LE MONOLOGUE INTÉRIEUR

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 e monologue intérieur est une des constantes du Nouveau Roman (on a pu le nommer alors sous-conversation pour caractériser les textes de Samuel Beckett ou Nathalie Sarraute). Les uv res de James Joyce, Faulkner ou Virginia Woolf en présentent des formes significatives, mais c'est le romancier français Édouard Dujardin  (voir ci-dessous) qui en usa le premier dans Les Lauriers sont coupés (1888). Il en propose la définition suivante : « Discours sans auditeur et non prononcé par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de l¶inconscient, antérieurement à tout e organisation logique, c¶est-à -dire en son état naissant, par le moyen de phrases directes réduites au minimum syntaxial de façon à donner l¶impression tout-venant (Le Monologue intérieur , 1931). Bien que l'on puisse en observer des formes dans le roman du XIX° siècle (not amment chez Flaubert et Maupassant), le monologue intérieur correspond aux diverses crises que traverse le roman au XX° siècle : crise du narrateur , dont on conteste la prétention à diriger en démiurge une fiction organisée et à s'immiscer dans la psychologie de ses personnages ("Dieu n'est pas un artiste, M. Mauriac non plus", affirmera Sartre); crise du sujet, désormais dénoncé par les béances ou l es opacités mises en évidence par la psychanalyse dans le psychisme humain; crise de l'intrigue, détrônée au profit de la volonté d'écrire un roman « sur rien »; crise du style enfin, maintenant ramené par les linguistes à un "au-delà d e l'écriture" (Barthes), au surgissement brut des métaphores obsédantes. Sur le plan pédagogique, une séquence sur le monologue intérieur pourra s'inscrire dans le travail d'invention et favoriser un apprentissage fructueux de certaines formes de discours. Nous proposons ci -dessous un exemple de séquence que l'on pourra comparer à celle que nous avons consacrée au monologue délibératif : alors que celui-ci se déploie dans une construction rigoureuse au terme de laquelle le sujet affirme son pouvoir de décision, le monologue intérieur reste limité à l'endophasie (ce que Michel Butor a appelé l e magnétophone intime) et on pourra demander par exemple à l'élève de passer de l'un à l'autre dans le cadre d'un travai l de réécriture.  1. Un discours immédiat.  La principale particularité du monologue intérieur est... de ne pas en être un, comme l'a bien noté Gérard Genette :  « Que l'on imagine un récit commençant (mais sans guillemets) par cette phrase : « Il faut absolument que j'épouse Albertine... », et poursuivant ainsi, jusqu'à la dernière page, selon l'ordre des pensées, des perceptions et des actions accomplies ou subies par le héros. Le lecteur se trouverait installé dès les premières lignes dans la pensée du personnage pri ncipal, et c'est le déroulement ininterrompu de cette pensée qui, se substituant c omplètement à la forme usuelle du récit, nous apprendrait ce que fait le personnage et ce qui lui arrive. On a peut-être reconnu dans cette description celle que faisait Joyce des Lauriers sont coupés  d'Édouard Dujardin, c'est-à-dire la définition la plus juste de ce que l 'on a assez LE MONOLOGUE INTÉRIEUR 

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e monologue intérieur est une des constantes du Nouveau Roman (on a pu lenommer alors sous-conversation pour caractériser les textes de Samuel Beckett ouNathalie Sarraute). Les uvres de James Joyce, Faulkner ou Virginia Woolf enprésentent des formes significatives, mais c'est le romancier français Édouard Dujardin  (voir ci-dessous) qui en usa le premier dans Les Lauriers sont coupés (1888). Il enpropose la définition suivante :« Discours sans auditeur et non prononcé par lequel un personnage exprime sa pensée la plus

intime, la plus proche de l¶inconscient, antérieurement à toute organisation logique, c¶est-à-direen son état naissant, par le moyen de phrases directes réduites au minimum syntaxial de façonà donner l¶impression tout-venant.» (Le Monologue intérieur , 1931). 

