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LE MYTHE DE LA FIN DU MONDE De l’Antiquité à 2012

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FIN DU MONDE

De l’Antiquité à 2012

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Du même auteur

Mary Stuart, la reine aux trois couronnes, l’Archipel, 2009.Ces découvertes qu’on nous cache, Trajectoire, 2008.Les derniers jours des Romanov, l’Archipel, 2008.Enquête sur le Graal, Trajectoire, 2008.Vauban, le maître des forteresses, l’Archipel, 2007.Les mystères des cathédrales, de Vecchi, 2007.Les grands assassinats, Trajectoire, 2006.La Seconde Guerre mondiale, de Vecchi, 2005.Voyage au bout de la galaxie, JMG éditions, 2004.3003, la route des étoiles, JMG éditions, 2002.Le temps manipulé, Fernand Lanore, 1996.Le futur nous observe, Desforges, 1980.

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Luc Mary

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Introduction

La fin du monde a une histoire…

« Si vous voulez avoir une image du futur, imaginez une botte écrasant un visage humain pour l’éternité. » George Orwell (1984)

S’il existe une permanence dans l’histoire de notre civilisation, c’est l’assurance qu’elle s’éteindra un jour. Mieux encore, sa disparition proba-ble gouverne ses actions et ses prises de décision. Depuis les invasions barbares jusqu’à l’agonie du IIIe Reich, on ne compte plus le nombre de prévisions et autres prédictions qui ont annoncé l’ultime année de l’Hu-manité. À défaut d’être une réalité, la fin du Monde est devenue un mythe incontournable de notre longue histoire…

Explorer le mythe de la fin du Monde, c’est se questionner sur les grands mystères de la vie. En autopsiant l’eschatologie, on s’interroge à la fois sur le sens de l’Histoire, la direction du temps, le mystère de la mort et les rapports de l’Homme avec Dieu. Depuis un siècle, le thème de la fin du Monde est omniprésent dans les médias. Après la folie des hommes, les caprices de la nature menacent à leur tour l’existence de la planète…

En attendant 2012… (donner un sens à l’Histoire)

En 2009, les arpenteurs de l’avenir agitent d’autres épouvantails. Après les hommes, c’est au tour de la nature d’être menaçante. Des tsunamis

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ravageant les côtes de l’océan Indien aux cyclones dévastateurs s’abat-tant sur les États-Unis en passant par le tremblement de terre en Chine, la Terre est soudain prise d’un accès de folie. À en croire les météorologues et les astrologues en mal de catastrophes, tous les voyants sont au rouge. Le réchauffement climatique est sur toutes les lèvres. Les plus pessimistes parlent d’arrêt du jet-stream, de remontée du niveau des océans et de raz de marée déferlant sur les côtes de l’Atlantique. Pour couronner le tout, un astéroïde exterminateur foncerait sur nous… À n’en pas douter, nous sommes dans l’antichambre de la fin du Monde. Et les amateurs de sensa-tions fortes d’annoncer celle-ci pour le vendredi 21 décembre 2012. En se référant au seul calendrier maya, nous arriverions à la fin d’un cycle long de vingt-six mille ans. Pour les adeptes de cette nouvelle théorie eschatologi-que, le champ magnétique s’inverserait et les extraterrestres descendraient sur Terre. Ils annoncent pêle-mêle des ouragans, des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, des raz de marée et des guerres atomiques au Proche-Orient. En somme, un vrai hors d’œuvre de fin des temps…

Loin de faire exception, la « date eschatologique » du 21 décembre 2012 n’est que la 183e du nom. Elle s’inscrit dans une très longue série de catastrophes annoncées depuis l’effondrement de l’Empire romain. Depuis mille cinq cents ans, pas une décennie ne s’écoule sans que des prophéties de mauvais augure ne prévoient la disparition prochaine de l’Homme. À la fin du xxe siècle, nous comptons même des prédictions tous les ans. L’une des plus célèbres est celle du 11 août 1999. Aux dires d’un certain Paco Rabane, la sonde Cassini, alors en direction de Saturne, devait tout bonnement s’écraser sur Paris. Selon le célèbre couturier, éclipse rime avec cataclysme (ce qui était faire fi de cinq cents ans de progrès scientifique). Un discours assurément synonyme d’obscurantisme médiéval que cependant un bon tiers de nos concitoyens sont disposés à croire. Et Paco Rabane de renchérir sur le mensonge éhonté des scienti-fiques. Ce jour-là, le 11 août 1999, l’éclipse totale de Soleil a consacré la défaite de la superstition et le triomphe de la science…

Seul Dieu connaît le jour et l’heure (Le mythe de la fin du Monde, instrument de propagande des religions monothéistes)

Incontestablement, le mythe de la fin du Monde fait parti de notre patrimoine culturel. Il est même intimement lié aux religions du Livre.

