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Le parcours exemplaire d’un pêcheur basque:Jesús Larrarte Lecuona

Marc Larrarté

1922. La misère règne sur Fontarabie, très ancienne cité du Guipúzcoa. Certes, une évidente richessese manifeste sur le front de mer, où d’imposantes demeures mènent grand train et occupent du personneldomestique. Ailleurs, pauvreté physique et détresse morale. Les chants parfois inspirés, toujours entonnésavec conviction qui s’élèvent des cidreries où les pêcheurs tiennent leurs assises révèlent une folle déses-pérance: chanter ou pleurer est indifférent, l’important étant de crier. Cantando la pena, la pena se olvida,dira bientôt l’immense Antonio Machado.

Dans la famille Larrarte Lecuona, il ne s’agit même plus de misère mais d’une déroute intégrale. Cele-donia, mère au foyer, et Matías, vérificateur à la pesée, sont morts à quelques semaines d’intervalle.Matiàs avait toujours rapporté à la maison assez d’argent pour qu’on vécût dignement. Désormais, plusrien. Après l’intervention du curé de la paroisse, les quatre filles (Lucía, Valentina, Justina et María Begi txi-ki) et les quatre garçons (Anastasio, Jesús, Juanito et Bixente) ont été répartis dans différentes familles, dumoins officiellement. Mais la réalité est quelque peu différente. Observons ce qu’il advient avec le deuxiè-me garçon, Jesùs, onze ans: il suit de temps à autre l’enseignement d’un vieux maître handicapé connucomme maese cojo; le matin, il mène au pacage le bétail des personnes qui l’ont recueilli et il retourne lechercher à la tombée du jour; cela mis à part, nul ne sait comment ce Jesùs-là passe ses journées.

Nous le savons aujourd’hui. Il rôde en quête de quelque chose à vendre ou à manger: des figues quipendent à des branches débordant sur la rue; des pommes ou des cerises dont la cueillette impose de sau-ter un mur ou l’autre (quand il est surpris, Jesùs, espérant échapper aux réprimandes, s’invente un pré-nom, Krispín, qui lui restera, et une fausse adresse). Il retrouve son frère aîné Anastasio et tous deux cher-chent un petit travail à faire pour les commerçants du bourg, livrer des hameçons, trimbaler des sacs depatates ou d’oignons. Ils gagnent ainsi quelques perras chicas, quelques piécettes... Mais ce qui les inté-resse est d’aller à la pêche. Du temps même de leurs parents, ils ont découvert dans l’estuaire un batteladisjoint, enfoui dans la vase, grignoté par les étrilles. Ils l’ont remis en état de naviguer, sans lui donner lemoindre lustre, afin que d’autres impécunieux ne viennent pas le voler. Ils l’utilisent désormais pour cap-turer des zapateros (dorades grises Spondyliosoma cantharus), des louvines (bars Dicentrarchus labrax),des muges (mulets Mugil ramada) et des chipirons (encornets Loligo vulgaris) qui abondent dans la Bidas-soa et aux abords du cabo de Higuer et de l’ilôt Amuitz. Ainsi les garçons se procurent assez d’argent pourque leurs frères et soeurs mangent tous les jours et n’aillent pas le derrière à l’air. Quelques pêcheurs pro-fessionnels les aident, en leur abandonnant deux ou trois brasses de briña, une poignée d’hameçons, undemi-seau de tripaille pouvant servir d’appât. Peut-être sentent-ils que les frères Larrarte ont déjà la voca-tion halieutique.

L’idéal serait qu’un patron prenne Jesús ou Anastasio dans son équipage, en qualité de mousse. Maisaucun ne le peut. La pêche, activité principale du bourg (avec l’agriculture), comprend deux classes dis-tinctes. Primo, certaines embarcations à vapeur, mais aussi à voiles, des txalupa handi montées par treizehommes, appartiennent à des familles riches, également propiétaires d’usines, d’ateliers, de commerces etde fermes. Une bonne part d’entre elles travaille sur des pêcheries lointaines, Grande Sole, Rockall, etmême sur les bancs morutiers. D’autres pratiquent une pêche semi-côtière, rapportant des cerniers (Poly-prion cernium), des raies pocheteaux (Raja oxyrenchus) et tous les beaux et bons poissons de ce littoral.Pour être admis dans un tel équipage, il faut manifester des dispositions nautiques évidentes. C’est ce qu’iladviendra, dans deux années, à l’aîné, Anastasio Larrarte. Mais, en général, embarquent à bord de cesbateaux-ci les fils, petits-fils, neveux et frères cadets de ceux qui y naviguent déjà.

Secundo, il existe une quarantaine d’embarcations, itsas jendeen untziak, appartenant à ceux quipêchent. Armer de telles unités n’implique aucune aisance: deux frères, ou un père et ses fils, ont acquis àforce de sacrifices une barque à voiles de huit à douze mètres dont l’équipage est composé d’autresparents, de voisins et d’amis. Plus petits que les bateaux de riches, ceux-ci oeuvrent dans un état d’impé-cuniosité chronique. Les patrons doivent brader une partie de leurs captures afin que leurs fournisseurs les

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Marc Larrarté

laissent repartir en mer. La rémunération des matelots consiste souvent en poissons dédaignés par les ven-deuses professionnelles, les arrain saltzale qui vont à pied jusqu’à Vera de Bidasoa vanter et vendre Onda-rrabiko arrain bizi-bizia. Dans ce contexte de précarité, les patrons n’ont guère la possibilité d’embaucherun gamin qui ne soit pas de leur propre famille.

Voilà pourquoi les deux Larrarte, dans une épave de battela, renouent avec les gestes des anciens aux-quels les scientifiques ont rendu hommage en surnommant le cernier: Mérou des Basques. Et comme lesanciens, les deux gosses capturent de beaux et nombreux poissons.

1924. La bonne étoile de Jesús se nomme Rafael Aguirre. Ce réputé patron de Ciboure, dans la pro-vince française du Labourd (Lapurdi), a commandé une txalupa handi de treize mètres, championne pourles captures de sardine (Clupanodon pilchardus Walbaum). Il fonde de grands espoirs dans les sardiniers àvapeur qui commencent d’exploiter un filet nouveau appelé bolinche (bolintxa).

Ciboure, petit port au débouché de l’Urdaxuri (La Nivelle) constitue avec Socoa, avec Hendaye, la calede Guethary et le hâvre de Biarritz, un potentiel halieutique basco-français ridicule comparé aux nombreuxet vastes ports du littoral espagnol. Microcosme qui n’en attaque pas moins une double révolution pourlaquelle, estime Rafael Aguirre, il va manquer de jeunes gens courageux et motivés par la pêche. Alors cepatron avisé, sur le port de Fontarabie, demande aux uns et aux autres s’ils ne connaîtraient pas des ado-lescents aficionados a la mar.

La double révolution en question concerne l’usage de la bolinche et la motorisation généraliséedes embarcations. En fait, le filet droit maillant, sare geldia, survit encore par sa rustique simplicité:lorsque l’on a repéré des sardines aux abords du bateau (grâce à certaines montées de bulles, punpu-lloak, ou à certains éclats dans la pâle clarté lunaire), le bateau met à l’eau un panneau de filet quesoutient kortxuko arlinga, la ralingue des lièges, et qui tombe verticalement sous la tension d’une lig-ne de plombs, beruneko arlinga. De part et d’autre de cet écran, les matelots dispersent de la rogue,mélange d’oeufs de morue et de tourteau d’arachide. La sardine se précipite goulûment et se prenddans les mailles. La voilà captive. Il faut alors remonter le filet à bord, ce qui ne va pas sans peine. Ledémaillage du poisson s’effectue au port, procurant du travail à plusieurs kai gizon et kai emazte(hommes ou femmes du quai), qui le distribuent dans des paniers ou des caissettes afin qu’il soit pré-senté aux acheteurs.

Et là est bien le problème: le rustique sare gelgia ne sert qu’une fois par marée. Le progrès, c’estbolintxa, la bolinche, un filet tournant, une senne, améliorée sinon inventée par les Ondarrabitar en1917. Adoptée par les Cibouriens, elle a été très vite interdite par l’administration française: son effica-cité menacerait de détruire toutes les espèces pélagiques de la région. Quelques mois ont passé. Devantl’insistance des pêcheurs, la même administration accorde, en 1922, une dérogation: la bolinche estautorisée de la frontière espagnole à Vieux-Boucau, dans les Landes. Le résultat ne se fait pas attendre:les sardiniers de Ciboure, qui avaient seulement capturé 847 tonnes en 1921, débarquent 2735 tonnesen 1923.

Avec la bolinche, le pêcheur et le bateau sont plus actifs que dans le processus précédent. En présen-ce de sardine, repérée ou simplement devinée, deux matelots embarqués dans des plates minuscules dis-persent de la rogue pour la fixer et l’agglomérer. Tandis que les poissons se ruent sur ce festin, provoquantun bouillonnement très visible, le sardinier parcourt un cercle en dévidant la bolinche, un piège tendu ver-ticalement entre une corde de lièges et une autre de plombs, et dont la partie inférieure se ferme à l’aided’une coulisse de chanvre, zerra, qui court dans une succession d’anneaux de bronze, erreztunak. Sou-quer ce cordage et refermer le cylindre de mailles pour que les sardines ne s’échappent pas en plongeantest une tâche, urgente et pénible, que les matelots accomplissent sans aide mécanique. Ils s’efforcent jus-qu’à ce que l’ensemble des anneaux et le fond de la poche soient halés à bord. La masse de poissons étantalors captive, il reste à la distribuer dans des caissettes de bois, à l’aide d’une grande épuisette, salabarda.L’avantage de la bolinche est qu’elle peut être remise à l’eau pour capturer un nouveau banc de sardines,et encore un, etc...

Cette technique donne un coup de fouet à l’activité de pêche et de conserverie de Ciboure et Saint-Jean-de-Luz. On parle de construire de nouvelles usines (elles passeront, en dix ans, de sept à dix-sept).Des patrons, des usiniers, des particuliers se cotisent pour faire construire de nouveaux sardiniers. Ildevient urgent de recruter en Bretagne des femmes ayant l’expérience du travail posté, version françai-se de la taylorisation qui impose des tâches répétitives, tandis que les éléments du travail (sel, sardines,boîtes, huile, cartons...) arrivent sur un tapis roulant. C’est dans cette effervescence que Rafael Aguirreveut recruter et former un mousse qui pourra devenir un bon matelot et même un patron de pêchecompétent.

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La première personne interrogée fabrique des hameçons sur le trottoir de la calle San Pedro.

– Si conozco uno? répond l’amu egile. Voyez: descendez jusqu’au puerto chico. Vous verrez un bachotdéglingué avec plus d’eau au-dedans qu’à l’extérieur. Demandez au sacripant qui sera là s’il s’appelle Kris-pín ou Jesús. Celui-là sera votre homme.

Rafael Aguirre attend. Il apprécie l’accostage du gamin, qui a pêché une douzaine de zapateros, unelouvine de trois kilos et quelques autres poissons. Puis il l’accompagne à la ferme où vit officiellementJesús. Le Cibourien entreprend les tuteurs et la cause est entendue. Quelques jours plus tard, KrispínLarrarte Lecuona passe en France pour apprendre le métier de marin-pêcheur, sous l’autorité et la respon-sabilité du patron Aguirre, qui s’engage à lui procurer le gîte et le couvert.

Enrôlé en qualité de mousse, Jesús assimile avec ferveur. L’univers spartiate des hommes vigoureux etrustiques qui composent les équipages de chaloupes et de petits moteurs lui plaît. De temps à autre, il luiéchoit certes un belarri ondoko, une baffe derrière l’oreille, parce qu’il a laissé échapper un cordage ourenversé une caisse de sardines. Il n’en prend pas ombrage.

– C’est le métier qui rentre, commentent ses compagnons.

Il lui plaît tout autant, seul avec Rafael Aguirre à bord du Guynemer, de pêcher la langouste au casier,le merlu (colin Merluccius merluccius) et le congre (Conger conger) à la ligne à main, et d’apprendre à con-naître les entrelacs de roches et les hauts-fonds du littoral basque. Il aspire maintenant à embarquer sur ungrand bateau et connaître la pêche au thon.

La pêche du thon, précisément du thon blanc Thunnus alalunga, appelé germon par les Français, esten ce temps une merveille d’esthétique. Imaginez une txalupa noire de treize mètres avec ses deux mâtsdressés, arborant toute sa toile et courant au portant entre six et neuf noeuds dans la grande houle dugolfe de Biscaye (ou de Gascogne). De part et d’autre s’élèvent deux tangons qui écartent du sillage deslignes de différentes longueurs. A la poupe, maniant la barre avec la majesté d’un dieu antique, le patron.De ce tableau vivant, Kesus gardera du respect pour ceux qui se déplacent en mer sous l’impulsion duvent, parmi lesquels se trouvera l’une de ses petites-filles, régatière acharnée. A certaine époque, il seraquasiment le seul marin professionnel de Ciboure à créditer les plaisanciers, les voileux, de la même aficiònmaritime que lui avait supposée Rafael Aguirre.

Désormais recherché par des bateaux à moteur, le thon est un adversaire qui mérite certains égards.Les hameçons qui arment les lignes ne portent pas un appât, qui serait lavé ou même arraché par la vites-se, mais un leurre, un simulacre de poisson constitué à partir de suikiñak, les enveloppes de l’épi de maïs.Quelques artisans de Ciboure, Guéthary et Fontarabie se sont fait une spécialité de ces pseudo-feuilles (lessépales de la fleur de maïs, en réalité). Ils les font sécher, ils les brossent, les décolorent en les plongeantdans un bain de chlore, avant de les teindre de coloris violents et de les armer d’un hameçon de fort cali-bre. Dans le sillage des bateaux, ces leurres sont particulièrement attractifs. Ainsi fonctionne ce que lesGuipuzcoans appellent curricàn.

