Le PaRDèS est une méthode exégétique qui fut employée ... · Le troisième, le Drash,...

13
1 LE PARDÈS Par José MOINDROT Le PaRDèS est une méthode exégétique qui fut employée (inventée ?) par les maîtres talmudistes et kabbalistes, les Pères de l’Eglise et jusqu’aux scholiastes. Traditionnellement réservée aux textes sacrés, son étude permet de découvrir qu’on peut l’appliquer à d’autres domaines, historiques, artistiques ou personnels. Après l’exposition théorique, l’exemple classique du Cantique des Cantiques et celui plus original du Tarot qui s’y prête particulièrement bien, nous étendrons cette méthode à trois domaines hors de l’herméneutique habituelle. Familier de l’Egypte ancienne et du Moyen-Age, nous avons choisi la création de l’Ordre de la Toison d’Or et l’analyse d’une fresque égyptienne célèbre (mais d’autres exemples en d’autres époques et cultures auraient pu l’être) ainsi qu’une anecdote personnelle. La tradition juive voyait dans l’étude d’un texte, quatre niveaux de compréhension ou d’interprétation, correspondant au corps, à l’âme, à l’esprit et à l’indicible ou aux quatre Sphères de l’Arbre séphirotique et symbolisés par les quatre bras du fleuve qui sortait du Paradis : le Pshat, la vision des choses, sens obvie, littéral, historique, d’un mot signi fiant simple, ordinaire, clair, facile, évident et du verbe pashot, ôter, enlever un vêtement ou une peau, déshabiller, épouiller, écorcher ; le Rémèz, sens allusif, symbolique, d’une racine signifiant insinué, suggéré, faire signe, clin d’œil, signe, et souvent illustré par des aggadoth, récits légendaires ou folkloriques ; le Drash (ou dérasha), interprétation homilétique parfois pointilleuse, du verbe darosh, chercher, interpréter, examiner, commenter, expliquer, d’où dérive le mot midrashim, légendes ou commentaires, développant les textes ; le Sod (secret), sens secret, mystique ; et dont l’acronyme, petit "truc" mnémotechnique, donne PRDS, lu PaRDèS, le Paradis (Zohar III) mot d’origine perse se trouvant dans le Talmud et en kabbale, mais non dans la Bible. Ils pourraient correspondre aux quatre causalités d’Aristote qui déterminera toute la philosophie médiévale : causa materialis, cause matérielle ; causa formalis, cause formelle (forme souhaitée) ; causa efficiens, cause efficiente, action ; causa finalis, cause finale qui ne relève que de l’âme. Qu’elle soit d’origine juive ou chrétienne, cette idée fut partagée par les Pères de l’Eglise et les Scholastiques. Saint Thomas d’Aquin écrivait dans sa Somme : « Il y a plusieurs sens dans les Ecritures, le sens historique ou littéral et le sens spirituel qui se divise lui-même en trois autres : allégorique, moral, anagogique ». « Littera gesta docet, quid credas allegoria, Moralis quid agas, quo tendas anagogia. » « La lettre enseigne les faits, l’allégorie ce qu’il faut croire, la morale ce qu’il faut faire, l’anagogie ce à quoi il faut tendre » selon la célèbre citation de Nicolas de Lyre. 1 1 Après des études rabbiniques, Nicolas de Lyre (1270-1340), né près d'Evreux de parents juifs, se convertit et entre chez les Cordeliers. Bien en cour, il fut un des théologiens les plus renommés du début du XIV e s. On peut lire ses gloses dans la Bible offerte par le duc Jehan de Berry au pape Clément VII, vers 1390 (B.N. ms lat. 51).

Transcript of Le PaRDèS est une méthode exégétique qui fut employée ... · Le troisième, le Drash,...

  • 1

    LE PARDS

    Par Jos MOINDROT

    Le PaRDS est une mthode exgtique qui fut employe (invente ?) par les matres

    talmudistes et kabbalistes, les Pres de lEglise et jusquaux scholiastes. Traditionnellement

    rserve aux textes sacrs, son tude permet de dcouvrir quon peut lappliquer dautres

    domaines, historiques, artistiques ou personnels. Aprs lexposition thorique, lexemple

    classique du Cantique des Cantiques et celui plus original du Tarot qui sy prte

    particulirement bien, nous tendrons cette mthode trois domaines hors de lhermneutique

    habituelle. Familier de lEgypte ancienne et du Moyen-Age, nous avons choisi la cration de

    lOrdre de la Toison dOr et lanalyse dune fresque gyptienne clbre (mais dautres

    exemples en dautres poques et cultures auraient pu ltre) ainsi quune anecdote

    personnelle.

    La tradition juive voyait dans ltude dun texte, quatre niveaux de comprhension ou

    dinterprtation, correspondant au corps, lme, lesprit et lindicible ou aux quatre

    Sphres de lArbre sphirotique et symboliss par les quatre bras du fleuve qui sortait du

    Paradis :

    le Pshat, la vision des choses, sens obvie, littral, historique, dun mot signifiant simple, ordinaire, clair, facile, vident et du verbe pashot, ter, enlever un vtement ou une peau,

    dshabiller, pouiller, corcher ;

    le Rmz, sens allusif, symbolique, dune racine signifiant insinu, suggr, faire signe, clin dil, signe, et souvent illustr par des aggadoth, rcits lgendaires ou folkloriques ;

    le Drash (ou drasha), interprtation homiltique parfois pointilleuse, du verbe darosh, chercher, interprter, examiner, commenter, expliquer, do drive le mot midrashim,

    lgendes ou commentaires, dveloppant les textes ;

    le Sod (secret), sens secret, mystique ;

    et dont lacronyme, petit "truc" mnmotechnique, donne PRDS, lu PaRDS, le Paradis

    (Zohar III) mot dorigine perse se trouvant dans le Talmud et en kabbale, mais non dans la

    Bible.

