Le miracle Gauss

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Exposé du 31 mars1994 à la Journée de Mathématique et de Sciences organisée par la Faculté des Sciences de l’Université de Mons à l’intention des élèves des classes terminales et de leurs professeurs 1

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Exposé du 31 mars1994 à la Journée de Mathématique et de Sciences organisée par la Faculté des Sciences de l’Université de Mons à l’intention

des élèves des classes terminales et de leurs professeurs

1

Le miracle Gauss

Christian Radoux Université de Mons

Ce texte n’est qu’un complément à l’exposé. Les passages marqués d’un renvoient à des explications mathématiques orales trop longues à écrire ici. Quelques passages concernent les professeurs, plutôt que leurs élèves. J’ai hésité avant de les inclure. Mais après réflexion, je me suis dit qu’il serait triste de les couper et que par ailleurs, pour certains, un texte peut toujours se relire quand le temps en est venu.

( )

0. Le professeur de littérature, de peinture, de musique trouve normal, voire indispensable d’éclairer l’œuvre des créateurs qu’il présente par leur biographie et le contexte historique, même si ces apports n’expliquent pas tout. Par contre, les mathématiques sont souvent parachutées sous une forme dogmatique, achevée et, en tout cas, coupées de leurs racines, tant internes qu’externes. Il s’agit pourtant d’une aventure humaine comme les autres. Par ailleurs, il est vrai que proférer une phrase comme La méthode d’inversion d’Abel lui a permis de démontrer la double périodicité des fonctions elliptiques n’a aucun sens pédagogique, est même pur snobisme face à un public qui ignore ou se méprend sur le sens des termes. Le problème est en grande partie là : point n’est besoin de savoir ce que signifie sol mineur pour aimer la 40ième symphonie de Mozart; en mathématiques par contre, on ne peut aimer sans comprendre. Un palliatif, sinon un remède partiel pourrait être l’étude de quelques mathématiciens particulièrement frappants, ou de l’histoire de quelques grands concepts. C’est pourquoi j’ai choisi, pour la Journée de mathématique et de sciences de notre Université, de vous parler de Gauss.

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1. Son père, Gebhard Dietrich Gauss, est né en 1744 à Brunswick. Il a été, au gré des circonstances, jardinier, maçon, boucher, gardien de canal. Issu lui-même d’un milieu très modeste, il parviendra néanmoins, en homme sérieux et opiniâtre, à acheter une belle maison.

La maison natale de Gauss détruite pendant la seconde guerre mondiale

En 1775, sa première femme meurt. Un an plus tard, il épouse Dorothea Benze, servante à peu près illettrée, fille d’un tailleur de pierres. Le 30 avril 1777, elle lui donnera un enfant, qui demeurera (à tout point de vue !) unique, Carl Friedrich.

Acte de naissance, daté du 4 mai 1777, extrait du registre paroissial.

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Il restera toujours profondément attaché à sa mère, qu’il dépeint comme d’humeur égale et très équilibrée. De son père, il dira qu’il était un homme d’une probité absolue, estimable, travailleur et réellement respectable, mais à la maison tyrannique, vulgaire, fruste et violent. Friedrich, son oncle maternel, tisseur aux intérêts d’une variété étonnante, éveillera sa vive intelligence par de longues et fréquentes discussions. Très jeune, l’enfant manifeste des dons extraordinaires : il apprend seul à lire, à calculer (âgé, il se souviendra en souriant d’avoir su calculer avant de savoir parler). Plusieurs anecdotes en témoignent : correction spontanée et de tête, à l’âge de trois ans, de comptes écrits effectués par son père, redécouverte précoce de grandes méthodes mathématiques. En voici un exemple. En 1787, l’instituteur J.G. Böttner pose en défi à sa classe l’évaluation de la somme 1 . Carl Friedrich griffonne aussitôt le résultat 5050 sur son ardoise. Facile : 1 1

2 3 100+ + + + +00 101+ = , ,

, et ainsi de suite, cinquante fois. Le gamin a recréé comme une évidence la loi de sommation d’une suite arithmétique. Toujours à l’école primaire Sainte-Catherine, le jeune élève suit l’enseignement mathématique officieux d’un surveillant passionné de sciences, de huit ans son aîné, Martin Bartels. Il s’émerveille du théorème du binôme de Newton, des séries de Taylor, dont l’une généralise ce théorème aux exposants réels quelconques, du calcul différentiel. Toute sa vie, Gauss rendra hommage à Bartels. Caractère entier, aussi fidèle dans ses amitiés que tenace dans ses rancunes, il lui écrira avec respect pendant des décennies. A l’âge de onze ans, Carl Friedrich est inscrit d’office en deuxième année de l’école secondaire. Il se prend d’une passion violente pour le français, le latin et le grec qu’il apprend à la perfection en… deux ans ! Le phénomène est alors transféré dans la section terminale et signalé à l’attention du duc de Brunswick. Rappelons que, bien sûr, l’ère féodale n’est alors pas révolue en Allemagne. J’aurais bien des choses négatives à en dire, y compris sur leurs prolongements actuels. Mais, cela étant, le duc Charles Guillaume Ferdinand (1735-1806) était plutôt brave homme. Il invite le jeune garçon à sa cour en 1791 (pour situer l’année autrement, son 5 décembre verra la mort de Mozart, qui allait avoir trente-six ans), lui offre une table de logarithmes, toujours conservée à l’Université de Göttingen, et surtout lui alloue une somme destinée à payer ses études supérieures.