Bien que l'on puisse en observer des formes dans le roman du XIX° siècle (not ammentchez Flaubert et Maupassant), le monologue intérieur correspond aux diverses crisesque traverse le roman au XX° siècle : crise du narrateur , dont on conteste la prétention àdiriger en démiurge une fiction organisée et à s'immiscer dans la psychologie de sespersonnages ("Dieu n'est pas un artiste, M. Mauriac non plus", affirmera Sartre); crise dusujet, désormais dénoncé par les béances ou les opacités mises en évidence par lapsychanalyse dans le psychisme humain; crise de l'intrigue, détrônée au profit de lavolonté d'écrire un roman « sur rien »; crise du style enfin, maintenant ramené par leslinguistes à un "au-delà de l'écriture" (Barthes), au surgissement brut des métaphoresobsédantes. 

Sur le plan pédagogique, une séquence sur le monologue intérieur pourra s'inscriredans le travail d'invention et favoriser un apprentissage fructueux de certaines formes de

discours. Nous proposons ci-dessous un exemple de séquence que l'on pourracomparer à celle que nous avons consacrée au monologue délibératif  : alors que celui-cise déploie dans une construction rigoureuse au terme de laquelle le sujet affirme sonpouvoir de décision, le monologue intérieur reste limité à l'endophasie (ce que MichelButor a appelé l e magnétophone intime) et on pourra demander par exemple à l'élève depasser de l'un à l'autre dans le cadre d'un travail de réécriture. 

1. Un discours immédiat.  

La principale particularité du monologue intérieur est... de ne pas en être un, comme l'abien noté Gérard Genette : « Que l'on imagine un récit commençant (mais sans guillemets) par cette phrase : « Il faut

absolument que j'épouse Albertine... », et poursuivant ainsi, jusqu'à la dernière page, selonl'ordre des pensées, des perceptions et des actions accomplies ou subies par le héros. Lelecteur se trouverait installé dès les premières lignes dans la pensée du personnage principal,et c'est le déroulement ininterrompu de cette pensée qui, se substituant complètement à laforme usuelle du récit, nous apprendrait ce que fait le personnage et ce qui lui arrive. On apeut-être reconnu dans cette description celle que faisait Joyce des Lauriers sont coupés d'Édouard Dujardin, c'est-à-dire la définition la plus juste de ce que l 'on a assez

 

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courtes, souvent nominales, fréquemment interrompues; associations d'idées;interrogations. 

. Du discours indirect libre...

Les romanciers de la seconde moitié du XIX° siècle ont affectionné le discours indirectlibre, qui permet au narrateur de rapporter les propos ou les pensées de sespersonnages sans les contraintes du discours direct. Mais rappelons-nous d'abord lesprincipales formes du discours rapporté : Discoursrapporté  Indices

typographiques  Indicesverbaux 

Indicesénonciatifs et

temporels  Exemple 

Direct  guillemets un verbeintroducteur 

introduit lesparolesprononcées ( : ) 

ancrés dans la

situationd'énonciation S ans répondre, Marcel se dit ,résolu:« Nom d'un chien ! Eh

bien, demain,moi, jevais à la pêche ! » 

Indirect     un verbedéclaratif commande unesubordonnée 

coupés dumoment del'énonciation 

S ans répondre, Marcel se dit quel e l endemain i l  irait à la pêche. 

Indirectlibre      pas de verbe

introducteur  coupés dumoment del'énonciation 

Marcel ne répondit pas. Nomd'un chien ! Eh bien , lui, l el endemain, i l  irait à la pêche. 

Narrativisé      pas de verbeintroducteur  

les propos oupensées sontrésumés 

Marcel se promettait d e aller à la

 pêche l e l endemain. 

f   

l'évidence, le monologue intérieur ne peut être associé qu'aux formes du discoursindirect libre : on aura remarqué en effet par notre exemple comment celui -ci permet deconserver intactes les marques du langage parlé (« Nom d'un chien ! , Eh bien »).Toutefois la présence du narrateur reste effective : bien que libre, ce discours resteindirect. Intérieur, il est néanmoins extrait de la conscience du personnage par lenarrateur et mis en forme par lui. Toutefois celui -ci s'installe au pl us près du langageoriginel de ses personnages tout en ayant l 'air de ne pas être partie prenante dans lerapport qu'il en fait. C'est cet avantage qui explique la faveur dont a joui ce type dediscours dans le roman réaliste ou naturaliste, notamment chez Zola et Maupassant :

texte - Guy de Maupassant (1850-18 3)P ierre et Jean, IV (1888) [P ierre et Jean sont frères. P ierre vient d g  apprendre avec surprise et 

 jalousie que Maréchal, un ancien ami de la famille, a légué son patrimoineà Jean. Il en vient peu à peu à soupçonner un ancien adultère de sa mère.]  « Je suis fou, pensa-t-il, je soupçonne ma mère.» Et un flot d'amour et d'attendrissement, de

repentir, de prière et de désolation noya son cur. Sa mère ! La connaissant comme il la

