le phénomène de pourrissement des dalles de tablier de ponts
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LE PHÉNOMÈNE DE POURRISSEMENT DES DALLES
DE TABLIER DE PONTS Ir PIERRE GILLES
Ing ERIC DONDONNE SPW - Direction de l’Expertise des Ouvrages
Résumé
Depuis 1995, un nouveau phénomène,
dénommé « pourrissement de dalles de
tablier de ponts », est observé sur plus de
70 ponts en Région Wallonne. Il se traduit
par différents types de dégradation
conduisant à terme au percement de la
dalle de tablier.
Les résultats de la recherche entreprise
ont montré que la dégradation du béton
est provoquée par une réelle interaction
entre trois processus d’altération :
réactions alcalis-granulats, attaque par les
chlorures et cycles gel-dégel.
Des indicateurs de pourrissement sont
définis.
En outre, un essai de vieillissement
accéléré est proposé.
L’étude a aussi mis en évidence la
migration des alcalins depuis le haut vers
le bas de la dalle, entraînant une
réalcalinisation du béton en sa face
inférieure.
Samenvatting
Sinds 1995 wordt een nieuw fenomeen
vastgesteld op ongeveer 70 bruggen in
Wallonië. Het zogenoemde “rotten van de
brugdekplaten” waarbij verschillende types
beschadigingen leiden tot gaten in het
brugdek.
De resultaten van het onderzoek hebben
aangetoond dat de beschadiging van het
beton veroorzaakt wordt door een
combinatie van drie oorzaken: alkalisilicaat
reactie, aantasting door chloorionen en
vorst-dooicycli.
Een aantal indicatoren m.b.t. het rotten
wordt beschreven.
Een versnelde verouderingsproef wordt
voorgesteld.
Het onderzoek heeft ook aangeduid dat
alkalische ionen van boven naar beneden
in de brugdekplaat migreren, zodat een
realkalisatie van het beton op het onderste
vlak plaatsheeft.
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1. Introduction
Une nouvelle forme de dégradation du béton des dalles de tabliers de ponts est observée
depuis 1995 : elle est inhabituelle en regard des processus de dégradation connus tels que
la corrosion des aciers ou encore la carbonatation. Plus de 70 ponts sont affectés par cette
pathologie en Région Wallonne : la majorité de ces ouvrages sont des ponts à poutres
(figure 1). Le tablier de ces ponts est composé, de bas en haut : d’une dalle de béton
d’approximativement 18 cm d’épaisseur, d’une couche d’étanchéité, d’une couche de
protection et de couches de revêtement en hydrocarboné. Les entraîneurs d’air ne sont pas
admis dans ces bétons compte tenu de l’importante diminution de résistance du béton en
compression qu’ils entraînent ; conséquence de la présence de nombreuses bulles d’air
(ref.1).
Figure 1 – Exemple de pont à poutres atteint de pourrissement de la dalle de tablier
2. Observations
Le pourrissement de dalle de tablier peut présenter différentes formes de dégradation (réf.2).
Il progresse généralement du haut vers le bas de la dalle, mais la présence d'une prédalle
peut modifier cette progression.
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Chape
Dalle
Prédalle
Désagrégation Délamination Faïençage
Revêtement
Figure 2 - Différentes formes de dégradations liées au pourrissement
Les différentes formes de dégradations décrites à la figure 2 sont :
• Désagrégation du béton en face supérieure, parfois à l'interface dalle/prédalle, et plus
rarement en face inférieure du tablier : seul subsiste le squelette granulaire. Les
armatures observées dans ces zones peuvent être caractérisées par des traces de
corrosion ponctuelles (morsures par les chlorures) et par un aspect brillant. Ce
dernier provient du frottement des débris de béton sur l’armature – figure 3 ;
Figure 3 - Corrosion des armatures par les chlorures
Figure 4 - Fissuration et délamination de la dalle
• Délamination du béton: le béton se dégrade en feuillets de quelques millimètres
d'épaisseur, souvent en face supérieure de la dalle. Cette délamination n’a pas de
lien direct avec la position des armatures et avec leur éventuelle corrosion – figure 4 ;
• Microfissuration multidirectionnelle du béton qui affecte toute l'épaisseur de la dalle,
cas rarement rencontré.
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Figure 5 - Trou dans une dalle
Figure 6 - Taches en face inférieure de dalle
Cette pathologie peut conduire dans certains cas à l’apparition d’un trou (photo 5) dans le
tablier provoquant ainsi l’effondrement du revêtement.
