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LE MANAGER AU QUOTIDIENLes dix rles du cadreHenry Mintzberg

Traduit de lamricain par Pierre ROMELAER

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Henry MINTZ B ERGMc Gill University

LE MANAGER AU QUOTIDIEN

Les dix rles du cadreTraduit de lamricain par Pierre ROMELAER

Huitime tirage 2000

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Table des matiresAvant propos Prface 1 Introduction 2 Conceptions contemporaines sur le travail du cadre 3 Quelques caractristiques du travail des cadres 4 6 10 18 47

4 Les rles professionnels du cadre 5 La diversit des postes de cadre 6 Limpact de la science sur le travail du cadre 7 Devenir du travail du cadre

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Avant-propos

Lorsque jcrivais ce livre, je pensais que jtais simplement en train de faire une description de ce quest le travail du cadre, destine remplacer celles qui existaient alors, et qui taient uses jusqu la corde. Cest tout au moins ce que je pensais en 1973. Ma vision des choses a chang depuis :jai vu ce livre par les yeux dautres personnes et je lui trouve maintenant une signification plus profonde : pour lessentiel la remise en question de quelques visions conventionnelles sur la rationalit et la bureaucratie. Japprcie de constater quun certain nombre de personnes voient dans ce travail la rapparition du rle de lintuition dans la gestion (ou plus exactement dans la littrature de gestion; lintuition na jamais disparu de la pratique quotidienne des cadres; elle sest juste dissimule dans un obscur hmisphre du cerveau humain). Dans la semaine qui a suivi la parution dans le New York Times (le 29 octobre 1976) dun article consacr ce livre, je reus un appel des assistants de programmation dune chane de radio et dune chane de tlvision canadiennes, qui me demandaient une interview pour leurs programmes du matin. Dans les deux cas, ceux qui mappelaient ils avaient lu larticle, mais rien de ce que javais crit moi-mme me disaient quils seraient heureux de voir quenfin quelquun avait rgl leur compte aux cadres. Bien sr, ce livre ne fait rien de tel. En fait, cela mamuse de constater que les seules personnes qui paraissent apprcier ce livre plus que les assistants de programmation sont les cadres eux-mmes. Jour aprs jour jen ai entendu qui me disaient Grce vous, je me sens bien. Jen tais venu penser que je faisais

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mal mon travail. Pendant que Jtais sans cesse interrompu, ils taient tous en train de planifier, dorganiser, de coordonner et de contrler. Je ne parviens expliquer que dune seule faon laccueil enthousiaste fait ce livre, la fois par les cadres et par les gens qui croient quil y a quelque chose changer chez les cadres tous en ont assez de la rationalit au sens troit du terme, de la rationalit qui cherche liminer toute intuition au profit de lanalyse, de la rationalit qui place le cadre au-dessus de lagitation et des contingences de la vie quotidienne de lorganisation, de la rationalit qui fait passer le systme avant lhomme. Cest un thme que jespre poursuivre, mais pas ici. La nature du travail du cadre a t crit pour nous permettre de connatre la ralit telle quelle est. Ceci demeure son objectif.

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PrfacePour identifier lorigine de ce livre, il faut en fait remonter vingt sept ans en arrire, lpoque o, enfant, je me demandais ce que mon pre faisait quand il tait au bureau. Il tait prsident dune petite entreprise, mais la nature de son travail navait rien de clair pour un garon de six ans. Certains salaris travaillaient sur des machines, dautres dactylographiaient des lettres. Apparemment, mon pre restait assis dans son bureau, signait une lettre de temps en temps, et parlait. De cette vieille interrogation est ne la question: que font les cadres? Cette question est reste enfouie dans ma mmoire pendant quelques dix neuf annes de scolarit, dans lesquelles je compte deux annes dun programme de matrise de gestion et la premire anne dun programme de doctorat dans la mme matire. Jamais je nai pris conscience (non plus dailleurs que nombre de ceux qui mont enseign) du fait quon ne parlait jamais du travail du cadre, bien que le programme de matrise ait eu prcisment pour objectif la formation de cadres! Cette vieille question mest revenue lesprit seulement lorsque je me suis mis la recherche dun sujet de thse. Lun de mes professeurs avait rendu visite un haut fonctionnaire connu qui pensait quil serait intressant dtudier son travail. Le professeur me proposa de travailler sur ce sujet mais jhsitai: il me paraissait risqu dentreprendre un tel projet dans le cadre dun institut de formation la gestion moderne, marqu par lapproche scientifique. Graduellement, cependant, lide prit corps, son chemin ayant t prpar par la curiosit de mon enfance, et par la conscience de plus en plus claire que javais du fait que les enfants de six ans ne sont pas les seuls ne pas comprendre ce que font les cadres. Je fus certain de ce que serait mon sujet de thse le jour o jassistai une confrence sur limpact de lordinateur sur le travail du cadre. Jy fus tmoin de la 6

frustration des penseurs les importants du domaine: ils taient tous bloqus parce quils ignoraient ce quest le travail du cadre dirigeant. Ma thse, intitule Le Cadre au Travail : Dtermination de ses Activits, de ses Rles et de ses Programmes par Observation Structure fut termine la Sloan School de Management du M.I.T. en 1968, fonde sur mon tude du travail de cinq directeurs gnraux. Je restai deux ans sans toucher ce projet, puis jy revins en 1970. Je pouvais alors lapprocher en tant que professeur duniversit corrigeant le travail dun tudiant de doctorat. Lorsque je pensais que le travail tait superficiel ou non pertinent, je navais aucun complexe le supprimer. Aussi, en prenant du recul, je pouvais mieux en comprendre les conclusions et mieux voir leur importance pour les cadres et pour les spcialistes des sciences de gestion. Cependant, le livre que je me proposais dcrire ntait pas la simple publication dune thse, mais un nouveau travail utilisant non seulement mon tude des tches des cinq directeurs gnraux, mais galement des tudes empiriques portant sur de nombreux autres cadres. Je dcidais aussi dessayer de crer un livre qui suscite lattirance dun large public, un livre qui ait un impact sur les cadres en activit, sur les fonctionnels comme sur les universitaires et leurs tudiants. Je pensais quil y avait dans ce domaine trop dides errones, que les cadres avaient t exposs trop de ratiocinations dpourvues dassise empirique, et quils taient prts regarder leur travail dune nouvelle faon, qui sappuie sur les rsultats systmatiques. Pour crire un livre, on se concentre sur un lment la fois et on finit au bout du compte par le terminer. Mais maintenant que le livre est achev et que je le considre avec quelque recul, je suis surpris de sa complexit et de limportance du nombre de personnes qui mont apport tout au long du chemin une aide substantielle. Au dbut, il y a eu Ned Bowman, qui se dclara volontaire pour maccueillir dans un programme doctoral assez peu conventionnel au M.I.T., et Jim Hekimian qui me garda tout au long du programme, jusquau bout. Jim, Charles Myers et Don Carroll ont sig dans mon jury de thse; chacun dentre eux ma aid de faon substantielle pendant et aprs la rdaction de ma thse. Grce eux, mon sujet de thse sest trouv ne plus tre risqu du 7

tout. Les cinq directeurs gnraux qui mont autoris les suivre comme leur ombre pendant une semaine, et qui mont toujours donn tant de leur temps et confi tant de leurs penses, doivent aussi tre remercis, mais malheureusement je ne puis le faire de faon nominative. De nombreuses personnes mont aid de leurs commentaires au cours de la prparation du manuscrit. A la Facult de Gestion de lUniversit Mc Gill, je dois particulirement remercier mes collgues Pradip Khandwalla, Stan Shapiro et Harvey Thomson. Harvey, en particulier, ma aid laborer la partie du chapitre 7 consacre aux aptitudes et traits de personnalit des cadres. Nombre de mes tudiants de Mc Gill mont aussi fait part de commentaires utiles. Je cite les travaux de Irving Choran et de Liong Wong dans le livre, et je dois aussi mentionner Danny Miller et Tony Frayne. John Bex de Phillips Industries en Grande Bretagne et Hans Wirdenius et ses collgues Kjell Martvall et Mats Kullstedt du Personaladministrativa Council de Stockholm ont tous fait sur des premiers jets du travail des commentaires qui mont conduit des amliorations importantes. Je dois Len Sayles des remerciements particuliers pour ses commentaires sur lavant dernire version du travail : ils ont conduit une restructuration et une amlioration trs profonde du manuscrit. Amina Rajabalee a dactylographi plus de versions de ces chapitres quelle ou moi nous soucions de nous souvenir; la pression du travail a parfois t importante mais jamais elle ne sest plainte ou na diminu la haute qualit de son travail. Je lui en suis particulirement reconnaissant. Je dois exprimer mon apprciation spciale Jim Campbell de Harper et Row pour le soutien quil ma apport. BilI Litwack a t un vritable ami tout au long du chemin, prt simpliquer dans tous les aspects du travail, des corrections grammaticales la relecture des preuves. A lexception peut-tre de lauteur, nul ne connat ce manuscrit mieux que lui. Dans ma thse jai exprim mon amour et mon estime Yvette; elle a interrompu sa carrire et coup ses contacts avec la ralit de la vie citadine de Boston pour une priode importante dhibernation dans la cabane prs du lac Sainte Agathe des Monts, pendant que son mari 8

crivait petit petit une thse de quatre cent pages. Les livres sont crits encore plus graduellement que les thses, et les pouses y apportent leur contribution de mille et une manires. Mais ce qua bti Yvette a t plus important et situ sur un autre plan : elle a dvelopp, pour nous, un style de vie ouvert, riche en motions, et dont lennui tait certainement absent. Je pense quil a eu une forte influence sur le livre. Enfin, aux deux petites filles qui ce livre est ddi, laissez-moi simplement dire quelles ne se demanderont jamais ce que fait leur pre. Elles savent bien quil crit des livres au sous-sol et quil ne faut pas le dranger.

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1.Introduction

Observateur :Mr. R nous avons brivement discut de cette organisation et de la faon dont elle fonctionne. Pourriez-vous maintenant me dire ce que vous faites ? Prsident Observateur Prsident Prsident Prsident Prsident Prsident : Ce que je fais? : Oui. : Ce nest pas facile. : Comme prsident, je suis naturellement responsable de beaucoup de choses.

