Le Monde-Campus novembre 2015

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Recrutement : le grand décalage TROUVER DES CANDIDATS FORMATÉS, NOTER LES BONS EMPLOYEURS, SE FAIRE RECRUTER À TOUT PRIX ? Faire carrière dans le vert : un pari gagnant ? DES MÉTIERS PORTEURS ET DE VRAIES FAUSSES PROMESSES Religion « CHERCHE EMPLOI EN ACCORD AVEC MA FOI» Le grand entretien AVEC LE PHILOSOPHE BERNARD STIEGLER formation | recrutement | carrière Supplément au Monde n°22032, daté du 17 novembre 2015. Ne peut être vendu séparément

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Le Monde-Campus est le semestriel du Monde qui s'adresse aux jeunes diplômés et parle de leur entrée sur le marché du travail.Au sommaire de ce numéro de novembre 2015 :Recrutement: le grand décalageReligion: "cherche emploi en accord avec ma foi"Faire carrière dans le vert: un pari gagnant?Grand entretien avec le philosophe Bernard Stiegler sur l'avenir du travail

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Recrutement :le grand décalage

TROUVER DES CANDIDATS FORMATÉS, NOTER LES BONSEMPLOYEURS, SE FAIRE RECRUTER À TOUT PRIX ?

Faire carrièredans le vert :un parigagnant ?DESMÉTIERSPORTEURS ETDE VRAIES FAUSSESPROMESSES

Religion«CHERCHE EMPLOIEN ACCORD AVECMA FOI»

Le grandentretienAVEC LE PHILOSOPHEBERNARD STIEGLER

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 3

Vingt­trois mille chômeurs de moins en septembre ! Enfinune bonne nouvelle pour l’emploi, mais pas pour tout lemonde. Deux indicateurs résonnent à l’unisson cetautomne : l’Association pour l’emploi des cadres et le baro­

mètre Edhec­Cadremploi d’octobre 2015 (sur les intentions de recrute­ment), qui constatent la frilosité croissante des entreprises à recruter lesjeunes diplômés. La consultation, par exemple, des offres d’emploi d’in­génieur « environnement » immédiatement disponibles sur Jobthis.fr leconfirme : seule 1 sur 6 s’adresse aux débutants.« Le recrutement se décide en temps réel pour coller au plus près des be­soins », commente l’Edhec. Offres instantanées, recrutements en tempsréel, profils formatés pour être immédiatement productifs. La loi ducourt terme chasse les débutants. Doivent­ils chercher à se faire recruterà tout prix ? Continuer à cumuler les stages une fois le diplôme obtenu,voire travailler gratuitement dans l’espoir de décro­cher le Saint­Graal : le CDI…Qu’ àmoins de 30 ans etbac + 5, on ne voit plus comme le Saint­Graal.Les jeunes regardent le travail autrement : créer unprojet, le booster et devenir autonome. La courbe duchômage ne fléchit pas,mais celle du travail se portebien. Alors, oui, ils travaillent gratuitement,mais « ilsveulent y gagner quelque chose », souligne Yoann Kassi­Vivier, cofonda­teur de Pro Bono Lab, spécialisé dans l’intermédiation entre entrepriseset associations pour promouvoir le bénévolat.Pour se réapproprier leur vie, les jeunes cherchent àmettre la flexibilité àleur service. L’entrée dans l’entreprise se fait à 86 % par un contrat pré­caire, dit le ministère du travail. Soit ! Les jeunes diplômés débutants nes’arrêtent plus à la nature du contrat pour accepter une embauche, c’étaitle combat de leurs aînés. Eux regardent le contenu de lamission, la fonc­tion, leursmarges d’autonomie et de perspectives… à court terme.48%d’entre eux souhaitent trouver un poste au plus vite, indique l’étudeLes Jeunes Diplômés et l’accès à l’emploi publiée en octobre par le cabinetde recrutement Page Personnel. Les moins de 30 ans veulent « impacterl’entreprise tout de suite », ajoute Julien Barrois, directeur exécutif seniorde Page Personnel. Ils ont fait du court terme leur credo : lamajorité d’en­tre eux prévoit d’ailleurs de ne pas rester plus de trois ans à un mêmeposte. Si les perspectives ne sont pas visibles en interne, ils les trouverontailleurs, dans d’autres entreprises, d’autres secteurs, voire d’autres pays.Le green business attire beaucoup. La lutte contre le réchauffement cli­matique, dont parlera tout Paris à l’occasion de la COP21 fin novembre, aouvert un marché qui induit l’émergence et le développement de nou­veauxmétiers, pas tous porteurs. Mais des spécialisations comme la ré­glementation environnementale ou l’efficacité énergétique, sont devrais succès en termes d’emploi. En pensant court terme, les candidatsremettent l’emploi à sa place : au service du travail.

anne rodier

A l’heuredu court terme

Président du directoire,directeur de la publication

LOUIS DREYFUS

Directeur du «Monde », directeurdélégué de la publication,membre du directoireJÉRÔME FENOGLIO

Directeur de la rédactionLUC BRONNER

Secrétaire générale de la rédactionCHRISTINE LAGET

Coordination rédactionnelleANNE RODIERPIERRE JULLIEN

Création et réalisation graphiqueAUDREY REBMANN

EditionAMÉLIE DUHAMEL

CorrectionSERVICE « CORRECTION»

DU «MONDE»

IllustrationsLEO LECCIA

EMMANUEL KERNERÉLODIE BOUEDECCHOI JUHYUN

PublicitéBRIGITTE ANTOINE

FabricationALEX MONNET

JEAN­MARC MOREAU

ImprimeurSEGO, TAVERNY

LA COURBE DUCHÔMAGE NE FLÉCHIT

PAS, MAIS CELLEDU TRAVAIL

SE PORTE BIEN

ILLUSTRATIONDE COUVERTURE:ÉLODIE BOUEDEC

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 5

Supplément auMonde n°22032, daté du 17 novembre 20153 Edito

6 En bref

8 Recrutement : le grand décalage par Anne Rodier12 Jusqu’où travailler gratuitement par Valérie Segond

Stagiaires à temps partagé, mi­social, mi­business par François Schott

16 Les entretiens préalables deviennent de plus en plus virtuels par AngéliqueMangon

18 Les sites de notation d’entreprises : du neuf dans lemarché de l’emploi par Gaëlle Picut

20 Parier sur les réseaux régionaux pour sortir du lot par Catherine Quignon

22 Erasmus, un atout pour toute sa vie professionnelle par SergeMarquis

25 Le succès du Programme vacances­travail cache demauvaises surprisespar Catherine Quignon

26 Les jeunes diplômés s’expatrient avec un aller simple par Catherine Quignon

28 Religion «Recherche emploi en accord avecma foi»par François Desnoyers et Catherine Quignon

31 Orientation professionnelleDes «pros» passionnés racontent leurmétier par Gaëlle Picut

32 Université La valorisation des atouts passe par l’accompagnement par Nathalie Quéruel

34 Egalité hommes­femmes La parité perdue dès la sortie de l’école par Léonor Lumineau

36 Faire carrière dans le vert, un pari gagnant?par FrançoisDesnoyers39 Ils surfent sur les «greentechs» pour lancer leur start­up par Léonor Lumineau

40 Transition énergétique : une large palette demétiers par François Schott

42 Des jardins d’entreprise pour fertiliser les conditions de travail par Elodie Chermann

44 Se constituer un plan de carrière a­t­il encore un sens ?par Valérie Segond et Margherita Nasi

46 Caroline, Gautier et Thomas n’ont pas attendu la COP21 pour s’engagerpar AngéliqueMangon et Léonor Lumineau

50 Entrepreneuriat Les «Pépites» ont la cote par SergeMarquis

51 Discriminations La difficile ascension des enfants d’immigrés parMargherita Nasi

52 Conditions de travail «Jeune talent exige cocooning au bureau» par Camille Thomine

54 Pratique La gestion du budget façon génération Leboncoin par Gaëlle Picut

56 Le grand entretienBernard Stiegler : «La société automatique est insolvable,on commence à en prendre conscience» propos recueillis parMargherita Nasi

59 Invitation à la lecture par Pierre Jullien

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en bref

Vu de l’étranger150 millions de grévistescontre le code du travail en IndePrès de 150 millions d’Indiensont fait grève contre le projetde réforme du code du travail.Le premier ministre, NarendraModi, souhaite assouplir les condi­tions d’embauche et de licencie­ment pour stimuler l’emploi etrelancer la croissance (5,6 % du PIBen 2014). Ses projets visent entreautres à limiter le droit de grèveet à élargir la sécurité sociale àl’économie informelle. Ce secteurreprésente des millions de petitesentreprises au statut juridique flou.

« Zéro heure », zéro garantiepour les BritanniquesLe nombre de Britanniques employésen contrat dit « zéro heure », c’est­à­dire sans garantie d’horaire ou desalaire minimal, a augmenté deprès de 20 % en un an, indiquaitl’Office britannique des statistiquesdébut septembre, passant à 744 000(2,4 % de la population active)contre 624 000 un an plus tôt.

Tous au Japon !Le taux de chômage au Japon estredescendu en juillet à 3,3 %de la population active, avec desconditions qui se sont encore amé­liorées pour ceux qui cherchentun travail, et un rapport de 121 offresd’emploi pour 100 demandes. Dujamais­vu en plus de vingt­trois ans.

Les Américains n’ontpas tous Internet84 % d’Américains utilisent Interneten 2015, contre 52 % en 2000, indi­que l’étude réalisée par le PewResearch Center publiée fin juin.L’usage varie selon la population :96 % des 18­29 ans l’utilisent contre58 % des plus de 65 ans. 95 % des di­plômés universitaires se connectentcontre 66% des peu qualifiés. Enfin74 % de ceux qui gagnent moinsde 30 000 dollars par an l’utilisent,contre 97 % de ceux qui touchentplus de 75 000 dollars par an.

Ruptures conventionnellesNOMBRE DE DEMANDES HOMOLOGUÉES DANS LE MOIS

SOURCE : DARESAoût 2008 Juillet 2015

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10 000

20 000

30 000

35 00035 413

554,40 €L a rémunération des sta­

giaires est passée de 3,30à 3,60 euros de l’heure de­puis le 1er septembre, soit auminimum 554,40 euros parmois (obligatoire si le stagedépasse les deuxmois).

Compétencesà vendreLes tweetos sont, enmoyenne, plus diplômés et

plus jeunes que l’ensemble des internautes pré­sents sur les réseaux sociaux, selon une étude réa­lisée par Twitter, l’American Press Institute et la so­ciété DB5 publiée en septembre; 57 % d’entre euxsont aumoins diplômés de l’enseignement supé­rieur, contre 40 % des utilisateurs des réseaux so­ciaux en général. Les tweetos sont plus intéresséspar la science (47% contre 21%), la technologie (58%contre 26%), les arts et la culture (43% contre 16%).

A diplôme et catégorie so­cioprofessionnelle don­

nés, la valorisation salarialedes compétences est très li­mitée : unmême écart decompétences sera trois foismieux rémunéré s’il corres­pond à une différence de di­plômes que s’il correspondà un écart de compétencesentre deux personnes demême niveau de diplôme,indique une étude de la Di­rection de l’animation de larecherche, des études et desstatistiques.

Le Medef a signé, fin août, un « pacte d’engage­ments pour le supérieur » avec les conférences desprésidents d’université (CPU), des grandes écoles(CGE) et des directeurs des écoles françaises d’ingé­nieurs (Cdefi) pour permettre aux jeunes diplômésd’entrer plus facilement dans le monde de l’entre­prise. Il s’engage, entre autres, à faire connaître leportail MyDocPro.org, qui permet aux docteurs deprésenter leur profil, et aux entreprises de publierles profils de compétences qu’elles recherchent.

LeMedef à la fac

Parité :ça manquetoujoursde femmesLes grandes entreprises restentloin de leur objectif de parité,selon une étude du cabinet RussellReynolds Associates publiéele 4 septembre. En 2015,les conseils d’administrationdes entreprises du CAC 40comptent en moyenne 35 %de femmes, contre 30 % en 2014,et ceux des entreprises du SBF 120(indice regroupant les 120 plusgrands groupes cotés en France),hors CAC 40, en comptent 32 %(contre 29 % en 2014). L’objectiffixé par la loi est de 40 %au 1er janvier 2017.

35413ruptures conventionnellesont été signées en juillet 2015.Un chiffre record qui batcelui de juillet 2014 oùl’on décomptait 32 936signatures de ce dispositifmis en place en août 2008par le gouvernementde François Fillon.

Tutweetes ? Je tediraiqui tu es

Tous à vélo !L e Parlement français a adopté le 22 juillet le projet

de loi sur la transition énergétique. Il crée une in­demnité kilométrique vélo qui sera prise en charge parl’employeur, unmécanisme pour inciter les salariésà se rendre au travail à vélo. Une expérience a étémenéeauprès d’entreprises volontaires sur la base d’une indem­nité de 25 cents. Lemontant définitif devra faire l’objetd’un décret, laministre de l’environnement ayant estiméque sonmontant pourrait tourner de 12 à 15 cents.

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 7

NumériqueDataJob 2015, le plus grand salonde rencontre pour les métiers dela data, le 26 novembre, à l’EspaceCardin, à Paris (datajob.fr/).

EntreprisesForum Perspectives,à Lyon,le 1erdécembre. Rencontresentre étudiants et entreprises(forum­perspectives.fr/).

Salon des entrepreneurs, à Paris,les 3 et 4 février 2016, au Palaisdes congrès (salondesentrepre­neurs.com/paris).

EmploiSalon APEC, le 8 décembre,à l’Espace Grand Arche, à Paris.

AlternanceSalon de l’apprentissage etde l’alternance, du 15 au 17 janvier2016, au Parc des expositionsde la porte de Versailles, à Paris.

ExpatriationSalon Partir étudier à l’étranger,les 30 et 31 janvier 2016, au Parcdes expositions, à Paris.

Eric Antoineau secoursde l’entrepriseAguerri au monde de l’entreprisepour avoir travaillé dans l’événe­mentiel pour de nombreuses mar­ques (Caprice des Dieux, Lotus,EDF, Air France, Pfizer, Disney,etc.), l’humoriste et magicien EricAntoine est sensible aux probléma­tiques de gestion du stress ou deprise de parole en public que ren­contrent les cadres dirigeants. Ila décidé de mettre son expérienceet ses connaissances à leur service.« Comment persuader, atteindre sonobjectif, réunir autour de soi ? », ilrépond à toutes ces questions parl’optimisme et la confiance dontles entreprises ont bien besoin ence moment… dans une conférence­spectacle d’interaction et de magie,Optimystique. La joie peut devenir«un outil de persuasion », explique­t­il à ceux qui ont à « prendredes décisions ». « L’optimisme estune forme de courage, ajoute­t­il,qui donne confiance aux autreset mène au succès. » Il appelle àson secours Mark Twain qui disait :« Ils ne savaient pas que c’étaitimpossible, alors ils l’ont fait. »

AGENDA

U n tiers des salariés se sontabsentés en France en 2014,selon une enquête du

groupe Malakoff Médéric portantsur 3 millions de salariés et 44 500entreprises; 32,6 % des salariés ontété absents en 2014 au moins unefois dans l’année (contre 32,4 %en 2013). La durée moyenne d’unarrêt­maladie est de 18,1 jours (17,4en 2013), un chiffre en augmenta­tion dans toutes les entreprises,quelle que soit leur taille. Plus lar­

gement, le nombre de jours d’ab­sence par salarié absent s’élève à 35(33,4 en 2013). L’impact financierdes arrêts de travail représentaiten 2014 l’équivalent de 42 emploisà temps plein pour une entreprisede 1 000 salariés.Une autre étude, moins représen­tative, de l’institut Alma Consul­ting Group, évalue le coût total (di­rect et indirect) des absences, pourl’ensemble des entreprises du sec­teur privé, à 60milliards d’euros.

Absentéisme : 60milliards d’euros

Toujours plus richesLa rémunération totale moyenne des dirigeants du CAC 40 a progressé de 6 %en 2014, selon une étude du cabinet Proxinvest publiée le 23 septembre. Cettehausse de 6 % succède aux baisses de 2,5 % et de 6,2 % enregistrées en 2013 et2012. Le PDG de Renault, Carlos Ghosn, domine ce classement, avec une rémuné­ration totale de 15,2 millions d’euros, en hausse de 56 % en un an. Son prédéces­seur, Louis Schweitzer, émargeait à 7 millions de francs (un peu plus d’unmilliond’euros) en 2000 et en 2005, il quitte l’entreprise à plus de 2 millions d’euros.

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 9

Recrutement :legranddécalageLesDRHrecherchentdesprofilsexpérimentés,standardset flexibles,alorsquelesjeunesdiplômésmisent,eux,surl’intérêtdutravail,lesperspectivesetl’environnement

J’ai fait sept stages en quatreans, parfois payés, parfoisnon, témoigne GéraldineGothscheck, 24 ans. Certainsse sont bien passés, mais la

plupart furent des échecs. » Elle se souvientavoir essuyé un certain nombre d’insultesdurant ces stages, avantde trouverque l’ac­cès au marché du travail avait été relative­ment facile. « On apprend surtout à se dé­brouiller et à se forger une carapace. Çam’apermis de prendre de l’assurance », dit­elle.Nombreux sont ceux qui acceptent de tra­vailler gratuitement dans des conditionspénibles pour accéder au marché du tra­vail. La rareté de l’emploi amodifié les con­ditions de recrutement mais aussi les exi­gences, côté employeur commecôté candi­dat. Deuxmondes en décalage.En 2015, les jeunes diplômés n’ont pas

profité de l’amélioration constatée sur lemarché des cadres. Les conditions d’em­

ploi (baisse du salaire d’embauche, aug­mentation des contrats précaires) se sontdégradées pour les nouveaux arrivants surle marché du travail. « Les intentions de re­crutement de jeunes sortant de l’école ontbaissé, note Jean­MarieMarx, directeur gé­néral de l’Association pour l’emploi des ca­dres (APEC). Une entreprise sur trois seule­ment souhaite recruter un jeune diplômé.Elles cherchent en priorité des jeunes ayantun à trois ans d’expérience, quand ce n’estpas dix ans », explique­t­il.

Des candidats «copier­coller»Les entreprises frileuses pour recruter encontrat à durée indéterminé (CDI) le sontaussi sur le profil des candidats. « Elles re­cherchent des candidats “copier­coller”,qui ont eu des expériences sur des postessimilaires à ceux qu’ils cherchent à pour­voir, développe Wilhelm Laligant, prési­dent de Syntec Conseil en recrutement.Le niveau d’exigence a augmenté, pas tantsur le diplôme que sur le comportement.Les profils doivent être de plus en plusflexibles et exportables », précise­t­il. Lesrecruteurs accordent, par exemple, plusd’importance à la ponctualité que lescandidats, indique l’étude «Regards croi­sés sur le recrutement» publiée en sep­tembre par Monster­IFOP.Le temps de sélection des candidats s’est

donc allongé, passant de 4,3 semainesen 2012 à 6,5 semaines en 2014, alorsmême que le recrutement s’inscrit désor­

doss i er

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mais dans le court terme. « Quand on a lebon candidat, on ne propose plus de short­list de candidatures aux employeurs, expli­que Julien Barrois, directeur exécutif dePage Personnel, un cabinet de recrute­ment spécialisé dans les cadres de pre­mier niveau, dans des secteurs aussi di­vers que la banque, l’hôtellerie, l’informa­tique ou le commerce. On l’envoiedirectement à l’entreprise. Car les jeunesqui n’ont pas de réponse sous trois semai­nes vont chercher ailleurs. »Les moins de 30 ans sont dans une nou­

velle temporalité : « Ils ont un regard surl’entreprise très court­termiste. Ils cherchentun poste pour deux ou trois ans maximumet veulent vite passer à autre chose. Letemps moyen passé sur un poste est de dix­huit mois. Une fois en poste, 45 % envisa­gent de partir à l’étranger dans les cinq pro­chaines années », noteM. Barrois.Lamajorité des 26­35 ans estiment que la

période idéale pour rester dans le mêmejob est comprise entre trois et cinq ans. Cequi les rendplus exigeants. « Ils veulent im­pacter l’entreprise tout de suite, aumême ti­tre que les plus expérimentés, et pouvoirévoluer rapidement. »

L’intérêt de lamission jugé prioritaireConscients des difficultés liées à l’emploi,les jeunes diplômés se sont adaptés pourmettre la flexibilité à leur service. « 55 %des jeunes diplômés interrogés dans notredernière étude [« Les jeunes diplômés etl’accès à l’emploi »] n’attachent pas d’im­portance à la nature du contrat, constateM. Barrois. Car ils ont intégré la flexibilité.Par exemple, 70% des jeunes embauchés enCDI affirment qu’ils auraient accepté uncontrat en CDD ou intérim pour le postequ’ils recherchaient idéalement. 47 % desjeunes diplômés en poste ont été embau­chés en contrat temporaire (CDD ou inté­rim) », indique l’étude publiée début octo­bre par Page Personnel. Ils n’hésitent évi­demment pas à accepter des contratstemporaires pour être embauchés, parfoisparce qu’ils n’ont pas le choix, mais sur­tout parce que leur priorité est ailleurs :

c’est l’intérêt de la mission, sans lequel ilsn’hésitent pas à quitter l’entreprise.Lors des processus de recrutement, les

candidats sont particulièrement sensiblesà la transparence des informations surl’entreprise et sur le poste, indique l’étudeMonster­IFOP. Tandis que les recruteurscherchent à s’assurer que les moins de30 ans adhèrent à la dynamique de l’entre­prise. « Il faut les faire rêver, pour les faireadhérer à la vision globale de l’entreprise etsurtout à leur rôle dans lamission confiée »,explique M. Barrois. D’où l’importancecroissante donnée par les entreprises auxà­côtés du travail (qualité du lieu, con­

nexion à distance, équilibre vie privée­vieprofessionnelle) et à lamarque employeur.Les plates­formesnumériques servent de

support à cette approche plus exigeantedes deux bords. La numérisation du pro­cessus de recrutement a commencé par laprolifération des job boards, puis par lamise en place d’entretiens de plus en plusvirtuels. Aujourd’hui, il n’est pas rare queSkype remplace l’entretien téléphonique.

Infos partagéesL’arrivée en France, en octobre 2014, del’entreprise américaine Glassdoor illustrela dernière tendance : recueillir l’avis dessalariés sur les entreprises. « Nous de­mandons aux salariés de donner des infor­mations sur les entretiens d’embauche, lessalaires, leur expérience, l’équilibre vie­pri­vée­vie professionnelle dans leur entre­prise, les opportunités de carrière, plus unavis général sur leur entreprise. Avis etcommentaires sont accessibles à tous »,explique Diarmuid Russell, vice­prési­dent de Glassdoor et directeur généraldes services internationaux.

Glassdoor permet aux entreprises « decommuniquer sur la qualité de l’emploi etl’environnement de travail, et aux candi­dats d’identifier leurs perspectives réel­les », précise­t­il. Utilisée par 70 % desAméricains dans leur recherche d’em­ploi, Glassdoor est une base de donnéesen accès libre sur 340 000 entreprisesdans le monde.Les jeunes diplômés étudient désormais

l’offre d’emploi mondiale. Ils n’hésitentpas à partir loin… ou pas du tout. « EnFrance, les jeunes font peu de concessionssur le changement de région », affirmePierre Lamblin, directeur d’études et de re­cherche de l’APEC.Mais 55% des jeunes in­terrogés par Page Personnel début octobrese disent prêts à s’installer à l’étrangerdans les années à venir. Nellye Chiocca­rello, 27 ans, et Joël Chrysostome, 26 ans,ont fait ce choix : destination, le Canada.

Le CVmultijobmal interprétéAprès son master en mathématiques ap­pliquées, Nellye n’est pas inquiète sur sesopportunités professionnelles en France,mais elle a décidé de partir « pour avoirplus de perspectives » et « pour aller là où lamobilité est récompensée. En France, avecun CV multijob, on est tout de suite jugéinstable ». Quant à son compagnon, Joël,après quatre ans de salariat dans lemarke­ting, il a obtenu un permis vacances­tra­vail (PVT) pour le Canada où il espère trou­ver « plus d’esprit de compétition, pour al­ler de l’avant ».Du PVT au permis de travail, ils sont de

plus en plus nombreux à traverser l’Atlan­tique pour retrouver des perspectives pro­fessionnelles, fuir la discrimination ousimplement travailler.Le décalage entre candidats et recruteurs

va grandissant sur un marché de l’emploide plus en plus global. « On n’est pas surdeux mondes irréconciliables, mais en dé­calage », estime Frédéric Dabi, directeurgénéral adjoint de l’IFOP, qui a réalisé pourMonster l’étude « Regards croisés sur lerecrutement ».

anne rodier

«LESMOINS DE 30 ANSONT UN REGARD TRÈSCOURT­TERMISTE

SUR L’ENTREPRISE. ILSCHERCHENT UN POSTE

POUR DEUX OU TROIS ANSET VEULENT VITE PASSER

À AUTRE CHOSE»JULIEN BARROIS

directeur exécutif de Page Personnel

recrutement: le grand décalage

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12 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

A24 ans, Julie, psychologue cli­nicienne fraîchement diplô­mée de l’Université catholi­que de l’Ouest, à Angers, adéjà fait six stages: quatre

d’unedurée d’unmois pendant ses annéesde licence, puis un de troismois enmaster1, enfin, undernier stagede find’études, enmaster 2, d’une durée de quatremois dansun institut médico­éducatif (IME) au seind’un centre hospitalier, pour s’occuperd’enfants handicapésmentaux.Pourtant, Julie n’a jamais touché 1 euro.

