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LE MARABOUT

ET LE PRINCE

(Islam et pouvoir au Sénégal)

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I N S T I T U T D ' É T U D E S P O L I T I Q U E S D E B O R D E A U X

C E N T R E D ' É T U D E D ' A F R I Q U E N O I R E

SÉRIE

AFRIQUE NOIRE

1 1

Sous la direction de

D . G . L A V R O F F

Directeur scientifique du Centre d'Etude d'Afrique noire

Christian COULON Chargé de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique

LE MARABOUT

ET LE PRINCE

(Islam et pouvoir au Sénégal)

É D I T I O N S A . P E D O N E

13, Rue Soufflot, 13

P A R I S

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« La loi du 11 mars 1957 n 'autorisant , aux termes des alinéas 2 et 3 de l 'article 41, d 'une part , que les « copies ou reproductions strictement réservées à l 'usage privé du copiste et non destinées à une ut i l isat ion collective » et, d 'autre part , que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d ' i l lustrat ion, « toute représentat ion ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l 'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est i l l icite» (alinéa 1 de l 'article 40).

Cette représentat ion ou reproduction, par quelque procédé que ce soit consti- tuera i t donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. »

© ÉDITIONS A. PEDONE - PARIS - 1981.

I.S.B.N. 2-233-00100-1

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Ofrissi aqueth obratge a mas duas mainadas, Joana apèi Laura que vaduren pendent sa realisacion. Lurs rides coma lurs plurs an acoitat ma reflexion, tot en m'ensenhans la relativitat de l'ideau scientific. Egau, esperi qu'un jorn, quan poiràn lugir aqueth libre, i trobaràn la riquesa d'un monde que me m'inicièt à l'univèrs de la diferéncia.

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A V A N T - P R O P O S

Cet ouvrage est issu d'une thèse de doctorat intitulée : Pouvoir maraboutique et pouvoir politique au Sénégal, soutenue à l 'Institut d'études politiques de Paris en 1977, sous la direction de M. le Professeur M. MERLE. Depuis, j 'ai eu l'occasion de poursuivre mes travaux sur l'Islam sénégalais, dans le cadre de mes activités de chercheur au Centre national de la recherche scientifique. Cela m'a permis de compléter, d'actualiser et quelquefois de modifier mes analyses précédentes.

Cette recherche n'aurait pas été possible sans le soutien du Centre d'étude d'Afrique noire de Bordeaux, et également de l 'Institut fondamental d'Afrique noire de Dakar et du Centre de documentation et de recherche du Sénégal de Saint-Louis que je tiens ici à remercier.

Ce travail doit aussi beaucoup à mes amis sénégalais, et en particulier à Cheikh Khataba SECK et à Mamadou DEME, qui n'ont pas ménagé leurs efforts pour m'introduire dans le monde fascinant des confréries.

Par ailleurs, les débats fréquents et amicaux que j 'entretiens depuis longtemps avec Jean COPANS et Donal CRUISE O'BRIEN sur l'analyse sociologique et politique de l'Islam au Sénégal ont été un stimulant permanent dans mon travail.

Je voudrais enfin exprimer toute ma gratitude et mon amitié à Brigitte POIRIER et Micheline COMMET qui ont relu et tapé mes manuscrits successifs, à Hélène BOURROUILHOU qui m'a très genti- ment aidé à relire les épreuves, et par-dessus tout à François CONSTANTIN qui a veillé sur mon travail et l'a suivi depuis plus de dix ans.

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Certes, je comprends que vous vous trouviez à votre aise sur tel îlot de l'Archipel depuis longtemps stabilisé, qui a gardé quel- ques ombrages sous lesquels vous avez découvert des sources limpides, cueilli des pommes et des fraises, tressé des hyacinthes en couronne. Et que vous le préfériez, à tout prendre, à ce volcan furieux qui est sorti des flots près de votre rivage avec un grand tumulte, au milieu des vapeurs sifflantes, des flammes tordues, des pierres et des cendres pleuvant de tous côtés. Mais, prenez-y bien garde. Son apparition prouve justement que la terre n'a pas cessé de trembler et que si votre îlot s'abime d'un seul coup sous les eaux bouleversées, vous ne regretterez pas de trouver quelque banc de limon brûlant où vous pourrez vous cramponner en atten- dant mieux, même s'il est situé aux abords de cette contrée indé- cente.

Elie FAURE

(Découverte de l'archipel, 1932).

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A B R É V I A T I O N S

A.N.S. : Archives nationales du Sénégal.

C.E.A.N. : Centre d'étude d'Afrique noire (Bordeaux).

C.H.E.A.M. : Centre des hautes études d'Afrique et d'Asie modernes (Paris).

E.N.A.S. : Ecole nationale d'Administration du Sénégal.

E.N.E.A. : Ecole nationale d'économie appliquée (Dakar).

E.N.F.O.M. : Ecole nationale de la France d'Outre-mer.

I.F.A.N. : Institut fondamental d'Afrique noire.

O.R.S.T.O.M. : Office de la recherche scientifique et technique outre-mer.

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I N T R O D U C T I O N

PRÉSENCE MARABOUTIQUE

Lorsque, voilà plus de dix ans maintenant, j 'ai entrepris ma recherche sur les marabouts du Sénégal, j 'ai eu l'impression d'aller à contre-courant. On m'expliquait que mon sujet n'était pas de mise, qu'il ne constituait pas une « grande question » susceptible de m'ouvrir, par la voie royale, les portes de l'Université. Je n'étais pas dans le vent. A l'heure où l'on parlait de « développement » et « d'intégration nationale », pourquoi porter son attention sur ce qui paraissait relever de « l'archaïsme » ou de l'Afrique « tradi- tionnelle » ? Je n'étais pas dans le sens de la marche de l'Histoire. Je m'intéressais à quelque chose de dépassé, de résiduel, qui était appelé à disparaître devant le « progrès ». J 'aurais dû laisser mes marabouts entre les mains des historiens ou des anthropologues. Les observateurs les plus avertis des affaires sénégalaises m'accor- daient volontiers que l'Islam maraboutique représentait dans ce pays une « force politique », mais de là, comme je le proposais, à faire une lecture de la société politique sénégalaise à travers la dynamique de l'Islam, il y avait une distance que, me disait-on, il n'était pas scientifiquement légitime de franchir.

Seule ma foi m'a sauvé. Elle s'alimentait de la lecture de l'œuvre pionnière de P. Marty (1) qui insistait, avec tout son savoir d'ara- bisant et tout son réalisme d'administrateur colonial, sur l'omni- présence de cette religion populaire dans la vie quotidienne des « indigènes » du Sénégal. Or, ce que j'observais autour de moi me permettait d'entrevoir la permanence du phénomène maraboutique, son actualité vivante, plus de cinquante ans après la publication du livre de P. Marty... et dix ans après l'indépendance du pays. En 1969, je me rendais aux grands pélerinages de l'Islam sénégalais,

(1) Marty (P.) : Etudes sur l ' Is lam au Sénégal, Par is : Leroux, 1917, 2 t.

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d'abord au magal de Touba, puis au gamou de Tivaouane, pour sentir l 'atmosphère de cette religion populaire. Je n'en retournais guère avec l'impression que ces manifestations tenaient d'un folk- lore religieux en voie d'extinction ou traduisaient les derniers relents d'une féodalité submergée par l'Histoire. Bien au contraire, je voyais des centaines de milliers de fidèles se presser dans les mosquées et aux portes des résidences de leurs chefs religieux ; je voyais des foules ferventes évoluant dans une formidable fête populaire où les conteurs et les gargotiers, dans une poussière aveuglante et au milieu d'une agitation indescriptible, cherchaient à attirer l'attention des pèlerins. Lourdes et la foire du Trône. Les grands pèlerinages de l'Occident médiéval. L'exubérance et les senteurs d'une fête orientale. Je notais aussi l'empressement des responsables politiques, des hauts fonctionnaires ou des grands commerçants, bref de toute une « élite moderne », à rendre hommage aux marabouts, à se montrer publiquement en leur pré- sence, à faire preuve de zèle à leur égard, à leur apporter des oboles et des cadeaux somptueux. J'étais sans doute très loin de mes ma- nuels de science politique, mais je palpais dans toute son ambiguïté une réalité vivante. Je choisissais l'Afrique vécue contre le futu- risme hasardeux des prophètes de l'Histoire ou des théoriciens- idéologues de l'Etat, qui se rejoignaient pour reléguer dans le ré- duit de la « tradition » des phénomènes sociaux que leurs démar- ches s'avéraient incapables d'appréhender dans leur dynamisme, qui confondaient « modernisation » et développement selon les modèles des sociétés dites industrielles. Ce qui me frappait au con- traire, c'était la façon dont cet Islam maraboutique et populaire s'adaptait aux changements sociaux, économiques et politiques, à tel point qu'il constituait un enjeu pour la classe dirigeante, qui, malgré son discours « développementaliste », cherchait à capter à son profit une religion qui, loin de s'étioler, montrait une vigueur étonnante.

