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LE MONSTRE DU VAL MAUDIT

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OUVRAGES DES MEMES AUTEURS

Les Aventures de mon Grand-Père.

Le Globe de Cristal.

Le Cri de la Banshee.

Le Mort dans le Fauteuil.

La Ressuscitée du Docteur Asklépios.

Le Poignard de Justice. Adrienne.

Le Monstre du Val Maudit.

A PARAITRE PROCHAINEMENT

U n e Bohémienne .

F r é d é r i q u e d e Morhecour t .

Reproduct ion autor isée dans les jou rnaux et les revues qu i ont u n t ra i té avec la Société des Gens de Lettres de France.

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GERMAINE ET GEORGES ROUDET

LE M O N S T R E

DU VAL MAUDIT

Editions DUMAS SAINT-ÉTIENNE

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CHAPITRE PREMIER

D'un geste machinal Richard prit et décacheta le télégramme que lui présentait Escarbille. Mais dès qu'il eut déchiffré les premiers mots, son intérêt fut éveillé et, sa lecture achevée, il tendit le papier bleu à son ami.

— Lisez, Anto ! Le Marseillais lut sans le moindre étonnement : « S.O.S. ! S.O.S. ! Bête de Gévaudan ressuscitée. A

mangé fermier des Chaumettes semaine passée. Cette nuit a dévoré bouvier du Grand-Clos. Terreur règne sur le plateau et dans les vallées. S.O.S. ! S.O.S. ! Venez par le premier train. Celui d'avant si possible. S.O.S. ! S.O.S. ! Apportez raquettes, clubs de golf et fusil de chasse.

Bernadette. »

— Non, je n'ai pas envie d'y aller, déclara Anto. Je déteste la chasse ! Se lever à l'aube, courir par monts

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et par vaux dans des chemins rocailleux qui vous meur- trissent les pieds, avoir chaud, avoir soif, et rentrer le soir brisé de fatigue ne me semble pas un idéal.

— Ainsi, vous estimez qu'il s'agit, seulement, d'une invitation à faire un séjour à la campagne ?

— Vous ne croyez tout de même pas que la Bête du Gévaudan a ressuscité, patron ?

— Je sais que notre amie Bernadette ne manque pas d'imagination. Elle est votre digne concitoyenne ! Ce- pendant...

— Oui, concéda Anto, elle n'a pas dû tout inventer. — Il reste donc à supposer qu'il y a eu deux morts...

probablement pas naturelles. Ces deux morts sont-elles simplement pour Bernadette l'occasion de nous adresser une invitation originale ? Invitation qu'elle espère ainsi nous voir accepter sans hésitation ? Ou bien a-t-elle jugé qu'il y avait eu meurtre et que notre présence pouvait être utile ?

— Ne parlons pas des fusils de chasse. Mais les ra- quettes et les clubs de golf, ce n'est sûrement pas pour terrasser la Bête du Gévaudan !

— Leur utilité est cependant incontestable : nous se- rons des invités comme les autres.

— Oui... — Vous montrez peu d'enthousiasme, Anto ? — C'est que... Je ne sais rien du château et de ses

habitants. Et pas grand-chose du pays.

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— J'ignore tout des cousins de Bernadette. Je ne crois même pas qu'elle ait prononcé leur nom devant nous... Et j'ai oublié le nom de la propriété. Néanmoins, j'ai souvenir que Bernadette nous a parlé de l'Aubrac, de la Margeride... Je puis vous assurer que le pays est très agréable pour un séjour. Dans les rivières, il y a des truites excellentes. La rapidité du courant, la fraîcheur de l'eau...

— Des truites!... Escarbille! Escarbille! Anto quitta son fauteuil et partit en appelant le petit

mulâtre d'une voix forte. Richard sourit du départ précipité, et sans explication,

de son collaborateur. Et seul, il se mit à réfléchir. Ce- pendant il eut beau faire un sérieux effort de mémoire, il ne se souvint de rien. Rien! Pas même du lieu exact de la résidence actuelle de Bernadette. Et la jeune fille ne l'indiquait pas sur son télégramme baroque. Comment découvrir cette adresse indispensable ? A qui s'adresser ?

