Le parcours initiatique du héros épique dans Cahier d'un retour au ...
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SYLLABUS REVIEW
Human & Social Science Series
Le parcours initiatique du hros pique dans Cahier dun retour au pays natal dAim Csaire Catherine Awoundja Nsata Dpartement de franais, Ecole normale suprieure, Universit de Yaound I, E-mail : [email protected]
Rsum
Longtemps considre comme une posie lyrique, la posie ngro-africaine dexpression franaise peut aussi revtir un caractre pique. Csaire entreprend travers Cahier dun retour au pays natal un voyage symbolique qui prpare limmersion du pote dans lhistoire de son peuple. Lanalyse permet de reconstituer le cycle du hros pique, une naissance, une mort symbolique conduisant une renaissance. Nous qualifions ce parcours dinitiatique car il est une sorte de cure cathartique et peut tre considr comme une forme moderne de linitiation selon lexpression de Simone Vierne. Mots cls : Parcours, initiation, posie, hros, pope, immersion, mort symbolique, renaissance. Abstract
Considered for long as being lyrical poetry, Negro-African poetry of French expression also has an epic dimension. Csaire undertakes a symbolical journey through Cahier dun retour au pays natal that prepares the poet for immersion into his peoples history. This analysis achieves a re-enactment of the epic heros cycle, his birth, his symbolic death that leads to his rebirth. We term this itinerary as being initiatory because it is a sort of psycho-analytical pursing that can be considered as a form of modern initiation to borrow from Simone Vierne. Key words: itinerary, initiation, poetry, hero, epic poems, immersion, symbolic death, rebirth.
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Introduction
La posie ngro-africaine dexpression franaise a souvent t considre comme une posie lyrique. On peut comprendre cette perception eu gard la conjoncture dans laquelle elle a vu le jour : latmosphre de revendication de la libert, de la libration des peuples coloniss, explique, juste titre, cette faon de voir. Avec le recul du temps, on saperoit que cette posie ne se limite pas au simple lyrisme. Le lecteur attentif y dcle galement de forts accents piques. Il apparat au cours de la lecture de son uvre potique, une intention chez Csaire dcrire lpope1 de son peuple. Or, au centre de toute pope se trouve un hros guerrier. La prsente tude se propose de retracer le parcours initiatique de ce hros guerrier partir de son long pome Cahier dun retour au pays natal.2 Le choix de ce tout premier pome se justifie par le fait quil est reprsentatif de toute la posie de Csaire, les autres recueils se prsentant alors comme une reprise de ce pome. Une lecture attentive de CRPN laisse entrevoir une structure dfinie comme la direction ou le mouvement du pote vers un monde meilleur. Le pome, dans son
1 Le terme pope est issu vraisemblablement de deux mots grecs pos qui signifie ce quon exprime par la parole et de poein qui veut dire fabriquer, excuter, faonner. En reliant ces deux mots, nous constatons que lpope est une mise en forme, une confection partir de la parole. Cette confection se ralise souvent par le biais de lcriture, lpope tant souvent connu sous la forme dun texte. Lcriture apparat en fait comme la fixation de loralit sous une forme dfinitive. ce titre, lpope marque le passage de loral lcrit au moyen duquel la manifestation culturelle dun peuple est une certaine poque consigne. Cette poque de la civilisation est lie aux origines, car, au commencement tait la parole et la parole tait la vie ; transcription des origines dune civilisation naissante, lpope se veut un livre de rfrence linstar de la Bible, document o sont consignes les origines de lhumanit. 2 Aim Csaire, Cahier dun retour au pays natal, Paris, Prsence africaine, 1983. En abrg CRPN dans la suite de ltude. Les rfrences apparatront galement entre parenthses lintrieur du texte.
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ensemble, constitue une qute et une conqute, une marche ou une dmarche vers un univers nouveau.
Le pome sinscrit dans le courant surraliste3 qui apparat ds la premire page et marque la prise de conscience du pote de la ralit dans laquelle lHistoire a prcipit son peuple. Sa dcision de rompre avec ce pass humiliant constitue la toile de fond de sa posie. Le pote dtruit un monde vanescent pour reconstruire un monde nouveau.
Nous qualifions ce parcours dinitiatique dans la mesure o le sens du voyage initiatique correspond, selon Simone Vierne4 , celui du soleil plongeant le soir sous la terre de lOccident pour rapparatre lOrient. En effet, dans les socits primitives, et en labsence de lcriture, la transmission orale est absolument ncessaire. Il y a ncessairement une prise de conscience. Or, la parole orale vhicule trs souvent la littrature pique. Ainsi, cette rflexion qui propose une lecture de CRPN sous langle pique pourrait prendre appui sur la thorie de Simone Vierne dans laquelle linitiation se joue en trois phases : la prparation, les preuves et la mort, puis la renaissance. Lanalyse prsente donc le parcours du hros guerrier dress contre les puissances du mal. Nous nous proposons de le retracer travers limmersion du pote dans lhistoire de son peuple, le cycle du hros pique et son apport au monde.
