoisplustard,ila fallu assumer un autre verdict de la réalité : le retour dansl’appartement vide où flottait unmélange de parfumde vous :votrelavandeetlesgauloisesdepapaetl’absencedetoutbruitfamilier. Personne à qui parler. Et d’ailleurs pourquoi parler :quandjesuisrentréeàParis,c’étaitaprèslaLibérationdeParisettoutlemondesedevaitd’êtrejoyeux.Laguerreallaitfinireton se gavait avec les rations de l’Armée américaine pleines dechocolatetdecorned-beef.Jenedevaispasmeplaindre.»

    Le 11 mai, premier jour effectif du procès et premièreapparition de Barbie. Le silence est total, moment derecueillement dans l’attente d’une explication de l’entreprisecriminellequiaamenédeshommesàorganiserl’anéantissementd’autreshommesetfemmes:latorturecommesystème.

    LevisageimpassibledeBarbiedontseulslesyeuxenfoncésdansleursorbitestrahissentunevivacitémorbideetunesortedecuriosité malsaine. Un visage qui ne reflète ni âme, niinquiétude,unvisagederefus,unevolontédedistanciation.

    Lelendemain,exitBarbie.Pascourageuxmaisleprocèsvasepoursuivre.

    Lespremièresjournéess’étiraientenquerellesjuridiquesetenrappelsdesfaits : lachasseaux« terroristes», l’arrestationde JeanMoulinàCaluire, soncalvaireet samortpendant sontransportversl’Allemagne.Laleçond’HistoiresurlaRésistanceallait-elleêtredispensée?

    Oui, car il y eut les témoignages des femmesqui resterontdanslesannalescommel’honneurdeceprocès.

    Cefutl’honneurdesfemmesd’avoirconnul’horreursansselaisseratteindreparelle.TellesLiseLesèvre,SimoneLagrange,

  • Violette Maurice, Alice Van Steenberghe, « Le matin, j’étaispartie dans l’euphorie de mon corps vivant, je n’ai jamaisretrouvé cette sensation, je n’ai plus jamais pu marchernormalement.»

    Ellesétaientlà, lessurvivantesdesesinterrogatoiresetdescampsoùlamortétaitprogrammée,commel’ontrappeléMarie-ClaudeVaillant-CouturieretGenevièvedeGaulle-Anthonioz.

    Elles sont apparues fortes, lumineuses, déterminées,invincibles. Elles n’avaient pas besoin de la présence de celuiqui lesavait torturéespourcrier lavéritéde leursouffrance,etde leur courage face à son zèle abominable pour servir ladoctrine nazie. À elles seules, elles ont convaincu l’opinionfrançaiseetmêmemondialequeKlausBarbie,etd’autresaveclui, était coupable de crimes imprescriptibles, qu’aucunchâtimentmême extrême ne pouvait faire payer. En étant plusfortesque lui, elles lui ont infligé ledésaveu intime, lahonte,s’ilétaitencorecapablederessentiruntelsentimentàl’égarddeses exactions. Elles ont réussi à sublimer ce face-à-facebourreau-victimeetellesen sont sortiesavec la satisfactiondel’ultimedevoiraccompli.

    Par leur parole, elles ont ressuscité la « mémoire », sidifficileàtransmettre.

    «Cequ’ilyavaitdeplusdéstabilisantpournouslesfemmeslorsqu’ellesétaientinterrogées,c’étaitd’êtremisesnuesdevantdes inconnus et d’avoir le sentiment de provoquer une sorted’excitation à nous faire souffrir, d’autant plus violente quenousrésistionsàlasouffrancequ’ilsnousinfligeaient.Quandjepense que l’une d’elles n’avait que 13 ans, ton âge à cetteépoque.Aucunen’aparlé,déterminéeànepasbriserlemaillonqu’elles représentaient et qui, si elles lâchaient, ferait subir àd’autres les mêmes sévices. C’est cela le courage, celui quis’enracine dans votre être au fur et à mesure que la torture

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  • leur trouverd’autressoutiensenmilitantdansdesassociationsou des « Think Tanks » ouverts à toutes sortes d’innovations.Pourassurerleuradhésionàl’Unioneuropéenne,lescitoyensetcitoyennes ne devraient-ils pas participer, mêmesymboliquement à son budget ? Quand on participe, on estfondéàdemanderdescomptesàceuxquiont laresponsabilitéd’en faire bon usage. Que ce budget soit considéré non pluscomme un prêt consenti par chaque Étatmembre quitte à enretirerlemaximum,maiscommeuneparticipationcitoyennequiouvreundroitde regard sur sonutilisation.Cen’estpaspourdemainmaispeut-êtreleverraijeavantdemourirpourpouvoirleraconteràmamère.