Aujourd'hui, les événements de l'actualité musulmane, au Sé- négal comme ailleurs, témoignent de la vitalité des idéologies et pratiques musulmanes. J 'admets volontiers que l'activisme et le militantisme islamiques ont progressé dans les pays musulmans, au cours de ces dernières années, de façon spectaculaire, à tel point que se pose aujourd'hui dans ces sociétés une « question musul- mane » que l'on ne pouvait guère entrevoir il y a une dizaine d' années ; j 'ai aussi le sentiment que cet activisme et ce militan- tisme sont liés à une crise des valeurs et à une crise hégémonique, dues en grande partie à des contradictions entre la « société poli- tique » et la « société civile », entre l'action de l'Etat et les « modes

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populaires d'action politique », pour reprendre l'expression, heu- reuse, de J.F. Bayart (2). Cependant, l'Islam n'exprime ces crises que parce que les idéologies et pratiques islamiques ont travaillé en profondeur et depuis fort longtemps le champ du changement social, qu'elles se sont immiscées dans tous ses interstices, qu' elles en ont façonné les mouvements, et qu'ainsi un nouveau tissu social a vu le jour qui peut éventuellement apparaître comme une alternative sociale et politique. Depuis des siècles se déroule dans le monde musulman un jeu complexe et jamais achevé entre Islam et société. Face à tous ceux qui s'attachent à monter en épingle l'explosion de l'Islam (la « grande peur » de l'Islam destinée à pro- voquer le « réveil de l'Occident »), il convient de mettre en relief le dynamisme (dont on peut bien sûr discuter les modalités et les finalités) qu'il a manifesté, dans l'ombre ou au grand jour, devant les changements rapides et fondamentaux qui ont traversé les so- ciétés musulmanes, en particulier depuis la colonisation. Et ce que l'actualité nous met ces derniers mois sous les yeux n'est que l'épi- sode d'une longue histoire... G.H. Jansen, dans un livre récent sur l'Islam militant, a très justement mis l'accent sur la récurrence de tels phénomènes (3). Le Sénégal, plus discrètement sans doute que l'Iran ou l'Afghanistan, est un exemple fort éclairant qui souligne que l'histoire de l'Islam ne saurait être dissociée de celle de la société, qu'au fond le « développement » ou la « modernisation » ne sont guère parvenus à bloquer la vigueur d'une religion plus que jamais populaire.

En 1969, lors de mon premier séjour au Sénégal, l'Islam ne se présentait sans doute pas sous des formes aussi actives que celles qu'il a prises depuis. Il n'y avait pas de « parti de Dieu », les « écoles arabes » n'étaient pas aussi nombreuses qu'aujourd'hui, et l'on n'organisait pas des chants religieux sur le campus de Dakar. Cependant, la vie musulmane était intense ; et au fur et à mesure que mon enquête progressait mes impressions premières, quant à l'emprise que celle-ci exerçait dans la société en général et dans la société politique en particulier, se confirmaient. Plus j 'avançais dans ma recherche, et plus il me semblait légitime, en tant que politologue, d'associer Islam et changement politique. Mais pour que se précisât ma problématique il fallait lever quelques préala- bles d'ordre méthodologique, historique et culturel ; et ces différents éléments me paraissent encore aujourd'hui indispensables à une

(2) Bayart (J.F.) : L 'Etat au Cameroun, Par is : Presses de la Fondat ion nationale des sciences politiques, 1979.

(3) Jansen (G.H.) : Militant Islam, Londres : Pan Books Ltd, 1979.

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bonne compréhension du phénomène musulman au Sénégal et de l'approche que j 'ai choisie pour l'étudier.

D'abord, il était nécessaire de jeter un regard critique sur toute la littérature, qui commençait à être abondante, issue de la jeune science politique africaniste. Mon propos n'était pas de la rejeter systématiquement, mais plutôt d'expliquer les fausses pistes dans lesquelles elle s'engouffrait. Mon hypothèse sur le dynamisme de l'Islam au Sénégal ne pouvait en effet s'accommoder de l'ethnocen- trisme et de l'évolutionnisme qui me semblaient caractériser les analyses politiques de l'Afrique. Ma première tâche consista donc à décortiquer ces théories dominantes et à proposer un cadre conceptuel nouveau pour l'étude des sociétés politiques africai- nes (4).

Je soulignais notamment que la plupart des auteurs avaient trop tendance à porter leur attention sur le « centre », sur les élé- ments les plus apparents et les plus formels du politique. Tout se passait comme si les institutions de l'Etat, l'élite « moderne », les partis et leur idéologies avaient le monopole du politique. Dans cette perspective, tout le reste apparaissait comme résiduel, comme condamné par le « développement », ou comme obstacle à la « mo- dernisation ». Cela revenait, en somme, à prendre le langage de l 'Etat et de ses « modernisateurs » nationaux ou étrangers pour argent comptant. « Trop souvent, comme H. Bienen l'a fort bien expliqué, les phénomènes politiques des nouveaux Etats furent décrits comme si les intentions étaient des faits, comme si le verbe s'était fait chair » (5). Cette perspective téléologique, qui tendait à surévaluer « le pouvoir du pouvoir », a marqué non seulement et très naturellement la démarche institutionnaliste, pour laquelle l'Etat est l'élément constitutif du politique, mais aussi celles, certes plus novatrices, des théoriciens du « développement politique » qui virent les seules forces et idéologies « modernisantes » dans les élites et les structures sociales issues de la culture occidentale.

Une telle science politique est trop élitiste et ethnocentrique pour être à même de saisir les mécanismes sociaux et politiques dans toute leur complexité (6). Elle correspond parfaitement à l'idéolo- gie dominante de nos sociétés « modernes » selon laquelle toute

(4) Cf. C o u l o n (Ch.) : « S y s t è m e p o l i t i q u e e t soc ié t é d a n s l e s E t a t s d ' A f r i q u e n o i r e : à l a r e c h e r c h e d ' u n c a d r e c o n c e p t u e l n o u v e a u », R e v u e f r a n ç a i s e de s c i ence p o l i t i q u e , vo l . XXII , n° 5, 1972, p p . 1049-1073.

(5) B i e n e n (H.) : T a n z a n i a : P a r t y T r a n s f o r m a t i o n a n d E c o n o m i c D e v e l o p - m e n t , P r i n c e t o n : P r i n c e t o n U n i v e r s i t y P r e s s , 1970, p. 5.

(6) P o u r u n e c r i t i q u e r é c e n t e de l a sc ience p o l i t i q u e a f r i c a n i s t e , v o i r l ' a r t i - cle de J. C o p a n s : « A c h a c u n sa p o l i t i q u e », C a h i e r s d ' é t u d e s a f r i c a i n e s , vol . XVIII , c a h i e r s 1-2, 1978, pp . 93-113.

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é v o l u t i o n e t t o u t p r o g r è s d o i v e n t ê t r e i m p u l s é s e t o r g a n i s é s p a r u n

« c e n t r e » , u n e « a v a n t - g a r d e » , u n e « b u r e a u c r a t i e r a t i o n n e l l e » .

L ' a n a l y s e m a r x i s t e n ' e s t p a s t o u j o u r s e x e m p t e d e c e s t r a v e r s . S i

e l l e a e u l ' i m m e n s e m é r i t e d e s o u l i g n e r l ' i m p o r t a n c e d e l a d é p e n -

d a n c e e t d e s t r a n s f o r m a t i o n s q u e c e l l e - c i i n d u i s a i t d a n s l e s s o c i é t é s

n é o - c o l o n i a l e s , e l l e n ' a p a r c o n t r e p a s v u q u e l a d o m i n a t i o n n ' i m -

p l i q u a i t p a s q u e l e s s o c i é t é s a f r i c a i n e s s o i e n t i m m o b i l i s é e s , g e l é e s ,

a r r ê t e n t l e u r h i s t o i r e . D ' a u t r e p a r t , l ' é v o l u t i o n n i s m e , v o i r e l e p r o -

p h é t i s m e h i s t o r i q u e d o n t l e m a r x i s m e , n o t a m m e n t d a n s s a v e r s i o n

s t a l i n i e n n e , a é t é i m p r é g n é , a a m e n é c e l u i - c i à n é g l i g e r l ' é t u d e d e s

m o u v e m e n t s s o c i a u x q u i n e s e s i t u a i e n t p a s d a n s l e g i r o n d e s

« c l a s s e s f o n d a m e n t a l e s » . L e s s o c i é t é s p a y s a n n e s , e t p l u s g l o b a -

l e m e n t t o u t l e c h a m p d e c e q u e l ' o n a a p p e l é u n p e u v i t e « l a t r a d i -

t i o n » , é t a i e n t p e r ç u e s c o m m e d e s f o r c e s s t a t i q u e s e t c o n s e r v a t r i c e s ,

i n c a p a b l e s , p a r n a t u r e , d e p o r t e r l e c h a n g e m e n t . Q u a n t a u x i n i t i a -

t i v e s p o p u l a i r e s q u e c e t t e « s o c i é t é t r a d i t i o n n e l l e » é t a i t s u s c e p t i b l e

d e p o r t e r , n o t a m m e n t p a r l e s m o u v e m e n t s r e l i g i e u x , l ' a p p r o c h e

m a r x i s t e , e t c e l a d e p u i s l a c é l è b r e é t u d e d e F . E n g e l s s u r l a g u e r r e

d e s p a y s a n s e n A l l e m a g n e , s i e l l e r e c o n n a i s s a i t l a d i m e n s i o n p o l i -

t i q u e d e t e l s p h é n o m è n e s , l e s r é d u i s a i t s o u v e n t à u n e s o r t e d e l a n -

g a g e p i é g é , f r u i t d ' u n e « c o n s c i e n c e f a u s s e » .