Observateur : Allez-y quand mme. Observateur : Bien sr, je comprends cela mais que faites-vous? : Eh bien, je dois massurer que tout marche bien. : Je dois massurer que notre position financire est saine. : Eh bien, cest difficile dire. Observateur : Pouvez-vous me donner un exemple ? Observateur : Que faites-vous au juste pour vous en assurer? Observateur : Posons la question autrement quavez-vous fait hier? CL. Shartle(l)

Que font les cadres ?. Il sagit dune question simple, adresse aux cadres par leurs enfants, par les spcialistes fonctionnels qui travaillent pour eux et par les tudiants qui aspirent un jour les remplacer, Si vous posez cette question, il est probable quon vous rpondra en reprenant les termes quutilisait Fayol en 1916: les cadres planifient, coordonnent et contrlent. Bien, rpondrez vous. mais que font-ils vraiment? Si vous insistez pour obtenir une rponse, vous pouvez toujours aller vous enterrer pendant le plus clair dune anne dans lune des meilleures bibliothques amricaines de gestion, Aprs avoir lu peut tre deux cent livres et articles, vous en mergerez en tant capable de citer la littrature la plus rcente:

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Le cadre, donc, planifie, organise, motive, dirige et contrle. Ce sont l les grandes composantes de son travail. Il ajoute la prvision, lordre, la direction. lintgration des efforts et lefficacit aux contributions des autres. Cest l le meilleur sens quon peut donner au mot grer. Tel est le travail du cadre. (Strong. 1965, p. 5)

Notre savoir en reste l. Le cadre est le hros de la socit conomique contemporaine, et pourtant nous connaissons si peu de choses de son activit. On nous dit que cest en lui que rside le gnie de lefficience, et que, par exemple, lAmrique doit son succs matriel et organisationnel ce groupe de quelques dix millions de personnes (2). Et donc, nous nous tournons vers le cadre pour y chercher le leadership, tout en nous inquitant de sa capacit assumer ce leadership; un priodique connu (3) demande : La Prsidence (de la Rpublique) nest-elle pas une tche trop lourde pour un seul homme ? Et on entend la mme question dans les couloirs de milliers dentreprises et administrations. Les cadres sont ostensiblement forms dans les IAE et les coles de commerce. Les magazines comme lExpansion et la Revue Franaise de Gestion sont crits pour eux (4). Des centaines de cours de formation sont en principe conus pour les aider mieux grer; et ceux qui travaillent dans une grande entreprise ont toute chance davoir t exposs aux programmes internes de formation et de dveloppement professionnel. Plus, encore, ils sont entours par des quipes de spcialistes de planification, de conception de systmes dinformation, de recherche oprationnelle, etc. dont la fonction est prcisment de rendre les organisations, et tout particulirement leurs cadres, plus efficientes dans leur travail. Malgr tout cela, nous ne savons pas rellement ce que font les cadres. La question est apparue de faon particulirement aigu il y a quelques annes lors dune confrence organise par la Sloan School of Management du M.I.T. et ayant pour thme limpact de linformatique sur les cadres. Aprs des heures de discussion entre grands noms du management, un participant (5) posa une question qui montrait prcisment quel tait le problme-cl de la confrence et en mme

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temps le problme que rencontrent tous ceux qui cherchent influencer le travail des cadres:Je voudrais revenir un point que nous voquions tout lheure. Il me semble que nous ne nous sortirons pas des difficults que nous rencontrons actuellement tant que nous ne nous adresserons pas la question de savoir ce que fait le cadre dirigeant ou quelles sont les fonctions dont est compos le poste de direction gnrale. Je reviens une question que jai pose et laquelle personne na rellement rpondu : peut-on spcifier de quoi est fait le travail du cadre dirigeant? (Myers, 1967, p. 198).

Cette question est reste sans rponse lors de la confrence, ainsi que, pour lessentiel, dans la littrature de gestion. ____(2) Neadly et Fielder (1968) estiment quil y a entre 3 et 5 millions de cadres de second niveau , cest-dire de cadres ayant dautres cadres sous leur responsabilit. (3) US. News and World Report (13 juin 1966) : un regard sur le fonctionnement de la Maison Blanche, p. 78. (4) NdT: Nous donnons ici des quivalents franais des rfrences typiquement amricaines cites par lauteur. (5) Emmanuel G. Mesthene, Directeur du Programme de Harvard sur la Technologie et la Socit.

Si nous ne pouvons pas comprendre de quoi est tait le travail du cadre dirigeant, comment peut-on mesurer limpact de lordinateur sur ce travail? En fait, comment peut-on concevoir pour lui des systmes de planification et dinformatique de gestion qui soient utiles? Si on ne sait pas ce que font les cadres, comment peut-on prtendre enseigner la gestion aux tudiants? Com ment peut-on esprer que les programmes internes de dveloppement professionnel amliorent les performances des cadres? Et, si on ne parvient pas avoir une influence sur le travail des cadres, comment peut-on esprer rendre nos grandes bureaucraties capables daffronter les problmes qui aujourdhui paraissent insurmontables. Avant de pouvoir esprer que la formation et les sciences de gestion aient un impact tangible sur la pratique, il est un certain nombre de questions prcises auxquelles nous devons pouvoir rpondre:Quelles sont les activits du cadre ? Quelles informations traite-t-il? Avec qui doit-il travailler? O ? Avec quelle frquence?

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Quelles sont les caractristiques distinctives du travail dencadrement ? Quy a-t-il dintressant noter sur les moyens de communication quil utilise, les activits dans lesquelles il prfre sengager, le flux de ces activits au cours de la journe de travail, lusage quil fait de son temps, les pressions auxquelles il est soumis? Quels rles de base ltude des activits du cadre permet-elle didentifier? Quels rles le cadre joue-t-il dans la transmission des informations, la prise des dcisions, les relations interpersonnelles? Quelles variations existent entre les divers postes dencadrement ? A quel point les diffrences fondamentales peuvent-elles tre attribues la situation, la personne qui remplit la fonction, au poste lui-mme, lorganisation, et lenvironnement? A quel point le travail du cadre est-il programm (cest--dire rptitif. systmatique, et prvisible)? Dans quelle mesure est-il programmable? A quel degr le spcialiste de gestion peut-il reprogrammer le travail du cadre?

Lobjectif de cet ouvrage est de fournir un dbut de rponse ces questions, et damener dautres personnes y rechercher des rponses plus prcises. Il sagit dun livre sur les cadres sur les individus qui ont la responsabilit dorganisations ou de parties dorganisation. Cette dfinition exclut beaucoup des cadres de niveau intermdiaires, mais inclut des personnes qui ont le titre de prsident, premier ministre, chef dquipe, doyen, chef de dpartement, et archevque. Ce livre nest pas consacr la description de laction et du style des cadres efficaces. Il est centr sur cette unique question : que font les cadres? Lobjectif en dautres termes, est de dvelopper une description de poste qui a un sens pour ceux qui croient quon peut approcher la gestion comme une science. A la diffrence de pratiquement tous ceux qui lont prcd, ce livre est exclusivement fond sur les rsultats dobservations et dtudes empiriques. La plupart des autres ouvrages traitant du sujet ne font pas systmatiquement rfrence lvidence exprimentale. Nous devons rejeter leurs conclusions, non seulement parce quelles ne sont pas valides exprimentalement, mais parce que nombre dentre elles sont en fait directement contredites par les tmoignages issus de notre recherche. Ce livre est donc crit sans ides prconues sur ce quest le travail des cadres. Les rsultats des recherches empiriques parlent deux-mmes:

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tude des agendas de cadres suprieurs et de cadres moyens, observation dtaille de chefs de bandes de jeunes, dadministrateurs dhpitaux et de responsables de production; analyse des dossiers dactivits de prsidents des Etats-Unis; tude par chantillon des activits dagents de matrise; observation structure du travail de PDG. En rassemblant tous ces rsultats pour la premire fois, nous pouvons dvelopper une nouvelle image du travail du cadre et aboutir quelques conclusions majeures, entre autres celles qui suivent: 1. Le travail est remarquablement semblable dun cadre un autre. Le travail dagents de matrise, de prsidents, dadministrateurs gouvernementaux et dautres cadres peut tre dcrit laide de dix rles de base et de six ensembles de caractristiques. 2. Les diffrences qui existent entre cadres peuvent tre dcrites pour une large part laide des caractristiques et des rles qui leur sont communs, comme par exemple une caractristique attnue ou au contraire particulire ment importante, ou encore une attention toute spciale accorde un rle. 3. Comme on le pense habituellement, une bonne partie du travail du cadre est difficile et non programme. Mais chaque cadre a sa part de devoirs ordinaires et rguliers, en particulier transmettre des informations et faire fonctionner lorganisation hirarchique. De plus, il parat arbitraire dexclure certaines activits (comme voir des clients et ngocier des contrats) des tches dencadre ment, alors que de nombreux cadres les accomplissent. Pratiquement toutes les activits dans lesquelles les cadres sengagent, mme si elles font lvidence partie des oprations rgulires de lorganisation, sont en fait relies leur rle dencadrement. 4. Le cadre est la fois gnraliste et spcialiste. Dans sa propre organisation, il est gnraliste point focal du flux dinformation et de traitement des exceptions. Mais comme cadre, il est spcialiste : assurer 14

un travail dencadre ment exige de tenir des rles spcifiques et davoir des aptitudes particulires. Malheureusement, nous savons peu de choses de ces aptitudes et, par consquent, nos coles de gestion ont jusquici peu fait pour les enseigner de faon systmatique. 5. La plus grande partie du travail du cadre vient de son information. Le cadre parvient dvelopper une base de donnes qui lui permet de prendre des dcisions de faon plus efficace que ne pourraient le faire ses subordonns parce quil a accs de nombreuses sources dinformation, et que pour certaines dentre elles, il est la seule personne de son unit y avoir accs. Malheureuse ment, il reoit la plupart de son information de faon verbale et il lui est difficile de dlguer la responsabilit de la prise de dcision parce quil manque de moyens efficaces pour diffuser linformation. Par consquent, il doit prendre en charge lui-mme, totalement, llaboration de la stratgie de son unit. 6. Le risque majeur que court le cadre est celui de la superficialit. Parce que son travail est peu dfini, cause aussi de sa responsabilit dans la transmission de linformation et dans llaboration de la stratgie, le cadre est conduit accepter une charge de travail trs importante et en accomplir une bonne partie de faon superficielle. Par consquent, il travaille un rythme soutenu et ses activits sont caractrises par la brivet, la varit et la fragmentation. Son travail ne conduit pas le cadre tre un planificateur et un penseur; il le conduit plutt tre un manipulateur dinformation et un adaptateur qui prfre un milieu de type stimulus-rponse. 7. 11 ny a pas de science dans le cadre du cadre. Les cadres travaillent comme ils ont toujours travaill : avec de linformation verbale et en suivant des processus intuitifs (non explicites). Le spcialiste de gestion na pratiquement aucune influence sur la faon dont le cadre travaille. 8. Le cadre est dans une sorte de cercle vicieux. La pression du travail le force adopter dans son travail des caractristiques (fragmentation des 15