Extérieurement, des signes avant-coureurs sont généralement observés avant ce stade
ultime :
• En face inférieure, des taches claires et/ou foncées apparaissent et persistent quelles
que soient les conditions climatiques (photo 6). Des dégradations sont
systématiquement observées au droit de ces taches, mais aussi parfois en dehors de
celles-ci.
• En face supérieure, lorsque le béton commence à se désagréger, il produit une fine
poussière (photo 7) qui peut remonter au travers du revêtement, souvent dégradé à
cet endroit. De telles remontées de fines particules constituent un autre signe avant-
coureur.
• Enfin, le béton de la dalle se désagrégeant, le revêtement se disloque par déficience
de sa fondation et des nids de poules apparaissent (figure 8). Les réparations de ces
derniers se caractérisent par leur faible durabilité.
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Figure 7 - Remontée de fines poussières de ciment au travers du revêtement
Figure 8 - Nid de poule dans le revêtement
3. Mécanisme du pourrissement
Dans un premier temps, cette forme de dégradation a été étudiée en interne au sein de
l’Administration.
Compte tenu de l’importance des dégradations et de leur nombre croissant, une recherche a
été initiée en collaboration avec :
• le Laboratoire des Matériaux de Construction de l'Université de Liège (LMC),
• le Laboratoire du Génie Civil de l'Université catholique de Louvain (LGC),
• l'Institut Scientifique de Service Public (ISSeP),
• le Laboratoire de Recherche de l'Industrie cimentière (CRIC) et
• la Fédération de l'Industrie cimentière belge (FEBELCEM).
Cette recherche a permis de constater que le pourrissement de dalles de tablier était une
réelle interaction (et non une juxtaposition) entre une réaction alcali-granulat, une sensibilité
aux cycles de gel-dégel et l’attaque par les chlorures.
Le mécanisme suivant est proposé.
Au début de la vie de l’ouvrage, la face inférieure de la dalle se carbonate entraînant une
baisse du pH. Avec les années, la couche d’étanchéité commence à présenter des
défectuosités permettant à l’eau de s’infiltrer dans la dalle. L’hétérogénéité de la localisation
des défauts d’étanchéité induit des variations dans le taux de dégradation du béton. A ce
gradient horizontal, s’ajoute un gradient vertical provoqué par la propagation de différents
ions (chlorures, alcalis) du haut en bas dans la dalle sous l’action de l’eau infiltrée.
Vu la présence simultanée d’eau, de granulats réactifs et d’alcalis (provenant du ciment mais
aussi des sels de déverglaçage - NaCl), une réaction alcali-granulat (RAG) modérée peut se
développer. Cette réaction entraîne un début de fissuration de la dalle de tablier. L’action du
gel (température < 0°C) sur le gel (produit amorphe ) produit par la RAG renforce l’action de
fissuration du béton par les cycles de déshydratation/réhydratation que les températures
alternants autour de 0°C provoquent sur le gel de R AG. Compte tenu de la géométrie de la
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dalle (élément mince) la fissuration se développe principalement horizontalement. Cette
ouverture du système augmente les infiltrations d’eau parfois chargée en sels de
déverglaçage.
La circulation d’eau peut aussi provoquer la dissolution de sulfates présents dans la pâte de
ciment (sous forme d’ettringite primaire, …). Ceux-ci peuvent alors se reprécipiter ailleurs
dans la dalle, en particulier dans les fissures nouvellement créées, sous forme d’ettringite
secondaire ou de gel ettringitiques. La pollution par les chlorures amenés par les sels de
déverglaçage peut aussi devenir importante et des cristaux de Chloroaluminate de Calcium
sont observés.
Si l’ettringite secondaire sous forme d’aiguilles et les cristaux de Chloroaluminate de Calcium
sont inoffensifs pour le béton, le gel ettringitique peut avoir une action fissurante comme le
gel de RAG.
Figure 9 – Gel de RAG fissuré dans une bulle d’air. Vue sur lame mince sous lumière
polarisée (photo ISSeP).
Figure 10 - Aiguilles d'ettringite secondaire. Vue au microscope électronique (photo ULg-
LMC).
Tous les alcalis mobilisés par l’eau ne sont pas nécessairement impliqués dans une RAG.