D e v a n t c e s d i f f é r e n t e s v e r s i o n s d e l ' e t h n o c e n t r i s m e s o c i o l o g i q u e ,

j e p e n s e q u ' i l e s t i m p o r t a n t d ' a f f i r m e r , à l a s u i t e d e p i o n n i e r s

c o m m e G . B a l a n d i e r , q u e l e s é l i t e s « é c l a i r é e s » e t l e s i n s t i t u t i o n s

c e n t r a l e s n ' o n t p a s l e m o n o p o l e , l o i n s ' e n f a u t , d u c h a n g e m e n t , e t

q u e l e s « s o c i é t é s t r a d i t i o n n e l l e s » s o n t e n p e r p é t u e l l e m u t a t i o n .

E l l e s s o n t c r é a t r i c e s d ' h i s t o i r e . L ' I s l a m m a r a b o u t i q u e d u S é n é g a l

s e p r é s e n t e b i e n c o m m e u n c h a m p a u t h e n t i q u e m e n t p o l i t i q u e d a n s

l e q u e l v i e n n e n t s ' i n v e s t i r d e s a c t i o n s e t d e s g r o u p e s s o c i a u x d i f f é -

r e n t s , v o i r e a n t a g o n i s t e s . C ' e s t q u e l e c h a m p r e l i g i e u x e s t u n l i e u

d e p o u v o i r e t d e r é s i s t a n c e , d ' i n t é g r a t i o n e t d ' a u t o n o m i e . L o i n d e

p o u v o i r ê t r e c o n s i d é r é c o m m e u n e « r é s e r v e e t h n o l o g i q u e » o u

« a r c h a ï q u e » i l e s t a s s o c i é d e p u i s d e s s i è c l e s à l ' h i s t o i r e d e s p e u -

p l e s s é n é g a l a i s . L a c o l o n i s a t i o n e t l a d é c o l o n i s a t i o n n ' y o n t r i e n

c h a n g é .

C e t t e p r o f o n d e u r h i s t o r i q u e d e l ' I s l a m a u S é n é g a l e s t u n p o i n t

d e r é f é r e n c e i m p o r t a n t p o u r q u i v e u t c o m p r e n d r e s a s i t u a t i o n

d a n s l a p é r i o d e c o n t e m p o r a i n e .

L ' I s l a m e s t e n e f f e t p r é s e n t a u S u d d u S a h a r a d e p u i s p r è s d e

d i x s i è c l e s . I l a f o r t e m e n t m a r q u é l e s m o d e s d e v i e d e s p o p u l a t i o n s

q u ' i l a a t t e i n t e s . L ' I s l a m d ' A f r i q u e n o i r e n ' e s t p a s l a r e l i g i o n i m -

p o r t é e e t s u p e r f i c i e l l e q u e t o u t e u n e l i t t é r a t u r e s i m p l i s t e p r é s e n t e .

I l n ' e s t p a s d o u t e u x q u e l ' I s l a m s e s o i t a c c o m m o d é d e f o r m e s c u l t u -

r e l l e s e t s o c i a l e s a n c i e n n e s . M a i s c e t t e a d a p t a t i o n , q u i e s t l e p r o p r e

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de toutes les situations de changement, ne signifie pas que la reli- gion nouvelle ait été absorbée par la société « animiste ». Il y a eu dépassement, innovation. Partout où l'Islam a durablement pénétré, il a donné naissance à une société nouvelle, à un autre style de vie, à de nouvelles solidarités sociales. Il en est ainsi arrivé à devenir une sorte de cadre de référence, un langage à travers lequel la société pense, agit, se transforme.

Il convient toutefois de reconnaître que ce cadre de référence ne s'est mis en place que très lentement, ne serait-ce que parce que certaines sociétés sénégalaises, comme les Sérère ou les Diola, ne se sont converties en masse à l'Islam qu'assez récemment. Pendant des siècles l'Islam fut d'abord la religion des princes. Si les histo- riens signalent sa présence depuis le XI siècle sur les rives du Sénégal, notamment au Fouta-Toro, il faut attendre la fin du XVII siècle et surtout du XVIII siècle pour que s'amorce un véri- table mouvement populaire en faveur de l'Islam, et cela dans des conditions politiques bien particulières. Il ne s'agit plus en effet d'un Islam venu d'en haut, mais au contraire d'un Islam de révoltés, lié à des protestations populaires contre les aristocrates en place. Il s'agit donc alors d'un Islam qui exprime et canalise un mécon- tentement social et politique et qui se retourne contre les autorités en place, même si celles-ci s'attachent à le récupérer à leur profit. Ce mouvement continua avec la colonisation. D'abord, bien sûr, au niveau des conversions, au point qu'aujourd'hui on peut raisonna- blement estimer qu'environ 85 % de la population sénégalaise est d'obédience musulmane. Mais la religion musulmane progressa aussi à un niveau social et politique ; car, de façon plus ou moins sourde et implicite, elle délimita un champ social particulier rela- tivement (peut-être faussement) autonome, relevant des initiatives propres des sociétés indigènes, des « dominés ». Le colonisateur, et plus tard la classe dirigeante sénégalaise, le comprirent fort bien et c'est pourquoi ils s'efforcèrent avec tant de détermination à amener ce champ religieux dans le giron de leur action, à l 'insti- tutionnaliser.

Cette dimension populaire de l'Islam sénégalais tient en grande partie aux caractères soufi, confrérique et maraboutique qui sont les siens.

L'Islam sénégalais en effet n'a pas grand chose à voir avec l'Islam légaliste et rigide des ulama, des docteurs de la loi. Il existe certes au Sénégal un courant religieux de ce type, issu de la Salafiyya et de la Wahhabiyya. Mais l'immense majorité des fidèles ne se reconnaît guère vraiment dans cet Islam d'intellectuels. Les musulmans sénégalais demeurent avant tout attachés au culte des

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saints, aux confréries et aux marabouts. Cet Islam là ne fait pas principalement appel à la connaissance rationnelle, aux textes sacrés comme tels, encore que le savoir soit prisé, mais plutôt au cœur et au geste, aux miracles et aux « guides », aux thauma- turges, voire aux mahdis.

L'Islam soufi, c'est bien sûr d'abord la recherche mystique des grands initiés s'abandonnant à la contemplation et à l'ascèse ; mais pour le fidèle ordinaire, le novice, le murid, (aspirant), c'est surtout la croyance aux vertus charismatiques des saints, c'est l'invasion du surnaturel dans le quotidien, c'est l'intense convi- vialité des grands rassemblements religieux comme les pèleri- nages, c'est l'émotion extatique des séances de chants religieux ou de la récitation du dhikr (7), lorsque (...) « les yeux demi-clos, le chapelet roulant lentement entre le pouce et l'index, ils invo- quent l'être suprême, demeurent attentifs aux palpitations de leur cœur, comme s'ils attendaient une manifestation spirituelle, un sentiment intime susceptible de dévoiler à leurs sens la présence de l'esprit divin... un commencement de la vision béatifique qui inondera de lumière leur conscience... » (8).

On peut dire avec H.A.R. Gibb que la force du soufisme « repo- se dans la satisfaction qu'il donne aux instincts religieux du peuple, instincts qui étaient dans une certaine mesure découragés et retenus par les enseignements abstraits et impersonnels des orthodoxes et qui furent soulagés par l'approche religieuse plus directement per- sonnelle et émotionnelle des soufis » (9).

Mais le succès populaire de l'Islam soufi tient aussi pour beau- coup à la critique implicite ou explicite qu'il effectue du pouvoir et de ses détenteurs. Parce qu'il fait du salut une affaire moins institu- tionnelle (respect de la loi musulmane) que les ulama, parce qu'il prône un certain détachement vis-à-vis des « fausses joies » que procure le monde terrestre, et que donc il tend à établir une distance (qui peut aller jusqu'à l'hégire ou à la révolte) à l'égard du pouvoir et de sa loi, il suscite la méfiance du prince, plus enclin tout naturel- lement à s'appuyer sur la religion plus légalitaire des savants et des jurisconsultes musulmans. Il n'est donc pas étonnant que le sou- fisme, comme le dit J. Chevalier, « ait inquiété théologiens, juristes,

(7) Dhikr : Invocation individuelle ou collective du nom de Dieu. Les for- mules d'invocation peuvent varier en fonction de la confrérie ou du degré d' initiation, mais commencent en général pa r le premier membre de la Shahada (profession de foi) : « L a ilah illa Al lah» (point de divinité excepté Dieu).

(8) Depont (O.) et Coppolani (X.) : Les confréries religieuses musulmanes, Alger : A. Jourdan, 1897, p. 156.