    Ils pourraient correspondre aux quatre causalits dAristote qui dterminera toute la philosophie

    mdivale :

    causa materialis, cause matrielle ;

    causa formalis, cause formelle (forme souhaite) ;

    causa efficiens, cause efficiente, action ;

    causa finalis, cause finale qui ne relve que de lme.

    Quelle soit dorigine juive ou chrtienne, cette ide fut partage par les Pres de lEglise et les

    Scholastiques. Saint Thomas dAquin crivait dans sa Somme :

    Il y a plusieurs sens dans les Ecritures, le sens historique ou littral et le sens spirituel qui se

    divise lui-mme en trois autres : allgorique, moral, anagogique .

    Littera gesta docet, quid credas allegoria,

    Moralis quid agas, quo tendas anagogia.

    La lettre enseigne les faits, lallgorie ce quil faut croire, la morale ce quil faut faire,

    lanagogie ce quoi il faut tendre selon la clbre citation de Nicolas de Lyre. 1

    1 Aprs des tudes rabbiniques, Nicolas de Lyre (1270-1340), n prs d'Evreux de parents juifs, se convertit et

    entre chez les Cordeliers. Bien en cour, il fut un des thologiens les plus renomms du dbut du XIVe s. On peut

    lire ses gloses dans la Bible offerte par le duc Jehan de Berry au pape Clment VII, vers 1390 (B.N. ms lat. 51).

  • 2

    Dante le rappelle aussi dans Il Convivio (le Banquet, II, 1) :

    Il faut savoir que les critures se peuvent entendre et se doivent exposer principalement selon

    quatre sens. Lun sappelle littral et cest celui qui ne stend pas plus outre que la lettre (...) Lautre

    sappelle allgorique, et cest celui qui se cache sous le manteau de ces fables (...). Le troisime sens

    sappelle moral (...). Le quatrime sens sappelle anagogique, cest--dire sur-sens ; et cest quand

    spirituellement on expose une criture, laquelle (...) vient par les choses signifies bailler signifiance

    des souveraines choses de la gloire ternelle .

    Cette analyse tait connue des premiers kabbalistes chrtiens comme en tmoigne Pic de la

    Mirandole dans son Apologia (1487) : Comme il y a chez nous une quadruple interprtation possible

    de la Bible, cest--dire linterprtation littrale, mystique ou allgorique, tropique ou anagogique, il

    en est de mme chez les Hbreux. Le sens littral sappelle chez eux Peschat, lallgorique Midrach,

    le tropique Sechel (inversion errone de lauteur) et lanagogique, qui est le plus sublime et le plus

    divin de tous, Kabbala. 2

    Nous allons ainsi du plus extrieur au plus intime, du manifeste au plus secret, de lexotrisme

    lsotrisme, voire au mystique et lindicible. Mais cette lecture quatre niveaux nest pas un ordre

    hirarchique ; aucun ne doit tre nglig, tous sont ncessaires et utiles, lidal tant de pouvoir

    apprhender tous les niveaux la fois. Privilgier le spirituel sans se proccuper du manifest, cest

    risquer de perdre le contact avec la ralit ; ne percevoir que lcorce, cest se priver de lessentiel.

    Le Tarot se prte aussi ces quatre niveaux dexgse. Le second est le plus rpandu dans les

    nombreux ouvrages de tarologie : symbolique, couleurs, allusions mythologiques tous azimuts dans

    une profusion dinformations manquant parfois de rigueur, certes satisfaisante pour lintellect, moins

    pour lintelligence de la carte.

    Le troisime, le Drash, connaissance intuitive selon le Zohar (II 36b), serait la lecture divinatoire,

    mantique du jeu puisque le verbe darosh peut signifier rechercher, sinformer, interroger, consulter,

    lucider, et, dans une expression, consulter les devins (darosh al ha-avoth). 3

    Enfin, le niveau secret

    (Sod), la signification la plus "close", serait la Kabbale des souffles et des nergies laquelle ltude

    des images donne accs car :

    Toujours le littral doit passer en avant, comme tant celui en la sentence duquel les autres sont

    enclos, et sans lequel serait impossible et irrationnel de sapenser aux autres (...) parce quen toute

    chose ayant dedans et dehors, est impossible darriver au dedans si premier lon narrive au dehors.

    (Il Convivio II, 8-9).

    Si Dante insistait en ces termes sur son importance, cest que le Pshat littral rvle le Sod secret et

    que celui-ci contient le Pshat ; ils sont troitement imbriqus lun dans lautre (Gaon de Vilna, XVIIIe

    sicle). Or, ce premier niveau, le plus simple, le plus littral a souvent t nglig par les "tarologues".