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L’extinction de l’Humanité présuppose l’existence d’un dieu transcen-dant tirant les ficelles du Monde. Créateur de l’Univers, il en serait aussi le destructeur. C’est la raison pour laquelle les contemporains de Péri-clès ont ignoré ce concept. À la différence des religions monothéistes, les dieux du panthéon grec font partie intégrante du monde. L’Univers a engendré les dieux et non l’inverse. En termes clairs, la terre et les cieux se sont formés bien avant l’arrivée des dieux. Avec les religions mono-théistes, le temps devient linéaire et la fin du Monde est inscrite dans son commencement. Le christianisme baigne complètement dans cette atmosphère. Depuis le temps des croisades, la fin du Monde est deve-nue un thème dominant de sa propagande. Comme le souligne Moltmann dans sa Théologie de l’espérance : « La perspective eschatologique n’est pas un aspect du christianisme, elle est, à tous égards, le milieu de la foi chrétienne. Il n’y a assurément qu’un seul problème réel en théologie chrétienne ; il lui est posé par son objet et, à travers elle, il est posé à l’Humanité et à la pensée humaine : c’est le problème de l’avenir. » L’is-lam ne demeure pas en reste. Depuis la fondation de la république isla-miste d’Iran (1979), la propagande apocalyptique bat son plein. Là aussi, la perspective d’un paradis, le jour de la Résurrection et les promesses de récompense pour les fidèles sont indissociables d’une destruction de l’ordre impie et de cataclysmes en série. « Tout ce qui se trouve sur Terre périra mais la face de ton Seigneur demeurera, majestueuse et noble » peut-on lire sur les tombes musulmanes. La surenchère eschatologique fait les beaux jours du terrorisme islamique. Dans cette perspective, l’Oc-cident est diabolisé et, par conséquent, voué à une destruction prochaine. Les ennemis désignés coupables d’avoir corrompu le Monde sont ici les juifs et les chrétiens. À deux reprises, en 1979 et 2007, des soulèvements messianiques ont secoué les villes saintes de l’islam. Des mouvements aussitôt écrasés dans le sang avec le concours des forces occidentales. Aujourd’hui, Al-Qaïda continue de brandir le drapeau de l’apocalypse. Aux dernières nouvelles, la fin du Monde (prévue pour 2012) se traduira par la destruction de l’état d’Israël…

Quand messianisme rime avec millénarisme (fin du Monde ou fin d’un monde ?)

Loin d’annoncer purement et simplement la fin des temps, les prédi-cateurs, prophètes et autres oracles se contentent d’annoncer la fin d’un

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temps. Avec ses malheurs à répétition, le Moyen Âge est particulière-ment fertile en prévisions apocalyptiques. Les guerres, les épidémies et la famine sont des vecteurs favorables à l’idée que le monde d’ici bas vit ses dernières heures. Les années 1186, 1229, 1260, 1345, 1395 appa-raissent comme autant de dates auxquelles le genre humain ne devait pas survivre, miné par le péché. Tout en augurant des lendemains noirs, on prophétise l’avènement d’un monde meilleur bannissant à la fois la corruption, la luxure, le mensonge et la pauvreté. Un nouveau déluge qui balaierait la mauvaise graine de la Terre afin de pouvoir entrer de plain-pied dans l’âge d’or du futur. On annonce pêle-mêle la venue de l’antéchrist, Gog et Magog1, le retour du Messie et l’avènement d’une cité des élus. Derrière le mur opaque de « la fin du Monde » se cache l’empire des Justes. L’Apocalypse de Saint Jean est explicite : « […] Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de sa prison, et il s’en ira séduire les Nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog. Il les rassemblera pour le combat : leur nombre est comme le sable de la mer. Ils envahirent toute l’étendue de la terre et investirent le camp des saints et la cité bien-aimée. Mais un feu descendit du ciel et les dévora. Et le diable, leur séducteur, fut précipité dans l’étang de feu et de soufre, auprès de la Bête et du faux prophète. Et ils souffri-rent des tourments jour et nuit aux siècles des siècles… » Et le récit de saint Jean de s’achever sur la découverte de la Jérusalem céleste. Que cette fin du Monde ait lieu ou non n’est pas l’essentiel ; l’important est que les gens y croient. Au xiie siècle, sur fond de croisades, l’attente de cette ère nouvelle hante tous les esprits aiguisés. À commencer par celui de Joachim de Flore. Moine cistercien, ce Calabrais au tempéra-ment mystique prédit l’avènement d’un troisième âge, celui de l’Esprit. S’appuyant sur l’étude du passé pour prévoir l’avenir, Joachim de Flore s’inscrit dans la tradition millénariste. Après la défaite de l’antéchrist, l’Humanité connaîtra le Jugement dernier et l’éternité. Le futur est ici synonyme de paix, de prospérité et de progrès. Tout en précisant que seul Dieu connaît le jour et l’heure de la fin des temps, Joachim de Flore précise à son tour la date de la fin des temps : l’année 1260. Mais l’an-née passe sans la moindre catastrophe. Loin de capituler, les adeptes de

1. Gog et Magog, les peuples exterminateurs, ont successivement été assimilés aux Scythes, aux Goths, aux Huns et aux Mongols. Ils viennent tous de l’Est ; l’endroit où le Soleil se lève est aussi le lieu où Satan brandit son glaive.

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la théorie de Flore prétendent qu’au dernier instant, la Vierge a préservé les hommes de la destruction finale en obtenant une ultime rémission auprès du Seigneur Tout-Puissant… À défaut de prévoir la disparition de l’Humanité, les prophètes nous renseignent sur les tourments de leur époque. Cette projection dans l’avenir n’est que la traduction des fléaux d’une période donnée. Chaque malheur génère une recrudescence du prophétisme apocalyptique…

La grande vague millénariste germanique (de l’exaltation religieuse à la contestation sociale)

Les pages eschatologiques ne se referment pas avec le Moyen Âge, bien au contraire. Sous l’impulsion des guerres de religion, celles-ci se noircissent de nouveaux épisodes. Brandissant l’étendard de la révolte contre l’Église catholique et apostolique, les protestants nous livrent à leur tour une grande collection de prophéties apocalyptiques. Tous affirment sans ambages que le pape est l’antéchrist et Rome « la grande prostituée de Babylone ». Depuis le Grand Schisme, la papauté n’est plus en odeur de sainteté. Au xvie siècle, la contestation religieuse se double d’un mouvement social1. Prêchant la violence extrême, les révolutionnaires allemands surfent à leur tour sur la vague du millé-narisme. La Bohême est leur terrain d’élection. De Thomas Müntzer à Hans Hut en passant par Jean de Leyde, Jean Willemsen et Jan Matthys, tous appellent à la destruction de l’ordre social existant et à la révolte des pauvres. Aux Pays-Bas, le prophète visionnaire Melchior Hoffmann annonce à son tour la fin du Monde et le début du millenium pour l’an-née 1533 (une année non prise au hasard, elle marque le quinzième centenaire de la mort du Christ !). Les plus enclins à détruire l’ordre catholique sont indéniablement les anabaptistes. Sous leur impulsion, la question sociale s’invite ici dans le grand théâtre eschatologique. La fin du Monde prend un arrière goût de communisme. Assurément, le jour du Jugement dernier se confond avec le grand jour de la Révolution. « Quand Adam tissait et qu’Ève filait, où était le gentilhomme ? » n’hé-site-t-on pas à déclarer…