activits, importance accorde la communication verbale, entre autres) qui le conduisent tre superficiel, et qui rendent difficile laide du spcialiste de gestion. Ces effets, leur tour, entranent un renforcement des caractristiques du travail et une pression accrue. A mesure que les problmes que rencontrent les grandes organisations deviendront plus complexes, les cadres dirigeants seront soumis des pressions toujours accrues dans leur travail. 9. Le spcialiste de gestion peut aider briser ce cercle vicieux. Il peut apporter au cadre une aide significative dans le traitement de linformation et llaboration de la stratgie, condition quil comprenne mieux le travail du cadre et quil puisse se mnager un accs sa base de donnes verbales. 10. Le travail du cadre est dune complexit extraordinaire, bien plus forte que ne le suggre la lecture de la littrature traditionnelle, Il est ncessaire de ltudier de faon systmatique et dviter la tentation qui consisterait rechercher des recettes simples aux problmes quil pose. Nous ne pourrons lamliorer de faon significative que lorsque nous le comprendrons avec prcision. Ce livre analyse le travail du cadre en utilisant quatre dimensions. Le chapitre 3 dcrit les caractristiques les plus communes du travail des cadres, et le chapitre 4 prsente une description des dix rles que les cadres paraissent tenir. Le chapitre 5 contient les rsultats de recherches sur les diffrences qui existent entre le travail de diffrents cadres. et le chapitre 6 aborde la question de savoir si une approche scientifique du travail du cadre est possible. Le chapitre 7 rsume ces dcouvertes et en tire les consquences. En prambule cette description du travail des cadres, le chapitre 2 passe en revue la littrature contemporaine dans le domaine: huit coles de pense font lobjet chacune les quatre corps de thorie prsents dans les chapitres 3 6: les caractristiques, les rles, les diffrences et lapproche scientifique.

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Note au lecteur : mon objectif a t dcrire ce livre de faon ce quil puisse tre lu de bout en bout par le cadre, par ltudiant en gestion, par le fonctionnel,le professeur ou le chercheur en gestion. Je ne vois aucune raison qui empche un livre dtre la fois clair pour le novice et rigoureux pour le scientifique. A cette fin, on trouvera la fin de chacun des quatre principaux chapitres (3 6) un rsum sous forme de propositions. De plus, nous recommandons au lecteur de lire la dernire section du chapitre 2 comme une introduction plus dtaille larmature thorique utilise dans la suite. On trouvera dautres rsums vers la fin des chapitres 4 et 5, consacrs respectivement aux Objectifs Principaux des Cadres et aux Huit Types Principaux de Postes dEncadrement. Le chapitre 7 commence par un rsum qui intgre toutes les dcouvertes et lensemble des matriaux thoriques prsents dans les chapitres 3 6. Ce rsum est suivi dune courte section dans laquelle il est suggr que le cadre opre lintrieur dun cercle vicieux dans lequel lenferment les pressions du poste et les difficiles caractristiques du travail. Les quatre dernires sections analysent les consquences de cet tat de fait : une des sections est explicitement crite pour le cadre, une autre pour le formateur qui intervient dans des programmes pour cadres, une troisime pour le spcialiste de gestion (il sagit dun rsum du chapitre 6) et une, enfin, pour le chercheur en gestion.

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2.

Conceptions

contemporaines

sur le travail du cadre

Nous avons une meilleure connaissance des motivations, des habitudes et des mystres les plus intimes des peuples primitifs de Nouvelle Guine, ou dailleurs, que des cadres dirigeants dUnilever. Roy Lewis et Rosemary Stewart(1)

Bien que le travail du cadre ait fait lobjet dune abondante littrature, nous continuons den savoir trs peu sur ce sujet. La plus grande partie de la littrature est dune utilit faible, se limitant une rptition sans fin des mmes propositions vagues. Un scientifique crivait rcemment: Il faut admettre que la plupart des cadres grent et agissent la fois, mais aussi que lorsquils sont en train dagir ils ne sont pas en train de grer (Goodman. 1968, p. 31). Des descriptions comme celle-ci des gnralits abstraites dconnectes des donnes solides de la recherche empirique persistent malgr des avertissements rpts indiquant que lon ne sait presque rien de ce que font les cadres. Presque tous ceux qui ont essay de passer en revue une partie de la littrature ou dtudier srieusement le travail des cadres ont insist sur ce problme (2). Dans lintroduction sa clbre tude sur la rpartition du temps de travail de neuf cadres sudois. Sunne Carlson crivait, en 1951, cette littrature sattache plus des spculations gnrales sur les fonctions des cadres qu une description de la ralit de leur travail (p. 23). Cette remarque fut reprise plus tard, en 1959, par Mason Haire : la 18

plus grande partie de lattention est encore consacre au comportement et aux motivations des ouvriers et des employs dans lorganisation... il ny a pratiquement aucune tude consacre ce que lencadrement fait en ralit (p. 15). Et lorsque Campbell et ses collaborateurs publient en 1970 leur importante tude sur lefficacit des cadres, ils trouvent une situation inchange dans ce domaine:Le problme, bien sr, rside dans notre incapacit actuelle dfinir et mesurer les exigences des tches dencadrement. La description du travail des cadres est encore un niveau totalement primitif. Le domaine du comportement des cadres demeure pour lessentiel une masse indiffrencie (1970, p. 476).

____(1) Cette citation proviennent de Lewis et Stewart. 1958, p. 17. 2) Malheureusement, il nexiste mme pas de revue complte de la littrature, bien que Campbell et al 1970) et Dubin (1962) couvrent les plus importantes des tudes empiriques.

Une autre difficult mme quand la recherche est fonde sur des tudes systmatiques est sa tendance se focaliser sur un lment du travail du cadre lexclusion de tous les autres. En particulier, on a une littrature abondante sur deux aspects du travail du cadre : cest un leader et un dcideur; mais ces deux aspects sont rarement intgrs dans une perspective cohrente densemble (3). La tche laquelle je mattelle dans ce livre est dextraire linformation utile de la littrature existante et de la confronter mes propres dcouvertes pour aboutir une description densemble du travail du cadre.

LECOLE CLASSIQUELa premire conception du travail du cadre, celle qui domine en fait, nous vient dauteurs que lon rangera ici dans lcole classique. Ils dcrivent ce travail laide dun ensemble de fonctions composites. Le pre de cette cole, Henri Fayol, prsenta en 1916 les cinq fonctions de base de lencadrement: planifier, organiser, coordonner, commander et

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contrler (4). Son travail fut repris dans les annes trente par Luther Gulick qui donna aux cadres un de leurs premiers acronymes:Quel est le travail du PDG ? Que fait-il ? La rponse est POPDCORB. POPDCORB est bien entendu un mot forg pour attirer lattention sur les diffrents lments fonctionnels du travail du directeur gnral, les mots administration et gestion ayant perdu tout sens spcifique. POP DCORB est form des initiales des diffrentes activits: Planification, activit qui consiste dfinir dans ses grandes lignes les choses qui sont faire et la mthode suivre pour les faire, dans le but daccomplir les objectifs de lentreprise;

____(3) Katz et Kahn remarquent que March et Simon (1958) ont crit un livre important sur les organisations formelles (un livre trs connu pour ses thories relatives aux processus de dcision) dans lequel le terme leadership napparat ni dans la table des matires ni dans lindex (1966, p. 300). Louvrage de Campbell et al (1970). typique quant lui des ouvrages rcents et importants consacrs au leadership, ne comporte pas le terme prise de dcision dans la table des matires et ne le fait figurer quune fois, et de faon tangentielle, dans lindex. (4) En ralit, il existe des lments qui permettent de penser que Fayol oprait lextension de travaux similaires raliss par des conomistes des poques diverses remontant jusque 1770. Voir C.S. Georges Jr: Lhistoire de la pense en gestion (Englewood Cliffs, Ni., Prentice Hall, 1968. p 65. en langue anglaise).

Organisation, activit qui consiste tablir la structure dautorit formelle; cette structure dcompose lentreprise en sous-units, effectue la division du travail entre ces composantes et assure la coordination ncessaire latteinte de lobjectif de lensemble. Personnel, cest--dire toute la fonction qui consiste recruter et former les personnels, et maintenir des conditions de travail favorables; Direction, activit permanente qui consiste prendre des dcisions, les transformer en ordres et en instructions gnrales et spcifiques, et servir de leader lorganisation; Coordination, activit dimportance essentielle qui consiste assurer la liaison entre les diffrentes parties du travail; Rapport, activit qui consiste pour le cadre tenir son suprieur au courant de ce qui se passe; au moyen de dossiers, de recherches et dinspections, il lui faut donc se maintenir lui-mme et maintenir ses subordonns informs de la situation.

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Budget, et tout ce qui y est rattach, comme la planification fiscale, la comptabilit et le contrle. Cette description du travail du directeur gnral est inspire de lanalyse fonctionnelle labore par Henri Fayol dans son ouvrage Administration Industrielle et Gnrale. Nous pensons que ceux qui connaissent intime ment ladministration des affaires trouveront dans cette analyse une structure valable et utile, laquelle sadaptent chacune des activits principales et chacun des devoirs de chaque directeur gnral (Gulick et Urwick, 1937, p. 13).

POPDCORB eut du succs, et continue aujourdhui encore dominer la littrature sur le travail des cadres. La Harvard Business Review, par exemple, a choisi dinsrer dans lun de ses numros, un article intitul Le processus de gestion en 3-D dont lobjectif est de fournir une mthode pour intgrer toutes les activits gnralement reconnues comme relevant de lencadrement (Mackenzie, 1969, p. 87). Plus dun demi-sicle aprs Fayot, cet article apprend au lecteur que les cadres planifient, organisent, grent le personnel, dirigent et contrlent. Larticle entre plus avant dans le dtail. La fonction de direction, par exemple, comprend les activits suivantes : dlguer, motiver, coordonner, grer les diffrences et le changement. Curieusement, larticle prtend mettre au compte de ses rsultats principaux une avance vers la standardisation de la terminologie, tout en dmontrant que ce rsultat peut tre clairement attribu Fayol ds 1916! POPDCORB imprgne les crits des thoriciens succs comme Drucker, et ceux des dirigeants dentreprise comme Ralph Cordiner; on voit apparatre ce sigle lorsquon demande aux cadres de dcrire leur travail, ou quand on lit leur description de poste: il se prsente aussi dans une multitude darticles, de rapports et de manuels (5). Apparemment POPDCORB sest imprim dans lesprit des cadres, des enseignants et des tudiants en gestion. Quelle est lutilit de POPDCORB ? Pour sen rendre compte rapidement, il suffit dobserver un cadre au travail, puis dessayer de relier les activits quil a aux fonctions de POPDCORB. ____(5) Voir par exemple Drucker 11954. pp. 343-344), Cordiner (1965), Goodman (1969). Strong (1965, p. 5). Courtois) 1961 et Stieglitz (1968).