Même lorsque, recevant les patients enconsultation, organisant des ateliers degroupe, conseillant les aides­soignantessur les cas difficiles ou faisant passer destests psychomoteurs auxpatients, puis lesanalysant, elle assurait aumoins en partiele fonctionnement du service. Même lors­qu’il fallut morceler le stage en cinq pé­riodes − de quinze jours à un mois cha­cune – pour obtenir des conventions of­frant l’apparence de la légalité. « Mais,confie­t­elle, je ne regrette rien. On n’ap­prend pas ce métier sur les bancs de l’uni­versité, mais en se construisant une expé­rience avec des publics variés. Or aucunedes institutions pour lesquelles j’ai travailléne m’aurait permis de faire ces stages s’ilsn’avaient pas été gratuits. »Le travail gratuit commemoyen d’acqué­

rir une première expérience, en somme.Seulement, vient un jour le besoin impéra­tif d’être rémunéré. « Maintenant que j’aiune formation complète, je veux gagner mavieavec, explique Julie. Je ne suis plus prête àtravailler gratuitement. » Elle ne regardeplus les offres de stage : elle cherche un em­ploi, un vrai, avec un contrat et une rému­nération à la clé. Même si elle se dit prête àcommencer sa carrière en accumulant lestemps partiels dans différents établisse­ments et pour différents publics, quitte,

doss i er |recrutement: le grand décalage

après quelques années d’expérience, àouvrir son cabinet. Mais passer de la gra­tuité, fût­elle acceptée comme le prix d’uneformation complète, au travail rémunéréest loin d’être évident. En particulier chezceux qui se destinent, par vocation ou né­cessité, à adopter un statut d’indépendant.

« Je sais qu’onm’appellera »En témoigne Elodie, diplômée d’architec­ture intérieure, spécialisée en scénographieetdécorsde théâtre.A 27 ans, après cinqansd’études, elle a réalisé des décors pour denombreux courts­métrages sans jamaisêtre payée. « En général, observe­t­elle, ils’agissait de projets d’étudiants de l’école decinéma Louis­Lumière ou de jeunes réalisa­teurs qui démarraient eux aussi. Des mis­sions de huit jours à temps plein pour les­quels j’étaisdéfrayéepourmesdéplacementset ma nourriture, mais pas plus : j’avais unstatut de bénévole. Ces six missions m’ontpermis deme faire unbookavec de vraies ré­férences, de diffuser des photos surmonblogetdeme faire connaîtred’un réseau.Car c’estun milieu qui fonctionne intégralement surle bouche­à­oreille. »

Puis Julie s’est installée en autoentrepre­neur. Mais le premier travail de décorationrémunéré qu’elle a décroché pour le réamé­nagement d’un cabaret dans Paris, aveccette fois une équipe de professionnels do­tée d’un gros budget, lui a rapporté400 euros par mois, car… c’était un stage !

« Ma chef était très contente de mon travailet m’a dit qu’elle allait me recommanderpour d’autres projets. » Elodie a­t­elle reçud’autres propositions ? « Pas encore,mais jesais que quand il y en aura, onm’appellera. »Le travail rémunéré par des recomman­

dations virtuelles, des photos pour uneprétenduevisibilité oupardes lignesdeCVconstituant des coups de pouce pour en­trer dans le réseau des pros, bref par unehypothétique et future contrepartie, jus­qu’où est­ce jouable, et quand faut­il direnon ? Sauf pour les mandataires sociauxou lesmembres de la famille au sens étroitdu terme, travailler gratuitement pouruneorganisation à but lucratif peut être assi­milé à du travail dissimulé, passible desanctions pénales pour l’employeur : endroit, une mise en situation profession­nelle à l’essai ne doit pas dépasser quel­ques heures.

Les vocations créativesOr, combien ont accepté de travailler gra­tuitement dans des secteurs passion, ceuxqui attirent les vocations créatives parmil­liers, dans l’espoir de décrocher un poste,oumêmeunecommandeen free­lancequin’est jamais venue ? Dans certaines profes­sions, on a le plus grand mal à en sortir.Ainsi en est­il des graphistes et des ma­quettistes, sans cesse contraints de répon­dreàdesappelsd’offrespourdécrocherdescommandes en fournissant un travail deconception quasi fini. Mais aussi des pho­tographes, des illustrateurs, desmusiciens,des pigistes, des web designers, etc.En clair, chez tous les créatifs qui tra­

vaillent à la commande, la transformationdu travail en revenus relève parfois d’unvéritable casse­tête. Le syndrome du tra­vail gratuit n’est jamais très éloigné. Leproblème est que le client qui passe com­mande pour un travail gratuit ne sera pas

CHEZ TOUS LES CRÉATIFSQUI FONCTIONNENTÀ LA COMMANDE, LA

TRANSFORMATION DU TRAVAILEN REVENUS RELÈVE PARFOIS

DU CASSE­TÊTE

Unemissionbénévole peut permettre d’acquérir unepremière expérienceutile pourdécrocher unpremier emploi.Mais vient un jour le besoin impératif d’être rémunéré.

Jusqu’où travailler gratuitement ?

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 13

nécessairement enclin à payer pour lemême service. On sait qu’il y a un « effetcliquet », invisible et redoutable, de la gra­tuité : comment s’en prémunir ?Une fois le diplôme en poche et la forma­

tion achevée, il ne faut en aucun cas accep­ter une mission sans valeur ajoutée quipuisse être assumée par un simple ama­teur débrouillard ou un stagiaire en pre­

mière année d’étude. « Travaillergratuitement ne doit pas être

l’équivalent d’un stage nonrémunéré, explique CaroHardy, spécialisée dans lecoaching d’indépendantset qui n’est pas farouche­ment opposée au travail

gratuit, pour autant qu’il constitue unepremière expérience permettant de met­tre le pied dans la porte. Mais n’attendezpas que l’on vous attribue une tâche, c’est àvous de proposer ce sur quoi vous allez tra­vailler. Et ce quelque chose devra résoudreun problème pour votre client. »En d’autres termes, ce que vous avez à of­

frir constitue bienun travail deprofession­nel ayant développé une expertise utile etnécessaire au client, une vraie valeur ajou­tée et non des heures de main­d’œuvregratuite, sinon, celui­ci n’en percevra ja­mais la valeur. Aussi est­il nécessaire, pourque les choses soient claires, d’imposer dèsle départ au client une date limite au tra­vail gratuit pour montrer que ce moded’intervention n’est pas votremodèle opé­ratoire, mais qu’il n’est qu’un moyend’amorcer une relation et de construire unlien de confiance. Levez d’emblée touteambiguïté : s’il n’est pas prêt à payer, vousne continuerez pas.Enfin, il ne faut rien faire gratuitement

qui ne vous apporte à vous­même quelquechose de déterminant en expérience, enqualification recherchée, en visibilité ouen relationdansununivers où l’onnevousconnaît pas et où vous ne connaissez per­sonne. Mais c’est à vous de choisir de lefaire, par intérêt, vocationouamitié. Cequiest très différent de répondre à une an­nonce proposant un travail gratuit contreune prétendue « visibilité ». A celle­là, pasde doute : il faut savoir dire non.

valérie segond

AuxEtats­Unis, la justice requalifie des stagesmillions de dollars entre lesacteurs de l’industrie du ci­néma et leurs anciens em­ployés. Peut être considéréecomme un stage toute colla­boration se faisant au béné­fice de la formation du colla­borateur. Si l’entreprise tireplus profit du travail que lecollaborateur, alors celui­ci estun employé : ainsi en a décidéla justice.Le stage doit rester une expé­rience d’apprentissage au bé­néfice de l’étudiant et non lasimple expérience d’un travailoccupé par un étudiant. Descritères définis par la NationalAssociation of Colleges and

Employers (NACE) fixent les rè­gles du jeu entre entreprises etétudiants : l’expérience doits’inscrire dans le prolonge­ment de la formation initiale eten constituer unemise enœuvre. Les compétences etqualifications ainsi acquisesdoivent être transférables dansun autre établissement. L’expé­rience a un début et une fin.Les objectifs de formation del’étudiant sont clairs. Il eststrictement encadré par unprofessionnel qui lui doit desretours réguliers. Les ressour­ces, outils et lieux de travailsont fournis par l’employeur.

V. Se.

Les studios de cinéma de Hol­lywood, gros consommateursde travail non rémunéré pourceux et celles qui rêvent defaire carrière, ne pourront dé­sormais plus recourir à cettepratique.Aux Etats­Unis, un arrêt de lacour d’appel du 2 juillet 2015à l’encontre de la société deproduction américaine FoxSearchlight Pictures vient defixer la frontière entre stage ettravail, en d’autres termes en­tre stage pouvant être nonrémunéré et travail méritantsalaire.Ce jugement a donné lieu àdes réparations de plusieurs

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14 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

doss i er | recrutement: le grand décalage

Nouveau venu dans l’universde la recherche de stage surInternet, Stagiaires sans fron­tières n’est pas un job boardcomme les autres. Cette asso­

ciationcrééeenfévrier2014parunétudiantde Sciences Po développe un concept destage à temps partagé, cumulant une expé­rience en entreprise avec unemission asso­ciative. « Beaucoup de jeunes s’engagentdans une association mais cela s’arrête sou­vent à l’approchede l’entrée sur lemarchédutravail. Nous voulonsmontrer qu’il est possi­ble de faire les deux au cours d’un stage, enconsacrant 80 % de son temps à l’entrepriseet 20 % à une association », explique FélixdeMonts, le fondateur.

Un jour par semaineDepuis le mois de septembre, une dizainede stagiaires ont ainsi entamé une doublevieprofessionnelleentredegrandsgroupes–Danone, Saint­Gobain, SCOR–et des asso­ciations – la Croix­Rouge, Emmaüs, Andes(épiceries solidaires), Siel Bleu (Sport, initia­tiveset loisirs) –où ils sontdétachésun jourpar semaine. Pour Coralie Alande, stagiaireRH chezDanone et EmmaüsConnect, « jus­qu’ici l’expérience est très positive. J’ai décou­vert le domaine de l’économie sociale et soli­daire que je ne connaissais pas, et les mis­sions sont vraiment complémentaires ».Chargée par Emmaüs Connect de mettre

enplace une stratégie de recrutement et unbaromètre de satisfaction des salariés, elledit s’inspirer des pratiques en place chezDanone, où elle travaille davantage sur lagestion des carrières au sein du groupe. Sielle s’est très vite adaptée à cette doublemission, cela n’a pas été évident au départpour certainsde ses collègues chezDanone.« Ils ne comprenaient pas trop mon emploi

du temps,ne sachantpasà l’avancequel jourje n’étais pas là. Mais mon manageur a faiten sorte de bien expliquer les choses pourque je ne sois pas sollicitée lorsque je suischez Emmaüs Connect. Même si ce n’estqu’un jour par semaine, je ne suis pas béné­vole, c’est un vrai travail », affirme l’étu­diante, actuellement en année de césure del’école de commerceAudenciaNantes.Le stage est cependant rémunéré par l’en­

treprise, « comme un stage classique de sixmois ». L’intérêt pour l’association n’est passeulement financier. « Les jeunes sont atti­réspar l’économiesocialeet solidairemais ilsne franchissent pas forcément le pas. Noussommes heureux d’accueillir des étudiantscomme Coralie auxquels nous n’hésitonspas à confier desmissions stratégiques, avecune certaine autonomie. Sur cesmissions en

mode projet, la formule de Stagiaires sansfrontières nous semble particulièrement in­téressante », indique Mihaela Chirca, res­ponsable RH au sein d’Emmaüs Connect.C’est aussi l’occasion pour l’association

de développer de nouveaux partenariatsavec le secteur privé. « C’est l’un des objec­tifs du stage, sorte de troisièmemission quenous assignons à nos stagiaires. Ils doiventmobiliser leurs collègues autour de problé­matiques rencontrées par l’association ettenter de trouver avec eux des solutions »,précise Félix deMonts.Cela peut se traduire par des actions

ponctuelles – collectes, dons, etc. – maisaussi, avec l’aide de Stagiaires sans frontiè­res, par des actions pérennes, comme dumécénat de compétences. « Les entreprisesrecherchent elles aussi des personnes enga­gées, capables de faire bouger les lignes »,assure Félix de Monts, qui espère décloi­sonner monde de l’entreprise et mondedes associations.

Inspiré d’Unis­CitéSi Stagiaires sans frontières recherche denouvelles entreprises partenaires afin depouvoir proposer plus de stages sur sonsite, le job board n’entend pas jouer le rôled’un cabinet de recrutement pour stagiai­res. « Nous souhaitons nous inspirer d’Unis­Cité, à l’origine dumodèle du service civiqueavant son déploiement à l’échelle nationale,et faire la preuve du concept de stage par­tagé pour que chacun puisse créer son stageentre entreprise et association », explique lejeune entrepreneur.Cet objectif ne relève­t­il pas de l’utopie,

alors que le gouvernement plafonne à 15 %la part des stagiaires dans l’effectif des en­treprises françaises ?

françois schott

Uneassociationpropose aux candidats stagiaires de cumuler une expérience en entrepriseavec unemission associative. Unedouble vie professionnelle dansunmondedécloisonné.

Stagiaires à tempspartagé,mi­social,mi­business

«MÊME SI CE N’EST QU’UNJOUR PAR SEMAINE, JE NESUIS PAS BÉNÉVOLE, C’EST

UN VRAI TRAVAIL»CORALIE ALANDE

stagiaire chez Danoneet Emmaüs Connect

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DÉCOUVREZ LE NOUVEAU VISAGEDE L’ÉLECTRICITÉ BAS CARBONE.L’électricité produite par EDF en France en 2013 a émis 9 fois moinsde carbone que la moyenne européenne du secteur, grâce à un parcde production composé à 84 % de nucléaire et d’énergies renouvelables.Nous mettons en avant les femmes et les hommes qui innoventet font ensemble d’EDF le champion de l’électricité bas carbone*.

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électriciens européens en2013 :moyenneEurope : 328kgdeCO2/MWh–EDFSA : 35kgdeCO

2/MWh.L’énergie est notre avenir, économisons-la!

EDF552081317RCSPARIS,75008Paris–Créditphoto

:AlexandreGuirkinger.

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16 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

Pour moi, les entretiens surSkype sont les seuls qui ontabouti. » A 25ans, Marine Tho­mas est catégorique. La jeunefemme, en stage à l’ambassade

de France en Colombie, est bien plus àl’aise derrière son écran, à des milliers dekilomètres de son employeur, que face àlui dans son bureau. « Avec Skype, j’ai euautant de chances, voire plus, car lors d’unentretien classique, je stresse et je suismauvaise », ajoute­t­elle. « Moi, j’ai dé­testé, rétorque Laura Soudre, 26 ans.

J’aime croiser le regard de celui avec quij’échange, alors que là, tu ne peux pas re­garder le recruteur dans les yeux, doncc’est difficile de créer un lien. »Selon une enquête menée en 2013 par le

site d’offres d’emploi RégionsJob, 16 % desrecruteurs font systématiquement passerun entretien en visioconférence ou au télé­phone. Mais depuis une dizaine d’années,les entreprises utilisent de plus en plus lesentretiens via Skype, souvent à la place del’échange téléphonique. « Dans notre sec­teur où les candidats sont très sollicités, cela

permet de vérifier qu’il y a adéquation entrece que l’on va proposer et le projet profes­sionnel du candidat, avant que celui­ci se dé­place », explique Isabelle Néri, directrice durecrutement France chezGFI Informatique.L’entretien à distance permet donc de

voir le candidat et d’interagir avec lui touten gagnant du temps. Mais dans cette en­treprise, le processus de recrutement quicomprend deux à trois entretiens se ter­mine à chaque fois par une rencontre phy­sique. Ce qui n’est pas toujours le cas.Recruteuse à l’agence Sourcevolution ins­

doss i er | recrutement: le grand décalage

Les présélections à l’embauche qui se déroulent sur Skypeougrâce à des plates­formes enligne semultiplient. Parfoismême sans le recruteur face aupostulant.

Les entretiens préalablesdeviennent deplus enplus virtuels

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 17

tallée à Montréal (Canada), Aurore Dijouxrecourt à Skype plutôt qu’à l’entretien enface à facepour 5%à 10%des recrutementsqu’elle effectue. «Cela concernenotammentdes candidats qui résident en Europe oùnous chassons des profils rares dans l’infor­matique ou la finance »,précise­t­elle.

La rencontre en vidéo différéeSi l’entretien sur Skype remplace parfois larencontre physique, l’entretien vidéo dif­féré, lui, s’inscrit dans un processus quicomprend plusieurs échanges entre le can­didat et le recruteur. Inspiré du succès del’entreprise américaine HireVue crééeen 2004, cet outil de présélection a traversél’Atlantique et se développe doucement enFrance depuis cinq ans environ.Sandrine Burban, 26 ans, y a été confron­

tée en juillet. Après avoir déposé une candi­dature pour un poste de chef de projet fidé­lisationete­shopchezHeineken (contactée,l’entreprise n’a pas répondu à nos sollicita­tions), elle reçoit un mail de la plate­formeEasyRECrue l’invitant à réaliser un entre­tiendifféré. Seule faceà sawebcam,elledoitrépondre à six questions orales et trois écri­tes portant sur ses expériences, sa disponi­bilité et samobilité. « J’avais trente secondespour préparer chaque question, et une àdeux minutes pour y répondre, mais je par­lais moins que le temps accordé, car j’avaispeur de commencer une phrase et de ne paspouvoir la finir », explique la candidate. Uneexpérience qu’elle juge « frustrante », et auterme de laquelle elle n’a pas été retenue.« J’aurais aimé me défendre plus sur le faitque j’étais junior et avoir des précisions surcertaines questions. »Une fois la vidéoenre­gistrée, elle est conservée sur un serveur sé­curisé, et le recruteur peut la regarderquand il le souhaite.

Une évaluation plus rapideAvec ces entretiens de présélection, les en­treprises évaluent rapidement la présen­tation du candidat, samanière de parler etsa capacité à argumenter dans un tempsimparti. « Cela permet au recruteur de dé­couvrir des candidats qu’il n’aurait pas for­cément reçus sur la seule base du CV »,précise Mickaël Cabrol, fondateur d’Easy­RECrue en 2013. Sa société propose aux en­treprises des solutions de recrutement endirect ou en différé, et les conseille dans lechoix des questions.Un outil qui a séduit Emmanuelle Dam,

coordinatrice développement RH chez Va­leo. Ici, l’entretien différé est réalisé aumo­ment où le candidat dépose son CV. « Ils’agit d’une étape de présélection utiliséedans 90 % des cas sur le site de La Verrièredans les Yvelines. Cela nous permet d’avoir

choisissaient, parmi ladizained’entreprisesparticipant à l’opération, celles auprès des­quelles ils souhaitaient postuler. L’entre­prise Bio3G a pris part à l’opération et reçu21 vidéos. Si aucunen’a abouti à un recrute­ment, Valérie Fossey, responsable recrute­ment, estime que cela a permis « de décou­vrir des candidats qui n’auraient pas forcé­ment postulé chez nous ». Autre avantage :«Même si les questions sont parfois trop gé­nérales, on se concentre sur ce que le candi­dat est capable de nous livrer à un instant T,sur ses compétences, plutôt que sur son CV. »A la recherched’un emploi, SofianeKhaiti aparticipé à cette opération et regrette de nepas avoir pu visionner sa vidéo. « J’auraisaimé développer certains points et pouvoircorriger des choses », précise le candidat.Qu’il soit éliminatoire ou non, l’entre­

tien vidéo en direct ou en différé « peutêtre traître pour un candidat qui n’est pasà l’aise face à son écran. Cela déshumanisele processus », estime François Geuze,maître de conférence à l’université deLille, spécialiste du management des res­sources humaines. « Il est intéressantpour une entreprise d’introduire de nou­velles méthodes de recrutement, car celapermet de mettre en avant des candidatsdifférents », analyse Emmanuelle Mar­chal, directrice de recherche au CNRS/Sciences Po, « mais bien sûr, avec la vidéo,il n’y a pas du tout ce que l’on peut avoirlors d’une vraie interaction ».

angéliquemangon

plus d’éléments que lors d’un entretien télé­phonique. » L’entreprise a fait ses comp­tes : le temps de la présélection est divisépardeux.Mais selonLaurentBrouat, direc­teur de LinkHumans, société de formationde recruteurs, cette méthode de présélec­tion n’est pas adaptée à tous les profils.« Pour des commerciaux ou dans le marke­ting, ça a du sens, mais pas pour des fonc­tions techniques où il y a moins besoin decommunication. »

En juin, RégionsJob a lancé pour ladeuxième fois une opération « selfies vi­déo», destinéeàdes commerciauxbusinessto business (B2B). Les 300 participants de­vaient répondre à cinq questions dans untemps limité face à leur webcam. Une foisl’enregistrement terminé, les candidats

«À DISTANCE, J’AI EU AUTANTDE CHANCES, VOIRE PLUS,CAR, DANS UN TÊTE­À­TÊTECLASSIQUE, JE STRESSE »

MARINE THOMAScandidate

«Attention audécor et à la lumière » !Qu’il se déroule en direct ouen différé, un entretien vidéoexige de la préparation.Comme pour une rencontrephysique avec le recruteur, ilest nécessaire de se rensei­gner sur l’entreprise, ses pro­jets en cours et sur le poste àpourvoir. « Le candidat doitpréparer des élémentsconcrets qui illustreront sonpropos », précise Tania Gibot,consultantemobilité àl’Association pour l’emploides cadres (APEC).Avant de commencer l’entre­tien, il est conseillé de s’ins­taller dans un endroit calmeet sobre. « Attention au décoret à la lumière », alerte Fa­brice Mazoir, chef de projetéditorial chez RégionsJob.« Evitez de laisser dans lechamp de la caméra des ob­

jets trop personnalisés et pla­cez­vous devant un fond neu­tre plutôt que devant uneaffiche », précise Tania Gibot.Fabrice Mazoir conseilleégalement de tester laconnexion Internet, sawebcam et de vérifier sescodes d’accès à Skype avantde se lancer. « Il faut éliminertout ce qui peut stresser »,explique­t­il.Côté tenue, s’il est tentantde porter un chemisier engardant son bas de pyjama,Tania Gibot le déconseille.« Il est préférable de s’habillercomme pour un entretien enface à face. Je recommandedes tenues claires qui sontplus flatteuses à l’écran. »Autre aspect : le comporte­ment face à la caméra. « Lecandidat doit être souriant, à

l’écoute de son interlocuteur etle laisser parler, conseilleFabriceMazoir, car il y aparfois un petit délai entre lemoment où une personnes’exprime et la réception dumessage par le destinataire. »« On perd en spontanéité,renchérit Tania Gibot, car ilfaut attendre que la personnetermine sa phrase avant de luirépondre. Il faut donc renfor­cer le lien visuel avec le recru­teur en le regardant de façonplus appuyée que lorsque l’onest face à lui pourmaintenir lecontact. » L’interaction étantplus difficile, il est conseilléde redoubler d’attention et dene pas lire ses fiches. Dernierconseil : s’entraîner en se fil­mant afin d’avoir une idée del’image que l’on renvoie.

An. Ma.

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18 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

Après les films, les hôtels ou lesrestaurants, les entreprisessont notées à leur tour sur dessites spécialisés. Le pionnier,Meilleures­entreprises.com, a

été lancé en 2009. Toujours actif, il a étéimité en octobre 2014 par le géant améri­cain Glassdoor (créé par les fondateurs deTripAdvisor) et en juin par Viadeo.Sur ces sites, les salariés et les stagiaires,

peuvent évaluer et noter leur entreprisesur différents critères : rémunération, en­vironnement de travail, intérêt des mis­sions, perspectives de carrière, confianceen leurs dirigeants, avantages sociaux, etc.De leur côté, les candidats peuvent indi­

quer comment s’est déroulé le processusde recrutement, les questions posées, lessuites données à l’entretien. Glassdoor estplutôt bien positionné pour les informa­tions concernant les salaires et les grandesentreprises, Viadeo et Meilleures­entrepri­ses.comfavorisentdavantage les commen­taires et possèdent plus d’avis sur les PME.A titre d’exemple, Meilleures­entrepri­ses.com recense 300 000 avis, concernant4 300 entreprises, et reçoit 300 000 visi­teurs uniques parmois.

Des précautions s’imposentPour les jeunes diplômés, ces sites offrentla possibilité de découvrir l’entreprise del’intérieur et de connaître le ressenti de sa­lariés ou d’ex­salariés. Ils constituent ainsiune source d’informations plus transpa­rente que les sites carrière « corporate »(internes), où tout semble toujours parfait.Pour les candidats, les comptes rendusd’entretiens peuvent se révéler précieuxpour se préparer à ce type d’épreuve.Cependant, des précautions s’imposent :

ces avis sont subjectifs et, en général, la

note d’une entreprise repose sur les répon­ses de quelques salariés – deux ou troispour une PME, quelques dizaines pour lesgrandes entreprises. Des employeurs ontrécemment communiqué sur le fait queleur sociétéaétédésignéecommeidéale se­lon les stagiaires au classementHappyTrai­nees. Attention à bien regarder le nombrede réponses sur lesquelles ils se basent.

Difficile également de savoir si les avis de28 salariés postés surGlassdoor sont repré­sentatifs de ceux des 200 000 salariés quitravaillent à GDF Suez ou s’il s’agit de per­sonnes aigries ou, au contraire, particuliè­rement enthousiastes. Ensuite, il peutexister de grandes différences d’ambianceet de conditions de travail entre le siège etles filiales, voire entre différents services.Enfin, il est difficile de comparer des entre­prises alors qu’elles ont toutes en généralune note qui tourne entre 3,2 et 3,6 (sur 5).A cet égard, les commentaires sont en gé­néral plus intéressants que les notes.

