Le Monde.fr - Une espagnole en colère

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Une Espagnole en colère, Angélica Liddell, entre au Festiva 12.07.10 | 16h31 Mis à jour le 12.07.10 | 16h38 Tout part et parle d'Angélica Liddell, dans ce spectacle à voir comme le journal de bord d'une fille de militaire en rupture de ban, qui sourit beaucoup, à la ville, mais dit qu'il faut se méfier : "Quand je referme la porte de ma chambre ou du théâtre, le monstre apparaît. " Enfant, elle écrivait des histoires horribles, des sortes de mélos où tout le monde mourait, à la fin. C'était une façon de meubler sa solitude de fille unique, dans les casernes où la carrière de son père l'a menée. Jusqu'à 7 ans, elle a vécu à Figueres (Catalogne), la ville natale de Salvador Dali, qu'elle a vu se promener sur les ramblas, avec son petit éléphant. Mais elle aime surtout rappeler qu'elle a été baptisée (en 1966) sur les mêmes fonts baptismaux que lui : "Il a bien dû se passer quelque chose. Dali se scarifiait. Moi aussi je me suis scarifiée pour séduire un homme", dit-elle, prenant soin de préciser que "se scarifier n'a rien de pathologique. C'est un mélange de vécu personnel et de choix esthétique." Question choix, Angélica Liddell commence par combattre son père, qui la voit militaire. Elle entre au Conservatoire de Madrid. "Je fonctionne toujours contre. J'ai un moteur de rébellion contre l'autorité." Au conservatoire, elle râle contre les professeurs, en vertu d'un principe : "La satisfaction ne produit rien, sauf dans la vie de tous les jours." Laquelle est plutôt violente, dans les années 1980 : Angélica Liddell appartient à la génération qui vit la Movida, ce mouvement de liberté folle en Espagne. Mais elle reste spectatrice. "J'avais 18 ans, mais c'est comme si j'en avais eu 15. J'étais une gamine, dans ma tête. Je n'ai pas touché aux drogues, j'avais trop peur. Je voyais trop mourir autour de moi, à cause de l'héroïne ou du sida, des gens si jeunes, si beaux." Pendant ces années-là, Angélica Liddell vient une fois à Avignon, "parce que c'est un mythe, comme la Vierge de Lourdes". Elle évite le "in", "trop cher", mais fabrique une fausse carte de presse qui lui permet d'écumer le "off". Bien sûr, elle a déjà ses idées sur le théâtre qu'elle veut faire : à la marge. Depuis, elle a signé plus d'une vingtaine de pièces, et autant de spectacles, au sein de sa compagnie, Atra Bilis, créée en 1993 et basée à Madrid. Il a fallu du temps pour qu'elle s'impose : pendant six ans, elle a travaillé dans un parc d'attraction pour gagner de l'argent. Mais sa ligne n'a jamais changé : aujourd'hui encore, Angélica Liddell revendique l'isolement et l'individualisme, et dit d'ailleurs ne pas savoir ce qui se joue au Festival, en dehors de son spectacle. Ceux qui resteront jusqu'au bout de La Casa de la fuerza verront l'homme le plus fort d'Espagne, quatrième, au rang mondial. Un colosse (1,93 mètre, 170 kilos) qui soulève une Ford Fiesta et la renverse. C'est l'une des surprises de ce spectacle révélateur de cette édition d'Avignon, où la performance prend le pas sur le théâtre, et où le corps guide la tête. Dans le cas d'Angélica Liddell, le corps sert d'exutoire à l'impossibilité d'aimer qui traverse le début de la représentation : tout le fatras narcissique y passe, avec le chemin de croix de la violence faite à soi-même. Mentalement, il vaut mieux s'encorder, quand on est spectateur. Pourtant, quelque chose retient de partir, qui ressort du chagrin, ce beau mot français que d'autres langues n'ont pas, et nous envient. Cinq heures ne se résument pas. Sachez qu'elles sont habitées à la fois par Les Trois Soeurs, de Tchekhov, l'omniprésence de Glenn Gould et du Cum Dederit du Nisi Dominus, de Vivaldi, chanté par un violoncelliste en scène, mais aussi par les airs chauds des mariachis (l'Orchestre Solis), venus du Mexique, comme ces trois femmes de l'Etat du Chihuahua qui racontent la violence quotidienne, viols, tortures et meurtres. Alors La Maison de la force s'élargit, le cercle narcissique se fait tout petit dans celui du monde, et, à la toute fin, un espoir de douceur apparaît : à tout casser, Angélica Liddell en vient à mettre un peu d'ordre dans le chaos. On respire, et toute la troupe danse aux saluts sur une musique techno. La douceur du balancement du corps du colosse, Juan Carlos Heredia, est alors impressionnante. La Casa de la fuerza ("La Maison de la force"), texte et mise en scène : Angélica Liddell. Avec Cynthia Aguirre, Perla Bonilla, Getsemani de San Marcos, Lola Jiménez, Angélica Liddell, Maria Morales, Maria Sanchez, Pau de Nut (violoncelle), Orchestre Solis (mariachis), Juan Carlos Heredia. Cloître des Carmes, Le 12 juillet, à 21 h 30. Tél : 04-90-14-14-14. De 13 ! à 27 !. Durée : 5 heures. En espagnol surtitré.