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connaissait, comment avait-il pu la suspecter h  

Est-ce que l'âme, est-ce que la vie de cettefemme simple, chaste et loyale, n'étaient pas plus claires que l'eau

h  

Quand on l'avait vue etconnue, comment ne pas la juger insoupçonnable

h  

Et c'était lui, le fils, qui avait douté d'elle !oh ! s'il avait pu la prendre en ses bras en ce moment, comme il l'eût embrassée, caressée,comme il se fût agenouillé pour demander grâce ! Elle aurait trompé son père, elle

h  

... Son père!

i  ertes, c'était un brave homme, honorable et probe en affaires, mais dont l'esprit n'avait

 jamais franchi l'horizon de sa boutique. i   omment cette femme, fort jolie autrefois, il le savait et

on le voyait encore, douée d'une âme délicate, affectueuse, attendrie, avait-elle accepté commefiancé et comme mari un homme si différent d'elle

h  

Pourquoi chercher h  

Elle l'avait épousécomme les fillettes épousent le garçon doté que présentent les parents. Ils s'étaient installésaussit

p  

t dans leur magasin de la rueq   

ontmartre; et la jeune femme, régnant au comptoir,animée par l'esprit du foyer nouveau, par ce sens subtil et sacré de l'intérêt commun quiremplace l'amour et même l'affection dans la plupart des ménages commerçants de Paris,s'était mise à travailler avec toute son intelligence active et fine à la fortune espérée de leur maison. Et sa vie s'était écoulée ainsi, uniforme, tranquille, honnête, sans tendresse !... Sanstendresse

h  

... Était-il possible qu'une femme n'aimât pointh  

 r  

ne femme jeune, jolie, vivant àParis, lisant des livres, applaudissant des actrices mourant de passion sur la scène, pouvait-ellealler de l'adolescence à la vieillesse sans qu'une fois, seulement, son cur fût touché

h  

D'uneautre il ne le croirait pas, - pourquoi le croirait-il de sa mère

h  

 i  

ertes, elle avait pu aimer,comme une autre ! car pourquoi serait-elle différente d'une autre, bien qu'elle fût sa mère

h  

Elleavait été jeune, avec toutes les défaillances poétiques qui troublent le cur des jeunes êtres !

Enfermée, emprisonnée dans la boutique à cp  

té d'un mari vulgaire et parlant toujourscommerce, elle avait rêvé de clairs de lune, de voyages, de baisers donnés dans l'ombre dessoirs. Et puis un homme, un jour, était entré comme entrent les amoureux dans les livres, et ilavait parlé comme eux. Elle l'avait aimé. Pourquoi pas

h  

  i   'était sa mère ! Eh bien ! fallait-il êtreaveugle et stupide au point de rejeter l'évidence parce qu'il s'agissait de sa mère

h  

S'était-elledonnée

h  

...q   

ais oui, puisque cet homme n'avait pas eu d'autre amie ; - mais oui, puisqu'il étaitresté fidèle à la femme éloignée et vieillie, - mais oui, puisqu'il avait laissé toute sa fortune à sonfils, à leur fils !... Et Pierre se leva, frémissant d'une telle fureur qu'il eût voulu tuer quelqu'un !Son bras tendu, sa main grande ouverte avaient envie de frapper, de meurtrir, de broyer,d'étrangler !Qui

h  

tout le monde, son père, son frère, le mort, sa mère ! Il s'élança pour rentrer.Qu'allait-il faire

h  

 i  

omme il passait devant une tourelle auprès du mât des signaux, le cristrident de la sirène lui partit dans la figure. Sa surprise fut si violente qu'il faillit tomber et recula jusqu'au parapet de granit. Il s'y assit, n'ayant plus de force, brisé par cette commotion.