En revanche, les avis font de plus en plusl’objet de vérifications, et différentes valida­tions humaines visent à réduire au maxi­mumles faux,unecritiquesouvent faiteauxpremiers sites de notation. Selon les plates­formes interrogées, les commentaires élimi­nés ne dépasseraient pas les 5 %­10 %. Al’heure actuelle, il est difficile de savoir si cessitessonttrèsconsultés.«Cadreset jeunesdi­plômés ne nous en parlent pas spontané­ment », indique Laurence Charneau, consul­tanteà l’associationpour l’emploides cadres(APEC). De son côté, Laurent Labbé, fonda­teurdeMeilleures­entreprises.com,constateque les entreprises reprennent certains avissur leur page Facebook, leur site carrière ousur les intranets des écoles.En attendant que ces sites atteignent un

volume plus important d’avis, ils consti­tuent d’ores et déjà un outil de plus pourles jeunes diplômés en quête d’informa­tions sur une entreprise et cherchant à« sentir » l’ambiance et les conditions detravail. « Certains éléments tels que les four­chettes de rémunération peuvent être utili­sés en entretien comme base de discussion,estime Laurent Labbé. C’est un complé­ment d’information très utile dans un par­cours de recherche d’emploi. »« Cela ne fait pas encore partie des réflexes

des jeunes diplômés, mais cela va venir, as­sure Alexandre Roucher, directeur produitchez Viadeo. Ils vont s’emparer de l’outil carils cherchent à s’épanouir dans leur travail etsont donc sensibles aux items évalués. »« Ces sites ne constituent pas la source d’in­formation que je préconise en premier lieu,car la notation subjective reste aléatoire,mais cela devient un outil supplémentaire, àcroiseravec le factuel et la lecturede lapresseéconomique », conclut Laurence Charneau.

gaëlle picut

doss i er | recrutement : le grand décalage

«CERTAINS ÉLÉMENTS TELSQUE LES FOURCHETTES

DE RÉMUNÉRATION PEUVENTÊTRE UTILISÉS COMME

BASE DE DISCUSSION LORSDES ENTRETIENS PRÉALABLES»

LAURENT LABBÉfondateur de meilleures­entreprises.com

Desplates­formesspécialiséesappellentsalariésetcandidatsàattribuernotesetavissur lessociétés.Descommentairesutiles,à lireavecdiscernement.

Lessitesdenotationd’entreprises:duneufdanslemarchédel’emploi

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AUDIT,CONSEIL,EXPERTISE COMPTABLE

Rendez-vous suret kpmgrecrute.fr

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20 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

Seuls 8 % des employeurs inter­rogés dans un sondage Via­deo­Harris Interactive publiéfin 2013 se servent des réseauxsociaux professionnels pour

recruter alors que 58 % continuent de pas­ser par le bouche­à­oreille pour dénicherleurs futures recrues. De quoi inciter lajeune génération à délaisser LinkedIn ouViadeo pour se tourner vers les réseauxphysiques traditionnels qui font la partbelle à la prise de contact à l’ancienne.D’autant que fleurissent les réseaux ré­

gionaux, auplusprès du tissu économiqueet du marché de l’emploi local. En Breta­gne, dans leNord, en région PACA…Faisant

le pari de la proximité, les initiatives publi­ques et privées se multiplient pourmettreen relation des professionnels et des clubsd’entrepreneurs ancrés dans le territoire.« Rien qu’en comptant les réseaux locaux

d’entrepreneurs, il y en a entre 10 000 et15 000 en France », affirme Alain Bosetti,cofondateur de la plate­forme Place des ré­seaux. Certains réseaux professionnelssont uniquement implantés dans la ré­gion, d’autres sont des antennes locales deréseaux nationaux. Ainsi, Entreprendrepossède plus de 80 antennes disséminéesen France. Les chambres de commerce etchambres des métiers sont aussi à l’initia­tive d’un grand nombre de réseaux visant

à favoriser le développement économiqueet l’insertion professionnelle en région.« On voit aussi beaucoup de réseaux secto­riels se créer en lien avec les spécialisationséconomiques des régions, par exempleautour du secteur aéronautique en paysd’Oc, ou bien de la Cosmetic Valley dans leLoiret », ajouteM. Bosetti.

Solidarité activeFavoriser le retour à l’emploi, soutenir lacréation d’entreprise… Ces réseaux régio­naux naissent autour d’objectifs divers.Mais tous ont un point commun : « Ils per­mettent de rompre l’isolement et d’échan­ger avec ses pairs, rappelle le cofondateur

doss i er | recrutement : le grand décalage

FaceàLinkedInouViadeo, lesclubsà l’anciennen’ontpasdit leurderniermot. Les initiatives semultiplient pourmettre en relationprofessionnels et entrepreneurs d’unmême territoire.

Parier sur les réseaux régionauxpour sortir du lot

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 21

de Place des réseaux. En côtoyant des pro­fessionnels aguerris, proches du tissu éco­nomique local, les jeunes diplômés peuventgagner en expérience et trouver leurs pre­miers clients ou employeurs. »Rompre l’isolement des travailleurs indé­

pendants bretons : telle est la vocation deCourants porteurs, une association que saprésidente, Catherine Cardi, définit commeun « réseau professionnel impliqué dans leterritoire économique ». Créée il y a une di­zaine d’années par des free­lances venus detous horizons implantés en Bretagne, l’as­sociation compte entre 150 et 180 mem­bres. Elle organise des réunions à l’échellede la région et des départements pour per­mettre à sesmembres de partager leurs ex­périences… et plus si affinités. « Il y a uneforte solidarité, fait valoir Mme Cardi. Il y aenviron deux ans, un de nos membres, quitravaillait dans le domaine du Web, a perduplusieurs missions. D’autres adhérents l’ontaidéà reprendrepied en lui donnantdeuxoutrois contacts. » Le réseau vise également àfavoriser une meilleure connaissance dutissu économique de la région. « Quandvous discutez avec des gens de Brest, ils n’ontpas les mêmes problématiques qu’à Rennes,par exemple », souligne­t­elle.« 70%denosmembres trouventdu travail

à travers le “marché caché”, fait valoir deson côté Jean­Pierre Camel, porte­paroledu Réseau Emploi Cadres 69, qui fédèreune dizaine d’associations en Rhône­Al­pes. Nous accompagnons chaque année250 à 290 membres dans leur recherched’emploi. » « Côtoyer un directeur commer­cial ou un DRH permet aux jeunes de déve­lopper leur connaissance de l’entreprise »,observe le porte­parole.

Des cotisations parfois élevéesL’entraide peut aussi dépasser les frontiè­resde la région.Néeen 1962en régionpari­sienne, l’Association des cadres bretonssoutient les « exilés »qui viennent s’instal­ler en Ile­de­France. Même solidarité ducôté de L’Oustal des Aveyronnais de Paris,qui met à la disposition des jeunes arri­vants dans la capitale des studios situésdans le 12earrondissement.Mais tous les réseaux professionnels ne

sont pas ouverts aux jeunes diplômés.Certains sont accessibles uniquement parcooptation. Pour d’autres, la sélection parl’argent à l’entrée peut être dissuasive :« Pour les réseaux les plus importants, lacotisation annuelle peut atteindre plu­sieurs milliers d’euros, indique Alain Bo­setti. Mais des tarifs plus accessibles sontsouvent prévus pour les demandeurs d’em­

naux émergent sur les réseaux sociauxprofessionnels. Viadeo ne compte pasmoins de 132 « hubs » régionaux.Allier la dimension locale à la puissance

des réseaux sociaux, telle est la voie choisiepar Ecobiz, le réseau initié par la chambrede commerce et d’industrie (CCI) de Greno­ble il y aunedizained’années. «Onanimaitdéjà des clubs au niveau des chambres,maiscela se résumait à quelques rencontres dansl’année, indique Anne Barrand, responsabledu réseau Ecobiz à la CCI Grenoble. Lesoutils de plate­forme collaborative nous ontpermis de démultiplier notre action. »La plateforme Web mise en place par la

CCI regroupe une vingtaine de commu­nautés virtuelles : jeunes entreprises, ac­teurs du tourisme, des ressources humai­nes… Le réseau Ecobiz revendique 6 400membres. « Cela a permis de rapprocherles acteurs d’un territoire », fait valoirMme Barrand. Cette initiative visait notam­ment à séduire la jeune génération. « Lesjeunes diplômés sont très à l’aise avec lesréseaux sociaux et ne se contentent plusdes réseaux de rencontre traditionnels,ajoute la responsable.Mais il faut allier lesdeux : c’est encore important de créer desoccasions de rencontre entre les gens. »Loin de les opposer, Alain Bosetti croit

lui aussi à la complémentarité du terrainet du virtuel. « Les réseaux sociaux permet­tent d’échanger avec ceux qui sont loin, defaire rayonner son savoir­faire et son pro­jet, tandis que les réseaux physiques per­mettent d’instaurer une relation de con­fiance en donnant l’occasion d’échangesapprofondis, estime­t­il. On ne peut pastout dire en 140 caractères ! »

catherine quignon

Trouver les bons contacts enprovincePour un jeune diplômé enpanne de contacts profes­sionnels, il n’est pas toujoursfacile de savoir à quelle portefrapper pour développer undébut de réseau. « Les étu­diants peuvent commencerpar s’adresser à l’associationdes anciens de leur établisse­ment pour voir s’ils n’ont pasquelques contacts au niveaude la région », conseille AlainBosetti, cofondateur de laplate­forme Place des réseaux.Autres pistes à explorer : lesforums, incubateurs et pôlesde recherche, ou encore les

espaces de coworking, quisont souvent en contact avecdes réseaux d’initiativelocale. « Je recommandeaussi d’aller voir du côtédes chambres de commerceou demétiers : les CCI gèrentselon leur taille entre 10et 15 réseaux d’entreprise »,ajouteM. Bosetti.Les clubs sportifs et les asso­ciations de loisirs régionalespeuvent aussi déboucher surdes prises de contact profes­sionnels. « Ne pas hésiter à setourner vers les antennes lo­cales de réseaux prestigieux

du type Lions Club ou Rotary,recommande­t­il. Ces clubsont notamment mis en placedes bourses pour les créateursd’entreprises. »Pour savoir si l’associationen vue est réellement dyna­mique, « le mieux est de sefaire inviter à une réunionpour voir le nombre de parti­cipants, les intervenants, lessujets… », conclut Alain Bo­setti. Qui ajoute : « Surtout,dans un réseau, il faut savoirdonner avant de recevoir. Unclub, c’est d’abord une dyna­mique collective ! » C. Qu.

ploi et les jeunes créateurs d’entreprise. » Ilexiste aussi des réseaux locaux réservésaux jeunes, tel CVs Sup, le club des jeunesdiplômés actifs de Toulouse.Reste que beaucoup de réseaux régio­

naux sont des associations « à l’an­cienne », implantées de longue date sur leterritoire, mais peu présentes sur le Net.Faute de visibilité, elles ont parfois dumalà attirer du sang neuf. « Chez nous, lamoyenne d’âge se situe entre 40 et 50 ans »,reconnaît Catherine Cardi. Pour attirer lajeune génération, l’association commencedoucement à se mettre aux réseaux so­ciaux. «On est en train de créer des groupesFacebook et LinkedIn », poursuit la prési­dente de Courants porteurs.Au demeurant, l’appartenance régionale

devient aussi unmoyende sortir du lot surle Web. De plus en plus de groupes régio­

ASSOCIATIONS TRADITIONNELLESOU RÉSEAUX SOCIAUX?

«IL FAUT ALLIER LES DEUX.C’EST IMPORTANT DE CRÉER

DES OCCASIONS DE RENCONTRESENTRE LES GENS»

ALAIN BOSETTIcofondateur de la plate­forme Place des Réseaux

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22 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

Deux fois moins de risques dedevenir chômeur de longuedurée, un taux de chômageplus faible de 23 % (cinq ansaprès l’obtention de leur di­

plôme), des salaires plus élevés à partir debac + 3, un stagiaire sur trois qui trouve unposte dans son entreprise d’accueil… Lesétudiants Erasmus ont bien de la chancepar rapport à ceux qui ne partent pas enséjourd’étudeoude stageà l’étranger. 94%d’entre eux ont d’ailleurs l’intention dementionner leur Erasmus dans leur CV,83 % veulent en parler lors de leurs entre­tiens d’embauche et 81 % considèrent queleurs qualités personnelles se sont amélio­rées durant cette période.Côté employeurs, 64 % estiment que

l’expérience internationale représenteune compétence importante dans leurrecrutement et 92 % disent rechercherdes qualités transversales, précisémentcelles acquises par les étudiants passéspar Erasmus : curiosité, confiance en soi,tolérance…

Unemajorité de femmesA leur retour de séjour, les « Erasmus » ontfait augmenter ces aptitudes de 42 % parrapport aux autres étudiants. Le cycle ver­tueux s’installe jusquedans l’intimité : 33%des anciens Erasmus sont en couple avecune personnalité de nationalité différente,contre 13%des étudiants nonmobiles.Pour finir, les Erasmus sont plutôt de

sexe féminin (61 % en 2012­2013). Globale­ment corroborées par d’autres études, cesconclusions proviennent en particulier dudernier rapport de grande ampleur (1) réa­

lisé par des organismes indépendantspour la Commission européenne. Le dis­positif Erasmus accélère l’intégration pro­fessionnelle.Pourtant, ces statistiques doivent être re­

lativisées. S’agissant d’une moyenne sur34 pays (plus que les Vingt­Huit de l’Unioneuropéenne), l’étude en question ne rendpas compte des disparités par pays. Sur­tout, elle ne fait nullement la démonstra­tion que l’employabilité des Erasmus pro­vient de leur séjour à l’étranger. Tout auplus démontre­t­elle qu’il existe des em­plois intra­européens, opportunément

pris par les étudiants Erasmus du fait deleur mobilité ! Et aussi, que le programmeest l’occasion d’approfondir chez eux desqualités préexistantes.Ainsi, en l’absence de certaines variables

(âge, profession du parent de référence, di­plôme le plus élevé des parents, revenumensuel des parents, obtention d’unebourse sur critères sociaux, âge au bacca­lauréat, parcours d’établissements, capitalmobilité…) et demodèle statistique adaptépour mesurer leur degré d’influence, ilreste impossible de conclure que la forma­tion Erasmus a conduit à une insertionprofessionnelle supérieure.

doss i er | recrutement: le grand décalage

64% DES EMPLOYEURSESTIMENT QUE L’EXPÉRIENCE

INTERNATIONALEREPRÉSENTE

UN AVANTAGE IMPORTANTPOUR LEURS EMBAUCHES

Les bénéficiaires de ce programmeeuropéen s’insèrent plus facilement sur lemarchédu travail.Mais denombreux travaux soulignent son caractère élitiste.

Erasmus, unatoutpour toute sa vie professionnelle

Page 23: Le Monde-Campus novembre 2015

Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 23

En revanche, denombreux travaux souli­gnent le caractère élitiste de son dispositif.Le niveau des bourses reste discrimina­toire (200 à 300 euros mensuels pourl’étude ; 350 à 450 euros pour le stage,en 2015­2016). Y compris si d’autres res­sources de l’Etat ou des collectivités vien­nent s’ajouter. Celanous ramèneàune réa­lité d’Erasmus moins « Auberge espa­gnole » qu’on pourrait croire.

Le conseil régional d’Ile­de­France, parexemple, propose 250 à 450 euros men­suels (dans la limite des crédits alloués !)et le ministère de l’enseignement supé­rieur n’octroie pas plus de 400 euros enmoyenne pour l’année. Il est certes pos­sible de cumuler ces sommes avec l’ordi­

naire de la bourse universitaire obtenuesur critères sociaux, au minimum de100 euros et plafonnée à 554 euros men­suels lorsque le foyer fiscal des parentsn’atteint pas les 20 000 euros annuels.La famille devra donc compenser le soldeen proportion du coût de la vie du paysaccueillant.

Les universités supplantéesAutre problème : « L’université proposeune offre de mobilité largement moindreque les écoles, relève Magali Ballatore,maître de conférences et chercheuse ensociologie. Cela vaut en France mais aussien Italie et en Angleterre. Les études en lamatière, résume­t­elle, sont arrivées à laconclusion que les plus grands bénéficiai­res des parcours Erasmus sont les étu­diants de filières sélectives (écoles de com­merce, d’ingénieurs, de langues). » Lesgrandes écoles supplantent les universi­tés, leurs étudiants sont surreprésentésparmi les Erasmus.De toutemanière, toute démonstration

est affaiblie par le peu de représentati­vité des étudiants en question. Ils nesont que 37 757 étudiants françaisen 2013­2014 à avoir bénéficié de lamobi­

lité Erasmus, soit moins de 2 % des effec­tifs universitaires. Peut­être cela change­ra­t­il si l’objectif qu’a fixé la Commis­sion européenne de 20 % d’Erasmuspour 2020 est atteint.D’ores et déjà, Erasmus s’est élargi

en 2014 à l’enseignement scolaire et à laformation professionnelle, pour devenirErasmus+. Doté d’un budget de 14, 7 mil­liards d’euros (40 % d’augmentation)pour la période 2014­2020, alors que19 milliards avaient été demandés, il ris­que tout demême d’être encore à la peinepour démontrer sa pertinence premièredans l’employabilité des jeunes diplômésdu supérieur.

sergemarquis

(1) Rapport réalisé à partir de cinqenquêtes en ligne, qui ont permisd’obtenir près de 80 000 réponses,dont celles de 74 000 étudiants,5 000membres du personneld’enseignement, près de1 000 établissements d’enseignementsupérieur et plus de 650 employeurs(55 % de PME) en 2013.Les études quantitatives ont étéréalisées dans 34 pays et les qualitativessur 8 pays.

Comment bien vendre les compétences acquises à l’étrangeragréables à vivre commeBarcelone. Sur les forumsspécialisés, les expatriés deretour en France échangent leursexpériences et leursméthodespour se défaire de ce qu’on ap­pelle le « CV cocotier ».Certains jeunes diplômésindiquent dans leur CV ou dansleur lettre demotivation lespoints forts de leur établisse­ment d’accueil : présence dans leclassement de Shanghaï,accréditations internationales(AACSB, Equis, EPAS), etc. De lamêmemanière, les actifsn’hésitent parfois pas à détaillerles activités de l’entreprise localeet surtout les missions réalisées.Une précaution nécessaire : lesemployeurs français décrochentrarement leur téléphone pouréchanger avec leurs homologuesétrangers.

Adapter le discoursà l’entrepriseGare à ne pas tomber dans le récitde voyage professionnel. Les re­cruteurs attendent des candidatsqu’ils relient leur expérience auposte proposé. Un profil interna­tional susceptible de vouloir re­partir peut cependant effrayerune entreprise pas ou peu tour­née vers l’étranger. Dans ce cas,mieux vautmettre en avant descompétences transversales re­cherchées, comme le goût pourla prise de risque. « L’ouvertured’esprit et la fibre entrepreneu­riale sont des atouts pour n’im­porte quel patron cherchant à in­nover ou à concevoir un nouveauservice », assureM. Lecoq.

Dégager un projet cohérentPour les employeurs français, ladestination et la durée d’immer­

sion importentmoins que lesmotifs d’expatriation : dévelop­per un réseau professionnel,devenir bilingue voire trilingue,comparer les entreprises,les marchés ou les culturesdu travail. Enumérer ne suffitpas, il faut prouver.«On peut faire Erasmus+, parexemple, sans en tirer tous les bé­néfices, constate Antoine Lecoq,DG du cabinet de recrutementPage Personnel. Certains étu­diants rentrent en France avecun niveau d’anglais très moyen. »Pour attester de nouveaux ac­quis, il est notamment possiblede faire un bilan de compétencesou de passer un test de languecomme le TOEFL (Test of Englishas a Foreign Language), ou TOEIC(Test of English for InternationalCommunication).

Martin Rhodes

Selon l’Unesco, 62 400 étudiantsfrançais étaient inscrits dans unétablissement étranger en 2012,soit près de 20 000 de plusqu’en 2008. Selon le rapportde la commission d’enquête par­lementaire remis en octobre 2014sur « L’exil des forces vives deFrance », le taux d’expatriationdes jeunes diplômés, relative­ment stable, avoisine tout demême les 15 % en 2014. Si lamobilité reste un atout, il estdésormais nécessaire de lavaloriser pour sortir du lot.

Casser l’image de vacancesdéguiséesLes étudiants partent pour fairela fête et les jeunes diplôméspour couler des jours heureux.Cette idée reçue est souventassociée aux destinationsensoleillées, dépaysantes ou

L’ÉTUDE, MENÉE DANS 34 PAYS,NE FAIT NULLEMENTLA DÉMONSTRATION

QUE «L’EMPLOYABILITÉ»DE CES JEUNES DIPLÔMÉS

PROVIENT DE LEUR SÉJOURÀ L’ÉTRANGER

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 25

Nathan Péronne se souviendralongtemps de cette annéepassée à l’autre bout dumonde. Après un CDDcomme graphiste, le jeune

homme de 22 ans décide en 2014 de profi­ter du Programme vacances­travail (PVT) –appelé Permis vacances­travail au Canadaet Working Holiday Visa ailleurs – pours’envoler vers le bush australien. Il est per­suadéde trouver aisémentun job sur placepour financer son année sabbatique. Maisil déchante vite. « J’ai bienmis unmois pourdécrocher unpremier boulot, se souvient­il.Je ne trouvais rien, car je n’avais pas d’expé­rience et que mon anglais n’était pas terri­ble. » Ses économies fondent.Heureusement, Nathan finit par décro­

cher un emploi de cueilleur dans uneferme. « C’était très dur, sept heures d’affiléepenché sur les courgettes… raconte­t­il. Cen’était pas tropmal rémunéré, sauf que je de­vais aussi payer le logement. Et comme il n’yavait pas tous les jours du travail, celame re­venait parfois plus cher que cela me rappor­tait ! » Parti avec 8 000 dollars en poche, lejeunehommeenadépensé 11 000au coursde son année enAustralie.

De plus en plus de candidatsLes jeunes Français sont de plus en plusnombreux à tenter l’aventure du PVT. Etpour cause : « C’est le seul programmeouvert à tous les 18­30 ans sans conditions,même aux non­diplômés, souligne JulieMeunier, cofondatrice du site PVTistes.net.Hors Europe, un visa de travail classique né­cessite de trouver un emploi en amont. »Permettantd’alternerpetits boulots et ex­

ploration du pays, ce programme est long­

doss i er | recrutement: le grand décalage

Ouvert aux 18­30 ans, ce systèmede visas temporaires permet departir travaillerenvironunandansunpays étranger.Mais les destinations phares sont saturéeset, parfois, le rêve tourne au cauchemar.

LesuccèsduProgrammevacances­travail cachedemauvaises surprises

temps apparu comme la solution idéalepourpartir àmoindres frais.Unedizainedepays ont signé des accords de PVT avec laFrance. En2014, 25000«PVTistes» françaisse sont rendus en Australie, terre de prédi­lection des participants à ce programme,soit deux fois plus qu’il y a cinq ou six ans.Mais les choses sontmoins simplesqu’il y

a quelques années. Les destinations les pluspopulaires – Canada, Australie et Nouvelle­Zélande – sont saturées : en 2013, plus de50 000 jeunes avaient tenté d’obtenir leurPVT pour le Canada, pour environ 6 400places disponibles. « Cette année, toutes lesplaces sont parties en quelques minutes surInternet », constateMmeMeunier.

Pas si évident de décrocher un job unefois sur place. « Les participants sont sou­vent persuadés de trouver très rapidement,poursuit la jeune femme.Mais les Français,notamment dans les grandes villes, entrenten concurrence avec d’autres nationalités,qui souvent maîtrisent mieux l’anglais. »Réputés râleurs, les Français n’ont pas tou­jours bonne presse : en Australie, à la suitede nombreuses affaires de vol impliquantdes Hexagonaux, le vol à l’étalage estmême appelé «French shopping»…Les employeurs profitent aussi de cet af­

flux demain­d’œuvre. « Certains cueilleursde fruits ne gagnent pas plus de 3 ou 4 dol­lars de l’heure », précise Julie Meunier. Ducoup, des PVTistes sont obligés de rentrerau bout de quelques semaines. « J’ai vubeaucoup de gens partis avec peu d’argenten poche se retrouver sans rien », com­mente Nathan Péronne.

Pourquoi pas l’Asie ?« Le PVT reste un programme ouvrant desopportunités incroyables », assure toute­fois Julie Meunier. Après deux PVT entre­pris auCanada et enAustralie, elle­mêmeatrouvé un emploi dans une société de dou­blage grâce à son niveau d’anglais.« Sur un CV, cette expérience prouve à l’em­ployeur que l’onpeut se débrouiller seul, con­sidère Nathan Péronne. A condition de sa­voir la présenter ! » A son retour, le jeunehomme a dû passer une partie d’un entre­tiend’embaucheenanglais, « ce que j’auraisété incapable de faire avant », estime­t­il.Face à la concurrence, la solutionest peut­

être de sortir des sentiers battus : des payscomme le Japonou la Corée du Sudpeinentà remplir leurs quotas de PVTistes. « L’Amé­rique du Sud, où le coût de la vie est moinsélevé, peut aussi se révéler unebonneoption,estime Julie. Quant à l’Asie, malgré la bar­rière de la langue, j’ai une amie qui a fini partrouver du boulot comme prof d’anglais auJapon. Malgré les difficultés, à la fin elle nevoulait plus rentrer ! »

catherine quignon

Pour en savoir plus :http://www.diplomatie.gouv.fr /fr/services­aux­citoyens/preparer­son­expatriation/emploi/article/programme­vacances­travail­117914

« LES FRANÇAIS SONTSOUVENT EN CONCURRENCE

AVEC D’AUTRES NATIONALITÉSQUIMAÎTRISENTMIEUX

L’ANGLAIS»JULIE MEUNIER

cofondatrice du site PVTistes.net

Page 26: Le Monde-Campus novembre 2015

26 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

doss i er | recrutement : le grand décalage

Reviens, Léon ! » Le célèbre slo­gan de la publicité Panzani aservi à baptiser le mouvementlancé en mai 2015 par une poi­gnée de start­up françaises de­

venues grandes – Blablacar, Criteo,Showroomprivé, etc. – pour tenter de con­vaincre les jeunes talents expatriés de re­venir dans l’Hexagone.Les entreprises s’inquiètent de la fuite

des cerveaux français : pasmoins de 65 %des expatriés interrogés envisagent leuravenir professionnel à l’étranger, selon lebaromètre Deloitte 2015 sur l’humeur desjeunes diplômés publié en janvier. Sanssurprise, l’état du marché de l’emploi etdes perspectives de carrières insuffisan­tes sont désignés comme les principauxfreins au retour.