On frappa à la porte. L'inspecteur Christian entra. L'inspecteur principal du Service des Recherches Cri-

minelles n'avait peut-être pas son air habituel. « Etes-vous au courant ? » dit-il en tendant une dé-

pêche ouverte. Richard lut :

« S. O. S. ! S. O. S. ! Nos paisibles vallées ravagées par monstre apocalyptique et invisi- ble. Les cœurs sont emplis d'effroi. Aucune

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âme chevaleresque n'aura-t-elle pitié ? S. O. S. ! S. O. S. ! Accourez, accourez sans attendre. S. O. S. ! Ou vous ne trou-

verez plus au fond du Val Maudit qu'un corps inanimé. S. O. S. !

BERNADETTE, Château de Freydepierre.

Indiquez heure arrivée. Vous attendrai Grand-Place Javols. »

Sans un mot de commentaire Richard présenta au po- licier le télégramme qu'il avait reçu lui-même.

— Ainsi, vous n'en savez pas plus que moi ? interro- gea l'inspecteur Christian.

— Moins sans doute, Inspecteur. Y a-t-il eu vraiment deux meurtres dans la région ?

— Oui ; ou tout au moins deux morts qui pourraient être des meurtres. J'ai reçu ce télégramme il y a un peu plus d'une heure. Je me suis immédiatement renseigné. Il y a eu deux morts, très suspectes. Mais je n'ai pas de détails.

— Ne croyez-vous pas que nous devons supposer, ins- pecteur, qu'il s'agit de deux crimes particulièrement in- téressants ?

— Comment voulez-vous savoir avec Mlle Cha-

puis ! Elle a peut-être imaginé à l'occasion de vul- gaires crimes une mystification énorme dont elle veut que nous fassions les frais vous et moi ! Il se peut aussi

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qu'elle ait découvert... Dieu sait quoi! Car cette jeune personne ne manque ni d'intelligence, ni de perspicacité, ni de hardiesse. Elle est même capable de se mettre dans les situations les plus invraisemblables par sa témé- rité ! Et c'est bien ce qui rend la situation embarrassante pour moi. Je ne puis abandonner mon poste parce qu'il a pris la fantaisie à Bernadette Chapuis de m'adresser un télégramme insensé... Je ne puis considérer comme nul et non avenu ce télégramme abracadabrant... Je con- nais trop son auteur ! Quelle jeune fille impossible !

— La situation n'est pas aussi inextricable que vous voulez bien le dire. Anto et moi pouvons nous rendre à l'appel de Bernadette. S'il s'agit d'une plaisanterie, comme vous avez l'air de le croire, nous en serons quittes pour un petit voyage et un court séjour à la campagne. Si, malgré sa présentation singulière, l'affaire nous pa- raît être vraiment d'importance, nous vous avertirons. Vous jugerez alors de ce que vous devez faire.

— Oui, ce serait une bonne solution... Mais est-ce

que cela ne vous dérange pas de partir ainsi brusquement ? Je crains de vous avoir influencé. Je ne voudrais pas être une cause d'ennuis.

— J'étais déja décidé à partir avant votre arrivée. Vous m'avez d'ailleurs tiré d'embarras : Bernadette a omis de me donner son adresse.

L'inspecteur Christian et Richard convinrent que le mieux était de se rendre sur les lieux le plus tôt possible.

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Richard et Anto se mettraient donc en route dès que rendez-vous aurait été pris avec Bernadette. Richard pro- mit à l'inspecteur de lui envoyer un long rapport.

Le policier allait se retirer lorsqu'Anto entra, suivi d'Escarbille.

Le professeur et son disciple disparaissaient sous un monceau de cannes à pêche, d'épuisettes et de seaux à poissons.

— Qu'est-ce ? demanda l'inspecteur Christian surpris d'un tel équipement.