Ce texte met en scène les troubles ravageurs d'une conscience : mettez envaleur la progression du doute jusqu'à la quasi certitude finale.

s  

uelles en sontles étapes

t   

Réécriture : en supprimant la présence du narrateur manifestée par les formesdes discours direct et indirect libre, transformez ce passage en « monologueintérieur » (discours immédiat ) qui saura mettre en valeur la désorganisation dela "pensée" (voyez notre chapitre 3.).On peut pour ce travail s'autoriser des motsmêmes par lesquels le narrateur signale le surgissement chez Pierre de doutesissus de profondeurs « inavouables » : « Il se pouvait que son imagination seule, cette imagination qu'il ne gouvernait point,

qui échappait sans cesse à sa volonté, s'en allait libre, hardie, aventureuse etsournoise dans l'univers infini des idées, et en rapportait parfois d'inavouables, dehonteuses, qu'elle cachait en lui, au fond de son âme, dans les replis insondables,comme des choses volées ; il se trouvait que cette imagination seule eût créé, inventécet affreux doute. Son cur, assurément, son propre cur avait des secrets pour lui;et ce cur blessé n'avait-il pas trouvé dans ce doute abominable un moyen de priver son frère de cet héritage qu'il jalousait

u  Il se suspectait lui-même, à présent,

interrogeant, comme les dévots leur conscience, tous les mystères de sa pensée.» 

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3. ... au discours direct libre :

C'est donc bien de discours direct l ibre qu'il convient de parler pour caractériser lemonologue intérieur : comme au théâtre, il n'est en effet attelé à aucune autoriténarrative. Mais, au contraire du monologue théâtral, il n'est pas censé même être écouté .

v   

l'état brut, voici consignées par un locuteur totalement identifié au personnage (maisdans quel cadre

w  ) les petits riens qui font notre conversation intime : préoccupations

momentanées, projets confus, associations de pensées, délires. texte 3 Édouard Dujardin (1861-1 )Les l auriers sont coupés (1888) 

[W agnérien, membre du cénacle de S téphane Mallarmé, Édouard Dujardin avait vingt-cinq ans lorsqu

x il entreprit d 

x écrire ce petit roman en

1886 : « C x  est, tout simplement, le récit de six heures de la vie d x  un jeune

homme qui est amoureux d x 

une demoiselle - six heures, pendant lesquellesrien, aucune aventure n x  arrive.» Daniel P rince, étudiant à P aris, rencontreun ami, dîne seul au restaurant, rentre se préparer chez lui, puis rejoint l 

x actrice débutante qui, comme l 

x Odette de Sw ann, chez P roust, occupe ses

 pensées alors qu x  elle n x  est « même pas son genre.»]  Iluminé, rouge, doré, le café ; les glaces étincelantes ; un garçon au tablier blanc ; les

colonnes chargées de chapeaux et de pardessus. Y a-t-il ici quelqu'un de connaissance y     �   esgens me regardent entrer ; un monsieur maigre aux favoris longs, quelle gravité ! les tables sontpleines ; où m'installerai-je

y  là-bas un vide ; justement ma place habituelle ; on peut avoir une

place habituelle ; Léa n'aurait pas de quoi se moquer.- Si monsieur...Le garçon. La table. �    on chapeau au porte-manteau. �   etirons nos gants ; il faut les jeter 

négligemment sur la table, à c�  

té de l'assiette ; plut�  

t dans la poche du pardessus ; non, sur la

table ; ces petites choses sont de la tenue générale.�   

on pardessus au porte-manteau ; jem'assieds ; ouf ! j'étais las. Je mettrai dans la poche de mon pardessus mes gants. Illuminé,doré, rouge, avec les glaces cet étincellement ; quoi

y  le café ; le café où je suis. Ah ! j'étais las.

Le garçon :- Potage bisque, Saint-

�  

ermain, consommé...- �   onsommé.- Ensuite, monsieur prendra...-

�   ontrez-moi la carte..

- Vin blanc, vin rouge...-

�  ouge...