    Si quelques historiens de lart se sont penchs sur les origines du tarot, peu dauteurs ont recherch la

    gense de chaque lame, son volution, la synthse des diffrentes images dont elle est laboutissement.

    Sans oublier la lecture alchimique que lhbreu fait apparatre et qui affleure de faon vidente dans

    les arcanes (du latin arcanum, secret) ds quon les compare au trs riche corpus iconographique

    hermtique de lpoque, et particulirement le tarot de Marseille qui semble avoir t r-inform et

    remani sur ce plan, redessin comme on rcrit un texte. Elle recoupe elle seule les quatre niveaux :

    le littral est lopratif ; le symbolique, lintelligence des "ymages" quoffrent traits hermtiques et

    uvres "philosophales" mais aussi des signes du grand Livre de Nature (thorie des signatures chre

    Paracelse). Au moral, lthique, la probit, la vie conforme aux commandements divins puis la Charit

    dont doit faire preuve lAdepte, mais aussi le cheminement intrieur, son volution psychologique qui

    influencera lopratif (et inversement), son "individuation" croissante selon la thorie de Jung. Enfin, le niveau secret, lintuition, ltat de grce, la prire, le Donum Dei sans lequel rien nest possible.

    *

    2 Opera, Ble 1557, cit par G. SCHOLEM, la Kabbale et sa symbolique, o cette question est largement

    dveloppe. 3 "Recherchez (dirshou) Moi" dit IHWH (Am 5,4.6) dans le sens de "Demandez Moi, consultez Moi".

  • 3

    Commenons par la Bible.

    hmlwl rwa Myr ywh ryw Shir ha-shirim asher li-shlomoh, Cantique des Cantiques, attribu selon le texte lui-mme et la

    Tradition au roi Salomon. "Le plus beau chant du monde" selon Rabbi Aqiva (40-135 de notre re)

    dont l'opinion fut dterminante pour la canonicit de ce texte : L'Univers entier n'est pas digne du

    jour o le Cantique des Cantiques fut donn Isral. Tous les crits de la Bible sont saints ; mais le

    Cantique des Cantiques est saint entre tous (qodesh qodashim). 4

    Nombre d'exgtes, et non des moindres, se penchrent sur son texte : au fil des sicles, Origne,

    Grgoire de Nysse (IVe s.) et Saint Jrme, Bde, Bernard de Clairvaux, cot chrtien, et bien sr, le

    matre talmudiste Rachi de Troyes, pour ne citer que les auteurs d'avant la Renaissance ; plus prs de

    nous, Martin Bber, Bossuet, Renan et bien dautres.

    Pome le plus court de toute la Bible, c'est celui qui offre le plus ouvertement une lecture selon les

    quatre niveaux du PaRDS et mme cinq pour ce texte puisque s'y ajoute une lecture hermtique. Il fut

    crit dans ce but, chaque mot choisi, chaque expression cisele afin d'tre lisible chaque degr de

    l'exgse, quitte corner la grammaire, bousculer la syntaxe, avec des changements de temps et de

    mode ou de genre a priori injustifis, des nologismes et des hapax, d'o rsultent des expressions

    inhabituelles, des passages obscurs, faisant le dsespoir des traducteurs et la varit des traductions qui

    ne peuvent donc tre qu'approximatives.

    Si la critique historique en fait un chant traditionnel lors de la crmonie de mariage, quelques

    exemples suffisent nous convaincre qu'il ne s'agit pas l seulement d'un chant amoureux :

    - "les Gazelles" (tsvaoth, 2,7 ; 3,5) voquent videmment le Seigneur des Armes ;

    - "tes seins" (shadakh, 4,5) un autre nom de l'Eternel, Shadda ;

    - "les piscines, les bassins - ou pire, les lacs" (berkhoth, 7,5) les bndictions, brakhot ;

    - "les demeures des bergers" (mishkanoth, 1,8) et "une tente de Kdar" (hley, 1,5) font allusion au

    Tabernacle et la Tente du Tmoignage.

    Quant au verset (I, 3), "les jeunes filles (alamoth, pluriel de alma) t'aiment", il peut tre lu selon

    les conseils du Talmud 5 et conformment aux quatre niveaux du PaRDS :

    "les secrets (alomoth, les choses caches) t'aiment" ou

    "les mondes (olamoth) t'aiment" et mme

    "al-mouth, jusqu' la mort, ternellement (Ps 48,15).

    Mais la polysmie propre lhbreu permet de lire le Cantique des Cantiques comme un trait

    dalchimie. En effet,

    shir, chant, cantique, peut tre lu 300.10.200 , ,shyar ou shar, reste, restant, reliquat

    mais non pas dans le sens pjoratif du rebut, du superflu que l'on rejette ou nglige, mais bien au

    contraire l'essentiel, ce qui est digne d'tre conserv lorsqu'on a limin toutes les impurets, les

    scories, puisque shar signifie aussi prfrence, avantage, supriorit, prminence, qualit,

    excellence ;

    ; shaar, rester, demeurer; au passif, ce qui est sauv, pargn 300.1.200 shar sherit est le reste dont parlent les prophtes Isae, Jrmie et

    Miche, entre autres. A rapprocher de la racine

    point gauche), chef, guide, matre, prince, seigneur, noble, ange ) sar 300.200 et plus particulirement l'archange Mikal.