3 Le surralisme est un Automatisme psychique pur par lequel on se propose dexprimer, soit verbalement, soit par crit, soit de toute autre manire, le fonctionnement rel de la pense. , Manifeste du surralisme, dAndr Breton, 1924 cit dans Panorama de la littrature franaise de Nicole Masson, Marabout, Alleur (Belgique), 1990, p. 460. Il sagit dun courant littraire et plastique le plus puissant du XXe sicle, fond autour des potes Breton, Eluard, Aragon, Soupault et des peintres Max, Dali, Miro. 4Simone Vierne, Rite,Roman, Initiation, Grenoble, PUG, 2000.
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I Limmersion du pote dans lhistoire de son peuple
Les vnements historiques qui marquent lentre des peuples dans une nouvelle vie semblent toujours avoir t les premires sources de la littrature pique. Luvre de Csaire est traverse de part en part de rminiscences historiques. Lhistoire quon peut lire travers CRPN est celle des Antilles avec ses trois sicles desclavage et de colonisation. I-1 Lhistoire des Antilles
Le lecteur des pomes de Csaire le dcouvre pour la premire fois en Europe au vingtime tage des maisons les plus insolentes (p. 7) ; le pote occupe un appartement au vingtime tage dun immeuble Paris. De ce milieu luxueux, il entreprend deffectuer un voyage au pays natal : Jai longtemps err et je reviens vers la hideur dserte de vos plaies (p. 22). Un voyage spirituel qui lamne se souvenir des Antilles en gnral et de la Martinique, son lieu de naissance, en particulier. Contrairement au tableau idyllique des Antilles prsent par les touristes en mal dexotisme ou par certains Antillais aveugls par le nationalisme, Csaire reconstitue un monde dcadent plong dans la misre. Il accumule des tableaux sombres au double plan humain et gographique pour prsenter les Antilles qui ont faim, les Antilles grles de petites vroles, les Antilles dynamites dalcool (p. 8). Larchipel est en fait la somme de toutes les misres physiques, morales et sociales ; et dans cet archipel, la Martinique, cette plus fragile paisseur de terre que dpasse de faon humiliante son grandiose avenir (idem), empche le pote de spanouir.
Csaire vit sa situation dinsulaire comme une vritable prison. Lespace est son bourreau, il lempche de communiquer avec le reste du monde. Cette prison est dautant plus intolrable que les Antilles apparaissent
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comme des les cicatrices des eaux (p. 54). Cest dans ce cadre de misre et de laideur multiforme que le pote pointe un doigt accusateur sur son peuple et sur les valeurs importes. Un peuple indolent quil compare une ville inerte (p. 9), et dans cette ville, se trouve une foule la fois criarde, trange et dsole ; il ny a rien dorganis, rien de solidaire ; cest une foule qui ignore son tat de dgradation ou alors qui sy est habitu. Le pote relve en effet le paradoxe de cette foule qui ne sait pas faire foule (idem) autrement dit, de cette foule qui ne soccupe que des futilits. Quest-ce qui pourrait encore rveiller sa conscience ? Les statues qui trnent sur la place de Fort-de-France et qui devraient mouvoir les Martiniquais ne leur parlent pas assez : Josphine de Beaumarchais fut lpouse de Napolon et originaire des Antilles, son mpris pour la ngraille ne provoque aucun sursaut de leur part ; Schoelcher fit abolir lesclavage, son souvenir ne porte pas les Martiniquais rflchir sur la libert ; Belain dEsnambuc planta en Martinique le drapeau au nom du roi de la France, cette audace non plus ne suscite lindignation des Martiniquais. Et que rserve lavenir ? Ses au-del de lpres (p. 10), un avenir de maladies morales et physiques, de dprissement, de famine et de peurs omniprsentes, ses angoisses de toujours apparaissent comme un volcan endormi. Pour tout dire, le peuple antillais est calqu sur limage du morne :
le morne accroupi devant la boulimie aux aguets de foudre et de moulin, lentement vomissant ses fatigues dhommes, le morne seul et son sang rpandu, le morne et ses pansements dombre, le morne et ses rigoles de peur, le morne et ses grandes mains de vent. (p. 11)
Le morne lui-mme est btard comme ses habitants qui
ne savent pas trs bien sils viennent du Congo, du Sngal
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ou du Bnin, ou des trois la fois. Ils ont perdu leur nom dorigine au profit des valeurs importes. De ce fait, le petit Noir est aussi bien allergique au message scientifique de linstituteur quau message vanglique du catchiste. Tous deux tambourinent son crne, son mal est moral, sa voix soublie dans les marais de la faim (p. 11). Les maux qui minent cette socit sont multiples et multiformes :
lchouage htroclite, les puanteurs exacerbes de la corruption, les sodomies monstrueuses de lhostie et du victimaire, les coltis infranchissables du prjug et de la sottise, les prostitutions, les hypocrisies, les lubricits, les trahisons, les mensonges, les faux, les concussions (p. 12).