Une partie de ces alcalis, provenant de la pâte de ciment (Na et K) mais aussi ceux (Na)
amenés en période hivernale par les sels de déverglaçage, vont migrer dans la dalle de
tablier. Il en résulte un gradient vertical en alcalis (K, Na). En partie inférieure de la dalle,
dans la zone carbonatée, ces alcalis peuvent réagir avec le carbonate de Calcium (produit
par la réaction de carbonatation) et produire des hydrocarbonates au pH plus élevé. Il en
résulte que la couche de béton préalablement carbonatée (donc impliquant une chute du pH
du 13 à moins de 9) en face inférieure de la dalle se réalcalinise et voit son pH réaugmenter
au-dessus de 9 qui est la limite de passivation des armatures vis-à-vis de la corrosion (réf.6).
Enfin, cette richesse en alcalis et autres ions de la face inférieure, va provoquer l’apparition
de taches en face inférieure ; taches dont la teinte est peu influencée par l’humidité
ambiante.
200µ
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4. Indicateurs de pourrissement
Sur base de cette recherche, plusieurs indicateurs permettant d’identifier le pourrissement
sont proposés (réf.7). Le diagnostic peut être établi lorsque plusieurs de ces indicateurs sont
rencontrés. A cette fin, il est nécessaire de prélever des échantillons tant dans les zones
reconnues comme dégradées que dans celles supposées saines.
• Observations macroscopiques :
o Présence de nids de poules dans le revêtement;
o Présence de taches blanches et/ou foncées en partie inférieure de la dalle;
• Caractéristiques physiques :
o Absorption d’eau par immersion > 6% poids;
o Masse volumique sèche < 2200 kg/m³ ;
o Vitesse des ultrasons < 3000 m/s ;
o Rapport entre les vitesses des ultrasons dans le sens vertical et horizontal
Vv/Vh < 1 ;
o Variation de perméabilité d’un facteur 10
• Caractéristiques mécaniques :
o Résistance à la traction directe (cohésion) < 2 N/mm²;
• Caractéristiques chimiques :
o [SO3]> 0,5 % (du poids de béton);
o [Cl-]> 0,06 % (du poids de béton);
o [Na2Oéq]> 0,3 % (du poids de béton);
o Réalcalinisation de la partie inférieure de la dalle préalablement carbonatée ;
• Microscopie (pétrographie et électronique):
o Nombreux sites de RAG;
o Autres produits de réactions secondaires (ettringite secondaire, gel
ettringitique, chloroaluminate de Calcium) ;
o Fissuration horizontale;
o Rapport E/C élevé > 0.50.
5. Essai de vieillissement
La recherche a aussi cherché à développer un essai de vieillissement accéléré permettant
d’évaluer la sensibilité d’un béton au mécanisme de pourrissement (réf.8).
Après plusieurs tentatives, un essai a été mis au point. Dénommé « GCG-DUG » (Gel-
dégel/Chlorures/Gonflement – version Duggan), cet essai permet de soumettre un
échantillon de béton à l’action combinée du gonflement RAG, des chlorures et des cycles de
gel-dégel.
L’échantillon est préparé comme dans l’essai Duggan modifié (3 jours dans l’eau distillée à
21°C, 1 jour à l’air à 82 °C, 1 jour dans l’eau dis tillée à 21°C et 3 jours à l’air à 82°C).
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Ensuite la carotte est soumise à 35 cycles journaliers :
• 8h à 9h : mesure de la vitesse des ultrasons V8, du gonflement l et de la masse m.
• 9h à 14h : exposition à l’air à -18 °C
• 14h à 16h : exposition à l’air à 20°C
• 16h à 16h30 : mesure de la vitesse des ultrasons V16
• 16h30 à 8h : exposition dans une solution individuelle de NaCl (30g/l) à 21°C
Durant les jours fériés, seule l’exposition à la solution de NaCl à 21°C est réalisée.
L’analyse des résultats de cet essai permet de confirmer la réelle interaction entre les
processus de dégradation (RAG, Chlorures, Gel-dégel).
Trois paramètres sont définis pour apprécier la sensibilité d’un béton au pourrissement :
• Variation de longueur à 35 jours ;
• Variation de la vitesse des ultrasons (V16) à 35 jours ;
• Rapport entre la variation de masse et la variation de longueur à 35 jours.
Le tableau 1 reprend les limites de ces trois paramètres pour définir trois classes de
sensibilité.
Tableau 1: essai GCG-DUG - Classes de sensibilité au pourrissement
Classes de sensibilité ∆L35 ∆V16,35 ∆m35/∆l35
% % - Faible < 0.3 > -10 > 3 Moyenne 0.3 to 1 -10 to -40 1.5 to 3 Forte > 1 < -40 < 1.5
6. Conclusions
Depuis 1995, plusieurs ponts en Région wallonne ont commencé à présenter de sérieuses
dégradations de leur dalle de tablier. Les observations macroscopiques telles que nids de
poules, désagrégation du béton sous forme de gravier, en partie supérieure de la dalle,
perforation de la dalle et taches en face inférieure de dalle, sont des indicateurs d’une
dégradation du béton dénommé « Pourrissement de dalles de tabliers de ponts ». Cette
pathologie complexe nécessite de l’eau et implique donc une déficience de la couche
d’étanchéité du tablier.