2 99 101+ =3 98 101+ = …

4

Portrait du duc de Brunswick et…

graffiti divers de Gauss dans un cahier de cette même année 1791.

5

Gauss s’inscrit donc en 1792 au Collegium Carolinum, puis en 1795 à l’Université de Göttingen. Il brille en tout, hésite entre une carrière consacrée aux mathématiques ou bien aux langues anciennes. A Göttingen, il se lie d’amitié avec l’étudiant hongrois Farkas Bolyai, qui deviendra lui-même, ainsi que son fils, un brillant mathématicien; nous aurons l’occasion d’y revenir.

Caricature, dessinée par Gauss et commentée en hongrois par Bolyai, du professeur de mathématiques Kästner, assénant à ses étudiants un résultat…

faux ! C’est une découverte désormais historique, datée de mars 1796, qui fera basculer définitivement Gauss vers les mathématiques. Depuis l’Antiquité grecque, les géomètres cherchaient à construire, au moyen exclusif de la règle et du compas (non gradués, évidemment !) de nouveaux polygones réguliers à côtés n nP . Voici son résultat .

( )

6

Un nombre de Fermat est un naturel de la forme . kF (2 )2 1k

+

Par exemple, les cinq premiers nombres de Fermat ( à 0F 4F ) sont 3, 5, 17, 257, 65537. Pour que nP soit constructible, il faut et il suffit que soit de la forme

n2a P , où a∈ , étant le produit (éventuellement

vide) de nombres premiers de Fermat tous distincts. P

Du même coup, le premier nouveau polygone constructible comportait 17 côtés. Bien entendu, Gauss en a donné une construction explicite.

Construction du polygone régulier à 17 côtés et valeurs de 17nsi π et 2

17sco π .

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Un emblème géométrique gravé sur le socle de la statue de Gauss à Göttingen rappelle son exploit. Au XIXième siècle, J. Hermes a passé dix ans de sa vie à construire le polygone régulier 257P .

Calculs de Gauss.

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Notons au passage qu’on ne connaît toujours pas aujourd’hui d’autres nombres premiers de Fermat que ceux cités ici. On n’est même pas capable de dire s’il existe une infinité de tels nombres premiers, ni de nombres de Fermat composés (l’une au moins des deux classes est infinie, évidemment…). La première factorisation historique est due à Euler : . Il l’a obtenue en 1732 en prouvant que tout diviseur premier de

325 2 1 4294967297 641 6700417F = + = ⋅

k

=

F est de la forme . Vers 1875, Edouard Lucas a amélioré le théorème en remplaçant l’exposant par . Dans l’exemple d’Euler, on peut vérifier que . Les ordinateurs et de puissants algorithmes ont permis de factoriser de gigantesques nombres de Fermat. Les amateurs de records trouveront dans mon syllabus de théorie des nombres des exemples à donner le vertige.

12 1km +⋅ +

1k + 2+71 5 2= + ⋅

k641

Pour une fois content de son travail, Gauss entame alors la rédaction (en latin) de sa thèse de doctorat (1799) et d’un énorme traité (très concentré, comme le sont tous ses écrits), qui sera publié en 1801, ses célèbres Disquisitiones arithmeticae (Recherches arithmétiques). Parlons d’abord de sa thèse. Un énoncé algébrico-analytique essentiel toujours dénommé aujourd’hui théorème fondamental de l’algèbre, affirme que tout polynôme du nième ( ) degré possède au moins une racine dans le plan complexe et, du même coup, en possède exactement , à condition de les compter avec leurs multiplicités respectives. Cela semblait certain depuis bien longtemps et d’Alembert, perfectionnant des travaux d’Euler, avait cru le prouver. Gauss avait repéré dans la démonstration des lacunes graves, en avait profité au passage pour critiquer le statut nébuleux des nombres complexes, leur avait donné une base solide, puis avait magistralement corrigé et complété la démonstration. Dans la suite de sa carrière, il donnera en fait quatre preuves radicalement différentes de ce que nous appelons donc aussi aujourd’hui théorème de Gauss-d’Alembert. Pourquoi un tel luxe ? Tout d’abord, par une sorte d’hygiène mentale : plus les attaques sont nombreuses et variées, plus la conviction l’emporte. Ensuite, a-t-on parfois dit, parce que Gauss aime à prouver sa force. C’est probablement en partie vrai. Mais aussi et surtout parce que, intimement persuadé de l’unité profonde de

1n ≥

n

la mathématique, il veut mettre en lumière des liaisons intimes entre des

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domaines qui semblaient auparavant sans grands rapports. Quant aux recherches arithmétiques, il s’agit vraiment d’un livre miraculeux. Je possède une reproduction en tout point fidèle à l’édition originelle de leur première traduction française. L’ouvrage est, on s’en serait douté, dédié au duc de Brunswick en des termes normaux pour l’époque, mais au fond consternants selon les principes démocratiques que j’espère admis de nos jours.