Cet inventaire laisse apparatre autant de plaies et de
pourritures morales et sociales. Le pote est hallucin par limage que lui renvoie son le. Sa vue est axe sur tout ce qui est ngatif. Ce tableau hideux nest pas lapanage des autres Antillais, Csaire fait un gros plan sur sa famille. Dabord, la description dshonorante de la maison de sa grand-mre laquelle il ajoute le mode de vie avilissant que mne toute la famille. Ensuite, la maison paternelle o linsalubrit, la promiscuit et la faim sont les matres maux. Linsistance sur ltroitesse de cette maison, lennui quon y prouve montrent que ce milieu familial constitue un autre univers carcral pour Csaire enfant. Enfin, le site qui abrite cette maison paternelle est aussi dgotant : une honte, cette rue Paille (p. 19). Cette introversion permet au pote de se souvenir de deux faits majeurs dans lhistoire de son peuple : lesclavage et la colonisation. I-2 Trois sicles desclavage et de colonisation
Le peuple antillais a connu trois sicles desclavage et de colonisation. Cette situation a fait natre des prjugs sur les Noirs et partant des frustrations chez eux. Or, Csaire a jur
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de ne rien cacher de son histoire. Il peut donc voquer la tragdie de lhistoire, les premires rvoltes mtes dans le sang : Que de sang dans ma mmoire (p. 35). Csaire na-t-il pas parl des Antilles dynamites dalcool (p. 8). Larme du colonisateur est le rhum, opium du peuple. Une fois lalcool consomm, les esclaves oublient toute tentative de rvolte. Ce sang peut aussi tre celui qui coulait pendant le voyage : En vain pour sen distraire le capitaine pend sa grandvergue le ngre le plus braillard ou le jette la mer, ou le livre lapptit de ses molosses (p.61). Csaire rappelle toutes les expriences humiliantes subies par les Ngres : assimils aux btes et au fumier, marqus au fer rouge, les Noirs cotaient moins cher que les autres marchandises. Csaire peut donc retracer le dur trajet de linnocence lhumiliation en passant par la souffrance :
- moi sur une route, enfant, mchant une racine de canne sucre traner homme sur une route sanglante une corde au cou debout au milieu dun cirque immense sur mon front noir une couronne de daturas (p. 30)
Puis, il voque la traite ngrire : Nous vomissure de
ngrier (p. 39). Le commerce triangulaire, ainsi quon lappelait, tait extrmement cruel. Les familles taient spares sans mnagement, des millions de personnes trouvaient la mort dans les expditions de capture et parfois dans les camps o elles taient enfermes sur la cte en attendant lembarquement. Elles pouvaient tout aussi trouver la mort bord des navires o elles taient entasses dans des conditions atroces. Quon se souvienne du film dAlex Halley, Roots ! On comprend pourquoi, ironiquement, Csaire salue les trois sicles qui soutiennent ses droits civiques et son sang minimis (p. 41). Mais, les Noirs sont conscients de leur situation. Voil pourquoi ils peuvent
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engager une lutte pour leur mancipation. Csaire entend jouer un rle dterminant dans ce processus, ce qui fait de lui un hros pique des temps modernes. II Le cycle du hros pique
Au centre de toute pope et Csaire appartient la premire gnration de la littrature ngro-africaine considre comme littrature des origines se trouve un hros combattant. Celui-ci reoit une initiation car il est appel porter les destines dun peuple. Il est la voix, le reprsentant du peuple et son ascendance lui vient gnralement des dieux qui interviennent de faon mystrieuse tout au long de sa mission. Dans lpope traditionnelle, par exemple, la vie du hros se droule en trois phases travers lesquelles se ralise son destin : la naissance, loccultation et la manifestation. On parle alors du cycle du hros pique. Chacune de ces trois priodes dans les popes est relate et constitue une squence du rcit linstar de Soundjata ou lpope mandingue5. Le cycle du hros dans CRPN dAim Csaire napparat pas en squence de discours. Il peut cependant se reconstituer travers lvocation de certains moments significatifs de la vie du personnage central du pome. Le texte est un discours la premire personne. Cet indice de lnonciation trahit, en effet, la prise en charge de lnonc par le locuteur qui de ce fait laisse apparatre sa subjectivit. Aim Csaire parle avant tout de lui-mme. Cest dans ce sens quon peut rtablir le cycle du hros.
