Le paradoxe des Dupont - Le portail des IREM
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Le paradoxe des Dupont
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Supposons donnée une infinité de personnages (appelés Dupont-0, Dupont-1, ..., Dupont-n, ...)
placés en ligne les uns derrière les autres :
- Dupont-0 est placé en tête de la rangée infinie et n'a personne devant lui.
- Dupont-1 est placé juste derrière Dupont-0,
- Dupont-2 est placé juste derrière Dupont-1, etc.
Chaque Dupont prononce la phrase :«au moins une personne derrière moi ment».
Qui dit vrai ? qui ment ?
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D'après le sens des phrases prononcées :
• Derrière tout Dupont qui dit vrai, il y a au moins un Dupont qui ment.• Si un Dupont ment, alors tous les Dupont derrière lui disent la vérité.
Si on désigne par M les Dupont qui mentent et par H ceux qui sont honnêtes et donc ne mentent pas, les deux règlesprécédentes se traduisent en :
(a) derrière tout H, il y a au moins un M, et(b) derrière un M, il n'y a que des H.
Il est impossible de concevoir une suite infinie de M et de H qui vérifie les règles (a) et (b).
Comme dans le cas du paradoxe du menteur, mais cette fois sans auto-référence la situation est contradictoire (toute attributionde valeur de vérité aux énoncés conduit à une contradiction).
Comment éviter ce paradoxe qui n'utilise même pas d'autoréférence ?
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SolutionComme dans le cas du paradoxe du menteur, aucune solution pleinement satisfaisante n'a aujourd'hui été proposée.
Une solution consiste à étendre de l'interdiction de l'autoréférence :
lorsque l'on considère des phrases parlant de vérité et de fausseté, il faut s'interdire les cycles,
et de plus s'interdire les chaînes infinies de phrases liées entre elles
("la phrase A est liée à B" si A mentionne la vérité ou la fausseté de B).
Paradoxe du à Stephen Yablo (paradoxe de Yablo).
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Le paradoxe de l'Apocalypse
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La prédiction est source de paradoxe.
Celui mis en avant par le philosophe John Leslie mérite une attention particulière.
John Leslie s'est particulièrement intéressé au Principe anthropique.
Ce principe qui est l'objet de nombreuses discussions entre astrophysiciens affirme que
«lorsque nous réfléchissons à notre situation dans l'univers nous ne devons pas nous étonner de nous trouver
quelque part où la vie et l'intelligence sont possibles —
puisque si elles ne l'étaient pas nous ne serions pas là pour le remarquer !».
«Un observateur doit s'attendre à se trouver là où les observateurs sont possibles».
Il s'agit d'une évidence, pourtant nous allons le voir, que de cette évidence à l'absurde, le chemin est très court.
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Pour introduire le raisonnement de Leslie, considérons d'abord l'histoire du chat de la voisine :
«Je me lève une nuit d'été en me demandant si je n'ai pas oublié de fermer la fenêtre de la cuisine.
Je sais que cela m'arrive un jour sur deux. Je sais aussi que lorsque j'oublie de fermer la fenêtre, lechat de la voisine vient s'installer sur la table du salon dans 10% des cas.
J'évalue aussi que la probabilité pour que le chat de la voisine soit sur la table lorsque la fenêtre estfermée est très faible, disons 0,1%.
J'allume la lumière du salon, je ne sais pas si la fenêtre de la cuisine est ouverte, mais je vois le chat dela voisine sur la table.
N'ai-je pas une bonne raison maintenant de croire que la fenêtre de la cuisine est ouverte ?»
Tout le monde pense que oui, car c'est une simple question de bon sens qui provient de la règle générale :
- entre deux théories également probables, je dois préférer celle qui rend ordinaires mes observations, àcelle qui fait de mes observations des faits exceptionnels.
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En théorie des probabilités, cette règle prend un sens précis et démontrable.
Elle résulte de la formule de Bayes.
Dans le cas du chat, un calcul —avec la formule de Bayes et les données précises de nos hypothèses— indique qu'après avoirobservé le chat, je dois considérer qu'il y a 99,01 % de chances pour que la fenêtre de la cuisine soit ouverte.