La carte. Poissons, sole... Bien, une sole. Entrées, c �   te de pré-salé... non. Poulet... soit.-

�  ne sole ; du poulet ; avec du cresson.

- Sole ; poulet-cresson. Ainsi, je vais dîner ; rien là de déplaisant. Voilà une assez jolie femme ; ni brune ni blonde ; ma

foi, air choisi ; elle doit être grande : c 'est la femme de cet homme chauve qui me tourne le dos ;sa maîtresse plut �   t ; elle n'a pas trop les façons d'une femme légitime ; assez jolie, certes. Sielle pouvait regarder par ici ; elle est presque en face de moi ; comment faire

y  A quoi bon

y   

Elle m'a vu. Elle est jolie ; et ce monsieur paraît stupide ; malheureusement je ne vois de lui quele dos ; je voudrais bien connaître aussi sa figure ; c'est un avoué, un notaire de province ; suis- je bête ! Et le consommé

y  La glace devant moi reflète le cadre doré ; le cadre doré qui est

donc derrière moi ; ces enluminures sont vermillonnées, les feux de teintes écarlates ; c'est legaz tout jaune clair qui allume les murs ; jaunes aussi du gaz, les nappes blanches, les glaces,les verreries. On est commodément ; confortablement. Voici le consommé, le consomméfumant ; attention à ce que le garçon ne m'en éclabousse rien. Non ; mangeons.

�  e bouillon est

trop chaud ; essayons encore. Pas mauvais. J'ai déjeuné un peu tard, et je n'ai guère faim ; il

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f aut pour tant d î ner . Fini, le potage.�  

e nouveau cette f emme a regardé par ici ; elle a des yeux expressif s et le monsieur  parait terne ; ce serait extraordinaire que je fisse connaissance avec elle ; pourquoi pas ? II y a des circonstances si bizarres ; d'abord en la considérant longtemps, je puis commencer  quelque chose ; ils sont au r ôti ; bah ! j'aurai, si je veux, achevé en même temps qu'eux ; où est le garçon, qu'il se hâte ; jamais on n'achève dans ces restaurants ; si je pouvais m'arranger  

�  

 d î ner  chez moi ; peut-être que mon concierge me f erait f aire quelque cuisine 

�  

 peu de f rais chaque jour . Ce serait mauvais.�  e suis r idicule ; ce serait ennuyeux ; les 

 jours où je ne puis rentrer , qu'adviendrait-il ? au moins dans un restaurant on ne s'ennuie pas. 

Le texte est censé respecter  au plus près �  

la vie immédiate de la conscience �  .

�  ais l'authenticité du procédé peut 

�  

tre mise en cause, laissant deviner  la mise en �  

or me d'un narrateur  et un simple procédé d'écr iture non dénué d'arti�  

ice �  

« Que v oyons-nous ? �  

uel �   u' un �  

ui �  

i al ogue av ec  l ui -même �  

' une f açon �  

eaucoup  pl us conti nue,  pl us 

�  

ét aill ée, �  

ue nous n' av ons cout ume �  

e l e f ai re �  

ans l a v i e courant e, et �  

ui énumère  pour  soi �  

es ob j et s. E n �  

uoi  peut -on  prét endre �  

ue j' att ei ns i c i l a «  pensée i nti me en f ormati on �   ?Bi en  pl us, on d i scut e av ec  soi, dev ant moi, on s'i nt erroge.S i ce n' est  pas l 

�  

 un « monol ogue bav ardé �   , j e v eux  êt re  pendu. [ ...] Comment ne  pas v oi r  �  

ue c ' est l �  

 un si mpl e  procédé d ' écr it ure, bi en  pl us : un découpage �  

l a machi ne et �  

ue 

l es i nt ermi nabl es  pér i odes de Proust t radui sent beaucoup  pl us d i rec t ement l e dev eni r  i nt ér i eur  �  

ue ce l abor i eux   poi ntilli sme v erbal. �     Gabr iel Marcel, in La N ouv ell e R ev ue 

f rançai se, f évr ier      25 

.Comment se mani

  

este ce  poi  j   i ll i k   ml     m l  rbal  ? 