5Soundjata ou lpope mandingue, publie en 1960 par Djibil Tamsir Niane, est une traduction de luvre du griot Mamadou Kouyat, lui-mme hritier dune longue tradition.
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II-1 La naissance du hros
La naissance du hros est souvent un vnement curieux parce quelle saccompagne de phnomnes extraordinaires : lannonce par les oracles ou les divinits, le dchanement des forces de la nature. La naissance du hros est assure par les dieux qui envoient au monde un sauveur. Descendant dune haute ligne, celui-ci est toujours prdestin une mission prcise : sortir les hommes de la dperdition et leur ouvrir une re nouvelle. En dehors des allusions faites sur le cadre de vie familial, origines somme toute modestes, Csaire ne sattarde pas sur sa naissance. Mais ce hros a une identit, un physique et une psychologie. Il est reconnaissable par ses mains docan, ses paroles dalizs et ses langues dalgues (p. 55). Ces trois mtaphores traduisent la grandeur du hros.
La premire mtaphore voque limmensit de locan et suggre une ide rcurrente dans la posie de Csaire, savoir le secret des grandes communications (p. 21) qui soppose ce rienellipsodal (p. 23) quest la Martinique. La deuxime, paroles dalizs, comme les alizs, apporte le parfum des mers, la fracheur aussi dun espoir. La troisime mtaphore, mes langues dalgue, semble rejoindre le courant laminaire dont il est question dans le dernier recueil.
Toutes ces mtaphores font de Csaire un tre exceptionnel. Mais, malgr ces atouts, le hros se trouve en butte aux multiples difficults qui, si elles ne lcrasent pas, lamnent tout au moins disparatre momentanment de la scne publique. Lcole semble tre le motif fondamental qui amne Csaire sortir de son terroir et partant sclipser pendant un bon moment. Le but de cette cole est en fin de compte, comme laffirme la Grande Royale, daller apprendre lart de vaincre sans avoir raison et lier le bois au
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bois pour construire des difices qui rsistent au temps6. Cest l une manire daller vers lennemi conqurir sa puissance, ou mtaphoriquement, daller voler comme Orphe le feu des dieux. Jean-Paul Sartre la bien compris quand il appelle Senghor Orphe noir7. Cette descente aux enfers marque ce quon nomme dans le cycle du hros loccultation. II-2 Loccultation
Loccultation correspond la priode dabsence du hros, conscutive une mort relle ou symbolique, avec pouvoir de rsurrection future. Cette absence du hros cre un vide prjudiciable la communaut. Et pendant cette priode, le hros affronte de dures preuves qui le conduisent une mort physique comme Jsus-Christ, ou une descente aux enfers comme Orphe. Simone Vierne, dans son analyse de linitiation, montre que la descente aux enfers marque la sparation du hros avec le monde profane, la monte au ciel ne lui tant pas un corollaire oblig. Or, lun des prils que rencontre le novice, cest de se perdre dans la nuit. Ce risque est aussi symbolis par le labyrinthe. La descente aux enfers prend donc toute sa valeur dans les initiations aux degrs les plus levs parce quelle symbolise laccs au divin et quon ne touche pas impunment un domaine interdit aux humains. Il peut tout aussi bien sagir daventures dangereuses mettant tout moment la vie du hros en danger comme celles dUlysse. Cette traverse du dsert, caractrise par la conjugaison dpouvantables menaces, requiert du hros un constant veil, un courage singulier, une endurance et une persvrance surhumaines.
6 Cheikh Hamidou Kane, LAventure ambigu, Paris, UGE, 1986, pp. 44 et 47. 7Orphe noir, prface lAnthologie de la nouvelle posie ngre et malgache de langue franaise de L. S. Senghor, 6e d., Quadrige, PUF, 2002, pp. IX-XLIV.
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ce titre, loccultation est loin dtre une simple clipse du hros, mais beaucoup plus un temps de linitiation. Cest en ces moments, temps de rudes preuves secondaires par rapport son rle social, mais non moins essentielles et rudes, que le hros affronte dans lombre une vie difficile qui semble ainsi le soumettre aux exigences cruelles dune existence exceptionnelle.