(9) Gibb (H.A.R.) : Islam. A Historical Survey, Oxford University Press, 1978, 3 édition, p. 92.

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p o s s é d a n t s e t p o l i c i e r s , t o u s les c u i s t r e s d e la l e t t r e e t t o u s l e s

t y r a n n e a u x d u p o u v o i r » (10) .

E n A f r i q u e d e l ' o u e s t , e t p l u s p a r t i c u l i è r e m e n t a u S é n é g a l ,

l ' é c h o q u ' a r e n c o n t r é e t q u e r e n c o n t r e t o u j o u r s a u p r è s d u p e u -

p l e l a p a r o l e d e s m a r a b o u t s s o u f i s p r o v i e n t p o u r u n e b o n n e p a r t d u f a i t q u ' e l l e a e x p r i m é , d e m a n i è r e p l u s o u m o i n s c o n f u s e ( t r o m -

p e u s e d i r a i e n t c e r t a i n s ) , le m a l a i s e e t l es a s p i r a t i o n s d e s « d o m i -

n é s ». Cet I s l a m l à r e p r é s e n t e d o n c u n e c u l t u r e p o l i t i q u e p o p u l a i r e

a u t h e n t i q u e , q u e b i e n e n t e n d u l a c l a s s e p o l i t i q u e d i r i g e a n t e v a t â -

c h e r d ' i n v e s t i r a f i n d ' e n a n n i h i l e r les p o t e n t i a l i t é s s u b v e r s i v e s , e n s ' a s s u r a n t l a c o l l a b o r a t i o n d e c e s v é r i t a b l e s c h e f s d e c o m m u n a u t é s

q u e s o n t les m a r a b o u t s .

Ces c o m m u n a u t é s , q u e s o n t - e l l e s a u j u s t e ? L o r s q u ' o n p a r l e d ' I s l a m s o u f i o n p e n s e s u r t o u t a u x c o n g r é g a t i o n s , a u x c o n f r é r i e s ,

a p p e l é e s t u r u q ( s i n g t a r i q a ) , q u i s o n t s o u v e n t a p p a r u e s a u x o b s e r -

v a t e u r s c o m m e d e v é r i t a b l e s g o u v e r n e m e n t s o c c u l t e s . E l l e s se s o n t

d é v e l o p p é e s d a n s t o u t le m o n d e m u s u l m a n à p a r t i r d u X I I I s i èc le .

S e l o n F . M . P a r e j a , o n e n c o m p t e r a i t a u j o u r d ' h u i d e u x c e n t s e n v i -

r o n (11) . C e r t a i n e s d ' e n t r e e l l e s o n t p r è s d e h u i t s i è c l e s d e r r i è r e

e l l e s e t d e s m i l l i o n s d e f i d è l e s é p a r s à t r a v e r s p l u s i e u r s c o n t i n e n t s .

C e p e n d a n t , l a p l u p a r t d e c e s c o n f r é r i e s n ' o n t a u c u n e o r g a n i s a t i o n

c e n t r a l i s é e e t s o n t é c l a t é e s e n d e m u l t i p l e s b r a n c h e s s o u v e n t i n d é -

p e n d a n t e s , v o i r e q u e l q u e f o i s o p p o s é e s l e s u n e s a u x a u t r e s . A u

S é n é g a l , l a p l u s a n c i e n n e d e ces c o n f r é r i e s e s t l a Q a d i r i y y a q u i

j o u a u n r ô l e i m p o r t a n t d a n s l ' i s l a m i s a t i o n d e s p o p u l a t i o n s d ' A f r i -

q u e a u s u d d u S a h a r a , g r â c e n o t a m m e n t a u x m a r c h a n d s e t a u x s a v a n t s d e T o m b o u c t o u . A l ' h e u r e a c t u e l l e , l e s f i d è l e s s é n é g a l a i s

d e l a Q a d i r i y y a s o n t p a r t a g é s e n t r e p l u s i e u r s c e n t r e s r e l i g i e u x o u

z a w i y a (12) d o n t l e s p r i n c i p a u x s o n t c e u x d e B o u t l i m i t e t de

N i m j a t t e n M a u r i t a n i e e t d e N ' D i a s s a n e ( p r è s d e T i v a o u a n e ) a u

S é n é g a l . L a p o p u l a r i t é d e l a Q a d i r i y y a e s t t o u t e f o i s e n d é c l i n . D e s

r é g i o n s e n t i è r e s , c o m m e le F o u t a - T o r o , a u t r e f o i s s o u s s o n o b é d i e n c e ,

s o n t p a s s é e s p r e s q u e t o t a l e m e n t d e p u i s le s i èc le d e r n i e r à u n e c o n -

f r é r i e p l u s d y n a m i q u e , l a T i j a n i y y a . Ce l l e -c i f u t f o n d é e à l a f in d u

XVII I s i è c l e p a r A h m e d a l T i j a n i , o r i g i n a i r e d u s u d a l g é r i e n . L a

v o i e t i d j a n e f u t i n t r o d u i t e a u s u d d u f l e u v e S é n é g a l p a r les t r i b u s

(10) Chevalier (J.) : Le soufisme et la tradition islamique, Paris : Retz, 1974, p. 191.

(11) Pare ja (F.M.) : Islamologie, Beyrouth : Imprimerie catholique, 1964. (12) Zawiya : l i t téralement « a n g l e » ou «co in» , et par extension monas-

tère ou hospice. Ce mot désigne plus largement un centre religieux confrérique, avec tout son complexe intellectuel, social et administrat i f .

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maures . Son succès a u Sénégal et au S o u d a n vient s u r t o u t de ce q u ' elle a su expr imer , m ieux que la vieille Qadi r iyya , conf rér ie é tabl ie et conservatr ice , les a sp i r a t ions popu la i r e s face a u x classes dir i- geantes t r ad i t ionne l l e s e t au colonisa teur .

Actuel lement , la T i j an iyya semble la p lus i m p o r t a n t e conf ré r ie du Sénégal de p a r le n o m b r e de ses adeptes . Mais, c o m m e la Qadir iyya, elle se t rouve divisée en p lus i eu r s g r o u p e m e n t s don t les p r i n c i p a u x sont celui dirigé p a r les d e s c e n d a n t s d 'El Hadj O m a r , p a r t i c u l i è r e m e n t bien imp lan t é a u p r è s des Toucou leur , celui de T ivaouane (sans dou te le p r inc ipa l cen t re t i d j a n e au Sénégal), celui de la famil le Niass à Kaolack, celui des H a ï d a r a en Casamance et

celui, le p lus récent , de Medina Gounass (dans l 'est du pays) qui est en extens ion cons tan te .

Mais il y a auss i au Sénégal des confrér ies m u s u l m a n e s locales. L a p lus i m p o r t a n t e est la conf rér ie mour ide , d o n t le fonda teu r ,

A m a d o u B a m b a (1850-1924), fu t le p r inc ipa l i n s t i ga t eu r de l ' I s l am en pays wolof au m o m e n t de la colonisat ion. La Mur id iyya étai t à l 'or igine t rès liée à la zawiya qad i r de Cheikh Sidia de Bout l imi t , ma i s elle est devenue c o m p l è t e m e n t i ndépendan te . Elle a son p r o p r e w i rd créé p a r son fonda t eu r . Au m o m e n t de l ' i ndépendance , on es t imai t que les m o u r i d e s r e p r é s e n t a i e n t p r è s de 20 % de la popu- la t ion m u s u l m a n e . L ' absence de s ta t i s t iques c o n c e r n a n t l ' appa r t e - nance conf ré r ique ne p e r m e t pas d ' appréc i e r avec exac t i tude sa s i tua t ion actuelle. On peu t cependant , s ans g r a n d s r i s q u e s de se t romper , a f f i rmer qu 'e l le s 'est développée de façon cons idérab le a u cours de ces v ingt de rn i è re s années , au point, d i sent cer ta ins , de t a lonne r la T i jan iyya . C'est que la M u r i d i y y a est u n e confrér ie for t d y n a m i q u e et r e l a t i vemen t unie, ma lg ré les d i s sens ions qu i sont a p p a r u e s en t re les successeurs de Cheikh A m a d o u B a m b a . Il res te toutefo is que l ' au to r i t é cen t ra le du kha l i fe de la conf ré r ie coexiste avec des zawiyas locales for t pu i s san tes , d o n t la p l u p a r t sont d i r igées p a r des p a r e n t s de celui-ci.

Enfin, deux au t r e s g roupes conf ré r iques de bien m o i n d r e i m p o r - t a n c e sont à s ignaler , celui des l ayennes de la région du Cap-Vert , fondé à la fin du siècle de rn i e r pa r L i m a n o u Laye et qu i r é u n i t que lques dizaines de mil l iers de fidèles, p r i n c i p a l e m e n t les Lebou de D a k a r et de ses environs, e t les hamal l i s t e s , d iss idence de la Ti janiyya , qui semble a u j o u r d ' h u i sur le déclin.