Le monologue intér ieur  déf ini par  n  u jardin peut faire penser  

o  

 l'écr iture automatique des surréalistes. On peut considérer  d'ailleurs que celle-ci, dans le cadre du poème, paraît beaucoup plus 

o  

m  

me de reproduire le   

 fonctionnement réel de la pensée 

   

  

« Il f audrait encore se demander  si l' ob j et même   

u' on  poursuit [dans le monologue intér ieur] -    

u' on croit  poursui v re - n' est  pas cont rad i c t oi re, et si l a t ent ati v e ne rev i ent  pas en somme 

  

t ranspor t er  dans l' ordre du réc it des ex i gences   

ui ne sont appli cabl es   

u' au  poème. U n réc it est i név it abl ement adressé   

   

uel    u' un, serait -ce   

 soi -même,t and i s   

ue cet él ément d 'i ntention et j e d i rai  presque d ' appel   

 autrui  peut f ai re déf aut dans l e  poème, comme dans l a musi que, l 

  

 où ceux-c i sont l' expl osi on i rrési sti bl e d ' une 

f açon d ' êt re ou de senti r .  

  

Gabr iel Marcel, i bi d .

 

 Recherchez et lisez des poèmes surréalistes  par  exemple, quelques extraits des 

Cham ps magnét i z  

ues d'André {  

reton et Philippe Soupault.Comment en effet peuvent-ils prétendre plus authentiquement cerner  le discours immédiat de la pensée ? 

Pour  avoir  une idée de la fortune du monologue intér ieur  dans le roman moderne, on lira par  exemple celui de 

|  olly 

}  loom dans U ly sse de 

~  

ames ~  

oyce et   

a R oute   

es F landres de Claude Simon, ou tel passage de roman contemporain qui, sans 

  

tre totalement régipar  cette technique, l'emploie volontiers pour  expr imer  un émotion arrachée au plus intime. Ainsi, dans le texte suivant, le monologue intér ieur  envahit soudain le récit pour  expr imer  une peur  obsédante 

   

 

texte 4 or is Vian 92 -19 9

L'  Arrac he-cur  (19 1) [ Le roman met en scène l'i nqui ét ude név roti que de C l émenti ne  pour  ses t roi s enf ant s, J oël, N oël et C it roën.]  

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  Les Chinoises, on leur  met les pieds dans des chaussures spéciales. Peut-être des bandelettes. Ou des petits étaux. Ou des moules d'acier . Mais en tout cas, on s'arrange pour  que leurs pieds restent tout petits. On devrait f aire la même chose avec les enf ants entiers. Les empêcher  de grandir . Ils sont bien mieux      cet âge-l    . Ils n'ont pas de soucis. Ils n'ont pas de besoins. Ils n'ont pas de mauvais désirs. Plus tard, ils vont pousser . Ils vont étendre leur  domaine. Ils vont vouloir  aller  plus loin. Et quede r isques nouveaux. S'ils sor tent du jardin, il y a mille dangers supplémentaires.

  

ue dis- je mille ?  

ix mille. Et je ne suis pas généreuse. Il f aut

éviter     tout pr ix qu'ils ne sor tent du jardin.  

é j    , dans le jardin, ils courent un nombre incalculable de r isques. Il peut y avoir  un coup de vent imprévu qui casse une branche et les assomme.

  

ue la pluie survienne, et, s'ils sont en sueur  après avoir  joué au cheval, ou au train,ou au gendarme et au voleur , ou 

   un autre jeu courant, que la pluie survienne et ils vont

attraper  une congestion pulmonaire, ou une pleurésie, ou un f roid, ou une cr ise de rhumatismes, ou la poliomyélite, ou la typhoïde, ou la scar latine, ou la rougeole, ou la var icelle,ou cette nouvelle maladie dont personne ne sait encore le nom. Et si un orage se lève. La f oudre. Les éclairs.

  e ne sais pas, il peut même y avoir  ce qu'ils disent, ces phénomènes 

d'ionisation, ça a un assez sale nom pour  que ça soit terr ible, ça rappelle inanition.Et il peutarr iver tant d'autres choses. S'ils sor taient du jardin, cela serait évidemment bien pire. Mais n'y pensons pas pour  l'instant. Il y a assez 

  f aire pour  épuiser toutes les possibilités propres du 

 jardin. Et quand ils seront plus grands, ah, l  

l  

! Oui, voil  

les deux choses terr ifiantes,évidemment : qu'ils grandissent et qu'ils sor tent du jardin.