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Considrons par exemple un directeur gnral qui est approch par un groupe de salaris mcontents menaant de dmissionner si lun des vice-prsidents de lentreprise nest pas licenci, et qui doit passer les quelques jours qui suivent rassembler des informations et trouver un solution ce problme. Ou bien considrons un cadre qui remet la mdaille du travail un de ses subordonns qui prend sa retraite. Ou encore un PDG qui transmet lun de ses subordonns une information utile quil a obtenue lors dune runion de conseil dadministration. Lesquelles de ces activits peut-on ranger dans la catgorie planification, dans les catgories organisation, coordination, contrle ? De fait, quel les relations existent entre ces quatre mots et les activits du cadre ? Ces quatre mots, en fait, ne dcrivent pas le travail que fait le cadre. Ils qualifient certains objectifs vagues de son travail: ces mots... ne sont que des moyens pour indiquer ce quil nous faut expliquer (Braybrooke, 1963, p. 537). De fait, les critiques les plus lucides que nous possdons sur POPDCORB nous viennent des auteurs qui ont tudi de faon systmatique le travail des cadres. Dans ces notes, Sunne Carlson crit:Si on demande un directeur gnral quel moment il coordonne, ou quelle quantit de coordination il a ralise au cours dune journe, il ne saura pas rpondre et le plus dou des observateurs ne le saura pas non plus. On eut faire le mme constat pour les concepts de planification, de commandement, dorganisation et de contrle, ainsi que pour la plupart des concepts utiliss par Barnard dans son analyse des fonctions de direction (6). (1951, p. 24).

R.T. Davis, qui a tudi le travail de vendeurs, fait le commentaire suivant propos du concept de planification:Certains responsables des ventes considraient la planification comme une activit de direction. Mais la planification est-elle une activit ou une aptitude lanalyse, la technique ou aux relations humaines? Est-ce quun cadre, dans la ralit, sassoit priodiquement et annonce: Maintenant, je vais planifier, sans faire rfrence des

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problmes prcis tels que le dveloppement professionnel et la supervision des vendeurs, la prvision et ladministration des ventes, etc. (1957, p. 47).

Ainsi, les crits de lcole classique sont de peu dutilit. Ils ont servi mettre des noms sur des zones dignorance, et indiquer chaque cadre ce quil devrait faire (mais pas ce quil fait en ralit). Et lcole classique a, pendant trop longtemps, bloqu la recherche dune comprhension plus profonde du travail du cadre. _____(6) Dans son ouvrage sur Les fonctions du cadre dirigeant, Barnard traite de trois fonctions : dabord tablir un systme de communication, ensuite faire en sorte que lorganisation dispose des ressources essentielles, enfin dfinir et formuler la raison dtre de lorganisation (1938, p. 217).

LECOLE DU GRAND HOMME Le lecteur fatigu des gnralits du POPDCORB, peut se tourner vers les ralits tangibles des biographies et autobiographies de cadres. Il y trouvera Une richesse de dtails et danecdotes, mais peu de thorie gnrale sur le travail du cadre. On peut suivre chaque mois cette cole du grand homme dans des priodiques et journaux daffaires (7). Le lecteur qui cherche approfondir cette voie peut tudier les livres consacrs aux grands leaders de lhistoire industrielle, militaire et politique. Il y apprendra des choses sur llite gouvernante : celle qui dirige et contrle les rseaux de relations tablies des activits organises les plus importantes de notre socit (Collins, Moore et Unwalla, 1964, p. 3). Ce volumineux corps de littrature peut tre divis en deux parties. La premire analyse les cadres au sein de groupes : leurs familles, leur ducation, leurs affiliations sociales, leur carrire, leur personnalit. Comme exemples particulirement intressants on peut citer Le cadre dirigeant de la grande entreprisede Michael Newcomer(1955) et Le patronde Roy Lewis et Rosemary Stewart (1958). Ces livres nous donnent de nombreuses vues trs utiles, le premier sur les cadres dirigeants amricains, le second sur leurs collgues britanniques. Quel 23

que soit lintrt de cette littrature, elle nous servira peu ici car elle nest pas centre sur le travail de ces cadres. Plus proche de ce qui nous concerne ici, on trouve les tudes individuelles, par exemple Mes annes la General Motors dAlfred P. Sloan (1963). De telles tudes sont souvent centres sur les poques de crise, sur ce que les protagonistes ont fait alors que le monde avait les yeux fixs sur eux. Ils parlent aussi des habitudes et des comportements de ces hommes, littralement toutes les habitudes et tous les comportements: dans quoi ils ont investi les normes ressources quils contrlaient aussi bien que pourquoi ils ne prenaient pas de petit djeuner. Cest un corps de littrature vaste et fascinant, mais il dit peu de chose sur le travail que faisaient rellement ces hommes. Ces livres sont plutt centrs sur les styles et les stratgies de ces hommes, ils construisent leurs descriptions sur des anecdotes. Souvent ils ne permettent pas la gnralisation. On parle parfois au lecteur des heures de travail du cadre, des mthodes quil utilise pour obtenir ses informations et pour prendre ses dcisions; parfois aussi on donne quelques dtails sur une de ses journes de travail. Mais ces rapports sont gnralement lacunaires, et ne permettent pas daboutir un schma gnral du travail du cadre. Ainsi, cette littrature sur les grands hommes, bien quelle soit intressante de faon gnrale, quelle soit utile lhistorien et peut-tre au psychologue, ne rvle presque rien du travail du cadre. Elle est riche danecdotes, mais pauvre en thorie gnrale. _____(7) Dans son numro du 15 Mars 1971. la revue Forbes annonce une des publications suivantes dans ces termes: Les rdacteurs de Forbes ont t frapps de constater que peu de gens savent clairement ce que le patron fait, bien que des dizaines et des dizaines de livres aient t crits sur les sciences de gestion et la psychologie de la gestion (p. 9). Parut ensuite un numro spcial sur Le rle du directeur gnral. Il contenait en fait 25 articles brefs et intressants sur les directeurs gnraux dautant de grandes entreprises (comme General Electric, Coca Cola, Bank of America). Les articles traitaient de leurs problmes, de leurs stratgies, de leurs philosophies et de leurs proccupations, mais pas de leur travail.

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LECOLE DE LENTREPRENEURDans cette partie, en nous tournant vers les crits des conomistes, nous traiterons de la premire des deux coles de pense pour lesquelles le cadre est exclusivement considr comme un dcideur. En microconomie traditionnelle, la cadre na pas de latitude de dcision. Lorsquil doit en prendre, il agit rationnellement : il faut tout simplement quil maximise le profit.Bien que les thoriciens de lconomie aient laiss lentrepreneur un rle de dcideur et dacteur intervenant dans les vnements conomiques, ils lont typiquement enferm dans le rle de lhomme rationnel qui choisit de faon optimale dans un environnement aux dimensions peu nombreuses et trs bien dfinies. Dans cette mesure, sa fonction le confine tre un calculateur qui assure le lien entre des forces impersonnelles et des conclusions toutes faites (Collins et Moore, 1970, pp. 7-8).

La prise de dcision commence avec un problme, des buts explicites, lensemble des solutions possibles et toutes leurs consquences. Le cadre dispose de toutes ces donnes; il value les consquences, range les solutions par ordre de mrite, selon quelles permettent dapprocher les objectifs de plus ou moins prs, puis choisit la meilleure solution. Il ny a pas de problme ambigu, de projet mal dfini, dobjectifs incompatibles, ni de consquences imprvisibles. Ainsi, le cadre a peu dimportance pour lconomiste. Cest lentrepreneur fondateur de son entreprise qui retenu son attention, car cest lui qui aune latitude de dcision: il peut mettre en route une organisation. Joseph Schumpeter, lconomiste le plus connu pour ses considrations sur lentrepreneur et son rle crucial dans linnovation, crivait: Chacun est entrepreneur lorsquil met en oeuvre de nouvelles combinaisons, et unique ment ce moment; il perd ce caractre ds que lentreprise est construite (cit par Collins et Moore, 1970, p. 10). Dautres conomistes ont trait du comportement face au risque, et cette question a suscit divers dbats dans la littrature (8). Lentrepreneur est-il simplement linnovateur? Est-il celui qui apporte le capital? Ou est-il un 25

intermdiaire qui sait marier largent et les ides? Il ne parat y avoir dans ce domaine aucune conclusion dfinitive, non seulement parce que les thoriciens ne parviennent pas se mettre daccord sur la terminologie, mais aussi parce quaucun de ces auteurs ne parat se soucier de la signification oprationnelle de la fonction dentrepreneur. Lun dentre eux nous dit que lentrepreneur innove, mais il ne nous dit pas comment (9). _____(8) Trois rfrences cites en bibliographie Harbison et Myers (1959), Collins et Moore ( l9 Papandreou (1962) discutent de ces dbats. Le lecteur intress par les rfrences originales peut consulter Schumpeter (1947 et 1961) et Knight (1934).

Lentrepreneur en est ainsi venu tre entour dune sorte daura mystique :Dune certaine faon, lentrepreneur est un personnage hroque du folklore amricain semblable, peut-tre, Davy Crockett et aux autres figures piques: les indpendants irrductibles qui dfrichaient les forts, escaladaient les montagnes, fondaient de nouvelles communauts, arrivaient quelque chose en partant de rien et faisaient tout ce que les hros amricains ont d faire pour construire une grande nation (Collins, Moore et Unwalla, 1964, pp. 4-5).

On peut en conclure que lcole de lentrepreneur contribue notre comprhension en montrant que linnovation est une des composantes importantes du travail du cadre (sans pour autant dcrire le comportement innovateur).