Les t u r u q n é a n m o i n s ne sont guère des o rgan i sa t i ons q u i mobi- l isent d i r ec t emen t les taal ibe (fidèles). Ceux-ci sont s u r t o u t a t t achés

à la pe r sonne d u che ikh ou m a r a b o u t qu i a la miss ion de leur m o n - t re r la « voie ». Cette p résence du « guide » est t r è s t y p i q u e de l ' I s l am soufi. C'est le che ikh qu i doit p r e n d r e en cha rge le disciple

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afin de le faire p rogres se r vers le s tade sup rême de la « perfec- t ion ». En fait, le m a r a b o u t n 'es t pas seu lemen t u n guide spiri tuel , ma i s auss i u n « ma î t r e » i n t e rvenan t à tous les m o m e n t s et dans

tous les aspects de la vie quot id ienne . Depont et Coppolani ont très b ien r e m a r q u é cet te omn ip ré sence m a r a b o u t i q u e dans leur étude sur l ' I s l am en Algérie.

« Partout, et en toute circonstance, l ' intervention du marabout se fait sentir, débonnaire, capricieuse et parfois arbitraire. Elle répond à tous les besoins, guérit tous les maux, favorise toutes les entreprises, même les plus téméraires, donne du bonheur aux méritants, élève les humbles à la foi robuste, protège les grands, comme elle provoque toutes les catastrophes, occasionne les acci- dents, fait naître les épidémies, voue aux peines éternelles les im- purs, fait échouer les meilleurs desseins, est l 'arbitre des batailles, dirige les expéditions. De son sanctuaire, le marabout ruine le puissant, indifférent aux choses de Dieu, voit tout, entend tout, connaît tout ; son action se manifeste en tous lieux et dans toutes les particularités de la vie. » (13).

Ces observa t ions peuven t p a r f a i t e m e n t s ' app l ique r au Sénégal. F. Carrère et P. Holle no t en t de leur côté en 1855 que les m a r a b o u t s t en ten t de « p e r p é t u e r à leur profit une société séparée (...) ». E t ils a j o u t e n t :

« Ils prennent le noir à sa naissance, le suivent quand il gran- dit, l 'assistent lors de son mariage, et ne l 'abandonnent que lors- qu'ils ont confié à la terre sa dépouille mortelle. » (14).

Il f au t donc p a r t i r de ce lien personne l é t roi t en t re le che ikh et son taal ibe p o u r saisir l ' I s l am sénégalais dans sa réal i té sociale et pol i t ique. P. M a r t y l 'avai t b ien compr is lorsqu ' i l définissait en ces t e r m e s la re l igion des m u s u l m a n s sénégalais :

« Les noirs du Sénégal se classent d'eux-mêmes, et sans ex- ception, sous la bannière religieuse des marabouts et ne com- prennent l'Islam que sous la forme de l'affiliation à une voie mystique, ou plus exactement de l'obéissance à un « serigne » ou à un « t i e rno» . Leur grand titre de gloire et leur profession sont d 'appartenir à un marabout. A toutes les questions, ils ré- pondent, invariablement et d'un seul jet : « Je suis musulman et mon marabout est un te l» . L'un ne va pas sans l'autre. Etre musulman c'est obéir aux ordres de son marabout et mériter par ses dons et son dévouement de part iciper aux mérites du Saint-Homme. » (15) (16).

(13) Depont et Coppolani, op. cit., pp. 132-133. (14) Carrère (F.) et Holle (P.) : De la Sénégambie française, Paris : F. Didot,

1855, p. 359. (15) Marty (P.), op. cit., t. 1, p. 8. (16) Le terme de marabout vient de l 'arabe « r ibat », sorte de monastère

ou d'établissement religieux et militaire. Les « murabi t » étaient les occu-

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Ces t e r m e s e t h y p o t h è s e s é t a n t s o m m a i r e m e n t d é f i n i s , il e s t

m a i n t e n a n t p o s s i b l e d ' e n t r e r d a n s le v i f d u s u j e t .

D a n s u n e p r e m i è r e p a r t i e , j e s o u l i g n e r a i l a « d i s t a n c e » e x i s t a n t

e n t r e le p o u v o i r m a r a b o u t i q u e e t le p o u v o i r c e n t r a l . N o u s v e r r o n s

c o m m e n t l e p o u v o i r m a r a b o u t i q u e s ' e s t c o n s t i t u é f a c e a u x c h a n -

g e m e n t s é c o n o m i q u e s , s o c i a u x e t p o l i t i q u e s q u ' a c o n n u s l e S é n é g a l ,

s u r t o u t à p a r t i r d u XVIII s i èc le . D a n s c e r t a i n s c a s l e s m a r a b o u t s

t e n t e r o n t u n e v é r i t a b l e « r e c o n s t r u c t i o n » p o l i t i q u e , d a n s d ' a u t r e s

i ls s ' a t t a c h e r o n t p l u t ô t à f u i r d a n s u n e s o r t e d e s o c i é t é p a r a l l è l e .

M a i s l ' i d é e d ' u n c o n t r e - p o u v o i r s e r a t o u j o u r s p r é s e n t e d a n s c e s

e n t r e p r i s e s . Ce l l e s -c i d o n n e r o n t n a i s s a n c e à u n e v é r i t a b l e s o c i é t é

m a r a b o u t i q u e q u i se p e r p é t u e j u s q u ' à n o s j o u r s d e f a ç o n f o r t

v i v a n t e . L e s m a r a b o u t s , e n effet , s e s o n t f o r t b i e n a c c o m m o d é s d ' u n e

« m o d e r n i s a t i o n » q u i a l a i s s é r e l a t i v e m e n t i n t a c t e l e u r e m p r i s e

s u r l e s m a s s e s m u s u l m a n e s . M a i s u n e t e l l e é v o l u t i o n p a s s a i t n é c e s -

s a i r e m e n t p a r l ' é t a b l i s s e m e n t d e r e l a t i o n s a v e c le p o u v o i r c e n t r a l .

Ces r e l a t i o n s f e r o n t l ' o b j e t d e l a d e u x i è m e p a r t i e d a n s l a q u e l l e

j ' é t u d i e r a i l ' i n t e r d é p e n d a n c e d e s s o c i é t é s m a r a b o u t i q u e s e t d u

c e n t r e p o l i t i q u e , à l ' é p o q u e c o l o n i a l e e t d e p u i s l ' i n d é p e n d a n c e . J e m o n t r e r a i c o m m e n t l e s m a r a b o u t s s o n t d e v e n u s d e s i n t e r m é -

d i a i r e s d a n s le s y s t è m e p o l i t i q u e s é n é g a l a i s . M a i s j ' i n s i s t e r a i a u s s i

s u r les d i f f i c u l t é s d u p o u v o i r c e n t r a l à i n s t i t u t i o n n a l i s e r c e t t e

r e l a t i o n , s u r l a r e l a t i v e a u t o n o m i e d e l ' I s l a m m a r a b o u t i q u e , s u r

le p o p u l i s m e q u ' i l v é h i c u l e et q u i f a i t q u ' i l d e m e u r e , s o u s c e r t a i n s

a s p e c t s , u n c o n t r e - p o u v o i r .

pants des « r ibat », combat tants de la foi, moines-soldats de l ' Is lam. Avec le développement du soufisme, le mot « murab i t » en arr ivera à désigner, sur tout en Afrique du nord, les « saints » au tour desquels se groupaient des commu- nautés de fidèles (voir H.A.R. Gibb et J.H. Kramers : Shorter Encyclopedia of Islam, Leiden : E.J. Brill, 1974, pp. 325-326.

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PREMIÈRE PARTIE

LE PHÉNOMÈNE MARABOUTIQUE

COMME RECONSTRUCTION SOCIALE

ET POLITIQUE

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L'originalité du pouvoir maraboutique tient en grande partie aux conditions historiques qui ont marqué son développement. La structure actuelle des « communautés » maraboutiques, leur organisation et leur idéologie ne se comprennent que par référence à ce passé, marqué par l'action de ces grandes figures « messiani- ques » que furent, par exemple, El Hadj Omar ou Amadou Bamba.

Les marabouts furent les figures de proue de véritables mou- vements sociaux qui virent le jour dans des situations de domina- tion et de changements intenses. Ces mouvements constituent autant de réactions et de réponses aux mutations que connurent alors les sociétés sénégalaises. Ils doivent être vus comme des tentatives de reconstruction sociale et politique, comme des initia- tives populaires de bâtir d'autres sociétés ou microsociétés dans « un temps présent détestable », comme le disait A. Bamba.

A bien des égards, les mouvements maraboutiques rappellent ces mouvements messianiques et millénaristes qui sont le propre « des masses déracinées et désespérées », selon l'expression de Norman Cohn (1). Ils visent à créer de nouvelles « communautés », pour reprendre le langage de V. Turner, contre les « structures » existantes. La « structure », explique V. Turner, est un ensemble de relations s'organisant autour de réseaux, de statuts, de rôles, d'offices. La « communauté » est un système de « relations entre individus concrets, historiques, particuliers ». Ces individus ne sont pas segmentés dans des rôles et des statuts, mais sont liés entre eux par ce qu'il appelle des « identités humaines » (2). Et cet idéal communautaire est un des thèmes typiques du soufisme : « Toute communauté soufie constitue une fraternité indivisible : le murid, le disciple est appelé « fils du Cheikh ». Les disciples se considèrent entre eux comme des frères, qui s'aiment les uns les autres pour l 'amour de Dieu » (3). C'est là sans doute un modèle idéal, jamais réalisé ; mais il représente l'idéologie propre, explicite ou sous-jacente, de ces mouvements maraboutiques. Ceux-ci enten- dent sortir de l'ordre existant jugé oppressif et s'ériger en « contre-

(1) Cohn (Norman) : The Pursu i t of Millenium, New York : Harper Torch Books, 1961, p. 31.