— Je pars chasser la Bête du Gévaudan ! annonça Anto avec emphase.

— Avec des cannes à pêche ! s'exclama le policier qui se mit à tâter ses membres essayant de déterminer s'il était éveillé ou en plein cauchemar.

— J'ai appris à Anto qu'il y avait des truites dans les rivières de la région, expliqua Richard.

— Oui, Inspecteur, reprit le Marseillais. Tel Tartarin je quitte ma vie douillette pour aller chasser le fauve. Si les dieux protègent nos armes nous offrirons la dé- pouille du monstre au musée. Soigneusement empaillée je pense que, près de l'entrée, la « Bête » fera bon effet... Bien que je ne l'aie jamais vue. Mais on peut avoir confiance en Bernadette. Ce doit être un monstre horrible ! Etes-vous de la partie, Inspecteur ?

— Non ! Mademoiselle Chapuis m'a adressé le télé-

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gramme que vous pouvez lire. C e t t e demo i se l l e s ' imag ine

q u e . . .

— O h ! c ' e s t mervei l leux ! A p o c a l y p t i q u e e t invisible !

Q u a n d je vous disais q u ' e l l e é ta i t sûrement horr ible cet te Bê te !

— Q u e l l e logique ! Q u e l l e puissance d e déduc t ion ! ré-

p l i qua R i c h a r d a v e c ironie. Invisible ! O n ne l ' a p a s vue ,

on ne peut p a s la voir ma i s . . . e l l e est horr ible !

— Bien sûr. Si e l le n ' é t a i t p a s épouvan tab le e l le se

mont rera i t . . . pour se faire admi re r !

— Il vaut mieux que je m ' e n ai l le , assura l ' inspec teur

Chris t ian. J e crains que les discours d ' A n t o , après le té lé-

g ramme d e M l l e Chapu i s , ne causent que lques t roubles dans m a raison.

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CHAPITRE II

Bernadette s'assit sur une pierre moussue tout au bord du Triboulin et, s'adressant à Richard et à Anto, dit :

— Et maintenant parlons de choses sérieuses ! Pendant quelques instants le doux murmure des eaux

limpides glissant sur les cailloux lisses troubla seul le grand calme de la campagne. Puis la jeune fille commença :

— Le lundi 9 juillet, Louis Moneron, le fermier des Chaumettes, partit avant le jour pour la grande foire du chef-lieu de canton. Il emmenait avec lui son valet. Les deux hommes ne rentrèrent à la ferme qu'au coucher du soleil. Ils étaient fatigués; ils avaient faim, ils avaient soif. Pourtant ce ne fut que les bêtes ramenées du marché installées, pourvues d'une abondante nourriture et d'une bonne litière, qu'ils songèrent à eux-mêmes. Mais la der- nière bouchée de leur repas avalée, maître et domestique gagnèrent leur lit.

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« Lorsque environ une heure et demie plus tard, Mme Moneron pénétra dans la chambre, son mari était très mal. Le médecin appelé vint immédiatement. Malgré tous ses efforts le fermier mourut aux premières heures du jour.

« Cette mort parut des plus étranges au docteur Valère qui connaissait fort bien l'état de parfaite santé de son client. Elle lui parut d'autant plus étrange que Louis Moneron portait à la gorge une blessure... ou plus exac- tement une morsure. Le médecin, qui exerce dans la ré- gion depuis près de trente ans, n'avait jamais vu jusqu'à ce jour une morsure semblable. De plus Mme Moneron, la servante, le valet, les enfants étaient certains que le fermier n'était pas blessé lorsqu'il quitta la cuisine pour se rendre dans sa chambre. Enfin la victime était entrée

rapidement dans le coma... et avait cessé de vivre, en un très petit nombre d'heures, d'un mal que le médecin hési- tait à désigner nommément. Aussi, après avoir assisté aux derniers moments de Louis Moneron, le docteur se rendit

droit à la gendarmerie. Enquête... Rien! Autopsie, ana- lyses diverses: le fermier est mort d'une septicémie. La blessure de la gorge vraisemblablement peut-être regar- dée comme la porte d'entrée des microbes dans l'orga- nisme.