LECOLE DE LA THEORIE DE LA DECISIONNombre de thoriciens de la gestion ont consacr leur attention aux dcisions non programmes rputes tre les plus frquemment rencontres par les cadres suprieurs. Qualifier une dcision de non programme, cest affirmer quelle est complexe quon en comprend peu de chose et que le cadre ne peut utiliser aucune mthode

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prdtermine pour parvenir une solution. N.H. Martin, aprs avoir tudi des cadres de quatre niveaux hirarchiques diffrents, conclut que les dcisions des cadres de niveau le plus lev sont caractrises par une dure plus longue, un horizon temporel plus loign, une discontinuit plus importante, des limites temporelles plus lastiques, des donnes plus abstraites, des relations plus superficielles et une incertitude plus importante.Cest au cadre dirigeant lui-mme de dterminer si la situation exige un changement. Il doit rechercher et laborer des solutions diffrentes: il doit crer les procdures administratives ncessaires la mise en oeuvre de la dcision. De telles situations peuvent tre qualifies de non structures (1956. p. 254)

Cest Herbert Simon que cette cole de pense doit son origine et beaucoup de son dveloppement. En sappuyant sur les premiers travaux de Chester Barnard (1938). Simon a publi Administrative Behavior en 1947. Puis il rassembla un groupe de chercheurs autour de lui, au Carnegie lnstitute of Technology (qui sappelle actuellement lUniversit Carnegie Mellon). Les plus importants de ces chercheurs furent James G. March avec qui il publia Organizations en 1958, et Richard M. Cyert qui publia avec March en 1963 louvrage intitul A behavioral theory of the firm , louvrage peut-tre le plus important jamais publi sur le thme de la prise de dcision. _____(9) Une tude rcente faite par un sociologue et un doyen en relations industrielles comble cette lacune. Dans un ouvrage fascinant intitul I. Lhomme qui entreprend : une tude du comportement dentrepreneurs indpendants, fond sur 150 entrevues approfondies avec des entrepreneurs. Collins et Moore (l970) dcrivent les personnalits de ces hommes, leur formation, leur origine, et les moyens par lesquels ils ont cr leur entreprise.

. A la base, ces chercheurs ont considr la prise de dcision, non pas comme un choix rationnel entre alternatives connues la manire des conomistes, mais dans des termes qui, daprs eux, rendaient compte de 27

faon plus exacte des limites relles des cadres. Ils soutiennent que les cadres nont ni systmes dobjectifs explicites, ni fonction prfre; quune des tapes les plus importantes et les plus ngliges de la prise de dcision est la dfinition du problme; que les alternatives et leurs consquences sont rarement connues avec clart; et finalement que les choix sont faits de faon satisfaire les contraintes, et non pas de faon maximiser des objectifs (dans leur langage les cadres dcident en utilisant non pas le principe de maximisation mais le principe de satisfaction). Comme leur monde est complexe, les cadres ont gnralement un comportement ractif, cherchant avant tout viter lincertitude. De plus, lorganisation est soumise une varit de pressions quexerce sur elle une coalition de groupes qui ont des objectifs diffrents. Maximiser est tout simplement impossible; le cadre ne peut pas faire mieux quviter le conflit. Il y parvient par lattention squentielle aux objectifs.Tout comme lorganisation politique rsoudra probablement le conflit entre les pressions qui lincitent aller gauche et aller droite en faisant dabord lun puis lautre, lentreprise sera probablement amene rsoudre les conflits entre rguler la production et satisfaire les consommateurs en faisant dabord lun puis lautre. Entre ces buts, est ainsi tablie une priode-tampon qui permet lorganisation de rsoudre un problme la fois, daccorder son attention un but la fois. (Cyert et March, 1963, p. 118).

En tendant leur thorie, ces chercheurs ont dcrit lorganisation comme un ensemble de programmes (de procdures tablies) faiblement coupls entre eux et disposs de faon hirarchique de telle sorte que les programmes dordre plus lev modifient les programmes dordre plus faible qui, eux, font le travail de base. Cette approche suggre que lessentiel du travail du cadre consiste programmer cest--dire concevoir et modifier les procdures que les subordonns doivent utiliser. Pour reprendre les termes de deux avocats de lapproche de Carnegie:

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Cette conception des choses (des tches peu dfinies au sommet, et bien dfinies la base) parat tre en accord avec la faon selon laquelle les tches circulent dans les organisations et les traversent. Elles y entrent souvent au sommet sous des formes nouvelles et mal dfinies. Le sommet y travaille, les dfinit, les oprationnalise; puis, si elles doivent devenir des tches permanentes, il les passe vers le bas de la hirarchie, o elles sont leur tour converties dun tat partiellement oprationnel un tat de dfinition plus avanc, puis encore plus bas des sous-structures spcialement cres ou adaptes pour loccasion. Sans doute le sommet, dans lintervalle, a-t-il tourn son attention vers de nouveaux problmes mal dfinis (Klahr et Leavitt, l 112).

Ce qui prcde, comme la recherche de Martin cite plus haut, suggre que le travail du cadre est pour lessentiel non programm. Aux niveaux les plus bas de lorganisation le travail est la fois routinier et programm: un stimulus familier (une commande client par exemple) correspond une rponse organise et prvisible. Le travail dencadrement est plus complexe: le stimulus est sou vent ambigu et la rponse consiste essentiellement ttonner la recherche dune solution. Il ny a pas de mthode claire et nette pour traiter le problme parce quon ne la jamais rencontr auparavant, ou parce que sa nature et sa structure prcises sont floues et complexes, ou encore parce quil a une importance telle quil justifie un traitement faon. (Simon, 1965, p. 59; voir aussi March et Simon, 1958, pp. 139-142). Mais ce que lobservateur croit tre organis et non programm, peut tout simplement ne pas tre compris. En dautres termes, les cadres pourraient bien utiliser dans leur travail des programmes dordre suprieur: un programme pour dfinir les problmes, un programme de recherche dalternatives, un programme de choix (10). Cette possibilit excitante a conduit quelques chercheurs en gestion considrer la possibilit de programmer le travail du cadre, cest--dire de la dcrire de faon systmatique comme un ensemble de pro grammes. A ce jour, les recherches les plus intressantes sur la planification des processus complexes de dcision ont t consacres des situations artificielles ou simplifies: comme, par exemple,jouer aux checs ou

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prouver des thormes de gomtrie (Simon, 1965; Newell et Simon, 1972). Cependant, quelques tentatives ont t faites pour dcrire le travail dencadrement lui-mme sous la forme de programmes. Ces tentatives sont prsentes au chapitre 6. Pour conclure, les chercheurs de Carnegie ont dcrit le cadre comme un dcideur non programm qui programme le travail des autres. Ils ont aussi mis lide intressante selon laquelle le travail du cadre, qui peut au premier coup doeil apparatre comme totalement non structur, est peut-tre en fait susceptible dtre dcrit avec prcision; cest--dire, quil peut tre programm. Une autre contribution, trs intressante, de cette cole de pense est celle de Charles Lindblom, conomiste de Yale. Sa vision du cadre comme dcideur se combine celle du groupe de Carnegie. Dans une srie de publications (1959, 1965, 1968 et Braybrooke et Lindblom, 1963), Lindblom prsente lincrmentalisme disjoint (nomm plus simplement systme D dans son premier article) comme le systme dlaboration de la politique gnrale utilis par les administrateurs du secteur public. Avec une argumentation proche de celle utilise par le groupe de Carnegie, Lindblom commence par attaquer lapproche de lconomiste, rationnelle et synoptique. Selon lui, cette approche ne marche pas parce quelle ne reconnat pas lincapacit de lhomme traiter les problmes complexes, le manque habituel dinformation, le cot de lanalyse, le problme de la programmation dans le temps, et les difficults quil y a formuler des objectifs ralistes. _____(10) Ces programmes correspondent aux trois phases de la dcision selon Simon: - activit de saisie, recherche, dans lenvironnement, des circonstances qui exigent une dcision. - activit de conception, invention, dveloppement et analyse des actions envisageables . - activit de choix , slection dune des alternatives possibles Simon. 1965. p. 54).

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Le cadre de Lindblom agit de faon ractive, en sloignant des problmes plutt quen sapprochant des objectifs. Seules sont considres des alternatives la marge celles qui nauront pas de consquences imprvues et peu de leurs consquences sont explores. Les buts sont flexibles, et rviss en permanence pour tre adapts aux moyens disponibles. De faon plus significative, le cadre agit de faon srielle, par tapes: il fait un changement mineur, en interprte les rsultats, fait un autre changement, etc. Dans loptique de Lindblom, llaboration de la politique gnrale est un processus sans fin, compos de microtapes qui se succdent les unes aux autres; cest un grignotage continuel plutt quune franche bouche(1968, p. 25). La vision de Lindblom sur le cadre diffre beaucoup de celle des conomistes:Lhomme a t contraint dtre diablement inventif pour faire face aux normes difficults quil a rencontres. Ses mthodes analytiques ne peuvent tre restreintes des procdures simplistes et scolaires. Celui qui travaille pas pas, en reprant ses erreurs et en sappuyant sur sa conviction intuitive peut trs bien ne pas avoir lair dun hros. Il nen est pas moins plein de ressources, rsolvant des problmes de faon habile en se battant brave ment, et reste assez sage pour savoir que lunivers est trop grand pour lui. (Lindblom, 1968, p. 27).

La pense de Lindblom, bien quelle ne soit pas corrobore par des rsultats de recherches systmatiques, nen est pas moins importante comme source de rflexion. Cest particulirement vrai quand on considre la popularit toujours forte de lhomme rationnel dveloppe par les conomistes. Cette conception du cadre rationnel qui maximise le profit est ancre dans lesprit de nombreux technocrates (spcialistes de recherche oprationnelle ou de planification long terme par exemple). Il est clair que ceci doit changer, et quil faut marier la conception du cadre entrepreneur celle du cadre spcialiste du systme D pour que puisse merger une image raliste du dcideur.

LECOLE DU COMMANDEMENT EFFICACE

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Les deux coles de penses que nous venons de dcrire se focalisent sur le cadre considr comme dcideur lexclusion de toute autre activit dencadre ment; les trois coles de pense que nous abordons maintenant se focalisent, elles, sur le commandement lexclusion des autres activits. Ltude du commandement cest ltude du comportement interpersonnel, et plus prcisment celle des relations entre les leaders et les suiveurs. Le leadership est un concept relationnel qui comporte deux termes : celui qui influence et les personnes influences. Sans suiveur, il ne peut y avoir de leader (Katz et Kahn, 1966, p. 301). Les chercheurs de lcole du commande ment efficace (beaucoup dentre eux sont des psychologues sociaux) centrent moins leur approche sur le travail dencadrement que sur lhomme qui fait le travail. Ils cherchent dcouvrir quels traits de personnalit ou quel style de direction amnent un cadre tre efficace. Les premiers chercheurs qui ont adopt cette approche ont examin quels traits de personnalit ou quelles constellations de traits pouvaient se retrouver chez tous les leaders efficaces. Dans lensemble, ils ont obtenu peu de rsultats: peu de traits de personnalit se sont avrs tre corrls et ceux qui ltaient taient si gnraux (lempathie, la confiance en soi) quils taient peu utiles pour prvoir la performance dans des postes dencadrement. Au dbut des annes soixante, un autre groupe de chercheurs (que nous appellerons les humanistes)a focalis son attention suries styles de direction, critiquant le style autocratique, centr sur la tche, se faisant lavocat du style participatif, centr sur les relations. Plus rcemment, des psychologues sociaux dapproche empirique ont avanc des thories situationnistes, ou contingentes: pour expliquer et prvoir ce quest le commandement efficace, ils partent de lide selon laquelle il ny a pas de style meilleur que les autres dans labsolu; pour eux, la ralit est plus complexe: lefficacit dun style de commandement donn dpend dun certain nombre de caractristiques de la situation, y compris la structure des rcompenses offertes par lorganisation, le pouvoir formel attach la position du cadre, la nature du travail quil supervise, le climat de son 32

organisation, ainsi que des caractristiques du cadre lui-mme: ses aptitudes, ses attentes, sa personnalit (11). Pour conclure, lcole du commandement efficace nen est qu ses dbuts. Elle ne fait que commencer nous apporter des lments sur les facteurs defficacit; mais lattention excessive quelle a accorde deux styles de direction (lautocrate et le participatif) ainsi quun certain manque de comprhension des comportements interpersonnels des leaders, ont ralenti les progrs de cette approche.