    Pourquoi ne pas profiter du temps de leur scolarité pourcréerauprèsdesjeunesEuropéensunsentimentd’appartenanceà l’Europe et de représentativité auprès du reste du monde ?Malgréquelquesengagementssolennels1,aucunprogrèsn’aétéréalisé pour rapprocher rythmes et programmes scolaires dansles pays-membres. A-t-on jamais sollicité l’avis des femmesmères de ces enfants, co-responsables de leur éducation et deleur avenir, pour organiser ces rapprochements et faciliter leséchanges scolaires afin que cette nouvelle génération parle aumoins deux langues et soit fière de sa nouvelle patrie :l’Europe?OnsegaussedesrésultatsduprojetErasmus,réservéauxétudiants alorsquec’est leprojetCommeniusdestiné auxscolairesquidoitêtremisenœuvreetdéveloppé!

    L’attitude de ma mère lors du Procès Barbie mais plusencorelaparoledesfemmesm’ontsuggéréunengagementpluspersonnel et une action collective qu’il m’appartiendrait dedévelopper : des femmes ont eu le courage de s’opposer à ladictaturenazieetàlamortlenteetprogramméedescampsafindemaintenirlaflammedelapenséedémocratiqueetdedéfendre

  • ladignitéde lapersonnehumaine.Elles l’ontpayésouventdeleur vie. Les survivantes se sont efforcées de le rappeler auxjeunesgénérations,maisleursvoixs’éteignentpeuàpeu.

    Lorsdeladissolutiondel’ADIR,j’aiproposéavecl’accordde JacquelineFleury, saprésidente, que les enfants, parents etamis prennent le relais de leurs témoignages pour que leurmémoireseperpétue.

    C’estunetâchedifficile.Letémoignagedessurvivantesestinestimable,mêmesinousavonseu leprivilèged’êtreprochesd’elles pendant leur survivance. Il faut s’assurer de la cautiondes historiens et de la collaboration des enseignants.Qu’attendent leurs élèves : une vérité, une explication dudéroulement de l’Histoire, l’exemplarité de l’engagement desfemmesetlemessagedeleurluttepourlapaixetladémocratieen Europe ? Il y a une spécificité de la mémoire des femmesrésistantes; c’est leur force et cela a été aussi leur faiblesse.Elles ont été tropmodestes et à l’exception de quelques-unes,ellesn’ontpasété«reconnues».

    Alors même qu’elles ont été des héroïnes, comme l’ontprouvé Geneviève de Gaulle-Anthonioz dans son livre LaTraverséedelanuitetGermaineTillion,blottiedanssacachetteencarton,au fondd’unebaraqueetécrivantLeVerfügbarauxEnfers, opérette-revue mettant en chansons le calvaire de sescamarades pour soutenir leur moral. Sa représentation auChâteleten2009,repriseunpeupartoutenFrance,constitueuntémoignageincomparabledecequefutRavensbrück,delaforced’âme,delasolidaritéetmêmedurecoursàladérisiondontcesfemmesontétécapables.

    LaSociétédesfamillesetamisdesdéportéesetinternéesdela Résistance, la Sfaadir existe pour perpétuer la mémoire decellesquiontmontrélecheminducourageetdeladignité.

    Sesmembresontpuvivrel’émotionintenseressentielorsde

  • la représentationduVerfugbarauxEnfers sur la placed’appelducamplorsdu65eanniversairedesalibérationchantéepardesjeunes Françaises du lycée La Fontaine à Paris et des jeunesAllemandes du Gymnasium de Neustrelitz soutenues parl’orchestredesjeunesduLanddeBrandebourg.

    Ma petite-fille, Pauline, comme d’autres, découvrait lasommedecouragequ’ilavaitfallupourrésisterauxtraitementsinhumains infligéspar lesnazis,surcetespacenu,vidédesesbaraquesetcouvertdemâcheferquiavupasserprèsde130000femmesdetouslespaysd’Europe.

    Cethéritageeuropéennedoitpass’éteindre.L’Europeseramémorielle : elle puisera sa force dans celle dont les femmesd’Europeontfaitlapreuve.

    En ce jour d’automne, un souffle encore tiède agite lesarbresquiveillentsursatombe.Est-celeventoulevioloncellequi continue d’égrener ses accords et prodigue au piano sesultimesconseils?

    1. Lors d’une réunion des ministres de l’Éducation enSorbonnelorsdelaprésidencefrançaiseen2008.

  • ÉditionsduRocher28,rueduComte-Félix-Gastaldi

    98000Monacowww.editionsdurocher.fr

    ImpriméenFranceDépôtlégal:octobre2013

    N°d’impression:

    CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan

    269/2013

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