    .point droite), chanteur, chantre ) shar Ainsi le kabbaliste contemporain Carlo Suars, a-t-il pu traduire shir-ha-shirim par le rsidu des

    rsidus, la quintessence des quintessences. L'alchimie n'est-elle pas appele le travai l des Grands Jours de Salomon ? 6

    4 Talmud, Yadam III, 5 et Bahir 174.

    5 A.D. GRAD, Le vritable Cantique des cantiques.

    6 Soulign par Eugne CANSELIET dans son Introduction au Mystre des Cathdrales de FULCANELLI, op. cit.

  • 4

    Plus loin, le clbre "Je suis noire mais je suis belle" (Ct 1,5), fait videmment allusion au Chaos

    primordial, la Pierre l'aspect vil et mprisable en son tat premier, auquel rpond "Mon bien-aim

    est blanc et rouge" (Ct 5,10), nous invite une lecture toute hermtique de ce texte exceptionnel.

    "Blanc et rouge" (Tsah w-adom),

    tsah, brillant, clatant, blouissant, rayonnant, lumineux, blanc, d'une blancheur clatante ;

    ,adom, rouge, vermeil, pourpre, rose .odem, rouge, rubis, pierre prcieuse rouge et transparente

    Mais le texte original hbreu shhorah ani vnavah prcise une indication essentielle et primor-

    diale que, ni le latin (nigra sum sed formosa), ni mme le grec (mlaina eimi kai kal), et encore moins

    nos langues vernaculaires dans leurs traductions rductrices, ne donnent. Lhbreu littral seul permet

    de passer du symbolique lopratif.

    Le Cantique des Cantiques peut donc tre lu selon le regard du lecteur, pome d'amour

    l'rotisme flamboyant ; amour de l'Eternel pour Isral dans ses tribulations, interprt par les

    Chrtiens comme amour du Christ pour son Eglise 7 ; union sacre de l'me dans un dialogue

    Crateur-crature ; et enfin, le niveau secret, Sod, de la Kabbalah des souffles et des nergies.

    *

    7 ORIGENE, Contra Celsum IV, 48 ; Cyprien, Epistulae 69, I,2 ; 74, II,2 ; Thodoret (d'aprs C. SUARES, Le

    Cantique des Cantiques).

  • 5

    Le Tarot, quant lui, se prte si bien ces quatre niveaux dexgse quil

    semble avoir t cr dans ce sens. Prenons les ds de la premire lame, le

    Bateleur, mais tout autre objet du Tarot, voile et livre de la Papesse, faux de

    la Mort, lanterne de lHermite, quatre Evanglistes du Monde aurait pu

    convenir.

    Le Bateleur manipule des objets symboles des quatre Elments, que lon

    retrouve dans les cartes dites mineures :

    - la baguette = btons ou = feu

    - une coupe = coupes ou = eau

    - un poignard = pes ou = air

    - pices de monnaies = deniers ou = terre

    Sur l'tal du saltimbanque, trois accessoires souvent ngligs des commentateurs, un gobelet et ses

    ds. Pourtant, si avec notre vision moderne, ils ne nous apprennent rien - on imagine notre escamoteur,

    Pipeur ou h asard eur de des 8 qui bien sai joer de l ' es canbo t , proposer au chaland de passage, un peu naf, une partie de bonneteau truque ou de ds probablement plombs - le regard qu'aurait pu y

    poser un badaud de l'poque est plus instructif.

    Dans les rares textes mdivaux y faisant allusion, le cornet ds porte divers noms latins dont le

    plus intressant est pyrgus (Snque, Juvnal) du grec

    purgos, tour (btisse, donjon), sa forme tronconique voquant une petite tour ;

    sur la racine

    pur, le feu.

    Dans le contexte du tarot, cette "tour ardente, igne" ne peut que renvoyer la Tour foudroye dont

    on sait qu'au plan alchimique, elle dessine un athanor. Elle peut aussi voquer un tt conique, do par

    mtonymie, le gteau (gueuse) mtallique de mme forme obtenu par la fusion du minerai. C'est dire

    que, d'entre de jeu, le Bateleur dispose du ncessaire pour uvrer : un athanor (ou un creuset selon

    quest choisie la voie humide ou sche), les quatre lments symboliss, plus le cinquime suggr par

    les ds dont la particularit arithmtique, en concordance parfaite avec le travail, consacre

    l'attribution du cube ou du d l'expression symbolique de notre quintessence minrale. 9 Un d est

    reprsent sur un caisson du chteau de Dampierre-sur-Boutonne 10

    et trois, sombres et mercuriels,

    dans Le livre de la Sainte Trinit (dbut XVe).

    11

    Les ds semblent absents de tous les jeux antrieurs au tarot de Marseille, certains

    Bateleurs semblant plutt jouer au bonneteau, comme sur le Catelin Geofroy (1557). Si

    l'tymologie savante du mot "d" est datum, ce qui est donn, don, prsent, pluriel data, les donnes,

    au Moyen-Age et jusqu' l'poque classique (Du Cange la fin du XVIIe), on le rapprochait plus

    volontiers de Deus, Dieu, pluriel di i ou dei , d'autant qu'on l'crivait alors indiffremment deu ou dei , et les ds, deis , dey , d ez ou detz . Cette double tymologie linguistique et symbolique nous rappelle le Donum Dei, le Don de Dieu hermtique. Le lancer de ds pouvait d'ailleurs tre moyen de divination

    (kybomancie), comme en attestent la Somme thologique de Thomas d'Aquin et le Livre du passe -temps d e la for tune d es dez dont parle Rabelais au chapitre XI de son Tiers Livre 12 ou expression de la volont divine pour rsoudre un diffrent, judicium Dei ou ordalie ludique en quelque sorte.