Dédicace de Gauss au duc de Brunswick

Bien sûr, le duc a été bien gentil. Mais d’où viennent son pouvoir et sa fortune, sinon de rapines et de crimes séculaires ? La bonté n’est-elle pas en l’occurrence le cache-misère de l’injustice ? Et tous les hommes ne naissent-ils pas libres et égaux en droits ? Passons ! Le contenu est lui d’une beauté sans égale. Je renonce à rendre compte de multiples trouvailles géniales (loi de composition des formes quadratiques binaires à coefficients entiers de discriminant donné, introduction de la notion de genre, préfigurant celle des idéaux,…) pour n’en expliquer que deux ou trois, aux énoncés plus accessibles.

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La première est la Loi de réciprocité quadratique. Pour l’énoncer, je dois d’abord introduire le symbole de Legendre (on dit aussi caractère quadratique)

( )

( a )p qui vaut, par définition,

0, si est un multiple de 1, si est un carré (non nul) modulo 1, si n'est pas un carré modulo

a pa pa p

+−

a( )*/

Il est facile de voir que le caractère de Legendre de est égal au produit des ceux de et b . C’est donc un véritable caractère du groupe

ab

p . Voici maintenant l’énoncé du théorème. Soient p et des nombres premiers impairs distincts. Alors

q

1 1

2 2( 1)p qp q

q p− −⋅

⋅ = − .

Cette loi avait déjà été notée par Euler. Legendre en avait donné une démonstration reposant sur un énoncé auxiliaire , qu’il pensait quasi évident, mais dont on attendra en fait quarante ans la preuve (Dirichlet, 1837). Le jeune Gauss repère aussitôt la lacune et, bien sûr, donne une première démonstration impeccable. Six autres, d’une variété ahurissante, suivront tout au long de sa vie. Gauss écrira un jour, de cet énoncé qui l’obsède, qu’il est le joyau de l’arithmétique. Comme il proclamait par ailleurs que La mathématique est la reine des sciences et l’arithmétique la reine des mathématiques, on voit en quelle haute estime il le tenait.

( )

Une caractéristique de Gauss est de souvent créer et développer des théories originales en cascade, chaque fois qu’il a besoin d’un point d’appui pour son raisonnement. Ainsi par exemple, pour démontrer la loi de réciprocité quadratique, il introduit ce que nous appelons aujourd’hui les sommes de Gauss. Euler a prouvé que . Compte tenu de ce résultat et grâce au symbole de Legendre, le théorème de Gauss peut s’écrire

cos sinixe x i= + x

11

12

1

1selon que (premier) modulo 4 ( )

3

pik p

k

pk e pp i p

π− /

=

= , ≡

Là encore, Gauss donnera plusieurs preuves. L’une d’elles repose à son tour sur une astucieuse généralisation des coefficients binomiaux donnant naissance aux polynômes de Gauss :

( )( ) ( )( )

( )( ) ( )1 2 1

1 2

1 1 1 1( )

1 1 1 ( 1)

m m m n m n

n nq

q q … q qmn q q … q q

− − + − +

− − − − = − − − −

fondant eux aussi une théorie d’une invraisemblable richesse. Une autre caractéristique de l’invention de Gauss est de lier étroitement divers domaines mutuellement fort étrangers pour le mathématicien moyen. Je vais essayer d’en expliquer un exemple datant de la même période. Si la chronologie en est claire, vous verrez que, par contre, l’inspiration reste assez énigmatique. Commençons par une première notion. Soient et b deux réels positifs. On appelle moyenne arithmético-géométrique

a( )M a b, de

et la limite commune aux deux suites ( et ( définies par la condition initiale ,

ab )na )nb

0a a= 0b b= et la double récurrence 1 1nb2

nana − −+= ,

1 1n n nb a b− −= ⋅ . La convergence en est très rapide (avis aux informaticiens amateurs !). Ainsi, pour 2a = et , on trouve déjà 1b =

4

4

1 198140 234 735 592 207 4411 198140 234 735 592 207 439

ab≅ ,≅ ,

Passons maintenant à un problème radicalement différent. La longueur

de la lemniscate de Bernoulli ( , courbe en forme d’un chiffre 8 couché, d’équation polaire L )

cos(22 )ρ α= , est donnée via un petit calcul standard par l’intégrale (d’apparence anodine, mais relevant de théories très difficiles)

1

404

1dt

t.