1. Preuve en est la seule révolte des paysans de 1525.

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La fin du Monde, terreau privilégié de l’imaginaire (nous sommes tous des enfants d’Hiroshima)

Loin d’être associé au malheur, le mythe de la fin du Monde nourrit donc les utopies et les rêves d’un monde plus juste. Vers la fin du xixe siècle, les écrivains prennent le relais des prédicateurs religieux. La littérature de science-fiction a ici la partie belle. Explorant à souhait les contrées de l’avenir, elle permet de mettre en garde les hommes contre les excès de la science et explore des mondes post-apocalyptiques où l’Homme a disparu de la surface de la Terre. La planète des singes de Pierre Boule imagine ainsi un monde où les hommes, redevenus muets, sont asservis par une tribu de singes doués d’intelligence. Enfermés dans des cages de bambou, ils font alors l’objet d’expériences chirurgicales. Généralement, les auteurs de science-fiction bâtissent des univers où l’homme a disparu de la surface de la Terre, victime de sa vanité démesurée. Notre planète est alors livrée à elle-même, de nouvelles espèces hybrides apparaissent et nos anciennes villes sont gagnées par une végétation à la fois luxu-riante et sauvage. C’est le mythe du retour aux temps originels. L’avenir devient ici le miroir parfait de notre pessimisme. Une vision noire en partie conditionnée par la peur de l’apocalypse nucléaire…

Le xxe siècle, avec ses deux guerres mondiales, met en effet l’accent sur la fragilité de notre monde et les dangers d’une technologie utilisée à mauvais escient. Dès 1918, les hommes prennent conscience de la possibilité de s’anéantir. Souvenons-nous du mot de Paul Valery : « Nous autres, civilisations, nous savons désormais que nous sommes mortelles. » Trente-sept ans plus tard, en 1945, cet électrochoc est décuplé. L’explo-sion atomique d’Hiroshima signifie clairement que la destruction totale de la planète ne relève plus de l’imaginaire. Pendant la guerre froide, la confrontation des deux grands blocs idéologiques menace à tout moment de dégénérer en apocalypse nucléaire. Avec l’explosion des médias, les images de « fin du monde » entrent dans tous les foyers. Les champignons atomiques sont devenus les nouveaux chevaux de bataille des prophè-tes de mauvais augure. En octobre 1962, la crise de Cuba fait figure de dernier round avant la tempête finale. Le Monde au bord du gouffre titrent les journaux. À chaque fin d’année, les prophètes et autres voyants nous prédisent que le grand cataclysme est pour l’année à venir. Aujourd’hui, avec la chute du mur de Berlin et son corollaire, l’effondrement des régi-mes communistes, le spectre de la troisième guerre mondiale semble

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s’éloigner. Mais c’est sans compter la montée des intégrismes religieux et l’hydre de Lerne nationaliste. En ce xxie siècle naissant, Téhéran prend le relais de Moscou en tant que principal détracteur de la civilisation occi-dentale…

La parole est aux scientifiques (la prospective se substitue à la prophétie)

Aujourd’hui, la fin du Monde est devenue une possibilité scientifique. Les grands maîtres de l’eschatologie sont désormais les astrophysiciens. En auscultant les étoiles, l’astronomie moderne a démontré que les jours du Soleil sont comptés et, a fortiori, ceux de la Terre. La fin du Monde est ici indépendante de la volonté humaine. L’homme peut toutefois se soustraire à la colère du Soleil en s’exilant sur d’autres planètes. Comme le répète l’astronome soviétique Konstantin Tsiolkovski : « La Terre est le berceau de l’Humanité, on ne reste pas toute sa vie dans un berceau. » En prévision d’un prochain choc cosmique, mieux vaut pour l’Humanité de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Autrement dit, il nous faut au plus vite explorer les autres planètes dans l’espoir d’y déceler d’autres terres habitables…

Du Choc des mondes à Armageddon en passant par Deep Impact, les films catastrophes ne cessent de mettre en garde l’Humanité contre les dangers de l’espace. Successivement, des étoiles, des astéroïdes ou encore des comètes peuvent croiser la route de la Terre et mettre fin à la longue aventure de l’Humanité. Ce scénario de science-fiction est d’autant plus crédible qu’il s’est déjà produit. Au cours du dernier milliard d’années de son existence, notre globe a ainsi croisé à cinq reprises la trajectoire de bolides exterminateurs venus des confins du système solaire. À chaque fois, ces collisions ont généré d’importantes extinctions d’espèces. À commencer par la dernière, celle des dinosaures ; il y a 65 millions d’années, un astéroïde de la taille du mont Blanc a percuté le nord-est du Mexique. La violence du choc a généré un écran de poussière et de terre qui a privé la Terre de la lumière du Soleil pendant plusieurs années. À quand la prochaine collision cosmique ? « Seul Dieu connaît le jour et l’heure... »

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Chapitre 1

« Le futur n’est plus ce qu’il était1 »

(l’impossibilité de prévoir le futur)