(2) Voir Turner (V.) : The Ri tual Process : Structure and Anti-Structure, Ithaca, New York : Cornell University Press, 1969.

(3) Vitray-Meyerovitch (E. de) : Anthologie du soufisme, Par is : Sindbad, 1978, p. 201.

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s o c i é t é s » « q u i d é f e n d e n t o u v e r t e m e n t d ' a u t r e s v a l e u r s et p r é t e n - d e n t i n s t a u r e r , t o u t a u m o i n s e n l e u r se in , u n o r d r e n o u v e a u » (4) .

M a i s à q u i s ' a t t a q u e n t n o s m a r a b o u t s ? P a s s e u l e m e n t , c o m m e

o n l ' a d i t t r o p s o u v e n t , a u p o u v o i r c o l o n i a l e n l u i - m ê m e . Ces m o u -

v e m e n t s n e s o n t p a s u n i q u e m e n t d e n a t u r e n a t i o n a l i s t e . I ls p e u v e n t

c e r t e s e x p r i m e r u n e o p p o s i t i o n à l a p r é s e n c e é t r a n g è r e e t c h r é -

t i e n n e , m a i s p l u s l a r g e m e n t i l s m a n i f e s t e n t u n r e f u s d u p o u v o i r

o p p r e s s i f d ' o ù q u ' i l v i e n n e . I l s p o r t e n t e n e u x , i m p l i c i t e m e n t , l a m é f i a n c e e n v e r s le p r i n c e , q u i m e p a r a î t ê t r e u n t r a i t e s s e n t i e l

d e l a c u l t u r e p o l i t i q u e d e s s o c i é t é s a n c i e n n e s d e l ' A f r i q u e d e l ' o u e s t (5) . P l u s q u e d e s « p r o p h è t e s n a t i o n a u x » l u t t a n t c o n t r e

l ' e n v a h i s s e u r , l es m a r a b o u t s s o n t les c e n s e u r s d u p r i n c e , q u e c e l u i - c i se p r é s e n t e s o u s l e s t r a i t s d u c h e f a f r i c a i n o u d e l ' a d m i n i s -

t r a t e u r e u r o p é e n ; e t c e t t e p h i l o s o p h i e p o l i t i q u e t r a d i t i o n n e l l e n e p o u v a i t q u e s ' a c c o r d e r a v e c l ' a n t i - i n s t i t u t i o n n a l i s m e sou f i d o n t

j ' a i p a r l é p l u s h a u t . « U n r o i n ' e s t p a s u n p a r e n t » a i m a i t à d i r e

le p h i l o s o p h e w o l o f K o t h i e B a r m a , q u i e s t r e s t é c é l è b r e d a n s l a

t r a d i t i o n o r a l e p o u r s ' ê t r e o p p o s é à l a t y r a n n i e d u d a m e l D a w

D e m b a (XVII s i è c l e ) . C ' e s t p o u r a v o i r r e p r é s e n t é a u p r è s d e s m a s s e s

l ' i d é a l d e c e t t e s a g e s s e p o p u l a i r e q u e l e s m a r a b o u t s o n t é t é s u i v i s a v e c a u t a n t d ' e n t h o u s i a s m e . L e s m o u v e m e n t s e t c o m m u n a u t é s

m a r a b o u t i q u e s s o n t d o n c le f r u i t d ' u n e é t r a n g e r e n c o n t r e e n t r e le

s o u f i s m e e t l a p h i l o s o p h i e p o l i t i q u e a f r i c a i n e . C e t t e r e n c o n t r e n e

d a t e p a s d e l a c o l o n i s a t i o n . L ' h i s t o i r e s é n é g a l a i s e e s t r i c h e e n ép i -

s o d e s d a n s l e s q u e l s les m a r a b o u t s o n t f a i t f i g u r e d e c h a m p i o n s de

l a l i b e r t é c o n t r e l a t y r a n n i e d e s p r i n c e s a f r i c a i n s . A i n s i , « l a g u e r r e

d e s m a r a b o u t s », à l a f i n d u XVII s i èc le , m i t e n j e u t o u t e u n e c o n c e p -

t i o n d u p o u v o i r , c o m m e l ' a b i e n r e m a r q u é L a b a t :

« (...) Ils (les m a r a b o u t s ) c o m m e n c è r e n t à b l â m e r l ' e m p i r e a b s o l u q u e les ro i s a f r i c a i n s a v a i e n t s u r l eurs su je ts et l eu r s b iens , ils les t r a i t è r e n t à l a fin de t y r a n n i e , et f i rent c o n c e v o i r à ces p e u p l e s q u e le p lu s g r a n d de tous les d i eux é ta i t la l i be r t é (...). » (6).

L a p é n é t r a t i o n e t l a d o m i n a t i o n c o l o n i a l e s s u s c i t è r e n t de l a

m ê m e f a ç o n u n é l a n r e l i g i e u x p o p u l a i r e , d ' a u t a n t p l u s a m p l e q u e

les c h a n g e m e n t s s o c i a u x q u ' e l l e s p r o v o q u è r e n t f u r e n t d ' u n e g r a n d e

(4) Baechler (Jean) : Les phénomènes révolutionnaires, Paris : P.U.F., 1970, p. 71.

(5) J 'ai développé cette argumentat ion dans mon étude : Le marabout et le prince (révolution islamique et pouvoir en Afrique occidentale), présentée au colloque « Sacralité, pouvoir et droit en Afrique », Paris, Laboratoire d'an- thropologie jur id ique de Paris, Université de Par is I, Panthéon-Sorbonne, jan- vier 1980, à paraî t re aux éditions du C.N.R.S.

(6) Labat (J.B.) : Nouvelle relation de l 'Afrique occidentale, Paris : Cave- lier, 1728, t. 3, pp. 85-86.

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e n v e r g u r e . D a n s c e s c o n d i t i o n s l e s m o u v e m e n t s i s l a m i q u e s q u i

v i r e n t le j o u r a u XIX s i èc l e e t a u d é b u t d u XX s i è c l e a u S é n é g a l

e x p r i m è r e n t , d e m a n i è r e p l u s o u m o i n s c o n f u s e , u n r e f u s d e l ' o r d r e

e u r o p é e n e t u n e v o l o n t é d e se d é m a r q u e r d e l u i .

D a n s u n c e r t a i n n o m b r e d e ca s , c e s m o u v e m e n t s p r i r e n t l a f o r m e d ' u n e r é s i s t a n c e a c t i v e e t a r m é e . Ce f u t n o t a m m e n t le c a s a u F o u t a -

T o r o q u e t o u t e u n e t r a d i t i o n i s l a m i q u e p r é p a r a i t à d e t e l l e s e n t r e -

p r i s e s . M a i s l à e n c o r e , il f a u t n o t e r q u e l e s j i h a d s s ' a t t a q u è r e n t t o u t

a u t a n t a u x h i é r a r c h i e s i n d i g è n e s q u ' a u p o u v o i r c o l o n i a l . D a n s

d ' a u t r e s p a r t i e s d u S é n é g a l , e t n o t a m m e n t e n p a y s w o l o f , l e s m e s -

s i a n i s m e s m u s u l m a n s f u r e n t d e n a t u r e p l u s p a c i f i q u e s . S ' i l s n e s e

m a n i f e s t è r e n t p a s d a n s l ' e n s e m b l e d e f a ç o n a c t i v e d a n s l a l u t t e

c o n t r e l a p é n é t r a t i o n c o l o n i a l e , q u i s ' o r g a n i s a p l u t ô t s o u s l a d i r e c -

t i o n d e s c h e f s t r a d i t i o n n e l s , i l s m o b i l i s è r e n t p a r c o n t r e la p o p u l a -

t i o n w o l o f u n e f o i s q u e l e p o u v o i r c o l o n i a l f u t i n s t a l l é ; e t le p h é -

n o m è n e m a r a b o u t i q u e e s t d a v a n t a g e l i é e n p a y s w o l o f a u x t r a n s -

f o r m a t i o n s s o c i a l e s e t p o l i t i q u e s p r o f o n d e s d u e s à l ' i n t r o d u c t i o n

d e l a c u l t u r e d e l ' a r a c h i d e , à l ' u r b a n i s a t i o n e t a u v i d e p o l i t i q u e

q u e l a d é f a i t e d e s p r i n c e s a m e n a , q u ' à u n e r é s i s t a n c e a n t i c o l o n i a l e

à p r o p r e m e n t p a r l e r .