−∫

Le 30 mai 1799, Gauss consigne dans son journal mathématique

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personnel la remarque (n° 98) suivante : (1 2)M , coïncide avec 2Lπ

jusqu’à la onzième décimale; la clarification de ce phénomène ouvrira sûrement un champ analytique entièrement neuf. En décembre de la même année, Gauss prouve la généralisation suivante. Soient et b deux réels positifs. Alors, l’intégrale a ( )I a b, , définie par

2 2 2 2

dt

t a t b

+∞

−∞

+ +∫

est égale à ( )M a bπ, .

Voici le schéma de sa preuve, d’une inspiration aussi superbe que mystérieuse. En posant 2

a bttu⋅−= dans 2

a bI +

, ab

)

, on retrouve . ( )I a b,

Mais alors 1 1 2 2 3 3( ) ( ) ( ) ( )I a b I a b I a b I a b, = , = , = , =

Ainsi, en posant (M a bµ = , , et en passant à la limite sous le signe d’intégration (il faut vérifier que c’est licite), on trouve

( ) [ ]2 2

( )( ) lim ( )n nn

arctg tdtI a b I a b It

µ πµ µµ µ µ

+∞+∞

−∞

−∞→∞

/, = , = , = = =

+∫ .

Le cas particulier , 1a = 2b = restitue le résultat relatif à la lemniscate, comme on le voit sans peine en posant

21 vvt −= dans

(1 2)I , . Aussi émerveillé que glacé par ces astuces diaboliques, j’ai tâché de comprendre leurs sources. Ce n’est vraiment pas facile. Il faut dire que Gauss ne publiait que des textes soigneusement affinés, épurés. Il disait Lorsqu’un bel édifice est achevé, on ne doit pas y lire ce que fut l’échafaudage. D’autres ont ajouté qu’il escamotait aussi les plans… Il efface ses traces à la manière du renard, disait Jacobi. Voici, en vrac, mes réflexions. Tout d’abord, Gauss est un maniaque du calcul; il compare tout à tout, selon toutes les modalités imaginables. Ensuite, son intuition lui fait oser agiter des comparaisons devant lesquelles le bon sens d’un mathématicien moyen se cabrerait. Dans l’exemple qui précède, si l’on remplace, dans l’intégrale donnant , l’exposant 4 par 2 on retombe essentiellement sur le calcul de la longueur du cercle. Par ailleurs, la méthode des isopérimètres (Archimède !) un peu modifiée montre que la suite obtenue en partant des deux premiers termes 0, 1/2, puis en

L

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prenant alternativement la moyenne arithmétique et la moyenne géométrique des deux derniers termes déjà écrits converge vers 1 π/ . (Attention : ce n’est pas (0 1 2)M , / !) Mais tout ceci n’est évidemment que conjectures personnelles.

π/

0 3 2n, ⋅ n

Notons également que, selon un théorème d’Abel daté de 1827, la lemniscate peut se décomposer au moyen exclusif de la règle et du compas, en arcs de même longueur aux mêmes conditions que celles trouvées par Gauss pour le cercle.

n

Quoi qu’il en soit, les techniques de Gauss inspireront de nombreux développements ultérieurs pour le calcul de π , ainsi que pour l’étude des fonctions elliptiques et modulaires. Je me suis servi de tels algorithmes pour programmer, en Turbo Pascal, le calcul de dix mille décimales de , de e π et de 1 en une fraction de seconde. Je fais cadeau bien volontiers de ce logiciel à tout lecteur intéressé. Jetons un voile pudique sur des théorèmes d’une haute technicité concernant, par exemple, l’analyse numérique, la loi de distribution des nombres premiers, la fonction gamma, la série hypergéométrique pour en venir à un autre exploit majeur. Une loi empirique (1772), dite de Titius-Bode faisait remarquer que les mesures des distances des planètes (alors connues) au soleil, mesurées en unités astronomiques (150 millions de kilomètres) valaient environ 0 4, + ( { 1 0 1 2 4 5})∈ − , , , , ,

3n

. Les astronomes espéraient, plus ou moins secrètement, que leurs observations combleraient un jour la lacune = , d’autant plus qu’en 1781 Herschel compléta le tableau suivant par Uranus. Pour , la loi de Titius-Bode prévoyait une distance de 19

6n =6 U A, . . Or, Uranus gravitait

à environ 19 2 U A, . .

Planète n Titius-Bode Observation Mercure -1 environ 0,5 environ 0,5

Vénus 0 environ 0,7 environ 0,7 Terre 1 environ 1 environ 1 Mars 2 environ 1,6 environ 1,5

? 3 environ 2,8 ? Jupiter 4 environ 5,2 environ 5,2 Saturne 5 environ 10 environ 9,5