« L’avenir est ce qu’il y a de pire dans le présent. » Gustave Flaubert

« L’important n’est pas l’exactitude de la prédiction mais son rôle de thérapie sociale et individuelle. » Georges Minois

Si l’avenir et le passé apparaissent intrinsèquement liés, ils semblent appartenir à des univers radicalement opposés. L’un est écrit, l’autre reste éternellement à imaginer et à construire. À l’échelle du tout un chacun, le passé représente notre jeunesse, notre insouciance, nos souvenirs, l’ave-nir apparaît au contraire incertain, conflictuel, tourmenté. Il est signe de dégénérescence, de perte de ses facultés physiques et intellectuelles. C’est la vieillesse, la maladie et, à plus ou moins long terme, la mort. Nous appréhendons le futur de l’Humanité à l’image de notre propre devenir. Loin d’être synonyme de progrès, il est forcément plus noir, plus terrible et plus catastrophique que notre présent. Tôt ou tard, la Terre et ses habi-tants disparaîtront dans un cataclysme final à l’image de notre corps et de

1. Expression inventée par Jocelyn de Noblet, en avant-propos du livre intitulé Rêves de futur traduit en français en 1993.

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ses cellules. Si les hommes ne peuvent en rien prédire quand ils dispa-raîtront de la surface de la Terre, leurs scientifiques affirment sans amba-ges que notre planète n’est pas éternelle. D’après les astrophysiciens, la mort de notre globe est en effet programmée. Notre devenir cosmique est conditionné par les humeurs de notre étoile. D’ici cinq milliards d’an-nées, notre Soleil, devenue une géante rouge emplissant tout notre ciel, transformera toute la surface de notre planète en un immense champ de lave. La température superficielle de la Terre excédera alors les deux mille degrés. Tout ce qui naît doit mourir, c’est la seule certitude cosmi-que. À l’instar des humains, les étoiles naissent, vivent et meurent. En attendant cette fin lointaine et certaine de notre planète, d’aucuns imagi-nent que les hommes disparaîtront bien avant l’inévitable métamorphose de notre Soleil. Quand et à quoi ressemblera le grand cataclysme ? Les réponses à cette lancinante question sont aussi variées que leurs auteurs. Retracer l’histoire des « eschatologies », à savoir les doctrines des fins dernières, revient à s’interroger sur la place de l’appréhension du futur dans les sociétés antiques et modernes. Indiscutablement, la fin du Monde s’inscrit dans le cadre du grand jeu des prédictions…

Le passé a toujours raison…

« Le bon vieux temps », cette expression tirée de notre quotidien est une permanence de notre longue histoire. Le passé, espace de nostalgie, rassure, mais le futur, lieu de toutes les incertitudes, inquiète. Au sein du grand tourbillon des siècles, chaque génération fait preuve d’une incroya-ble amnésie. Elle se rappelle ses vertes années en éliminant systémati-quement les mauvais souvenirs. Avec le recul du temps, notre mémoire sélective retient les bons moments de notre existence. À seul titre d’exem-ple, les anciens combattants jettent toujours un regard nostalgique sur leurs années de guerre. Que regrettent-ils, l’âpreté des combats ou leur jeunesse à jamais révolue ? Et que dire de l’univers scolaire ? Les profes-seurs qu’on exécrait tant qu’on chauffait les bancs des écoles deviennent, dans nos souvenirs, des modèles de savoir et de cordialité. On en admire la patience et l’esprit d’abnégation. Même chose pour les chanteurs populaires. Les sociologues des années soixante-dix n’ont absolument pas mesuré la dimension mythique d’un Claude François ou encore d’un Mike Brandt. D’aucuns en soulignaient le caractère éphémère en préten-dant que les générations futures se gausseraient des goûts musicaux de

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leurs aïeux. Regrettable erreur d’analyse. La mort brutale de ces artistes les a littéralement propulsés au firmament des immortels. Plus de trente ans après leur disparition, ils continuent à déchaîner les passions sur les pistes de danse. En vérité, nous devrions édifier une statue à la gloire de la déesse Nostalgie.

Les contemporains des années quatre-vingts adulaient les années soixante tout en déplorant vivre la période la plus noire de l’Huma-nité ; à leurs yeux, leur décennie ne resterait pas dans les annales de la Grande Histoire. Les évènements d’envergure sont pourtant légion : comment passer sous silence l’attentat contre le pape, le lancement de la navette spatiale, l’accident nucléaire de Tchernobyl et, surtout, l’ef-fondrement final du communisme soviétique. La décennie 2000 réha-bilite au contraire ces années fustigées mais en occultant les aspects fondamentaux. Aux dires des chroniqueurs « amnésiques » de notre époque tourmentée, c’était la décennie du plein emploi, de l’énergie bon marché, de l’absence de conflits sociaux. Qui se souvient, en effet, des conséquences du double choc pétrolier, des années Sida, du million de chômeurs (déjà considéré à l’époque comme explosif), des soubresauts nationalistes de la Nouvelle-Calédonie et des meurtres politiques perpétrés par le groupe Action directe ? Vive le président Reagan, le fossoyeur de l’URSS. Il était pourtant aussi décrié que George W. Bush après son intervention en Irak. Sa présidence a même connu un record d’impopularité après l’invasion de l’île de Grenade ; au contraire, Gorbatchev était adulé et choyé par la presse occidentale. Aujourd’hui, les avis sur le dernier locataire du Kremlin sont beaucoup plus nuancés. Au sein même des anciennes démocraties populaires, d’aucuns en viennent à regretter la chute du mur de Berlin et prônent le retour au communisme. Oubliés la violation des droits de l’Homme et l’absence de libertés, le régime hérité de Lénine était synonyme de sécurité et d’exploits technologiques. On en regrette la grandeur passée. Au temps de Brejnev, répètent inlassablement les nostalgiques de la puissance soviétique, notre pays était craint et respecté. Pas plus tard qu’en 2008, on a reconstitué dans l’ex-Allemagne de l’Est (la défunte RDA) un véritable camp de prisonniers du temps de la guerre froide avec de vrais miradors, des faux tortionnaires, des faux détenus et, surtout, de vrais touristes. Depuis la faillite de plusieurs banques américaines, en septembre 2008, on dénonce pêle-mêle le libéralisme,