Csaire rentre au pays natal aprs une longue absence et se confond en excuses. Le lecteur des pomes le dcouvre pour la premire fois nous lavons soulign plus haut au vingtime tage des maisons les plus insolentes (p. 7). Cest l que, pris par une sorte de nause, il dcide de retourner vers les siens : Partir. Mon cur bruissait de gnrosit emphatique (p. 22). Il fait pratiquement une profession de foi pour son pays natal. Son absence est la manifestation extrieure dune dviation spirituelle et morale. On peroit une tentation dacculturation qui un moment donn a raison du pote. Le revirement soudain du pote na donc t possible que grce son enracinement son terroir et son inaltrable puret de cur. Il prend pour ainsi dire la figure christique. II-3 La manifestation ou lpiphanie
La manifestation ou lpiphanie correspond au retour triomphal du hros. Il se fait reconnatre par certains signes ou par certains actes clatants. Le rite de purification permet en effet au hros de se dbarrasser des impurets dont il a pu se charger sous dautres cieux. Ce rite est gnralement assur par des initis, trs souvent des anctres morts que sont les divinits ; tel nest pas le cas de Csaire. Il se purifie lui-mme et purifie le monde par leau et le feu.
Leau et le feu participent du symbolisme purificateur bien quils soient aussi tous les deux symboles de la destruction. Cette ambivalence des lments peut se
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comprendre dans la mesure o le pote martiniquais se purifie et dtruit le monde pour en construire un nouveau. Pour ce faire, il passe par lalchimie, acte noble des socits primitives. Dans lalchimie, le retour au chaos primordial est nettement indiqu par la rduction des substances la materia prima. Dans ce sens, linitiation rpte la gnration primordiale qui sort le monde du chaos et permet lapparition de lhomme la suite dun meurtre rituel. Pour Simone Vierne,
la figure mythique du forgeron-hros civilisateur africain na pas encore perdu sa signification religieuse du travail mtallurgique : le forgeron cleste () complte la cration, organise le monde, fonde la culture et guide les humains vers la connaissance des mystres.8
Tel est le rle que voudrait jouer Csaire non seulement pour la Martinique, mais aussi pour le monde entier. Cest la raison pour laquelle il engage son uvre alchimique : Et vous fantmes montez bleus de chimie dune fort de btes traques de machines tordues dun jujubier de chairs pourries dun panier dhutres dyeux dun lacis de lanires dcoupes dans le beau sisal dune peau dhomme. Jaurais des mots assez vastes pour vous contenir (p. 21). Notons que luvre alchimique ne se droule pas sur la place publique. Csaire rentre donc dans son laboratoire o il faudra passer par la mort pour trouver la vie. Le monde quil a pralablement dtruit va renatre sous une forme parfaite. Cest par le pouvoir des mots que le hros devra en effet raliser sa mission ainsi quil laffirme dans cette strophe : des mots, ah oui des mots ! mais des mots de sang frais, mais des mots qui sont des raz de mare et des rsiples et des flambes de chair et des flambes de villes(p. 33). Les armes que le
8 Simone Vierne, op. cit., p. 101.
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pote utilise sont bel et bien des mots car, il a ASSEZ DE CE SCANDALE (p. 32). Cest bien ce monde scandaleux quil se propose de dtruire.
Le point de dpart de lmancipation quentreprend Csaire est dordre gographique. Il ne saurait senfermer dans ce rien ellipsodal (p. 23) quest la Martinique, son le. Il brise les barrires gographiques pour se reconnatre dans tous les Noirs du monde entier qui ont la mme histoire et la mme culture que lui : Ce qui est moi. la gographie particulire des Antilles, Csaire oppose donc son originale gographie, la carte du monde faite (son) usage, non pas teinte aux arbitraires couleurs des savants, mais la gomtrie de (son) sang rpandue Dailleurs, cen est fait () de la vieille gographie (pp. 55-56). Le pote semble se reconnatre travers tous ceux qui, comme lui, ont souffert ou souffrent du fait de lesclavage, une seule couleur les unit, celle du sang rpandu par la diaspora ngre. Une fois les barrires gographiques brises, le pote peut entamer une rvolution : la vieille ngritude progressivement se cadavrise (p. 60). Ds lors, la docilit, la servilit devraient tre jetes aux oubliettes. Le pote engage une mtaphore, celle dun navire rong de lintrieur par ceux quil a avals ; et rien ne peut arrter la rvolution intestine : Le ngrier craque de toutes parts (p. 61)
Une fois le peuple redress, le pote entonne le chant de combat au rythme du tam-tam, le chant de gloire pour toute lAfrique. la fin, le capitaine Csaire fait le point pour dfinir la route de son navire. Il convoque tout lunivers, de lEst lOuest, du Nord au Sud.
Il devra inventer dautres moyens pour vivre, rduire lennemi au silence, et comme le chevalier du Moyen ge, recevoir non pas le chaste baiser de sa dame, mais celui de sa reine des crachats et des lpres (p. 52), cest--dire lAfrique. Le contexte historique dans lequel parat CRPN permet de croire que Csaire est un visionnaire. En 1939, lesclavage
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est certes aboli, mais on ne parle pas encore des indpendances.