En résumé :
voir le chat, fait passer la probabilité que la fenêtre soit ouverte de 50% à 99,01%
Plus généralement, l'observation du chat aurait fait croître la probabilité que la fenêtre est ouverte,
quelle que soit l'évaluation initiale de cette probabilité.
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Considérons maintenant deux hypothèses complémentaires que nous appellerons Théorie A et Théorie B :
- Théorie A : L'humanité va complètement disparaître avant 2150.- Théorie B : L'humanité passera le cap de l'année 2150.
Admettons que dans le cas de la théorie A, un humain sur 10 aura vécu dans les années de 2000 à 2020.
Admettons aussi que dans le cas de la théorie B, un humain sur 1000 aura vécu dans les années de 2000 à 2020
Faisons l'évaluation que la probabilité de la théorie A est de 1% et que celle de la théorie B est de 99%.
Maintenant posons-nous la question :
- qu'est-ce qui rend plus probable que je sois ici en 2011 ?Est-ce Théorie A pour laquelle «avoir connu les années de 2000-2020» est vrai pour une grande partie des humains (10%),
Est-ce Théorie B pour laquelle «avoir connu les années de 2000-2020» est exceptionnel, vrai pour moins de 0,1 % des humains?
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Comme dans l'histoire du chat de la voisine, entre les deux théories,
je dois préférer celle qui fait de mes données des informations ordinaires,
à celle qui les fait apparaître comme exceptionnellement rares ;et donc, prenant en compte que je suis parmi les humains ayant connu les années de 2000 à 2020,
je dois revoir à la hausse la probabilité de la Théorie A.
Un calcul avec la formule de Bayes indique précisément que :
- le 1% en faveur de la Théorie A, passe à 50,25 %.
La prise en compte du fait que je suis en train de vivre dans les années de 2000 à 2020 faitpasser la probabilité d'une Apocalypse proche de 1% à 50,25 % !!!
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John Leslie fut le premier à publier ce raisonnement en 1989,
Formulé par Brandon Carter (inventeur du «principe anthropique») dans une conférence donnée en 1983
Acceptez-vous le raisonnement ?Sinon, où est l'erreur ?
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SolutionIncrédulité générale. Réactions hostiles fréquentes.
John Leslie : il y a un lien entre son raisonnement et le Principe anthropique, car la forme généralisée du principe
- «un observateur doit s'attendre à se trouver là où les observateurs sont possibles»est
- «un observateur doit s'attendre à se trouver là où les observateurs sont les plus probables»ce qui est la base de l'argument de l'Apocalypse.
John Leslie y voit la confirmation qu'il faut prendre au sérieux son argument de l'Apocalypse.
Dans un article de la revue Nature, l'astrophysicien Richard Gott III de l'Université de Princeton, a donné une présentation assezdifférente mais convergente de l'argument de l'Apocalypse.
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Disproportion grave
entre les moyens mis en œuvre dans le raisonnement
—moyens dérisoires n'invoquant aucun fait matériel nouveau—
et la conclusion obtenue.
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Le Paradoxe des bébés.
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Imaginons que les données suivantes soient exactes :
- 1% des bébés meurent durant leur première année de vie.
- Pour les 99% qui passent leur premier anniversaire, la durée de vie moyenne est de 70 ans.En copiant Leslie et en imaginant que je suis un bébé de moins de 1 an, je peux alors formuler le raisonnement suivant :
Etre dans ma première année de vie est ordinaire si je suis un humain qui n'atteint pas son premier anniversaire.
Par contre, être dans ma première année de vie est exceptionnel si je suis un humain qui vit 70 ans.
Si je suis un bébé dans sa première année de vie, je dois donc revoir à la hausse le 1% de chances (de malchances !)que les statistiques m'attribuent de ne pas atteindre mon premier anniversaire.
La formule de Bayes dit précisément que prendre en compte le fait que je suis dans ma première année, en calculantcomme Leslie, transforme le 1% en 41,42%.
Je dois donc craindre sérieusement de ne jamais souffler ma première bougie».
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La conclusion du raisonnement est cette fois résolument absurde.
Si 1% des bébés meurent dans leur première année et que je suis un bébé dans ma première année de vie,j'atteindrai mon premier anniversaire dans 99% des cas.