    13

    8 VILLON, Ballade de bonne doctrine.

    9 FULCANELLI, Les Demeures philosophales.

    10 Aritmetricha, gravure XXV du jeu de Mantegna, compte cinq pices d'or dans sa main. Fulcanelli signale dans

    ses Demeures Philosophales, un caisson du chteau de Dampierre-sur-Boutonne montrant une table avec un d

    jouer laissant apercevoir les faces cinq et six points. Sur le tarot de Marseille, un d prsente le 5, l'autre l'as. 11

    Nuremberg, in ROOB, op. cit. p. 209 et VAN LENNEP p.73. 12

    Paris, B.N. ms fr 14776. Cet ouvrage paru Bologne en 1476, fut traduit en franais en 1528 (Rabelais, d.

    BOULANGER, NRF la Pliade 1934). 13

    J.-M. MEHL, Les Jeux au Royaume de France, 1990.

  • 6

    Si, au Moyen-Age et la Renaissance, les petits cubes voquent la chance et le hasard, ce n'est pas

    simplement comme notre poque, par symbole ou analogie, mais par "armes parlantes". En effet, la

    chance ou cheance (do chance), du verbe choir, dsigne ds le XIIe et jusqu'au XVIIe sicle, la faon dont tombent les ds. Ce n'est qu'au XVIII

    e qu'elle prendra le sens de probabilit ; chancer , c'tait

    lancer les ds ; chance, un coup de ds ou toute la partie, parfois un jeu spcial qui ne ncessitait

    justement que deux ds (Littr).

    Quant au hasard, il viendrait soit du mot "d" en arabe, al-zahr, par l'espagnol azar, soit, selon les

    Chroniques de Guillaume de Tyr (XIIe) et le Godefroi de Bouillon (XIV

    e), d'un chteau en Terre Sainte

    prs d'Alep, o ce jeu aurait t invent ou pratiqu 14

    . Hazard ou hasart dsignait donc le cube lui-

    mme, les ds en gnral ou un jeu en particulier, plus complexe trois ds. Certains textes 15

    nomment ainsi les combinaisons de points extrmes les plus difficiles obtenir (dont le 6), soit

    sortir prcisment le 6 (ce que fait notre Bateleur). Ne pas y parvenir au premier lancer laissait

    alors sa chance l'adversaire. Hasarder , c'tait jouer aux ds16. Mme glissement de sens en latin : alea dsigne l'origine un jeu de ds, de l, le destin, le sort, comme dans le mot historique de Csar

    au Rubicon, alea jacta est, le sort en est jet, littralement, les ds sont jets au sens de "les jeux sont

    faits".

    Ainsi, ce sont les ds qui ont donn leur nom l'aspect alatoire, et non le contraire comme on l'a

    longtemps cru. Que ce soit par l'arabe (?), le latin ou l'ancien franois, les ds sont l'expression de la

    destine :

    Fortune fai t souven t to urner les dez contre moi malement

    (Charles d'ORLEANS, ballade 45)

    Leur dernier aspect mdival est... rotique ! La littrature courtoise 17

    sous couvert d'une partie de

    ds au vocabulaire ludique, fait souvent allusion de tout autres plaisirs o la PAIRE de ds dsigne

    explicitement de virils attributs : le bonneteau ne ncessitant qu'un d (mais trois gobelets) et la quasi-

    totalit des jeux se faisant avec trois (comme le montre le tarot Jean Noblet du XVIIe sicle la B.N.),

    les deux ds du Bateleur pourraient tre une allusion la virilit suggre dj par le et le hiroglyphe hermtique de l'arsenic (la baguette). Dans la tradition chrtienne, la forme en X tait

    devenue la croix de saint Andr, fort en faveur au Moyen-Age, du grec andros, homme, do courage,

    nergie, virilit. En cartomancie, cette lame dsigne un homme, notamment dans le jeu d'une femme.

    Ce simple dtail nous permet de mieux cerner la faon dont le Tarot fut constitu : n dans

    l'aristocratie cultive ou savante, il gagna rapidement les milieux les plus populaires. Pour des rudits,

    cette connotation masculine tait indique par l'hbreu, dfaut par le grec pour des hermtistes non

    hbrasants. Quant au petit peuple, illettr ou presque, c'est la PAIRE de ds qui l'en informait.

    Souvent dforms ou disparus par la suite, ces ds rsument pourtant les principaux aspects

    de cette lame selon les diffrents niveaux du PaRDS : outre son usage ludique (niveau

    littral), le caractre viril du Bateleur et de l'nergie qu'il reprsente (symbolique) ; les

    donnes du problme, les circonstances de dpart et l'aspect alatoire de la chance et du

    hasard (moral) ; l'expression de la volont divine sous forme du Don accord ou d'un oracle

    (anagogique) sans oublier la Quintessence (alchimique) qui recoupe les autres.