« Mais la mort de Louis Moneron, après cette conclu- sion, n'en reste pas moins une mort étrange.

« Qui ou quoi a causé la blessure ?

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« La virulence des bacilles a été telle que l ' idée de

l'intervention d 'une main criminelle s'impose. « Pourtant officiellement on conclut à une mort acci-

dentelle.

« E t chacun pense que le fermier des Chaumettes n'est pas mort d 'une mort naturelle.

— Qui hérite du fermier ? demanda Richard. — Sa femme et ses enfants. Ceux-ci sont au nombre

de cinq et l'aîné n 'a guère plus de 14 ans. Sa femme...

C'est un lourd fardeau que la gestion d'une exploitation

agricole pour une femme. Non; l'intérêt n'est pas le mobile du crime. Pour le moment il est difficile d'ima-

giner pourquoi ce malheureux a été tué. Il est difficile

de faire des suppositions sur cette morsure inexplicable

quant au moment où elle a été faite. E t surtout, par quel animal a-t-elle été faite ? Si elle est vraiment la morsure

d 'un animal.

— Que supposez-vous ?

— Rien de précis. Cependant il est facile d'imaginer

une arme construite dans le but de produire une blessure

semblable à une morsure, et d'empoisonner cette arme.

Ce point de vue était très soutenable. Richard et Anto

ne firent aucun commentaire. Bernadette reprit :

— Passons au second meurtre. Jeudi matin, donc avant-

hier, le maître du Grand-Clos fut très surpris, lorsqu'il

descendit dans la cour de la ferme, de n'y point trouver

son domestique. Ludovic n'était ni aux écuries, ni dans

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la grange. Le fermier pressentit un malheur. Vivement il gravit l'escalier; sans frapper il poussa la porte de la chambre. Le jeune homme était dans son lit, mort, por- tant à la gorge une morsure. Cette fois la morsure était profonde et une hémorragie assez abondante s'était pro- duite. Néanmoins le docteur Valère appelé sur les lieux estima dès l'abord qu'elle avait été insuffisante pour pro- voquer le décès. Le jeune bouvier avait dû cesser de vivre à l'aube. Une enquête très sérieuse est en cours; pour l'instant elle n'a donné aucun résultat. L'autopsie a été faite. Le bouvier Ludovic comme le fermier des Chau-

mettes, est mort d'une septicémie. — Pas de mobile pour ce nouveau crime, naturelle-

ment ? — Pas de mobile. Ludovic avait 17 ans. Il était l'aîné

d'une famille nombreuse d'un village voisin. On peut ex- clure l'intérêt. Il ne peut être question de rivalité, de ja- lousie, de haine. Je connais bien le pays et les habitants. Et c'est cette connaissance qui me fait affirmer que mes braves Gabalitains croient au retour de la « Bête ». Oh !

bien sûr, ils ne m'ont pas fait de confidences. Ils n'en parlent même pas entre eux, ouvertement veux-je dire. Pourtant je vois très bien leur air renfermé, leurs coups d'œil furtifs. Je suis certaine que pas une femme ou un enfant ne sort la nuit tombée, et que l'on ferme soigneu- sement, malgré la chaleur, portes et fenêtres. Les hom- mes n'osent pas prendre leur fusil, mais ils ont leur cou-

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telas !... « La Bête est revenue ! » Cela se lit dans tous les yeux.

— Et vous, Bernadette, que pensez-vous ? — Qu'un malfaiteur, ou une bande de malfaiteurs,

connaissant le pays a voulu créer cet état d'esprit. — Dans quel but ? — Je ne le soupçonne pas. Cependant il est permis

d'imaginer que c'est pour une affaire d'importance. S'il s'agissait seulement de dévaliser les basses-cours ou de soulager quelque vieil avare de son bas de laine, il ne serait pas nécessaire de terroriser la population.