LECOLE DU POUVOIR DU LEADERDiffrente de celle que nous venons de voir, lcole du pouvoir du leader se focalise sur le pouvoir et linfluence, sur les prrogatives manipulatrices du leader. Les chercheurs de cette cole posent la question suivante: quel point le leader contrle-t11 son environnement? Pour rpondre, ils tudient la capacit du leader utiliser son pouvoir pour obtenir les rponses dsires de la part de ses subordonns et de ses pairs. Quelques-unes de ces recherches se focalisent sur la position et sur la latitude daction quelle permet celui qui la dtient ;dautres sont centres sur des individus particuliers et sur la faon dont ils utilisent cette latitude daction. Melville Dalton, dans sa clbre tude sur les cadres moyens, utilise la premire de ces approches. Comme sociologue, il a recueilli ses donnes alors quil tait dans lorganisation en tant quobservateur- participant. _____(11) Cecil Gibb (1969) prsente une revue approfondie de la littrature sur le leadership. avec mention spciale pour les thories de lefficacit du leader, dans sa contribution au Manuel de Psychologie Sociale Mc Gregor (1960) et Likert (1961) sont des exemples typiques de lcole humaniste, ainsi que Fiedler (1966) et Campbell et al (1970) pour lcole de la contingence.

Sa conclusion-cl est la suivante : les forces sociales informelles de la bureaucratie ont tendance dominer laction individuelle.

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Dans la grande organisation ou la socit en mutation fluide lindividu, tout comme lanimal men par linstinct est une crature sans dfense qui pratique la dissimulation calculatrice pour survivre au milieu des menaces invisibles qui lentourent (Dalton, 1959, p. 270).

Dans une autre tude trs connue, le spcialiste de sciences politiques Richard. Neustadt (1960) analyse le fonctionnement de la Prsidence aux Etats-Unis, et de trois de ses titulaires; ses conclusions sont un peu diffrente. Son livre, quil intitule avec justesse Le pouvoir prsidentiel : la politique du leadership , prsente une vue des intrigues informelles et des ruses qui sont une composante ncessaire de lexercice du pouvoir; mais Neustadt dit aussi clairement que lefficacit du pouvoir du Prsident dpend pour une large part de son style et de la faon dont il considre son travail. Il existe aussi une thorie gnrale intressante sur le pouvoir du leader: la plus grande partie en est expose dans un article intitul Influence, leadership et contrle crit par Darwin Cartwright en 1965 dans le Trait des Organisations de James G. March. Larticle expose les moyens par lesquels une personne (O) influence une autre personne (P). Cet article est long et difficile, utilisant tout au long de lexpos les termes dautorit, persuasion, pouvoir, influence, contrle et leadership. Le thme rcurrent est celui de la classification des diffrents types de pouvoir. Celle de French et Raven, cite par Cartwright, apparat comme la plus complte:Le pouvoir de rcompense est fond sur la croyance, par (P), que (O) peut lui accorder ou lui faire accorder des rcompenses. Le pouvoir de coercition est fond sur la croyance, par (P) , que (O) peut lui infliger ou lui faire infliger des punitions. Le pouvoir de rfrence est fond sur lidentification de (P) (O). Par identification French et Raven entendent un sentiment d identit de P avec O; ou le dsir dune telle identit. Le pouvoir lgitime vient des valeurs, adoptes par P, qui lui disent que O a le droit de linfluencer et quil a lui-mme lobligation daccepter cette influence. Dans les organisations formelles, le pouvoir lgitime est gnrale ment attach la fonction : le

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titulaire de la fonction a le droit dexercer une influence sur un certain groupe dfini de personnes dans des domaines dactivits galement dfinis. Le pouvoir de lexpert est fond sur la croyance, par (P), que (O) dispose dun savoir ou dune expertise particulire. (Cartwright, 1965, pp. 28-30).

Il est clair que pour comprendre le travail du leader, il est ncessaire dtudier les sources de son pouvoir et le degr du contrle quil exerce sur son propre travail. Dans une partie de la littrature sur le commandement, une distinction est faite entre le leadership informel (o le leader est choisi par les suiveurs comme dans les bandes de jeunes) et le leadership formel (o le leader est nomm par une autorit suprieure, comme dans la plupart des entreprises). Alors que le leader informel peut sappuyer sur le pouvoir de rfrence, les cadres doivent pour lessentiel utiliser le pouvoir lgitime ainsi que les pouvoirs de rcompense et de coercition qui en dcoulent (comme par exemple le droit daccorder une promotion, une augmentation de salaire, ou le droit de licencier).

LECOLE DU COMPORTEMENT DU LEADERNombre de chercheurs se sont penchs sur le contenu du travail du cadre en tudiant le comportement des cadres. Bien quon les rassemble ici sous ltiquette unique cole du comportement du leader, leurs crits nont en commun que lidentit dobjectifs. Les mthodes utilises sont trs variables: ces chercheurs nont pas construit un corps de connaissances en sappuyant les uns sur les autres et, fait trs important, aucun thme central nmerge de leurs recherches, aucun fil directeur ne vient relier leurs conclusions. Il faut donc les tudier une une et en extraire ce qui parat utile. Cest ce que nous faisons dans la suite, brivement, de faon donner au lecteur une ide de ce quapporte cette cole de pense. Dans son analyse sur le comportement des leaders, Georges Homans (1950) tire un certain nombre de conclusions intressantes de ltude sur

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les bandes de jeunes ralise par William F. Whyte. Il trouve, par exemple, que le leader est le membre du groupe le mieux inform, et quune hirarchie dautorit apparat mme dans les bandes de jeunes. Lanalyse du travail du cadre faite dans les chapitre 3 et 4 sappuie sur la similarit remarquable de beaucoup des conclusions de Homans (tires de ltude dune des situations de commandement parmi les plus informelles) avec les conclusions tires dtudes portant sur des leaders placs en position formelle de responsabilit. Hodgson, Levinson et Zaleznik (1965) analysent lquipe de direction dun hpital (quipe compose de trois membres) et en tirent des leons intressantes sur la faon dont les membres se partagent le travail tant en fonction des caractristiques des tches que de dimensions motionnelles. Leur travail sert de base la thorie des variations entre postes dencadrement prsente au chapitre 5. Stieglitz (1969) a interrog 280 PDG dentreprises, amricaines ou non, et en a tir une description de poste en huit parties qui rappelle fortement POPDCORB: il parle, par exemple, de la formulation de la stratgie, de la dtermination des plans et des objectifs densemble. Dans deux tudes sur le comportement des agents de matrise, Wikstrom (1967) dcrit lrosion de leur autorit et les moyens utilisables pour renverser cette tendance, et Walker, Guest et Turner (1956) sattachent certains aspects du travail des agents de matrise (traitement des cas urgents, gestion du personnel, etc.). Il nous reste prsenter deux recherches. Les tudes sur le commandement faites par lUniversit dEtat de lOhio reprsentent leffort le plus ambitieux jamais accompli pour examiner le comportement des cadres. Ces tudes rparties sur trente ans, ont consist soumettre des questionnaires trs dtaills de trs nombreux cadres dentreprises, de larme. de syndicats. et de nombreuses autres organisations. Des techniques statistiques permettaient ensuite de re grouper les rponses en catgories qui puissent dcrire diffrents aspects du comportement des leaders. Lutilit des rsultats obtenus pour la description du travail des cadres est trs faible en comparaison des ressources employes: les catgories auxquelles ils sont parvenus vont 36

peu au-del de POPDCORB; peut-tre est-ce l une consquence des questions poses; peut-tre faut-il y voir la consquence du fait que ces tudes ont considr les perceptions que les cadres avaient de leur travail plutt que ce travail lui-mme. La dernire tude que nous prsenterons est celle de Sayles (1964). Sayles a vcu un certain temps dans une organisation, notant tout ce qui lui paraissait intressant sans avoir la prtention de conduire une exprience scientifique (p. VII). Sa description du comportement des cadres subalternes et des cadres moyens est certainement la plus significative qui soit parmi celles que nous avons prsentes. Sayles parle du cadre comme moniteur, comme leader et comme participant des flux externes de travail. Le thme le plus intressant de son analyse est peut-tre celui dquilibre mobile : Sayles soutient que les cadres doivent ragir aux pressions par des ajustements court terme ou des changements structurels de long terme, maintenant un quilibre entre le changement et la stabilit pour aboutir une stabilit de type dynamique (1964, p. 163). Nous ferons de frquentes rfrences Sayles dans notre discussion des rles du cadre au chapitre 4. Chacune de ces tudes (si lon compte ensemble toutes les tudes Ohio) est distincte des autres dans ses orientations et dans ses conclusions. Cependant, lorsquon les replace dans une thorie des rles du cadre, les conclusions de certaines dentre elles fournissent lindication dun certain nombre dlments de base du contenu du travail du cadre.

LECOLE DE LACTIVITE DU LEADERCette dernire cole de pense sur le travail du cadre est situe loppos des recherches de lcole classique; il sagit ici de recherches inductives dans lesquelles les activits professionnelles des cadres sont analyses de faon systmatique; des conclusions ne sont tires que lorsquelles sont corrobores par des donnes. De plus, la diffrence des recherches de lcole du comportement du cadre, ces tudes sont

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trs lies les unes aux autres. Les mthodes utilises sont trs similaires et dans la plupart des cas, des efforts explicites sont faits pour tenter dincorporer les dcouvertes des recherches prcdentes dans le dveloppement des conclusions nouvelles. La mthode de recherche la plus utilise dans le cadre de cette cole de pense a t la mthode de lagenda : les cadres notaient eux-mmes divers aspects de leurs activits sur une grille prtablie (dure, localisation, participants). Les deux tudes les plus remarquables de ce type ont t celle de Sunne Carlson (portant sur 9 directeurs gnraux sudois) et celle de Rosemary Stewart (concernant 160 cadres moyens britanniques) : cette dernire est certainement la plus importante et la plus utile; un exemplaire de la grille de Carllson est prsent dans la figure 1.