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les traders, les parachutes dorés et les salaires astronomiques des grands patrons. C’est au tour du capitalisme d’être vilipendé après avoir été porté aux nues après l’implosion du système communiste. Le bon vieux temps a raison de tous les maux. Au diable l’intervention soviétique en Afghanistan, la prise d’otages de Téhéran, la catastro-phe de Bhopal, notre monde serait bien plus instable. L’Union sovié-tique n’est pourtant plus de ce monde et les risques de conflagration générale appartiennent à des temps révolus…

Le futur est forcément catastrophique

L’adulation du passé va bien sûr de pair avec la crainte du futur…

Apocalypse nucléaire, explosion démographique, dérèglements clima-tiques, bombardements météoritiques, bouleversements sociaux et gran-des épidémies apparaissent toujours comme autant d’épées de Damoclès devant transpercer l’Humanité en raison de ses fautes. Chacun pense vivre le dernier cycle du temps. Ce sentiment est littéralement exacerbé après une grande catastrophe. En 216 av. J.-C., suite au désastre de la bataille de Cannes1 devant les troupes d’Hannibal, les Romains sont persuadés de vivre leur dernier épisode. Pour juguler la colère divine, ils s’adonnent à des sacrifices humains. Deux Gaulois sont ainsi enterrés vivants sur le marché aux bœufs à Rome. Dans la seconde partie du xxe siècle, on vit dans la hantise de la troisième guerre mondiale. À chaque crise internatio-nale, de la crise de Cuba à la guerre du Kippour, lesdits experts envisagent le pire. En témoigne la seule obsession d’Edward Teller2. Dans les années soixante et soixante-dix, l’inventeur de la bombe H américaine ne cesse d’annoncer tous les deux ans l’imminence d’un conflit atomique total entre l’Est et l’Ouest. Foi d’expert, il envisage toujours le grand cham-bardement pour les cinq années à venir. Aussi physicien soit-il, Teller se montre piètre futurologue. Sa vision de l’avenir est, en fait, profon-dément altérée par sa haine des Soviétiques. Pendant la Seconde Guerre mondiale, sa famille a été entièrement massacrée par l’Armée rouge. L’apocalypse nucléaire répond ici à un souhait personnel, Teller n’aspire qu’à se venger de la barbarie communiste. Obsédé par le péril rouge, le physicien projette dans l’avenir son propre désir d’en découdre…

1. Les troupes romaines perdent plus de 40 000 hommes en une seule journée !2. Décédé en 2003.

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Le futur est inextricablement associé au pire. Envisager un avenir meilleur semble relever de l’aberration ou de la douce utopie. Le temps est linéaire et l’heure de l’apocalypse est forcément pour bientôt. Sur les terres hostiles de l’avenir, les sillons desséchés serpenteront entre des villes calcinées et atomisées par la folie des hommes. Le futur traduit toutes nos angoisses et toutes nos espérances. Plus que la fin du Monde, les anciens ont imaginé la fin d’un monde, lequel précède toujours l’avè-nement d’un nouveau cycle, un univers idyllique où toutes les tares de l’Humanité auront disparu. L’apocalypse finale est un thème récurrent des religions monothéistes, elle est inextricablement liée au châtiment divin. À chaque fléau ou à chaque guerre, des voix s’élèvent pour dénon-cer la folie et le péché des hommes en annonçant que la colère de Dieu va bientôt s’abattre sur le Monde…

Quand les visions d’apocalypse traduisent un refus du futur

Sans risque, nous pouvons parier qu’à l’orée du ive millénaire, d’autres prédicateurs et prophètes de mauvais augure annonceront la fin immi-nente de l’Humanité. Les Joachim de Flore et autres Paco Rabane sont créés en série dans le grand tourbillon des siècles. La mémoire collective a aussi une incroyable capacité d’oubli. Preuve en sont les parutions de Jean-Charles de Fontbrune. Tous les dix ans, ce dit spécialiste de Nostra-damus nous annonce à grand renfort de publicité de terribles boulever-sements géopolitiques pour les années à venir, adaptant son interpréta-tion des psaumes du médecin d’Henri II au gré des derniers évènements. Étonnamment, la chute du mur de Berlin ou les attentats du 11 septembre ont été prévus dans des éditions parues après lesdits évènements. Autant imaginer un journal télévisé qui annoncerait les grandes nouvelles de notre monde plusieurs années après leur déroulement ! Un vrai tour de force médiatique.

À défaut de prévoir l’avenir, les prédictions ont un avenir assuré. Chaque génération pense être la dernière. Dans cette optique, le moindre tremblement de terre ou autre tsunami d’envergure est considéré comme un signe précurseur de la fin des temps. L’orgueil démesuré des annon-ciateurs d’apocalypse n’a d’égal que leur ignorance abyssale des phéno-mènes naturels. Malgré le progrès des sciences, les astrologues et autres voyants de seconde zone réagissent en thuriféraires du géocentrisme et de la terre plate. Ils raisonnent comme si l’Univers entier se préoccupait

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du sort des Terriens. Leurs prévisions ont d’autant plus de succès que tout un chacun dispose de connaissances scientifiques limitées. Pas plus tard qu’en 1982, une année relativement proche de nous, un sondage paru dans un grand journal populaire français démontrait que plus d’un tiers de nos compatriotes considéraient encore que le Soleil tournait autour de la Terre.