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Or, justement, le 1er janvier 1801 Piazzi, astronome de Palerme, observe un objet inconnu qu’il pense admissible. Le 11 février, il en perd la trace. Son observation porte sur un arc de 9 degrés seulement. Comment espérer reconstituer la trajectoire à partir de données aussi fragmentaires ? C’est en novembre (la diffusion des nouvelles n’est pas celle d’aujourd’hui) que Gauss entre en scène. Bien entendu, il développe des méthodes mathématiques (loi des moindres carrés, distribution normale) inédites, extrapole la courbe décrite par l’objet, qui sera baptisé Cérès, avec une précision implacable et, le 7 décembre, X. von Zach l’aperçoit le premier au bout de sa lunette. Il écrira deux mois plus tard sans les efforts et les calculs subtils du docteur Gauss, nous n’aurions peut-être jamais retrouvé Cérès, et c’est donc à lui que revient la plus grande et la plus belle part du mérite. Lalande s’exprimera en des termes encore plus élogieux. Voici donc l’illustre docteur Gauss (25 ans !), déjà sacré comme mathématicien, maintenant au pinacle des astronomes. Honneurs, prix, médailles, nominations pleuvent sur lui, qui ne s’en trouble guère. En 1803, la grande aventure, c’est plutôt sa rencontre avec Johanna Osthoff, de trois ans sa cadette. Gauss écrit avec un enthousiasme émouvant à son ami Bolyai, pour lui vanter la beauté et les vertus morales de la jeune fille. Un an plus tard, ils se fiancent et, le 9 octobre 1805, ils se marient (ces délais sont en fait assez courts pour l’époque). Le 21 août 1806, naît leur premier enfant, Joseph, ainsi prénommé en l’honneur de Giuseppe Piazzi. Les années 1804 à 1807 sont aussi marquées par sa correspondance avec la mathématicienne, c’est rarissime en ces temps, Sophie Germain qui lui voue une admiration sans bornes. Autodidacte, d’un caractère ombrageux et victime de préjugés stupides mais alors quasi universels, elle lui écrit d’abord sous un pseudonyme masculin, redoutant le ridicule attaché au titre de femme savante. Elle avait déjà usé du même subterfuge pour s’adresser à Lagrange. Napoléon ayant envahi l’Allemagne, elle intervient auprès du général Pernety, ami de sa famille pour s’inquiéter de la sécurité de Gauss. C’est à cette occasion que la supercherie est éventée. Gauss, conscient des difficultés énormes qu’a dû vaincre la jeune femme et sincèrement frappé de la beauté de certains de ses théorèmes lui envoie une lettre

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élogieuse, qui lui sera d’un grand réconfort. Ce n’est pas l’un des moindres paradoxes du personnage. En général conservateur à l’extrême, il est ici étrangement moderne. Profitons aussi de l’occasion pour signaler la mort du duc de Brunswick lors de ces combats. En 1807, Gauss est nommé professeur d’astronomie à Göttingen. Le 29 février 1808, naît Wilhelmine, ainsi prénommée en l’honneur de l’astronome Wilhelm Olbers, découvreur de Pallas : on voit que le sens de l’amitié et les astéroïdes comptent pour Gauss. Le 10 septembre 1809, c’est Ludwig qui vient au monde. Cette fois, c’est l’astronome Ludwig Harding, découvreur de Junon, qui est honoré. Le petit Ludwig sera plus souvent appelé Louis et Wilhelmine sera Minna, au sein de la famille. Le 2 novembre 1808, Gauss écrivait à Bolyai Les jours suivent leur cours de bonheur dans la marche uniforme de la vie domestique : lorsque la petite fait une nouvelle dent ou que le garçon vient d’apprendre quelques mots nouveaux, ce sont des choses presque aussi importantes que la découverte d’une nouvelle étoile ou d’une nouvelle vérité. Mais un malheur terrible vient le frapper : le 11 octobre 1809, sa femme, mal remise de son dernier accouchement meurt. Gauss, qui en était amoureux comme au premier jour cherche refuge, désespéré, avec ses enfants auprès de son ami Olbers. Le 1er mars 1810, Louis disparaît à son tour. Jamais le caractère, déjà difficile, du mathématicien ne s’en remettra. En outre, Napoléon lève un impôt de guerre. On exige deux mille francs de Gauss. Olbers, Laplace s’en émeuvent et veulent l’aider. Bien sûr, il refuse. Dépressif, ne supportant pas la solitude, Gauss se remarie (encore un paradoxe !) dès le 4 août 1810 avec Minna Waldeck, riche jeune femme de 22 ans. Minna était plutôt nerveuse et bien moins gaie que Johanna. L’union sera pourtant assez heureuse. Trois enfants en naîtront : Eugen (29 juillet 1811), Wilhelm (23 octobre 1813) et Thérèse (9 juin 1816). C’est l’époque de la construction de l’observatoire de Göttingen. Gauss, qui y habitera avec sa famille, voyage un peu (Munich) pour lui procurer de bons instruments d’optique et des horloges de précision. Très casanier, il n’aime guère cela.