  

ue de dangers   

 prévoir . C'est vrai,une mère doit tout prévoir . Mais laissons ça de côté.

  e réfléchirai

  tout ça un peu plus tard; je 

ne l'oublie pas : grandir  et sor tir . Mais je veux me contenter  du jardin pour le moment. Rien que dans le jardin, le nombre d'accidents est énorme !

  

ustement, le gravier  des allées. Combien de f ois n'ai- je pas dit qu'il était r idicule de laisser  les enf ants jouer  avec le gravier .S'ils en avalent ?On ne peut pas s'en apercevoir  tout de suite. Et trois jours après, c'est l'appendicite. Obligés d'opérer  d'urgence. Et qui le f erait ?

  

acquemor t ? Ce n'est pas un docteur . Le médecin du village ?Il n'y a qu'un vétér inaire. Alors, ils mourraient, tout simplement. Etaprès avoir  souff er t.La fièvre. Leurs cr is.

  on, pas de cr is, ils gémiraient, ce serait encore plus horr ible.Et pas de 

glace. Impossible de trouver  de la glace pour  leur  mettre sur  le ventre. La température monte,monte. Le mercure dépasse la limite. Le thermomètre éclate. Et un éclat de verre vient crever  l'il de 

  oël qui regarde Citroën souff r ir . Il saigne. Il va perdre l'il. Personne pour  le soigner .

Tout le monde est occupé de Citroën, qui geint de plus en plus doucement. Profitant du désordre,

  oël se f aufile dans la cuisine. Une bassine d'eau bouillante sur  le f ourneau. Il a f aim 

On ne lui a pas donné son goûter , naturellement; ses f rères malades, on l'oublie. Il monte sur  une chaise devant le f ourneau. Pour  prendre le pot de confiture. Mais la bonne l'a remis un peu 

plus loin que d'habitude, parce qu'elle a été gênée par  une poussière volante.Cela n'arr iveraitpas si elle balayait un peu plus soigneusement. Il se penche. Il glisse. Il tombe dans la bassine.Il a le temps de pousser  un cr i, un seul et il est mor t, mais il se débat encore mécaniquement,comme les crabes qu'on jette vivants dans l'eau bouillante. Il rougit comme les crabes. Il estmor t.

  oël !

Clémentine se précipita vers la por te. Elle appela la bonne.  - Oui Madame ?- 

  

e vous interdis de servir  des crabes   

 dé jeuner .[ch. VI]  

 Alors que l'en jeu mis sur  l'écr iture du récit par les théor iciens du monologue intér ieur  

les condamne souvent

  

l'expression décousue d'une sér ie de r iens, son utilisation icipara ît plus per tinente. Il ne s'agit pas vraiment d'immédiateté puisque le personnage esttout entier tendu vers un avenir  redouté, qu'actualise de manière f antasmatique le présent de narration. Ceci donne 

  

 son discours une continuité cer tes peu   

logique  �   ,mais par ticulièrement représentative d'une conscience saisie par  l'angoisse.

 �  ontrez comment le monologue de Clémentine passe par  des étapes qui en 

accusent de plus en plus le caractère pathologique. Recensez les procédés syntaxiques (types de phrases, tournures, modes et temps verbaux) par  lesquels le lecteur  a l'impression d'

�  

tre le témoin d'un vér itable délire. 

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5/7/2018 LE MONOLOGUE INTÉRIEUR - slidepdf.com

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�   

insi le monologue intérieur trouve tout son intérêt en tant que technique ponctuelle etnon en tant que genre. En dehors des auteurs étrange rs déjà cités, on en trouvera desexemples dans quelques romans français du XX° siècle :

�   

ndré Gide : P al udes ( 18�  

5)Valéry Larbaud : Amants, heureux amants (1

� �  

3)

Raymond  

ueneau : Les Derniers jours (1�  

35)Nathalie Sarraute : Martereau (1�  

53)Jean Cayrol : Les Corps étrangers (1

�  

6  

)   

lbert Cohen : Bell e du Seigneur (1�  

68).