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Un autre groupe de recherches a utilis deux techniques dobservation 1 observation dun chantillon dactivits, dans laquelle le chercheur note quelle est la nature de lactivit du cadre des moments alatoires et lobservation Structure, dans laquelle les donnes de lagenda (ainsi parfois que dautres donnes) sont notes par le chercheur et non par le cadre. Ces autres mthodes aboutissent aux mmes conclusions que celles des recherches utilisant la mthode de lagenda. Le tableau 1 fournit une liste de recherches effectues dans le cadre de cette cole de pense : dix dentre elles sont fondes sur la mthode de lagenda, quatre sur lobservation (12). Dans lensemble de ces recherches, 579 cadres, appartenant essentiellement des entreprises,

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niais situes tous les niveaux de la hirarchie, ont t observs durant des priodes allant de un jour un mois. En discutant des rsultats de ces recherches, nous devons, la base, oprer une distinction entre le contenu du travail du cadre (il en tait fait mention dans les sections prcdentes) et les caractristiques de ce travail. Un chercheur tudiant le travail du cadre peut dsirer savoir o les cadres travaillent, avec qui, en utilisant quels moyens de communication (le tlphone par exemple). Les rponses ces questions donnent les caractristiques du travail du cadre. Le chercheur peut aussi tudier ce que font les cadres dans leur travail: dans quelles activits ils sont engags et pourquoi. Les rponses ces questions dcrivent le contenu du travail du cadre. Si on range les diffrents contenus et les diffrents objectifs en catgories, on aboutit des descriptions de fonctions ou de rles. Le premier type danalyse nous dirait, par exemple, quun cadre a travaill de longues heures pendant une semaine donne; le second type danalyse nous dirait que, sil a travaill de longues heures, cest parce quil tait profondment impliqu dans des ngociations avec les syndicats. Si on opre cette distinction, il devient clair ds le dpart que les tudes ralises par lcole de pense dite de lactivit du cadre nous apportent des conclusions significatives sur les caractristiques du travail du cadre, mais presque rien sur le contenu de ce travail. Nombre de chercheurs, et parmi eux Sune Carlson, ont tent de recueillir des donnes sur le contenu du travail, Leurs grilles de recueil dinformations comportaient des sections o les cadres notaient leurs activits en suivant une grille prtablie comportant des catgories comme obtenir une information et rguler. Les conclusions obtenues par ces moyens sont en fait si maigres que Rosemary Stewart ngligea volontairement de noter le contenu du travail lorsquelle conduisit sa grande tude fonde sur la mthode de lagenda au milieu des annes soixante. Elle sexplique :Il ny a aucun problme poser des questions dpourvues dambiguit comme : O travaille-t-il Est-il seul ou avec quelquun dautre ? et Avec qui est-il?... De telles

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recherches nous renseignent sur lemploi que le cadre fait de son temps, mais nous disent peu de choses sur le contenu de son travail, qui est laspect le plus intressant de son activit. Ceux qui ont cherch le dcrire ont gnralement pens dans les termes des fonctions classiques de la gestion, comme planifier et organiser. ou des activits comme donner des informations ou prendre des dcisions. Le problme est que de telles activits ne peuvent pas tre dfinies de faon unique, telle que diffrents cadres notant les mmes tches les rpartiront ncessairement dans les mmes catgories. Cette remarque sapplique mme des classifications moins ambigus comme celle qui rpartit les activits entre production et vente. Il existe des activits qui sont un mlange des deux, ou qui apparais sent dun certain point de vue comme de la production et dun autre point de vue comme des ventes (1968 a. p 81 ).

_____(12) Wirdenius ( 1958) passe aussi en revue un certain nombre dtudes scandinaves (fondes sur lobservation, la mthode de agenda. et lchantillonnage des activits) qui nont pas t publis en anglais.

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La difficult parat rsider dans la mthode elle-mme : elle exige que le chercheur dfinisse, avant mme de mener sa recherche, un nombre

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limit de catgories dactivits que les cadres pourront cocher (voir figure 1). Comme Burns le note:Si on utilise des fiches pr codes de cette nature, linformation recueillie est extrmement limite; cette mthode revient dcrire le comportement dune personne laide dun vocabulaire de moins de cinquante mots... (1957, p. 46).

Ainsi, pour concevoir la fiche pr code, le chercheur doit avoir une ide de ce que font les cadres. Pour un facteur comme lieu de travail, il suffit de faire une liste: bureau personnel, bureau des collgues, usine entreprise extrieure, etc. Mais quels mots faut-il utiliser pour dcrire le contenu des activits de gestion? Les mots vagues de POPDCORB mis part, nous navons rien notre disposition. Lcole de lactivit du cadre a, en fait, pour mission de dvelopper les catgories utilisables dans les fiches pr codes laide desquelles on dcrit les activits du cadre. Dans les termes de Hodgson, Levinson et Zaleznik, qui ont utilis le mme argument pour discuter de la mthode du questionnaire:Pour construire des questionnaires, il nous fallait connatre les dimensions principales de la situation que nous tudions. Cette tape nous prit environ une anne dtudes sur le terrain; au bout de cette dure, nous avions dj tellement de donnes que les questionnaires ne nous auraient rien apport de plus (1965, p. 481).

Lobservation de cinq directeurs gnraux que jai moi-mme ralise (Mintzberg. 1968) entre aussi dans cette catgorie de lcole de lactivit du cadre. Jai cependant utilis une mthode diffrente: mon objectif tait en effet de dcrire le contenu du travail, ce que les tudes par agenda navaient pu faire. Jai donc eu recours lobservation structure en dveloppant mes catgories non a priori, mais pendant et aprs lobservation : aprs chaque vnement que jai pu observer, jai essay den dcrire la raison, lobjectif (en plus dautres donnes comme le lieu, la dure, lidentit des participants) dans les termes qui semblaient tre les plus appropris au moment mme de lobservation. Llaboration des catgories formelles a t faite bien plus tard, quand

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jai dispos la fois de toutes les donnes et du temps ncessaire pour la faire avec soin, Il ma paru utile de dcrire cette approche avec quelque prcision: elle conserve lavantage essentiel de la mthode de lagenda (lenregistrement systmatique de donnes sur le terrain) tout en donnant la flexibilit qui permet de dvelopper les catgories de faon inductive. Il en rsulte une nouvelle description du contenu du travail du cadre. et un certain nombre de conclusions sur les caractristiques de ce travail qui viennent renforcer celles obtenues dans dautres tudes de la mme cole de pense. Le chapitre 3 en fait une prsentation dtaille. Nous pouvons ds maintenant noter les similitudes remarquables tablies entre les activits de tous les cadres, du PDG lagent de matrise. Pratiquement toutes les tudes, par exemple, montrent limportance de la communication de face face, et le volume des transferts dinformations latraux et horizontaux. Le fait que le travail soit fragment et souvent interrompu est remarqu par Carlson (1951) dans le cas des PDG et par Guest (1955-1956) dans le cas des agents de matrise. Guest et Stewart, qui ont tudi diffrents niveaux dencadrement, ont tous deux mis en vidence la varit et labsence de rptition dans le travail du cadre; Ouest et Carlson, dans des contextes diffrents, ont not le caractre soutenu du rythme de travail. Il est vident quil existe des cadres dont lactivit na pas ces caractristiques; mais il resterait peu de thorie dans les sciences sociales si on se limitait des conclusions qui ne souffrent aucune exception. Il existe des preuves de similarits, mais aussi des preuves de diffrences. Thomason (1966, 1967) note lexistence de centres dinformations spcialiss. Les observations de Carlson sur les longues heures de travail des PDG contrastent avec celles faite par Home et Lupton (1965) sur les cadres moyens. Et Burns (1967) nous rapporte que les cadres ont tendance tre dautant moins spcialiss quils sont de niveau plus lev. On a vu, dans la littrature, un dbat sinstaurer sur la question de savoir si le travail des cadres est plus caractris par les similarits ou par les 44

diffrences entre situations (13). La rponse dfinitive est sans doute quil y a des caractristiques communes tous les postes de cadres, et que chaque poste a des aspects qui le distinguent de tous les autres. Ce que nous devons faire, cest dabord identifier les lments communs et dcrire ce quest lessence du travail dencadrement; ensuite seulement on peut comprendre les diffrences. Heureusement, les tudes sur lactivit du cadre nous fournissent une base de donnes riches et solides qui nous aide isoler les similarits et les diffrences importantes dans les caractristiques du travail dencadrement.

QUATRE ASPECTS DU TRAVAIL DENCADREMENTNous avons pass en revue huit coles de pense sur le travail du cadre. Elles sont fondes sur une varit d et de mthodes de recherche et par viennent une varit de conclusions. La plupart dentre elles nous disent peu de choses du travail dencadrement, mais en les considrant dans leur ensemble, on peut parvenir une description raisonnable. Les quatre chapitres qui suivent constituent le coeur de ce livre ; combinant les rsultats de recherches dj publies avec ceux de mes propres investigations, ils dcrivent le travail du cadre en adoptant tour tour quatre points de vue diffrents Les chapitres 3 et 4 mettent laccent sur les similarits : les six ensembles de caractristiques communes tous les postes dencadrement, et les dix rles de base. Ces derniers proviennent de mes propres travaux, mais leur existence est corrobore par de nombreuses autres tudes empiriques portant sur le comportement de diffrents types de cadres. On note dans ce domaine lapport de cinq courants de recherches sur le travail du cadre (deux consacrs aux aspects dcisionnels, trois la fonction de leader). _____(13) Campbell et al (1970) et Nealey et Fiedler discutent de cette question On trouvera des commentaires sur leurs conclusions dans la premire partie du chapitre 5

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Dans le chapitre 5, par contre, nous porterons notre attention vers les variations dans le travail du cadre, en nous servant des caractristiques et rles communs pour apprcier les diffrences. Nous y suggrerons une thorie de la contingence, dans laquelle les variations dpendent de lenvironnement du poste, du poste lui-mme (son niveau, sa fonction dans lorganisation), de la personne qui tient le poste et de la situation du moment. Nous donnerons dans ce chapitre des propositions sur les diffrences entre postes, qui trouvent leur origine dans pratiquement lensemble des recherches empiriques publies sur le travail des cadres. Le chapitre 6 revient, lui, sur la programmation du travail du cadre telle quelle est suggre par lcole de la thorie de la dcision. Il commence par traiter en dtail du concept de programmation, puis prsente une description prliminaire de quelques-uns des programmes que les cadres utilisent apparemment. Nous y discuterons aussi du rle du spcialiste des sciences de gestion et des zones dans lesquelles il peut avoir une influence sur lefficacit du travail du cadre. Le dernier chapitre passe en revue et intgre ces quatre regards sur le travail des cadres: les caractristiques, les rles, les variations, et les programmes. Il se termine par une valuation des consquences de ce que nous avons mis en lumire pour les cadres, les enseignants, les spcialistes des sciences de gestion, et les chercheurs.