La sardine avec la bolinche, le thon à la traîne, l’anchois (Engraulis encrassicholus) également avec lefilet tournant, parfois le merlu, le rousseau (Pagellus erythrinus), la louvine avec apailluak, des lignes defond appâtées et tenues directement à la main, tels sont les poissons qu’affronte Jesús Larrarte pendantson temps de mousse. Les bateaux qu’il fréquente sont délibérément polyvalents: les patrons savent pas-ser d’une spécialité à l’autre, au gré des opportunités; ils souffrent donc moins que d’autres des méventesqui accablent épisodiquement la profession.

Des manifestations sociales opposent, en 1924 et 26, les équipages de sardiniers à leurs propres arma-teurs, qui sont aussi conserveurs, donc acheteurs de leurs poissons. Jesús observe avec circonspection. Leplus virulent, le plus cynique des usiniers, Pascal Elissalt, enivre les matelots de ses bateaux, de bistrot enbistrot, et leur commande ensuite de rejeter hors du port et même du Pays Basque les maudits marins Bre-tons arrivés voici peu... à sa propre demande. Pourquoi cela? Parce qu’il y a solidarité entre tous ces Armo-ricains, qu’ils soient venus faire la saison avec leurs propres bateaux (dont ils sont propriétaires) ou mate-lots des barques basques depuis quelques saisons; parce qu’il sent se lever contre les dirigeantsquasi-esclavagistes dont il est l’archétype un grand vent de révolte.

Jesús et les hommes de sa génération commencent à comprendre combien ces gens du nord, co-arma-teurs de leurs bateaux, sont en avance sur les arrantzale d’ici. Si quelqu’un sait accommoder à la modebasque les acquis sociaux de ces étrangers, la pêche cibourienne cessera d’être un sempiternel sous-prolé-tariat pour devenir une profession digne et rémunératrice. Bien sûr, cette prise de conscience ne s’est pasfaite sans aléas. Un grand syndicaliste parisien, Charles Tillon, s’est mêlé au conflit. Cela ne lui a pas por-té chance: il a perdu un oeil dans les échaufourrées. De cette époque, Jesús conservera une certaine

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Marc Larrarté

défiance vis-à-vis des mots-d’ordre généraux et des mouvements de foule. Il pensera que l’amélioration dela pêche doit venir du travail, de l’inventivité technique calmement débattue, de la solidarité, tout ceci axésur un humanisme du quotidien et préservé des idéologies. A son heure, et sans jamais claironner aucuneprofession de foi, Krispín apparaîtra comme un patron social, préoccupé du sort de ses hommes. Mais ils’étonnera toujours qu’on lui en fasse compliment.

Les quirats qui ont permis aux Bretons d’être propriétaires de leurs bateaux et de s’opposer sans crain-te d’être licenciés aux acheteurs de sardine, les quirats, donc, vont, dans les années 30, contribuer audéveloppement du port et à l’émancipation des pêcheurs.

Quirat, disons-nous. D’où vient ce terme que les Bretons utilisent abondamment? En France, l’usageen est apparu au17e siècle, quand Colbert (le ministre de Louis XIV qui créa le système de solidarité mari-time encore en usage de nos jours, les Invalides de la Marine), encourageait les épargnants à miser sur desbateaux de commerce. Mais qhirat, mot arabe, désignait, cinq siècles plus tôt, lorsque les Almoravidesétaient maîtres de l’Andalousie, les pièces de monnaie que des associés déposaient dans une jarre pourfinancer les échanges et trafics envisagés. Reprenant le même principe, le quirat français permet à plu-sieurs personnes d’entreprendre une oeuvre commune: construire, lancer et exploiter un bateau de com-merce ou de pêche.

Cette pratique de capitalisme populaire va revêtir à Ciboure un formalisme dépouillé. Les futurs asso-ciés (par exemple: un patron, un mécanicien, deux matelots, un boulanger et le coiffeur de la bourgade)se réunissent chez l’un d’eux ou, mieux encore, dans un café, territoire neutre. Ils commandent à boire.Dès que le garçon s’éloigne, chacun exhibe une enveloppe dans laquelle il a glissé ses économies. Il la posesur la table en disant: – Je mets tant d’argent; – Moi, dit un autre, telle somme; etc... Quelqu’un fait lecompte du capital disponible. S’il suffit à entreprendre la construction du bateau envisagé, on désigne undiruzain (trésorier, comptable), qui emportera tout l’argent dans un petit cartable, le gardera chez lui ou ledéposera dans une banque, comme il voudra, à condition de payer les sommes dûes à mesure de l’avan-cement des travaux. Mais, si la somme est insuffisante, les personnes présentes cooptent quelqu’un d’au-tre susceptible d’apporter le complément et d’être aussi quirataire. Pas de contrat écrit, on se serre la mainet ça suffit.

On peut s’étonner de ce que les armateurs des bateaux de pêche basco-français aient tardé à se servird’une forme aussi simple d’investissement. A leur décharge, il faut rappeler que la pêche a longtemps étédans cette région l’affaire des pêcheurs, pauvres, sans un franc d’économies, ou de financiers soucieux derendements. Pas de moyen terme, pas d’autre intervenant. Ce sont les Bretons venus pour capturer la sar-dine du golfe qui ont montré le rôle que pouvaient jouer les bas-de-laine et les cagnottes personnelles deboutiquiers, de professeurs, d’ecclésiastiques ou de dentistes en s’ajoutant aux économies des gens demer eux-mêmes. Si muchos pocos hacen un mucho, si les petits ruisseaux font les grandes rivières, lespêcheurs basques viennent enfin de découvrir le moyen de s’offrir des bateaux modernes et sûrs.

Nous sommes en 1931. Novice après avoir été mousse, Krispín Larrarte termine son apprentissage. Ilest prêt à passer matelot. Il est engagé par Dominique Echeverria (surnommé Xudur motza, nez court, un

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1931. Chaloupe àmoteur L’Etoile dont lenovice est Jesús Larrarte,appareillant de Ciboure.Au fond, à quai, unvapeur de l’armementPlisson.

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adversaire lui ayant croqué cet appendice au cours d’une rixe), qui constitue un nouvel armement avecquatre associés. Cette équipe va exploiter un bateau révolutionnaire construit par Nañi Hiribarren à Socoa,une pinasse de forme classique, à cul de trainière, de douze mètres mais propulsée par un moteur Couachde douze chevaux... à essence. Cette option surprend le milieu maritime cibourien, certes converti à lamécanique depuis que la famille Letamendia lança, en 1886, une barque performante: Les Trois Frères,mais persuadé que la machine à vapeur représente la perfection en ce domaine. Ce moteur thermique,dit-on, va être bruyant, malodorant, générateur de vibrations, difficile à refroidir. Et puis, est-il bien rai-sonnable de naviguer avec un hectolitre d’essence explosive sous les pieds?

En dépit de ces interrogations et de ces doutes, L’Etoile, durant quatorze mois, se consacre aux pêchesde surface (dites aussi pêches des pélagiques ou captures de poissons bleus) que pratique la majorité desgrandes unités du port, thon, sardine, anchois. De temps à autre, elle va tenter le merlu et le pageot auGouf de Capbreton, tout près d’ici. Au terme de quoi, les associés peuvent dresser un bilan: L’Etoile est unbon bateau mais, un peu trop petit et trop léger, il passe plus de temps qu’il n’est raisonnable en allers etretours entre le port et les pêcheries.

Pour pallier ce défaut, les quirataires, qui comprennent maintenant Jesùs Larrarte et trois matelotssupplémentaires (Bernard Manterola, dit Tomás, Albert Duzer et Henri Larreguy) passent commande d’unbateau neuf à Nañi Hiribarren. Ce sera L’Etoile II, dix-sept mètres, moteur Bolinders de deux cylindres etcinquante chevaux, à essence, une fois encore.

Devant le succès de cet armement, plusieurs patrons de Ciboure, parmi lesquels le réputé PascalZugasti, dit Pistolett’, adoptent des options comparables. Commence une ère d’émulation, d’essais, d’in-ventivité curieuse, comme si, enfin propriétaires de matériels efficaces, les marins se sentaient un peufous, légèrement euphoriques, moins préoccupés de thésauriser que de risquer et de découvrir.

Un jour de 1933, Albert Duzer repère dans le magasin bayonnais d’accastillage Sorin une cuiller ondu-lante américaine Record utilisée par les pêcheurs sportifs d’espadons, laquelle présente la forme et lesdimensions d’une banane. Quelques jours plus tard, avec cet engin traîné par quarante mètres d’un briñade chanvre prolongé par deux mètres de laiton, Krispín croche un thon rouge de trois-cents kilos à trentemilles dans le nord de Lekeitio. Après une demi-heure de lutte acharnée, freinant les sursauts, reprenant,tout ceci sans moulinet, évidemment, les doigts sciés en dépit des biraba (doigtiers) de feutrine, il amèneà contrebord le monstre que ses compagnons peuvent gaffer et embarquer. Dès cet instant, Jesús estimeque le traditionnel peita à base de suikiña de maïs va tomber en désuétude. Mais il se trompe: pendantplusieurs années, les tenants de l’un et l’autre artifices vont alterner les bons résultats.

Albert Duzer partage, lui, la conviction de son jeune équipier. Il retourne chez Sorin pour acheter tou-tes les cuillers Record disponibles. Mais le vendeur, astucieux, en conserve une et la propose, moyennantun prix exorbitant, à un Ondarrabitar nommé Segurola, qui fait confectionner des imitations aussi effica-ces que l’originale par différents artisans du port guipuzcoan.

1931. L’équipage deL’Etoile II. Au fond àdroite, Jesús Larrarte

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Marc Larrarté

Le scénario inverse se déroule peu après avec une cuiller carrée, concave, large comme une main, brillan-te, conçue par les Ondarrabitar, et copiée par les Cibouriens. Cet engin, on ne le traîne pas dans le sillage, onl’arme quand le thon rôde autour du bateau en dérive: on le jette à l’eau, il plonge et tournoie, on le reprend,on le relâche, et ainsi de suite jusqu’à ce que le cimarròn excité morde et que commence la bagarre.

Les bonnes captures de L’Etoile se répètent et se renouvellent: une fois cent petits thons rouges de dixkilos; une autre fois, deux ou trois pottolo de cent kilos et plus; ou encore cent-cinquante kilos de thonblanc hegal luzea...

Au cours de ces années 1930, les pêcheurs changent de bateau comme de chemise. Ils vendent desembarcations tout juste rodées pour en acheter ou mettre en chantier de plus performantes. Ainsi lematelot Jesús se retrouve bientôt co-armateur du sardinier Marianne de dix-sept mètres et moteur (diésel,cette fois) de quatre-vingt chevaux.

La guerre civile espagnole amène sur la côte basque française de nombreux réfugiés, parmi lesquelsdes pêcheurs de Biscaye et Guipuzcoa, mais aussi de Cantabria, des Asturies et de la Galice, ceux-ci étant,en dépit de la péjoration attachée à leur origine (quítate de ahí, Gallego! veut dire: ne touche à rien, mala-droit, tu vas tout démantibuler!) des marins particulièrement efficaces.

Curieusement, les frères de Jesús (Anastasio, Juanito et Bixente, celui-ci promis à une mort terrible àl’âge de vingt-et-un ans, victime d’un tétanos provoqué par une piqûre de rascasse) ne manifestent aucu-ne envie de s’installer en France:

– Nous avons ici notre famille et nos amis, disent-ils. Certes, nous ne vivons pas au paradis, mais notreheure viendra, comme viendra le moment où ce pays aura besoin de la compétence de tous ses fils pourse développer.

Jesús vient d’obtenir la nationalité française (il s’appelle désormais Jésus Larrarté, avec des accents surles É, mais on dira toujours Jesús, voire Kesús – diéchouch’ ou kéchouch’ –) quand débute la deuxièmeguerre mondiale. Il est immédiatement mobilisé en compagnie de son ami cibourien Maiz egarri (souventassoiffé, tel est son surnom) et plusieurs autres. Avec le navire de transport El Mansour (le victorieux, enarabe; admirons l’ironie de ce nom, à la veille d’un écrasement des armées françaises), il dépose et embar-que des troupes à Glasgow et Greenok, Ecosse, comme à Dakar, Sénégal où il passe quelques mois, cuisi-nier à la base aéro-navale de Bel Air.

Démobilisé, il revient à Ciboure. Il épouse Mercedes, fille de Bentxan Cerciat, mécanicien de la bellepinasse Marie-Rose que construisit en 1934 Nañi Hiribarren de Socoa pour les pilotes de Saint-Jean-de-Luz, et de Marianne Ochoteco, arrain saltzale, vendeuse de poisson qui, dans sa jeunesse, allait à pied jus-qu’à Sare, à vingt kilomètres par le col de Saint Ignace, vantant les qualités du thon pêché à Ciboure, unthon dont le sang coulait sur son visage et sa poitrine puisque, à l’instar de ses compagnes, Mariannetransportait sa marchandise dans un couffin en équilibre sur sa tête. Mercedes Cerciat est filetière duLohitzun, un sardinier appartenant à l’armateur Fargeot de Saint-Jean-de-Luz. Anecdote: elle est née le 18septembre 1921, dans la belle maison flamande de Ciboure (Estebania) où naquit, quarante-six ans avantelle, le compositeur Maurice Ravel, auteur de l’archi-célèbre Boléro.