Ces visions d’apocalypse traduisent non une peur mais un refus du futur. « Après moi, le Déluge » serait-on tenté de commenter. Chronos se joue de nos certitudes et déjoue les pronostics les plus pessimistes.

Le mythe de la fin du Monde est aussi vieux que l’Humanité. En l’es-pace de cinq millions d’années, rien n’a changé. Le futur est toujours aussi impénétrable. Malgré ses outils de prospective et ses connaissances technologiques, l’homme moderne ne dispose pas de plus d’armes que les prophètes des premiers temps pour percer les secrets de l’avenir. Quand il s’aventure au moyen de l’imagination, des oracles, des prophéties, des prédictions ou des prévisions, il s’y égare et emprunte systématiquement des sens interdits. Le futur prend un malin plaisir à inventer un scénario radicalement différend de celui envisagé par les hommes. À seul titre d’exemple, tous les états-majors de 1914 s’accordaient à penser que le conflit n’excéderait pas quelques mois. Les plans d’offensive à outrance empêchaient tout prolongement des combats ! À l’inverse, trois ans plus tard, en 1917, les mêmes généraux versaient dans le pessimisme. Ceux qui envisageaient une fin de la Grande Guerre avant l’aube de l’année 1920 étaient considérés comme utopiques. Dans le même ordre d’idée, les astrologues et autres vendeurs d’illusion des années soixante-dix regardaient l’avenir avec les lunettes rouges des intellectuels de gauche de l’époque. Impressionnés par le fiasco américain sur les rives du Mékong, nombreux étaient ceux qui professaient l’implosion de la première démo-cratie du Monde et le renversement populaire de tous les régimes de l’Europe occidentale avant l’aube du xxie siècle. Au contraire, le mur de Berlin ne présentait aucune fissure et l’Union soviétique franchirait allégrement le seuil de l’an 2000. Au lendemain de la destruction du « mur de la honte », on assiste à un renversement complet des pronostics sur l’avenir. Le Premier ministre français de l’époque, Michel Rocard, affirme sans sourciller que le temps des guerres est révolu. Moins d’un an plus tard, la Yougoslavie sombre dans le chaos. Et que dire de ceux qui annoncent la fin des idéologies. Les colonnes des journaux ne tarissent

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pas d’éloges sur les vertus du libéralisme triomphant. Incontestablement, le communisme ne renaîtra jamais de ses cendres. Vingt ans plus tard, le capitalisme financier traverse sa plus grave crise depuis 1929 et les perspectives d’une prochaine révolution prolétarienne de grande ampleur refont surface. Le dénommé Olivier Besancenot, trotskiste dans l’âme, devient l’opposant le plus populaire au régime de Sarkozy. 2017 aurait-elle un faux air de 1917 ?...

Des futurologues trop prisonniers du présent…

Cette impossibilité de décrypter les hiéroglyphes du futur est une constante de l’histoire de l’Homme. À la différence de l’exploration de l’espace, les scientifiques n’utilisent pas de télescopes pour ausculter les mondes impénétrables de l’avenir. Pour se préserver du regard des pros-pectivistes, des devins et autres astrologues, le futur dispose par ailleurs d’un allié de poids : le présent ! En d’autres termes, les voies de l’avenir sont toujours construites à l’image de celles du présent. À défaut d’inven-ter des mondes radicalement différents, on se contente d’extrapoler les découvertes actuelles. En d’autres termes, jamais les contemporains de Christophe Colomb n’auraient pu imaginer un supersonique franchissant l’Atlantique en un peu moins de quatre heures. Tout juste auraient-ils pu concevoir une super caravelle reliant l’Europe au Nouveau Monde en quelques jours. Dans le même ordre d’idée, les scientifiques du xixe siècle seraient sidérés par notre Monde. Loin d’être l’apanage des incultes, l’aveuglement sur l’avenir frappe même les esprits les plus aiguisés. Lord Kelvin, l’inventeur du zéro absolu, affirme sur un ton péremptoire que la radio n’a pas d’avenir. L’atomiste Rutherford pensait, de son côté, que l’énergie nucléaire pourrait à peine éclairer une classe d’école. Il clame ainsi à qui veut l’entendre : « Quiconque recherche une source d’énergie à partir de la transformation d’un atome est un doux rêveur. » Chaque grande invention est systématiquement ridiculisée, bafouée, dénaturée. La photographie, la navigation aérienne et le téléphone ont ainsi été tour à tour vilipendés et considérés comme des nouveautés marginales destinées tout au plus à émerveiller les enfants et les âmes naïves lors des exposi-tions universelles. La lampe à incandescence d’Edison servirait tout au plus à organiser des spectacles au milieu de la nuit et l’ordinateur consi-déré comme une supercalculatrice. La fin du xixe considère par ailleurs la physique parachevée. Jamais l’automobile ne remplacerait le cheval et

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la machine à vapeur était le nec plus ultra de la modernité, foi d’acadé-micien patenté. Comment oser parler de radioactivité, de relativité ou de théorie des quanta ? Assurément, leurs concepteurs sont des farfelus en mal de notoriété. En 1929, le tristement célèbre président des États-Unis Herbert Hoover envisage ni plus ni moins de supprimer les brevets aux inventeurs, profondément convaincu qu’il n’existe plus rien à découvrir. Le futur prend souvent le contrepied des prévisions. Après la conquête de la Lune, les prospectivistes prêchent par excès d’optimisme. Les premiers pas sur Mars sont prévus à l’aube de l’année 1984 et les bases lunai-res construites à l’orée de l’année 1990, le cancer vaincu en 1990 et les scooters volants polluant notre atmosphère à l’horizon de l’année 1995 ; à l’inverse, personne n’a vu l’explosion de l’informatique dans tous les foyers et le retour en force du fondamentalisme religieux dans le jardin de la géopolitique. En matière de prévision, les hommes politiques sont les champions de l’aveuglement. Pas plus tard qu’en janvier 1978, Jimmy Carter vante la fiabilité du régime du Shah d’Iran. « Un îlot de stabilité » aux dires du président américain. Moins d’un an plus tard, Reza Pahlavi quitte son pays en catimini après trois mois de manifestations de rue. Il ne devait jamais y revenir. Le départ du Shah est le prélude au premier grand bouleversement géopolitique de la fin du xxe siècle : l’avènement de la première république islamique de notre Histoire. Et on pourrait multiplier ces bévues prospectivistes à l’infini…