    *

    14

    Une tradition (Pausanias, Phoc. XXXI) attribue leur invention et celle des checs, au hros Palamde lors du

    sige de Troie. 15

    Libro del ajedrez de los dados y de tablas d'Alphonse X le Sage, roi deCastille, 1283. 16

    Au XVIe sicle, chez Montaigne, hasard signifie risque et hasarder, se risquer.

    17 Par exemple, une chanson du duc Guillaume IX d'Aquitaine (XII

    e sicle).

  • 7

    Cette lecture sur quatre niveaux selon la mthode du Pards

    peut sappliquer bien sr non seulement lexgse des Ecritures

    et autres grands textes sacrs ou symboliques (Dante, Goethe...)

    mais aussi au dcryptage des lgendes et contes mythologiques ou

    populaires, au dcodage de nos songes (et l, lhbreu est un outil

    incomparable), une meilleure comprhension dune discipline,

    dun art, dune situation vcue personnellement ou tout

    vnement dimportance, en gnral. Prenons comme illustration

    historique, la cration du si haut et si excel lent mystere d ordre quest celui de la Toyson d Or plac sous lgide de Jason et des Argonautes, puis de celle de Gdon du Livre des Juges, patronage

    jug moins paen.

    Premier niveau, lanecdotique :

    Le duc Philippe le Bon fonde le 10 janvier 1430 loccasion de ses noces avec Isabelle du Portugal,

    le tres noble ordre de la Toyson d Or , officiellement en lhonneur de la nouvelle pouse, mais le bruit courut que cet t en fait en hommage la blonde chevelure dune de ces belles brugeoises

    auxquelles le duc ne savait pas renoncer.

    Deuxime niveau, le politique daprs Chastelain :

    Le rgent dAngleterre Bedford afin de se lassujettir plus troitement, proposa lOrdre de la

    Jarretire au duc de Bourgogne ; la cration de son propre ordre chevaleresque permettait celui-ci,

    soucieux de prserver son indpendance, de dcliner poliment loffre sans loffenser. Aultre naray (Autre naurait), la devise quil prit cette occasion et quil garda par la suite, concerne videmment

    dventuels autres ordres de chevalerie, et non une trs hypothtique fidlit conjugale. Le faste dploy lors des chapitres de lOrdre dmontrait puissance et richesse, et loctroi de la potence au

    Blier permettait de sassurer de grands feudataires.

    Troisime niveau, le religieux :

    Trs pieux et nourri de littrature chevaleresque et pique, vrai et humble serviteur de Dieu,

    prompt dfenseur de la sainte foi (Chastellain), le duc souhaitait relancer la croisade, arrter la

    progression ottomane et venger la dfaite de Nicopolis o son pre fut fait prisonnier :

    Pour maintenir l Eglise , qui est de Dieu maison, Jay mis sus le noble Ordre , quon nome la Thoyson.

    Cette volont saffichera solennellement avec le Vu du Faisan lors dun banquet rest clbre.

    Quatrime niveau, lhermtique :

    Le mythe de la qute de Jason et des Argonautes, et plus encore lhistoire de Gdon, surtout

    lorsquon la lit EN HEBREU, sont tout empreints de symbolique alchimique tout comme lest le collier

    (aurea catena) de lOrdre o alternent fusils (briquets) et pierres do sortent des flammes, vritables

    armes parlantes, illustrant la devise de Bourgogne Ferit ante f lamma micet , et souligne encore par celle de lOrdre :

    Precieum non vi le laborum . La Toyson dOr saffichait bien ainsi comme l e plus haut

    mystere d ordre qui se pouvoit penser . LEurope mdivale se voulait hritire de lantiquit grco-romaine ou biblique, et nombre de

    villes et de pays, se basant sur une homophonie approximative, se rclamaient de dynastes

    lgendaires : Rome par Ene et Paris par le berger Pris fuyant Troie assige, la Grande-Bretagne par

    Brutus, la France par Francion, troyen ayant survcu au sige dIlion, Reims par Rmus que Romulus

    chassa. Les princes des Baux prtendaient descendre de Balthazar et les Lvis, seigneurs de Mirepoix,

  • 8

    de la tribu de Lvy, famille de la Vierge. 18

    Ces origines aussi mythologiques quimprobables mais

    prestigieuses pour de grandes maisons princires, taient narres dans des ouvrages comme les

    Illustrations de la Gaule et singularits de Troie de Jean Lemaire de Belges (1473- +1515) ou les

    Grandes Chroniques de France (1493) reprises un sicle plus tard par Ronsard dans La Franciade.

    Le duc reprenait donc son profit le mythe fondateur europen dune qute hroque ; tel Gdon, il

    attendait dun signe cleste lapprobation divine, les Madianites prfigurant les Sarrasins, et saffirmait

    de surcrot hritier des preux des Croisades tels Baudoin de Flandre et Godefroid de Bouillon auxquels

    il succdait comme seigneur de leurs anciens fiefs.

    Ainsi le noble Ordre de la Toyson dOr runit-il sous le parrainage de Saint Andr, patron de la

    Bourgogne, dans une perspective chrtienne (croisade) et un contexte fodal (serment personnel au

    duc), tout empreint dun apparat et de dcorum chevaleresques et hraldiques, rfrences biblique

    (Gdon) et mythologique (Jason).