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1940. Mercedes Cerciat,future épouse de JesúsLarrarte, à gauche, etson amie Lolita Zugasti,fille du célèbre patronPascal Pistolett, ramen-dant un filet dans l’ate-lier de M. Fargeot, arma-teur du sardinierLohitzun.

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Krispín s’imaginait renouer avec son équipage et reprendre la pêche. Mais non. Les occupants alle-mands réquisitionnent son bateau qu’ils arment d’un canon contre les patrouilleurs anglais. La situationest dramatiquement simple: – la pêche en haute mer est interdite; – la pêche côtière est autorisée, assor-tie d’énormes sujétions et contraintes; – les rares bateaux de plus de dix mètres qui, parce que vétustes etlents, n’ont pas été réquisitionnés, pourront pêcher la sardine dans une bande côtière d’un mille et demi;mais leurs captures seront achetées, à un prix qu’ils décideront eux-mêmes, par les intendants allemands.

Résolu à ne pas travailler pour le roi de Prusse, Jesús arme son batteliku de cinq mètres, simplementappelé Jesús, ce qui lui apporte un avantage imprévu. Les Allemands ont tendu des câbles et des chaînesentre les quais et les estacades du port. Ce piège ne s’ouvre que le matin, sous la surveillance de soldatschargés de noter les canots qui prétendent sortir. Chaque patron-sans-équipage, comme disent avecamertume les pêcheurs, crie le nom de son embarcation. Le vert-de-gris note et le marin peut appareiller.Mais l’Allemand ne comprend pas toujours des noms compliqués comme Maiatzeko lorea, Primaderakolorea, Egarri gabe sekulan (Fleur de Mai, Fleur de printemps, Jamais altéré). Il demande au marin de répé-ter, il exige de voir l’inscription portée sur la coque, tout cela fait perdre du temps. Pour Krispín, c’est plussimple: il clame Iééézouss! deux ou trois fois. Le soldat finit par entendre, il confirme: Iééézouss! et ilaccorde l’exeat tant espéré. Chaque bateau doit être rentré avant que le soleil soit couché. Un soir, un sar-dinier retardataire tente de forcer le passage. Il se prend dans un câble métallique et chavire. Ainsi meurtun mousse de quinze ans.

Le 6 juin 1944, les troupes alliées prennent pied sur le sol de Normandie. La libération du territoirefrançais, la Libération avec L majuscule, commence. Le 22 août, les Allemands évacuent Ciboure. Unecérémonie ridicule, organisée par quelques imbéciles qui faisaient dans leurs culottes et se prétendent toutà coup Résistants de la première heure, finit d’écoeurer les arrantzale. Tournant le dos à ces Tartuffes, ilsretournent à leur domaine. En mer, le courage et la ténacité ne se maquillent pas.

Ce que l’on appelle alors dommages de guerre (il s’agit en réalité de leurs compensations; les domma-ges, ce sont les dégâts provoqués par les Allemands) pour une part, et les quirats déjà évoqués d’autrepart, vont accélérer la recontruction de la flotte et le nouveau développement de la pêche basco-françai-se. Ceux-ci, les quirats, prennent alors trois formes principales: 1°– plusieurs marins et personnes du voisi-nage réunissent des économies sensiblement égales et se partagent la propriété du bateau; 2°– deux,trois, quatre marins ou plus s’associent à un important investisseur terrien (un conserveur, un commerçant,un fonctionnaire...), la coutume voulant que les gens de mer demeurent majoritaires dans le capital; 3°–suivant un protocole très strict, comparable au processus de portage utilisé dans les petites et moyennesentreprises d’aujourd’hui, un investisseur riche (aberatsa, disent les Cibouriens) achète et paie entièrementle bateau; ensuite, les quirataires marins lui remboursent peu à peu leurs quote-parts. Le riche peut resterassocié minoritaire ou solder ses parts et contribuer à financer la construction d’un nouveau bateau avecd’autres personnels navigants.

Une parenthèse qui nous projette dans l’avenir: Georges Olascuaga, qui bénéficie d’un tel portagepour l’acquisition de son thonier Sainte Thérèse s’en souviendra dans les années 1980, après qu’il aurapris sa retraite; pour relancer une flottille vieillissante, il reprendra ce principe; mais une coopérative demarins fondée par lui, Hegokoa, jouera le rôle de porteur naguère tenu par des riches, pour soutenir lesjeunes patrons candidats à la fonction d’armateur. Il faudra un jour consacrer à ce pêcheur modeste la bio-graphie qu’il mérite.

La reconstruction du potentiel de pêche étant une nécessité vitale, le contexte fiscal et social de l’épo-que est très incitatif. Le Ministère des Finances ignore de manière délibérée les véritables bénéfices despêcheurs. Pour imposer ceux-ci, il considère seulement des rémunérations théoriques, établies chaqueannée par l’administration pour le calcul des retraites et des prestations-maladie: les salaires forfaitaires. Arevenus comparables, les pêcheurs paient donc des impôts moins élevés que les ouvriers d’usine, les fonc-tionnaires ou les agriculteurs. L’argent qu’ils ne versent pas à l’Etat, ils peuvent l’investir dans leurs bateaux.

Mettant à profit ces facilités, Kesús Larrarté commande un sardinier de 17 mètres, Jean Claude, avecdix associés identifiés comme Palli et compagnie. Retenons cette formule typiquement basque: lorsquel’on s’approche d’un groupe qui discute, on identifie l’un de ses membres (supposons: Palli, le père d’unfutur champion de golf) et l’on déclare à voix haute: – Agur! Palli ta konpañia. Chaque membre de l’as-semblée se considère alors salué personnellement avec tous les égards qui lui sont dûs.

En 1948, Pantaleón Izarraga, dit Gatu arraña, associé de l’ex-constructeur naval Vincent Letamendiadans l’exploitation du Bidassoa, un sardinier lancé en 1929 par Nañi Hiribarren de Socoa, cesse son activi-té professionnelle et prend ses Invalides. Le mécanicien Sébastien Retegui et Krispín rachètent aussitôt sesparts et celles de ses proches.

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Marc Larrarté

Le Bidassoa, bien qu’il ne mesure que dix-sept mètres et ne développe que170 chevaux, sera un ba-teau de haute mer. Ses campagnes le conduiront au loin, jusqu’en Galice et en Bretagne, dans une activi-té que l’on commence à considérer comme une chasse, un safari au thon blanc hegal luzea. Mais sessuccès les plus notables impliqueront la pêche sardinière et son humanisation grâce au véritable climatfamilial qui régnera à bord. En 1949, pour expliquer comment ses hommes conservaient force et bonnehumeur en dépit d’un travail pénible, Kesús confiera ceci:

« – Nous sommes une sorte de famille. Tiens, le repas, par exemple. Assez souvent, sa préparation jus-tifie un acte de pêche particulier, un entracte, une récréation, pour mieux dire. Le coq (le cuisinier) décideque l’on ne puisera pas dans les vivres fournis par l’avitailleur Pontaut de Ciboure. On ne va pas non plusmanger ce qu’ont préparé les maîtresses de maison, tu sais, ce que nous apportons dans des potteraémaillés entourés d’une serviette et accompagnés d’un demi-pain, une bouteille de vin, un morceau defromage et deux fruits, tout cela contenu dans otarrea, le panier en lames de chataignier de chaque mate-lot. Non, nous allons manger du poisson frais. Le bateau fait donc un détour vers une basse (un haut-fond)appelé Mendi Azpia, devant la falaise de Bidart. Et les hommes mouillent des lignes à kraba.

– Des crabes? Vous pêchez des crustacés avec des lignes et des hameçons? s’étonne le questionneur,confondant le mot basque kraba avec le terme français crabe.

– Ezetz, haurra! Les crabes se disent xamar ou txangurro. Nos kraba (Serranellus cabrilla) sont des pois-sons de roche de la famille des Serranidés, une variété de mérou, si tu préfères, mais de petite taille.

– Ah, d’accord. Et alors?

– Quand le coq estime que nous avons assez pêché, il allume son fourneau et le bateau reprend sacampagne.»

A cette époque, le cuisinier du Bidassoa est un jeune Cibourien surnommé Blanc-blanc à cause de sonteint noiraud. Sa tache n’est pas bien commode (la cuisine est un réduit vraiment éxigu derrière la passe-relle de navigation) mais il ne se plaint jamais et demeure au contraire toujours prêt à plaisanter.

«– Fonds d’huile, poisson tronçonné, bouillon aux herbes, pain et patates constituent les ingrédientsdu jour. A juste cuisson, le coq touille une dernière fois et pose le tupiña au milieu du pont, sur le capot dela cale ou la sole d’une plate retournée. Et chacun vient se servir. On appelle ça: manger baltxan, en pui-sant dans le pot commun. Chacun, en commençant par le patron, en finissant par le mousse, prend la pla-ce de son choix puis pioche avec la cuiller de service pour garnir son guignon de gros pain évidé ou sonécuelle. Une fois la cuiller plongée dans le pot, il faut l’amener vers soi, puiser dans sa propre direction,sans choisir, sans regarder. Tant pis si l’on tombe sur un avorton farci d’arêtes alors que l’on a pêché etfourni un beau kraba charnu. Celui qui enfreint ce code reçoit du patron un bon coup de manche de cou-teau sur les phalanges.

Je ne sais pas si cet usage va perdurer, conclut Jesús. Certains de mes collègues estiment que l’on pas-se trop de temps à ce divertissement. Si cette habitude disparaît, ce sera dommage. Et l’on mangeradavantage de viande à bord, probablement. Car, c’est bien connu, un pêcheur n’achète pas facilement dupoisson. Il le capture lui-même ou il consomme autre chose.»

La sardine s’apprête à jouer un mauvais tour aux pêcheurs de Ciboure. Très logiquement, puisque peupêchée pendant l’Occupation, elle a abondé à la Libération. Les marins se sont empressés de reconstituerla flotte détruite, les usiniers ont relancé leurs chaînes, les femmes de la bourgade ont repris le chemin dutravail à l’appel des sirènes annonçant d’importants arrivages. Le port est à la veille de supplanter Douar-nenez pour le titre, honorifique, certes, mais révélateur d’une économie gaillarde, de premier port sardi-nier de France. Les pêcheurs harcèlent les pouvoirs publics pour que soient entrepris des travaux et cons-truits des équipements correspondant à cette situation: une criée moderne, une station de mazout dignede ce nom, une fabrique de glace en paillettes, un pesage moderne. Les plus optimistes parlent d’agran-dir le port en déplaçant le pont routier, de planter des grues et des lampadaires, d’acheter des chariotsmétalliques pour transborder les caisses, d’installer des plateformes de levage, des rouleaux pour le débar-quement des filets... tous travaux qui seront entrepris dans dix ans!

C’est le moment précis où le petit Clupéidé d’argent se raréfie. Les 3700 tonnes annuelles, peu ouprou, des premières années de liberté tombent soudainement. Les captures de 1950 résonnent comme unglas: 375 tonnes! La folle joie, les espoirs, la volonté de reconstruire un monde juste et prospère semblentcompromis. Les professionnels s’interrogent, ils harcèlent les scientifiques de l’Office des Pêches (Office,plus tard Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes, aujourd’hui IFREMER). Jesús et certainspatrons émettent qu’ils ont été trop gourmands, que les pêcheurs, et lui-même le tout premier, auraient

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dû gérer la production de ce bout d’océan qu’ils désignent comme golkoa, le giron, ou plus fréquemmentencore comme baratzea, le jardin. D’autres pensent que la mer est tellement vaste qu’elle en est inépuisa-ble, que la cause est ailleurs.

Habitués à miser sur plusieurs tableaux, les conserveurs de Ciboure commencent d’installer des suc-cursales au Maroc, à Safi et Agadir, de manière à pouvoir fournir leur clientèle même si la dégradation per-siste. Une grande incertitude règne, du moins tant que dure l’hiver, saison de la sardine locale. Car le prin-temps ramène, lui d’autres projets, et ceux-là sont franchement exaltants.

Voici près d’un an, deux personnalités de la ville ont invité certains patrons-pêcheurs supposés particu-lièrement influents au Sélect, l’un des quatre cinémas de Saint-Jean-de-Luz, pour une séance un peu par-ticulière.

«– Il s’agissait d’Albert Elissalt, évoquera Krispín, le fils du conserveur qu’avaient défié les grévistes bre-tons de 1926, et de son beau-frère Gaston Pommereau, dirigeant d’une autre conserverie (les EntreprisesMaritimes Basques, installées à Socoa), des personnalités très sérieuses, compétentes. Nous avons étéd’autant plus étonnés par le film qu’ils nous ont montré: une plaisanterie, une galéjade. Nous voyions destypes propres et élégants comme des touristes, shorts, chemisettes, casquettes de toile, agiter des cannesà pêche de deux à trois mètres et arracher à la mer, sans effort apparent, des dizaines de thons, à unevitesse folle. Nous étions tous pliés de rire: quels grands enfants, ces Américains! Mais pour la réalisation,chapeau! c’étaient les rois du trucage.»

Les patrons de pêche se trompaient. Il n’y avait aucune tromperie. On venait de leur montrer une réa-lité qui allait bouleverser leur existence: la pêche du thon à l’appât vivant.