Le triomphe de l’imprévisible

(un futur à l’image des mondes improbables du Cosmos)

Aujourd’hui, l’état d’esprit des hommes n’a pas changé : raillés sont les scientifiques qui imaginent un monde sans pétrole, sans électricité ou sans portables. Parler de téléportation, de temps réversible ou de fusion froide relève de l’hérésie. En termes clairs, l’avenir ressemble toujours à un passé recomposé. Quels que soient les efforts pour s’en extirper, on reste prisonnier du présent.

L’histoire consacre systématiquement le triomphe de l’imprévisible. La victoire des Grecs face aux Perses pendant l’épisode des guerres médi-ques ou l’héroïque résistance des Anglais puis des Soviétiques devant le rouleau compresseur allemand pendant la Seconde Guerre mondiale étaient inimaginables. Dans le même ordre d’idée, qui aurait pu prédire

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la fin de l’Union soviétique avant même l’an 2000 et cela sans la moin-dre effusion de sang ? Le temps transforme les loups en agneaux et les oursons en lions. Il y a un peu plus de cinq cents millions d’années, un poisson pas plus grand qu’une carpe, un certain Cephalaspis, sillonnait les eaux des mers de notre globe. Le corps recouvert d’épaisses écailles et aspirant des algues par sa bouche dépourvue de mâchoire, ce poisson à l’air inoffensif n’avait rien pour engager la terrible bataille de l’évolution. Et pourtant, aux dires des paléontologues, ce minuscule être aquatique n’est autre que le lointain ancêtre de l’Homme !

Le futur surprend, dérange, brise les tabous, se joue des paradoxes et défie les imaginations les plus débridées. Les signataires du traité de Versailles n’auraient pas pu concevoir une union européenne articu-lée autour de l’axe franco-allemand. Aussi fantastiques que paraissent les œuvres des auteurs de science-fiction, toutes pêchent par excès de naïveté ou excès de prudence. Quand l’écrivain d’anticipation Alfred Robida (1848-1926) imagine un monde du xxe siècle sans guerres et sans moustiques, les spécialistes aéronautiques des années 1990 affirment sans ambages que le Concorde est l’avion le plus sûr du Monde. Au mois de juillet 2000, l’accident du supersonique dans la région parisienne impose une révision déchirante de ses présupposés. « L’anticipation est toujours un reflet à la fois de l’expérience du moment et des souvenirs du passé. Construction imaginaire, elle nous en apprend davantage sur l’époque où elle a été formulée que sur l’avenir lui-même1. » Notre appréhension du futur reste, en effet, timorée et limitée à l’image de scientifiques qui découvriraient pour la première fois la molécule d’eau. En imaginant que les hommes aient évolué sur une planète dépourvue de l’élément aqua-tique, comment pourrait-il imaginer les pluies diluviennes de la mous-son, les cataractes du Nil, les raz de marée, l’eau calme des piscines ou les tempêtes de neige. La nature est un défi constant à notre imaginaire. Dans notre seul système solaire, des astres extraordinaires sont tapis à l’ombre des planètes. Autour de la seule géante Jupiter2, dont les oura-gans avaleraient littéralement notre planète, les satellites planétaires riva-lisent d’étrangeté. Des volcans d’Io crachant du soufre à plus de trois cent kilomètres d’altitude à l’océan plus profond que notre Pacifique

1. J.J. Corn dans Rêves du futur, ouvrage cité dans Histoire de l’avenir de Georges Minois, paru chez Fayard en 1996.2. Une planète dont la masse dépasse 315 fois celle de notre planète.

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se cachant sous la mystérieuse banquise d’Europa, les lunes de Jupi-ter sont un hymne à l’imagination cosmique. Les systèmes des autres planètes géantes ne demeurent pas en reste. Sans compter les geysers de glace d’Encelade ou les lacs d’éthane liquide de Titan (deux satel-lites de Saturne), un minuscule globe orbitant à plus de trois milliards de kilomètres de notre terre remporte à lui seul la palme de la création cosmique. Appelée Miranda, la lune d’Uranus présente une incroya-ble diversité géologique. Comme en témoigne la région chaotique du « chevron », des lignes de crevasse se rejoignent et une étonnante falaise aux pentes abruptes culmine à plus de vingt-cinq kilomètres au-dessus d’un sol pourvu d’une très faible gravité. Un homme qui tomberait par mégarde de son sommet effectuerait une chute interminable de près de neuf minutes avant de s’écraser sur la terre ferme ! Une montagne trois fois plus haute que l’Everest perchée sur un petit bout de lune pas plus large que la péninsule ibérique, voici un spectacle cosmique qui justifie à lui seul l’exploration touristique de l’espace. Et il ne s’agit ici que des voisines planétaires de la Terre ! Que dire du milieu interstellaire ? Malgré leur vitesse phénoménale de 80 000 km/h, le train d’enfer de nos sondes spatiales1 apparaît dérisoire face à l’immense défi cosmique. Si on réduisait la taille de notre soleil à une simple orange, la plus proche étoile brillerait à plus de deux mille kilomètres. À cette même échelle, Pioneer X2, expédiée il y a tout juste trente-sept ans, se situerait seule-ment à un petit kilomètre de sa terre natale. Autrement dit, il lui faudra encore pas moins de 70 000 ans pour soulever les jupes des premières étoiles. Alpha du Centaure, située à quatre années-lumière3, apparaît encore inaccessible. Quand Pionner X dira bonjour à sa première étoile, peut-être l’Humanité aura-t-elle disparue depuis longtemps…