    *

    Mais cette lecture nest pas rserve aux grands vnements ou uvres : en tmoigne cette

    priptie familiale qui ne fut vraiment comprise quavec la dcouverte quelques annes plus

    tard du PaRDS et de ses ventuelles applications quotidiennes. Le lecteur voudra bien en

    excuser laspect personnel.

    Nous sommes en 1989, une de mes proches, suite son ostoporose, subit une prothse totale de la

    hanche. Bien que lopration se soit parfaitement droule sans squelles, vu son ge (65 ans) et sa

    fatigue extrme, une biopsie est effectue qui rvle un cancer de la moelle des os ! (Je vous rassure

    tout de suite, elle va trs bien, merci, et court comme un lapin octognaire). Analyses de sang

    dprimantes, etc. Lhmatologue lui annonce avec tact que, si elle ne se soigne pas, il lui reste de deux

    cinq ans vivre. Pour un tas de raisons personnelles (ge, plus denfant lever, mfiance envers le

    corps mdical), elle dcide de ne rien faire, juste de suivre lvolution de la maladie. Analyse.

    Au niveau du corps : tant donn la situation, sa fille qui avait des notions dittiques, prit en main

    la gestion de sa maison et des repas, do changement du jour au lendemain de nourriture, le rgime

    mditerranen remplaant la viande rouge et la charcuterie, lhuile dolive le beurre et la crme, eau de

    source, etc.

    Au psychologique : au mme moment, la mre de cette dame qui entretenait avec elle des rapports

    trs conflictuels, est dcde, et on a pu la voir se dtendre malgr ses problmes de sant, libre non

    seulement dobligations familiales mais dun jugement maternel toujours ngatif qui, sil ne lavait

    jamais empche de nen faire qu sa tte, lui pesait.

    Pour ce qui concerne lme : ayant la foi, y compris en la rincarnation, la crainte de la mort

    semblait ngligeable par rapport la peur de la dchance, de la douleur et de la dpendance. Une

    attitude confiante et "cool" la fois de lcher-prise et de "je-men-foutisme". Et advienne que pourra !

    Enfin, au spirituel : cette personne a une dvotion particulire pour la Vierge ; sa fille, pour la

    soutenir dans cette preuve, lui offrit une icne connue pour accomplir des miracles et notamment des

    gurisons (Marie Porte du ciel).

    Et voil en quoi le PaRDS savre un excellent rvlateur, non seulement de lvnement

    analys mais aussi de ceux qui lanalysent, mettant en lumire le niveau privilgi, voire

    unique, o ils voluent. Ainsi, lamie branche bio et orthorexique ny voit que laction

    nutritionnelle ; la copine psy, lattitude de lcher-prise et le deuil maternel, tandis quune

    vieille amie de cette dame, trs pieuse, y reconnat tout naturellement lintervention de la

    Vierge Marie.

    *

    18

    E. BOURASSIN, Les Chevaliers, Paris 1995.

  • 9

    Terminons sur la beaut dune clbre fresque gyptienne vue selon le PaRDS. Tous les

    livres dart reprennent ces chasses au canard dans les fourrs de papyrus : tombes de

    Memna 19

    , de Nakht 20

    ou fresque vole une tombe dsormais perdue 21

    . Toutes trois datent

    du Nouvel Empire mais lanalyse pourrait se faire de mme avec des bas-reliefs des mastabas

    de lAncien Empire 22

    .

    De mauvais guides y voient une scne familiale et quotidienne (niveau littral), vision irraliste ne

    rsistant pas lexamen : embarcation trop frle pour supporter le poids de trois personnes et surtout

    pour rsister aux assauts meurtriers des crocodiles et hippopotames -mme si les Egyptiens avaient

    une conception bien eux de la perspective. Les personnages ont revtu leurs plus beaux atours,

    bijoux, robes de lin fin et surtout, pour lhomme, le grand collier floral ousekh rserv aux ftes

    religieuses et aux funrailles. Il sagit donc dune scne idalise, dune vie rve dans le Champ des

    Roseaux, lau-del gyptien, le sheret iarou, ces Champs dIalou hellniss en Champs-Elyses

    (second niveau).

    Regardons de plus prs cette jeune femme qui veille sur son poux telle Isis sur Osiris : pare de sa

    plus belle robe, bracelets et boucles doreilles, dune lourde perruque au bandeau floral, orne de lotus

    et surmonte dun cne de parfum, elle tient un bouquet de lotus bleus dune main, parfois des fruits

    de la mandragore (tous deux psychotropes et aphrodisiaques), de lautre (malheureusement mutils sur

    le fragment du British Museum), des instruments de musique, un sistre cintr et les boucles dun

    collier mnat, attributs dHathor, desse de la fminit et de lamour, mais aussi de la mort et de ses

    renouvellements.

    Tout en elle voque "la Grande de Magie", lOuret Hkaou qui, par son action thaumaturgique, va

    revitaliser le mort, veiller ses ardeurs gnsiques et lui permettre ainsi de passer de ltat dOsiris

    celui solaire de R. Nous savons par la littrature populaire que cette grande perruque tait objet

    rotique 23

    . Erotisation rituelle de cette scne avec la jeune servante nue - jamais un serviteur - dautant

    que "aller la chasse au canard" tait un euphmisme pour, comme le disaient joliment les Egyptiens,

    "se faire un jour heureux", le sexe fminin tant toujours dsign par un petit animal plumes ou

    poil (au Moyen-Age, ctait le conil ou conin, le lapin).