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Et pourtant, il va devoir payer de sa personne sur le terrain. En effet, son ami Heinrich Christian Schumacher, nommé professeur d’astronomie à Copenhague, avait été chargé par Frédéric IV d’établir de nouvelles cartes du Danemark impliquant des mesures géodésiques d’une finesse inégalée. Gauss l’avait félicité de cette grandiose entreprise qui fournira des éclaircissements intéressants sur la forme de la terre. Toujours son sens de la généralisation et des conséquences plus lointaines ! En mai 1820, Georges IV de Hanovre charge à son tour Gauss de prolonger à travers son royaume les mesures danoises. C’est le début d’une équipée harassante. Il faut bien sûr parcourir le pays, mais aussi déboiser pour pouvoir viser les points culminants (rochers, châteaux, clochers), construire des mires, des échafaudages. Gauss se révèle à cette occasion aussi habile expérimentateur que théoricien : il invente et fait construire un nouvel appareil de visée, l’héliotrope, qui projette un point lumineux au loin et permet de l’observer avec une grande précision. Ces travaux l’absorberont cinq ans. En 1825, fatigué, victime également d’une voiture qui verse, il abandonne pour se consacrer aux recherches géométriques que ces triangulations à grande échelle n’ont pu manquer d’inspirer à son esprit créateur. Avant d’y venir, signalons que Georges IV fera reprendre les mesures en 1828. Elles dureront jusqu’en 1844, en partie sous la conduite de Joseph Gauss, devenu militaire.

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Portrait de Gauss en 1828, lithographie de Siegfried Bendixen.

Croquis de Gauss pour la triangulation du royaume de Hanovre.

Là où d’autres n’auraient vu qu’un travail pratique difficile, Gauss a réfléchi à des considérations d’une puissance telle qu’elles devaient révolutionner de fond en comble la géométrie. Ces recherches sont fort techniques. Je me bornerai donc à l’évocation de deux aspects fondamentaux. Tout d’abord, il se rend compte que le fameux postulat des parallèles d’Euclide est en fait un axiome que l’on pourrait nier pour construire d’autres géométries tout aussi cohérentes. Conscient de la portée révolutionnaire de sa découverte, il écrit à Bessel, en 1829, Il est maintenant probable qu’il me faudra longtemps avant de trouver le loisir de mettre au point mes très vastes travaux en la matière, et peut-être cela ne se fera-t-il jamais de mon vivant, car je crains les vociférations des béotiens le jour où j’exprimerais toute ma pensée. Cette auto-censure assez méprisante peut se comprendre. D’une part, il est clair que Gauss surpasse, et de loin, ses contemporains, à part peut-être les deux étoiles filantes Abel (1802-1829) et Galois (1811-

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1832). Par ailleurs, il a été échaudé par certaines expériences antérieures. Ainsi le philosophe Hegel (1770-1831) avait publié, juste avant la découverte des astéroïdes entre Mars et Jupiter (les planètes Neptune et Pluton restaient encore à découvrir) une thèse (Dissertatio philosophica de orbitis planetarum) selon laquelle seules les sept planètes connues pouvaient exister. X. von Zach répondit vertement que c’était du vandalisme littéraire et que certains devraient commencer par apprendre avant d’enseigner, ajoutant que la philosophie de Hegel non seulement n’a pas engendré la moindre découverte, mais a même empêché qu’il s’en produise. Lorsque les écrits de Hegel seront republiés en 1842, y compris cette thèse inepte, Schumacher, encore plus sarcastique, écrira à Gauss que les admirateurs de Hegel aient fait paraître dans ces œuvres la fameuse thèse de doctorat n’est guère une preuve de respect. Parmi les fils de Noé, il y en a eu un quand même pour couvrir la nudité de son père, mais les hégéliens ont encore arraché le manteau que le temps et l’oubli avaient charitablement étendu sur les parties honteuses de leur maître. Gauss, plus laconique, répond à son ami en parlant de l’insanie de la thèse en question. Enfin, toujours à propos du caractère difficile de Gauss, il faut ajouter que de nouveaux malheurs personnels n’arrangent rien. Sa seconde épouse est tuberculeuse depuis 1818. Eugen, très doué pour les mathématiques comme pour les langues, se méconduit gravement et se couvre de dettes à Göttingen où son père, fondant sur lui de grands espoirs, l’a inscrit comme étudiant. Il mine ainsi encore davantage la santé de sa mère qui meurt, le 12 septembre 1831, âgée de 43 ans seulement. En 1830, Eugen finira par émigrer en Amérique. Il y fera fortune, deviendra propriétaire de minoteries, d’une scierie et fondera même la First National Bank. Il aura sept enfants et se réconciliera avec son père. Son frère Wilhelm émigrera également en Amérique sept ans plus tard, en 1837. Il y sera fermier, grossiste en chaussures, fera aussi fortune et aura huit enfants. Toute la descendance de Gauss vit donc actuellement aux Etats-Unis. En effet, Thérèse, la cadette s’occupera du ménage de son père et de sa grand-mère maternelle (devenue aveugle, elle mourra en 1839) jusqu’à la mort de Gauss, en 1855. Mariée tardivement, elle n’aura pas d’enfant. Joseph aura un seul fils, Carl. Professeur de gynécologie à Wurtzburg, Carl sera le dernier de la famille à porter le nom de Gauss en Allemagne. Quant à Minna, j’en

19

parlerai plus loin.