1. Les quatre lointains ambassadeurs automatiques de notre civilisation ont pour nom Pioneer X et XI et Voyager 1 et 2.2. Partie en 1972, la sonde Pioneer X, porteuse d’une plaque destinée à ses éventuels récupérateurs extraterrestres, se situe aujourd’hui à environ 14 milliards de kilomè-tres. C’est l’objet le plus lointain envoyé par l’homme.3. Soit 40 000 milliards de kilomètres. À titre de comparaison, notre système solaire affiche un rayon de 5 milliards de kilomètres, soit environ cinq heures-lumière. Le monde des étoiles se situe à une toute autre échelle.

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Le double visage de l’apocalypse (quand l’attente de la fin des temps illustre l’ultime espoir des Hommes)

Cette petite page cosmique n’est pas anodine. Elle insiste sur le double caractère de la nature, à la fois singulière et imprévisible. Notre appréhen-sion du futur est du même acabit. L’avenir de l’Humanité est probable-ment plus riche que son passé mais des esprits rebelles refusent cet opti-misme qualifié de naïf. Les prophètes de mauvais augure rêvent le plus souvent d’un monde meilleur qui ferait table rase de tout ce qui existe. Un déroulement du temps naturellement régenté par Dieu.

La fin des temps ? D’aucuns la redoutent, d’autres s’impatientent de la voir arriver. Ce double caractère de crainte et d’espoir résume toute l’ambiguïté du mythe de la fin du Monde. Il est inhérent à l’histoire de l’Humanité. Prévoir le cataclysme final traduit le plus souvent un manque d’imagination mais surtout une angoisse latente face aux tourments du temps présent. Loin de le craindre, les devins, les voyants et autres prévi-sionnistes en tout genre le souhaitent. La fin du Monde est ici envisagée comme un élixir de bienfaits. Libératrice et salvatrice, elle est appréhen-dée à l’exemple des grands malades qui attendent la mort avec empres-sement, comme la solution miracle à tous les maux. Inévitablement, les prophéties vont bon train en période de crise, de catastrophe ou de guerre. La destruction du temple de Jérusalem, l’épisode des croisades ou encore la peste noire ont immédiatement été interprétées comme les prémices inévitables de l’apocalypse annoncée par les Évangiles. Moralité oblige, les forces du Bien triomphent toujours de l’empire du Mal. Depuis le iiie siècle avant notre ère, date des premiers récits eschatologiques, les visions apocalyptiques véhiculent le plus souvent des messages d’espoir. Elles expriment avant tout une révélation. La fin du Monde est étroite-ment liée au Jugement dernier, lequel est le préambule à l’avènement d’un monde meilleur. Les croyances des premiers chrétiens ont même pris leur essor à partir des traditions eschatologiques. Saint Paul annonce sans ambages aux Corinthiens que le retour du Christ, qu’il estime immi-nent, précédera la fin du monde romain1, la résurrection de tous les morts et l’âge d’or de l’Humanité. L’annonce de la fin du Monde est ici instru-mentalisée à des fins politiques. L’apocalypse doit être comprise au sens

1. Au ive siècle de notre ère, la conversion au christianisme de l’empereur romain Constantin a radicalement changé la vision de l’avenir.

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religieux du terme, c’est la « révélation » du dessein de Dieu. Issu du grec apokalupsis, ce mot signifie « la mise à nu, le dévoilement ». Dieu, car Lui seul est omnipotent et omniscient, peut lever le voile sur les incerti-tudes de l’avenir. Il est le seul à connaître les mystères du Cosmos et le jour de la fin des temps. À chaque génération, des hommes (à leurs dires en étroite relation avec les forces divines !) ont annoncé l’imminence de l’apocalypse, synonyme d’un nouvel âge de l’Humanité où tous les êtres vivraient en harmonie. Cent quatre-vingt-trois fois pour être précis. Comme par hasard, les prédicateurs prévoient toujours la fin du Monde pour demain, comme s’ils voulaient d’ores et déjà réserver une place d’honneur au théâtre du Grand Chambardement.

L’idée selon laquelle la terre actuelle est au bord du gouffre est une croyance spécifique aux trois religions monothéistes. Il s’agit de démolir un monde impie et souillé par le péché des hommes pour mieux le recons-truire sur des bases plus saines. C’est le temps du royaume de Dieu, l’âge d’or de l’Humanité. Le mythe du Déluge symbolise à lui seul ce couple inséparable de la destruction-création…

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Table des matières

Introduction

La fin du monde a une histoire… 5

Chapitre 1

« Le futur n’est plus ce qu’il était » 13

Chapitre 2

La « fin du monde » a-t-elle déjà eu lieu ? 25

Chapitre 3

Les origines du mythe de la fin du monde 41

Chapitre 4

L’âge de la théocratie millénariste 69

Chapitre 5

Nous sommes tous des survivants 93

Chapitre 6

La fin du monde selon les scientifiques 109

Chapitre 7

Vendredi 21 décembre 2012, le jour où la terre devrait s’arrêter… 141

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Appendice 1

L’étrange « soleil dansant » de Fatima 151

Appendice 2

Quand l’intégrisme islamique imagine la fin des temps 157

Appendice 3

L’affaire Cassiopée 163

Appendice 4

En attendant la fin du monde, une histoire sans fin… 167

Bibliographie 169