— Est-elle vraiment terrorisée ? — Oui.

— Il est tout de même étonnant que des paysans du XX siècle croient à la résurrection d'un monstre imagi- naire mort depuis bientôt deux cents ans !

— Vous ne connaissez rien de nos campagnes, Ri- chard. D'abord, qu'est-ce que deux cents ans pour nos bons campagnards ? Des guerres, des révolutions ont se- coué le monde... Des empires s'écroulent... Des civili- sations s'éteignent... Mais nos montagnes, nos plateaux, nos ravins sont toujours là... et nos rivières et nos lacs. La vieille Terre ne vieillit guère. Et lorsque l'âpre vent d'hiver souffle furieusement, le soir au coin de l'âtre, à la place même où s'asseyaient les ancêtres, on s'installe pour les mêmes besognes, on parle des mêmes choses.

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Les disparus sont proches. A plus d 'une veillée est pro- noncé le nom de la « Bête ».

— Bernadette je ne sais rien de la Bête !, déclara Anto.

— Vous n'êtes pas le seul, répondit en riant la jeune fille.

— En effet, constata Richard. C'est à peine si j'ai le vague souvenir d'avoir lu qu'au temps du roi Louis XV un monstre ravagea le Gévaudan.

— Exactement, ce fut l'hiver de l'an 1765 que la « Bête » fit son apparition. La terreur régna bientôt de l'Aubrac aux monts de la Margeride ; dans le Causse de Sauveterre et dans celui de Mende; en la forêt de Mer- coire... et en maints autres lieux. Les paysans organisè- rent des battues. Ce n'était pas chose aisée en ce temps où le pays n'avait pas été déboisé comme il l'a été de- puis la fin de l'ancien régime. Comtes et Barons se mi- rent à la tête de leurs gens et dirigèrent les efforts de la population entière. Une quantité étonnante de loups fut abattue. Mais la « Bête » restait invulnérable. Aide fut demandée. Ce fut d'abord des hommes d'armes de la région qui vinrent prêter main forte. Le nombre de loups tués presque chaque jour devint impressionnant. Pourtant la « Bête » se dérobait toujours et ses méfaits redoublè- rent.

« Je vous concède que tous les malheureux humains qui passèrent de vie à trépas d'une manière violente ne fu-

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rent pas tous victimes de la « Bête ». Toujours de galants maris ont eu hâte de voir leurs épouses bien aimées en- trer au paradis, et de délicieuses épouses ont désiré voir leur cher mari quitter ce monde de douleur; toujours des neveux dévoués ont songé à aider leur vieil oncle à héri- tage à abréger les souffrances de la vieillesse. Je vous concède aussi qu'il faut tenir compte de l'exagération. Cependant la situation dut être grave puisque le roi s'en émut et envoya ses Dragons au secours de sa bonne po- pulation du Gévaudan.

« Et la « Bête » fut tuée enfin, en 1787, dans le canton de la Planèse, non loin de Saint-Flour, au petit village nommé Les Ternes.

« La Bête du Gévaudan était tout simplement un loup-cervier.

« Telle est la version officielle. — Qui n'est pas la vôtre, si je comprends bien ? re-

marqua Richard. — Ce n'est la version de personne ici. — Pourquoi ? — La chose est évidente ! Dans un pays très boisé,

en un temps où les loups et les lynx n'étaient point rares et se montraient très agressifs aux cours des hivers rigou- reux, un loup-cervier ne pouvait terroriser les habitants d'une province entière. D'ailleurs nos braves paysans, bons chasseurs, ne pouvaient se laisser narguer pendant plus de 20 ans par un même animal !

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— Ainsi vous ne croyez pas que le loup-cervier tué au village des Ternes était la « Bête » ?

— Je ne le crois pas et personne ne le crut alors. Seu- lement on s'inclina devant le désir du roi.

— La « Bête » continua-t-elle son œuvre de mort ?

— Non. Je suis obligée de reconnaître que plus un être humain ne fut égorgé. Selon la tradition...