Après Singapour, Zurich ou Londres ?Les jeunes diplômés expatriés entendentvoir leur expérience reconnue à sa justevaleur, ce que les employeurs français nepeuvent pas toujours leur offrir. « Le con­texte économique est difficile et il y a peut­être une survalorisation de cette expé­rience par la personne elle­même », dé­fend Wilhelm Laligant, directeur généralde Randstad Search & Selection. La moi­tié des expatriés revenus en France, inter­rogés dans le cadre de l’Observatoire del’expatriation, déclarent avoir eu des dif­ficultés à faire valoir leur expérience in­ternationale et à décrocher un poste à lahauteur de leur ambition.Jeune trentenaire expatrié depuis trois

ans et demi à Singapour, Axel en est con­vaincu : resté en France, il n’aurait pas eules mêmes occasions. Après deux masters

Nombrede jeunes Français partis vivre et travailler ailleursdécident d’y rester, faute de débouchés dans l’Hexagone,mais aussiparce qu’ils ont trouvéunequalité de viemeilleure. Témoignages.

De jeunesdiplômés s’expatrientavecunaller simple

en management des systèmes d’informa­tion, le jeune homme a débarqué dans lacité­Etat asiatique dans le cadre d’un vo­lontariat international en entreprise (VIE)pour un groupe bancaire, rémunéré3 500 euros parmois.A la fin de son VIE, son employeur lui

propose un CDI. Quelques mois plus tard,le jeune homme décroche une nouvellepromotion. « Si j’étais resté en France, je nepense pas que j’aurais eu la possibilité d’untel bond en termes de poste et de rémunéra­tion, estime­t­il. Ici, le marché est encorejeune et les choses évoluent très vite. »Axeln’exclut pas de revenir en Europe, maispas en France : « J’envisage Zurich ou Lon­dres pour leur environnement internatio­nal », indique­t­il.Consultante en développement durable

basée en Argentine, Ethel Bonnet­Lavergea aussi pu réaliser son rêve parce que toutétait à créer dans son pays d’adoption.

Pour la jeune femme, « ce pays offre da­vantage d’opportunités à ceux qui ontl’âme d’un entrepreneur ». Partie de rienaprès avoir débarqué en 2008 en Améri­que latine, Ethel contribue à développersur place l’antenned’un réseau internatio­nal de consultants en développement du­

rable, ce qui lui permet de se lancer elle­même. Aujourd’hui, elle travaille pour ungrand cabinet d’audit. « Amon âge et avecmon niveau d’expérience, le poste que j’aiici est à mon avis difficile à obtenir enFrance », estime­t­elle. Au demeurant,Ethel exclut tout retour dans l’Hexagone.« J’aime l’Argentine avec ses contrastes etses difficultés, et surtout, j’ai rencontrémonmari ici », fait­elle valoir.

«Ceux qui sont rentrés le regrettent»Les déconvenues de ses amis revenus enFrance n’incitent pas non plus Titouanvan Belle, jeune Français de 25 ans expa­trié à Berlin, à rentrer au pays. Après sesétudes d’informatique, le jeune homme afait le choix de s’installer dans la capitaleallemande pour profiter de sa qualité devie : « C’est une ville avec beaucoup deparcs, où l’on peut s’asseoir dans le mé­tro… et les prix de l’immobilier sont raison­nables par rapport aux salaires, décrit­il.Pour toutes ces raisons, mes amis rentrésà Paris le regrettent. »L’informaticien est actuellement salarié

dans une grande entreprise high­tech,aprèsplusieurs expériencesprofessionnel­les dans des start­up et en tant que free­lance. « Je n’ai jamais connu de période dechômage de plus d’un mois, fait­il valoir.Dans mon domaine, la technologie, Berlinest la ville où ça se passe. » Surtout, il n’a ja­mais eu à montrer son CV. « J’ai toujoursété recruté sur la base des projets que j’aimenés », explique­t­il. Et Titouan de poin­ter la mentalité des recruteurs français :« Contrairement à la France, ici les compé­tences comptent plus que le diplôme. »

catherine quignon

LES ENTREPRISESS’INQUIÈTENT DE LA FUITEDES CERVEAUX FRANÇAIS.65% DES JEUNES EN POSTE

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Page 27: Le Monde-Campus novembre 2015

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Page 28: Le Monde-Campus novembre 2015

28 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

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religion

Où les croyants se sentent­ils le plusutiles pour diffuser leurs valeurs ?Pour beaucoupd’entre eux, c’est dansles entreprises.

«Rechercheemploienaccordavecma foi»

Page 29: Le Monde-Campus novembre 2015

Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 29

Durant ses études àHEC et au fil de sesstages, elle avait aimél’analyse de données,le financement de

projets. Mais, dans les entreprisesoù elle faisait alors ses premierspas, quelque chose sonnait par­fois faux. « Il y avait par momentsun manque d’humanité qui étaitpresque désespérant, se souvientClaire Boya. C’était tout un ensem­ble de petites choses quime déplai­sait… La façon dont le travail étaitorganisé, le moment où les ordresétaient donnés… »A l’école, dès le mois de janvier

de la dernière année, les étu­diants se sont lancés dans la re­cherche de leur futur poste, avecun regard forcément attentif surles perspectives salariales. Pro­gressivement, la jeune femme apris du recul par rapport à cettecourse effrénée et pris cons­cience que, « s’il pouvait être posi­tif pour certains, dans leur vie ac­tive, de prendre l’autoroute,d’autres s’épanouiraient davan­tage en empruntant une natio­nale ou une départementale ».

Des choix confortésLes chemins de traverse lamène­ront, ses études achevées, versune année de volontariat dans lamarine. Puis, en 2009, la jeunediplômée rejoint les Apprentisd’Auteuil comme contrôleuse degestion. Croyante, Claire Boya as­sure ne pas avoir centré ses re­cherches sur le monde des insti­tutions catholiques dont faitpartie cette fondation de protec­tion de l’enfance. Mais, en abor­dant sa recherche d’emploi, elle aeu en elle la volonté de mettreson quotidien en entreprise enaccord avec sa foi et ses valeurs.Elle n’a donc pas laissé passerl’opportunité de rejoindre lesApprentis.Aujourd’hui responsable de

centre financier au sein de lafondation, elle se félicite : « Çacolle ! Ce métier répond vraimentà certaines de mes aspirations.Ma vie est plus facilement unifiéeen travaillant ici. Et, tous les ma­tins, je sais pourquoi je me lève. »La visée sociale de l’institution,mais aussi « la capacité de ses

membres à se mobiliser autourd’une personne, d’un projet »l’ont confortée dans ses choix.Comme elle, des jeunes diplô­

més croyants tentent chaque an­née, à la sortie de leurs études, demettre en accord leur foi avecleur recherche d’emploi. L’exer­cice, parfois périlleux, consistedavantage pour eux à trouverune structure partageant des va­leurs dans lesquelles ils se recon­naissent que d’intégrer une en­tité imprégnée de religiosité.

La notion de bien commun« Ils souhaitent trouver un travailen accord avec leurs convictions etla vision qu’ils portent de l’entre­prise, vision nourrie par la doc­trine sociale de l’Eglise, par leurfoi », relève Jacques de Scorraille,directeur du cabinet de conseilEcclésia RH, centré sur la commu­nauté chrétienne. Le but étant, à

ses yeux, d’accéder à cette « unitéde vie » évoquée par Claire Boya.Cela a aussi été le but poursuivi

par Thibault Sauvageon à traversson engagement dans le Mouve­ment rural de jeunesse chré­tienne (MRJC). Une associationau sein de laquelle il fait un stageen 2012, lors de son master déve­loppement et expertise de l’éco­nomie sociale à l’Institut d’étu­des politiques de Grenoble. Undéclic : « Je savais déjà que je vou­lais travailler dans le secteur asso­ciatif, mais cette expérience m’apermis de redécouvrir ma foi. Lesnotions de bien commun et de fra­ternité ont pris un nouveau reliefà mes yeux. »Il devient alors permanent,

chargé de la coordination de pro­jets. « J’ai travaillé à la mise enplace de formations à l’économie

dans le mouvement », explique­t­il. Avec la volonté de mettre enavant certaines valeurs commel’importance du collectif ou lerespect d’autrui… puisées dans safoi chrétienne. « Cette foi, je ne lapratique pas forcément à l’église ledimanche, mais plutôt au jour lejour, grâce à la grille de lecture dela société qu’elle m’offre. »Il a trouvé, dit­il, « du sens dans

[son] travail », éloigné de prati­ques professionnelles qu’il enten­dait rejeter, telle la valorisation duprofit individuel. Après trois an­nées passées dans le mouvementrural, Thibault Sauvageon a re­joint depuis octobre 2015 la Con­férence des évêques de France, oùil est en charge du développe­ment du service civique au seindes associations de l’Eglise.

Le pragmatisme s’imposeLes jeunes diplômés souhaitantporter des valeurs issues de leurfoi dans le monde professionnelont souventmené des réflexionscommunes sur ce sujet dans lecadre d’associations d’étudiantsconfessionnelles. Claire Boya aété présidente de l’associationChrétiens en grande école, Thi­bault Sauvageon est passé par leréseau Ecclesia Campus. « Le sensqu’on entend donner à notre par­cours professionnel est effective­ment un sujet qui nous interpelleet qui fait l’objet de nombreusesdiscussions », confirme unemembre d’Ecclesia Campus.Mais si les organisations étu­

diantes apparaissent relative­ment bien structurées, tant chezles catholiques, les protestants,les juifs que les musulmans,force est de constater qu’àl’heure des choix, c’est souventune certaine forme de pragma­tisme qui s’impose.Où les croyants peuvent­ils

être le plus utiles pour diffuserleurs valeurs ? La question faitpartie des réflexionsmenées parles jeunes diplômés quant àl’orientation que doit prendreleur carrière. Et pour beaucoup,c’est dans les entreprises classi­ques qu’ils doivent prendre leurplace. « Heureusement que tousles chrétiens ne rejoignent pas lemonde associatif, juge Claire

Boya, des Apprentis d’Auteuil. Ilfaut qu’ils soient présents dansles sociétés, sinon rien ne bou­gera. C’est d’ailleurs une tâche dif­ficile, je suis admirative de ceuxqui empruntent ce chemin. »« C’est là que nous pouvons être

le plus utiles pour faire évoluer lesmentalités », abonde un jeune sa­larié protestant. Et, pour ce faire,le rôle de l’encadrement est déci­sif : « En montant en responsabi­lité, il devient plus facilement pos­sible d’imprégner l’entreprise, àtravers sa façon de se comporter,dans l’attention qu’on porte à tou­jours être juste, en donnant réelle­ment du sens au travail », jugeClaire Boya.Peu nombreux sont d’ailleurs

les jeunes diplômés qui décidentde s’engager résolument dans lasphère confessionnelle. « C’estassez rare, note Jacques de Scor­raille. Il est difficile de les “capter”pour des postes sur des fonctionssupports ( finances, RH…). Ils vontpréférer aller dans des grandsgroupes où les rémunérationssont sensiblement supérieures. Etpuis, pour un premier emploi, l’in­fluence familiale compte encorebeaucoup et l’on se rend comptequ’elle freine les jeunes, arguantqu’un travail dans la sphère con­fessionnelle n’est pas assez sécu­risé et paye mal. »

Le risque d’enfermementLa peur d’avoir un CV trop« orienté » sur un plan confes­sionnel peut aussi jouer. « Cer­tains étudiants s’interrogent surles risques qu’il y a à enchaîner unstage et un premier emploi dansdes structures étiquetées “catholi­ques”. Ils ont peur de se trouver en­fermés dans le secteur. »Seuls les plus engagés dans la foi

vont donc décider de rejoindreune entité marquée religieuse­ment, une fois leurs études ache­vées. Face aux difficultés parfoisrencontrées, certains d’entre euxvont même décider de créer leurpropre entreprise. Cette structureleur permettra de mettre en ac­cord leur religion et leur pratiqueprofessionnelle.C’est le cas d’Amine Nait­Daoud.

Après un master en finance isla­mique obtenu à l’université de

«CEMÉTIER RÉPONDVRAIMENT

À CERTAINES DEMES ASPIRATIONS.TOUS LESMATINS,JE SAIS POURQUOI

JEME LÈVE»CLAIRE BOYA

contrôleuse de gestionaux Apprentis d’Auteuil

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Et de porter son regard vers lequartier des affaires de La Dé­fense : « Il y a là beaucoup de mu­sulmans qui travaillent dans lesbanques et qui sentent que leur tra­vail est en désaccord avec leurs pro­presprincipes éthiquesou religieux.Certains d’entre eux claquentd’ailleurs la porte au bout de quel­ques années et partent exercer unautre métier. Quitte à diviser leursalaire par deux. »

françois desnoyers

losité »des acteurs économiques à« le suivre », malgré le « potentielénorme » représenté par le mar­ché musulman, Amine Nait­Daoud se dit « heureux au quoti­dien dans ce qu’[il] fai[t] ». « Jen’aurais pas pu avoir un travailcontrevenant aux grands principesissus de ma foi qui fait que je suisopposé à l’intérêt. Donc, si jen’avais pas fondé mon entreprise,j’aurais peut­être pu être plombier,mais certainementpasbanquier ! »

Retour en France après un and’activité. Il cofonde alors une en­treprise, 570 Asset Management,qui propose des « produits finan­ciers conformes aux principes éthi­ques de la finance islamique ». Laseule solution à ses yeuxpour tra­vailler dans la finance islamiquedans l’Hexagone. Suivra rapide­ment la création d’une plate­forme de financement participa­tif : Easi Up.S’il déplore aujourd’hui la « fri­

Strasbourg, ce jeune musulman arejoint l’Angleterre et la salle demarché d’un grand groupe ban­caire français où il avait effectuéun stage. Il propose alors des solu­tions d’investissement pour desgrands comptes. « C’est dans la ca­pitale anglaise ou dans les pays duGolfe qu’il faut se rendre si l’on veuttravaillerdans la finance islamique,là où tous les organismesbancairesont installé leur département dé­dié », explique­t­il.

religion

La «hijrah »offre des opportunités auxplus qualifiés

Mohammed Jamad a fait lechoix des pays du Golfe il y adéjà six ans. Après un BTS enélectrotechnique et une licencecommerciale, le jeune hommede 25 ans se voit proposeren 2009 un poste de commercialauMoyen­Orient. Avec safemme et sa petite fille, Moham­med décide alors de faire legrand saut.Le jeune homme enchaîne unautre contrat avant de trouverson poste actuel, conseiller enventes aux Emirats arabes unispour le compte d’une entreprisepétrolière américaine. « Je suisparti pour des raisons économi­ques, mais aussi parce que j’étaisassuré de trouver auMoyen­Orient un environnement plus ac­commodant qu’en France enma­tière de religion, explique­t­il. Ici,si je m’absente lors d’un dînerd’affaires pour faire ma prière,cela ne choque personne. EnFrance, on vous colle une éti­quette, même si je comprendsaussi qu’il y ait des amalgames. »Mohammed Jamad est loind’être le seul jeune diplômé fran­çais à s’être installé dans un paysmusulman pour des raisons reli­gieuses. Le phénomène ad’ailleurs un nom dans l’islam :la hijrah, l’émigration en terre

musulmane. En l’absence dechiffres officiels sur ce sujet, dif­ficile d’estimer l’ampleur duphénomène. Mais la tendanceest réelle, au vu du nombre deforums et d’associations qui ysont consacrés sur le Net.

Des femmes qui portentle voile« Dans le cadre de mon activité, jerencontre assez souvent des jeu­nes diplômés qui ne veulent pasfaire le compromis de la religionlorsqu’ils se lancent sur le marchédu travail, notamment les fem­mes qui portent le voile », indi­que Abdelillah Talbioui, coach etfondateur du site Changedecar­riere.com. Dans un sondagelancé en février 2015 par le siteislamique Katibin, qui a recueilliplus de 3 000 réponses, 47 % desrépondants déclarent envisagerla hijrah.« On voit de plus en plus de jeu­nes musulmans français qui vien­nent ici trouver du travail », con­firmeMohammed Jamad. Lespartisans d’un islam « ortho­doxe » cherchent dans les paysdu Golfe et duMaghreb un envi­ronnement plus favorable àleurs pratiques religieuses. « Parrapport aux pays anglo­saxons,qui sont très ouverts sur le fait re­

ligieux, les pays musulmans of­frent encore plus de facilités d’ac­cès : il y a plus de mosquées, leweek­end tombe les vendredis etsamedis… », détaille AbdelillahTalbioui.Au­delà de la recherche d’un ca­dre de vie islamique, les motiva­tions des candidats au départsont souvent plurielles : trouverdemeilleures opportunitésd’emploi, fuir la discrimina­tion… « Ici, la double culture estconsidérée comme un atout, faitvaloir Mohammed Jamad. Lespostes proposés sont aussi plusintéressants du point de vue desresponsabilités et du salaire : onpeut gagner trois à quatre foisplus qu’en France. »

L’eldorado pas toujoursau rendez­vousQuelle que soit la pratique reli­gieuse des jeunes exilés musul­mans, un point commun lesunit : le désir de se fondre danslamasse et de fuir le climattendu en France. « Le Golfe est ladestination privilégiée des plusdiplômés, ceux qui n’arrivent pasforcément à vendre leursqualifications en France du faitde la discrimination ou del’interprétation de la laïcité à lafrançaise, détaille Abdelillah

Talbioui. LeMaghreb attiretous types de profils et générale­ment les musulmans français quiy ont des racines familiales, cequi facilite leur embauche oul’entrepreneuriat. »Mais l’eldorado islamique n’estpas toujours au rendez­vous.« J’ai beaucoup de connaissancesvenues avec l’espoir de trouver dutravail et qui sont reparties aubout de trois ou quatre mois enayant dépensé toutes leurs éco­nomies », avertit Mohammed Ja­mad. AuMoyen­Orient, la vie estchère et la concurrence rudeavec des travailleurs venus despays asiatiques. « Dans les paysdu Golfe, l’anglais est indispensa­ble et les profils peu qualifiés ontpeu de chances de trouver du tra­vail, prévient Abdelillah Tal­bioui. Par ailleurs, quand on seretrouve sans emploi, on n’a pasd’autre choix que de retournerdans son pays d’origine. »« Ici, il n’y a pas de Sécurité so­ciale ou de retraite », enchéritMohammed Jamad. Bien qu’iln’ait pas l’intention de rentreren France, le jeune hommegarde une pointe de nostalgie :« Comme je viens de Grenoble,mes montagnes memanquent. »

Propos recueillispar Catherine Quignon

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 31

orientation professionnelle

Plus des deux tiers desétudiants auraientaimé être plus accom­pagnés aumoment deleur orientation et

30 % auraient, avec le recul, faitdes choix différents, selon uneétude réalisée par Opinionwaypour LinkedIn en avril 2015.Pour répondre à cette attente et

aider les jeunes à construire leurorientation, six personnes âgéesde 24 à 44 ans ont lancé Bloomr,un site d’échange et de partage. Leprincipe : faire témoigner des pro­fessionnels passionnés par leurmétier pour donner envie et ins­pirer lycéens et étudiants. LaurentMorel, informaticien dans le sec­teur bancaire, en est l’un des co­fondateurs : « Un soir, en sortantdu travail, je me suis dit que j’avaisenvie de faire partagerma passionpour mon métier. C’est ainsi qu’estné Bloomr ! »Stéphanie Pfeiffer, la benjamine

de l’équipe, fraîchement diplôméed’uneécoledecommerce, a rejointle projet. « L’an dernier, je me suisrendu compte que je n’étais pasvraiment motivée par mes étudeset que beaucoup dans ma promo­tion se trouvaient dans le mêmecas. La plupart des jeunes sont con­frontés à la nécessité de faire unchoix d’orientation à un âge oùbeaucoup demétiers sont pour euxabstraits, voire inconnus. La con­joncture actuelle accroît la pressioncar, avec le manque d’emplois, onse dit que l’enjeu est déterminant.Souvent, ils choisissent des étudespour faire plaisir à leurs parentsavant de réaliser qu’elles ne sont

pas faites pour eux. Cela engendreperte de temps, démotivation etmal­être », explique­t­elle.

Plus de 300 témoignages« A travers les témoignages desprofessionnels et de différentsoutils que nous sommes en trainde mettre en place, nous voulonsleur redonner confiance, stimulerleur créativité, générer des pro­jets », indique LaurentMorel.On trouve sur le site le témoi­

gnage de plus de 300 profession­nels auxmétiers divers (fleuriste,designer, cordonnier, comédien,juriste, etc.). Chacun explique cequ’il aime dans son métier, enquoi il consiste, comment il y estparvenu et ce qu’il voulait faireau départ. Objectif : rassurer lesjeunes, leur montrer qu’une car­rière peut être multiple. « Noussommes impressionnés de voirque les jeunes aspirent tous à unCDI et croient qu’ils auront lemême métier toute leur vie.Bloomr vise aussi à dépasser lesschémas du passé et à décons­truire des préjugés », indique Sté­phanie Pfeiffer. « Notre intuition

est que la voix de personnes en­thousiastes porte mieux que lesavertissements et les conseils »,poursuit Laurent.Pour aller plus loin, Bloomr a

lancé un programme gratuitd’aide à l’orientation de douze se­maines par mail. 1 500 personnesse sont inscrites. « Il y a trois typesde profils : des lycéens, des étu­diants incertains et des personnesentre 35 et 45ansenpleine réflexionsur leur avenir professionnel », dé­taille Stéphanie. Après un bac proesthétique, Lucie, 18 ans, se rendcompte que cette voie ne l’attireplus. « J’ai besoin d’être accompa­gnée pour définir un projet profes­sionnel, reconnaît la jeune fille.Cela n’a pas été le cas au lycée. »Les inscrits vont recevoir des

« exercices »pour les aider à identi­fier leurs atouts et à rechercher unenvironnement dans lequel ilspourront s’épanouir et exploiterleur potentiel. « Nous utilisons en­tre autres le Value in Action Survey(VIA­Survey), un outil basé sur lapsychologie positive, pour les aiderà déterminer les forces, précisentles initiateurs du site. L’objectif estde créer des allers­retours entre eux

et le monde extérieur, de les inciterà se renseigner sur lesmétiers baséssur leurs propres valeurs. »Un groupe privé Facebook a été

mis en place pour favoriser leséchanges entre inscrits. « J’ai plu­sieurs idées différentes : travailleren bibliothèque ou avec les enfants.J’ai besoin de validermon projet, devoir les formations possibles. J’es­père recevoir des conseils, échangeravec des professionnels pour trou­ver des solutions »,déclare Lucie.Les créateurs de Bloomr sont

aussi en train d’imaginer des ren­contres locales réunissant un pro­fessionnel passionné et des gensintéressées par ce métier. « Nousréfléchissons comment inciter lesprofessionnels qui ont témoigné às’impliquer selon leur envie et leurdisponibilité », explique Laurent.« On ne cherche pas à se substi­

tuer à l’Onisep, mais à accompa­gner les jeunes (et lesmoins jeunes)dans leurs réflexions. Réfléchir àson avenir devrait être un plaisir etnon une source d’angoisse », con­cluent en chœur les cofondateursde Bloomr.

gaëlle picut

Bloomr, un site d’échange et departage, publie les témoignagesdepersonnes sur leur travail dansle but d’inspirer lycéens et étudiants.

Des«pros»passionnésracontent leurmétier

«LES JEUNES SONTCONFRONTÉS À LA

NÉCESSITÉDECHOISIRALORS QUE BIENDESMÉTIERS LEURSONT INCONNUSOU ABSTRAITS»STÉPHANIE PFEIFFERbenjamine de l’équipe

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université

Les facs auraient­ellestrouvé le sésame pourfaciliter ce grand saut àleurs diplômés ? Désor­mais, une quarantaine

d’établissements proposent àleurs étudiants le « portefeuilled’expériences et de compéten­ces » (PEC). Il s’agit d’un e­portfo­lio qu’ils remplissent à leur guiseet qui sert à mettre en lumièreles connaissances, savoir­faire etsavoir­être acquis pendant leurformation et leurs expériencesprofessionnelles et bénévoles.Autant d’atouts supposés pourune meilleure insertion des dé­butants sur le marché du travail.Mais, de la théorie à la pratique,

il existe un fossé. Au début del’année, le PEC concernait100 000 étudiants. Près de 700accompagnateurs, essentielle­ment des enseignants­cher­cheurs et des professionnels del’orientation ou de l’insertion, sesont engagés dans la démarche.Dans une étude publiée en fé­

vrier, le Centre d’études et de re­cherches sur les qualifications(Céreq) dresse un bilan mitigé del’expérimentation conduite dansles universités pionnières, entre2009 et 2012 (Cereq.fr). Etudiantspeu convaincus par les finalitésde l’outil, lacunes des accompa­gnateurs sur le volet profession­nel (méconnaissance desmétiers,etc.), faible volume d’heuresconsacrées au PEC dans les TD…« Ses performances restent encoreà démontrer pour assurer sa légiti­

mité face aux détracteurs de la lo­gique compétences », concluentles auteurs.

Une «démarchemodeste»Nelly Capelle, responsable du PECà l’université Paul­Sabatier de Tou­louse, tient à remettre les chosesen perspective : « Dans un établis­

sement de 35 000 personnes, il estimpossible d’accompagner chacunindividuellement dans la construc­tion de son projet professionnel. LePEC est une tentative modested’ouvrir au plus grand nombre unedémarche de valorisation des ac­quis, indispensable pour réussir sonentrée sur lemarché de l’emploi. »Vice­président chargé des affai­

res académiques à la Fédérationdes associations générales étu­diantes (FAGE), TarekMahraoui re­connaît qu’il reste du travail de pé­dagogie à faire auprèsde ses cama­rades. Car, selon l’étude du Céreq,certains qualifient la démarched’intrusion dans la vie person­nelle. « Il faut les persuader quetout ne se réduit pas à ce que l’on

apprend en cours. Les activités au­delà du domaine scolaire permet­tent de développer des compéten­ces auxquelles il est important dedonner davantage de visibilité. »Les étudiants bénéficiaires d’un

PEC sont toutefois davantage sen­sibilisés aux thématiques d’inser­tion et d’orientation, relèvel’étude. Ils jugent positivement letravail sur le CV et les lettres decandidature. « Pour que les étu­diants s’engagent dans la réflexionsur leur parcours, il faut qu’ils yvoient un intérêt… proche, relateAnne­Marie Lefébure, chargée deprojet au Bureau d’aide à l’inser­tion professionnelle (BAIP) del’université de Rouen. Lors de larecherche du premier stage, le PECprend alors son sens. » Obnubiléspar leurs examens, les étudiantspeinent à prendre du temps enamont pour un questionnementfouillé et un peu lourd sur leurscompétences.La valorisation de ses propres

atouts n’allant pas de soi, le pro­jet prévoyait dès le départ un ac­compagnement pour mener cetravail d’introspection avec, enpremière ligne, les enseignants.Dans l’étude, ces derniers fontpart de leurs aptitudes limitéesdans ce domaine.