L e s « c o m m u n a u t é s » m a r a b o u t i q u e s a c t u e l l e s s o n t i s s u e s d e t o u t e s c e s h i s t o i r e s .

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CHAPITRE I

LES PROPHÈTES ARMÉS DU FOUTA-TORO

Le Fouta-Toro est situé dans le nord du Sénégal, le long des rives du fleuve du même nom. Ses habitants, Toucouleur et Peul principalement, ont été pendant des siècles en contact permanent avec le monde arabe et plus particulièrement avec les Maures et les Marocains. Il en est résulté des vagues successives d'islamisation dont la plus ancienne remonte au XI siècle.

La tradition musulmane est en effet un des traits caractéristi- ques de la société toucouleur, dont l'histoire est étroitement mêlée aux vicissitudes de l'Islam dans cette partie de l'ouest africain. Il n'est donc pas étonnant que les mouvements de cette société se soient exprimés principalement selon un code culturel islamique. Cela se vérifie particulièrement au moment où les Français s'ins- tallent au Fouta. Mais le rôle de la colonisation dans l'apparition de mouvements islamiques de type prophétique ne doit pas être surestimé. Elle ne fit que précipiter, que souligner les problèmes internes que connaissait alors le Fouta. Ces deux facteurs, comme nous le verrons, sont d'ailleurs étroitement liés.

I

LA SOCIÉTÉ TOUCOULEUR AU MOMENT DE LA PÉNÉTRATION

FRANÇAISE

Le Fouta-Toro avait connu à la fin du XVIII siècle une grande révolution musulmane qui avait donné une nouvelle vigueur au pays toucouleur. Cependant, cette poussée réformatrice s'essouffla rapidement, de telle sorte que le régime en place ne put faire face

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efficacement au défit colonial. Dès lors, comme cela se produit sou- vent dans les sociétés bloquées et divisées par des luttes intestines, la solution aux contradictions sociales et aux pressions extérieures émergea sous la forme de mouvements prophétiques.

A) La révolution tooroodo

La révolution des « pieux musulmans », les tooroBe (sing too- roodo), s'était faite contre le régime peul denyanke. Celui-ci était jugé antireligieux par les tooroBe. En réalité, les denyanke n'étaient guère « païens » comme le prétendaient les tooroBe, mais leur Islam était plus un « Islam de cour » qu'un Islam militant. Il s'accommo- dait, en outre, du maintien de croyances ancestrales. A y regarder de plus près, la faiblesse ou la faillite religieuse du régime ne fut pas la raison principale du soulèvement qui porta les « vrais musul- mans » au pouvoir. La révolution tooroodo fut surtout la réponse à la tyrannie d'un régime qui faisait le jeu des chefs maures et marocains et notamment des razzias qu'ils effectuaient pour obtenir des esclaves. Les denyanke ne protégeaient plus leurs sujets, mais profitaient au contraire des incursions étrangères ; ils apparaissaient comme des « collaborateurs ». On leur reprochait aussi de ne rien faire pour s'opposer au commerce des esclaves auquel s'adonnaient les Européens. De plus, l'instabilité politique chronique du régime, ainsi que les misères provoquées par plusieurs années de sécheresse, précipitèrent la chute des denyanke.

La révolution musulmane fut donc avant tout la révolte des opprimés et des « sans pouvoirs ». Il est d'ailleurs significatif que les tooroBe fussent qualifiés de « fils de crève-la-faim mendiants » par les dirigeants peul (1).

C'est donc à tous ces maux que voulurent s 'attaquer l'instiga- teur du mouvement, Souleymane Bâl, et son successeur, Abdul Kader, qui prit le titre d'almami (2). A l'oppression et à la tyrannie, ils entendaient substituer une morale et un ordre politique nouveaux basés sur la sharia. Mais cette loi musulmane nouvelle, notamment dans ses modalités politiques, ne sera pas sans rappeler le vieux fond culturel traditionnel qui voulait que le chef soit contrôlé dans tous ses actes. L'image idéale de l'iman, de l'almami, est donc

(1) Cf. A b b a s S o h (Siré) : Les c h r o n i q u e s d u F o u t a s é n é g a l a i s , P a r i s : E . L e r o u x , 1913, p. 144.

(2) A l m a n i v i e n t de a l - i m a m , c h e f de p r i è r e e t p l u s l a r g e m e n t de l a c o m - m u n a u t é d e s c r o y a n t s .

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e n c o m p l è t e o p p o s i t i o n a v e c l a r é a l i t é d u p o u v o i r d e s d e r n i e r s

d e n y a n k e . L e s q u a l i t é s r e q u i s e s p o u r a s s u m e r c e s f o n c t i o n s s o n t

a u t a n t d e g a r a n t i e s c o n t r e l ' a b s o l u t i s m e e t l a t y r a n n i e . L e l e a d e r d e

l a r é v o l u t i o n t o o r o o d o , S o u l e y m a n e B â l , s e s e r a i t a d r e s s é e n c e s

t e r m e s à l ' a s s e m b l é e d e s m u s u l m a n s :

« J e v o u s r e c o m m a n d e d e v o u s c o n f o r m e r a u x d i r e c t i v e s s u i -

v a n t e s p o u r é l i r e u n i m a n :

— C h o i s i s s e z u n h o m m e s a v a n t , p i e u x e t h o n n ê t e , q u i n ' a c c a p a r e p a s l e s r i c h e s s e s d e c e b a s m o n d e p o u r s o n p r o f i t p e r s o n n e l o u p o u r c e l u i d e s e s e n f a n t s ;

— D é t r ô n e z t o u t i m a n d o n t v o u s v o y e z l a f o r t u n e s ' a c c r o î t r e e t c o n f i s q u e z l ' e n s e m b l e d e s e s b i e n s ;

— C o m b a t t e z - l e e t e x p u l s e z - l e s ' i l s ' e n t ê t e ;

— V e i l l e z à c e q u e l ' i m a n a t n e s o i t p a s t r a n s f o r m é e n u n e r o y a u t é h é r é d i t a i r e o ù s e u l s l e s f i l s s u c c è d e n t à l e u r p è r e ;

— L ' i m a n p e u t ê t r e c h o i s i d a n s n ' i m p o r t e q u e l l e t r i b u ;

— C h o i s i s s e z t o u j o u r s u n h o m m e s é r i e u x e t t r a v a i l l e u r ;

— F o n d e z - v o u s t o u j o u r s s u r l e c r i t è r e d e l ' a p t i t u d e . » (3 ) .

L e p o u v o i r d e s t o o r o B e é v o l u a f i n a l e m e n t v e r s u n e s o r t e « d ' o l i -

g a r c h i e t h é o c r a t i q u e » , c o m m e l ' é c r i t G . M o l l i e n e n 1 9 2 0 ; m a i s c e t

a u t e u r a j o u t e j u s t e m e n t q u e m a l g r é c e l a , a u F o u t a , l e p e u p l e e x e r c e

u n e g r a n d e i n f l u e n c e ( 4 ) . L ' a l m a m i é t a i t c h o i s i p a r u n c o l l è g e d e

g r a n d s é l e c t e u r s ( J a g g o r D e ) . S o n p o u v o i r n ' a v a i t r i e n d e c e l u i d ' u n

m o n a r q u e a u t o r i t a i r e ; à l a m o i n d r e b é v u e , o u d è s q u e l e p a y s é t a i t

e n é t a t d e c r i s e , i l é t a i t i m p i t o y a b l e m e n t r e n v o y é . E n 1 1 4 a n s d e

r é g i m e t o o r o o d o l a f o n c t i o n d ' a l m a m i f u t r e m p l i e c i n q u a n t e t r o i s

f o i s , e t t r è s s o u v e n t l e c h o i x d e s g r a n d s é l e c t e u r s s e p o r t a i t p l u s

v o l o n t i e r s v e r s u n p e r s o n n a g e i n s i g n i f i a n t q u e v e r s u n i n d i v i d u

a p t e à e x e r c e r u n l e a d e r s h i p f o r t . L ' a b s e n c e d e c a p i t a l e a d m i n i s -

t r a t i v e e t l e r e f u s d e m e t t r e s u r p i e d u n e a r m é e p e r m a n e n t e s o n t

a u s s i t r è s s i g n i f i c a t i f s d e c e t t e v o l o n t é d ' é t a b l i r d e s g a r d e - f o u s c o n t r e

t o u t d a n g e r d e c e n t r a l i s a t i o n d u p o u v o i r p o l i t i q u e ; e t s i l e s t o o r o B e

n ' o n t p a s é r i g é a u F o u t a - T o r o u n r é g i m e f o r t e t c e n t r a l i s é , c e n ' e s t

p a s , c o m m e l e s u g g è r e D . R o b i n s o n , p a r c e q u ' i l s n e l ' o n t p a s p u ,

mais surtout parce qu'ils ne l'ont pas voulu (5).

(3) D'après un texte arabe de Cheikh Moussa Camara, cité par E.H. Rawane M'Baye : L'Islam au Sénégal, thèse de doctorat de 3 cycle, Faculté des lettres et des sciences humaines de Dakar, 1978, p. 153.

(4) Mollien (G.) : Voyage dans l ' intérieur de l'Afrique, Paris : Imprimerie Vve Courcier, 1820, t. 1, p. 278.