«– C’est une pêche en deux temps, devait leur expliquer Albert Elissalt. D’abord, le bateau doit s’emparerde sardines, d’anchois ou de chinchards (Trachurus trachurus), tout à fait classiquement, à l’aide du filet bolin-che. Ce poisson, au lieu de le mettre en caisses pour le vendre, on va s’efforcer de le conserver vivant, dans desréservoirs peints en blanc et abondamment oxygénés. Ensuite, ce peita (puisque l’on va reprendre pour cetappât le nom des leurres en paille de maïs) on va le proposer au thon. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire.»

On connaît une dizaine d’espèces de thonidés. Celles que Kesús et ses hommes ont déjà pêchées senomment Thunnus thynnus, le thon rouge qui peut atteindre des tailles et poids importants, et Thunnusalalunga, le thon blanc germon aux nageoires latérales en faucille (hegal luzeak). Plus tard, les pêcheurs deCiboure captureront sous les tropiques le Thunnus obesus, patudo ou begi handi, le Thunnus albacares ànageoires jaunes et le Katsuwonus pelamis, listao ou skipjack.

Tous ces animaux ont des caractéristiques communes qui vont permettre aux Basques de les capturer:– ils sont migrateurs, ce qui revient à dire qu’ils empruntent les mêmes routes à intervalles réguliers; – ilssont organisés et même hiérarchisés en bancs; – ils se déplacent en surface durant la journée; – au petitmatin, affamés, ils attaquent à grand bruit les bancs de sardines qui, par ailleurs, sont harcelés par les oi-seaux de mer.

Voilà, le décor est planté. L’action peut commencer. Nous sommes en mer. Le bateau fait route. Juchéssur ses parties élevées, mâture et toit de la passerelle, les matelots observent les oiseaux et l’état de la mer.Des plongeons répétés indiquent soudain la présence de poissonnets acculés à la surface par de gros pré-dateurs qui les attaquent par-dessous. Mais il y a d’autres signes. C’est peut être une nappe huileuse quidépare une mer par ailleurs clapoteuse. On appelle cela leguna: les thons repus se reposent sous leursdéjections huileuses. Ailleurs, au contraire, un crépitement, un bouillonnement perturbe la surface: bal-baia ou sardara, dû à la présence de thons pris de frénésie. Ces manifestations échappent généralement àl’oeil d’un néophyte; pas à celui d’un pêcheur d’ici.

Le bateau se laisse dériver sur le banc. Il a branché de fins jets d’eau qui vont brouiller la surface, empê-cher les thons de deviner le danger, et simuler le frétillement de poissonnets pris de panique. Cependant,à bord, le peitero distribue à ses compagnons des poignées de peita tirées d’un vivier. Et, à l’aide d’uneépuisette, il en balance des rafales vers le banc de thons, que tangente maintenant le bateau.

Dans la coursive tribord, les hommes ont empoigné de fortes cannes de bambou. Pas de moulinet,bien sûr, un simple gut bien costaud et un gros hameçon que l’on passe sans état d’âme dans le ventred’un anchois, d’une sardine, d’un chinchard, et que l’on met à l’eau.

On n’a pas longtemps à attendre. Un thon a mordu à cet appât-là, comme il aurait mordu à l’un deceux que balance le peitero. Le marin crie: – Tenk!, relève sa canne et attire le thon le long du bord. L’unde ses camarades s’approche avec un croc à long manche (krokua, gantxoa), gaffe la bête et l’amène pres-tement sur le pont. Puis il retourne assister le prochain copain qui criera: – Tenk !

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Marc Larrarté

Ici, là, d’autres thons ont mordu. L’action s’accélère. Bientôt les poissons, saisis de frénésie, happentmême les hameçons nus. Les matelots travaillent avec précision, sans précipitation, calmement et vite. Pasun geste de trop. Pas un mot, si ce n’est sous l’effort ou l’exaltation. La coordination est parfaite entreceux qui relèvent les cannes, ceux qui gaffent et remisent les poissons. Et puis, pour une raison mystérieu-se, ça ne mord plus, tout s’arrête en quelques instants. Les thons qui nagent encore sondent et disparais-sent en profondeur. Une ou deux tonnes de leurs congénères ont été capturées. Le pont est poissé d’unsang noir et corrosif. Entre les claies qui compartimentent l’arrière du bâtiment crépitent des coups dequeues désespérés. Les matelots achèvent ces survivants à coups de matapitx, des gourdins à poignéesergonomiques qu’ils ont sculptées pendant les heures de route. Ils ne font pas ça par sensiblerie mais parintérêt: un thon dont l’agonie se prolonge sécrète de l’histamine, une toxine qui abîme sa chair et lui don-ne un goût désagréable.

Bien sûr, on n’en est pas là quand les patrons de pêche se quittent après la projection et les explicationsdes deux usiniers. Mais, tout de même, l’idée va son chemin. Plus d’un marin se souvient alors du dépitqu’il éprouve quand, pêchant à la ligne de traîne, il prélève seulement quelques thons dans un banc pour-tant copieux. Ici, c’est un autre rendement! D’autres se rappellent aussi que, lorsqu’ils ont amené un petitbanc d’anchois le long de la coque, ils ont vu tournoyer des thons autour du filet, et sont même parvenusà les pêcher alezian, c’est l’expression consacrée. En somme, les pêcheurs basques ne sont surpris qu’àdemi. C’est le côté organisé de la pêche américaine et son apparente facilité qui les ont troublés. Mais,attirer le thon avec des poissonnets vivants, ils connaissent déjà.

En homme qui adapte ses actes à ses convictions, Pascal Elissalt équipe sa pinasse Marie Elisabeth pource nouveau métier. Il la dote, notamment, d’une inesthétique protubérance au milieu du pont avant: unvivier de bois destiné à préserver l’appât. Quelques patrons font comme lui. Très vite, ils comprennent quele film américain n’a pas tout montré. Il reste beaucoup à apprendre. Mais les Cibouriens s’y mettent vite.Le poissonnet conservé dans le vivier meurt très vite: on en met moins, on fait circuler de l’eau fraîche, onpeint les parois en blanc, et ainsi de suite. Chaque problème suscite une réponse rapide chez ces hommesque l’aventure émoustille.

Une saison encore, Kesús et son associé le mécano Sébastien pêchent à la ligne de traîne. Et puis, ilsfont comme tous leurs camarades. C’est ainsi qu’à son tour Bidassoa est alourdi d’un gros vivier de boisqui donne à cette coque élégante un vague air de château médiéval. Et l’on pêche. Deux étés ont suffi: lalive bait fishing des pêcheurs californiens a été adoptée, adaptée et maîtrisée par les pêcheurs basques deSaint-Jean et Ciboure, comme elle va l’être par ceux de Fontarabie, Pasajes, Guetaria et Lekeitio, qui sontleurs amis et souvent leurs parents.

La sardine était un poisson populaire, pratique (salée, séchée, mise en boîte), relativement bon marché,qui trouvait son débouché auprès des ménages et des armées en campagne. Le thon est un mets plus raf-

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1950. Le thonierBidassoa de 1929,après sa transforma-tion pour la pêche àl’appât vivant. Lagrosse caisse inesthé-tique sur le pontavant est un vivier.

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finé, que la mise en conserve va permettre de figurer à la table de gens modestes. Un énorme marchés’ouvre aux pêcheurs du Pays Basque. Alors, pour le pêcher, ce poisson-roi qui promet une vie moins alé-atoire, et qui fera même quelques fortunes, on s’équipe.

Les infrastructures portuaires? Elle serviront à cette nouvelle espèce, il suffira de les adapter. Les ba-teaux? Ils vont s’agrandir, se moderniser, s’équiper de cuisines dignes de ce nom, d’un carré, et même dedouches et de cabinets! Mais, pour l’essentiel, il seront dotés de grands et gros viviers, d’une cale à glacede plusieurs mètres cubes, de moteurs puissants et endurants. Car le thon, on le pêchera parfois derrièrel’Artha, la digue majestueuse qui protège la baie de Saint-Jean-de-Luz, mais il faudra aussi le pourchasserpendant des jours et des jours à plusieurs dizaines de milles du port.

Quatre années passent. Le port basque évince largement Groix, Yeu, Etel, jusqu’ici réputés pour leurscaptures thonières, et qui viennent à peine de renoncer à leurs vieux dundees à voiles. Et ce n’est qu’undébut. Les patrons de pêche rivalisent de savoir-faire. Cela n’a rien d’étonnant: ils vivent quasiment les unssur les autres. Ce que sait ou fait l’un, les autres l’apprennent et le reproduisent bien vite. Il en est un, toutde même, qui se distingue de la troupe. C’est un ami et un voisin de Kesús, un grand istrak au visagemoqueur ombré par un béret pointé de l’avant, à la manière d’une casquette de voyou: Bégnat Josié. Dansla rue, les Cibouriens râblés et courtauds comme Krispín ou Antton Itoiz, les gros baraqués comme Arbideou Koxé-Mari Salha se dandinent et vont au roulis. Bégnat, lui, avance d’un pas d’échassier nonchalant,avec une sorte de tangage. D’un mouvement d’épaule, de temps à autre, il équilibre un otarre qui pend àla saignée de son bras.

Avec le Roi du Jour, une chaloupe à moteur de dix-sept mètres, il a, comme tous les autres, pêché lethon à la ligne de traîne. C’était un bon patron. Il montrait du flair et une grande science de l’eau. Puis ila manifesté un intérêt discret pour la pêche à l’appât vivant. Il ne s’est pas jeté comme un fou sur cettenouveauté. Il sentait qu’il y aurait une période d’ajustement. Il s’est lancé avec la deuxième vague. Trèsvite, il a maîtrisé cette méthode. C’est simple: il voit tout, tout de suite, avant tout le monde. Il a analyséla situation et donné l’ordre de pêche quand les autres patrons s’interrogent encore. Il sent même, d’unemanière qu’il ne veut ou ne peut expliquer, dans quel secteur d’une mer apparemment uniforme apparaî-tront les indices. Il s’y rend, il observe, il pêche. Les thons et lui sont de connivence, prétendent certainspatrons de Fontarabie: – El tío Beñat lleva citas con el bonito, hasta se lo va ligando ou encore: Gizon tzarhori baik egalak.

A Ciboure, on prétend simplement que Bégnat ne se noiera jamais. Il est tellement surveillé que, s’il venaità faire naufrage, il serait repêché sans attendre. C’est désormais un nouveau bateau que les observateurs dev-ront suivre: le Bégnat de dix-huit mètres, tout récemment sorti du chantier Grégoire Marin de Ciboure.

Dans l’ordre désormais pressé des constructions neuves, c’est Krispín Larrarté qui aurait dû inaugurerson bateau. Mais la difficulté de trouver une longue pièce de quille pour le futur Bidassoa II a retardé lamise en chantier. Finalement, Vincent Letamendia a prié son ami Monsieur de Coral, propriétaire du châ-teau historique d’Urtubie à Urrugne (château d’où partirent, à la fin du 16e siècle, les rumeurs de sorcel-lerie qui allaient faire juger et brûler plus de six cents personnes dans la contrée) d’abattre l’un des chênesmulticentenaires de son parc. Encore le fût ne mesure-t-il pas les quatorze mètres requis, et les frères Hiri-barren devront-ils assembler la quille en deux parties.

Dans le petit bureau de leur chantier sont réunis les frères Hiribarren, fils du célèbre Nañi et, commelui, charpentiers de marine, ainsi que Vincent Letamendia, Sébastien Retegui et Jesús Larrarté. Ces troisderniers viennent de passer commande d’un sardinier-thonier de dix-huit mètres de forme traditionnelle àcul de trainière. Letamendia, ingénieur civil, ancien constructeur naval lui-même, est chargé de suivre l’é-volution du travail. Pendant ce temps, Sébastien et Jesús continueront de naviguer avec le Bidassoa. Avecsuccès, puisque la vieille barque de 1929 manquera de chavirer sous le poids de ses dernières captures.

Avant toute chose, Vincent Hiribarren va façonner une demi-coque réduite. Il ne travaillera pas surplans, mais en adaptant les indications et les exigences de l’armement à sa déjà longue expérience. Il de-vra notamment faire en sorte que la coque puisse contenir quatre viviers de vingt-deux mètres cubes pourla conservation de l’appât, désormais nécessaire à la capture du thon.

Cette maquette sera sculptée au couteau dans un bloc de sapin. Un bloc, ce n’est pas le terme exact:il s’agira d’une juxtaposition de planchettes épaisses d’un centimètre solidarisées par des chevilles. Pour-quoi des tranches de bois? peut-on se demander. Pour pouvoir en disposer séparément. Ce sera commo-de pour en agrandir les contours à l’échelle. On obtiendra facilement les profils du vrai navire. La découpede chaque tranche correspondra à une section du bateau réel, traditionnellement large de quatre-vingtscentimètres. La demi-coque sera donc à l’échelle 1/80.

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Marc Larrarté

La maquette est achevée en quelques heures. Letamendia s’en déclare enchanté. Hiribarren disjoint lebloc de bois. Il dispose maintenant d’une série de profils grâce auxquels, par projections homothétiques,lui et ses frères tracent des gabarits à la taille réelle... en double exemplaire, car s’ils partent d’une demi-coque, c’est évidemment un bateau entier qu’il leur faut construire. Ils corrigent les petto qui résultent demalencontreux coups d’instrument, peu visibles sur une maquette de vingt à vingt-cinq centimètres maisqui, en vraie grandeur, sautent aux yeux. Quelques traits de rabot suffisent. Letamendia donne son avis:les formes suggérées par les gabarits correspondent bien au bateau que ses associés et lui souhaitentexploiter. La construction va pouvoir commencer.