Mobiliser les enseignantsJoëlle Aubert, vice­présidente ad­jointe chargée de l’insertion pro­fessionnelle à l’université Joseph­Fourier de Grenoble, témoigne decette difficulté : « Les enseignants

étant les principaux interlocuteursdes étudiants, nous devons conti­nuer à les mobiliser et les formerpour qu’ils se sentent compétents àintervenir sur ces sujets. C’estundesenjeux de la préprofessionnalisa­tion des étudiants. »Les employeurs sont­ils con­

vaincus ? Les effets réels du PECsur l’accès à l’emploi et le dérou­lement de carrière n’ont pas en­core été explorés. Le réseau PEC,qui regroupe les établissementsconcernés, recommande deprendre des initiatives pour queles entreprises reconnaissentmieux cette démarche, et par là,la qualité des parcours universi­taires. En attendant, la traduc­tion des diplômes en compéten­ces devrait donner un nouvelélan au dispositif.

nathalie quéruel

Le «portefeuille d’expérienceet de compétences» est unoutilen ligne qui permet aux étudiantsde formaliser leurs acquis,mais ilsn’enprennent pas toujours le temps.

Lavalorisationdesatoutspassepar l’accompagnement

«LORS DELA RECHERCHE

DU PREMIER STAGE,LE DISPOSITIF PREND

TOUT SON SENS»ANNE­MARIE LEFÉBUREBureau d’aide à l’insertion

professionnelle à l’universitéde Rouen

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Libre à vous d’évoluer…

…avec un Groupequi porte vos ambitions

LE GROUPE LA POSTE RECRUTE PLUSIEURS MILLIERS DE COLLABORATEURS

En nous rejoignant, vous intégrez un grand groupe de services. L’ambition du Groupe La Poste : devenir le leader européen des serviceset des échanges, tout en restant fidèle à ses valeurs. Le Groupe La Poste, c’est aujourd’hui plus de 250 sociétés, rassemblant 260 000collaborateurs. La force du Groupe, c’est vous !

Retrouvez toutes les informations sur :www.laposte.fr/recrute

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34 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

égalité hommes­femmes

Déroulé de carrièredifférent », c’est laformule parfois em­ployée pour expli­quer les inégalités

professionnelles entre hommeset femmes. Ne vous y fiez pas : el­les apparaissent dès le premieremploi !Après douze à quinze mois sur

le marché du travail, les femmessont 7,5 % à se trouver encore enrecherche d’emploi, contre 5,9 %pour les hommes, souligne ainsil’enquête sur « L’insertion des di­plômés des grandes écoles » 2015de la Conférence des grandes éco­les (CGE). De plus, « 66,8 % desfemmes décrochent leur premieremploi en CDI, contre pour 78,2 %deshommes». Côté rémunération(salaire brut moyen avec les pri­mes), « chez les manageurs, lesfemmes continuent de percevoir5 000 euros demoins par an. Chezles ingénieurs, l’écart salarial est de3 000 euros. »Une tendance constante et gé­

nérale. « Depuis 1998 et notre

première enquête de génération,les hommes présentent demeilleures conditions d’insertiondans le travail que les femmes. Etcela évolue peu », remarque Pas­cale Rouaud, chargée d’étudesau Centre d’études et de recher­ches sur les qualifications (Cé­req). Côté salaires, plus on estdiplômé, plus la différence en­tre hommes et femmes s’es­tompe : « Chez les non­diplômés,l’écart est de 25 %, contre 18 %chez les bac + 5 », souligne­elle.Pour Rachel Silvera, maîtresse

de conférences à Paris­X etauteure d’Un quart en moins. Desfemmes se battent pour en finiravec les inégalités de salaires (LaDécouverte, 2014), « si elles ga­gnent moins, c’est d’abord parceque, grandes écoles ou non, ellesne s’orientent pas vers les mêmes

secteurs et types de poste. C’est cequ’on appelle les effets de struc­ture ».Les études le confirment : les

jeunes diplômées préfèrent le so­cial, la communication, les res­sources humaines et le marke­ting, moins rémunérateurs que lafinance ou la banque par exem­ple. « La discrimination et le soup­

çon de maternité, conscients ounon chez le recruteur, allongent letemps pour trouver un emploi »,ajoute l’économiste, qui ajouteque « les femmes négocieraientmoins leur salaire ». Mais cettedernière explication lui semble«marginale ».

Une Charte de l’égalitéA la CGE, on souligne aussi l’im­portance des effets de structure.« Les jeunes diplômées sont moinsambitieuses que leurs homologuesmasculins : elles ne postulent pasaux mêmes niveaux de responsa­bilité ni auxmêmes types de poste.Elles privilégient le fond au projetmanagérial, des postes souventmoins rémunérés », assure PascaleRibon, présidente de la commis­sion Diversité de la CGE. Maiscette dernière ne croit pas à la dis­

crimination : « Sans les primes, lessalaires sont quasiment égaux,l’écart n’est que de 2 000 euros. Enfait, les hommes sont plus perfor­mants pour négocier des primes. »Discrimination ou pas, les gran­

des écoles se saisissent peu à peudu problème. En 2013, la CGE cosi­gnait ainsi une Charte égalité fem­mes­hommes avec Geneviève Fio­

raso, alors ministre de l’enseigne­ment supérieur et de la recherche,et Najat Vallaud­Belkacem, minis­tredesdroits des femmes.«Unba­romètre de l’égalité a été lancéen 2014 afin de rendre compte duproblème au sein des écoles mem­bres. Une centaine d’établissementsont signé la charte, nomméun réfé­rent égalité en interne et pris desmesures de sensibilisation », notePascale Ribon.

WomenWorkASciencesPo,où l’écartderémuné­ration brute annuellemoyenne estde 28,8 % pour la promotion 2013,des ateliers «Négocier son salaire »et « Se préparer à entrer dans lemondeprofessionnel quandonestune femme » ont ainsi été lancésen 2014. « Bien sûr, l’enjeu est ausside changer les règles du jeu côté re­cruteur. Mais l’intérêt de travailleravec ces étudiantes est qu’elles sontles manageurs de demain », souli­gne Hélène Kloeckner, référenteégalité hommes­femmes. L’écoleintègre aussi une réflexion sur legenredans son fonctionnementetses activités d’enseignement et derecherche.Mais depuis quelques années,

des étudiantes prennent elles­mêmes les choses en main. ASciences Po, l’association Wo­men Work met en relation, parexemple, des étudiantes avec desmarraines qui leur enseignent« les codes de leur milieu profes­sionnel ». Et si la nouvelle géné­ration, plus consciente des iné­galités, changeait la donne ?

léonor lumineau

Tauxd’emploi, salaire, statut, contratde travail…Tous les indicateurs sontmoins favorablesaux jeunesdiplôméesqu’à leurs homologuesmasculins.

Laparitéperduedès la sortie de l’école

«LES JEUNES FEMMES NE POSTULENT PASAUXMÊMES TYPES DE POSTES.ELLES PRIVILÉGIENT LE FONDAU PROJETMANAGÉRIAL»

PASCALE RIBONprésidente de la commission Diversité de la CGE

Page 35: Le Monde-Campus novembre 2015

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Page 36: Le Monde-Campus novembre 2015

36 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 37

Fairecarrièredanslevert,unparigagnant ?L’économietournéeversl’environnementattirelesjeunesdiplômés.Maisattention,lesoleilnebrillepaspourtous.

Donner la parole aux jeunesdiplômés pour qu’ils évo­quent leurs études passéeset les débouchés qu’elles leuront offerts, c’est parfois met­

tre en relief certaines désillusions. C’estdu moins ce qui transparaît d’une étudesur les diplômés des formations environ­nementales, menée par le Centre d’étu­des et de recherches sur les qualifica­tions (Céreq) et analysée par le service del’observation et des statistiques (SOeS)du Commissariat général au développe­ment durable.Trois ans après la fin de leur scolarité

(soit en 2013 pour ces diplômés de 2010),l’organisme a enquêté sur leur situationprofessionnelle et en a profité pour leurdemander quel jugement ils portaient, aposteriori, sur leur formation. Les résultatsde ce sondage pour les jeunes ayant un ni­veau supérieur à bac + 4 sont sans appel :ils sont 41 % à considérer que leur forma­tion offre des débouchés professionnelsassez limités. 58 % d’entre eux portent glo­balement un jugement critique à l’égard decettemême formation. Pire : le SOeS souli­gne que, si « le niveau de satisfaction à

l’égard de la situation occupée en 2013 pro­gresse avec le niveau d’études »dans les for­mations non environnementales, il n’enest rien dans le secteur environnementaloù les bac + 4 et plus sont plus nombreuxque la moyenne à exprimer leur mécon­tentement. « Une exception notable », re­lève le service statistique : 33%sedéclarentinsatisfaits, contre 26 % dans les forma­tions non environnementales.Ces chiffres traduisent bien évidemment

une réalité économique. Si leur insertionapparaît plutôt bonne sur lemarchédu tra­vail (près de 80 % étaient en emploien 2013), une forte proportion de ces jeu­nes diplômés se trouvait dans une situa­tion précaire : 31 % d’entre eux occupaientun emploi à durée déterminée. « Le chô­mage les touche davantage que les autressortants de l’enseignement supérieur,ajoute le SOeS. 13 % étaient en recherched’emploi en 2013. »

Décalage entre offres et demandesMais, comme le soulignent certains de cesdiplômés, le regard critique dont ils fontpreuve à l’égard de leur formation traduitégalement une déception. Parfois pré­senté comme un eldorado aux débouchéssûrs et en expansion, le secteur de l’envi­ronnement possède, certes, des filièresporteuses (énergie par exemple). Maisd’autres ne parviennent pas, aujourd’hui,à absorber le flux de jeunes diplômés quirejoignent le marché de l’emploi (notam­ment en hygiène, sécurité, santé, environ­nement). « Les étudiants ne sont pas suffi­samment alertés sur le fait que certains em­

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38 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

plois verts ne parviennent pas à décoller,confirme Benoît Créneau, directeur de ladivision Ingénieurs et techniciens au seindu cabinet de recrutement Page Person­nel. Le green business attire beaucoupd’entre eux s’engagent dans des filières en­vironnementales, mais les débouchés nesont pas toujours au rendez­vous, du faitd’un déséquilibre offre­demande ».« Il y a un décalage, confirme Pierre Lam­

blin, directeur du département études etrecherche de l’Association pour l’emploides cadres (APEC). C’est un marché quipourrait permettre l’émergence et le déve­loppement de nouveauxmétiers et, à terme,offrir davantage d’emplois. Maisaujourd’hui, la demande reste faible alorsque, dans le même temps, on recense ungrand nombre de formations. »

Desmétiers en développementdétectés par l’APECCes dernières se sont en effet développéesdepuis la secondemoitié des années 2000,« dans [un] contexte où prévalait une formed’optimismequant audéveloppement de cesemplois “verts” », note le Commissariat gé­néral au développement durable, qui pré­cise que « le nombre de formations initialesen environnement a augmenté de 18,5 % en­tre 2008 et 2012, tous niveaux confondus »,et que « le nombre de licences professionnel­les et demasters a [alors] connu les plus for­tes progressions ». Les étudiants ont massi­vement suivi cemouvement.A la sortie des centres de formation, les

fortunes sont diverses. En 2014, le tauxd’emploi des jeunes diplômés 2013 de ni­veau bac + 5 et plus, mesuré par l’APECdans l’environnement/écologie, était par­ticulièrement faible : 44 %, bien loin de laplupart des autres disciplines telles quel’électronique­génie électrique (72 %), lemarketing (61 %) ou encore l’aménage­ment et l’urbanisme (55 %). Ce taux globalcache toutefois des réalités fort variables.Certaines filières ont pu bénéficier des

changements de la réglementation favora­bles à l’environnement. Il en est ainsi parexempledusecteurde lapréventionetde laréduction des pollutions, des nuisances etdes risques, où l’on retrouve majoritaire­ment des bac + 4 et plus.

Leur insertion dans le monde du travailest bonne : 71 % des diplômés 2010 ont eu,sur les trois années suivant leur formation,un accès durable à l’emploi. Tout le secteurdes énergies renouvelables bénéficie, poursa part, de l’engagement progressif des po­litiques publiques en faveur de leur déve­loppement, assorti d’objectifs de réductiondes émissions de gaz à effet de serre (avecparfois, toutefois, des retournements bru­taux comme a pu en connaître la filièrephotovoltaïque française, lorsque les sou­tiens publics ont été remis en question). Lafonction d’ingénieur d’études en efficacitéénergétique fait ainsi partie desmétiers endéveloppement détectés par l’APEC.Dans d’autres filières, au contraire, un

déséquilibre est constaté entre offre et de­mande. « Lorsque nous diffusons une an­

nonce pour le recrutement d’un ingénieurHSE [hygiène, sécurité, environnement],nous avons dix à quinze fois plus de retoursde candidats que pour un poste d’ingénieurclassique », remarque M. Créneau. A sesyeux, « il y a eu, à partir de 2005, une prisede conscience des entreprises concernantles enjeux environnementaux. Cela a pu en­traîner la création de quelques emploisdans les sociétés mais, une fois les placesprises, le flot s’est tari ».En conséquence, plusieurs filières se

sont retrouvées en panne de débouchés.« En outre, toutes les entreprises n’ont pas

eu les moyens de se doter d’un responsableenvironnement ou développement durable.D’autres ont pourvu ces postes en interne »,renchéritM. Lamblin.PourM. Créneau, lemalentendu qui peut

parfois transparaître au sujet des perspec­tives d’emplois des filières environnemen­tales tient avant tout d’une confusion : « Ilne faut pasmélanger environnement etmé­tiers verts. Le premier est un secteur encroissance, dans lequel des entreprises ontdécidé de se spécialiser, par exemple autourde la valorisation des déchets. » Les pers­pectives économiques y sont souvent bon­nes, à l’imagedes secteursde l’énergie, eau,gestion des déchets, qui ont contribué àl’augmentation des recrutements de jeu­nes diplômés dans l’industrie en 2014,comme le note une étude de l’APEC.

Des fonctions non spécifiquementvertesCes filières peuvent attirer des profilspointus, parmi lesquels des métiers enémergence (chef de projet industrie bio­raffinerie ou encore ingénieur méthani­sation), mais aussi et surtout des fonc­tions non spécifiquement vertes, et quel’on retrouve dans toutes les entreprises(commerce, maintenance, marketing…).C’est sur ces postes que se fait le gros desrecrutements de ces entreprises environ­nementales.En revanche, c’est dans les sociétés clas­

siques que l’on retrouve la plupart desmétiers dits « verts ». Et, en lamatière, lesbesoins sont faibles. « Les personnes quivont être attachées à la gestion de l’envi­ronnement seront peu nombreuses, lesPME n’en compteront pas plus de deux outrois », poursuit M. Créneau. D’où l’engor­gement qui peut parfois apparaître danscertaines filières.Un engorgement qui va inciter une pro­

portion considérable de jeunes actifs à serepositionner sur lemarché de l’emploi. LeSOeSmontre ainsi que, parmi les diplômés2010 de formations environnementales,« en 2013, moins d’un sur deux occupe uneprofession en lien avec l’environnement(41 %) ». Et parmi eux, ils ne sont que « 6 %à exercer une profession verte ».

françoisdesnoyers

«IL NE FAUT PASMÉLANGERENVIRONNEMENT ETMÉTIERSVERTS. LE PREMIER EST UNSECTEUR EN CROISSANCE»

BENOÎT CRÉNEAUdirecteur de la division Ingénieurs

et techniciens Page personnel

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 39

Quand nous parlions de notreprojet de bioraffinerie d’insec­tes, on nous prenait pour desfous», se souvient Alexis An­got cofondateur d’Ynsect.Cinqansplus tard, sa start­up

a levé 7,3 millions d’euros en 2014, emploietrente salariés et construit sa premièreusine d’élevage d’insectes à partir de rési­dus industriels (son de blé, déchets de bis­cuiterie). La farine produite est destinée àl’alimentation animale.Mais ce diplômé del’Ecole supérieure des sciences économi­ques et sociales (Essec) imagine déjàd’autres marchés: alimentation humaine,cosmétique… Comme lui, les jeunes entre­preneurs sont de plus en plus nombreux àparier sur les technologies vertes.

Des ingénieurs enmajoritéFace à cet engouement, Paris & Co incuba­teurs a créé un programme «Cleantech& Smart City», il y a quatre ans. «Lamoitiéde nos start­uppeurs – à 60% ingénieurs – amoinsde 30ans. 20%d’entre euxontmontéleur projet en sortie d’école. Mais la grossemajorité a acquis une expérience de deuxou trois ans dans de grands groupes oudans le conseil avant de se lancer dans cesecteur, qui demande souvent plus d’expé­rience, d’investissements et de recherche etdéveloppement R&D que d’autres», détailleYann Bercq­Delost, son responsable.La France compte 718 jeunes pousses ver­

tes (contre 5000 start­up dans le numéri­que), dont les trois quarts ont été crééesaprès 2008, selon le 4e Observatoire desstart­up des cleantech publié enmars 2015;21 % sont dans les énergies renouvelables,20%dans l’efficacité énergétique, 16%dansles transports, 8% dans les services et ingé­nierie et 6%dans le recyclage.

«Les jeunes “green entrepreneurs” parientsur des secteurs où l’idée est rapidement réa­lisable, sans gros financements ni grandetechnicité. Par exemple, dans le collaboratifet/ou les applications mobiles, comme c’estpossible dans l’écomobilité par exemple (Bla­blacar, Drivy). Les trentenaires peuvent déve­lopper des projets plus industriels, sur lesénergies renouvelables ou l’efficacité énergé­tique», explique Paul Foucher, chef de pro­jet Cleantech Open France, un concoursconsacré aux start­up éco­innovantes.Quelles sont leurs motivations? Pour

Quentin Martin­Laval, 27ans, X­Ponts, co­

fondateur d’Echy, une solution pour ame­ner la lumière du jour à l’intérieur des bâti­ments par fibre optique, «la conviction so­ciétale est importante. Durant nos études,on nous a répété qu’en tant qu’étudiants duXXIesiècle, nous devions prendre en compteles évolutions environnementales. Je veuxmonter une boîte pour créer de la valeurconcrète. Pas comme en finance».«Le plus passionnant est la place pour l’in­

novation», explique de son côté, LucileNoury, 27ans, cofondatrice de GreenCREA­TIVE, jeune société qui développe des ma­chines­robots innovantes pour le recyclage.Ils l’assurent: l’écosystème français est

très favorable aux start­up vertes. «Le sec­teur a le vent en poupe auprès des pouvoirs

publics», assure Alexis Angot. «La Franceest bien lotie en aides à l’innovation, et ilexiste de nombreuses subventions orientéesgreen, comme celles de l’Agence de l’envi­ronnement et de la maîtrise de l’énergie(Ademe) ou de la Banque publique d’inves­tissement (BPI)», se réjouit Lucile Noury.

Des incubateurs internesSans compter les réseauxdebusiness angels(DDIDF), les fonds d’investissement spéciali­sésdans ledéveloppementdurable (EmertecouDemeterPartners), ceuxquiontdeséqui­pes dédiées et les fonds d’entreprise consa­crés aux technologies propres (ElectranovaCapital d’EDF, GDF Suez New Ventures, Eco­mobility Ventures de la SNCF, Total, Orange,etc.), qui sont de plus en plus nombreuses àcréerdes incubateurs internes.Mais pour Quentin Martin­Laval, le sec­

teur ne peut se développer sans plus d’im­plications des grands industriels: «Ils ensont encore à faire de la veille car ils ne sa­vent pas comment rendre rentable ce qu’ilsobservent.» En effet, si beaucoup destart­up des cleantech émergent, l’enjeuest de passer au stade supérieur. «La diffi­culté dans les éco­innovations est que leprofil d’investissement est souvent deux foisplus long et pas forcément plus rentablequ’ailleurs», observe­t­il.D’où le rôle déterminant des pouvoirs

publics. «L’avancée de la législation est cequi donnera l’impulsion. Ça va dans le bonsens», estime Thomas Lefèvre, fondateurde Natureplast, une entreprise de bioplas­tiques, cinq ans après sa sortie de l’Ecole demanagement de Normandie. 65 % des jeu­nes pousses voient la COP21 comme uneopportunité, souligne l’observatoire desstart­up françaises des cleantech.

léonor lumineau

«LES GRANDS GROUPESINDUSTRIELS EN SONT ENCOREÀ FAIRE DE LA VEILLE CAR ILS NESAVENT PAS COMMENT RENDRE

RENTABLE CE QU’ILS OBSERVENT»QUENTINMARTIN­LAVAL

cofondateur d’Echy

A la veille de la COP21, les jeunes diplômés sont de plus enplusnombreux àpariersur les technologies propres pour créer leur entreprise.

Ils surfent sur les «greentechs»pour lancer leur start­up

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40 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

concrètes, par exemple un plan de mobilitépour les salariés d’une entreprise. C’est unmétier qui fait appel à des compétences juri­diques et relationnelles », explique­t­il. Vé­ritables chevilles ouvrières des politiqueslocales de développement durable, leschargés de plan climat sont aujourd’huisurtout présents dans les collectivités deplus de 50 000 habitants, qui ont l’obliga­tion d’établir ce programme.

Edouard Carteron, ingénieur éco­concep­tion, ingénieur enmécanique, 29 ansEdouard Carteron, a toujours voulu tra­vailler dans l’industriemais avec le souci del’environnement.Aprèssonmasterà l’Ecolenationale d’ingénieurs de Saint­Etienne(Enise), il opte pour le mastère spécialisééco­conception et management de l’envi­ronnement de l’Ecole nationale supérieured’arts etmétiers (Ensam).

Cette double forma­tion lui permet d’inté­grer le service éco­con­ception de Steelcase,une entreprise pion­nière sur ce sujet. « Celaconsiste à limiter l’im­pact environnemental

d’un produit en fonction des contraintes decoût, de robustesse et de design », résume lejeune homme, qui travaille sur la plupartdes nouveaux meubles du groupe enFrance. « Mon rôle est assez transversal. Ilfaut d’abord définir la cible et le budget avecles équipesmarketing. Ensuite, je discute duchoix des matériaux avec les équipes deR&D et les designers. Enfin, jeme rapprochedu service achats pour le choix des fournis­

métiers et voir le bâtiment terminé. » Sadernière réalisation, un ensemble de 17 lo­gements sociaux à Montreuil, en Seine­Saint­Denis, est un bâtiment passif qui uti­lise un minimum de chauffage. « Malheu­reusement, ce genre de projet est trop rareen France », regrette­t­il.

Guillaume Ray, chargédemission Plan climat­énergie, 28 ansAprès une licence AES(administration écono­mique et sociale) suivied’un master profession­

nel management des territoires urbains àTours, Guillaume Ray a découvert le déve­loppement durable lors d’un stage dansune commune de 10 000 habitants. Samission consistait à mettre en place unplan d’action baptisé Agenda 21, à partird’une réflexion collective entre élus, habi­tants et associations.« Beaucoup de villes font du développe­

ment durable sans le savoir. L’Agenda 21 per­met de formaliser cette politique et de luifixer des objectifs. » Après plusieurs mis­sions de ce type, il est recruté par la com­munauté de communes Tour(s) Plus entant que chargé de mission Plan climat­énergie. Il assure la mise en œuvre de ceplan de réduction des émissions de gaz àeffet de serre par les services directementconcernés (eau, transports, déchets, urba­nisme). Il mène des actions de sensibilisa­tion dans les écoles et les entreprises.« Lemessage a encore dumal à passer. On

nous prend parfois pour des écolos mili­tants. Il faut savoir proposer des solutions

La palette des métiers verts s’enri­chit chaque jour dans les entre­prises et les collectivités. Tourd’horizon des possibles, au tra­vers des parcours de cinq jeunes.

Olivier Davidau, ingénieur en construc­tion durable, 28 ansOlivier Davidau est arrivé par des cheminsde traverse dans la transition énergétique.Diplômé en mathématiques de l’ENS Ca­chan, il a d’abord tenté la finance de mar­ché lors d’un stage chez Natixis. « C’étaiten 2008, en pleine crise financière. J’ai vitecompris que c’était tout sauf durable ! » Lejeune homme commence ensuite unethèse sur la finance carbone, « trop théori­que », qu’il ne termine pas.

Il prend alors un nou­veau virage et s’inscritau mastère spécialiséconstruction et habitatdurable de l’Ensam(Ecole nationale supé­rieure d’arts et métiers).Après un an d’alter­

nance chez Amoes, un bureau d’étudesspécialisé dans les bâtiments à énergie po­sitive, il rejoint cette société coopérative etparticipative (SCOP) créée deux ans plustôt par quatre ingénieurs de l’Ecole cen­trale. « Mon parcours n’a pas été un handi­cap mais j’ai dû me former aux spécificitésdesmétiers de la construction. »Il travaille aujourd’hui sur les principaux

chantiers de la société qui intervient dansles phases de conception d’immeubles ré­sidentiels et tertiaires. « J’aime discuteravec les architectes et les différents corps de

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Mettre enplace unpland’action au seind’une collectivité territoriale, concevoirdes bâtimentsà faible consommationd’énergie, etc., telles sont lesmissions de ceuxqui ont choisi de s’engager dans cette voie.