(5) Robinson (D.) : Chiefs and Clerics. Abdul Bokar Kan and Fu ta Toro 1853-1891, Oxford : Clarendon Press, 1975, p. 18.

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B) C l i v a g e s s o c i a u x e t r a p p o r t s d e d o m i n a t i o n

C e t t e « d é m o c r a t i e » p o l i t i q u e n ' e m p ê c h a c e p e n d a n t p a s le r é -

g i m e t o o r o o d o d e d e v e n i r s y n o n y m e d ' i n é g a l i t é e t de d o m i n a t i o n .

Il e s t s i g n i f i c a t i f q u ' à l ' o r i g i n e l e s t o o r o B e se r e c r u t a i e n t d a n s les

c o u c h e s l e s p l u s d i v e r s e s d e la p o p u l a t i o n e t n e c o n s t i t u a i e n t p a s

u n g r o u p e f e r m é . O n a p p e l a i t t o o r o o d o t o u t m u s u l m a n f e r v e n t .

C e p e n d a n t , « a s s e z v i t e , c o m m e l ' é c r i t P . D i a g n e , l ' é l a n r é f o r m a t e u r

r é s o r b é s ' e f f a c e d e v a n t l a l u t t e p o u r l ' a c c a p a r e m e n t d e l ' a p p a r e i l

p o l i t i q u e e t d e s p r i v i l è g e s » (6) . « L e r é g i m e d e l ' a l m a m i a t d u

F o u t a - T o r o s ' e s t r a p i d e m e n t m u é e n u n r é g i m e d ' e x p l o i t a t i o n c o n s -

c i e n t e » (7) . N o n s e u l e m e n t les t o o r o B e , c a t é g o r i e s o c i a l e il e s t v r a i

f o r t n o m b r e u s e , f i n i r e n t - i l s p a r f o r m e r u n e v é r i t a b l e c a s t e , m a i s ,

p l u s i m p o r t a n t e n c o r e , a u s e i n d e ce g r o u p e t o o r o o d o se d é g a g e a

u n e p e t i t e m i n o r i t é q u i p e u à p e u m o n o p o l i s a p o u v o i r e t r i c h e s s e .

L ' I s l a m , q u i a v a i t é t é à l ' o r i g i n e l ' i d é o l o g i e m o b i l i s a t r i c e d u

m o u v e m e n t d e S o u l e y m a n e B â l , d e v i n t l a s i m p l e j u s t i f i c a t i o n d u

s y s t è m e s o c i a l e t p o l i t i q u e d o m i n a n t . L e s « g r a n d e s f a m i l l e s » too-

r o B e f i r e n t a p p e l p o u r l é g i t i m e r l e u r s p o u v o i r e t p r i v i l è g e s à l e u r

« m i s s i o n h i s t o r i q u e » ( l ' i s l a m i s a t i o n d u F o u t a ) e t à l e u r m a î t r i s e

d e s s c i e n c e s r e l i g i e u s e s . S o u v e n t a u s s i , c e s é l i t e s d i r i g e a n t e s , a f i n

d ' a s s e o i r l e u r a u t o r i t é s u r u n e b a s e r e l i g i e u s e et h i s t o r i q u e p l u s

s û r e , s ' a p p l i q u a i e n t à se t r o u v e r u n e o r i g i n e a r a b e e t f a i s a i e n t

m ê m e r e m o n t e r l e u r g é n é a l o g i e a u P r o p h è t e o u à ses c o m p a g n o n s .

T o u t u n s y s t è m e d e c r o y a n c e s e t d e r e p r é s e n t a t i o n s t e n d a i t d o n c

à m a r q u e r l a s u p r é m a t i e s o c i a l e ( b u r a l ) d e s g r o u p e s d o m i n a n t s e t

s a r e p r o d u c t i o n . Cet a r s e n a l i d é o l o g i q u e e t s y m b o l i q u e p e r m e t t a i t

à l ' o l i g a r c h i e t o o r o o d o d e d é t o u r n e r à s o n p r o f i t c e r t a i n e s i n s t i t u - t i o n s m u s u l m a n e s c o m m e l ' a s s a k a l (le z a k a t a r a b e , d î m e d e s t i n é e

e n p r i n c i p e à ê t r e r e d i s t r i b u é e a u x n é c e s s i t e u x ) (8) e t l es t e r r e s

b a y t i ( e n p r i n c i p e t e r r e s d e l a c o m m u n a u t é ) .

E n f i n , c e s « g r a n d e s f a m i l l e s » t r o u v a i e n t d a n s l ' a p p a r t e n a n c e

à la Q a d i r i y y a , c o n f r é r i e t r è s h i é r a r c h i s é e à l a q u e l l e a p p a r t e n a i t

à l ' é p o q u e , p l u s o u m o i n s d i r e c t e m e n t , l a m a j o r i t é d e l a p o p u l a t i o n

t o u c o u l e u r , u n m o y e n s u p p l é m e n t a i r e d ' a s s u r e r l e u r h é g é m o n i e .

(6) Diagne (P.) : Pouvoir polit ique tradit ionnel en Afrique occidentale, Paris : Présence africaine, 1967, p. 202.

(7) Ibid., p. 214. (8) Sur l'idéologie et la prat ique du système de dominat ion de l 'oligarchie

tooroodo, je renvoie le lecteur à mon étude : « Pouvoir oligarchique et muta- tions sociales et polit iques au Fouta-Toro », in Balans (J.L.), Coulon (Ch.), Gastellu (J.M.) : Autonomie locale et intégration nat ionale au Sénégal, Par is : Pedone, 1975, pp. 22-80.

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Cette domination de l'oligarchie toucouleur apparaît nettement dans l 'appropriation des terres qui, comme dans toute société paysanne, était un élément déterminant du pouvoir.

Les terres les plus fertiles de la région, en particulier celles qui se trouvent en bordure du fleuve Sénégal (appelées terres waalo) ont été de tout temps les plus convoitées et attribuées par les souverains du Fouta en guise de récompense à ceux qui leur apportaient leur appui.

Les souverains denyanke, et notamment le satigui N'Diaye, qui régna au début du XVIII siècle, avaient fait d'importantes do- nations à certaines familles influentes, moyennant un cadeau (madodi) et un tribut annuel. Les almamis pratiquèrent la même politique. Abdoul Kader, le premier almami, divisa le pays en vastes domaines qu'il confia à ses plus fidèles lieutenants et confir- ma dans leurs possessions les familles denyanke qui avaient accepté de se soumettre à son autorité.

Ainsi, les grandes familles tooroBe, « maîtres de la terre », per- cevaient sur la masse des cultivateurs des redevances importantes comme l'assakal, le ndioldi (droit annuel de culture) ou le tiottigu (droit d'héritage du droit de culture).

Les cultivateurs qui ne bénéficiaient pas d'un droit de culture permanent pouvaient louer des terres. C'était le cas notamment des terres en rempetien ; mais ce système coûtait fort cher puisque le « locataire » devait donner la moitié de la récolte au « maître de la terre » ou au titulaire du droit de culture.

Il est donc clair que l'organisation sociale toucouleur reposait sur la domination d'un groupe privilégié, détenteur à la fois du pouvoir politique et des moyens de production. On a décrit et analysé la strucure sociale toucouleur à partir de la division en ordre souvent appelés castes (9) ; mais la hiérarchie des castes ne nous semble pas la clé de voûte du système. Selon nous, le cli- vage fondamental est celui qui différencie les « grandes familles » de la masse de la population. Si la quasi totalité des « grandes familles » était tooroBe l'immense majorité de ceux-ci, malgré leur statut social élevé, ne participait pas à l'exercice du pouvoir et n'était guère plus riche que les membres des ordres inférieurs.

(9) Les principaux ordres sont : — les tooroBe : nobles. — les rimBe : hommes libres parmi lesquels on distingue les seBBe

(guerriers), les jaawamBe (courtisans), les subalBe (pêcheurs). — les nyeenyBe : artisans, comme les walilBe (forgerons) ou les awluBe

(griots). — les maccuBe : esclaves.

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SÉRIE

AFRIQUE NOIRE

1. Etudes d'économie africaine (Y. PEHAUT et J.M. FONSEGRIVE)

2. Les décolonisations est-africaines (Cl. HORRUT)

3. L'Administration publique du Zaïre (MPINGA KASENDA)

4. Cinéma et développement en Afrique noire francophone (P. POMMIER)

5. Autonomie locale et intégration nationale au Sénégal (Jean-Louis BALANS, Christian COULON, Jean-Marc GASTELLU)

6. L'Etat et le développement économique de la Côte d'Ivoire (J. DUTHEIL de la ROCHÈRE) (épuisé)

7. Les systèmes constitutionnels en Afrique noire : Les Etats francophones (D.G. LAVROFF)

8. Aux urnes l'Afrique ! Elections et pouvoirs en Afrique noire (C.E.A.N. et C.E.R.I.)

9. Les entreprises publiques en Afrique noire I. Sénégal - Mali - Madagascar.

10. La politique africaine du général de Gaulle 1958-1969

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