Sur des cales soigneusement nivelées, les charpentiers ajustent la quille, l’étrave et l’étambot, piècesréelles et définitives du navire qui sont en chêne, un bois serré qui ne pourrit pas. Puis ils disposent lesgabarits comme une gigantesque cage thoracique. Sur le chantier s’élève bientôt un simulacre de bateau,un mannequin dont les éphémères côtes sont en bois disparates récupérés lors de précédentes construc-tions.

Cette pré-carcasse est ensuite bordée. Autrement dit, les charpentiers constituent ce qui sera la coquedu navire. Il y a deux manières de procéder. S’ils bordent à tapisser, ils réalisent l’enveloppe entière avec del’iroko ou de l’acajou, des bois qui ne travaillent pas. Si, comme pour Bidassoa, ils bordent à virure passée,ils posent une lame sur deux. Ils utilisent du chêne qui va travailler et finir de sécher pendant la construc-tion. La coque ajourée ainsi obtenue sera terminée le plus tard possible.

Un observateur pourrait s’étonner: il pousse des millions de pins dans le département des Landes,tout à côté; pourquoi ne s’en sert-on pas? Hiribarren reconnait à ce bois d’incontestables qualités méca-niques, un faible coût et... un défaut rédhibitoire: le pourrissement. Une coque en pin tient à peine quel-ques saisons. Une variante nord-américaine, le pitchpin, ne présente pas cet inconvénient. Ce conifèrecoloré est fréquemment oeuvré par les Hiribarren, mais son coût a été jugé trop élevé par Krispín et sescompères.

Le bordé, qu’il soit parachevé ou à demi posé, fait à présent fonction de moule. Les charpentiers yintroduisent en force les membrures, autrement dit la carcasse, l’ossature du navire: kostillak. Ces piècessont étuvées (on dit communément: egosiak, bouillies) avant d’être ployées. Elles sont en acacia. Un rive-tage de cuivre solidarise tous ces éléments en bois.

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1951. Pêche du thon à l’appât vivant: des matelots auxcannes, d’autres gaffent les thons qui ont mordu (à gau-che); des jets d’eau brouillent la surface.

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Quelques semaines ont passé. Il y a maintenant suffisamment de membrures installées pour assurer larigidité de la coque. Les charpentiers peuvent démonter et ranger les gabarits. Ils seront plus à l’aise pourtravailler. Et quand tous les membres sont à poste, ils rivettent toute la charpente. Puis ils assemblent lesserres internes, c’est à dire les éléments horizontaux qui ceignent la coque à différentes hauteurs. Enfin, ilsdisposent et boulonnent dans cette conque les viviers d’aluminium pour l’appât vivant, les réservoirs pourle mazout, l’huile, l’eau douce...

C’est décidé, ce bateau s’appellera Bidassoa II. Mais, dès que l’ancien aura été échoué dans une vasiè-re, comme le prévoit le code maritime pour donner quelque chose en pâture à d’éventuels créanciers, oncontinuera de dire: Bidassoa, tout simplement. A ce stade, le bâtiment mérite bien son nom basque: unt-zia, qui signifie également: vase, récipient, contenant. Abeak, les barrots de pont en chêne (les poutres,pourrait-on dire) lui donnent sa belle apparence de vaisseau ponté. Les lames en sapin du nord, un boisqui gonfle très vite et assure une étanchéité parfaite, sont posées, formant un plancher dans lequel onpréserve une large écoutille. L’installation puis le remplacement éventuel des machines (moteurs principalet auxiliaire, centrale électrique, compresseur, pompes) se feront par là. Pour l’heure, les charpentiers et lemécanicien retournent à fond de cale poser le bâti du Poyaud de propulsion. Quand le moulin sera mis enligne et boulonné, accouplé à l’arbre de couche, ils poseront la passerelle de navigation, les câbles et chaî-nes du gouvernail et des commandes mécaniques.

Le thonier qui occupe le hangar de Socoa est-il terminé? S’il avait été bordé à tapisser, il le serait pres-que. Bordé à virure passée, Bidassoa montre encore une coque ajourée. Les charpentiers vont engager,entre les premiers bordés maintenant secs, les lames intermédiaires manquantes. Il restera à calfater lesjoints au fil d’étoupe, à mastiquer, peindre, boulonner les crépines des prises d’eau, poser l’hélice et legouvernail, etc...

La construction de Bidassoa II a mobilisé jusqu’à vingt personnes. Mais elle n’a pas demandé un outil-lage considérable: un grand métier, scie à grumes débitant les pièces maîtresses, deux scies à ruban pourtailler les bordés et les membrures, une raboteuse, une dégauchisseuse, une toupie, une mortaiseuse pourl’égalisation des surfaces et les assemblages, et enfin une étuve...

Le bois travaillé à Socoa est souvent d’origine locale. Plusieurs fois dans l’année, les Hiribarren vonteux-mêmes choisir des arbres sur pied, à Sare, Souraide ou Saint-Pée, distants de vingt-cinq kilomètres. Ilsnégocient avec les propriétaires, généralement des agriculteurs. Ceux-ci prennent en charge l’abattage etle transport des grumes derrière un attelage de boeufs, véritable expédition de plusieurs jours dans laquel-le les paysans s’engagent avec vivres et couchage. Les bois exotiques, sapin du nord, pitchpin du Canadaou de l’Orégon, acajou, sont achetés à des grossistes de Bayonne ou des Landes...

Le ployage des membrures est la partie délicate d’une telle construction. L’acacia doit être exempt denoeuds, faute de quoi il cassera à la flexion. Les membres sont bouillis une demi-heure, et mis en placeavant refroidissement. Quatre hommes dans la coque béante, quatre à l’extérieur, d’autres encore à l’étu-ve sont nécessaires pour cet exercice. Les Hiribarren et leurs aides démontrent ici une grande virtuosité. Ilssont, à juste titre, considérés comme les artistes et les seigneurs de Socoa, ce quartier périphérique deCiboure où se dresse le chantier.

Un bateau neuf, cela se fête. Ce que l’on appelle ici barkuaren bataioa (expression qui déplaît à l’abbéCachenaut, curé de la paroisse: on ne baptise pas un objet, aussi beau et pourvoyeur d’avenir soit-il) con-siste en une bénédiction par l’abbé Arnaud Idiartegaray, aumônier des marins (un prêtre atypique qui,avec l’instituteur public Jean Carricaburu, composa une prestigieuse équipe de pelote désavouée parl’Evêché et le Rectorat), un petit discours de Vincent Letamendia et la présentation à l’assistance desparrains: Julita Retegui, deuxième fille du mécanicien, et Jean-Roger Larrarté, troisième enfant du patron.A ce propos, il convient de rectifier une conviction largement répandue chez les pêcheurs: ces deux jeunesgens ne deviendraient pas automatiquement propriétaires du bateau si les trois armateurs venaient à dis-paraître; le Code Civil français ne s’accommode pas d’un dispositif aussi convivial.

Un nouveau bateau s’ajoute donc à la flottille de Ciboure et Saint-Jean qui va bientôt compter centquatorze unités, parmi lesquelles plus de soixante nouvelles. Bidassoa part en pêche et satisfait lesespérances que l’on a mises en lui. Ses captures n’atteindront jamais celles de l’inspiré Bégnat qui, unesaison, s’offrira le luxe de capturer deux cents tonnes de thon. Mais avec trente-cinq à quarante ton-nes annuelles, il se situera dans le peloton de tête des bateaux classiques de dix-huit mètres à cul detrainière.

Kesús Larrarté est un patron réputé compréhensif et tolérant (aujourd’hui, l’on dirait qu’il est cool). Ilexerce sur ses matelots et ses mousses successifs une autorité bonhomme. En cas de problème, il descend

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Marc Larrarté

de sa passerelle et montre comment doit s’effectuer une manoeuvre. Son contraire absolu, dit-on sur lequai, est le patron E., un obèse brutal, grossier, toujours prêt à insulter ses hommes et à mettre en doutela fidélité de leur femme. Ce tyran est si détestable que, le jour où il perdra l’équilibre et ne pourra releverseul ses cent-quarante-trois kilos, ses matelots le laisseront gigoter sur le dos comme un gros hannetonpendant plusieurs heures, jusqu’à ce que le bateau rentre au port.

C’est pour la personnalité de Kesús, mais aussi parce que le Bidassoa obtient de bons résultats, que denombreux matelots sollicitent un embarquement. Ceux qui sont agréés ne le regrettent pas. Ils se perfec-tionnent rapidement et gagnent bien leur vie. Au fait, comment s’opère la répartition des sommes quiproviennent de la vente du poisson?

Quand il a fait le plein de sa cale, ou épuisé son stock de peita, de glace ou de vivres, ou quand lepatron juge opportun d’aller vendre ce qu’il a capturé, le thonier retourne au port. Ses captures sontdébarquées par les marins: qui n’a admiré ou photographié ces hommes solides, disposés tous les deuxmètres sur l’escalier et le quai, qui se passent l’un à l’autre, à la manière d’un ballon de rugby, des thonsde vingt kilos et plus? Prise en charge par l’encan, la cargaison est soumise aux enchères des mareyeurs etdes patrons de conserveries. Sur la somme obtenue le bateau, entité morale, paie à la masse un certainnombre de taxes et de frais: la rémunération de l’encan, les redevances dûes à la Chambre de Commerce,le rôle (charges administratives), les cotisations sociales, le carburant, les lubrifiants, la glace et les vivres. Ilreste une certaine quantité d’argent, qui est répartie entre l’armement (Letamendia, Retegui, Larrarté, lestrois quirataires du Bidassoa), pour rémunérer l’investissement, constituer des réserves, etc... et l’équipa-ge, qui perçoit de la sorte le salaire de ses efforts.

40 % vont à l’armement et 60% à l’équipage. D’autres armateurs de pêche inversent ces proportions:équipage 40%, armement 60%. D’autres encore recourent à différents barêmes, 45/55, 50/50 ou 55/45et même, comme pour Bégnat et Robert Michel III, à une répartition en 31 lots, 14 pour l’armement, 17pour l’équipage! Pour une même valeur de captures, on peut donc observer, d’un bateau à l’autre, d’as-sez spectaculaires différences de rémunération. Ainsi, en 1959, Bidassoa et le thonier du patron P. captu-rent chacun trente-cinq tonnes de thon, qu’ils vendent à des prix moyens très comparables, 185 et 187 Fle kilo. Campagnes identiques au terme desquelles, nonobstant, un matelot de P. totalise en fin de saison125.200 F, alors qu’un marin du Bidassoa a touché 188.600 F, 50% de plus. Dans un cas, la rémunérationdu capital est jugée prioritaire, dans l’autre cas, c’est celle des hommes d’équipage.

L’argent de l’équipage est distribué, généralement le samedi, au cours d’un cérémonial que l’on appel-le manta ou mantta, ce terme désignant également le montant de la somme perçue par chacun (– J’ai tou-ché un joli mantta la semaine dernière, dit-on).

Il est dix-sept heures. Les hommes repartent de chez eux. Voici trois heures, ils ont accosté, débarqué le pois-son, nettoyé le bateau. Ils ont empli les cuves à mazout et mouillé le bateau à sa place réservée, au milieu de ladarse. Ils sont rentrés faire toilette. Maintenant, ils se dirigent vers la place du Fronton. Ils sont attendus Chez Bit-tor, le café tenu par Madame Muguerza, dite Marie-Jeanne Belza, vers lequel Kesús marche de son côté.

Le matelot Loulou Etchechoury a fait exception. En sa qualité de diruzain, il est passé à l’encan releverles ventes de la semaine. Il a noté les sommes retenues par la coopérative pour le gas-oil, l’huile, les peti-tes pièces mécaniques, et celles encore dûes aux avitailleurs pour les vivres, les boissons et le pain. Ensui-te, il a pris de l’argent liquide dont Vincent Letamendia a retiré, quelques heures plus tôt, une épaisse lias-se à la banque. Maintenant, Loulou s’isole au fond du café, avec du papier et un paquet d’enveloppes. Ilfait et refait les comptes, puis reporte les chiffres vérifiés sur une feuille quadrillée de manifold. Recettes,frais de coopé et d’encan, rôle, versements à l’ENIM (l’Etablissement National des Invalides de la Marine),etc... Le reste, il le partage entre l’armement, propriétaire du bateau, 40%, et l’équipage, 60%. Puis il sub-divise ces 60%, la part d’équipage (la masse salariale, en somme): un point et demi pour Kesús, le patron,en sa qualité de marin-chef, et non plus d’armateur, autant pour Sébastien le mécano, un point pour cha-que matelot, un demi pour Jean-Claude Olascuaga, c’est à dire Aña, le mousse. Loulou vérifie ses coeffi-cients, sans perdre son calme.

Kesús a pris place à sa table favorite. Marie-Jeanne apporte à boire. Loulou paie la tournée, au titre desfrais communs. Puis il pose ses comptes sur la table. Les marins font mine de ne pas voir la feuille surlaquelle il s’est appliqué. Ils ne méprisent pas la peine qu’il a prise, ils lui font confiance, c’est tout. Añaverse à boire au patron, au mécano, aux matelots, à lui-même. La pseudo-indifférence des hommes luidonnant quitus, Loulou fait circuler les enveloppes nominatives. Les matelots y trouveront les sommes quileur reviennent, au franc près. Ils empochent sans ouvrir. Certains remettront la totalité à la femme quitient leur intérieur, épouse, soeur ou mère. D’autres feront d’abord un petit prélèvement, mantta ixila, lapart muette.