Transition énergétique:une large palette demétiers

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 41

seurs. A chaque étape, il faut faire des com­promis », explique­t­il.Responsable de l’analyse du cycle de vie

des produits, il reconnaît les limites de ladémarche. « Faire le bilan carbone d’unechaise est très compliqué car beaucoup defacteurs entrent en jeu. » Convaincu de lanécessité d’agir au niveau individuel, il in­vestit une partie de son temps libre dansune association de promotion et de répa­ration du vélo, baptisée Vélonomie.

Thomas Chauvet, data scientist, 23 ansFraîchement diplômé de l’Institut nationaldes sciences appliquées de Toulouse (INSA)engéniemathématique etmodèles statisti­ques, ThomasChauvet aaccompli sonstagede fin d’études comme data scientist chezDeepki, une start­up créée il y a un an pardeux ingénieurs en efficacité énergétique.La société développe un logiciel d’analyse

etderéductiondesconsommationsénergé­tiques des grands parcs immobiliers (cen­tres commerciaux, chaînes de magasins,agences bancaires, etc.) à partir des donnéeschiffrées – consommation d’électricité,nombredebâtiments, caractéristiques tech­

niques − collectéesauprès de ses clients.« Nous essayons de récu­pérer un maximum dedonnées, de les trier etd’en tirer un algorithmeprédictif des

consommations par type de bâtiment. C’estvraiment nouveau, nous partons d’unefeuille blanche. Mais nous obtenons des ré­sultats concrets. C’est très stimulant », se ré­jouit­il.Sensible à la question environnementale

sans être militant, il ne se voyait pas re­joindre les bataillons de data scientists desfinance ou du marketing. « Le secteur del’énergie, en particulier les réseaux intelli­gents ou la smart city,m’a toujours attiré. Jepense qu’il y a encore beaucoup à y faire. »

Clotilde Charaix, juriste, 24 ansEtudiante en master 2 droit de l’environne­ment, de la qualité et de la sécurité dans lesentreprises à l’université deVersailles­Saint­Quentin­en­Yvelines, Clotilde Charaixvientde terminer son année d’alternance chezAlstom Grid. L’entreprise spécialisée dans

Des profils hybrides difficiles à recruterLa loi sur la transition énergéti­que adoptéemi­août fixe desobjectifs ambitieux enmatièrede développement des énergiesrenouvelables. Ces dernièresdevront représenter 32 % de laconsommation française d’ici à2030, le double d’aujourd’hui. Leséoliennes, panneaux solaires etautres centrales de biomasse de­vraient donc semultiplier aucours des prochaines annéesavec, à la clé, des dizaines demil­liers de créations d’emplois, se­lon le Syndicat des énergies re­nouvelables. Problème : certainesentreprises ont dumal à trouverles compétences adaptées.« Nous cherchons des expertisesenvironnementales pointues, parexemple des géographes pour lacartographie ou des spécialistesde l’analyse de gisements de vents,indique Julie Moreau, responsa­ble emploi et formation chez Eo­le­Res, un groupe de 165 salariésspécialisé dans le développementet l’exploitation de parcs éoliensen France. « Nous recrutons aussibeaucoup en développement de

projets à des niveaux élevés dequalification : ingénieurs, com­merciaux, juristes spécialisés endroit de l’environnement. Or il estparfois difficile de faire venir cespersonnes en province où se si­tuent la plupart des projets. »

Une bonne image demarqueMoins bien identifié par les étu­diants que des groupes commeEDF ou Engie, le groupe reste ce­pendant confiant dans sa capa­cité à attirer de nouveaux talents.« Les énergies renouvelables béné­ficient d’une bonne image demar­que chez les jeunes. La moitié denos recrutements se fait à l’issuede stages de fin d’études », souli­gneMmeMoreau.Le secteur de l’efficacité énergéti­que, auquel la loi entend donnerune nouvelle impulsion, est luiaussi à la recherche de jeunesdiplômés. Ingénieurs en éco­conception, experts en systèmesd’informations énergétiques,techniciens du bâtiment : laspécialisation est en généralun atout pour trouver un poste.

loppant un logiciel d’économied’énergie dans les grands parcsimmobiliers, le recrutement d’undata­scientist a pris du temps.

Les commerciaux recherchés« Nous avons reçu beaucoup deCV, mais assez peu correspon­daient au profil que nous recher­chions. Nous avons fini par trou­ver la perle rare et l’avonsembauchée en contrat à durée in­déterminée directement après sonstage de fin d’études », raconteVincent Bryant, l’un des deux co­fondateurs.Le fait d’être une start­up peutêtre un atout comme il peut fairepeur aux jeunes diplômés, dansun secteur où les investissementsrestent comptés. « Les entreprisesparlent beaucoup d’efficacité éner­gétique mais elles font finalementassez peu, alors que c’est un gise­ment d’économies très impor­tant », reconnaît Vincent Bryant.La société cherche aujourd’huides commerciaux expérimentéspour partir à la conquête de cemarché. F. Sc.

Cependant les formations n’évo­luent pas toujours assez vite auregard des besoins des entrepri­ses. « Nous recrutons des ingé­nieurs de bon niveau que nous for­mons ensuite à nos métiers. Il fautenmoyenne trois ans pour qu’ilssoient autonomes », indique Da­mien Lambert, l’un des fonda­teurs d’Amoes, un bureau d’étu­des spécialisé dans la conceptionde bâtiments à énergie positive.

Pour fidéliser, une SCOPLes salariés peuvent ensuite accé­der au statut d’associé de cettesociété coopérative et participa­tive (SCOP) créée en 2007 et quicompte aujourd’hui une ving­taine de collaborateurs. « C’est unélément important de fidélisationet d’implication de nos recrues au­delà de la dimension écologiquede notre démarche, car elles s’ap­proprient le projet de l’entre­prise », explique le dirigeant.L’argument environnemental nesuffit pas toujours à attirer cer­tains profils très recherchés. PourDeepki, toute jeune société déve­

les réseaux électriques fait face à d’impor­tants enjeux environnementaux. « Les en­treprises ont longtemps fait appel à des cabi­netsd’avocats spécialisés mais, faceà lamul­tiplication des normes, beaucoup choisissentd’internaliser cette compétence. Le droit del’environnement est de plus en plus pénaliséet touche un nombre croissant de domai­

nes », expliqueClotilde.Son travail a consisté

en une veille juridiquesurunetrentainedepaysoù le groupe est présentafin de s’assurer du res­pect des règles en vi­gueur, mais aussi en

audits de sites pollués réalisés avec le con­cours d’ingénieurs.«C’était très formateur sur leplan juridique

et sur le plan technique ! », s’enthousiasme­t­elle. Cette première expérience lui adonné envie d’en faire plusieurs avant,peut­être, de passer le barreau. « Le droit del’environnement est un droit d’expérience etje pense qu’il y a beaucoup d’opportunitésdans les entreprises », conclut­elle.

françois schott

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42 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

C’est un lopin de terre de175 m2 à l’ombre du châ­teau du Portereau, lesiège «historique» deMaisons du monde, à

Vertou (Loire­Atlantique). Depuis le prin­temps, une trentaine de salariés volontai­res s’y relaient chaquemercredi, à l’heuredu déjeuner, pour planter, arroser, biner,désherber. Accroupie au milieu des œil­lets d’Inde et de la phacélie, une jolieplante violacée utilisée pour étouffer lesmauvaises herbes, Agathe Chardonneau,gestionnaire approvisionnement, se baten cette journée ensoleillée avec un piedde panais récalcitrant. « Ça y est, je l’ai ! »,triomphe­t­elle enfin.Bottes en caoutchouc aux pieds, Jennifer

Pichard, chargée demission responsabilitésociale et environnementale (RSE), ex­hume de terre trois beaux radis noirs.Yann Lescouarch, le paysagiste à l’originedu projet, esquisse un sourire. « Le radisnoir, excellent pour purger le foie ! », souli­gne­t­il d’un ton espiègle.

Le coup de foudre« Diplômé de l’Ecole atlantique de com­merceàSaint­Nazaire, j’ai travailléunequin­zaine d’années dans la logistique dont unpeu plus de cinq ans à Maisons du monde,raconte enaparté ceNantais de 38 ans. Il y acinq ans, je suis tombé sur l’annonce d’ungrand­pèrequi partait vivre enmaisonde re­traite et qui cherchait quelqu’un pour entre­tenir son potager. Je n’avais jamais mis lesmainsdans la terre,mais jeme suis lancé. Çaa étéunvrai coupde foudre, aupoint que j’aifini parme reconvertir. »

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VenusdesEtats­Unis, les« corporategardens»essaimentenFrance.Unmoyend’agirpour ledéveloppementdurable, de cultiver lebien­êtreau travail etde stimuler l’efficacitédes salariés.

Des jardins d’entreprise pourfertiliser les conditionsde travail

EMMANUEL

KER

NER

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 43

Son ambition ? Fertiliser les conditionsde travail des salariés en installant des po­tagers biologiques dans les entreprises. Leconcept, importé des Etats­Unis, a tout desuite séduit Fabienne Morgaut, directriceRSE à Maisons dumonde. « Quand j’ai prismes fonctions en 2010, l’entreprise finançaitbeaucoup de projets environnementaux àl’étranger, se souvient­elle. Les collabora­teurs en étaient évidemment fiers mais ilsplébiscitaient aussi des actions de proxi­mité. Le potager collaboratif permettait derépondre à leurs attentes tout en s’inscri­vant parfaitement dans nos engagementsen faveur du développement durable. »Comme Maisons du monde, de plus en

plus de sociétés invitent la nature dansleurs locaux. « Augmentation du prix desloyers oblige, beaucoup d’entreprises en Ile­de­France viennent s’installer en zone pé­riurbaine où elles disposent de plus grandesréserves foncières, constate Hervé Moal,président de l’Observatoire des jardins etespaces verts d’entreprises. Plutôt que d’enfaire des zones de friches, elles cherchentaujourd’hui à les valoriser au mieux pouroffrir un environnement de travail agréableà leur personnel. »

Le présentéisme à la françaiseL’enjeu est loin d’être anecdotique. D’aprèsl’étude « The Economics of Biophilia », me­née en 2012 par la société de conseil améri­caine Terrapin Bright Green, un environne­ment de travail connecté à la nature per­mettrait non seulement de diminuer leniveau de stress des salariés, mais aussi deréduire leur taux d’absentéisme jusqu’à10%et d’augmenter leur productivité.Pas de quoi étonner Claire Gagnaire, di­

rectrice communication et business déve­loppement chezGéoFrance, une sociétédeservices en efficacité énergétique baséedans le 9e arrondissement de Paris. « EnFrance, on est très marqué par la culture duprésentéisme, constate­t­elle. Il faut tou­jours montrer à ses patrons qu’on a la têtedans le guidon. Mais pour être efficaces, lessalariés ont besoin d’avoir des petits mo­ments dans la journée pour se ressourcer.D’où l’idée de réaménager complètementnos deux terrasses pour qu’ils s’y sententvraiment bien. »Pour favoriser l’adhésion au projet, tous

les collaborateurs vont être associés. Sui­vant leurs appétences et leurs savoir­faire,certains vont se charger de construire lesbacs potagers et la cabane de jardin,d’autres poseront le gazon. Maeva OuldKaci, conseillère sédentaire, a, elle, participéau choix des espèces de plantes en pépiniè­

res. « Est­ce qu’on peut prendre des arbresfruitiers ?, demande­t­elle en se baladant aumilieudesallées.Ceserait sympapourman­ger au déjeuner ! » «Des petits pommiers co­lonnaires, pourquoi pas ?, propose JoëlleRoubache, la créatrice de jardins chargée dechapeauter le projet. C’est important d’asso­cier les collaborateurs dès le début, assure­t­elle. A la fois pour mettre toutes les chancesde succès de leur côté et pour leur donner en­vie de s’investir dans la durée. »ChezBNPParibas Securities Services, une

filiale du groupe installée depuis 2009dans les anciens Grands Moulins de Pan­tin, les volontaires pourmettre la main aupotager ne manquent pas. « Ce sont les sa­lariés eux­mêmes qui en ont plébiscité lacréation l’hiver dernier, précise Yann Les­piat, le secrétaire général du comité d’en­treprise. Ils ont constitué une équipe projet,rédigé un appel d’offres, cherché des presta­taires. » Parmi eux, Cyriaque Kempf, tiré à

«APRÈS AVOIR PLÉBISCITÉ L’IDÉE,LES SALARIÉS ONT CONSTITUÉUNE ÉQUIPE PROJET, RÉDIGÉ

UN APPEL D’OFFRES ET CHERCHÉDES PRESTATAIRES»

YANN LESPIATsecrétaire général du comité d’entreprise

de BNP Paribas Securities Services

EcolomêmeaubureauA lamaison, vous triez vos dé­chets, récupérez l’eau de pluieet utilisez des lampes basseconsommation.Mais dès quevous franchissez la porte du bu­reau, les bons réflexes tombentaux oubliettes. L’enjeu estpourtant important. En France,le secteur tertiaire occupeaujourd’hui plus de 175millionsdemètres carrés de bâtimentset représente 19 % de nos émis­sions de gaz à effet de serre.Consciente de sa responsabi­lité, l’association Laser, un cen­tre de formation profession­nelle parisien qui emploie 16équivalents temps plein, s’estengagée il y a quatre ans dansune démarche demanagementenvironnemental sanctionnéepar le label Envol.Objectif : faire émerger une

conscience écologique chez lessalariés et les quelque 600 sta­giaires qui arpentent chaqueannée les couloirs de l’associa­tion. « Quand on évolue dans lesecteur de l’économie sociale etsolidaire, on ne peut pas se re­trancher derrière la responsabi­lité collective, assure le direc­teur Benoît Bermond.On doitplacer l’écologie au cœur de nospréoccupations. »

Etat des lieuxLa première étape du projet aconsisté à dresser un état deslieux des pratiques internes.« Nous avons tout passé au cri­ble, de l’éclairage utilisé au vo­lume d’eau dépensé dans lestoilettes. » Puis est venu letemps de l’action. Les halogè­nes installés dans les couloirs

et les parties communes ontété remplacés par des néons,bienmoins gourmands enénergie, un système de recy­clage a étémis en place pourles cartouches usagées. Les go­belets en plastique ont étéabandonnés au profit d’un ser­vice de vaisselle en verre, tan­dis que le papier recyclé a étégénéralisé. « Cela représente unpetit surcoût à l’achat mais si onprend la peine de sensibiliser lescollaborateurs aux bonnes pra­tiques comme adopter le moderecto­verso et deux pages parfeuille, on arrive vite à faire deséconomies. »Il y a du travail : en Franceaujourd’hui, un salariéconsomme enmoyenne 80 ki­los de papier par an, soit l’équi­valent de 30 ramettes ! E. Cn

quatre épingles dans un élégant costumegris. « Le potager casse les silos, se félicite­t­il. C’est un lieu d’échange où se côtoienttous les âges, tous les métiers, tous les ni­veaux hiérarchiques. »Assis sur un banc aumilieu des épinards

et des courges, Cyril, rattaché aux AssetFund Services, sirote une tasse de café avecses collègues. « J’aime venir décompresserici avant de me replonger dans un dossier,confie­t­il.Mais quand j’ai appris le coût del’opération – qui ne nous a pas été commu­niqué –, j’ai unpeu fait la grimace. Ça risquede grignoter notre intéressement. »GTM Bâtiment, une filiale de Vinci Cons­

tructionqui compte800salariés, elle,neca­che rien du projet. Elle a dépensé près de90 000 euros pour végétaliser 38 % de lasurface totale de son nouveau siège social àNanterre, soit 3 126m². « Si nous voulons ar­river à bâtir une ville plus durable et agréa­ble, nous devons tous apporter notre pierre àl’édifice », insiste Emmanuel Tual, directeurtechnique des synergies et de la transversa­lité. En mai 2013, nous avons signé une con­vention d’étude avec le Muséum nationald’histoirenaturellepouraméliorernosprati­ques en matière de préservation de la biodi­versité. Alors quand nous avons emménagédans nos nouveaux locauxdébut septembre,il nous a semblé logique de poursuivre cetengagement. » La fameuse responsabilitésociale et environnementale.

elodie chermann

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44 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

Faut­il échafauder un plan de car­rière pour réussir son ascensionprofessionnelle ? Cela a­t­il en­coreun sens alors quenombredemétiers sontvouésàdisparaître à

moyen ou à long terme et que l’organisa­tion du travail et les hiérarchies vont êtrefortement bousculées, rendant acrobatiquetoute projection à long terme ? Il est loin letemps où les grands groupes, après avoirdemandé à leurs jeunes recrues où elles sevoyaient dans vingt ans, concoctaient desformations ad hoc pour leur permettre deréaliser, poste après poste, le projet an­noncé à l’arrivée.Si l’on ajoute les ruptures technologiques

et sociales qui interviennent au fil de la vieprofessionnelle, l’absence de visibilité per­met de moins en moins d’anticiper. « Pourtoutes ces raisons, les carrières sont moinsbaliséesqu’avant, confirmeYolainevonBar­czy, ex­DRH dans l’industrie pharmaceuti­que, enparticulierparceque lesorganigram­mes ont été aplatis, réduisant les possibilitésde petites promotions, et que les possibilitésde mobilités sont plus difficiles à gérer dansdes couples bi­actifs. »

Bâtir un projetMais cela ne doit pas empêcher de réfléchirau futur. « Si le plan de carrière à l’anciennen’existe plus, la démarche de se projeter dansl’avenir reste bonne », constateMme vonBar­czy. Mais sans doute faut­il le concevoirautrement. « Avoir un plan de carrière, cen’est plus prévoir une succession de postesdans des groupes de renom, explique Flo­rence Gazeau, ex­cadre dirigeante du

groupe anglais ICI et, depuis quinze ans,coach pour dirigeants. C’est bâtir un projetde vie personnelle et professionnelle sur unebonne connaissance de ses aspirations pro­fondes. A commencer par le choix de l’uni­vers dans lequel on souhaite travailler, lespremières expériences forgeant à vie sescompétences et sa culture. »Car la question de l’opportunité du plan

de carrière ne se pose pas dans les mêmestermes, selon que l’on cherche un postedans un grand groupe industriel ou dansune start­up. SelonBrigitteChassagnon, ex­DRH d’un grand groupe automobile fran­çais, devenue coach, « les grandes entrepri­ses industrielles ont besoin de cadres con­naissant en profondeur les produits, souventcomplexes, l’entreprise et l’environnement »,explique­t­elle. Elles ont donc toujours be­soin de cadres durablement implantés. Lesjeunes diplômés peuvent prévoir d’y faireune carrière longue qui sera d’autant plusriche et variée que ces groupes offrent unlarge spectre d’activités, donc de véritablesperspectives. Mais ce sera vraisemblable­ment au sein d’un même secteur. Un plande carrière a donc un sens pour ceux quichoisissent d’entrer dans ces secteurs com­plexes. « Cela commence par un choix de

secteur d’activité et de taille d’entreprise, surlesquels il faut faireunpari. Celan’apasdoncchangé, selon Mme Chassagnon. En revan­che, le plan de carrière amuté, avec un hori­zon raccourci et un mode opératoire plusconforme à l’époque. »

Gérer son plan de développement« Dans ces groupes, on a intérêt à définiravec la DRHunplan de développement vi­sant à préciser les compétences sur les­quelles travailler lors des deux prochainesétapes, ainsi que les postes et projets quipermettront de le faire », complète Yo­laine von Barczy.« Plus que des plans de carrière, les socié­

tés ont développé des perspectives demobi­lité à court terme en identifiant les succes­seurs potentiels pour les postes afin de rete­nir les talents en leur proposant desopportunités de développement »,note Flo­rence Gazeau. Mais alors que les moyensattribués à la gestion de carrière se sont ré­duits partout, chacun est désormais librede gérer la sienne propre. « Avant, lesgrands groupes géraient les carrières,aujourd’hui il faut le faire soi­même tout enmettant régulièrement à jour son plan dedéveloppement avec son employeur », con­firme Yolaine von Barczy.En revanche, dans les start­up, le plan de

carrière se révèle nettement plus aléa­toire. « Les postes offerts à de jeunes diplô­més peuvent être très attractifs, mais lespropositions d’évolution ultérieure sontpour lemoins incertaines, souligneBrigitteChassagnon. Il faut bien avoir à l’esprit quecet univers est encore particulièrement ins­

doss i er | faire carrière dans le vert, un pari gagnant ?

«LES SOCIÉTÉS ONT DÉVELOPPÉDES PERSPECTIVES DEMOBILITÉ

À COURT TERME AFINDE RETENIR LES TALENTS»

FLORENCE GAZEAUcoach pour dirigeants

Si la planificationde la vie professionnelle à l’anciennepeut se justifierdans les grandes entreprises, dans les PMEet les start­up,mieuxvaut tablersur ses capacités à saisir les opportunités.

Se constituer unplande carrièrea­t­il encoreun sens ?

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 45

travaillent irrégulièrement sur uneplate­forme, et produisent une valeurintellectuelle et culturelle fondamentale,captée par les entreprises.

Le travail flexible, les espaces de coworkingse développent. S’agit­il là d’une des mani­festations de cette révolution précaire ?La flexibilité existait déjà dans les années1960 et elle se faisait à l’avantage desouvriers ! Changer d’usine pour eux était unmoyen d’augmenter leur salaire. Aujourd’hui,ce sont les entreprises qui cherchent àimposer et contrôler la flexibilité. Dans LeNouvel Esprit du capitalisme (Gallimard),Luc Boltanski explique que le capitalisme arécupéré les idées de 1968. Je pense plutôtque le capitalisme cherche à contrôler lamobilité.Qui détient le pouvoir de la flexibilité ? Lecoworking est à cet égard très intéressant :quand il est le produit de l’auto­organisationdes individus, c’est un phénomène très riche,signe d’une prise de conscience faceà un certain isolement, d’un passageà une nouvelle étape.Mais si on pense àWeWork, une grandechaîne américaine qui offre des espaces auxtravailleurs indépendants, c’est moins le ré­sultat de l’activité réflexive des individus quele reflet de contraintes professionnelles, dansle cadremarchand d’une grosse entreprise.Ce n’est pas forcément une critique, mais ilfaut faire attention. C’est comme avec Uber, ily a une extrême dissymétrie entre cette plate­forme, dont la valorisation boursière atteintles 50milliards de dollars, et les petitsindépendants que sont les chauffeurs.

Ces révolutions précaires peuvent­ellesaboutir à changer notre rapport au travail ?Oui. Lemodèle bureaucratique et hiérarchi­que est en train de changer. Un certain nom­bre de gens paient cela très cher, à coups detravail précaire et d’intermittence. Lespolitiques, les syndicalistes parlent parfoisdes précaires pour s’en débarrasser et sansessayer de comprendre le sens de leurdémarche. Or ces expériences sontimportantes, elles sont le reflet d’une trans­formation à laquelle la société doit répondre.Le philosophe Bernard Stiegler affirme quel’emploi, c’est fini, qu’il faut abandonner cettechimère. Je reste très prudent sur la questiondu salariat, qui continue à être un système deprotection fondamental. En revanche, ilexiste des initiatives intéressantes, comme lacoopérative d’activité et d’emploi Coopa­name, une sorte demutuelle de travail asso­cié. C’est sur les nouvelles articulations entresalariat et indépendance qu’il faut réfléchir.

Propos recueillis par Margherita Nasi

table. Au mieux, on y fait carrière en fonc­tion des opportunités, au pire, les parcoursrisquent d’être très irréguliers, voire semésde trous. » Ce qui fait dire à Isabelle Tcher­nia, consultante RH chez Clef Conseil :«Dans la technologie, où prévalent les peti­tes structures à durée de vie courte, la no­tion de carrière est en train d’éclater. Lesjeunes d’aujourd’hui seront amenés à faireplusieursmétiers dans plusieurs structures,voire àmonter la leur. »Peut­on prévoir de passer d’une start­up

à un grand groupe ? « Je pense que c’est dif­ficile, estime Brigitte Chassagnon. Quandon s’est adapté à un mode opératoire sou­

ple, on a beaucoup de mal à adopter laculture des procédures qui prévaut dans lesgrands groupes, et vice versa d’ailleurs. »Duplan de carrière bien élaboré au succès desa vie professionnelle, il y a un pas qui né­cessite quelques ingrédients, comme l’ex­plique Florence Gazeau : « Ceux qui ontréussi ont écouté leurs aspirations profon­des à leur entrée dans la vie active. Ils ont susaisir les opportunités qui se présentaient etmener à bien les transitions. »

valérie segond

Vous affirmez que le terme précaire estporteur d’une multiplicité de sens. C’est­à­dire ?Sans vouloirmonter en épingle la figure duprécaire, liée à des formes d’exploitation dutravail, on ne peut pas non plus réduire ceterme à la simple dimension de pauvreté. Cemot a renvoyé historiquement à autrechose : dès les années 1980 lemot précaireestmis en avant par certainsmouvements.Dans L’Exil du précaire (éd. MéridiensKlincksieck, 1986), j’évoque des jeunes issusdemilieux populaires qui tentent d’échapperau travail et se servent de l’intermittencecommemode de vie alternatif. Le motprécaire est alors l’expression d’uneaspiration à l’autonomie, àl’autoréalisation.

Qu’en est­il aujourd’hui de ces précairesrevendiqués ?Paradoxalement, on pouvait plus facilementéchapper à la contrainte salariale dans lesannées 1980. Les jeunes avaient une grandeprobabilité de retrouver un emploi.Aujourd’hui, les conséquences du travailprécaire sont beaucoup plus graves. C’estpourquoi dansmon dernier livre,Révolutions précaires. Essai sur l’avenirde l’émancipation, je m’intéresse auxtravailleurs des industries culturelles. Onsent chez eux l’ambivalence entre l’aspira­tion à l’autonomie et la confrontation à denouvelles formes d’exploitation. Car àtravers cette aspiration à l’indépendance,la classemoyenne se précarise.J’ai interrogé des personnes qui, à 50 ans,étaient encore dépendantes de leurs pa­rents. Si la résistance à la précarité dans lasociété salariale s’appuyait sur des formesde protection sociale et de prise en chargepar les institutions, elle tend à reposeraujourd’hui sur l’héritage familial. Maiscette transformation n’en reste pas moinsfondamentale. Elle est d’autant plus impor­tante qu’elle se développe à travers lesnouvelles technologies : on peut penser auxdéveloppeurs ou designers Web qui

Patrick CingolaniSociologue, auteur de «Révolutionsprécaires. Essai sur l’avenir del’émancipation» (LaDécouverte, 2014)

«Notre rapportau travailest en trainde changer»

ENTRETIEN

«DANS LATECHNOLOGIE,LES JEUNES SERONTAMENÉSÀ FAIRE PLUSIEURSMÉTIERS

DANS PLUSIEURS STRUCTURES»ISABELLE TCHERNIA

consultante RH chez Clef Conseil

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doss i er | faire carrière dans le vert, un pari gagnant ?