    Ce qui nous amne au quatrime niveau de lecture, le plus subtil. LOsiris Untel "solaris"

    sidentifie maintenant au dieu R dans la barque solaire, flottant sur lOcan primordial de la cration,

    le Noun, car ici tout est solaire : les lotus symboles de renaissance ; loie familire animal dAmon-

    R ; le hron cendr (ardea cinerea) est loiseau bonou, lme de R qui se posa sur le premier tertre

    merg de lOcan primordial en Hliopolis, le benben, et dont les Grecs firent le phnix (figure 4).

    Pas de hron chez Memna mais, grimpant dans un fourr de papyrus, un ichneumon, petite mangouste

    dEgypte, hypostase dAtoum-R (soleil descendant), Atoum dont Hathor est la pardre (figure 1,

    dtail).

    Mais le plus solaire de ces animaux est ici "le grand Chat qui rside Hliopolis". Dans la

    thologie hliopolitainne, il ne sagissait pas dun chat domestique (miou) qui napparat qu la XIe

    dynastie, mais un antique chat sauvage dont lhostilit aux serpents, comme la mangouste, en fit un

    animal sacr li R. Je suis ce chat de qui se fendit larbre-ished (persa = Nout) Hliopolis,

    cette nuit o sont anantis les ennemis du Seigneur de lUnivers. Qui est-ce ? Ce chat, cest lenfant

    R lui-mme. Nous avons l l'illustration du 17 du Livre des Morts o l'on voit le Grand Chat

    couper la tte du serpent Apopis (figures 2 et 4). Hritiers des grands pythons (jusqu sept mtres !)

    qui hantaient encore les rives du Nil l'poque prdynastique, le "Serpent immense" incarne les forces

    du chaos qui menacent la stabilit du monde et tout ce qui s'oppose l'ordre divin. Chaque matin et

    chaque soir, la barque solaire est menace par l'entropie symbolise ici par les fourrs de papyrus et les

    canards sauvages qui incarnent les puissances hostiles. Crocodiles et hippopotames, animaux sthiens

    peuplant l'ocan primordial, y remplacent Apopis.

    19

    Thbes Ouest, Cheikh Abd-el-Gournah n69. 20

    Idem n52. 21

    British Museum. 22

    Ti, Mrrouka. 23

    Cf. le Conte des deux frres.

  • 10

    Le marcage, milieu luxuriant et imaginaire, est l'image de ce chaos primordial auquel R, prsent

    ici sous divers aspects, doit mettre bon ordre. Chez Toutankhamon, ces mmes thmes absents des

    parois de sa tombe, se retrouvent sur les chapelles et coffrets de bois ou d'ivoire : chat (deuxime

    chapelle), chasse au canard, thmes rotiques rituels ncessaires la renaissance du mort. A la fois

    solaires et funraires, les deux poissons - toujours deux - (chez Menna ou Nakht, absents sur fresque

    du British Museum) que le dfunt harponne : il s'agit des poissons abdjou et inet (voir figure 1, dtail).

    Le premier, le poisson abdjou (lats ou perche du Nil) voque par jeu de mots la ville d'Abydos ; c'est

    Osiris noy et la premire mtamorphose du mort dans l'au-del. Le second, le poisson inet (chromis

    ou tilapia nilotica, boulti en arabe) est un symbole de renaissance solaire car, pendant leur incubation,

    il garde ses ufs dans sa bouche, et aprs closion, les alevins reviennent s'y abriter en cas de danger.

    Il existait des sortes de hochet en forme de tilapia, tous les objets faisant un bruit de crcelle lorsquon

    les agite tant ddis Hathor (sistre, collier mnat). Il est l'ultime mtamorphose du mort avant de

    renatre tel R.

    Le mort se rend ainsi matre de ses premire et dernire transformations, reprsentant la totalit du

    cycle Osiris-R, les poissons tant toujours symboles de rsurrection (symbolique reprise par les

    premiers Chrtiens). Dans la thologie solaire, abdjou et inet servent de poissons pilotes la barque de

    R et signalent l'approche menaante du serpent Apopis.

    Bien sr, dautres exemples en dautres poques et cultures auraient pu tre choisis. Ce qui

    compte est dadapter et adopter cette mthode ses propres recherches et vnements. Au

    lecteur de jouer, et si cette quadruple lecture lui semble fastidieuse, quil pense au clbre

    kabbaliste espagnol Aboulafia (1240-1291 ?) qui lui en voyaient six !

    (Texte "amlior" dune confrence donne en Loge blanche le 20 avril 2004)

  • 11

    Figure 1 Tombe de Memna

    Ci-dessous, dtails : le chat et lichneumon ; les deux poissons abdjou et inet

  • 12

    Figure 2 Tombe de Thoutmosis III Figure 3 Tombe d'Inherkhaou

    Figure 4 Tombe d'Inherkhaou

  • 13

    Figure 5, Tombe inconnue (British Museum)

    Figure 6, Tombe de Nakht