Il apparat, au cours de la lecture de CRPN dAim Csaire, que le pote martiniquais se fait le porte-parole, non seulement des Antillais, mais aussi de tous les opprims du monde entier. Sa posie prend en compte tous les foyers doppression en mme temps quil leur promet des lendemains meilleurs. Cette nouvelle vision du monde passe ncessairement par un enseignement qui correspond laffirmation du pote. III- Lapport du hros pique au monde
Le hros pique saffirme travers son apport au monde. Le contexte sociopolitique a favoris lclosion de la parole chez les Ngres. Cest aussi en tant que homme politique que Csaire semble saffirmer. La place privilgie quil occupe au sein de sa socit lui permet de transformer son peuple par lducation et la formation ; par une pression sur lopinion nationale et internationale. Csaire a t un enseignant avant doccuper de hautes fonctions dans son pays. Ce double rle de pdagogue et dhomme public a influenc positivement sa vie dcrivain. Il aurait pu tout aussi faire sienne cette dclaration de Senghor :
Il ny a pas chez moi de contradiction entre la vie de Prsident de la Rpublique et la vie dcrivain. Jai limpression que si jtais rest professeur, ma posie aurait t plus pauvre, plus gratuite, car ce qui lalimente, cest la vie communautaire : celle de mon peuple. Dans cette posie, jexprime bien sr ma vie personnelle, mais je mexprime surtout en Ngre en Africain. Cest quand je suis la campagne, en relation directe avec les paysans,
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que je vis pleinement. Ma vie publique serait incomplte, parce que dun homme mutil, si je ntais quun crivain.9
La vie politique de Csaire intimement lie sa posie
apparat comme une tape dans la ralisation dun idal de culture. Professeur de lettres et dput de la Martinique, Csaire vit concrtement la misre de son pays. Il comprend et exprime mieux tous les problmes de son peuple. Mais cette vision slargit et trs tt dpasse les dimensions de son terroir. Le rle didactique commence avec lvocation de lcole occidentale en tant que systme, et senchane par lenseignement que le pote donne aussi bien aux Africains quau reste du monde. III-1 Lvocation de lcole occidentale
Lcole occidentale est voque dans son contenu et son efficacit. Du point de vue du contenu, lcole occidentale est linstitution o sacquirent des savoirs savants et o le jeune ngre intgre la culture occidentale. Cette cole est un systme balis avec des programmes qui doivent tre achevs avant le dpart en cong. Pour assimiler ces programmes, llve est tenu dapprendre ses leons par cur, quil les comprenne ou pas, au risque de se voir maltrait par lenseignant. Cest le mme traitement la mission o lenfant doit apprendre la catchse pour le salut de son me. Cependant, ni linstituteur dans sa classe, ni le prtre au catchisme ne pourront tirer un mot de ce ngrillon somnolent, malgr leur manire nergique tous deux de tambouriner son crne tondu, car, cest dans les marais de la faim que sest enlise sa voix dinanition (p. 11). Bien plus, les programmes paraissent inadquats dans la mesure o ils nont rien voir avec la situation du petit ngre, ils
9 Lopold Sdar Senghor, Posie de laction : Conversation avec Mohamed Aziza, Paris, Stock, 1980, p. 156.
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contribuent pour ainsi dire lloigner davantage de son terroir au profit de la civilisation europenne : un-mot-un-seul-mot, et je vous-en-tiens-quitte-de-la-reine-Blanche-de-Castille-, un-mot-un-seul-mot-, voyez-vous-ce-petit-sauvage-qui-ne-sait-pas-un-seul-mot-des-dix-commendements-de-Dieu (p. 12). Que veut-on que le petit ngre comprenne la Reine Blanche de Castille ou aux dix commandements de Dieu alors quil a faim ?
Sur le plan de lefficacit de cet enseignement, le doute persiste. Lcole occidentale na-t-elle pas t une forme dalination ? Ce quon y gagne vaut-il ce quon y perd ? se demande Cheikh Hamidou Kane. La rponse semble ngative, et cette alination apparat clairement dans les passages prcits. Csaire prend conscience de cette alination et prconise une nouvelle cole, celle des traditions. Les traditions, en effet, sont une source o sabreuve tout Africain et par- del tout homme. Ceux qui sen cartent de faon premptoire sont considrs comme des dracins. Ainsi, loin de rejeter totalement la culture occidentale, il y a lieu doprer un choix dans les deux cultures afin de construire un monde nouveau car, nous navons pas eu le mme pass () mais nous aurons le mme avenir, rigoureusement. Lre des destines singulires est rvolue.10 La nouvelle forme de guerre demande une stratgie adquate. Mme si lon a souvent voqu la puissance des canons, il est possible de voir ici ce que Csaire appelle les armes miraculeuses11 puisquil sagit avant tout dun art. Or, lart dans son sens premier est dabord science, savoir et puis moyen, mthode. Tous ces contours sont ncessaires pour sortir le Ngro-africain de limpasse o lHistoire la prcipit. Autrement dit, la nouvelle civilisation impose un choix des valeurs
10 Cheikh Hamidou Kane, LAventure ambigu, op. cit., p. 12. 11Les Armes miraculeuses est le titre dune uvre potique de Csaire, parue en 1961 chez Gallimard.