Parallèlementà leursétudes, ils consacrentdu tempsà la sauvegardede laplanète.Unengagementauquel ils aimeraientdonnerunprolongementdans leurvieprofessionnelle.

Caroline, Gautier et Thomasn’ontpas attendu la COP21 pour s’engager

EMMANUEL

KER

NER

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elle, est plus optimiste et espère que desengagements forts vont être pris. « Nousne sommes pas dans lesmêmes configura­tions qu’à Copenhague, car les problèmesliés au climat se multiplient et il y a unevraie prise de conscience », affirme­t­elle.Thomas, lui, devra jongler entre sa pre­mière COP, la préparation de ses examensde fin d’année et ses responsabilités auRefedd. Un défi qu’il se sent prêt à relever.« Je vais devoir adapter mon emploi dutemps mais tout cela est cohérent et com­plète parfaitement mes études de droit del’environnement. »

Faire pression sur les dirigeantsEt après la COP21 ? « Il faudra débriefer ausujet de notre action et poursuivre nos pro­jets, détaille Thomas en pensant déjà à laprochaine édition qui se déroulera à Mar­rakech en 2016.On ne va pas s’arrêter là ! »Depuis plusieursmois, Thomas est parti­

culièrement occupé. A 21 ans, il coordonnele pôle climat du Refedd. A la veille de laCOP21, il nemanquepasde travail. Avec sescollègues, il prépare les actions qui serontmenées pendant la conférence, à Paris, du30 novembre au 11 décembre.Trois thèmes seront privilégiés : l’éduca­

tion au changement climatique, l’équitéintergénérationnelle et la démocratisationdes enjeux de la COP. « Nous devons établirune stratégie, notamment en définissant lesnégociateurs auprès desquels il faut fairepression pour atteindre nos objectifs », ex­plique cet étudiant en master 1 de droit del’environnement à Paris­XI.Parmi ces objectifs : le maintien, dans le

corps du texte, du principe d’éducation auchangement climatique et l’inscription decelui d’équité intergénérationnelle qui fi­gure pour l’instant dans le préambule. « Ils’agit de répartir équitablement les ressour­ces entre les générations », précise Thomas.

Quarante­neuf pour cent desmoins de 35 ans éprouvent ledésir de s’impliquer face auxchangements climatiques,révélait en avril le sondageIpsos « Vivre ensemble – Le

changement climatique, entre subir etagir », publié par le Conseil économique,social et environnemental (CESE). CarolineTassart, Gautier Jacquemain et ThomasAndrieux ont sauté le pas. « J’ai vu de mespropres yeux les conséquences du change­ment climatique lorsque j’ai travaillé pourdes ONG en Haïti. Cela a été une véritableprise de conscience. Je ressens aujourd’huile besoin d’agir et d’avoir des projets quivont dans le sens d’un développement plusdurable », confie Caroline.« Lors d’un stage, j’ai rencontré le vice­pré­

sident du Réseau français des étudiantspour le développement durable (Refedd)quim’a parlé de leurs actions. Il m’a convaincuque je pouvais agir à mon niveau. Au fil dutemps, je comprends de mieux enmieux lesenjeux et cela me donne encore plus enviedem’impliquer », ajoute Thomas.Tous trois partagent cette forte volonté

d’engagement, devenue indispensable àleur équilibre personnel. « Lemilitantisme,ça s’impose ànous », estimeGautier. « Il y aun élan naturel qui nous pousse à nous im­pliquer, à être une goutte d’eau dans l’océandu changement. Je ne serais pas moi­mêmesi je renonçais », ajoute­t­il.

Le rôle primordial des jeunesSelon l’enquête Valeurs (1) menée en 2008par un consortium d’universités euro­péennes, seuls 6 % des 18­29 ans ayant faitdes études supérieures appartiennent àune organisation écologiste et 1 % y fontdu bénévolat. Malgré ces chiffres peu éle­vés, le rôle des jeunes semble primordial.« La lutte contre le nucléaire est éprouvante.Il faut des jeunes pour la poursuivre etmieux faire passer le message auprès despersonnes de leur génération », analyseMélisande Seyzériat, chargée des groupeset actions à Sortir du nucléaire.A la fin du mois, Caroline et Gautier

participeront aux manifestations qui sedéroulent en marge des négociations dela COP21. « On ne peut plus attendre lebon­vouloir des gouvernements pouragir », lance le militant. Gautier comptedavantage sur la société civile pour fairechanger les choses car il « ne voit pascomment on peut arriver à un accord con­traignant pour limiter le réchauffementclimatique à 2 degrés ». La jeune femme,

Pourquoi le climatmobilise­t­il de plus enplus les étudiants et les jeunes actifs ?La situation climatiquemondiale et lagrandemédiatisation des rapports duGroupe d’experts intergouvernemental surl’évolution du climat (GIEC) ont permis uneprise de conscience sur ces questions. Parailleurs, les élèves y sont de plus en plussensibilisés dès l’école. En 2009, le sommetde Copenhague amarqué le début de lamo­bilisation autour de la justice climatiquemondiale. Celle­ci a pris le relais dumouve­ment altermondialiste qui s’essoufflait. En­fin, il n’y a aujourd’hui pas d’autresmobili­sations susceptibles de rassembler autantles jeunes car il n’y a pas de grandsmouve­ments étudiants.

Qui sont ces jeunes qui s’engagent pour laprotection de la planète ?Il s’agit de personnes issues des classesmoyennes ayant un fort capital culturel.Pour les jeunes actifs, cette mobilisation estsouvent la suite de leur engagement étu­diant débuté alors qu’ils n’avaient ni familleà charge ni contraintes salariées, qu’ilsavaient du temps et rencontraient dumonde sur les campus.

Les jeunes qui s’engagent ont­ils un rôle àjouer ? Lequel ?Ceux qui s’engagent pensent qu’ils ont unrôle à jouer. Ils exercent un contre­pouvoirpar rapport auxmobilisations institutionnel­les comme cette année avec la COP21 et sontplusméfiants vis­à­vis de la politique. Leurengagement est tourné vers desméthodesd’action directe qui contournent les institu­tions. Aujourd’hui, certainsmilitants aspirentà des formes de vie alternative. C’est ce quel’on voit dans les « ZAD » [zones à défendre]ou les communautés néorurales. Les gens ymettent en place unmode de vie plus con­forme aux idéologies qu’ils défendent. C’estune autremanière de s’investir et de jouer unrôle pour faire changer les choses.

Propos recueillis par An. Ma.

IrènePereiraPhilosophe et sociologue, spécialistedumilitantisme.

« La lutte pour lajusticeclimatiqueapris le relaisde l’alter­mondialisme »

ENTRETIEN

«LA LUTTEANTINUCLÉAIREEST ÉPROUVANTE. IL FAUTDES JEUNES POUR FAIREPASSER LEMESSAGE»

MÉLISANDE SEYZÉRIATSortir du nucléaire

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La préservation des ressources, c’est aussile sacerdoce de Caroline. A 29 ans, cettejeune femme dynamique est responsabledu programme environnement et dévelop­pement à l’associationPlanèteurgence. Elley est chargée de l’Indonésie et du Mali.Après plusieurs expériences dans des ONGet avec un master de coopération et déve­loppement en poche, elle a «souhaité don­ner une dimension professionnelle à [sa] vo­lonté de sauvegarder la planète».Depuis bientôt trois ans, son travail con­

siste à soutenir techniquement et financiè­rement des porteurs de projets dans cespays. « En Indonésie, par exemple, des litto­raux ont été victimes de la déforestationpour permettre la production de crevettes etde poissons, explique la jeune femme.Nousintervenons pour sensibiliser les habitants àl’importance desmangroves et leur montrerainsi que la préservation des palétuviers per­met d’augmenter la production. »

Si Caroline met son activité profession­nelle au service de ses convictions, ce n’estpas le cas de Gautier. Ce jeune urbaniste de26 ans consacre beaucoup de temps à sonactivité militante au sein du réseau Sortirdu nucléaire, mais il ne souhaite pas pourautant en faire sonmétier. « L’équilibre quej’ai trouvé entre les deux me convient », ob­serve le jeune homme. « Parfois mon acti­vité empiète sur mon travail, mais je ne re­

nonce pas non plus àma vie professionnelleet personnelle pourmiliter. »Nédans une famille politiquement enga­

gée, Gautier a débuté son activisme avec leFront de gauche. En 2012, il milite avec ceparti pour les élections présidentielle et lé­gislatives mais cet engagement ne lui con­vient pas vraiment.Sensible au réchauffement climatique

depuis denombreuses années, il opte fina­lement pour le réseaudont il fait partie de­puis un an et demi. « Le nucléaire est unedes portes qui permettent de poser les bon­nes questions pour faire certains choix desociété », estime­t­il.

angéliquemangon

(1) Jean­Paul Bozonnet, « L’écologisme chezles jeunes : une résistible ascension ? »,Unejeunesse différente ? Les valeurs des jeunesFrançais depuis trente ans (sous la directiond’Olivier Galland et Bernard Roudet), Paris,ArmandColin, 2012, p. 170­178.

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Le premier biohackerspace est devenuun laboratoiremultidisciplinaireAu 226 de la rue Saint­Denisà Paris, l’effervescence règne.Au fond d’une cour pavée, unespace accueille la FashionTechWeek. Vingt­cinqstart­up y présentent leursinnovations pour lamode.On découvre un gant con­necté nécessitant moins decomposants qu’un télé­phone, un textile à base debouteilles en plastique recy­clées, ou encore de la soietrès spéciale : « Une techni­que où les vers produisent dela soie “conformée” selonnos indications et créent desformes. Sachant que, dansl’industrie traditionnelle, éle­vage, cocon, dévidage et fila­ture se font à différents en­droits du globe, ce procédéécologique permet de reloca­liser la production en un seulendroit », explique Cons­tanceMadaule, ingénieuragronome de 25 ans et co­fondatrice de Séricyne.Bienvenue à La Paillasse,lieu où la science et les tech­nologies sontmises au ser­vice de l’environnement etd’autres enjeux sociétaux.Car, au­delà de ses événe­

ments, La Paillasse est avanttout un laboratoire citoyenconsacré à l’innovationcommunautaire, low costet accessible à tous.L’histoire est née en 2011dans un squat hackerspacede Vitry­sur­Seine (Val­de­Marne). « Thomas Landrain,biologiste de formation,avait découvert le mouve­ment du Do It Yourself auxEtats­Unis pour le prototy­page électronique. Nousnous sommes demandé com­ment nous pourrions l’appli­quer à la science, en créantun laboratoire, sans budgetet en faisant tout nous­mê­mes », se remémore un descofondateurs, Marc Four­nier, 33 ans, diplômé d’unelicence environnement etmaîtrise de l’énergie.

Du crowdfundingpour démarrerIls récupèrent alors devieilles machines. « L’idéeétait de créer un espaced’échange de compétencesouvert, où les scientifiquespartagent avec les citoyensleurs connaissances afin que

celles­ci soient mises au ser­vice de la société et non plusdes grands groupes », expli­que­t­il. Le premier biohac­kerspace français était né.En 2013, ils obtiennent unesubvention de laMairie deParis et montent une cam­pagne de crowdfunding. Leslocaux – 750m2 sur deux ni­veaux − sont inaugurés enjuin de l’année suivante.Au départ destinée à la bio­logie, La Paillasse a peu àpeu changé de cible.« Aujourd’hui, on se définitcomme un laboratoireouvert et plus comme unbiohackerspace car le lieu estmultidisciplinaire, même sila biologie et la science gar­dent une place particulière »,justifie Marc Fournier.De fait, La Paillasse a vu naî­tre des projets de tous ty­pes : une encre biologiqued’origine bactérienne nonpolluante ; un test généti­que low cost pour connaîtrel’origine animale de laviande ou détecter desOGM ; des drones autono­mes ; un foulard connectéqui mesure le niveau de pol­

lution… Des inventions quin’auraient probablement ja­mais vu le jour dans un la­boratoire classique.

Des pistes de réflexionmultiplesAujourd’hui, La Paillasse re­groupe à la fois un cowor­king (espace de travail par­tagé), deux laboratoires debiologie et prototypage, etunemyriade de labs théma­tiques et innovants, dont leFlyLab (drones), le TextiLab(textiles) ou le CogLab(sciences cognitives).« Notre point commun, c’estl’intérêt pour la science, l’in­novation, l’open source etl’open hardware », expliqueMaïté Breger, 25 ans. Cofon­datrice de la start­upMeïso,elle a créé un cocon de flot­taison « à l’intérieur duquella personne est portée parune eau saturée en sel demagnésium et protégée desstimuli extérieurs, ce qui per­met l’introspection pro­fonde », explique la jeunefemme.« Ici, je peux croiser une per­sonne avec une interface cer­

veau­ordinateur sur la têteou discuter avec des expertsentre deux portes. Cetterichesse en pistes de réflexionfait la magie du lieu »,observe Hakim AmraniMontanelli, cofondateur duFlyLab.L’opportunité d’interactionsest ce qui a séduit Alice Gras,organisatrice de la FashionTechWeek et cofondatricede Hall Couture, l’espace decoworking réservé aux pro­fessionnels de lamode à LaPaillasse. « Il y en a encorepeu, car chacun est concentrésur son projet. Il faudrait desgens qui voient le potentieldes interactions et fassent lelien.Mais ça prenddu temps »,souligne la jeune femmede 25 ans, qui aimerait tra­vailler avec des biologistespour créer des teintures bio.Fort de son succès, le mo­dèle a essaimé : des« Paillasses » ont ouvertà Lyon, Grenoble, Saint­Brieuc, aux Philippines,en Irlande et bientôt auCanada. Et un second espaceest prévu à Paris.

Léonor Lumineau

«J’AI SOUHAITÉ DONNERUNE DIMENSION

PROFESSIONNELLEÀMA VOLONTÉ DE SAUVER

LA PLANÈTE»CAROLINE TASSARTPlanète Urgence

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50 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

entrepreneuriat

Un an après la créationdu statut d’étudiant­entrepreneur, c’estl’heure du bilan. A lasuite des travaux des

Assises de l’entrepreneuriat 2013,le président de la République,François Hollande, a retenu unesérie de propositions, dont certai­nes applicables dès 2014 dans l’en­seignement supérieur. Ainsi 29Pôles étudiants pour l’innovation,le transfert et l’entrepreneuriat de­vaient être créés : soit 29 « Pépi­tes » réparties sur l’ensemble duterritoire. Des modules devaientêtreouvertsdans toutes les forma­tions, universités et grandes éco­les, enLMD(licence,master, docto­rat), assortis d’un système d’acqui­sition de points pour valider lesformations : l’European CreditsTransfer System (ECTS).

La création d’un prixCentmille étudiants sont d’ores etdéjà concernés ! Un prix « Pépite »– Tremplin pour l’entrepreneuriatdevait aussi récompenser 150 lau­réats régionaux et 53 nationauxdésignés sur des projets de créa­tiond’entrepriseutiles à la collecti­vité (innovation, développementdurable, création d’emplois). En­fin, première mondiale : la créa­tion d’un statut d’étudiant­entre­preneur, qui est désormais envi­sagé par d’autres pays.Ces mesures visent à propager

l’esprit d’entreprise et à « faciliterle passage à l’acte entrepreneurialdes jeunes, qu’ils soient bacheliers,étudiants ou jeunes diplômés », in­dique la circulaireministérielle.Pour un étudiant en cours

d’étude, ce statutdonnedroit àdes

équivalences et lui permet desubstituer sonprojet entrepreneu­rial à l’obligation de stage ouautres équivalences ECTS. Pour undiplômé, c’est la possibilité de bé­néficier des mêmes conditionsqu’un étudiant (protection sociale,droit aux bourses, etc.). Il devras’inscrire au diplôme d’établis­sement étudiant­entrepreneur(D3E), un choix facultatif pourl’étudiant en cours d’étude.«Dans lesdeuxcas, rappelle Jean­

Pierre Boissin, coordinateur natio­nal du plan « Pépite », l’étudiant­entrepreneur est accompagné pardeux tuteurs [un enseignant et unpraticien] et peut accéder au con­trat d’appui à la création d’entre­prise, notamment via des couveu­ses. Il peut aussi accéder à des espa­ces de coworking et être mis enréseau avec les structures d’accom­pagnement et de financement… »En 2014­2015, 945 dossiers ont

été déposés de septembre à mars,et 645 ont été acceptés. 80 % desadmis sont des garçons, 23 % desjeunes diplômés, 77 % en coursd’étude. 20 % proviennent de fi­lières de gestion, 10 % d’ingé­nieurs, les données sur le restesont en cours d’affinement. Lamoyenne d’âge est de 24 ans.

Une appétence nouvelleEnfin, 65 % des projets sont entre­pris en équipe, ce qui est un gagede pérennité. Au 5 octobre 2015,846 étudiants avaient déposé leurdossier de candidature. « Au­delàdes chiffres, le changement est con­sidérable. L’appétencedes étudiantspour l’entrepreneuriat se déve­loppe. Ce n’est pas un entrepreneu­riat contraint par des difficultés

Lesuccèsdustatutd’étudiant­entrepreneur,créé ilyaunan, témoigned’unerévolutionculturellesilencieuseencoursdans lesuniversitésetgrandesécoles.

Les«Pépites»ont la cote

d’insertionprofessionnelle,maisunchangementmajeur auquel l’ensei­gnement supérieur s’est adapté. Ledéveloppement du numérique estun accélérateur », fait observerJean­Pierre Boissin.Ancien animateur d’une Mai­

son de l’entrepreneuriat, à Greno­ble (qui préfigurait les Pépites), lecoordinateur signale aussi quel’objectif fixé, à l’issue des Assisesde l’entrepreneuriat 2013, était dedoubler le nombre de créateursd’entreprise diplômés de moinsde 30 ans en trois ans (2014­2017)sur la base des enquêtes SINE­Insee. Celles­ci chiffraient à l’épo­que leur nombre à 10 000, d’oùl’idée de passer à 20 000 en 2017…Il ne s’agissait donc aucunementde former 20 000 étudiants­en­trepreneurs chaque année,comme cela futmal interprété !Ce statut est accessible sur toute

la France, à l’exception de trois ré­

gions (Normandie, Antilles­Guyane et La Réunion). Il a été ac­cepté par les établissements. « Unnouveau droit a été créé pourl’étudiant. »Toutefois, « de nombreux élé­

ments sont à améliorer », recon­naîtM.Boissin comme : l’échangeentre les 29 Pépites ; l’intégrationdes établissements privés dans ledispositif ; l’organisation de lapluridisciplinarité des équipesprojets ; la compréhension del’enjeu du sourcing par les diffé­rentes structures d’accompagne­ment et de financement au seindes pépites ; réduire les incohé­rences administratives comme lefait de devoir cotiser au régimesocial des indépendants (RSI) dèsla première année de créationd’une SARL, indépendamment dela réalité économique de son acti­vité et alors que l’étudiant bénéfi­cie déjà de la Sécurité sociale ; ouse voir couper son RSA pour lesplus de 25 ans. Pour bien faire, denouveaux droits devraient aussiêtre élargis à ce statut, comme ce­lui à l’allocation­logement ou austatut d’autoentrepreneur…Les pouvoirs publics suivront­

ils ? Comme financement d’amor­çage 2014, les vingt­neuf Pépitesont reçu un budget bien modestede 2,5 millions d’euros. En revan­che, le programme Investissementd’avenir (CGI­CDC) sur la cultureentrepreneuriale est de 20 mil­lions d’euros pour 2015 et touchehuit Pépites. Pour 2016, il prévoitde renforcer les formations et l’ac­compagnement des étudiants­en­trepreneurs. On peut s’attendre àunemontée en puissance.

sergemarquis

«UN CHANGEMENTMAJEUR AUQUELL’ENSEIGNEMENTSUPÉRIEUR S’EST

ADAPTÉ»JEAN­PIERRE BOISSINcoordinateur national

du plan Pépites

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 51

discriminations

j’enchaînais les petits boulots, dix àquinze heures par semaine. »Découragé, il envisage de chan­

ger de filière, mais son premieremploi, unCDDcommeconseillercommercial chez Orange, le remetsur les rails. « C’était la premièrefois que je gagnais autant d’argent,j’ai vu que je pouvais m’en sortir. »Aujourd’hui, à 23 ans, YoussefMes­kini s’est accordé une année de cé­sure avant sonmaster 2, pour éco­nomiser et apprendre l’anglais.«AShanghaï, j’ai compris que c’est in­

dispensable. On ne finit jamaisd’apprendre comment s’en sortirquand on vient d’unmilieu commele mien. Et ça continuera en entre­prise. Mais c’est possible : quand jesuis arrivé à Paris, j’ai découvertqu’un jeune de mon quartier avaitfait Dauphine. Jamais je n’auraiscru ça possible. »Le manque de confiance en soi,

c’est aussi ce qui a pénalisé FionaDongang, 24 ans. Née au Came­roun, elle arrive en France à 5 ans.Bonne élève, elle ne postule quedans des écoles médiocres. « Je necroyais pas pouvoir être acceptéeailleurs.Heureusement,unprofm’apoussée à tenter une prépa, et j’aiété prise. » Elle intègre ensuite

l’école de management NeomaReims dont elle sort diplômée endécembre 2014.Son parcours n’a pourtant pas

été facile, notamment lorsqu’il afallu trouver un apprentissage.« Je n’osais pas évoquer mon uni­que expérience professionnelle : lemarché de Sarcelles. Heureuse­ment, j’étais suivie par une tutricequi m’a expliqué que tenir unstand, choisir les produits, c’est unvrai travail, et que je devais capita­liser surma différence. »Une stratégie gagnante : après

deux années d’apprentissage chezIBM, Fiona Dongang s’apprête àpartir aux Etats­Unis pour unstage enmarketing digital. Elle est

aussi ambassadrice pour Passe­portAvenir et intervient auprès dejeunes dans lesquels elle se recon­naît : « Je me souviens d’un étu­diant qui parlait tamoul et n’osaitpas lementionner sur sonCV. Il fautvaloriser cette double culture !Dans les écoles, on revoit ton CV encorrigeant les fautes d’orthogra­phe, c’est tout. Il n’y a aucun suivipersonnalisé. »Sans réseau, sans conseils, la re­

cherche d’emploi se révèle impos­sible, Vanelson Valerus, Françaisd’origine haïtienne, fait le mêmeconstat : « J’ai perdu un temps fousur Internet, je ne cherchais jamaisau bonmoment, au bon endroit. Jeme suis fait recaler sous prétexteque je n’avais pas le bon look. »

Avec ou sans les codesVanelson, étudiant à MontpellierBusiness School, décide alors decréer son entreprise, Stud’Rent, unservice de location d’électroména­ger pour étudiants. « Je n’ai peut­être pas les codes, mais j’en veux.C’estma boîte, elleme ressemble, etson succès ne repose que sur mamotivation. »Très impliqué dans son projet,

Vanelson passe moins de tempssur ses étudesetperd laboursequilui permet de financer ses frais descolarité. Mais il ne lâche rien.Pour la première fois à 24 ans, ilprend l’avionpouraller à Shanghaïet compte répéter l’expérience :« J’y reviendrai pour faire du busi­ness. De toute façon, j’en ferai toutema vie. C’est plus équitable. »

margherita nasi

«ON NE FINIT JAMAIS D’APPRENDRECOMMENT S’EN SORTIR QUAND ON VIENT

D’UNMILIEU COMME LEMIEN»YOUSSEFMESKINI

lauréat du concours We Made It

Manquede réseaux, de confiance,demoyens…Les jeunes diplômésd’origine étrangère ont biendumalà percer dans des mondes dont ilsn’ont pas les codes.

Ladifficile ascensiondesenfantsd’immigrésT

irer la sonnetted’alarme ! C’est l’ob­jectif du nouveau rap­port de l’Organisationde coopération et de

développement économiques(OCDE) sur l’intégration des en­fants d’immigrés en France, paruenaoût2015. L’OCDEpointe lesdif­ficultés d’ascension de ces jeunes,même lorsqu’ils sont diplômés dusupérieur.Comment lutter contre le déter­

minisme social ? LeMonde a poséla question aux lauréats du con­cours We Made It, organisé parl’association Passeport Avenir,qui permet à des étudiants issusde milieux populaires de partirune semaine à Shanghaï, enChine. Autocensure, manque deréseaux et demoyens, les difficul­tés évoquées se ressemblent.Maisen s’appuyant sur les conseils destuteurs et sur leur propre déter­mination, ces jeunes ont réussi àcapitaliser sur leurs différences.

Le poids des différencesIssu d’une famillemarocaine émi­grée en France dans les années1980, Youssef Meskini granditdans un quartier populaire de labanlieue de Nancy (Meurthe­et­Moselle). « Haut­du­Lièvre, c’estunezoneenhauteur.Onest séparésdes autres classes sociales. » Scola­risé enZEP, il détourne la carte sco­laire en demandant une langueétrangère qui n’est pas proposéedans sa zone et découvre qu’ilexiste unmilieu autre que le sien.Mais c’est surtout lorsqu’il intè­

gre l’Institut supérieur du com­merce de Paris (ISC Paris) queYoussef est frappé par le poids desdifférences sociales.«C’est violent :il y a ceux qui sont à l’aise et ceuxqui ne le sont pas. Les frais de scola­rité prenaient une place énormepour moi. Je ne pouvais pas faired’échanges ni de stages parce que

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52 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

conditions de travail

Des murs couverts degraffitis, des étagèresgarnies de peluches,des transats colorés…Nous ne sommes pas

dans les locauxd’unemaison de lajeunesse et de la culture (MJC),mais au cœur de PrestaShop, une

start­up spécialisée dans l’éditionde solutions logicielles e­com­merce. En avril 2015, la jeune so­ciété a quitté son immeuble de Le­vallois (Hauts­de­Seine) pour s’ins­taller près de la gare Saint­Lazare, àl’adresse symbolique d’un ancienbazar parisien.