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1953. Des marins en attente d’embarquement pêchentle muge Murgil ramada dans le port. Au fond, le thonierSainte Thérèse de Georges Olascuaga 'Zaputza'.

1955. Le thonierBidassoa II rentrantd’une bénédiction dela mer, le 11 novem-bre 1955: à bord, l’é-quipage, des passa-gers, femmes etenfants, la familleLarrarté; des person-nalités et des curieuxsur le quai.

1956. Jesús Larrarté,patron (à gauche),avec Jacques PucheuOrdaña, autre patronde pêche, MercedesLarrarté et Gomercinda Saint-Lan à bord duBidassoa II à la find’une marée.

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Marc Larrarté

Les enveloppes ont disparu. Loulou replie ses paperasses. Il les confiera à Vincent Letamendia, archivis-te de l’armement. Puis il se mêle à la conversation. L’équipage peut aborder bien des sujets, rugby, pelote,élections, faits divers, météo, en évitant de s’échauffer... Mais il n’évoque aucune affaire de coeur, il neparle pas d’argent, il ne médit de personne. Au bout d’un quart d’heure, Kesús lève la séance. Les marinss’en retournent à pied, devisant comme si de rien n’était, alors qu’ils viennent de percevoir la contrepartied’efforts, de peines, de fatigues et d’angoisses dont les travailleurs terriens n’ont pas la moindre idée.

Peine et fatigue auxquels certains ne manquent pas de se dérober, comme toujours dans les périodesd’effervescence. Le thon est réellement abondant. Malgré cela (si l’on excepte des crises sporadiques), il sevend à bon prix. Des armateurs, des patrons commencent de se constituer de jolies cagnottes, on parlemême de fortunes. Alors certains cèdent à la facilité. Ainsi naît une combine que l’on appellera plus tardatún-peseta, le thon-peseta.

Le scénario en est aussi rustique qu’efficace. Les pêcheurs de Pasajes, Fontarabie, Donostia ou Gueta-ria capturent eux aussi du thon. Mais ils l’écoulent à 55 francs le kilo (l’équivalent en pesetas, naturelle-ment) alors que les Français en obtiennent 170 à 200 francs. Pourquoi n’achèterait-on pas le thon desEspagnols autour de 90 FF quand les garde-côtes sont occupés ailleurs et, ni vu ni connu, ne l’écoulerait-on pas à l’encan de Saint-Jean à 170/200 F? Tout le monde y gagnerait. Aussitôt imaginée, aussitôt miseen oeuvre, la manoeuvre, qui implique une douzaine de patrons cibouriens, va finir par indigner les vraispêcheurs et les magouilleurs vont se faire sérieusement tancer.

Les patrons cibouriens n’ont pas oublié la mésaventure sardinière d’il y a sept ans: exploitation effré-née, diminution des captures, crise... Le phénomène les préoccupe tellement qu’ils ont décidé d’offrir,collectivement, un beau et bon bateau, le Donibane, que barre le très respecté Jean Passicot, aux scienti-fiques de l’Institut des Pêches afin qu’ils apportent une explication à ce phénomène. Le résultat a été mai-gre, les chercheurs, parmi lesquels le Professeur François Doumenge, actuel directeur du Musée Océano-graphique de Monaco, n’ont rien trouvé de probant. Mais, ayant prouvé la fiabilité des engins, ilsconvaincront les pêcheurs cibouriens de s’équiper en gonios, radars, sondeurs et autre électronique.

Dès 1955 donc, comme si l’affaire sardinière n’avait pas servi de leçon, ces mêmes patrons se lancentdans une spectaculaire course à l’armement. Puisque l’on pêche bien, puisque l’on gagne convenable-ment sa vie, on investit pour gagner encore plus. Des flots d’argent de toutes provenances sont placésdans la pêche thonière. Dans un premier temps, on rend le bateau plus performant, mais aussi plus sûr.Jesús équipe le Bidassoa d’une radio puissante, d’un récepteur gonio, d’un sondeur, plus tard d’un radar.Les manoeuvres sont facilitées par un tambour mécanique pour haler zerra, la coulisse qui ferme le filet

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1956. Abondance: deux-cents tonnes de thons sur le quai.

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bolinche et empêche les sardines de s’enfuir; et par le power-block, une grosse poulie hydraulique qui per-met de remonter le filet sans peine.

D’autres vont plus loin. Une fois encore, ils bradent des bateaux presque neufs pour faire construiredes thoniers pharaoniques de vingt, vingt-deux, vingt-quatre mètres, dont les cales pourront recevoir qua-rante tonnes de thon... à condition de les capturer! Certains navires sont si excessifs, si cambrés, avec unetonture tellement forte que les manoeuvres n’en sont pas facilitées, bien au contraire, et qu’on les sur-nomme plàtanos, bananes. Des armateurs font appel aux chantiers du Guipuzcoa et de Biscaye, mieuxéquipés pour ce gigantisme que les Hiribarren, Sansebastian et Marin qui oeuvrent à Ciboure dans deslocaux somme toute exigüs.

En 1955 les premiers clippers sont lancés à La Rochelle, à Gujan-Mestras. Leur ligne générale est celledes tuna clippers ou tuna catchers en service dans les eaux californiennes: avant abrupt et massif (l’inté-rieur renferme d’assez vastes postes d’équipage), passerelle avancée, pont de pêche long, large, dégagéet bas sur l’eau. Leur aménagement, par contre, traduit l’expérience désormais incontestable des patronsautochtones. Quelques-uns, Bixintxo, Gaby Bernard, Michel Joseph, L’Aigle des Mers... sont en acier etl’on se demande si le métal, transmettant les vibrations des machines, ne fera pas fuir le thon (non, heu-reusement!). La plupart sont en bois, Tutina, Carmenchu, Egun On... ni moins beaux, ni moins bons, à telpoint que le chantier Hiribarren, assez tardivement, va se laisser tenter et construire un clipper: ce seraL’Ange de Mer, vingt-trois mètres, lancé en 1958.

Ces bateaux originaux coûtent deux à trois fois plus chers que les traditionnels de dix-huit mètres telsBidassoa. Certes, les capitaux de proximité convergent toujours vers la pêche maritime. Mais les cagnotteset les bas-de-laine particuliers ne suffisent plus. Le Crédit Maritime, une banque coopérative fonctionnantsous le contrôle et avec une dotation de l’Etat, intervient de plus en plus fort dans le paiement des travaux.

Très vite, on s’aperçoit que les captures réalisées dans le golfe de Biscaye (Bixintxo: 73,5 T; MichelJoseph: 68,4 T; Tutina: 57,6 T; Carmenchu: 71,5 T; Izurdia: 51 T) ne permettront pas de rembourser lesemprunts. Il faudrait pêcher sur le même rythme, mais pendant six mois, ou huit, ou même douze, au lieude quatre. Une nouvelle problématique se présente aux patrons-armateurs de Ciboure: où trouver detelles pêcheries?

La réponse ne tarde pas: au Sénégal. Ce pays d’Afrique de l’Ouest est encore une colonie française.Ses eaux sont particulièrement poissonneuses: on raconte que les thons se pressent autour des bateaux etsautent à bord à la première sollicitation. Bref, un fol espoir, contemporain d’une sourde inquiétude.

Organisés et réalistes, les Cibouriens décident d’aller voir. Deux amis de Jesús qui furent comme luimilitaires à Dakar, Berrouet et Oficial, se sont portés candidats avec leurs bateaux Alegera et Danton co-financés par l’industriel Rémy Badiola. Ces unités d’à peine quatorze mètres, il serait imprudent de lesengager dans une telle traversée qui comprend, notamment, la pénible remontée du golfe de Biscaye jus-qu’en Galice, jusqu’au Cabo Finisterre. Alors, on les embarque sur le cargo hollandais Fraü Bohmer et toutse joue à partir de Dakar: de belles pêches de 1800, 2000, 1400 kg par journée, quelques difficultés à seprocurer le peita (sardinella aurita, une sardine différente de celle d’ici, que les Basques appelleront lolita),une fabrique de glace insuffisante et surtout rien, rien, rien pour stocker et transformer le thon capturé.En d’autres termes, si l’on veut rentabiliser les clippers, il faudra aller pêcher au Sénégal. Mais pour ypêcher, il faudra apporter avec soi toute une logistique.

Au retour de ces éclaireurs, deux questions fondamentales se posent: – qui veut aller travailler en Afri-que, l’hiver, quand le thon déserte le golfe de Biscaye? – l’ensemble des pêcheurs de Saint-Jean et Cibou-re peut-il, veut-il ou doit-il soutenir financièrement cette entreprise qui ne bénéficiera qu’à certains d’en-tre eux?

Le moment est venu de faire apparaître un personnage déjà bien connu et apprécié dans le milieumaritime: José Basurco. Cet homme a tout fait, il sait tout faire, ce qu’il ne sait pas, il l’invente. Il a faitreconnaître la pêche basque aux gouvernants qui ne juraient que par les Bretons. Il a été l’interlocuteurpugnace des ministres et des présidents. Il va maintenant s’avérer un organisateur de premier brin. Marin,mécanicien du thonier Altxa Mutilla, armateur, président depuis 1952 du syndicat des marins de Saint-Jean et Ciboure, promoteur de la modernisation du port, il va parler d’égal à égal avec les dirigeants duSénégal, y créer une usine, la remarquable Conserverie du Mali dont les éléments, tubes, compresseurs,chaînes... transportés de Ciboure à Dakar par les thoniers eux-mêmes, seront assemblés en trois mois sous lahoulette des talentueux Jojo Harguindeguy et Jeannot Etchechoury. Il va diriger cette usine, acheter au nom del’ensemble des pêcheurs un rafiot allemand et le transformer en congélateur (Sopite, 56 mètres) qui rapatrie-ra sur Ciboure une partie du thon pêché en Afrique, et rejouer le même scénario avec l’Iraty, un ex-transpor-

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Marc Larrarté

teur de chars de 105 mètres racheté au Canada. Il va concevoir et organiser les services d’infirmières, de file-tières, de personnels administratifs délocalisés à Dakar, pourvoir à leur nourriture et leur hébergement... Plustard, retiré des affaires cibouriennes, il donnera un bel essor aux pêcheries thonières des Seychelles. La chroni-que historique s’accommode assez mal du culte de la personnalité, mais force est de reconnaître du génie àJosé Basurco. Ce qu’il n’a pas à proprement parler créé, il l’a débusqué ailleurs et il l’a basquisé. Avec, il est vrai,le soutien d’une équipe soudée, quasiment inféodée à ce personnage charismatique.

Sous la houlette de José Basurco, donc, les équipages s’apprêtent à investir les eaux africaines. Les 12et 14 novembre 1955, les équipages de Roger Bellocq, Xipri Etcheverria et Jean Alsuguren, à bord des troisclippers Curlinka, Bixintxo et Izurdia quittent Ciboure. Ils pêcheront en onze semaines trois fois plus qu’ilsne capturent en quatre mois de pêches métropolitaines.

Résumons ce qui va suivre: trente-cinq équipages, en moyenne, iront chaque hiver pêcher au Sénégal;puis certains se lasseront de cet éloignement, et le nombre diminuera; le Sénégal acquerra son indépen-dance, ce qui changera les conditions; pour finir, quelques armateurs de clippers s’installeront à l’année àDakar, formant et employant des équipages autochtones. En 2000, leurs successeurs (le petits-fils dans lecas des Luberriaga, armateurs des Maria, Sardara puis Ernai) ne sont plus que sept à persévérer. S’ils nesont plus les Crésus qu’on a cru voir en eux, ils gagnent honorablement leur vie dans un métier difficile,mais qui les autorise à regarder le soleil en face.

Les soixante-dix autres bateaux qui complètent la flottille cibourienne de 1955 se répartissent, quant àeux, une manne thonière qui n’est plus aussi abondante, parce que décimée par plus de six cents bateauxétrangers postés entre Açores et Cap Finisterre. Grâce à une audacieuse politique de qualité, initiée elleaussi par José Basurco, le thon des Basques se vend relativement bien. Mais cela ne suffit pas. Les équipa-ges doivent renouer avec la pêche des sardines qui n’avait pas été délaissée, mais un peu déconsidérée,depuis que les usiniers avaient armé des bateaux au Maroc pour alimenter leurs chaines; et même celle del’anchois, que des saleurs méditerranéens et espagnols achètent à un prix tout juste décent. L’un dansl’autre, les équipages s’en sortent, financièrement parlant.

Pour Jesús, le choix de ne pas aller à Dakar s’impose de lui-même. Ce n’est pas uniquement la taillemodeste du Bidassoa qui joue. Le Vagaband, de dimensions comparables, fera plusieurs campagnes afri-caines sans encombre. Non, Kesús a fait un calcul rapide: le Bidassoa rembourse ses emprunts sans diffi-culté (il apurera sa dette en moins de trois ans au lieu des sept prévus); il a toujours pêché d’une manièreéquilibrée, sans que le thon l’emporte sur la sardine ou l’anchois; si une espèce vient à manquer, il peuttoujours se rattraper avec une autre. Pourquoi irait-il affronter la distance, un climat rude, des conditionsde vie hasardeuses? Pourquoi les hommes abandonneraient-ils pour six mois femmes et enfants? Cela avite été décidé: pas de campagne africaine pour Bidassoa.

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1959. Les thoniers aumouillage dans ladarse de Ciboure...juste avant les travauxd’agrandissement.