Une réévaluation à la hausse du 1% en 41,42% est nécessairement erronée.
Pour John Leslie, il est exact que dans le cas des bébés, il n'y a pas de réévaluation à opérer de 1% à 41,42 %.
Mais pour les risques d'Apocalypse prochaine, dit-il, les choses sont différentes, car
- la probabilité dont nous partons dans le raisonnement résulte d'une évaluation subjective des risques que courtl'humanité aujourd'hui. Nous sommes donc en droit de modifier cette évaluation approximative qui contrairementau cas des bébés n'est pas le produit d'études statistiques objectives.
Autres solutions : Anamorphoses probabilistes.
Discussion en cours !!!
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Conclusion
Les paradoxes sont un stimulant, forcent à réfléchir, permettent d'avancer, et ....
constituent un jeu !
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Rappels sur la formule de Bayes.
D’abord redémontrons-là dans le cas où les événements élémentaires sont équiprobables et où il suffit donc de les décompter.
P(A | I) désigne la probabilité de A sachant que I est vrai. Par définition, cette probabilité est égale au quotient m/i du nombre mde cas où A et I sont vraies simultanément par le nombre total de cas possibles i où I est vrai. Si on note n le nombre total de caspossibles, alors m/i est égal à (m/n)/(i/n) ce qui donne :
P(A | I) = Pr(A et I) / Pr(I)
De même, en permutant A et I :
P(I | A) = Pr(A et I) / Pr(A)
Les deux formules précédentes conduisent à :
Pr(A et I) = P(A | I) Pr(I) = P(I | A) Pr(A)
D’où on tire :
Pr(A | I) = P(I | A) . Pr(A) / Pr(I)
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Par ailleurs :
Pr(I) = Pr({A et I} ou {non A et I}) =
Pr(A) . Pr(I | A) + Pr(non A) . Pr(I | non A)
Ce qui, avec la formule précédente, donne la formule de Bayes :
Pr(A | I ) = Pr(A).Pr(I | A) / [Pr(A).Pr(I | A) + Pr(non A).Pr(I | non A)]
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Calculs pour les différentes situations évoquées dans le texte.
Pour le chat de la voisine, je sais qu'une fois sur deux, j'oublie de fermer la fenêtre de la cuisine, et qu'alors une fois sur 10, lechat de la voisine vient s'installer sur la table du salon. Lorsque je ferme la fenêtre, le chat n'est presque jamais sur la table, enfait, une fois sur 1000. Je vois le chat sur la table. Ne dois-je pas en conclure que très probablement la fenêtre est ouverte ? Laformule de Bayes donne la probabilité que «la fenêtre est ouverte, sachant que le chat est sur la table», ce qu'on note :
Pr(la fenêtre est ouverte | le chat est sur la table).
A = la fenêtre est ouvertePr(A) = 1/2 Pr(non A) = 1/2
I = le chat est sur la tablePr(I | A) = 1/10 Pr(I | non A) = 1/1000
Ce qui donne :
Pr(A | I) = (1/2)( 1/10)/[(1/2)(1/10) + (1/2)(1/1000)] = 100/101 = 99,01 %
La probabilité pour que la fenêtre soit ouverte est passée de 1/2 (avant que j'observe le chat sur la table)
à 99,01 (après l'avoir aperçu).
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Pour l'argument de l'Apocalypse, le calcul est :
A = la Théorie A est vraie non A = la Théorie B est vraiePr(A)= 1/100 Pr(non A)=99/100
I = je suis parmi les humains ayant connu les années 2000-2020Pr(I | A) = 1/10 Pr(I | non A) = 1/1000
Pr(A | I) = (1/100)(1/10) / [(1/100)(1/10) + (99/100)(1/1000)] = 0,502512 = 50,25%
La probabilité pour que la théorie A (l'Apocalypse survient avant 2150) est passée de 1% à 50,25% en prenant en compte le faitque je suis parmi les humains ayant connu les années 2000-2020.
Pour le paradoxe des bébés, le calcul donne :
A = mourir dans sa première année
I = je suis un bébé de moins d'un an
Pr(A | I) = (1/100)/((1/100) + (99/100) (1/70)) = 0,414201= 41,42%
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