Les entreprisesmisent de plus enplussur l’équipement et le confort deleurs locauxpour séduire les nouveauxtalents, les stimuler et les fidéliser.

«Jeune talent exigecocooningaubureau»

CHOI JUHYUN

Rebaptisé Happiness Engineer, leresponsable de la satisfactionclients, Xavier du Tertre, nousguide à travers les 1 100 m2 flam­bant neufs du site. De l’ascenseurmusical décoré de photos, il glisseà la cafétéria lumineuse où se pré­lasse Puff Daddy, le chat « ronron­

thérapeute » de l’entreprise, puis àla salle de sieste, et enfin au « bun­galow » où se disputent parties debaby­footetdeMarioKart.«D’ici àNoël, on y accédera par toboggan,pour gagner du temps et incarnernotre esprit de liberté », s’enthou­siasme le trentenaire qui, pendant

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 53

Alexia Careno, la «MmeBien­être » d’Airbnb

Responsable du bien­être etde la vie de bureau, unmétierd’avenir ? « C’est un peu lamaman du bureau », résumentses collègues. Embauchée auxressources humaines d’Airbnben 2013, Alexia Carenoest aujourd’hui l’une des35 ground control managerde la start­up, posteexclusivement dédié au bien­être des équipes.Sesmissions ? Organiser unefête d’Halloween au bureau,

laires de chief happiness officerou feel goodmanager (respon­sable en chef du bonheur) fontaujourd’hui leur lente appari­tion dans quelques agences etgroupes français dont Kiabi.Mais il faut prendre gare à ceque la démarche soit sincère etrespecte l’identité de chaquebureau ! « Je veille à conserverl’esprit homemade et collabo­ratif, conforme à l’ADN d’Air­bnb », note Alexia Careno.

C. Th.

embaucher unemasseuse,approvisionner le coin cuisined’en­cas équilibrés ou poserle papier peint d’une sallede réunion. « Cela demandebeaucoup de polyvalence, dedisponibilité et d’attention audétail », note cet électron libre,qui avoue se faire régulière­ment démarcher par degrandesmaisons commeles Galeries Lafayette.Répandues auDanemark ou enAllemagne, les fonctions simi­

deuxmois, s’est consacré à la réin­vention des locaux avec quatrecollègues et la bénédiction de sahiérarchie.Car la métamorphose a un dou­

ble objectif : « fidéliser » et « stimu­ler » les salariésmais aussi « attirerdes nouveaux talents », explique laresponsable des ressources hu­maines, Fiona Cohen. Cette année,la start­up a ouvert 50 postes quine sont pas encore tous pourvus.Le marché de l’emploi est « trèsconcurrentiel », en ce qui concerneles développeurs informatiques.Pour la directrice générale de

PrestaShop, Corinne Lejbowicz,les 300 000 euros investis dansles travaux étaient indispensa­bles. Selon elle, « la nouvelle géné­ration est totalement exigeante etplus seulement sur le job. Elle veutévoluer vite, gérer son tempscomme elle l’entend et ne plus êtreparquée dans des bureaux gris. »De fait, Corinne Lejbowicz n’est

pas seule à raisonner ainsi. Depuisson réaménagement à Neuilly(Hauts­de­Seine), le cabinet De­loitte affiche de « meilleurs tauxd’attraction et de rétention des pro­fils mais aussi de leviers de crois­sance », indique Bertrand Boisse­lier,membreducomitéexécutif fi­nances et opérations.Selon lui, « les espaces doivent

faciliter la transversalité, la mobi­lité et la perméabilité génération­nelle pour viser l’efficacité ».Coréa­lisé par Deloitte et l’hebdoma­daire L’Usine nouvelle, lebaromètre de la compétitivité2015 a d’ailleurs révélé que les lea­ders d’entreprise plébiscitaient lamotivation et le bien­être de leurscollaborateurs comme premierlevier de compétitivité.Les salariés classent désormais la

qualité de vie au bureau juste der­rière l’intérêt de leur poste (à 45 %contre 50%), indique une enquêtede l’observatoire Actineo sur lespriorités enmatière d’emploi.D’après cette même étude, l’es­

pace de travail voit chaque annéeson rôle se renforcer puis­qu’en 2014, 92 % des actifs l’esti­maient primordial pour leurbien­être, 89 % pour leur effica­cité et 83 % pour leur motivation.Trois ans plus tôt, ces critèresremportaient chacun une dizaine

de points en moins. Dans ce con­texte, de nombreux employeursrelookent leurs espaces : Deloittevient de s’offrir une « Green­house », serre immersive dont lavue à 360 degrés, le mobilier de­sign et modulable, les Post­it,bonbons et équipements numéri­

ques se révèlent « incroyablementpropices au développementd’idées innovantes », selonM. Boisselier. Le Crédit agricoledote sa pépinière d’un mur végé­tal, la Saxo Banque opte, quant àelle, pour des bureaux assis­de­bout, et le géant Webedia s’offreune salle futuriste pour gamers.Il faut toutefois se méfier des

modes, prévient Xavier Baron, so­ciologue, consultant en gestiondes ressources humaines. Certai­nes sociétés ont dû abandonnerleurs espaces « lounge » parce queles salariésn’osaientpas s’y instal­ler. Quant aux aménagements, ils

peuvent relever d’autres critères :marketing, mesure d’économie,image de l’entreprise.ChezAirbnb, dont lebureaupari­

sien reproduit une annonce d’ap­partement – coussins pastel, fau­teuils vintage et coin « chalet », onse défend toutefois de réfléchir« en termes d’image ». La prioritéconsiste à appliquer en interne ladevise de la marque « Belonganywhere » afin que chacun sesente aubureau « commeà lamai­son », explique Célia Zaïdi, respon­sable de la communication. Ici, on

chine la déco à plusieurs et, cha­que trimestre, les employés rem­plissent un questionnaire ano­nyme pour soumettre des criti­ques ou des pistes d’amélioration.

Des fresquesmuralesUne implication du personnel querevendique aussi PrestaShop, oùles fresquesmurales avec lignes decodes, figures de Yoda et de BruceLee,martèlent la culture pop, geeketopensourcede l’équipe.«Noses­paces n’ont pas été pensés par uneagence mais en interne, insiste Co­rinne Lejbowicz. Sans quoi ilsn’auraient ni la même audace ni

cette identité forte, capable de ren­forcer la connivence entre équipes,communautés et partenaires. »De fait, les candidats ne se lais­

sent pas tous jeter de la poudreaux yeux. « Les locaux ne sont pasmonprincipal critère de choix, noteCyril Delattre, depuis trois semai­nes chez Airbnb.Mais ils en disentlong sur l’entreprise : ici, on ressentune certaine authenticité, un espritfamilial, tout en étant immergédans l’univers du logement. »Pour Margaux, 24 ans, c’est sur­

tout la proximité de son domicilequi l’a convaincue de postulerchez PrestaShop en début d’an­née. Lors de son voyage de find’études à San Francisco, elle sesouvient avoir « énormément en­vié » l’environnement de travailde Facebook et Google. Mais,consciente que certains groupes« érigent leurs espaces en image demarque », elle apprécie aujour­d’hui de pouvoir « s’appropriervraiment les lieux », dans un uni­vers à échellehumaine.«Enentre­tien, j’ai surtout remarqué la fiertédes équipes de travailler ici, ren­chérit sa collègue Lou Tomache­vsky. L’ambiance suit, conclut­elle.D’ailleurs,mon copain, qui est chezGoogle, préfère venir jouer cheznous, à la pause déjeuner ! »

camille thomine

GREENHOUSE, MOBILIER DESIGNETMODULABLE, POST­IT, BONBONSET ÉQUIPEMENTS NUMÉRIQUES

SONT «INCROYABLEMENT PROPICESAU DÉVELOPPEMENT D’IDÉES INNOVANTES»

BERTRAND BOISSELIERcabinet de conseil Deloitte

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54 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

pratique

L’entrée dans la vie ac­tive est une étapeimportante et sou­vent attendue, carsynonyme de pre­

miers salaires, d’indépendance fi­nancière. Cependant, « les jeunesactifs ont des revenus plus faiblesque leurs parents au même âge »,constate Pascale Hébel, directricedu département consommationdu Centre de recherche pourl’étude et l’observation des condi­tions de vie (Crédoc) et coauteurede l’enquête « Les jeunesd’aujourd’hui : quelle sociétépour demain ? » (2012). « Le postedu logement représente une fortecontrainte qui les conduit à rognersur leurs dépenses de base commel’alimentation, l’habillement ouencore la santé. »

Appart à partagerDepuis quelques années, la colo­cation, auparavant réservée auxétudiants, s’étend aux jeunes ac­tifs (33,6 % prolongent leur vie encolocation selon le baromètre Ap­partager). Même si la notion deconvivialité est citée comme l’unedes motivations à cette solution,les motifs économiques arriventen tête. Parallèlement, de plus enplus de jeunes actifs restent vivrechez leurs parents. Si, pour cer­tains, cela s’explique par la vo­lonté d’économiser ou par con­fort, pour d’autres, le montant deleur salaire ou leur statut précaire(intérim, CDD…) ne leur laisse pasd’autre solution.

L’alimentation est un poste glo­balement en baisse chez lesmoins de 29 ans (seulement 8 %de leur budget total). « On cons­tate que les jeunes achètent demoins enmoins de viande, notam­ment pour des raisons économi­ques, et certains ne prennent pastoujours trois repas par jour »,note Pascale Hébel.Les jeunes actifs reconnaissent

une certaine ambiguïté dans

leurs comportements. Ils privilé­gient les magasins « hard dis­count » ou les promotions dansles grandes surfaces, mais saventse faire plaisir pour les dépensesà l’extérieur. « Mon budget res­taurant est souvent celui que je dé­passe, car j’aime tester de nouvel­les adresses », avoue Anne­Lise,26 ans, éditrice. « Je suis capablede me lâcher une soirée dans unbar sympa et, après, de compterpour mon alimentation quoti­dienne », témoigne Benoît, 28ans, jeune auditeur. La consom­mation plaisir, essentiellement

Comment les jeunes actifsdépensent­ils leur salaire ? Sont­ils cigales ou fourmis ? Retoursd’expérience sur les dernièrestendances de consommation.

Lagestionde sonbudgetfaçongénérationLeboncoin

tournée vers le lien social, maisaussi la réalisation de soi, est pri­vilégiée.Ainsi, leur désir de consomma­

tion, notamment en termes decommunication et de loisirs, plusimportant que pour les généra­tions précédentes, les amène à dé­velopper une consommation col­laborative et des comportementsstratèges :«Le covoiturage,Airbnb,le développement des secondes vies

des objets, la location, la coloca­tion… gagnent du terrain à l’aided’Internet », analyse PascaleHébel.« Je n’achète jamais de vêtements

au prix fort, j’attends toujours lespromotions, confirme Anne­Lise.Je suis à l’affût des bons plans surInternet. J’arrive ainsi à pratiquerouà tester pasmal d’activités spor­tives ou d’ateliers gratuitement ouà petits prix. » « Lorsque je pars enweek­end, je cherche sur Internetl’hôtel lemoins cher et onpart sou­vent à plusieurs pour partager lesfrais », explique de son côté Alice­Hélène, 23 ans, vendeuse en librai­

rie. Avec son ami, elle se fixe deuxà trois restaurants parmois et, en­suite, ils privilégient les apérosentre amis où chacun apportequelque chose. « En général, on re­garde pas mal les prix des vête­ments ou de l’alimentation, mais,pour les vacances, les week­ends,on ne regarde pas trop à la dé­pense », témoigneMarion, 27 ans,mariée, qui travaille dans les assu­rances. Le couplepratique réguliè­rement les sites de vente privée etLeboncoin pour revendre.

Lemodèle familialPour les jeunes générations,l’usage est plus important que lapropriété. Le fait que demoins enmoins de jeunes passent leur per­mis ou s’achètent une voiture esttrès révélateur. Et quand on en aune, onn’hésite plus à la partager.Marion a ainsi mis la sienne surun site d’auto­partage.Une majorité des jeunes actifs

concède reproduire engrandepar­tie le modèle familial dans leur fa­çon de consommer et de suivre(ou pas) leurs dépenses. Selon uneétude du Crédoc de 2011, 29 % desjeunes actifs ne font jamais unbudget, 43 % ont déjà été à décou­vert au cours des trois dernièresannées et 78%déclarent épargner,avec un taux moyen d’épargne àhauteur de 13 % de leur revenumensuel. Entre le tableau Excelpour suivre les dépenses dans ledétail et une certaine désinvol­ture, tous les profils cohabitent.

gaëlle picut

«LE COVOITURAGE, AIRBNB,LE DÉVELOPPEMENT

DES SECONDES VIES DES OBJETS,LA LOCATION ET LA COLOCATION,

GAGNENT DU TERRAINÀ L’AIDE D’INTERNET»

PASCALE HÉBELdirectrice du départementconsommation duCrédoc

Page 55: Le Monde-Campus novembre 2015

l’abonnement

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56 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015

Dans « La Société automatique »(Fayard), vous évoquez une prochainedisparition de l’emploi. Comment enest­on arrivé là ?

Depuis 1993, avec la naissance du Web,nous vivons un énorme processus detransformation : les individus produisentdes données sur eux­mêmes en perma­nence, de manière délibérée ou inconsci­ente, et les algorithmes permettent d’ex­traire des informations de façon massiveen suivant des modèles probabilistes. Cesdonnées réduisent les activités en interne,dans tous les domaines. Il n’y a pas queGoogle : de plus en plus d’entreprisesmet­tent en place des automates logiques sansrémunérer la valeur ainsi créée, ce quiaboutit àune suppressiond’emplois. Selonune étude du cabinet Roland Berger, d’ici à2025, un tiers des emplois pourraient êtreoccupés par des machines, des robots oudes logiciels dotés d’intelligence artificielleet capables d’apprendre par eux­mêmes.

On s’est longtemps battu contrel’arrivée desmachines. Qu’est­ce quichange aujourd’hui ?

L’automatisation existe depuis plusieurssiècles dans le monde industriel. On peutévoquer le taylorisme, qui aboutit au travailà la chaîne.Mais il s’agissait jusqu’à présentd’automatisations qui avaient besoind’hommes pour fonctionner : les individusétaient payés pour servir lesmachines.La nouvelle automatisation n’a plus be­

soin de cela. Il existe aujourd’hui des usi­nes sans ouvriers :Mercedes amis enplaceune usine qui n’emploie que des cadres.Foxconn, qui emploie 1,5 million d’em­ployés dans ses usines, souhaite les rem­placer par 1 million de robots. Amazon dé­veloppe des robots dans ses entrepôts…C’est un phénomène qui touche absolu­

LephilosopheBernard Stiegler alertesur la destructionde l’emploi portéeparlesmutations technologiques et soulignel’urgencede refonderunmodèle donnantuneplace au travail au service de l’homme.Lasociété

automatiqueest insolvable,oncommenceàenprendreconscience»

le grand entretien

ment tous les secteurs. Dans une confé­rence du 13 mars 2014, Bill Gates affirmaitque, d’ici vingt ans, les logiciels aurontremplacé la plupart des emplois. Il proposede lever les charges sociales sur les salairespour mettre en concurrence les humainsavec les robots.Mais cen’est pasunebonnesolution : onnepeut pas dissimuler l’insol­vabilité de la « société automatique ».

Internet est­il fondamentalementdestructeur d’emplois ?

Je ne suis pas contre l’automatisation ensoi : Wikipedia marche avec des algorith­mesqui aident les gensà collaborer, c’est in­téressant. Le problème, c’est quand les algo­rithmesbloquent la création. Et c’estbiencequi sepasse : lebutduWebaété inversé. Ini­tialement créé pour alimenter de la contro­verse et du débat, il finit par court­circuiternotre cerveau et notre singularité.Chris Anderson, gourou de la Silicon Val­

ley, affirme qu’avec les big data nousn’avons plus besoin de théories. D’aprèslui, les informations que le big data extraitpar corrélation sont plus efficaces que les

modèles théoriques. Ainsi, Google traduitle chinois en anglais, même si chez Googlepersonne ne parle chinois. Mais ce sys­tème conduit à un appauvrissement : plus

«BILL GATES PROPOSEDE LEVER LES CHARGES

SOCIALES SUR LESSALAIRES POURMETTRE

EN CONCURRENCELES HUMAINS AVEC

LES ROBOTS. CE N’EST PASUNE BONNE SOLUTION»

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Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 57

Bernard Stiegler,philosophe.

de destruction d’emplois. C’est très grave.Mais la prise de conscience évolue vitedans ce domaine, et de plus en plus d’ac­teurs se rendent compte de l’insolvabilitéde l’automatisation.Je travaille, en cemoment, avec un grand

opérateur au développement d’un nou­veau réseau local qui servira l’engagementdes individus. Il permettra, par exemple,aux habitants qui assistent à un conseilcommunautaire de commenter ce qui s’ydit et de confronter les différents points devue. Grâce à cela, ils pourront créer desgroupes par affinités et se rassembler en­suite pour être force de propositions.Aux jeunes maintenant de s’engager

pour sortir du capitalisme industriel et en­trer dans une ère nouvelle. Personne nesait à quoi ressemblera lemondedu travaildans les années à venir, puisque c’est à euxd’inventer ce qu’ils feront demain.

propos recueillisparmargheritanasi

toire contributif. Nous mettons en placeun protocole territorial qui propose àtous les habitants de devenir des « étu­diants » : ils étudient la situation à venirde leur territoire.Les territoires deviennent des smart ci­

ties, et il faut que ces technologies se déve­loppent avec les habitants, sans leur impo­ser des modèles prolétarisants. Nous pré­conisons donc plusieurs démarches, dontla création d’une chaire universitaire quimettrait en œuvre la recherche contribu­tive par des doctorants travaillant sur desthèses liées à l’impact des nouvelles tech­nologies sur la discipline du chercheur,quelle qu’elle soit.Le problème, c’est que la France ne veut

pas évoquer ce sujet, elle l’évacue : dans lerapport «Quelle France dans dix ans ? » re­mis au président de la République, Jean Pi­sani­Ferry [commissaire général de France­Stratégie, le think tank qui a réalisé ce rap­port] ne dit pas unmot de ces perspectives

l’automatisation dans la compilation detexte se développe, plus les gens désap­prennent l’orthographe, et le langage s’ap­pauvrit. Si on ne pratique pas, on oublie.

Un jeune diplômé doit­il alors aborderson futur avec pessimisme ?

L’avenir des jeunes est très sombre. J’enconnais même qui sont trop diplôméspour avoir du travail : impossible de trou­ver un emploi qui correspond à leurs com­pétences. La seule solution, c’est de réin­venter un nouveau système, viable. Cen’est pas seulement une question liée auchangement climatique, c’est véritable­ment un nouveau modèle macro­écono­mique capable de redistribuer la valeur quidoit être inventé.

Je propose ainsi la mise en place d’un re­venu contributif, inspiré par le régime desintermittents du spectacle, qui favorisel’engagement des individus dans des pro­jets collaboratifs. Le Prix Nobel d’écono­mieAmartya Sen aprouvéquedans les an­nées 1990, paradoxalement, on vivait pluslongtemps et mieux dans un pays pauvrecomme le Bangladesh qu’à Harlem. C’esttout simplement parce que les habitantsduBangladesh ont préservé leurs relationssociales et continué à développer leurs sa­voirs. Les jeunes diplômés d’aujourd’huidoivent prendre des initiatives. Il faut re­penser le collectif et imaginer une autremanière de travailler qui ne soit pas fon­dée sur l’emploi.

Concrètement, par où commencer ?Personne ne peut inventer un nouveau

modèle : il faut expérimenter. Je travailleen ce moment dans une commune deSeine­Saint­Denis à la création d’un terri­

«LES JEUNES DIPLÔMÉSDOIVENT REPENSER

LE COLLECTIF ET IMAGINERUNE AUTREMANIÈRE

DE TRAVAILLERQUI NE SOIT PAS FONDÉE

SUR L’EMPLOI»

ISABE

LLEWATE

RNAUX

Page 58: Le Monde-Campus novembre 2015

Campus, la rubrique pour les lycéens et étudiants duMonde.fr, vous accompagneet vous conseille, du lycée jusqu’au 1er emploi.Rendez-vous sur lemonde.fr/campus.

LeMondeLeMonde

Page 59: Le Monde-Campus novembre 2015

Mardi 17 novembre 2015 Le Monde Campus / 59

I l n’est plus possible de penser leseffets de la science et de la tech­nologie comme intrinsèque­

ment positifs », constate Thierry Ve­nin dans la préface d’Un mondemeilleur, «car c’est le travail, selon lesociologue, qui a dû se plier aux rè­gles technologiques » produisantdes effets négatifs. Le chercheur,partant d’une enquête de terrain,démontre la forte influence des

techniques de l’information et de la communication (TIC)dans les risques psychosociaux. Il liste une vingtaine depièges et d’effets secondaires, concluant que le droit à ladéconnexion reste à inventer.Il pointe les conséquences de « l’absence de prise de cons­cience» de la prise de pouvoir du numérique, qui ren­force « les effets pervers de la tyrannie du moment », et lestress qui l’accompagne. Il s’interroge sur le pouvoir – laliberté – que conservera dans l’avenir un individu hyper­connecté, prisonnier d’un « système technico­financiernumérisé », dans lequel « la culture et la pensée uniquequ’il véhicule semblent avoir, pour le moment, raison desreprésentations démocratiques enserrées dans des Etats­nations dont les acteurs d’Internet se jouent ». P. J.Un monde meilleur ? Survivre dans la société numéri­que, de Thierry Venin (éd. Desclée de Brouwer, 356 p.,19,50 €).

Contre­sociétéface àhorizonincertainThomas, Jennifer, Abou, Thaïs,Kevin, ils ont tous « une vieà deux balles ». Ils font partied’une génération où libertérime avec précarité de l’emploicomme du reste, et où,à 30 ans, « si tu n’as pas euau moins trois pots de départ,c’est que tes collègues te détes­taient vraiment ». Une préca­rité qui réunit des porteursde projets, qui, « quitteà galérer », ont décidéde « faire le métier qu’ilsaiment » : cinéma solaire am­bulant, café sauvage, expertdu logement collectif, ou plusprécisément ouvreur de squatà Paris. Ce livre de deux jour­nalistes prend la suite du web­doc réalisé en 2013 par SophieBrändström, coauteuravec Mathilde Gaudéchoux.L’époque LarzacCe sont des tranches de vietruculentes d’une générationdébrouille qui rappellentles initiatives des babas cooldes années 1970. Confrontésà l’apparition du chômage demasse provoqué par le chocpétrolier, ils se détournaientalors du marché du travailtraditionnel et partaient sacau dos élever des chèvresdans le Larzac : pour êtreautonome sans revenus, avecle troc, l’art de la récupéra­tion et du « faire­soi­même ».Les recettes n’ont pas changé :« On se rabat sur de l’ultralo­cal, sur le présent, sur ce qu’onpeut choisir », explique la so­ciologue Cécile Van de Velde.Ce qui revient à « construireune mini contre­société faceà un horizon incertain ».Des choix conscientsMais dans Ma vie à deuxballes. Génération débrouille,les histoires des jeunes vontplus loin que celles de leurs« pères du Larzac » puisque,in fine, ils réalisent leur pro­jet et, donc, gagnent leur placedans la société et leur liberté.Pour le sociologue JeanPralong, interviewé en find’ouvrage, ces jeunes « nesont pas des victimes. Ils ontchoisi d’être indépendants. (…)Ils ont réfléchi à la placequ’ils veulent prendredans la société. (…) C’estune posture politique. » A. RrMa vie à deux balles. Généra­tion débrouille, de SophieBrändström et MathildeGaudéchoux. Ed. Les liensqui libèrent, 254 p., 16,50 €.

Des secteursqui embauchent…Les Métiers de l’électroniqueet de la robotique, éd. Onisep,« Parcours », 144 p., 12 €.

Comment survivremalgré le numérique

Sois gentil !

L e management par le stress ayant montré ses limi­tes », la gentillesse, paradoxalement synonymeaujourd’hui de faiblesse, a toute sa place « comme

nouvelle pratique et intelligence des relations dans l’en­treprise », selon le philosophe Emmanuel Jaffelin, pro­fesseur au lycée Lakanal (Hauts­de­Seine). Pour l’auteurdont on se demande s’il a jamais travaillé en entrepriseou s’il joue les provocateurs, le manageur, par la gen­tillesse, « installe la bonne humeur tout en préservant laliberté de chaque salarié ».Eloge de la gentillesse en entreprise, par EmmanuelJaffelin (First Editions, 216 p., 14,95 €).

MacolocnonagénaireL’illustrateur Stéphane Audouin,dit Mathurin, est l’auteurde J’habite au troisième âge(Lemieux éditeur),une jolie chronique dessinéede la cohabitation entreun jeune graphiste etGermaine, 96 ans, versqui l’a dirigé une association.Il décrit avec sensibilité ethumour la relation amicalequi s’instaure entre eux jouraprès jour : « Le soir, je baissele son de ma musique au mini­mum pour qu’elle ne l’entendepas. De son côté, elle montele son de sa télé au maximumpour l’entendre. »Quand il trouve un logement,il a du mal à se réhabituer àl’indépendance. « Sans m’enrendre compte, ma vie s’étaitarticulée autour de Germaineet de mon travail. »J’habite au troisième âge,de Mathurin (Lemieuxéditeur, 80 p., 18 €).

invitation à la lecture

Page 60: Le Monde-Campus novembre 2015

60 / Le Monde Campus Mardi 17 novembre 2015