Portrait au crayon de Gauss en 1832, par Johann B. Listing (lui-même mathématicien).

L’autre apport, aussi génial que colossal de Gauss, à la géométrie est son célèbre traité Disquisitiones generales circa superficias curvas (Recherches générales sur les surfaces courbes). A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Gauss, la Société Mathématique de France a reproduit ce livre merveilleux : sur la page de gauche le texte originel, sur celle de droite sa traduction anglaise. Il fourmille de découvertes cruciales. Parmi celles-ci, la notion de courbure totale (on dit aussi maintenant courbure de Gauss) d’une surface, développée de manière intrinsèque, c’est-à-dire sans nécessité d’immerger la surface en question dans , ce qui paraît a priori bien invraisemblable . 3

20

Courbure totale d’une surface, comme produit de ses deux courbures principales.

Deux pages du livre de la S.M.F.

21

Pour les professeurs, je vais tâcher de résumer ce théorème fondamental. Soit ( , )M u v le point générateur de la surface que je suppose ici, pour simplifier, deux fois continûment différentiable. La première forme quadratique de la surface exprime essentiellement la distance entre deux de ses points : , où ds 2 2 2 ds E du F du dv G dv= + + 2

2

MEu

∂=

∂ , M Mu v

F ∂ ∂= ×∂ ∂ (le symbole×désignant le produit scalaire),

2

MGv

∂= ∂. La seconde forme quadratique 2 2 2 ' "D du D du dv D+ + dv ,

que je renonce à écrire en détail, fait intervenir - c’est là le point essentiel à bien comprendre - la normale à la surface. Disons seulement que D , 'D et "D s’expriment techniquement comme

produits mixtes de Mu

∂∂ ,

Mv

∂∂ et, respectivement, des dérivées secondes

de M par rapport à et , divisés par u v 2EG F− . Qui dit normale dit évidemment immersion dans l’espace ambiant. Mais Gauss prouve

d’abord que la courbure totale 1R se calcule par la formule

2

2" 'EG F

DD D−− .

Ensuite il démontre que 2" 'DD D− peut s’exprimer au moyen exclusif de E , , et de leurs dérivées (Que les spécialistes de la géométrie différentielle excusent mes raccourcis téméraires). Et le miracle se produit !

F G

Je reviens un instant à la géométrie non euclidienne. D’autres partagent, de façon indépendante (puisque Gauss n’a rien daigné publier) l’honneur de la découverte, surtout Lobatchevski et Janos Bolyai, fils de Farkas. Le jeune Bolyai sera, à juste titre, ulcéré de la réaction dédaigneuse de Gauss (il écrira à Farkas que ces résultats dataient chez lui de trente ans). Gauss traitait pourtant Janos en d’autres circonstances avec beaucoup de considération. Il en résultera, et c’est encore plus pénible une brouille sévère entre les Bolyai. Je ne peux, sans allonger l’exposé de façon démesurée par de nombreux prérequis physiques, que mentionner les fécondes recherches de Gauss dans le domaine du magnétisme terrestre et de

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l’électromagnétisme, en collaboration avec son ami Wilhelm Weber (l’unité d’induction magnétique s’appelle désormais le gauss). Gauss et Weber construiront même en 1834, bien avant Edison, le premier télégraphe de l’histoire. Ils communiquaient, à deux kilomètres de distance, à la vitesse de neuf lettres à la minute. Ce télégraphe sera détruit par un orage en 1845. Gauss relatera l’incident de façon pittoresque, expliquant qu’il n’y eut aucun dommage, si ce n’est que des fragments de fils incandescents ont troué le chapeau d’une dame.