— En doutez-vous ?

— Pas du tout. Seulement bien que la « Bête » ne se soit plus manifestée, n'ayant jamais cru qu'elle fût morte, les Gabalitains de la région de Freydepierre sont tout prêts à croire à un retour offensif du monstre. Et ils sont d'autant plus affolés que, selon une croyance trans- mise de père en fils, le repaire de la « Bête » se trouvait dans le Val Maudit, au pied même du plateau où se trouve la petite commune de Freydepierre.

— Bien. Nous irons camper dans ce village. — Pas du tout. Vous venez chez mon cousin.

— Voyons Bernadette, c'est très aimable à vous... mais c'est impossible ! Nous ne connaissons pas votre cousin et il ne nous a pas invités.

— Je vous invite, moi, c'est la même chose ! Bien qu'Amaury porte le titre de comte de Freydepierre et puisse trouver dans les vieux parchemins du château force autres titres de noblesse, c'est le plus simple des hom- mes. Je suis sûre que vous vous entendrez très bien. Cer-

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tes, Amaury est notre aîné de plusieurs années : ce n'est tout de même pas un vieux grand-père ! Il a 28 ans.

— Est-il marié ? — Oui...

— Vous avez l'air de considérer ce fait comme négli- geable, remarqua Richard en souriant.

— Quel Grand Inquisiteur vous feriez, Richard ! Qu'Amaury soit marié n'est sûrement pas négligeable. Seulement je connais tr ès peu Elise. Il n'y a que deux ans qu'elle est ma cousine.

— Vous pensez cependant qu'elle sera charmée de vous voir amener à son foyer deux étrangers ?

— Sûrement ! Elle se dira sur-le-champ que vous fe- rez deux danseurs de plus.

— Bernadette il ne s'agit pas de plaisanter. — Aussi je parle sérieusement. Il y a quelques invi-

tées à Freydepierre et ma cousine ne sera pas fâchée de compter deux jeunes gens qui dansent, jouent au bridge et au tennis...

Bernadette dut déployer éloquence et patience pour faire admettre à Richard qu'il ne devait avoir aucun scrupule à accepter son invitation. Enfin le jeune détec- tive céda aux instances de la jeune fille qui s'écria alors :

— Allons ! en route ! Nous avons assez perdu de temps... Et Javols n'est pas ce qui peut s'appeler tout près de Freydepierre.

— Au fait, interrogea Anto, pourquoi nous avez-vous

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donné rendez-vous dans ce drôle de vieux petit village ? — Il fallait bien nous rencontrer quelque part ! Cette remarque fut suivie d'un léger arrêt. Puis, Ber-

nadette toujours d'une absolue franchise envers les au- tres et envers elle-même en toutes circonstances, si futi- les soient-elles, crut devoir ajouter :

— Sans doute mon esprit plein d'histoires horrifi- ques sur le compte de la Bête, à mon insu, d'une manière vague, sautant par-dessus les siècles, évoqua l'époque tragique ou maintes fois le Gévaudan fut pillé, l'époque où les Vandales détruisirent Gabalorum civitas, capitale de la cité des Gabales, qui est devenu depuis la modeste bourgade de Javols... Avouez que nous y avons été mieux que nous n'aurions pu l'être à Mende bien que cet évê- ché s'enorgueillisse d'avoir supplanté depuis quinze siè- cles l'infortunée capitale du Gavaldanus pagus...

Ainsi devisant, les jeunes gens qui s'étaient éloignés de l'agglomération pour fuir les oreilles indiscrètes, rega- gnèrent la petite place où Richard et Anto avaient laissé leur voiture en stationnement, et où le chauffeur avait reçu l'ordre de venir attendre Bernadette. Mais la jeune fille préférait rentrer en compagnie de ses amis, dans leur voiture.

— Philibert, dit-elle, prenez les bagages de M. Monty et de M. Mouren. Vous rentrerez directement à Freyde- pierre par la grand-route. Nous vous confions le jeune Escarbille.