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3 . Quelques caractristiques du travail des cadresJe ne veux pas que ce soit parfait je veux que ce soit fait Mardi! Adage contemporain

Dans ce chapitre, en prlude une description globale, nous allons centrer notre attention sur diverses caractristiques du travail, en fait six ensembles de caractristiques ayant trait respectivement : 1. la quantit et le rythme du travail du cadre, 2. la structure de ses activits, 3. les relations, dans son travail, entre laction et la rflexion, 4. lutilisation quil fait des diffrents moyens de communication, 5. ses relations de travail avec autres personnes, 6. linteraction entre les droits et les devoirs. Les conclusions de ce chapitre sont essentiellement fondes sur les rsultats dtudes empiriques relatives lactivit du cadre nous en avons discut la fin du chapitre prcdent, et relev la remarquable similitude des rsultats obtenus par diverses mthodes, essentiellement lobservation directe et lautodescription des activits (le cadre note luimme ses activits sur des fiches prcodes. Ces recherches ont t faites sur des agents de matrise, des cadres moyens, des Cadres suprieurs et des directeurs gnraux. Une partie des matriaux utiliss ici provient de mon tude sur cinq organisations de taille moyenne ou grande.

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Dans ce chapitre et dans le suivant, nous appellerons organisation lunit dont le cadre est responsable : pour le chef datelier, il sagit de latelier, pour le PDG, il sagit de lentreprise; lorganisation en question peut donc tre une sous-unit dune organisation plus grande, par exemple une division dune entreprise, et ceux que nous appellerons les personnes extrieures peuvent en fait tre des membres de la mme entreprise qui n pas lunit en question.

BEAUCOUP DE TRAVAIL, UN RYTHME SOUTENUAvec quelle intensit les cadres travaillent-ils? Les tudes faites sur les PDG montrent quils narrtent pratiquement jamais de penser leur activit professionnelle. Dans son article sur le sujet, Whyte nous indique que les PDG quil a interviews lui ont dit quils travaillaient quatre soires sur cinq: une soire au bureau, une soire de rception, et deux soires au domicile qui est moins un sanctuaire quune annexe du bureau (1954, 109). Carlson discute des effets de ce rythme:Pour les PDG eux-mmes, cette charge de travail excessive a de nombreux effets dplaisants elle rduit la vie familiale et la vie personnelle, elle entrane des voyages de nuit, des soires et des week-ends passs hors de la maison. Dans certains cas, elle est aussi la cause dun certain isolement intellectuel... Ces PDG ont rarement le temps de lire autre chose que la littrature technique et conomique, le temps daller au thtre ou au concert (l95l, p. 75).

Les tudes portant sur les cadres moyens et les cadres subalternes nont pas, elles, prouv quils passent un temps important au travail (voir par exemple Home et Lupton, 1965). Mais elles dmontrent quils travaillent sans arrt avec une grande intensit. Guest a trouv que les agents de matrise ont entre 237 et 1073 activits par jour sans une pause:Ces agents de matrise avaient, videmment, peu de temps pour souffler. Ils avaient rsoudre en rafale de nombreux problmes pressants. Il leur fallait accepter dtre frquemment interrompus, de garder simultanment lesprit de nombreux problmes, et de redfinir sans cesse les priorits daction (l956, p. 480).

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Dans leur tude sur des cadres moyens et des cadres confirms, Dubin et Spray nous rapportent que ... le niveau dactivit tait pratiquement constant au cours de la journe (1964, p. 102). Et Davis cite lun de ses tudiants propos du travail de responsable des ventes Son travail senchane, une dam ne chose aprs lautre!, (1957, p. 21). Ma propre tude portant sur des directeurs gnraux a montr quil ny avait aucune interruption du rythme dactivit pendant les heures de bureau. Le courrier (en moyenne 36 lments par jour), le tlphone (en moyenne 5 appels par jour) et les runions (en moyenne 8 par jour) remplissaient pratiquement chaque minute de leur temps, entre leur arrive au bureau le matin et leur dpart le soir. Il Y avait rarement des pauses. Ils prenaient le caf pendant les runions,et le djeuner tait presque toujours loccasion dune runion formelle ou informelle. Ds quil y avait du temps libre, il tait rapidement subtilis par des subordonns omniprsents. Lorsque ces cadres voulaient un changement de rythme, ils avaient deux moyens leur disposition: la tourne des installations, la discussion dtendue qui prcde les runions programmes. Mais ces pauses ntaient pas programmes, et elles taient rarement sans relation avec le sujet principal: la gestion et lorganisation. Grer une organisation est donc une activit prenante. La quantit de travail de travail quil faut faire, ou que le cadre choisit de faire, au cours de la journe est importante et le rythme est soutenu sans discontinuer. Aprs plusieurs heures dobservation, le directeur gnral (comme beaucoup dautres cadres) apparat comme une personne incapable dchapper un environnement qui reconnat le pouvoir et le statut de sa fonction, et son propre esprit, qui a t trs bien entran rechercher sans discontinuer de nouvelles informations. Pourquoi les cadres adoptent-ils ce rythme et cette charge de travail? Une raison essentielle est labsence de dfinition prcise du travail. Le cadre est responsable du succs de son organisation et il ny a pas rellement de point tangible auquel il puisse sarrter et dire maintenant mon travail est termin. Lingnieur termine la conception dune pice 49

un certain jour, lavocat perd ou gagne dans une affaire un certain moment. Le cadre, lui, doit toujours continuer sans sarrter: il nest jamais sr davoir russi, jamais certain que son organisation ne seffondrera pas cause dune erreur de calcul. En consquence, il est perptuellement proccup. Il nest jamais compltement libre doublier son travail, il na jamais le plaisir de savoir, mme un instant, quil ny a rien dautre quil puisse faire. Quelle que soit la nature du travail dencadre ment qui est le sien, il peut toujours penser que a irait mieux sil en faisait un petit peu plus. Et son rythme de travail est donc soutenu.

UNE ACTIVITE CARACTERISEE PAR LA BRIEVETE, LA VARIETE ET LA FRAGMENTATIONLa plus grande part du travail, dans la socit, implique spcialisation et concentration Les oprateurs sur machine peuvent apprendre fabriquer une pice et passer des semaines toujours fabriquer cette mme pice: les ingnieurs et les programmeurs passent souvent des mois la conception dun pont ou d un programme: les vendeurs passent souvent toute leur vie active vendre la mme gamme de produits. Le cadre ne peut esprer aucune concentration d activit de cette nature. Ses activits sont plutt caractrises par la brivet, la varit et la fragmentation (1). Guest, dont les agents de matrise avaient en moyenne 583 activits par jour, commente: _____(1) Guest (1955-1956), Ponder (1957) ,Carlson(1951) et Stewart (1967) attirent tous lattention sur ces caractristiques dans leurs tudes empiriques.

Il est intressant de remarquer que les caractristiques du travail de lagent de matrise interruption, varit, discontinuitsont diamtrale ment opposes celles du travail des oprateurs: ce dernier est hautement rationalis, rptitif, ininterrompu, et soumis au rythme continu et constant de la chane (1955-1956, p. 481).

Dans ma propre tude, les directeurs gnraux avaient en moyenne 36 contacts crits et 16 contacts verbaux par jour, pratiquement chacun

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ayant trait un problme diffrent. La figure 2 nous donne une ide de la grande varit de contenu de ces contacts.

Un subordonn appelle pour signaler un incendie dans une des installations ; puis il passe en revue le courrier, dont la plus grande partie est sans importance ; un autre subordonn linterrompt pour avertir quune crise est imminente avec un groupe extrieur lentreprise; puis, cest une crmonie en lhonneur dun salari qui va prendre sa retraite, Suivie de la discussion de lappel doffre sur un contrat de plusieurs millions de francs; aprs cela, le cadre se plaint de ce quil y a un gchis despace de bureau dans un dpartement. Chaque journe de travail 51

apporte la mme varit dactivits. Le plus surprenant est de constater que les activits courantes et les activits trs importantes se succdent sans que lensemble ait une structure particulire. Le cadre doit donc tre prt changer de registre frquemment et avec rapidit.

Les donnes recueillies tors de cette recherche ont t analyses pour essayer de dgager des structures dactivit, mais quelques expressions 52

mineures prs (2), aucune nest apparue vidente. En dautres termes, il nest pas possible de dire que les matins sont diffrents des aprs-midis, que certaines activits ont lieu tel moment de la journe plutt qu tel autre, ou que certains jours sont diffrents des autres (3). Des structures mensuelles et saisonnires existent dans certains cas, mais notre tude, comme dautres, montre quil existe peu de structures de court terme. La brivet de beaucoup des activits du cadre est aussi trs surprenante. La figure 3 montre cet gard la distribution des activits des directeurs gnraux par nature et par dure. La moiti dentre elles avaient une dure infrieure neuf minutes, et seulement dix pour cent excdaient une heure. En fait, les cadres taient rarement dsireux ou capables de passer beaucoup de temps en une seule fois sur un problme. Les conversations tlphoniques taient brves et prcises (en moyenne 6 minutes); les priodes de travail au bureau et les runions non programmes duraient rarement plus dune demi-heure (leur moyenne tait respectivement 15 et 12 minutes). Seules les runions programmes, gnralement consacres une multitude de problmes ou une seule question complexe, prenaient souvent plus dune heure. Mais une moyenne de 68 minutes parat maigre si on considre la nature des questions discutes. On retrouve la mme caractristique de brivet dans le traitement du courrier. Une majorit de ceux que nous avons interrogs, nous ont dit quils naimaient pas les longs mmorandums; la plupart des longs rapports et des rapports priodiques taient rapidement survols. La caractristique de brivet, qui est dj remarquable au niveau des PDG, devient plus accentue encore quand on descend dans la hirarchie. Au niveau des agents de matrise, Guest (1955-1956) et Ponder (1957) ont trouv une extrme brivet : la dure moyenne dune activit tait de 48 secondes dans le premier cas, et environ 2 minutes dans le second. _____

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(2) Gnralement, par exemple, les journes de travail commenaient et finis