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La Casa de la fuerza ("La Maison de la force"), texte et mise en scène : Angélica Liddell. Avec Cynthia Aguirre, Perla Bonilla, Getsemani de San Marcos, Lola Jiménez, Angélica Liddell, Maria Morales, Maria Sanchez, Pau de Nut (violoncelle), Orchestre Solis (mariachis), Juan Carlos Heredia. Cloître des Carmes, Le 12 juillet, à 21 h 30. Tél : 04-90-14-14-14. De 13 ! à 27 !. Durée : 5 heures. En espagnol surtitré. 12.07.10 | 16h31 • Mis à jour le 12.07.10 | 16h38

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Une Espagnole en colère, Angélica Liddell, entre au Festival d'Avignon12.07.10 | 16h31 • Mis à jour le 12.07.10 | 16h38

Tout part et parle d'Angélica Liddell, dans ce spectacle à voir comme le journal de bord d'une fille de militaire en rupture deban, qui sourit beaucoup, à la ville, mais dit qu'il faut se méfier : "Quand je referme la porte de ma chambre ou du théâtre,le monstre apparaît. "

Enfant, elle écrivait des histoires horribles, des sortes de mélos où tout le monde mourait, à la fin. C'était une façon demeubler sa solitude de fille unique, dans les casernes où la carrière de son père l'a menée. Jusqu'à 7 ans, elle a vécu àFigueres (Catalogne), la ville natale de Salvador Dali, qu'elle a vu se promener sur les ramblas, avec son petit éléphant.

Mais elle aime surtout rappeler qu'elle a été baptisée (en 1966) sur les mêmes fonts baptismaux que lui : "Il a bien dû sepasser quelque chose. Dali se scarifiait. Moi aussi je me suis scarifiée pour séduire un homme", dit-elle, prenant soin depréciser que "se scarifier n'a rien de pathologique. C'est un mélange de vécu personnel et de choix esthétique."

Question choix, Angélica Liddell commence par combattre son père, qui la voit militaire. Elle entre au Conservatoire deMadrid. "Je fonctionne toujours contre. J'ai un moteur de rébellion contre l'autorité." Au conservatoire, elle râle contre lesprofesseurs, en vertu d'un principe : "La satisfaction ne produit rien, sauf dans la vie de tous les jours." Laquelle est plutôtviolente, dans les années 1980 : Angélica Liddell appartient à la génération qui vit la Movida, ce mouvement de libertéfolle en Espagne.

Mais elle reste spectatrice. "J'avais 18 ans, mais c'est comme si j'en avais eu 15. J'étais une gamine, dans ma tête. Je n'aipas touché aux drogues, j'avais trop peur. Je voyais trop mourir autour de moi, à cause de l'héroïne ou du sida, des genssi jeunes, si beaux."

Pendant ces années-là, Angélica Liddell vient une fois à Avignon, "parce que c'est un mythe, comme la Vierge deLourdes". Elle évite le "in", "trop cher", mais fabrique une fausse carte de presse qui lui permet d'écumer le "off". Bien sûr,elle a déjà ses idées sur le théâtre qu'elle veut faire : à la marge.

Depuis, elle a signé plus d'une vingtaine de pièces, et autant de spectacles, au sein de sa compagnie, Atra Bilis, créée en1993 et basée à Madrid. Il a fallu du temps pour qu'elle s'impose : pendant six ans, elle a travaillé dans un parc d'attractionpour gagner de l'argent. Mais sa ligne n'a jamais changé : aujourd'hui encore, Angélica Liddell revendique l'isolement etl'individualisme, et dit d'ailleurs ne pas savoir ce qui se joue au Festival, en dehors de son spectacle.

Ceux qui resteront jusqu'au bout de La Casa de la fuerza verront l'homme le plus fort d'Espagne, quatrième, au rangmondial. Un colosse (1,93 mètre, 170 kilos) qui soulève une Ford Fiesta et la renverse. C'est l'une des surprises de cespectacle révélateur de cette édition d'Avignon, où la performance prend le pas sur le théâtre, et où le corps guide la tête.

Dans le cas d'Angélica Liddell, le corps sert d'exutoire à l'impossibilité d'aimer qui traverse le début de la représentation :tout le fatras narcissique y passe, avec le chemin de croix de la violence faite à soi-même. Mentalement, il vaut mieuxs'encorder, quand on est spectateur. Pourtant, quelque chose retient de partir, qui ressort du chagrin, ce beau mot françaisque d'autres langues n'ont pas, et nous envient.

Cinq heures ne se résument pas. Sachez qu'elles sont habitées à la fois par Les Trois Soeurs, de Tchekhov,l'omniprésence de Glenn Gould et du Cum Dederit du Nisi Dominus, de Vivaldi, chanté par un violoncelliste en scène,mais aussi par les airs chauds des mariachis (l'Orchestre Solis), venus du Mexique, comme ces trois femmes de l'Etat duChihuahua qui racontent la violence quotidienne, viols, tortures et meurtres.

Alors La Maison de la force s'élargit, le cercle narcissique se fait tout petit dans celui du monde, et, à la toute fin, un espoirde douceur apparaît : à tout casser, Angélica Liddell en vient à mettre un peu d'ordre dans le chaos. On respire, et toute latroupe danse aux saluts sur une musique techno. La douceur du balancement du corps du colosse, Juan Carlos Heredia,est alors impressionnante.

La Casa de la fuerza ("La Maison de la force"), texte et mise en scène : Angélica Liddell. Avec Cynthia Aguirre, PerlaBonilla, Getsemani de San Marcos, Lola Jiménez, Angélica Liddell, Maria Morales, Maria Sanchez, Pau de Nut(violoncelle), Orchestre Solis (mariachis), Juan Carlos Heredia. Cloître des Carmes, Le 12 juillet, à 21 h 30. Tél :04-90-14-14-14. De 13 ! à 27 !. Durée : 5 heures. En espagnol surtitré.

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