Réplique du télégraphe de Gauss et Weber, au Deutsches Museum de Munich

Schéma de ce télégraphe

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En fait leur collaboration sera brutalement interrompue dès 1838 par la révocation de Weber qui avait signé avec six autres professeurs d’université un manifeste contre le viol autoritaire de la constitution par le nouveau roi de Hanovre, Ernest Auguste. Parmi les révoqués figurait Heinrich Ewald, professeur de langues orientales et mari de Minna, fille de Carl Friedrich et Johanna Gauss. Ils devront chercher un autre emploi, bien loin, à Tübingen. D’autres, plus mal lotis encore, furent carrément exilés. Gauss devait écrire à Alexandre von Humboldt ces mots très révélateurs de son tempérament Ma fille est partie avant-hier pour Tübingen avec Ewald. Je n’ai aucunement tenté de m’employer en faveur de celui-ci, étant donné que je suis opposé, par nature, à faire jouer des considérations personnelles. Pour Göttingen sa perte sera lourde. Certes, je suis plus douloureusement affecté encore d’être séparé de ma fille. Minna devait mourir, sans enfant, deux ans plus tard, en 1840. Politiquement, Gauss apparaît comme très conservateur. A l’occasion des révoltes de 1848, il écrira cependant à Bolyai Je nourris toujours l’espoir, il est vrai, que des résultats positifs en sortiront, mais la période de transition commencera par entraîner des embarras multiples, et elle risque de durer longtemps. A notre âge, il est toujours douteux que l’on parvienne encore à l’âge d’or envisagé jadis. Le fond de sa (courte) doctrine sociale semble résumé là. Le calme et la recherche scientifique avant tout ! Gauss avait toutefois en politique un côté sympathique : l’horreur de la violence. Il semble avoir été sentimentalement brisé à la mort de Johanna et de Louis. Toujours il cherchera la paix dans l’étude. Hanté par un génie scientifique précoce et tyrannique, il mêlera souvent sa passion initiale à un véritable réflexe de fuite. Ses goûts révèlent un homme sensible, à la vie volontairement modeste, foncièrement honnête, imperméable aux honneurs, mais de plus en plus énigmatique et renfermé. En 1838, après le départ forcé de sa fille, il s’absorbera dans l’étude du russe, en particulier des poètes, au point de stupéfier quatre ans plus tard l’astronome Ivan Simonov par la finesse de ses commentaires. Son attitude, je l’ai déjà fait remarquer à plusieurs reprises, est souvent paradoxale. Il n’aime guère les contacts directs, mais écrira plus de sept mille lettres. Il rendra hommage à de jeunes brillants mathématiciens, mais en terrorisera d’autres par sa réputation. En voici un exemple. D’une part, lorsque Riemann présente à

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Göttingen sa thèse d’agrégation, Gauss choisit, contrairement aux usages, le troisième thème proposé. Il se demande en effet comment un aussi jeune homme a bien pu traiter un sujet fort difficile. Riemann y creuse encore davantage les idées de Gauss en calcul tensoriel (vocabulaire actuel) et en géométrie différentielle. Gauss, ébloui, fait part à Weber et à Dedekind de son admiration. Mais d’autre part le jeune Abel, venu de sa Norvège natale et de passage en Allemagne, écrira À Göttingen, je ne resterai que peu de temps, puisqu’il n’y a rien à y gagner. Gauss est inabordable et la bibliothèque ne peut pas être meilleure qu’à Paris. En 1829, Gauss écrira à Schumacher La mort d’Abel, que je n’ai vue annoncée dans aucun journal, est une bien grande perte pour la science. Si par hasard on imprimait ou devait imprimer quelque chose touchant les circonstances de la vie de cet esprit éminemment distingué, et que cela tombât entre vos mains, je vous prie instamment de me le communiquer. Je désirerais aussi avoir son portrait, s’il est possible de se le procurer. Humboldt, avec qui j’ai parlé de lui, avait le désir marqué de tout faire pour l’attirer à Berlin.

Portrait de Gauss en toge, par Rudolf Wimmer, dans la salle d’honneur du Deutsches Museum de Munich.

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Le 16 juillet 1849, Göttingen fêta Gauss à l’occasion du cinquantième anniversaire de son doctorat. Les rues étaient fleuries partout sur son passage et les bourgeois s’étaient endimanchés. Face à Jacobi et Dirichlet, il profita de ce jubilé pour donner sa nouvelle et dernière démonstration du théorème fondamental de l’algèbre. Gauss était un homme robuste. Il est mort le 23 février 1855, âgé de près de 78 ans, ce qui est vraiment très vieux à cette époque. Jamais malade, toujours lucide et caustique, il écrira, des médecins de son temps la phrase suivante, digne de Molière Leur science ne vaut pas plus que l’astrologie, mais ils ont mieux réussi à en faire accroire au peuple.

Gauss sur son lit de mort, en février 1855

L’ultime portrait de Gauss est une véritable photographie, selon le procédé de Daguerre. Le chirurgien Wagner a prélevé son cerveau, pensant y trouver la trace de son génie ! Tout ce qu’il put dire est que l’organe pesait 1492 grammes, ce qui est à peine supérieur à la moyenne, et qu’il comportait des circonvolutions très riches. Il en a même laissé un croquis. Wagner devait encore récidiver dans ses recherches, dont nous savons maintenant à quel point elles étaient vaines, en continuant à examiner, post mortem, les cerveaux des professeurs de Göttingen qui lui avaient donné leur accord à cette fin. En 1861, son collègue et rival Broca

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déclara Les hommes de génie sont rares partout et il est peu probable qu’il en soit mort cinq, en cinq ans, à l’université de Göttingen. Une toge de professeur n’est pas nécessairement un certificat de génie; il peut même exister, y compris à Göttingen, des chaires occupées par des hommes peu remarquables. Pour une fois, en dépit de l’inanité de ses propres recherches en la matière, Broca disait vrai. A méditer, en tout cas, dans toutes les universités du monde, surtout justement à propos de ceux qui s’y croient très importants ! Moins macabres et plus réalistes, les mathématiciens et les physiciens d’aujourd’hui retrouvent le génie de Gauss à tout instant dans son œuvre, qui reste à jamais l’une des plus belles de l’aventure humaine. N’est-ce pas mieux ainsi ?

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