Face à l’importance des dégradations, une recherche a été menée par le SPW et différents
centres de recherches belges.
Les résultats de cette recherche ont mis en évidence que le pourrissement est le résultat
d’une réelle interaction entre la RAG, l’action des cycles de gel-dégel et l’attaque par les
chlorures.
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La réaction alcali-granulat a pu se développer à cause de l’utilisation de granulats (sables et
gravillons) réactifs, de la présence d’eau s’infiltrant au travers des défectuosités de la couche
d’étanchéité et de la teneur élevée en alcalis provenant d’une part du ciment et d’autre part
des sels de déverglaçage.
L’étude a également démontré qu’il existait une migration des alcalis de la partie supérieure
de la dalle vers sa partie inférieure, pouvant conduire à une réalcalinisation du la couche
inférieure de béton carbonaté.
Souvent, des teneurs en chlorures importantes sont observées en partie supérieure de la
dalle. Occasionnellement, des cristaux de Chloroaluminate de Calcium ont été observés
suite à ces teneurs élevées en chlorures mais sans signe d’activité fissurante sur le béton.
Des cristaux d’ettringite secondaire sont souvent observés dans les pores et les fissures de
la pâte de ciment. Mais à chaque fois, cette ettringite ne présente aucun aspect délétère ;
aucune trace de réaction sulfatique n’a été observée. Cependant, un gel ettringitique est
parfois observé et il pourrait intervenir dans la fissuration conduisant à la délamination.
La recherche a aussi mis en évidence que la corrosion des armatures n’était pas une cause
du pourrissement même si de forte corrosion sont observées dans les zones de béton
désagrégé.
Pour évaluer le degré de dégradation de la dalle de tablier, plusieurs indicateurs ont été
proposés comme l’absorption d’eau, la perméabilité, le rapport des vitesses des ultrasons
Vv/Vh, l’absence de cohésion, la profondeur de carbonatation et la réalcalinisation,
l’évaluation des gradients chimiques, la microscopie pour détecter la présence de réactions
secondaires (RAG, ettringite, gel ettringitique, chloroaluminate de Calcium).
Enfin un test de vieillissement a aussi été mis au point afin de déterminer la sensibilité d’un
béton au pourrissement.
7. Bibliographie
[1] CRR (2002) : Code de bonne pratique pour l’utilisation des entraîneurs d’air dans les
bétons routiers – Application, formulation et contrôle. Recommandation R 73/02 :pp 1-
42. Centre de Recherches routières, Bruxelles.
[2] Demars Ph, Gilles P, Dondonne E, Degeimbre R, Darimont A, Lorenzi G, Mertens A
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complexe. Bulletin des laboratoires des Ponts et Chaussées (n° 232) : pp. 73-83.
[3] Swamy R. N. (1992) : The alkali-silica reaction in concrete. Blackie, UK.
[4] Bérubé M.A., Carles-Gibergues A. (1992). La durabilité des bétons face à l’alcali-
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et Chaussées, Paris.
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[5] Pavoine A., Divet L., Fenouillet S., Randazzo V. (2003) : Impact de conditions de cycles
de séchage et d’humidification sur la formation différée d’ettringite dans les bétons.
Materials and structures/Matériaux et Constructions, vol. 36, novembre 2003, pp 587-
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[6] Darimont A, Degeimbre R, Gilles P, Dondonné E, Demars Ph, Mertens de Wilmars A,
Lorenzi G, Lefebvre G (2006) : Réalcalinisation du béton carbonaté par migration des
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[7] Demars Ph, Gilles P, Dondonne E, Lefebvre G, Darimont A, Lorenzi G, Henriet G,
Marion AM (2008) : The degradation of the bridge deck slabs in Belgium mainly involves
alkali-aggregate reactions. 13th ICAAR, 16-19 june, 2008, Trondheim, Norway.
[8] Gilles P, Demars Ph, Dondonne E, Lorenzi G, Darimont A (2008) : A new test to assess
the concrete susceptibility to “the decay” of the bridge deck slabs. 13th ICAAR, 16-19
june, 2008, Trondheim, Norway.