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Naturellement, les équipages étant mobiles, chaque matelot est libre de poser sac à terre et de cher-cher une place dans un bateau en partance. Aucun de ceux qui travaillent sous les ordres de Krispín n’u-sera de cette possibilité pour se lancer dans l’exotisme.

Quoi qu’il en soit, comme les deux tiers des marins de Ciboure, c’est de loin que Kesús observe lesrésultats de ceux qui sont partis. Et ces résultats sont bons. Des mukitsu qu’il a formés en qualité de mous-se reviennent de campagne, à peine âgés de vingt ans, avec assez d’argent pour s’acheter cash une jolievoiture, pour acquérir un terrain et commencer à faire construire leur villa, comme ils disent, abandonnantle terme familier de maison pour adopter le vocabulaire des aberatsa. A de tels détails, Kesús et les autrescomprennent qu’une page de l’histoire maritime cibourienne est en train de se tourner.

Les autorités françaises estiment-elles que les pêcheurs vivent un peu trop librement? Elles décidentsoudain d’intervenir, d’imposer des normes, des barêmes, des conditions. Comme plusieurs de ses compè-res, Jesús Larrarté est monté en grade, passé de l’état de matelot à celui de patron, grâce à des déroga-tions largement accordées par l’Inscription Maritime. Titulaire depuis le 14 octobre 1947 du permis deconduire pour navire à moteur ayant une force motrice égale à 100 CV, essence et gas-oil, il n’a pas eud’autre épreuve à subir, nonobstant la motorisation croissante de ses bateaux et l’élargissement progressifdes zones de pêche. En d’autres termes le savoir-faire a suppléé les diplômes. Commandait un bateaucelui qui savait le faire, celui qui en avait fait la preuve, celui qui avait sur ses hommes une espèce d’auto-rité naturelle et un ascendant que personne ne se donnait la peine d’expliquer.

D’un seul coup, l’administration décide qu’il faut que ça change. Maintenant, pour commander, il fautun réel diplôme, un papier filigrané signé par trois ou quatre personnalités, ce que l’on appelle en Franceune peau d’âne. Pour Jesús, cette décision est une catastrophe. Rappelons-nous: à part quelques leçonsdu maese cojo de Fontarabie, il n’a guère fréquenté l’école; il sait lire une carte pour l’avoir appris sur letas; d’ignorer la variation des déclinaisons magnétiques ne l’empêche nullement de retrouver sans aucuninstrument le Fer à cheval, un banc sous-marin très poissonneux à soixante milles dans l’Est d’Arcachon.Voilà que cet autodidacte et plusieurs autres patrons de pêche réputés doivent se plonger dans des ouvra-ges savants auxquels ils ne comprennent que pouic, faire des règles de trois, tracer de savantes courbes etsavoir al dedillo que l’angle horaire d’une étoile répond à la formule Ahao=Ahso + AV !

Kesús ne s’est jamais plaint de cette époque, dont le résultat devait, en somme, officialiser un savoir-faire que nul n’aurait osé lui contester. Mais ses proches savent bien qu’elle a été l’une des plus difficilesde sa vie. Lui qui avait sans renâcler affronté des tempêtes et de longues périodes sans poisson, il a rée-llement beaucoup souffert. Heureusement, il s’est trouvé pour lui apporter une assistance adaptée à cequ’il désignait lui-même comme sa rusticité (nere salbaikeria, disait-il), pour concilier la validation péda-gogique et l’ample savoir déjà détenu par ce marin de quarante-cinq ans, un enseignant particulièrementavisé, patient et chaleureux, Monsieur de Saint-Germier. Grâce à lui, Kesús parvient à assimiler des flotsde théorie et obtient, le 28 mars 1958, le certificat de capacité pour le commandement d’un navire depêche...

A la proclamation des résultats, Maurice Le Floc’h, un Breton taciturne, patron intérimaire du Bidassoajusqu’à ce que Kesús fût en règle, dira:

– Gast! ces fayots, ils voudraient dégoûter les gens du métier, ils ne s’y prendraient pas autrement.

Fayot, qui désigne le haricot en argot français, est le surnom dont on affuble les marins militaires decarrière, parce qu’on les soupçonne de fayoter, c’est à dire d’intriguer pour monter en grade.

Conséquence que n’avait pas prévue Krispín: l’obtention de ce diplôme le fait accéder à une catégoriesupérieure de salaire forfaitaire. Le moment venu, le montant de sa retraite sera donc plus confortable.

Le lecteur a peut-être l’impression qu’il suffisait aux arrantzale de Ciboure et Saint-Jean de pêcher, etque tout le reste allait de soi. Illusion. Les captures de sardines, comme celles de thon, se sont épisodique-ment accompagnées de méventes, parce que les mareyeurs qui expédiaient leur poisson aux quatre coinsde France, parce que les conserveurs qui le mettaient en barils ou en boîtes pour le distribuer dans l’Euro-pe entière, soudain n’en voulaient plus, et faisaient supporter aux pêcheurs les avatars d’un marché qu’ilsne savaient pas maîtriser. Lorsque, sur la fin de sa vie, l’on demandait à Jesùs quel avait été son plus mau-vais souvenir professionnel, imaginant qu’il allait évoquer une tempête ou la mort par noyade d’un amidont le bateau n’avait pas pu esquiver la galerne, il répondait:

– Oh, il y en a plusieurs, et toujours la même chose: nous avions rapporté de la belle et bonne sardine,les acheteurs n’en voulaient pas, et nous étions obligés de balancer notre cargaison à la mer, alors qu’il yavait pas loin d’ici, dans la population espagnole, des gens qui ne mangeaient pas à leur faim!

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Marc Larrarté

Image forte, pénible, désespérante que celle de dizaines de caisses de bon poisson rejetées dans le bas-sin du port, à une époque où n’existait aucun organisme de retrait ni aucun entrepôt frigorifique. C’étaitpire encore qu’en 1934, quand les entrepôts des conserveurs débordaient jusqu’à ce que l’Italie rachetâttout pour nourrir ses troupes engagées en Ethiopie: du moins, là, les pêcheurs ne sortaient pas, il y avait dela misère, mais pas cet insupportable gaspillage, ce mépris pour le travail accompli, ce gâchis écologique.

Dès qu’ils ont pu, les pêcheurs de Ciboure ont essayé de parer de telles avanies, par exemple en cons-truisant l’entrepôt frigorifique déjà évoqué. Ils se sont aussi prémunis contre les risques professionnels, lesaccidents, les méventes, les fortunes de mer, en tissant de nombreux systèmes de solidarité dont certainsrajeunissaient les prestations assurées, en Euskadi-Sud, depuis des temps immémoriaux, par les kofradiade pêcheurs.

A dire vrai, pêcheurs avant tout, formés à la pêche et rien qu’à cela, les gens de mer n’eussent pas étéaussi bien lotis s’il ne s’était trouvé dans leur milieu des personnalités fortes pour imaginer ou adapter, puismettre en place des structures d’entraide. Sans vouloir, une fois encore, céder au culte de la personnalité,il faut signaler ici deux phares: le premier est l’aumonier des marins Arnaud Idiartegaray qui, avant guerre,implanta le syndicalisme chrétien à Saint-Jean-de-Luz, sur le modèle d’une oeuvre colossale réalisée enBretagne et en Vendée par le réputé Père Le Bret; le second est l’inévitable José Basurco, dont on sait qu’ilétait de tous les combats. Grâce à eux, le poisson si bien pêché n’était pas laissé sur le quai, il était vendudans les meilleures conditions possibles, et le flux financier qu’il générait était réparti dans l’intérêt de l’en-semble des marins. Partis de La Basquaise,une coopérative créée en 1945 pour faciliter l’équipement desbateaux, Basurco et ses fidèles avaient su constituer un réseau tentaculaire et d’une parfaite efficacité quienglobait aussi bien la coopérative Itsasokoa (financée par 1.200 pêcheurs à raison de cent francs percapita) qu’une garantie de ressources au bateau qui interrompait sa pêche pour remorquer un collègue enpanne de machine!

Jesús, qui n’était guère porté sur les paperasses et les démarches, était conscient de cela. Comme95% des gens de mer, il adhérait avec conviction, mais non sans lucidité critique, aux propositions qui luiétaient faites et il cotisait assidûment. Pour lui qui avait bricolé et trimé afin de nourrir et vêtir ses cadetsdans la Fontarabie des années 1920, cette solidarité était une marque de progrès, mais surtout un signede dignité.

Dans un domaine différent, technique celui-là, d’autres personnages épaulent ceux qui pêchent. Ima-ginons ces pêcheurs compétents soudain privés de leurs astucieux engins: ils seraient bien handicapés. Ehbien, pour entretenir et réparer ce que la science halieutique désigne d’un nom charmant et poétique, lesarts de pêche, il y a des personnages indispensables: les saiero ou garçons de chai. Celui qui est attaché àl’armement du Bidassoa s’appelle Pierrèch Jaureguiberry. C’est un quadragénaire trapu et rieur, toujoursentouré d’une nuée d’enfants qu’il promène volontiers sur la charrette à bourricot destinée à transporterla bolinche. Voici l’une des journées de ce personnage.

A l’aube, Pierrèch s’est occupé de Margot, l’ânesse: flotte et picotin, un petit coup d’étrille sur la robeet changement de la litière. Puis il a nettoyé la charrette à pneus de camion, encroûtée d’écailles et desang de poisson depuis la dernière manipulation. Maintenant, il prépare le gros travail du jour: tanner labolinche que le thonier va débarquer dans la matinée. Il va se faire aider par le fils de Kesùs, qui n’a pasécole ce jour-là et qui, comme souvent, est venu lui rendre visite.

L’opération se déroule au chai de l’armement (saia), une longue bâtisse à deux niveaux dans laquelle,avant la guerre, Letamendia construisait des bateaux à vapeur pour lui-même et son collègue l’armateurPlisson. Ce local est idéalement situé sur l’avenue Jean Jaurès, à trois cents mètres du port. Certainsconfrères de Pierrèch doivent, eux, se contenter de hangars venteux perdus dans le quartier rural de Gal-zaburu ou même, pour l’un d’entre eux, d’un ancien appartement dont on avait abattu les cloisons pourabriter une meute de chasse avant de l’abandonner dans un triste état.

Ici, l’étage abrite une filèterie vaste au parquet blond où l’on peut aisément déployer papuak, les nap-pes de filet, pour les ramender à plat. Aux murs sont accrochés des rouets, tourniquets et bobines garnisde cotons calibrés. Cet espace est le domaine de Nadine et Julita, filles du mécanicien Sébastien Reteguiet saregile de l’armement.

Au niveau inférieur se trouvent l’écurie de Margot et divers espaces de rangement. Il y a surtout unegrande pièce dans laquelle le saiero a disposé tout un appareillage que l’enfant se plaît toujours à réper-torier: – une cuve en cuivre de six cents litres sous laquelle on peut entretenir un feu de bois et de bri-quettes; – un autre bac, en pierre celui-là, de cinq cents litres, relié au premier par une tuyauterie de cui-vre que barre un énorme robinet; – une table de bois massif, longue de trois mètres, légèrement déclive,

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dont trois côtés sont ourlés d’un rebord et dont le quatrième surplombe légèrement le réservoir de pierre,meuble contre lequel viendra se ranger la charrette de Margot.

Le saiero a chargé l’enfant d’alimenter un feu sous la cuve de cuivre. Dans la demi-tonne d’eau doucequi monte en température, il plonge un sachet de filet contenant le cachou, un pigment à base d’écorcede chêne. Puis les deux gars vont avec Margot chercher le filet à traîter. On imagine la fierté qu’éprouvel’enfant à traverser la bourgade juché sur la charrette comme Ben Hur campé sur son char.

La carriole vient à reculons jusqu’au bord du quai. Les matelots du Bidassoa se disposent sur deuxrangs pour faire avancer entre eux, sans qu’elle frotte le quai, la masse de la bolinche extraite du bateau.Debout sur le plateau, le saiero dispose le filet à sa convenance.

Retour au chai. L’eau de la cuve est bien chaude. Avec une pelle de bois, l’enfant répartit le cachou quise déliait en minces écharpes. Ses larges pieds nus à même l’auge de pierre, Pierrèch débarque le filet etl’étale. Il descend et ouvre le robinet de cuivre. Dès que la bolinche baigne dans le bouillon sombre, ilreferme. L’enfant touille afin que toute la toile soit imprégnée.

– Hoa goxoki, ttikia, kontu emak ez erretzea! va doucement, petit, veille à ne pas te brûler, conseillel’adulte.

Les deux gars s’accordent dix minutes pour deviser avec les passants de l’avenue. Puis le saiero hale lasenne sur la grande table de bois. Il tire en puissance, dédaignant la chaleur qui agresse ses mains. Le filet s’é-goutte. Le liquide brun retombe dans la cuve de pierre. Le gamin empoigne un seau de bois muni d’un longmanche et il en reverse une partie dans le tank métallique. Il rajoute quelques bûches pour raviver le feu.

Lorsque la bolinche ne transpire plus, les deux gars renouvellent l’opération. Ils la répéteront une foisencore, peut-être deux, c’est à Pierrèch d’en juger. Puis ils feront tremper vingt minutes dans le même jusl’ensemble du gréement et des accessoires. Sur la table en pente, le filet finit de s’égoutter. Pierrèch lereplace sur la charrette et l’emporte au champ.