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universelles de civilisation trangre et un choix des valeurs universelles de la civilisation ngro-africaine.
Malgr le doute qui plane dans lesprit du pote sur lefficacit de lcole occidentale, il y relve des valeurs universellement reconnues telles que lengagement pour les causes justes, le syndicalisme et lamiti pour les pauvres. Ces valeurs universelles des civilisations trangres sont traites dans dautres uvres potiques de lauteur12 alors que CRPN sattarde sur les valeurs de civilisation ngro-africaine. III-2 Choix des valeurs universelles de civilisation ngro-africaine
La Ngritude est le fondement mme de la posie de Csaire. Son projet est la fois social et profession de foi qui entend promouvoir une nouvelle socit o viendraient se fondre harmonieusement les valeurs les plus imminentes de lAfrique et de lOccident, ce que Senghor nomme la Civilisation de lUniversel : Une seule nation sur une seule terre, et sanscouture13. Le pote a conscience de lhistoire positive, celle qui a fait la grandeur des peuples noirs : lorganisation de la socit, le faste des empires, des rois et des royaumes ainsi que la fidlit la parole donne. Ce qui
12 uvres potiques o sont traites les valeurs universelles des civilisations trangres : celles-ci apparaissent dans lvocation de certains noms :
- Moi laminaire : Saint John Perse, pote franais (Crmonie vaudou pour Saint John Perse) ; Louis Delgrs, dfenseur de la libert la Guadeloupe (Louis Delgrs) ; Ren Dpestre, jeune syndicaliste hatien. Il fut exil et se rfugia auprs de Fidel Castro pour servir la rvolution (Le verbe maronner) ; Alioune Diop, fondateur de la revue Prsence Africaine (Ethiopie) ;
- Ferrements : Paul Eluard, pote surraliste franais (Tombeau pour
Paul Eluard) 13Lopold Sdar Senghor, La Posie, (d. Complte des uvres potiques), Paris, Seuil, 1994, p. 331.
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justifie le sens du voyage initiatique qui lui permet de retrouver ses sources ancestrales. LAfrique noire que chante Csaire est celle des empires, des royaumes et des conqurants. Il en parle de manire ironique :
Non, nous navons jamais t amazones du roi de Dahomey, ni prince de Ghana avec huit cents chameaux, ni docteurs Tombouctou, Askia le Grand tant roi, ni architecte de Djenn, ni Madhis, ni guerriers. Nous ne nous sentons pas sous laisselle la dmangeaison de ceux qui tinrent la lance (p. 38).
Cet enseignement de Csaire surprend, choque et invite la fois la rflexion. Habitu lanantissement volontaire de ses actes et de son tre, le pote utilise la mme technique pour montrer ce qui fit jadis la grandeur de lAfrique. Leffet recherch est dattirer lattention du lecteur sur ces vrits indniables et lamener par consquent reconnatre que lAfrique, quoi quon dise, a une histoire comme tous les autres continents. Cette grandeur des peuples tait possible grce lorganisation de la socit traditionnelle respectueuse de sa hirarchie, gage de lharmonie entre les individus et dont le socle est lamour entre les hommes. Le dpositaire de la parole a par consquent une importance capitale dans la socit traditionnelle africaine.
Le pome Dyali 14 ddi Lopold Sdar Senghor exalte les mrites de cet tre exceptionnel. Csaire, linsulaire, part de sa situation gographique qui apparat trs souvent dans sa posie comme un handicap, pour opposer la parole du Dyali, voie par laquelle le peuple sortira des tnbres. Or, la parole tout comme le langage hritier du vocabulaire symbolique de la vue a pour
14Aim Csaire, Dyali , indit, in La Posie, op. cit., pp. 499-500.
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archtype la lumire ; cest elle qui prside la cration de lunivers si lon se rfre la Bible. Elle est aussi le bourgeon par lequel la socit crot, de ce fait, elle engage la socit dans une dynamique de progrs. La parole du Dyali devient une lumire dans la nuit dun monde enclin aux crises multiples. Ds lors, laction du pote se prcise :
Ma ngritude nest pas une pierre, sa surdit rue contre la clameur du jour Ma ngritude nest pas une taie deau morte sur lil mort de la terre Ma ngritude nest ni une tour ni une cathdrale elle plonge dans la chair rouge du sol elle plonge dans la chair ardente du ciel elle troue laccablement opaque de sa droite patience (pp. 46-47)
A travers cette dfinition, le lecteur redcouvre limage
de larbre si chre au pote. Celle-ci traduit le double mouvement de dpassement et denracinement. Le pote refuse de senfermer dans son le avec son cortge de misres. Il embrasse lunivers tout entier et entend apporter son message despoir partout o se trouvent encore des foyers doppression. Tourne vers lavenir, la race noire travers son reprsentant doit reconstruire lhomme en assurant la plnitude de son tre. On peut donc comprendre la prire virile travers laquelle le pote invite les peuples sunir pour une cause commune :
Vous savez bien que ce nest point par haine des autres races Que je mexige bcheur de cette unique race Que ce que je veux Cest pour la faim universelle Cest pour la soif universelle (p. 50).
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Senghor ne dit-il pas quil a voulu tous les hommes frres15, cette fraternit universelle devient pour ainsi dire le cheval de bataille du pote qui ne cherche qu intgrer son peuple dans lhistoire du monde. Or, cette fraternit universelle ne peut tre possible que si les hommes eux-mmes intgrent les valeurs fondamentales de toute socit humaine fiable que sont la fidlit et le pardon. Le peuple africain est certes en qute de son identit, mais il ne demeure pas moins vrai que lEurope blanche est coupable de la situation coloniale, le pote pose donc lacte ncessaire pour la construction du monde nouveau. Si les dgts de la colonisation sont normes, faut-il pour autant rejeter la civilisation occidentale ? Ironiquement, le pote rpond par la ngative : Piti pour nos vainqueurs omniscients et nafs (p. 48). Le pote martiniquais implore le pardon du ciel pour la race blanche. Certes a-t-elle vaincu la race noire par le pass, mais aujourdhui, les deux races devraient chanter lunisson, car, avons-nous dit, lre desdestines singulires est rvolue. Lemploi de loxymore omniscient et naf montre que la race blanche sest trompe lourdement dans la mesure o le monde actuel exige la complmentarit de toutes les races. Conclusion
Le parcours initiatique du hros pique dans CRPN dAim Csaire ainsi prsent ne remet nullement en cause les multiples tudes qui ont analys ce pome sous langle lyrique. Expression des sentiments dune gnration en qute de son identit, ce pome est avant tout lyrique. Toutefois, notre analyse montre que toute littrature des origines est une littrature pique linstar de la Bible, livre o sont consignes les origines du monde. Et comme au
15Lopold Sdar Senghor, uvre potique, Paris, Nouvelle dition du Seuil, 1990, p. 125.
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centre de toute pope se trouve un hros pique, Csaire entend jouer ce rle pour son peuple. Le voyage symbolique quil entreprend est une sorte de cure cathartique. Or, Simone Vierne considre la psychanalyse comme une forme moderne de linitiation16. Sous la conduite dun guide, lindividu explore linconscient et retrouve son enfance et les grands mythes des hommes. Cette rgression peut sassimiler une mort initiatique permettant une renaissance.
CRPN dAim Csaire retrace avec une dynamique particulire les images que lon rencontre sous forme de rituels et de symboles dans les initiations. Bien que cette initiation ne soit pas conduite par un guide externe, lanalyse du pome permet en effet de retrouver les trois phases que propose Simone Vierne. La prparation, marque par le dplacement du pote, peut tre considr comme une sparation avec la mre pour un placement sous lautorit dun tuteur, reprsent dans le pome par lcole. Les faits historiques remmors et lesprit de rvolte perceptible, nourrissent la veine pique prsente dans ce pome en vers libres. Cette phase marque bien le dbut de linitiation caractris par limmersion du pote dans lhistoire de son peuple. Aprs viennent les preuves de la mort, ce que nous nommons la mort symbolique du hros. Lanalyse permet de reconstituer le cycle du hros pique dans ses trois grands moments : la naissance, loccultation et la manifestation. Le voyage en effet symbolise la mort, tout au moins pour les siens. Durant cette mort initiatique, le pote reoit lenseignement ncessaire qui lui permet, non seulement de sintgrer dans sa communaut, mais aussi daccder la nouvelle naissance marque par son affirmation. Au terme de son parcours, le pote propose un enseignement lhumanit qui semble tre une dialectique
16 Simone Vierne, op. cit. p. 121.
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o les contraires sabolissent. Il y a comme une nouvelle naissance, car les antagonismes doivent et devront tre rsolus. Les tensions entre les deux civilisations occidentale et africaine, si elles ne sont pas effaces, peuvent du moins tre considres comme dpasses, assimiles et intgres une exprience existentielle. Csaire apparat donc comme un hros pique des temps modernes.