Le champ: entretenu comme une pelouse d’agrément, ce terrain plat d’un demi-hectare est planté dehuit mâts de dix mètres, chacun armé en tête d’une poulie dans laquelle circule une drisse de chanvre. Enhuit points, donc, les deux opérateurs nouent ensemble les deux ralingues du filet, celle des lièges et celledes plombs. Ils hissent et déploient la nappe aussi clairement que possible. Ils la bougeront de temps àautre pour en débusquer les nids d’humidité.

Tout ce travail n’est que routine dont Pierrèch, même quand il est seul, s’acquitte avec bonne humeur.Ce qui complique sa tâche et le met en rage, c’est le temps incertain. Alors, tout en vidangeant et netto-yant les cuves, il surveille le ciel comme un obsédé. Un nuage? Vite, il choque les drisses, brasse la toile, lamet en tas sur l’herbe et la recouvre d’un prélart. L’averse passée, il renvoie. Il donne l’image d’un cap-hornier saluant les grains.

Le saiero est un employé de l’armement, au même titre que les matelots. Mais il perçoit, lui, un salai-re, alors que les autres sont payés à la part. Kesús et ses associés cotisent pour lui à la Sécurité Sociale, età l’ENIM pour les matelots. En plus de sa rétribution, Pierrèch reçoit quelques bonifications en nature, despaniers de godaille que lui préparent les matelots, ou un thon offert par Kesús; il est souvent invité à latable de l’un ou l’autre des trois armateurs et, bien entendu, il peut utiliser pour des travaux personnelsl’ânesse Margot et sa charrette, qui sont à la charge de l’armement.

L’adoption généralisée des filets de nylon va rendre inutile la fonction de saiero: il n’y aura plus de tan-nage; quant aux déchirures, elles seront réparées par l’atelier Freyssengeas, qui déléguera des filetières àbord même des navires. Pierrèch, contrairement à la plupart de ses confrères, ne sera pas licencié. Emplo-yé, mais aussi ami des armateurs, il continuera d’être rétribué pour soulager les matelots de tâches qu’ilsn’apprécient pas beaucoup, comme celle d’enduire de coaltar la sole des plates sardinières. Là encore,Pierrèch demeurera ouvert et enjoué, toujours disponible.

– Dieu merci, je suis en forme pour mener à bien quelques projets personnels. Je n’ai pas de dettes.Quarante années de pêche professionnelle me donnent le droit de prendre mes Invalides. Il y a, à Saint-Jean, Ciboure et Hendaye, quelques dizaines de mousses et de matelots qui ont travaillé sous mes ordres.Ils sont prêts à prendre la relève. Place aux jeunes! J’arrête.

Tel est le discours que se tient, l’an 1964, à l’âge de cinquante-trois ans, Krispín Larrarté. Dans la fou-lée, Sébastien Retegui, de deux ans son aîné, se retire aussi. Quant au troisième larron de l’armement, Vin-cent Letamendia, nettement plus âgé, il n’envisage pas de travailler avec d’autres partenaires que ceux-ci:il cède lui aussi ses parts.

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Marc Larrarté

Bidassoa II est comme neuf. Dix ans à peine, un entretien scrupuleux, des améliorations constantes, unéquipement copieux (radio, gonio, sondeur, tambour à coulisse, power-block, moteur récent de 240 cv)qui a fait oublier l’outillage spartiate de 1954, c’est une excellente occasion qui échoit à Jean-BaptisteGarat, un ancien berger de Louhossoa venu accidentellement à la pêche, formé à la mécanique, puisdevenu patron et destiné à fonder l’un des armements les plus solides de Hendaye grâce au rachat d’au-tres beaux bateaux comme Hirondelle III ou Endaiako Izarra.

Les matelots voient avec regret leur patron quitter la carrière. Mais la vie continue pour eux. Formés àl’école de la compétence et d’une rigueur bonhomme, ils trouveront sans peine de nouveaux embarque-ments. Les mousses qui ont travaillé avec Kesús deviendront à leur tour des patrons de pêche ou des entre-preneurs terriens respectés, les deux plus récents étant sans doute Jean-Claude Olascuaga et Jacky Xakola.

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1971. Jesús, 60 ans, dans son petit moteur de 6 mètres L’Aiglon prêt pour la pêche.

Cela faisait des années que Koxé-Mari Salha, patron du Magermo, et Krispín Larrarté étaient sollicitéspar des plaisanciers, amateurs de pêche sportive au thon. Pour ridicules qu’ils étaient avec leurs casquet-tes d’amiral et leurs blazers armoriés, ces personnages n’étaient pas sots. Ils savaient bien qu’ils ne possé-deraient jamais les connaissances halieutiques acquises par les pêcheurs professionnels en vingt ou trenteans de carrière. Voilà pourquoi ils aimaient s’adjoindre leurs compétences lors des prestigieux concours debig game fishing du golfe de Biscaye.

Après quelques hésitations, Jesús prend en main la vedette de Monnoyeur, producteur d’Armagnacdans le département du Gers. A puissance égale, 240 chevaux, Marie Louise, tel est le nom du bateau,12,60 mètres, vingt-quatre noeuds, c’est un autre bolide que Bidassoa. Mais cela ne désoriente pas Jesús.Saint-Jean-de-Luz, Arcachon, Lekeitio, Motrico, Laredo: Monnoyeur et lui sont partout, ils font tous lesconcours, championnat de Biscaye, d’Aquitaine, d’Atlantique. Ils remportent des coupes et des vases deSèvres du Président de la République française que Monnoyeur, fair-play, offre à son patron de pêche.

En vérité, ces concours présentent un double degré de compétition. Officiellement, ce sont les pro-priétaires des vedettes qui pêchent. Mais nul n’ignore que la réalité met en concurrence plusieurs ex-patrons de Ciboure et de Hendaye, parmi lesquels Koxé-Mari Salha, qui mène le bateau de Michel Boulin,négociant en bois dans les Landes, et Jesús Larrarté se distinguent bien souvent.

Et puis Jesús décide que c’est assez. Il y a quelque chose d’indécent, dira-t-il, à chasser les beaux thonsrouges qui ont naguère sorti la population cibourienne de la misère, pour la vaine satisfaction de figurer àla rubrique mondaine des journaux et de glaner quelques coupes. Le thon, ce combattant splendide, doit

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être capturé par des professionnels pour nourrir ceux qui ont faim. Krispín achète donc un canot à moteurde six mètres, L’Aiglon, et pêche désormais pour lui-même.

Plus tard, considérant que l’Aiglon est encore bien trop puissant pour un simple loisir (il s’agit d’unbateau presque aussi performant que L’Etoile de 1931 avec ses six personnes), il le cède à Emilio Zurutuza,patron du clipper africain L’Aigle des Mers, et choisit une embarcation de quatre mètres, qu’il baptiseJesús, comme le batteliku qu’il armait pendant l’occupation allemande. Il s’en servira jusqu’à l’âge de qua-tre-vingts ans, allant à l’aviron avec un style très épuré, comme le montre une photo de la revue françaiseLe Chasse Marée. Toujours lié à la mer, à la pêche, conscient d’avoir donné et reçu, conscient d’avoir tracéson sillage personnel dans le grand bouillonnement des choses.

Le parcours de Krispín Larrarté est exemplaire en ce qu’il est celui de plusieurs dizaines de pêcheurssans éducation, sans tradition armatoriale, nés à Ciboure ou à Fontarabie, promis à une désespérantepauvreté, mais habités d’une telle afición qu’ils sont devenus des pionniers et des références dans l’art dif-ficile de la pêche. Si l’on y changeait quelques mots, quelques dates, noms ou lieux, le récit qui précèdepourrait s’appliquer à Paul Péry, patron de l’Ederki Da, à Bégnat Josié, à Koxé-Mari Salha, à Paul Berrouetd’Erregiña, Gregorio et Periko Goicoechea du Pottoroa, Antonio Sagarzazu du Mariñela, ou encore Geor-ges Olascuaga, à des foules d’autres patrons ou matelots, amis, confrères, co-inventeurs de l’épopée sar-dinière et thonière de Ciboure.

Mais ce parcours illustre des valeurs morales que, depuis 1965, le modernisme galopant et la diversifi-cation des métiers de la mer pratiqués à Ciboure ont reléguées à un rang secondaire. Il n’est pas aisé d’enparler sans paraître moralisateur. Alors, autant rappeler l’essence d’une conversation tenue naguère entreun patron ondarrabitar rencontré sur le quai (J.M. Elduayen) et Jesús Larrarté.

Cela commença par une affirmation d’Elduayen: – Ziburuko mariñelek ez dituzte nagusiarik, berenzuzendariak patroñak dira, expression d’une totale absurdité – les marins de Ciboure n’ont pas de patrons,ceux qui les dirigent sont des patrons! – si l’on ignore la distinction fondamentale entre nagusia (à Cibou-re, on abrège: nausia) et patroña.

Nausia, c’est le patron au sens le plus commun du terme: le patron de l’usine, la fille du patron; maisc’est aussi le maître, le propriétaire, la puissance dominante. Sur le littoral basque, on manifeste une soli-de défiance envers ceux qui ont de l’argent, de l’autorité, des relations, du savoir. Ces détenteurs de pou-voir, on les subit.

Avec patroña, c’est autre chose. Ce patron-ci commande, dirige, possède, au terme et en récompensed’un savoir patiemment affiné, de galons gagnés par un mérite sans équivoque. Le patron d’un bateau estpassé par l’état de ses subordonnés. Il sait faire, et souvent mieux, ce que fait chacun de ses marins. Voilàle genre d’homme à qui un pêcheur obéit naturellement.

L’expression française embarqués dans la même galère illustre cette différence de considération. Patro-ña vit comme ses matelots dans l’inconfort et la promiscuité. Tout chef qu’il est, il affronte les mêmes mersbrutales, subit d’identiques engelures et de comparables coups de soleil. Il prend des décisions de vie oude mort en étant lui-même à la merci de leur bien-fondé. Ainsi, un jour de tempête au large d’Arcachon,Kesús décide d’amarrer Bidassoa à la bouée d’atterrissage... par sa poupe ronde et levant bien à la lame,ce qui maintiendra le bateau dans le lit du vent, alors que l’amarrage par la proue, très haute et dépour-vue d’écubier, le ferait andarkatu, embarder, déraper. La manoeuvre est acrobatique, mais il n’y a pasd’autre solution, c’est ça ou affronter des lames monstrueuses pour s’écarter de la terre: chavirer, selontoute vraisemblance. L’amarrage est réussi grâce à l’agilité du jeune Mendiburu, alias Garibaldi, qui sautesur le flotteur avec une double aussière. Un trait de génie, l’humble courage d’un matelot, une approched’une grande finesse de barre sauvent les vies en danger, celles des matelots, mais aussi celle de patroñalui-même. Le patron d’un bateau est l’homme qui montre compétence, responsabilité et solidarité physi-que permanente avec ses subordonnés. Nausia, c’est un supérieur de fait. Patroña, c’est un chef à bondroit dont on peut, à force de mérite, égaler la situation.

De là viennent des comportements très déconcertants. Lorsque Vincent Letamendia, co-armateur deBidassoa, avait une tâche à confier, il pouvait ordonner au saiero de s’en occuper. Pierrèch répondait alors:

– Bai, Nausia, banoa bereala, oui, patron, j’y vais tout de suite.

Mais si Pierrèch était déjà occupé, Letamendia priait un matelot, Jeannot Pérul, Edouard Poli, ManuelOlaizola ou un autre, de s’en acquitter. Et le marin, même disponible, en référait à Kesús, patroña, sonsupérieur à lui, avant d’accepter. Et dans ce cas, il disait simplement à Letamendia:

– Bai Jauna, oui Monsieur.

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SOURCES

DOUMENGE, François: L’évolution de la pêche à Saint Jean de Luz, Centre Régional de la Productivitéde Montpellier, 1956.

EPALZA, Mikel et al.: «Cent ans de pêche», Altxa Mutillak, itsas gazteriaren aldizkaria, spécial n°9,1999.

GUÉNA, Claude: «La foi et la ténacité des marins luziens...», La Pêche Maritime, n° spécial, 1954.

LARRARTÉ, Marc: «Marins d’Euskadi, pionniers de la pêche thonière européenne», Bulletin duMusée Basque, n° 75, 1977.

LARRARTÉ, Marc: Nola giñen, monographie, mention spéciale au Concours du Patrimoine des Côteset Fleuves de France, Douarnenez,1998.

LARRARTÉ, Marc: enquêtes et articles personnels.

RAMOS, Christian: La pêche à Saint-Jean de Luz, Université de Bordeaux, 1962.

TOURRASSE, Guy de la: La pêche au thon sur la côte basque française et son évolution récente,Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes, n° 66, décembre 1951.

Marc Larrarté

Les historiens de l’épopée sardinière et thonière des Basques de Ciboure ont trop souvent cantonnéleurs recherches aux innovations, aux exploits, aux rendements et parfois aux illusions perdues (le thon àla senne tournante, par exemple que, seuls de ce littoral, les Bermeotars ont pratiqué et conduit à l’exce-llence) de ces années 1920 à 1965. Nous-même n’avons pas toujours échappé à ce travers. Il nous a sem-blé juste de rappeler aussi, à travers ce parcours, que le bouleversement social, l’innovation technique etle goût pour les luttes sauvages contre les filets pesants et les thons combattifs s’accompagnait d’unegrande et unanime exigence morale. Illustration de ce qu’écrivait Victor Hugo en exil à Guernesey: «Lamer est un espace de rigueur et de liberté».

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1986. Jesús, 75 ans, dansson canot Jesús. Exercicequotidien et petite pêchedans la rade.